Évangile selon Saint Marc
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Explications verset par verset sur JesusMarie.com
Introduction
Quel est ce S. Marc, auquel la tradition a toujours unanimement attribué la composition du second Évangile canonique ? La plupart des exégètes et des critiques admettent qu’il ne diffère pas du personnage mentionné alternativement dans plusieurs écrits de la nouvelle Alliance sous les noms de Jean, Actes des Apôtres 13, 5, 13 ; de Jean‑Marc, Actes des Apôtres 11, 12, 25 ; 15, 37, et de Marc, Actes des Apôtres 15, 39 ; Colossiens 4, 10, etc. (Voir Drach (Comment. sur les Epîtr. de S. Paul, p. 503.), etc., d’autres nient au contraire cette identité. Pour eux, l'évangéliste S. Marc serait complètement inconnu ; ou bien, il devrait se confondre avec le missionnaire apostolique que S. Pierre appelle « mon fils Marc » dans sa première Lettre, 5, 13. D’autres auteurs, allant encore plus loin, distinguent l'évangéliste S. Marc, Jean‑Marc et un autre Marc, parent de S. Barnabé. cf. Colossiens, 10. Mais ces multiplications ne reposent pas sur des fondements bien sérieux. Quoique plusieurs écrivains apostoliques des premiers siècles, en particulier Denys d'Alexandrie et Eusèbe de Césarée, semblent vaguement supposer l'existence de deux Marcs distincts dont l’un aurait été compagnon de S. Pierre, l’autre collaborateur de S. Paul, on ne saurait affirmer que la tradition se soit jamais prononcée à fond sur ce point. Aussi dirons‑nous, en prenant Théophylacte pour guide :ᾞν μὲν γὰρ οὗτος δ Μάρϰος Πέτρου μαθητής· ὃν ϰαί υἱὸν αὐτοῦ δ Πέτρος ὀνομάζει... Ἐϰαλεῖτο δὲ ϰαὶ Ἰωάννης· ἀνεψιὸς δέ Βαρνάϐα. ἀλλὰ ϰαί Παύλου συνέϰδημος· τέως μέντοι Πέτρῳ συνὼν τὰ πλεῖστα, ϰαὶ ἐν Ῥώμη συνῆν. Procem. Comm. in Evang. Marci. Μάρϰος... ἐϰαλεῖτο δὲ ὁ Ἰωάννης, écrivait déjà Victor d’Antioche. cf. Cramer, Cat. 1, p. 263 ; 2, p. 4.
Notre Évangéliste avait reçu à la circoncision le nom hébreu de Jean, יוחבן, Jochanan ; ses parents y ajoutèrent, ou il adopta lui‑même plus tard le surnom romain de Marc, qui, d'abord uni au nom, ne tarda pas à le remplacer complètement. C'est ainsi que S. Pierre et S. Paul, dans les passages cités, ne mentionnent que le surnom romain. S. Marc était l'ἀνεψιός de S. Barnabé, c’est‑à‑dire le fils de la sœur de ce célèbre apôtre ;cf. Colossiens 4, 10. Peut‑être était‑il lévite comme son oncle ; cf. Actes des Apôtres 4, 26 (Voir Bède le Vénérable, Prolog. In Marcum). Sa mère se nommait Marie et résidait a Jérusalem, Actes des Apôtres 12, 12, bien que la famille fût originaire de l’île de Chypre. cf. Actes des Apôtres 4, 36. Convertie au Christianisme, soit avant, soit depuis la mort du Sauveur, elle égalait en zèle pour la religion nouvelle les Marie de l’Évangile, car nous voyons les Apôtres et les premiers chrétiens se réunir dans sa maison pour la célébration des saints mystères, Actes des Apôtres 12, 12 et suiv. C’est là que S. Pierre, délivré de sa prison par miracle, alla directement chercher un refuge. Cette circonstance suppose qu’il existait déjà d’intimes relations entre le prince des Apôtres et la famille de S. Marc ; elle explique en même temps l'influence exercée par S. Pierre et sur la vie et sur l'Évangile de Jean‑Marc (Voir plus bas, §4, no 4.). Quant au nom de « fils » que Céphas lui donne dans sa première Lettre, 5, 13, il indique, selon toute probabilité, une filiation produite par la collation du baptême : ce n'est donc pas seulement un titre de tendresse (plusieurs exégète protestants, entre autres Bengel, Neander, Credner, Stanley, de Wette, Tholuck, prennent le mot fils à la lettre et supposent que Pierre parle de l’un de ses enfants. Mais cette hypothèse n’a pas le moindre fondement).
S. Épiphane ; Contre les Hérésies, 51, 6, l’auteur des Philosophoumena, 7, 20, et plusieurs autres écrivains ecclésiastiques des premiers siècles font de l’évangéliste S. Marc l’un) des soixante‑douze disciples. On a dit aussi qu’après s’être attaché de bonne heure à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ il fut l’un de ceux qui l'abandonnèrent après le célèbre discours prononcé dans la synagogue de Capharnaüm, Jean 6, 6 (Orig., de recta in Deum fide ; Doroth., in Synopsi Procop. diac. ap. Bolland. 25 april.). Mais ces deux conjectures sont réfutées par l'antique assertion de Papias : οὔτε ᾔϰουσε τοῦ ϰυρίου οὐτε παρηϰολούθησεν αὐτῷ (Ap. Euseb. Hist. Eccl. 3, 39). Il est possible cependant, comme divers commentateurs l’ont pensé, qu’il ait été le héros de l’incident plein d’intérêt dont il a seul gardé le souvenir dans son Évangile, 14, 51‑52 (Voir l'explication de ce passage.).
Les Actes des Apôtres nous fournissent sur sa vie ultérieure des renseignements plus authentiques. Nous y lisons d’abord, 12, 25, que Saul et Barnabé, après avoir porté aux pauvres de Jérusalem les riches aumônes que leur envoyait l’Église d’Antioche, cf. 11, 27‑30, emmenèrent Jean‑Marc en Syrie ; de là, il partit avec eux pour l’île de Chypre, quand Paul entreprit son premier grand voyage de missionnaire (an 45 après J.‑C). Mais lorsque, après plusieurs mois de séjour dans l’île, ils arrivèrent à Perga, en Pamphylie (Voir Ancessi, Atlas géograph. pour l'Etude de l’Anc. et du Nouv. Testam. pl. 19), d’où ils devaient s'enfoncer dans les provinces les plus inhospitalières de l’Asie‑Mineure, pour y accomplir un ministère pénible et dangereux, il refusa d’aller plus loin. Il les abandonna donc et rentra à Jérusalem cf. Actes des Apôtres 13 (Le motif de son départ n’est pas indiqué ; mais la conduite subséquente de Paul, Actes des Apôtres, 15, 37‑39, prouve suffisamment que Jean‑Marc n’avait pas agi d'une manière irréprochable et qu'il avait momentanément fait preuve ou de faiblesse, ou d'inconstance et de légèreté. cf. S. Jean Chrysost. ap. Cramer, Caten, in Actes des Apôtres 15, 38.). Néanmoins, au début de la seconde mission de S. Paul, Actes des Apôtres 15, 36, 37, nous le trouvons de nouveau à Antioche, résolu cette fois à affronter toutes les difficultés et tous les périls pour la diffusion de l’Évangile (an 52). Aussi son oncle proposa‑t‑il à Paul de le reprendre en qualité d'auxiliaire. Mais l’Apôtre des Païens n’y voulut pas consentir. « Paul lui représentait que celui qui les avait quittés en Pamphylie et qui n’était pas allé avec eux à l'ouvrage ne devait pas être repris. Il y eut alors dissension entre eux. » S. Paul ne crut pas pouvoir céder aux instances de S. Barnabé ; mais les Apôtres s’arrangèrent à l’amiable. Il fut entendu que Paul irait évangéliser la Syrie et l’Asie‑Mineure avec Silas, tandis que Barnabé, accompagné de Marc, retournerait en Chypre. Ce dissentiment occasionné par Jean‑Marc servit donc les plans de la Providence pour la propagation plus rapide de la bonne nouvelle.
A partir de cet instant, nous perdons de vue le futur évangéliste : mais la tradition enseigne, comme nous le verrons plus loin, qu’il devint le compagnon habituel de S. Pierre ; cf. 1 Pierre 5, 13. Toutefois, il ne fut pas à tout jamais séparé de S. Paul. Nous aimons à le trouver à Rome, vers l’an 63, auprès de ce grand apôtre qui s’y trouvait alors captif pour la première fois. Colossiens 4, 10 ; Philémon 24. Nous aimons à entendre Paul, durant sa seconde captivité, cf. 2 Timothée 4, 11 (vers l'an 66), recommander instamment à Timothée de lui conduire Marc, qu'il désirait voir encore avant de mourir. Heureux S. Marc, qui eut le bonheur d’avoir, pendant une partie notable de sa vie, des relations si choisies avec les deux illustres Apôtres Pierre et Paul.
Nous n’avons que de rares données sur le reste de ses travaux apostoliques et sur sa mort. Les Pères disent cependant en termes formels qu’il évangélisa la Basse‑Égypte, et qu’il fonda l’Église d’Alexandrie, dont il fut le premier évêque (Une tradition qui semble légendaire lui fait gagner les bonnes grâces et l'admiration du célèbre Juif Philon cf. Eusèbe, Hist. Ecc1. 2, 16 ; S. Jérôme, de Vir. illustr. c. 8 ; S. Epiph. Hær. 51, 6. Suivant une conjecture très‑vraisemblable de S. Irénée, adv. Marc. 3, 1, sa mort n’aurait eu lieu qu’après celle de S. Pierre, par conséquent après l’an 67. Plusieurs écrivains anciens assurent qu’elle consista en un douloureux mais glorieux martyre, que lui fit subir le peuple d’Alexandrie. cf. Nicephor. Hist. Eccl. 2, 43 ; Simeon Metaphr. in Martyr. S. Marci (Voir D. Calmet, Dictionn. de la Bible, au mot Marc 1.). L’Église a adopté ce sentiment, qu’elle a consigné dans le Bréviaire et le Martyrologe (au 25 Avril). Pendant de longs siècles, on conserva à Alexandrie le manteau de S. Marc, dont chaque nouvel évêque était solennellement revêtu au jour de son intronisation (les Études religieuses des PP. Jésuites, 15° année, 4° série, t. 5, p. 672 et ss., contiennent un article aussi intéressant que savant de M. Le Hir sur la chaire de S. Marc transportée d'Alexandrie à Venise). Mais, tandis que la renommée de l’Évangéliste s’effaçait en Égypte, Venise la fit refleurir en Occident : cette ville a depuis longtemps choisi S. Marc pour son protecteur spécial, et a construit en son honneur une des plus belles et des plus riches basiliques du monde entier (On y voit, entre autres richesses, le magnifique tableau de Fra Bartholomeo, qui représente notre Évangéliste. Le lion, emblème de S. Marc, est encore gravé sur les armes de la célèbre république. — Sur la vie de S. Marc, voir les Bollandistes au 25 avril.
« L’authenticité du livre ne peut pas être mise en doute » dit très‑justement le Dr Fritszche (Evangelium Marci, Lips. 1830, Proleg. §5). Elle est tout aussi certaine que celle de l'Évangile selon S. Matthieu ; les Pères des premiers siècles affirment, en effet, d’un commun accord que S. Marc est vraiment l'auteur d’un Évangile, et il n’y a pas la moindre raison de douter que cet Évangile ne soit celui qui est parvenu jusqu'à nous.
1° Témoignages directs. — Ici encore, c’est Papias qui ouvre la marche. «Le prêtre Jean, dit‑il (Ap. Euseb. Hist. eccl. 3, 39.), rapporte que Marc, devenu l'interprète de Pierre, consigne exactement par écrit tout ce dont il se souvenait ; mais il n’observait pas l’ordre des choses que le Christ avait dites ou faites, car il n’avait pas entendu le Seigneur, et ne l’avait pas suivi personnellement ». Dans ces lignes, nous avons ainsi deux autorités réunies, celle du prêtre Jean et celle de Papias.
S. Irénée : « Matthieu composa son Évangile tandis que Pierre et Paul prêchaient la bonne nouvelle à Rome et y fondaient l'Église. Après leur départ, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous livra lui aussi par écrit les choses qui avaient été prêchées par Pierre (Contre les Hérésies, 3, 1, 1 ; ap. Euseb. Hist. Eccl. 5, 8. cf. 3, 10, 6, où le saint Docteur cite les premières et les dernières lignes de l’Évangile selon S. Marc : « Voilà pourquoi Marc, aussi, interprète et disciple de Pierre, composa ainsi le début du récit évangélique : « Début de l’évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu, comme il est écrit dans les prophètes : Voici que j’envoie mon ange devant ta face pour préparer ta voie. » À la fin de l’évangile, Marc dit : «Et, après que le Seigneur Jésus leur eut parlé, il fut reçu dans les cieux, où il siège à la droite de Dieu.» (latin : Quapropter et Marcus, interpres et sectator Petri, initium evangelicæ conscriptionis fecit sic : Initium Evangelii Jesu Christi Fili Dei, quemadmodum scriptum est in Prophetis : Ecce ego mitto angelum meum ante faciem tuam qui præparabit viam tuam... In fine autem Evangelii ait Marcus :Et quidem Dominus Jesus, postquam locutus est eis, receptus est in cœlos, et sedet ad dexteram Dei) ». cf. Marc. 1, et ss. ; 16, 19.) ».
Clément d’Alexandrie : « Voici quelle fut l’occasion de la composition de l’Évangile selon S. Marc. Pierre ayant publiquement enseigné la parole (τὸν λόγον) à Rome, et ayant exprimé la bonne nouvelle dans l'Esprit‑Saint, un grand nombre de ses auditeurs prièrent Marc de consigner par écrit les choses qu’il avait dites, car il l'avait accompagné de loin et se souvenait de sa prédication. Ayant donc composé l'Évangile, il le livra à ceux qui le lui avaient demandé. Quand S. Pierre l'apprit, il n’y apporta ni obstacle ni encouragement (Apud Euseb. Hist. Eccl. 6, 14.). »
Origène (Ibid. 6, 25): « Le second Évangile est celui de S. Marc, qui l'écrivit sous la direction de S. Pierre. » Tertullien : « Marcus quod edidit Evangelium Petri affirmatur, cujus interpres Marcus (Contr. Marcion 4, 5). » Traduction : «L’évangile que Marc a fait paraître est conforme à celui de Pierre.»
Eusèbe de Césarée ne se borne pas à signaler les assertions de ses prédécesseurs ; à plusieurs reprises il parle en son propre nom, et tout à fait dans le même sens. Dans sa Démonstration évangélique, 3, 3, 38 et suiv., il dit que sans doute le Prince des Apôtres n’a pas composé d’Évangile, mais qu’en revanche S. Marc a écrit τὰς τοῦ Πέτρου περὶ τῶν πράξεων τοῦ Ἰησοῦ διαλέξεις. Puis il ajoute : πὰντα τὰ παρὰ Μαρϰὸν τοῦ Πέτρου διαλεξέων εἶναι λέγεται ἀπομνη μονεύματα. « Ils firent toutes sortes d'instances auprès de Marc, l'auteur de l'Évangile qui nous est parvenu et le compagnon de Pierre, pour qu'il leur laissât un livre qui leur fût un mémorial de l'enseignement donné de vive voix par l'apôtre, et ils ne cessèrent leurs demandes qu'après avoir été exaucés. Ils furent ainsi la cause de la rédaction de l'Évangile selon Marc. » (cf. Histoire Ecclésiastique livre 2, ch. 15).
S. Jérôme : « à la demande des frères de Rome, Marc, disciple et interprète de Pierre, a écrit brièvement un évangile, d’après ce qu’il avait entendu de la prédication de Pierre » [« Marcus discipulus et interpres Petri, juxta quod Petrum referentem audierat, rogatus Romæ a fratribus, breve scripsit Evangelium ». De viris illustr. c. 8.] « Marc, dont l’évangile avait été composé en écrivant à partir des récits de Pierre » [« Marcus,.. cujus Evangelium, Petro narrante et illo scribente, compositum est »] lettre 120, 10, ad Hedib.
Nous pourrions citer encore des affirmations identiques de S. Épiphane, de S. Jean Chrysostome, de S. Augustin ; mais les témoignages qui précèdent montrent suffisamment qu’il n’y eut qu’une seule voix dans l'Église primitive pour attribuer à S. Marc la composition du second de nos Évangiles.
2° Les témoignages indirects sont moins nombreux que pour les trois autres biographies de Jésus, et il n’y a en cela rien de surprenant. L’œuvre de S. Marc est en effet la plus courte de toutes. De plus, elle s’occupe d’une manière presque exclusive de l'histoire et des faits : elle n’a presque rien de didactique. Enfin, les détails qu’elle renferme sont pour la plupart contenus dans l’Évangile selon S. Matthieu. Pour tous ces motifs, les anciens écrivains l’ont citée plus rarement que les autres. Néanmoins elle n’a pas été oubliée. S. Justin (Dialogue avec Tryphon c. 56) rapporte que le Sauveur donna à deux de ses Apôtres le nom de « Fils du tonnerre » (Βοανεργές, ὅ ἔστιν υἱοὶ βροντῆς). Or, S. Marc seul a raconté ce fait, 3, 17. Le même auteur (ibid., c. 103) dit encore que les Évangiles furent composés par des Apôtres ou par des disciples des Apôtres : ce dernier trait s'applique nécessairement à S. Marc et à S. Luc. Comparez encore Apolog. 1, c. 52, et Marc. 9, 44, 46, 48 ; Apol. 1, c. 16, et Marc. 12, 30. Les Valentiniens prouvent aussi, par des citations indirectes, qu’il existait de leur temps un Évangile tout a fait semblable à celui que nous possédons actuellement sous le nom de S. Marc. cf. Irénée, Contre les Hérésies, 1, 3 ; Épiphane Hær. 33 ; Theodoti ecloge, c. 9. On trouve des réminiscences analogues dans les écrits de Porphyre. Enfin, nous savons que les Docètes préféraient cet Évangile aux trois autres («Ce sont eux qui séparaient Jésus du Christ, qui disaient que le Christ est demeuré celui qui ne peut pas naître, et que c’est Jésus qui est vraiment né. Ils préfèrent l’évangile selon saint Marc. Mais, s’ils le lisent avec l’amour de la vérité, ils peuvent être corrigés.» « Qui Jesum separant a Christo et impassibilem perseverasse Christum, passum vero Jesum dicunt, id quod secundum Marcum est præferentes Evangelium, cum amore veritatis legentes illud, corrigi possunt. » S. Irénée, Contre les Hérésies, 3, 11, 17 ; cf. Philosophum 8, 8. Au contraire, les Ébionites donnaient leurs préférences au premier Évangile et les disciples de Marcion au troisième).
Du reste, à défaut de tous ces témoignages directs et indirects, sa seule présence dans les versions syriaque et italique, composées au second siècle, serait une garantie suffisante de son authenticité. Aussi, pour nier qu’il fût l’œuvre de S. Marc, a‑t‑il fallu l'audace du rationalisme (M. Renan, dans son ouvrage les Évangiles et la seconde génération chrétienne, admet l’authenticité de notre Évangile. cf. p. 114.). Un mot de Papias avait amené nos hypercritiques modernes à soutenir que le premier Évangile était de beaucoup postérieur à l’ère apostolique (cf. notre Commentaire sur l'Évangile selon S. Matthieu, Préface, § 2.) ; un mot du même Père leur a fait dire aussi que le second Évangile, sous sa forme actuelle, ne saurait avoir été écrit par S. Marc. Dans le texte que nous avons cité plus haut, Papias, décrivant la composition de S. Marc, signalait ce trait particulier : ἔγραψεν οὐ μέντοι τάξει. Or, objectent Schleiermacher, Credner et les partisans de l'école de Tubinguen, il règne un ordre remarquable dans le second Évangile tel que nous le lisons aujourd'hui ; tout y est généralement bien agencé. Par conséquent, le livre primitivement écrit par S. Marc s’est perdu, et la biographie de Jésus qui nous a été transmise sous son nom lui a été faussement attribuée, car elle est d’une date beaucoup plus récente. — Pour peu qu’on lise avec attention le texte de Papias, on voit qu’il n’attribue pas un défaut d’ordre absolu à l’écrit de S. Marc. Voici la vraie pensée du saint évêque : Marc a écrit avec une grande exactitude ce que Jésus‑Christ a fait et enseigné ; mais il ne lui était pas possible de mettre dans son récit un ordre historique rigoureux attendu qu’il n’avait pas été témoin oculaire. Il se borna à retracer de mémoire ce qu’il avait appris de la bouche de S. Pierre. Mais, quand le prince des Apôtres avait à parler des actions ou de l'enseignement de Jésus, il ne s'astreignait pas à un ordre fixe, il s’accommodait chaque fois aux besoins de ses auditeurs. Ainsi comprises, et tel est leur véritable sens, les paroles de Papias ne prouvent absolument rien contre l’authenticité du second Évangile. Il est bien certain, en effet, que la narration de S. Marc ne tient pas toujours compte de l’ordre chronologique. S. Jérôme l'affirmait déjà, « juxta fidem magis gestorum narravit quam ordinem » « Plutôt selon la vérité historique des faits que selon leur ordre chronologique.» (Comm. in Matth. Proœm.), et la critique négative est elle‑même forcée d’admettre que le second Évangile intervertit plus d’une fois la suite réelle des événements. Les mots οὐ μέντοι τάξει du prêtre Jean et de Papias signifient donc « pas dans l'ordre réel », et ils sont suffisamment justifiés même par l’état présent de l'écrit de saint Marc (D’autres les traduisent par « série incomplète », par allusion aux lacunes que l'on trouve dans le second Évangile plus encore que dans les trois autres ; mais cette interprétation est moins naturelle, quoiqu'elle résolve très bien aussi la difficulté.)
Eichhorn et de Wette ont fait une autre objection. Après un calcul attentif, ils ont découvert que les détails particuliers à S. Marc ne remplissent pas au‑delà de vingt‑sept versets : tout le reste de l’Évangile qui porte son nom se retrouverait presque mot pour mot dans la rédaction de S. Matthieu ou dans celle de S. Luc. Évidemment, concluent‑ils, ce n’est pas une œuvre originale, mais une fusion tardive des deux autres synoptiques. Pour toute réponse, nous renvoyons ces deux critiques aux assertions si claires, si nombreuses, de la tradition, qui attribuent à S. Marc, disciple et compagnon de S. Pierre, la composition d’un Évangile distinct de celui de S. Matthieu et de celui de S. Luc (Voir aussi ce qui sera dit plus bas, §7, touchant le caractère du second Évangile.).
Si l’on a parfois émis quelques doutes relativement a l’authenticité des deux premiers chapitres de S. Matthieu (Voir notre Commentaire du premier Évangile, Préface, p. 9), on a suscité une véritable tempête de protestations à propos des douze derniers versets de S. Marc, 16, 9‑20.
Voici les motifs sur lesquels on s’est appuyé pour les rejeter comme une interpolation.
Il y a d'abord les preuves extrinsèques, qui peuvent se ramener à deux principales, tirées, l’une des manuscrits, l'autre des anciens écrivains ecclésiastiques. — 1° Plusieurs manuscrits grecs parmi lesquels le Codex Vaticanus et le Codex Sinaiticus, c’est‑à‑dire les deux plus anciens et les deux plus importants, omettent entièrement ce passage. De même le Codex Veronensis latin. Parmi ceux qui le contiennent, il en est qui l’entourent d’astérisques, comme douteux (Par exemple, les Codd. 137 et 138.) ; d’autres ont soin de noter qu’on ne le rencontre pas partout (V. g. les Codd. 6 et 10, où on lit la remarque suivante : ἐν τισι μὲν τῶν ἀντιγράφων ἕως ᾤδε (c'est‑à‑dire jusqu'à la fin du verset 8) πληροῦται ὁ εὐαγγελιστής). En outre, le texte est en assez mauvais état dans ce passage : les variantes y fourmillent ce qui est loin d’être, nous dit‑on, favorable à son authenticité. — 2° S. Grégoire de Nysse (Orat. de Resurr.), Eusèbe (Ad Marin. Quæst. 1.), S. Jérôme (Ad Hedib. 4, 172), et d’autres écrivains anciens en assez grand nombre, assurent que, de leur temps déjà, le passage en question manquait dans la plupart des manuscrits, de sorte qu’il était regardé par plusieurs comme une addition relativement récente. Les premières Chaînes grecques ne commentent pas au‑delà du verset 8, et c’est aussi à ce verset que s’arrêtent les célèbres canons d’Eusèbe.
Aux preuves extrinsèques, on ajoute un argument intrinsèque, appuyé sur le changement extraordinaire de style qui se fait remarquer à partir du verset 9. 1° Dans ces quelques lignes qui terminent le second Évangile, on ne rencontre pas moins de vingt‑et‑une expressions que S. Marc n’avait jamais employées auparavant (Par exemple verset 10, πορευθεῖσα, τοῖς μετʹ αὐτοῦ γενομένοις ; verset 11, ἐθεάθη, ἠπίστησαν ; verset 12, μετὰ ταῦτα ; verset 17, παραϰολουθήσει ; verset 20, ἐπαϰολουθούντων, etc.). 2° Les détails pittoresques, les formules de transition rapide qui caractérisent, comme nous le dirons plus loin, la narration de notre évangéliste, disparaissent brusquement après le verset. 8. Cette manière nouvelle supposerait donc, exigerait même un auteur distinct du premier.
Telle est la conclusion que la plupart des exégètes protestants déduisent de ce double argument : l’œuvre originale de S. Marc s’arrêterait, suivant eux, au verset 8 (d’autres font exception et se déclarent favorables à l'authenticité des versets 9‑10.). Ils admettent pourtant d’une manière assez générale que les derniers versets remontent jusqu'à la fin du premier siècle. Nous prétendons au contraire, avec tous les commentateurs catholiques, que le passage incriminé est de S. Marc aussi bien que le reste de l'Évangile, et il nous paraît assez facile de le démontrer. 1° Si deux ou trois manuscrits l'omettent (Il est à remarquer que le Codex B laisse, entre le verset 8 et le début de l'Évangile selon S. Luc, un vide suffisant pour recevoir au besoin les versets omis. Preuve que le « secrétaire» avait des doutes sur la légitimité de son omission.), tous les autres le contiennent, en particulier les célèbres Codd. A. C. D., au témoignage desquels les critiques attachent tant d'importance (Voir la nomenclature des principaux manuscrits de la Bible dans M. Drach, Épîtres de S. Paul, p. 87 et ss.). 2° On le trouve dans la plupart des anciennes versions, spécialement dans l’Itala, la Vulgate, la Peschito, les traductions de Memphis, de Thèbes, d’Ulphilas, etc. La version syriaque dont le Dr Cureton a découvert d'importants fragments, en contient les quatre derniers versets (cf. Cureton, Remains of a very ancient recension of the four gospels in syriac, hitherto unknown in Europe, Lond. 1858 ; Le Hir, Étude sur une ancienne version syriaque des Évangiles, Paris 1859.). 3° Plusieurs écrivains de l'âge apostolique y font des allusions manifestes (Par exemple, la lettre de S. Barnabé, § 45 ; le Pasteur d'Hermas, 9, 25.). S. Irénée le cite (Voir le § 2, p. 4, note 5. Comp. S. Justin Mart. Apol. 1, 45.) ; S. Hippolyte, Tertullien, S. Jean Chrysostome, S. Augustin, S. Ambroise, S. Athanase, et d’autres Pères le connaissent et le mentionnent aussi. Théophylacte en a fait le sujet d’un commentaire spécial. Comment est‑il possible, demanderons‑nous aux adversaires de son authenticité, qu’un passage apocryphe ait réussi à se faire ainsi recevoir presque partout ? 4°. Comprendrait‑on, demanderons‑nous encore, que S. Marc ait terminé son Évangile par les mots ἐφοϐοῦντο γάρ (16, 8), de la façon la plus abrupte ? « Sans ces versets » (versets. 9‑20), dit fort bien Bengel (Gnomon, hoc loco. « On ne peut guère admettre que le texte primitif finît d'une manière aussi abrupte ». Renan, les Évangiles, 1878, p. 121), « « L’histoire du Christ, surtout de la résurrection, finit brusquement, sans qu’elle n’ait eue de conclusion.» ». 5° Le fond de ce passage, quoi qu’on dise, « n’a rien qui ne soit dans la manière rapide et brève de l'évangéliste (S. Marc) ; il résume encore S. Matthieu, et il y ajoute quelques détails, 16, 13, que S. Luc reprendra pour les étendre » (Wallon, De la croyance due à l'Évangile, p. 223). 6° Quant aux expressions « extraordinaires » employées ici par le narrateur, elles sont pour la plupart très‑communes, ou bien elles proviennent de la nature particulière du sujet. On en a donc exagéré singulièrement la portée (cf. Langon, Grundriss der Einleitung in das N. T. 1868, p. 40. Ajoutons que les versets 9‑20 du chap. 16 contiennent plusieurs locutions que l’on regarde comme caractéristiques du style de S. Marc, v. g. verset 12, ἐφανερώθη ; verset 15, ϰτίσει ; etc. Voyez le commentaire.). Plusieurs auteurs ont conjecturé que la mort de S. Pierre ou la persécution de Néron avaient bien pu interrompre subitement S. Marc, avant qu’il eût mis la dernière main à son Évangile, de sorte que la finale aurait été écrite un peu plus tard, ce qui expliquerait le changement de style ; mais cette hypothèse paraît assez étrange (Nous en dirons autant de celle de M. Schegg, Evangel. nach Markus, t. 2, p. 230, d’après laquelle les versets 9‑20 seraient un fragment d’antique catéchèse inséré par S. Marc lui‑même a la fin de sa narration). En tout cas, elle est dénuée de tout fondement extérieur. 7° Enfin deux raisons principales peuvent rendre compte de la disparition de nos douze versets dans un certain nombre de manuscrits. 1. Quelque copiste les oublia peut‑être par mégarde dans un premier manuscrit, ce qui occasionna leur omission successive dans les copies auxquelles ce manuscrit servit plus tard de modèle : quand ils eurent ainsi disparu d’un certain nombre de Codices, on comprend qu’un mouvement d’hésitation se soit produit à leur égard ; 2. la difficulté de mettre le verset 9 en harmonie avec les lignes parallèles de S. Matthieu, 28, 1, dut contribuer à jeter des doutes sur l’authenticité de tout le passage qu’il inaugure. Ces preuves nous semblent largement suffire pour que nous soyons en droit d’admettre la parfaite intégrité de l’Évangile selon S. Marc.
Sous ce titre, nous traiterons brièvement des quatre points suivants : l’occasion, le but, les destinataires et les sources de l'Évangile selon S. Marc.
1. Dans des textes cités plus haut (§ 2, pp. 4 et 5), Clément d’Alexandrie et S. Jérôme ont clairement indiqué, d'après la tradition, l'occasion qui inspira au second évangéliste la pensée d’écrire à son tour la biographie de Jésus. Les chrétiens de Rome l'ayant pressé de composer pour eux un abrégé de la prédication du Prince des Apôtres, il céda à leur désir et publia son Évangile.
2. Son but comme écrivain fut donc tout à la fois catéchétique et historique. Il voulut venir en aide à la mémoire de ces pieux solliciteurs et continuer ainsi auprès d’eux l’enseignement chrétien, et c’est par un rapide résumé des faits qui composent l'histoire du Sauveur qu’il entreprit de leur rendre ce double service. En réalité, « le caractère du second Évangile s’accorde parfaitement avec cette donnée, car on n’y aperçoit pas d’autre intention que celle du récit même ; il ne présente aucune partie didactique d’une longueur disproportionnée avec le reste de la narration » (Wetzer et Welte, Dictionn. encyclop. de la théologie catholiq., s. v. Évangiles.). A ce but catéchétique et surtout historique, S. Marc n'associa‑t‑il pas une légère tendance dogmatique ? Divers auteurs l’ont pensé, et rien n'empêche de voir avec eux dans les premières paroles du second Évangile, « Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu », une indication de cette tendance. S. Marc, d’après cela, se serait proposé de démontrer à ses lecteurs la filiation divine de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Mais ce dessein n’est accentué nulle part ailleurs : l’Évangéliste laisse parler les faits, il ne soutient pas une thèse directe à la façon de S. Mathieu ou de S. Jean (Voir nos Commentaires sur les Évangiles de S. Matthieu et de S. Jean, Préface.). Il y a loin d'une tendance aussi simple au but étrange que plusieurs rationalistes ont prêté à S. Marc. Suivant eux, tandis que les Évangiles selon S. Matthieu et selon S. Luc seraient des écrits de parti, destinés, dans la pensée de leurs auteurs, à soutenir, le premier la faction judaïsante (le Pétrinisme), l'autre la faction libérale (le Paulinisme), entre lesquelles, nous assure‑t‑on, se partageaient les membres du Christianisme naissant, S. Marc aurait pris dans sa narration une position intermédiaire, se plaçant a dessein sur un terrain neutre, afin d’opérer une heureuse réconciliation. D’un autre côté, Hilgenfeld range S. Marc parmi les Pauliniens. On le voit, nous n’avons pas a réfuter ces hypothèses fantaisistes, puisqu'elles se renversent mutuellement.
3. S. Matthieu avait écrit pour des chrétiens sortis des rangs du Judaïsme, S. Marc s’adresse à des convertis du Paganisme. Indépendamment des témoignages de la tradition (Voir plus haut, n° 1.), d’après lesquels les premiers destinataires du second Évangile furent les fidèles de Rome, qui avaient appartenu au paganisme en grande majorité (Voir Drach, Épîtres de S. Paul, p. 375.), la seule inspection du récit de S. Marc nous permettrait de le conclure avec une très grande probabilité. 1° L'évangéliste prend soin de traduire les mots hébreux ou araméens insérés dans sa narration, par exemple Boanerges, 3, 17, Talitha cumi, 5, 41 ; Qorban, 7, 11 ; Bartimaeus, 10, 46 ; Abba, 14, 36 ; Eloï, Eloï, lamma sabachtani, 15, 34 : il ne s’adressait donc pas à des juifs. 2° Il donne des explications sur plusieurs coutumes juives, ou sur d’autres points que des personnes étrangères au Judaïsme pouvaient difficilement connaître. C’est ainsi qu'il nous dit que « les Juifs ne mangent pas à moins de s’être lavé fréquemment les mains » , 7, 3, cf. 4 ; que « la Pâque était immolée le premier jour des pains azymes », 14, 12 ; que la « Parasceve » était « le jour qui précède le sabbat », 15, 42 ; que le mont des Oliviers est situé ϰατέναντι τοῦ ἱεροῦ, 13, 3, etc. 3° ll ne mentionne pas même le nom de la Loi juive ; nulle part il ne fait, comme S. Matthieu, d'argumentation basée sur des textes de l’Ancien Testament. Deux fois seulement, 1, 2, 3 et 15, 26 (supposé que ce second passage soit authentique. Voir le commentaire), il cite les écrits de l'ancienne Alliance en son propre nom. Ce sont là encore des traits significatifs relativement à la destination du second Évangile. 4° Le style de S. Marc a beaucoup d’affinité avec le latin. « Il semblerait dit M. Schegg (Evangel. Nach Markus, p. 12), que c'est une bouche romaine qui a enseigné le grec à notre évangéliste ». Des mots latins grécisés reviennent fréquemment sous sa plume, v. g. σπεϰουλάτωρ , 6, 27 ; ξέστης (sextarius), 7, 4, 8 ; πραιτώριον , 15, 16 ; φραγελλόω (flagello), 15, 15 ; ϰῆνσος, 12, l4 ; λεγεών, 5, 9,15 ; ϰεντύριων, 15, 39, 44, 45 ; ϰοδράντης (quadrans), 12, ,42 ; etc. (Les autres écrivains du Nouveau Testament emploient parfois quelques‑unes de ces expressions ; mais ils n’en font pas un usage constant, comme S. Marc.). Après avoir mentionné une monnaie grecque, λεπτὰ δύο, il ajoute qu’elle équivalait au « quadrans » des Romains ; 12, 42. Plus loin 15, 21, il mentionne une circonstance peu importante en elle‑même « Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus » mais qui s’explique immédiatement, si l’on se souvient que Rufus habitait Rome. cf. Romains 16, 26. Ces derniers détails ne prouvent‑ils pas que S. Marc a écrit parmi des Romains et pour des Romains ?
4. Dans notre Introduction générale aux Saints Évangiles, nous avons étudié la délicate question de la source commune à laquelle vinrent puiser tour a tour les trois premiers évangélistes : il ne peut donc s’agir ici que d’une source spéciale à S. Marc. Or, nous avons entendu les Pères affirmer d’une voix unanime (Voir les textes cités en faveur de l'authenticité du second Évangile, § 2) que la catéchèse du Prince des Apôtres servit de base à S. Marc pour la composition de son récit. « Ne rien omettre de ce qu’il avait entendu, ne rien admettre qu’il ne l’eût appris de la bouche de Pierre » : ainsi s’exprimait Papias (Loc. Cit. : ἑνὸς γὰρ ἐπὸιήσατο πρόνοιαν, τοῦ μηδὲν ὦν ἤϰουσε παράλιπεῖν, ἢ ψεὐσασθαί τι ἐν αὐτοῖς). De là le titre d'ἑρμηνευτὴς Πέτρου, « interpres Petri », que notre évangéliste a porté depuis l’époque du prêtre Jean : de là le nom de « Mémoires de Pierre » appliqué par S. Justin à sa composition (Dialog. c. 106 : ἑνὸς γὰρ ἐπὸιἡσατο πρόνοιαν, τοῦ μηδὲν ὦν ἤϰουσε παράλιπεῖν, ἤφεὐσασθαί τι ἐν αὐτοῖς). Non pas, assurément, qu’il faille entendre ces expressions d'une façon trop littérale, et faire de S. Marc un simple « amanuensis » auquel S. Pierre aurait dicté le second Évangile, de même que Jérémie avait autrefois dicté ses Prophéties à Baruch (D'après Reithmayr, le mot « interprète » signifierait que S. Marc traduisait en latin les instructions grecques de S. Pierre. Selon d'autres. c’est le texte araméen de S. Pierre que Marc aurait traduit en grec. Explications très invraisemblables, assurément.) L'influence de S. Pierre, selon toute vraisemblance, ne fut pas directe, mais seulement indirecte, et elle n’empêcha pas le disciple de demeurer un historien très indépendant. Elle fut considérable pourtant, puisqu’elle a été si fréquemment signalée par les anciens écrivains. Elle a d’ailleurs laissé des traces nombreuses et distinctes dans la rédaction de S. Marc. Oui, le second Évangile est visiblement marqué à l'effigie du Chef des Apôtres : tous les commentateurs le répètent à l’envi (Voyez sur ce point de fines observations dans M. Bougaud, le Christianisme et les temps présents, t. 2, pp. 69 et ss. 2° édit.). Marc n’ayant pas été témoin oculaire des événements qu’il raconte, qui a pu donner à son Évangile cette fraîcheur de récit, cette minutie de détails, que nous aurons à mentionner bientôt ? Il n’avait pas contemplé l'œuvre de Jésus de ses propres yeux mais il l'avait vue pour ainsi dire, par les yeux de S. Pierre (« «On dit que tout ce qu’on lit dans Marc est un commentaire des récits et des prédications de Pierre ». Euseb. Dem. Evang. l. 3, c. 5. « S. Marc, dit M. Renan, Vie de Jésus, 1863, p. 39, est plein d'observations minutieuses venant sans nul doute d'un témoin oculaire. Rien ne s’oppose à ce que ce témoin oculaire, qui évidemment avait suivi Jésus, qui l’avait aimé et regardé de très près, qui en avait conservé une vive image, ne soit l'apôtre Pierre lui‑même, comme le veut Papias. »). Pourquoi les renseignements relatifs à Simon‑Pierre sont‑ils plus abondants chez lui que partout ailleurs ? Seul, il nous dit que Pierre se mit à la recherche de Jésus, le lendemain des guérisons miraculeuses accomplies à Capharnaüm, 1, 56 ; cf. Luc. 4, 42. Seul, il rappelle que ce fut Pierre qui attira l'attention des autres Apôtres sur le dessèchement rapide du figuier, 11, 21 ; cf. Matth. 21, 17 et ss. Seul, il montre S. Pierre interrogeant Notre‑Seigneur Jésus‑Christ sur le mont des Oliviers touchant la ruine de Jérusalem, 13, 3 ; cf. Matth., 24, 1 ; Luc. 21, 5. Seul, il fait adresser directement à Pierre par l'Ange la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus, 16, 7 ; cf. Matth. 28, 7. Enfin il décrit avec une précision particulière le triple reniement de S. Pierre ; cf. Surtout 14, 68, 72. N’est‑ce pas de Simon‑Pierre lui‑même qu’il tenait ces divers traits ? Il est vrai, d’un autre côté, que plusieurs détails importants ou honorables de la vie évangélique de S. Pierre sont complètement passés sous silence dans le second Évangile, par exemple sa marche sur les eaux, Matth. 14, 28‑34 ; cf. Marc. 6, 50-51 ; son rôle proéminent dans le miracle du didrachme, Matth. 17, 24‑27 ; cf. Marc. 9, 33 ; sa désignation comme le roc inébranlable sur lequel l’Église serait bâtie, Matth. 16, 17‑19 ; Marc. 8, 29, 30 ; la prière spéciale que Jésus‑Christ fit pour lui afin d’obtenir que sa foi ne défaillît jamais ; Luc. 22, 31-32 (Comparez encore Marc. 7, 17 et Matth. 15, 45 ; Marc 14, 13 et Luc 22, 8.). Mais ces omissions remarquables ne prouvent‑elles pas de nouveau, ainsi que le conjecturaient déjà Eusèbe de Césarée (Dem. Evang. 3, 3, 89) et S. Jean Chrysostome (Hom. in Matth.), la participation de S. Pierre à la composition du second Évangile, ce grand Apôtre ayant voulu par modestie qu’on laissât dans l’oubli des événements qui étaient si précieux pour sa personne ? Nous l'admettons sans peine à la suite du plus grand nombre des exégètes (Nous ne croyons pas qu’on puisse tirer une preuve péremptoire de certaines coïncidences de pensées et d'expressions qui existent entre les Lettres de S. Pierre et divers passages du second Évangile (V. g. 2 Pierre 2, 1, cf. Marc 13, 22 ; 2 Pierre 3, 17, cf. Marc 13, 23 ; 1 Pierre 1, 25, cf. Marc 13, 21 ; 1 Pierre 2, 9, cf. Marc 13, 20 ; 1 Pierre 2, 17, cf. Marc 12, 17 ; 1 Pierre 2, 25, cf. Marc 6, 34 ; 2 Pierre 3, 41, cf. Marc 13, 19 ; etc): ces coïncidences n'ont en effet rien de caractéristique.).
Que penser maintenant de l’opinion de S. Augustin, opinion tout‑à‑fait isolée dans l’antiquité, mais souvent acceptée depuis, d’après laquelle l’Évangile selon S. Marc ne serait qu’un abrégé calqué sur celui de S. Matthieu ? « Marcus Matthæum subsecutus tanquam pedissequus et breviator ejus » « Marc a suivi Matthieu pas à pas, et est celui qui l’a abrégé (De consens. Evang. l. 1, c. 2)? » Elle est exacte, si elle affirme simplement qu’il existe une grande ressemblance, soit pour le fond, soit pour la forme, entre les deux premiers récits évangéliques ; elle est fausse, au contraire, si elle prétend que S. Marc s’est borné à publier une réduction de l’œuvre de son devancier. Les faits qu’il rapporte sont bien les mêmes pour la plupart (D'importantes omissions sont néanmoins à signaler, notamment Matth. 3, 7‑40 ; 8, 5‑13, etc. ; 10, 15‑42 ; 11 ; 12, 38‑45 ; 14, 34‑36 ; 17, 24‑27 ; 18, 10‑35 ; 20, 1‑16 ; 21, 14‑16, 28‑32 ; 22, 1‑14 ; 23 ; 27, 3‑40, 62‑67 ; 28, 11‑15, 16‑20 ; etc., etc. Une personne qui se serait contentée d’abréger ne se serait pas ainsi comporté), mais il les expose presque toujours d’une manière très neuve, qui prouve sa complète liberté d’écrivain (Si l’on divise, avec M. Reuss, la matière contenue dans les trois premiers Évangiles en 100 sections ou paragraphes, nous ne trouvons dans S. Marc que 63 de ses sections, tandis que S. Matthieu en a 73, S. Luc 82. 49 sections sont communes aux trois Évangélistes, 9 à S. Matthieu et à S. Marc, 3 à S. Marc et à S. Luc ; S. Marc n’en a que deux qui lui soient tout à fait spéciales. Mais combien de traits qu’on trouve seulement dans son récit. cf. 2, 25 ; 3, 20-21 ; 4, 26‑29 ; 5, 4-5 et ss. ; 8, 22‑26 ; 9, 49 ; 11, 11‑14 ; 14, 51‑52 ; 16, 9‑11, et cent autres passages que nous signalerons dans le commentaire). Du reste, ce sentiment est aujourd’hui à peu près abandonné.
S. Marc ayant composé son Évangile pour des Romains, il a semblé naturel à plusieurs critiques qu’il l’ait écrit primitivement en latin. Tel a été en particulier l’avis du savant Baronius (Annal., ad ann. 45, § 39 et ss. Voir la réfutation de Tillemont, Mémoires pour servir à l'Hist. eccl, S. Marc, note 4.). La Peschito syriaque et les suscriptions de plusieurs manuscrits grecs affirment sans doute que le second Évangile ἐγράφη ῥωμαΐστι ; mais ces assertions anonymes perdent toute autorité devant les témoignages formels de S. Jérôme et de S. Augustin. « Je parle du Nouveau Testament, dit le premier des deux Pères. (préface aux 4ème évangile à Damase) qui est grec, sans doute possible, à l’exception de Matthieu qui, le premier, en Judée, édita l’évangile du Christ en lettres hébraïques. ». S. Augustin n’est pas moins clair : « Des quatre (évangélistes) seul Matthieu a écrit en hébreu, les autres, en grec. » (De Consens. Evangel. l. l, c. 4.)
Pourquoi S. Marc, s'adressant à des Romains, n'aurait‑il pas écrit en grec ? N’est‑ce pas dans cette langue que l'historien Josèphe composa ses ouvrages, précisément pour être compris des Romains ? S. Paul (Voir Drach, Épîtres de S. Paul, p. 7.) et S. Ignace n'écrivirent‑ils pas aussi en grec leurs lettres a l’Église de Rome ? « Pendant une partie notable des premiers siècles, dit M. Milman (Latin Christianity, 1, p. 34.), l’Église de Rome et presque toutes les Églises de l'Occident étaient en quelque sorte des colonies religieuses helléniques. Leur langage était grec, leurs écrivains étaient grecs, leurs livres sacrés étaient grecs, et de nombreuses traditions, comme de nombreux restes, prouvent que leur rituel et leur liturgie étaient grecs... Tous les écrits chrétiens connus de nous qui partirent à Rome ou en Occident sont grecs, ou l’étaient primitivement : et les Lettres de S. Clément, et le Pasteur d’Hermas, et les homélies Clémentines, et les œuvres de S. Justin martyr, jusqu'à Caïus, jusqu'à Hippolyte, auteur de la réfutation de toutes les hérésies. » Rien ne s’opposait donc à ce que S. Marc écrivît en grec, bien qu’il destinât son récit à des Latins (Voir Richard Simon, Histoire critiq. du Nouv. Test. ch. 11 ; cf. Juven. Sat. 6, 2.).
L’hypothèse de Wahl, d’après laquelle le second Évangile aurait été composé en langue copte mérite à peine une mention (cf. Magazin für alte, besond. oriental. und bibl. Literatur, 1790, 3, 2, p. 8. Wahl allègue comme raison la fondation de plusieurs chrétientés égyptiennes par S. Marc.).
1° La tradition ne nous fournit pas de données certaines relativement à l'époque où S. Marc écrivit son Évangile ; ses renseignements sont même contradictoires. Ainsi, d’après Clément d’Alexandrie (Hypotyp. 6, ap. Euseb. Hist. Eccl. 6, 44), le second Évangile aurait été publié du vivant de S. Pierre ; tandis que, suivant S. Irénée (Contre les Hérésies, 3, 1 : μετὰ τούτῶν (scil. Πέτρου ϰαὶ Παύλου) ἔξοδον. Voir la citation complète au § 2. Le mot ἔξοδον ne peut désigner raisonnablement que la mort des deux apôtres. « Après leur sortie de ce monde », disait déjà Ruffin. Toutes les autres interprétations sont arbitraires, il n'aurait paru qu’après la mort du Prince des Apôtres, par conséquent après l'an 67. Les critiques se partagent entre ces deux sentiments. MM. Reithmayr et Gilly adoptent le premier, et placent la composition de notre Évangile entre les années 42‑49 (Quelques manuscrits, Théophylacte et Euthymius, font écrire S. Marc dix ou douze ans après l'Ascension. MM. Langen, J‑P. Lange, et la plupart des autres exégètes, se rangent à l'opinion de S. Irénée, qui semble en effet plus probable. D’autres auteurs tâchent de concilier les témoignages patristiques, en admettant une double publication de l'œuvre de S. Marc, la première à Rome avant la mort de S. Pierre, la seconde en Égypte, après son martyre. « S. Marc, dit Richard Simon (Histoire critiq. du Nouv. Test. t. 1, p. 107) a donné aux fidèles de Rome un Évangile en qualité d'interprète de S. Pierre, qui prêchait la religion de Jésus‑Christ dans cette grande ville ; et il l’a aussi donné ensuite aux premiers chrétiens d’Égypte, en qualité d’apôtre ou d’évêque. » Mais ce n'est là qu’un subterfuge sans fondement solide. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement du ch. 13, 14 et suiv. que l'Évangile selon S. Marc dût paraître avant la ruine de Jérusalem, puisque cet événement y est prophétisé par Notre‑Seigneur, sans que rien vienne indiquer qu’il s’était accompli depuis.
2° Aucun doute ne saurait subsister à l'égard du lieu de la composition. Ce fut Rome, comme l’affirment, à part un seul, tous les Pères qui se sont occupés de cette question. Clément d'Alexandrie (Ap. Euseb. Hist. Eccl. 6, 14.) rattache cette croyance à une antique tradition, παράδοσιν τῶν ἀνέϰαθεν πρεσϐυτέρων. S. Irénée, S. Jérôme, Eusèbe de Césarée la signalent comme un fait indubitable (Voir les textes cités plus haut, § 2, 1°.). S. Épiphane parle dans le même sens : Εὐθὺς δὲ μετὰ τὸν Ματθαῖον ἀϰόλουθος γενόμενος δ Μάρϰος τῷ ἁγίῳ Πέτρῳ ἐν Ρώμῃ ἐπιτρέπεται τὸ εὐαγγέλιον ἐϰθεσθαι (Hær. 51, 6). S. Jean Chrysostome au contraire assure que le second Évangile aurait été composé en Égypte. Λέγεται, dit‑il dans ses Homélies sur S. Matthieu, ϰαὶ Μαρϰος δὲ ἐν Αἰγύπτῳ τῶν μαθητῶν παραϰαλεσάντων αὐτὸν, αὐτὸ τοῦτο ποιῆσαι. Mais ce sentiment isolé ne saurait contrebalancer les témoignages si formels de tous les autres écrivains anciens (Hom. 1, 3.). Du reste le coloris latin et les expressions romaines que nous avons signalés plus haut (Voir le § 4, n° 3, 4°.) montrent bien que S. Marc dût écrire sur le territoire romain. D'un rapprochement établi entre S. Marc, 15, 21, et Actes des Apôtres 11, 20, Storr a conclu que la ville d’Antioche avait été la patrie de notre Évangile ; mais nous avouons ne rien comprendre à cette conclusion, qui est d’ailleurs universellement rejetée.
On a souvent et très justement proposé d'inscrire en tête de l’Évangile selon S. Marc les paroles suivantes de S. Pierre, qui en résument admirablement le caractère général (Voyez M. Bougaud, l. c. p. 76 et s.) : « Vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée, après avoir commencé en Galilée, à la suite du baptême que Jean a prêché ; vous savez comment Dieu a oint du Saint‑Esprit et de force Jésus de Nazareth, qui allait de lieu en lieu faisant du bien et guérissant tous ceux qui étaient sous l'empire du diable, car Dieu était avec lui. ». Actes des Apôtres 10, 37, 38. Nous y trouvons en effet un portrait frappant de Jésus de Nazareth. Toutefois, ce portrait n’est pas, comme dans le premier Évangile, 1, 1, celui « du Fils de David et d'Abraham », c'est‑à‑dire du Messie ; ni, comme dans le troisième Évangile, celui du « Fils d’Adam qui était Fils de Dieu », Luc, 3, 38 : c’est le portrait du Dieu Rédempteur, incarné pour notre salut, faisant le bien, opérant de nombreux miracles parmi les hommes, développant sa mission beaucoup plus par des œuvres que par des paroles.
Ce portrait semble a première vue notablement réduit. Le second Évangile est en effet le plus court de tous : « évangile résumé », disait déjà S. Jérôme (De viris illustr. c. 8). Il n’a que seize chapitres, tandis que l’Évangile selon S. Jean en contient 21, celui de S. Luc 24, celui de S. Matthieu jusqu’à 28. Il tend sensiblement à la brièveté. Et néanmoins, comme il est bien rempli. Mais ce n’est pas une simple nomenclature d'incidents sèchement énumérés les uns à la suite des autres ; ce sont des faits qui se reproduisent en quelque sorte sous le regard étonné du lecteur, tant la précision est grande dans les détails, tant le pittoresque abonde à chaque page. Aussi avons‑nous là une photographie vivante du Sauveur. Sa personnalité humaine et divine est caractérisée d’une manière frappante. Non seulement nous apprenons qu’il participait à toutes nos infirmités, telles que la faim, 11, 12, le sommeil, 4, 38, le désir du repos, 6, 31 ; qu’il était accessible aux sentiments et aux passions des hommes ordinaires, par exemple, qu’il pouvait s'attrister, 7, 34 ; 8, 12, aimer, 10, 21, s’apitoyer, 6, 14, s’étonner, 6, 61, être saisi d'indignation, 3, 5 ; 8, 12, 33 ; 10, 14 ; mais nous le voyons lui‑même avec sa posture, 10, 32 ; 9, 35, son geste, 8, 33 ; 9, 36 ; 10, 16, ses regards, 3, 5, 34 ; 5, 32 ; 10, 23 ; 11, 11. Nous entendons jusqu’à ses paroles prononcées dans sa langue maternelle, 3, 17 ; 5, 41 ; 7, 34 ; 14, 6 ; bien plus, jusqu’aux soupirs qui s’échappaient de sa poitrine, 7, 31 ; 8, 12. S. Marc nous rend également témoins de l'expression saisissante que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ produisait, soit sur la foule, 1, 22, 27 ; 2, 12 ; 6, 2, soit sur ses disciples, 4, 40 ; 6, 51 ; 10, 24, 26, 32. Il nous montre les multitudes se pressant autour de lui, 3, 10 ; 5, 21, 31 ; 6, 33 ; de manière parfois à ne pas lui laisser le temps de prendre ses repas, 3, 20 ; 6, 31. cf. 2,2 ; 3, 32 ; 4, 1. Parmi les Évangélistes, personne mieux que lui n’a pris soin de noter exactement les différentes circonstances de nombre, de temps, de lieux et de personnes. 1° Les circonstances de nombre : 5, 13, « il y en avait environ deux mille, et ils furent noyés dans la mer » ; 6, 7, il se mit à les envoyer deux à deux » ; 6, 40, « et ils s'assirent par troupes de cent et de cinquante » ; 14, 30, « avant que le coq ait chanté deux fois, tu me renieras trois fois ». 2° Les circonstances de temps : 1, 35, « S’étant levé de très grand matin »; 4, 35, « Il leur dit en ce même jour, lorsque le soir fut venu : Passons sur l’autre bord »; 6, 2, « Le jour du sabbat étant venu, il se mit à enseigner dans la synagogue » ; 11, 11, « comme il était déjà tard, il s'en alla à Béthanie » ; 11, 19, « Quand le soir fut venu, il sortit de la ville » ; cf. 15, 25 ; 16, 2, etc. 3° Les circonstances de lieux : 2, 13, « Jésus, étant de nouveau sorti du côté de la mer » ; 3, 7, « Jésus se retira avec ses disciples vers la mer » ; 4, 1, « Il se mit de nouveau à enseigner auprès de la mer » ; 5, 20, « Il s'en alla, et se mit à proclamer dans la Décapole » ; cf. 7, 31. 12, 41, « Jésus, s'étant assis vis‑à‑vis du tronc » ; 13, 3, « ils étaient assis sur la montagne des Oliviers, en face du temple » ; 16, 5, « Et entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis du côté droit » ; cf. 7, 31 ; 14, 68 ; 15, 39, etc. 4° Les circonstances de personnes : 1, 29, « ils vinrent dans la maison de Simon et d’André, avec Jacques et Jean » ; 1, 36, « Simon le suivit, ainsi que ceux qui étaient avec lui » ; 3, 22, « les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem » ; 13, 3, « Pierre, Jacques, Jean et André lui demandèrent en particulier » ; 15, 21, « Simon de Cyrène, père d'Alexandre et de Rufus » cf. 3, 6 ; 11, 11 ; 11, 21 ; 14, 65, etc. Il faudrait presque transcrire le second Évangile verset par verset, si nous voulions noter tous les détails de ce genre. Si quelqu’un désire connaître un fait évangélique, non seulement dans ses points principaux et dans ses lignes générales, mais aussi dans ses détails les plus minutieux, les plus graphiques, c’est à S. Marc qu'il doit recourir. On conçoit aisément la fraîcheur, l'intérêt, les couleurs dramatiques que doit présenter une œuvre ainsi composée. Nous devons ajouter qu’elle a aussi une rapidité extraordinaire ; car S. Marc ne se donne pas beaucoup de peine pour combiner entre eux les événements qu'il raconte. Il ne les groupe pas, comme S. Matthieu, d’après un ordre logique : il se contente de les rattacher l’un à l’autre, le plus souvent selon l'ordre historique, par les formules ϰαὶ, πάλιν, εύθέως. Cette dernière expression revient sous sa plume jusqu’à 41 fois (Fritzsche, Evangel. Marci, p. 44, en est offusqué : «Paroles répétées jusqu’à en donner la nausée, et sans aucun soucis du style ». Elle est pourtant en général d’un très bon effet, et équivaut à l’ « Ecce » de S. Matthieu.). Il vole d’un incident à un autre incident, sans prendre le temps de faire des réflexions historiques. Sans cesse la scène change de la façon la plus abrupte sous les yeux du lecteur.
Des faits, et des faits brièvement racontés, tel est donc le fond du second Évangile. S. Marc, qui est par excellence l’évangéliste de l'action, n’a conservé en entier aucun grand discours du Sauveur (voyez dans le commentaire, le début des chap. 4 et 13) ; celles des paroles du divin Maître qu'il a insérées dans sa narration sont habituellement les plus brûlantes, les plus vives, et il a su, en les résumant, leur donner une tournure incisive et énergique.
Son style est simple, vigoureux, précis, et généralement plein de clarté ; il y règne pourtant quelquefois une certaine obscurité, qui provient de la trop grande concision. cf. 1, 13 ; 9, 5, 6 ; 4, 10, 34. On y remarque — 1° le fréquent emploi du présent au lieu du prétérit : 1, 40, « Un lépreux vint à lui » ; 2, 3 (d’après le texte grec), « quelques-uns vinrent, lui amenant un paralytique » ; 11, 1, « Comme ils approchaient de Jérusalem,... il envoya deux de ses disciples » ; 14, 43, « comme il parlait encore, Judas Iscariote, l’un des douze, vint » ; cf. 2, 10, 17 ; 14, 66, etc. ; — 2° le langage direct au lieu du langage indirect : 4, 39, « il menaça le vent, et dit à la mer : Tais-toi, calme-toi. » ; 5, 9, « Il lui demanda : Quel est ton nom ? » 5, 12, « Et les démons le suppliaient, en disant : Envoyez-nous dans ces porcs» ; cf. 5, 8 ; 6, 23, 31 ; 9, 25 ; 12, 6 ; — 3° la répétition emphatique de la même pensée : 1, 45, « cet homme, étant parti, se mit à raconter et à divulguer la chose » ; 3, 26, « Si donc Satan se dresse contre lui-même, il est divisé, et il ne pourra subsister, mais sa puissance prendra fin» ; 4, 8, « elle donna du fruit qui montait et croissait » ; 6, 25, « Aussitôt, elle s’empressa de rentrer chez le roi » ; 14, 68, « Je ne sais pas et je ne comprends pas ce que tu dis », etc. ; — 4° les négations accumulées : « vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou sa mère », 7, 12 ; 9, 8 ; 12, 34 ; 15, 5 ; οὐϰέτι οὐ μὲ, 14, 25 ; « Que jamais personne ne mange de toi aucun fruit », 11, 14. — Outre les expressions latines et araméennes signalées plus haut, notons encore les locutions suivantes, dont S. Marc use volontiers : ἀϰάθαρτον πνεῦμα onze fois, six fois seulement dans S. Matthieu, trois dans S. Luc ; ἤρξατο λέγειν, ϰράζειν, vingt‑cinq fois, les composés de πορεύεσθαι : εἰσπορ huit fois ; ἐϰπορ onze fois ; παραπορ quatre fois ; ἐπερωτάω, vingt‑cinq fois ; ϰηρύσσειν, quatorze fois ; les diminutifs, v. g. θυγατρίον, ϰυνάρια, ϰοράσιον, ὠτάριον ; certains mots peu usités, tels que xœyxinohtç, ϰωμόπολις, ἀλαλάζειν, μεγιστᾶνες, νουνεχῶς, πλοιάριον, τρυμαλία, etc.
Par le fond, et par le style, et par la manière de traiter les sujets, l’Évangile de S. Marc est essentiellement une copie faite sur une image vivante. Le cours et l’issue des événements y sont dépeints avec les contours les mieux marqués. Alors même que l’on n’aurait aucun autre argument pour combattre ce qui a été dit touchant l’origine mythique des Évangiles, ce récit vivant et simple, marqué à l’empreinte de l'indépendance et de l'originalité les plus parfaites, sans connexion avec le symbolisme de l’ancienne Alliance, dépourvu des profonds raisonnements de la nouvelle, suffirait pour réfuter cette théorie subversive. Les détails qui furent primitivement adressés à la vigoureuse intelligence des lecteurs Romains sont encore remplis d'instruction pour nous (Voir M. Bougaud, l. c. pp. 75, 76 et 82.).
1. Le plan de S. Marc est simple : il consiste à suivre pas à pas la catéchèse historique qui, nous l’avons vu (§ 4, n° 2), devait former le fond de son ouvrage. Or, cette catéchèse n’embrassait généralement que la vie publique de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ à partir de son baptême, avec la prédication de Jean‑Baptiste en guise de préambule, et la Résurrection et l’Ascension du Sauveur pour conclusion (cf. Actes des Apôtres 1, 21-22 ; 10, 37, 38 ; 13, 23‑25.), et telles sont précisément les grandes lignes suivies par notre évangéliste. Il omet donc entièrement les détails relatifs à l'Enfance et à la Vie cachée de Jésus, pour faire entendre immédiatement au lecteur la voix et les austères préceptes du Précurseur. Pour lui, comme pour les autres synoptiques, la Vie publique du Christ se borne au ministère exercé par Notre‑Seigneur en Galilée ; mais, au lieu de s’arrêter avec eux aux scènes de la Résurrection, il suit le divin Maître jusqu’à son Ascension, jusqu’aux splendeurs du Ciel, compensant, par cette heureuse addition faite à la Vie glorieuse, ce qu’il avait omis dans la Vie cachée. Jésus, tel que le représente le second Évangile, est le Dieu Fort annoncé par Isaïe, 9, 6, le lion victorieux de la tribu de Juda dont parle l’Apocalypse, 5, 5, il trouve dans la narration de S. Marc une succession perpétuelle de mouvements en avant et de mouvements en arrière, de charges et de retraites, comme il les nomme, qui ne sont pas sans analogie avec la marche du lion. Jésus s’avance avec vigueur contre ses ennemis ; puis tout à coup il se retire pour emporter le butin conquis ou pour préparer une nouvelle charge. Dans le tableau analytique qui termine la Préface, nous ferons ressortir ces mouvements variés et pleins d'intérêt.
2. Nous avons divisé le récit de S. Marc en trois parties, qui correspondent a la Vie publique, à la Vie souffrante et à la Vie glorieuse de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. La première partie, 1, 14‑10, 52, raconte le ministère de Jésus à partir de sa consécration messianique jusqu’à son arrivée à Jérusalem pour la dernière Pâque. Elle est précédée d’un court préambule, 1, 1‑13, où le Précurseur et le Messie font tour à tour leur apparition sur la scène évangélique. Elle se subdivise en trois sections, qui nous montrent Jésus‑Christ agissant d’abord dans la Galilée orientale, 1, 14‑7, 23, puis dans la Galilée du nord, 7, 24‑9, 50, enfin en Pérée et sur la route de Jérusalem, 10, 1‑52. Dans la seconde partie, 11, 1‑15, 57, nous suivons jour par jour les événements de la dernière semaine de la vie du Sauveur. La troisième, 16, 1‑20, présentera à notre admiration les glorieux mystères de sa Résurrection et de son Ascension.
Aucun Père latin n’a commenté l'Évangile selon S. Marc avant Bède le Vénérable (le commentaire publié sous le nom de S. Jérôme n'est pas de lui). Dans l’Église grecque, il faut descendre jusqu’au cinquième siècle pour trouver un écrivain qui l'ait expliqué ; car les quatorze homélies « sur Marc », reproduites en langue latine parmi les œuvres de S. Jean Chrysostome, ne sont pas authentiques ; Victor d’Antioche est donc le plus ancien interprète de notre Évangile (Βίϰτωρος ϰαί ἄλλων ἐξηγήσεις εὶς τὸ ϰατὰ Μάρϰον εὐαγγέλιον, edid. C. F. Matthaei, Mosq. 1775, 2 tom.). Plus tard, Théophylacte et Euthymius le commentèrent dans leurs grands ouvrages sur le Nouveau Testament.
Au Moyen âge, comme dans les temps modernes, ce furent généralement les mêmes exégètes qui entreprirent de commenter S. Marc et S. Matthieu : on trouvera donc leurs noms indiqués à la fin de la Préface de notre commentaire sur le premier Évangile. Qu’il suffise de rappeler les noms de Maldonat, de Fr. Luc de Bruges, de Noël Alexandre, de Corneille de Lapierre, de Dom Calmet, de Mgr Mac Evilly, des docteurs Reischl, Schegg et Bisping parmi les Catholiques, de Fritzsche, de Meyer, de J. P. Lange, d’Alford, d’Abbott parmi les protestants.
PRÉAMBULE. 1, 1‑13.
1. — Le Précurseur. 1, 1‑8.
2. — Le Messie. 1, 9‑13.
a. Le baptême de Jésus. 1, 9‑11.
b. La tentation de Jésus. 1, 12‑13.
PREMIÈRE PARTIE
VIE PUBLIQUE DE NOTRE‑SEIGNEUR JÉSUS‑CHRIST, 1, 14‑10, 52.
1° SECTION – MINISTÈRE DE JÉSUS DANS LA GALILÉE ORIENTALE. 1, 14‑7, 23.
1. — Les débuts de la prédication du Sauveur. 1, 14‑15.
2. — Les premiers disciples de Jésus. 1, 16‑20.
3. — Une journée de la vie du Sauveur. 1, 21‑39.
a. Guérison d’un démoniaque. 1, 21‑28.
b. Guérison de la belle‑mère de S. Pierre et d'autres malades. 1, 29‑34.
c. Retraite de Jésus sur les bords du lac. Voyage apostolique en Galilée. 1, 35‑39.
4. — Guérison d’un lépreux, Retraite en des lieux déserts. 1, 10‑15.
5. — Premiers conflits de Jésus avec les Pharisiens et les Scribes. 2, 1‑3, 6.
a. Le paralytique et le pouvoir de remettre les péchés. 2, 1‑12.
b. Vocation de S. Matthieu. 2, 13‑22.
c. Les apôtres violent le repos du sabbat. 2, 23‑28.
d. Guérison d’une main desséchée. 3, 1‑6.
6. — Jésus se retire de nouveau sur les bords du lac de Tibériade. 3, 7‑12.
7. — Les douze Apôtres. 3, 13‑19.
8. — Les hommes et leurs dispositions diverses relativement à Jésus. 3, 20‑35.
a. Les parents du Christ selon la chair. 3, 20 et 21.
b. Les Scribes accusent Jésus de connivence avec Beelzébub. 3, 22‑30.
c. Les parents du Christ selon l'esprit. 3, 31‑35.
9. — Les paraboles du royaume des cieux. 4, 1‑34.
a. Parabole du semeur. 4, 1‑9.
b. Pourquoi les paraboles ? 4, 10‑12.
c. Explication de la parabole du semeur. 4, 13‑20.
d. Il faut écouter avec attention la parole de Dieu. 4, 21‑25.
e. Parabole du champ de blé. 4, 26‑29.
f. Parabole du grain de sénevé. 4, 30‑32.
g. Autres paraboles de Jésus. 4, 33‑34.
10. — La tempête apaisée. 4, 35‑40.
11. — Le démoniaque de Gadara. 5, 1‑20.
12. — La fille de Jaïre et l'hémorrhoïsse. 5, 21‑43.
13. — Jésus rejeté, méprisé à Nazareth, se retire dans les bourgades voisines. 6, 1‑6.
11. — Mission des Douze. 6, 7‑13.
15. — Le martyre de S. Jean‑Baptiste. 6, 14‑29.
16. — Retraite en un lieu désert, et première multiplication des pains. 6, 30‑44.
17. — Jésus marche sur les eaux. 6, 45‑52.
18. — Miracles de guérison dans la plaine de Gennésareth. 6, 53‑56.
19. — Conflit avec les Pharisiens à propos du pur et de l'impur. 7, 1‑23.
2° SECTION. — MINISTÈRE DE JÉSUS DANS LA GALILÉE OCCIDENTALE ET SEPTENTRIONALE. 7, 24‑10, 49.
1 — Jésus se retire du côté de la Phénicie, et guérit la fille de la Cananéenne. 7, 24‑30.
2. — Guérison d’un sourd‑muet. 7, 31‑37.
3. — Seconde multiplication des pains. 8, 1‑9.
4. — Le signe du ciel et le levain des Pharisiens. 8, 10‑21.
5. — Guérison d’un aveugle à Bethsaïda. 8, 22‑26.
6. — Jésus se retire à Césarée de Philippe. Confession de S. Pierre. 8, 27‑30.
7. — La croix pour le Christ et pour les chrétiens. 8, 31‑39.
8. — La Transfiguration. 9, 1‑12.
a. Le miracle. 9, 1‑7.
b. Entretien mémorable qui se rattache au miracle. 9, 8‑12.
9. — Guérison d'un lunatique. 9, 13‑28.
10. — La Passion prédite pour la seconde fois. 9, 29‑31.
11. — Quelques graves leçons. 9, 32‑49.
a. Leçon d'humilité. 9, 32‑36.
b. Leçon de tolérance. 9, 37‑40.
c. Leçon concernant le scandale. 9, 41‑49.
3° SECTION. JÉSUS EN PÉRÉE ET SUR LE CHEMIN DE JÉRUSALEM. 9, 1‑52.
1. — Le Christianisme et la famille. 10, 1‑16.
a. Le mariage chrétien, 10, 1‑1 2.
b. Les petits enfants. 10, 13‑16.
2. ‑ Le Christianisme et les richesses, 10, 17‑31.
a. La Leçon des faits. 10, 17‑22.
b. La leçon en paroles. 10, 23‑31.
3. — La Passion est prédite pour la troisième fois. 10, 32‑34.
4. — Ambition des fils de Zébédée. 10, 35‑45.
5. — L'aveugle de Jéricho. 10, 46‑52.
DEUXIÈME PARTIE
LES DERNIERS JOURS ET LA PASSION DE JÉSUS. 11‑15.
I. Entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, et retraite à Béthanie. 11, 1‑11.
II. Le Juge messianique. 11, 12—13, 37.
1. — Le figuier maudit. 11, 12‑14.
2. — Expulsion des vendeurs et retraite à Béthanie. 11, 15‑19.
3. — La puissance de la foi. 11, 20‑26.
4. — Le Christ victorieux de ses ennemis. 11, 27‑12,40.
a. D’où viennent les pouvoirs de Jésus ? 11, 27‑33
b. Parabole des vignerons homicides. 12, 1‑12
c. Dieu et César. 12, 13‑17.
d. La résurrection des morts. 12, 18‑27.
e. Quel est le premier commandement ? 12, 28‑34
f. Le Messie et David. 12, 35‑37.
g. « Méfiez‑vous des Scribes ». 12, 38‑40.
5. — Le denier de la veuve. 12, 41‑44.
6. — Le discours eschatologique. 13,1‑37.
a. Occasion du discours. 13, 1‑4.
b. Première partie du discours : la Prophétie. 13, 5‑31.
c. Seconde partie : Exhortation à la vertu. 13, 32‑37.
III. « Le Christ souffrant ». 14 et 15.
1. — Complot du Sanhédrin. 14, 1 et 2.
2. — Le repas et l'onction de Béthanie. 14, 3‑9.
3. — Le honteux marché de Judas. 14, 10‑11.
4. — La dernière cène. 14, 12‑25.
a. Préparatifs du festin pascal. 14, 12‑16.
b. Cène légale. 14, 17‑21.
c. Cène eucharistique. 14, 22‑25.
5. — Trois prédictions. 14, 26‑31.
6. — Gethsémani. 14, 32‑42.
7. — L’arrestation. 14, 43‑52.
8. — Jésus devant le Sanhédrin. 14, 53‑65.
9. — Le triple reniement de S. Pierre. 14, 66‑72.
10. — Jésus jugé et condamné par Pilate, 15, 1‑15.
a. Jésus est livré aux Romains. 15, 1.
b. Jésus interrogé par Pilate. 15. 2‑5.
c. Jésus et Barabbas. 15, 6‑15.
11. — Jésus outragé au prétoire. 15, 16‑19.
12. — Le chemin de croix. 15, 20‑22.
13.— Crucifiement, agonie et mort de Jésus. 15, 23‑37.
11.— Ce qui suivit immédiatement la mort de Jésus. 15, 38‑41.
15. — La sépulture de Jésus. 15, 42‑47.
TROISIÈME PARTIE
1. — Le Christ ressuscité. 16, 1‑18.
a. Les saintes femmes au tombeau. 16, 1‑8.
b. Jésus apparaît à Marie‑Madeleine. 16, 9‑11.
c. Il apparaît à deux disciples. 16, 12‑13.
d. Il apparaît aux Apôtres. 16, 14.
2. — Le Christ montant au ciel. 16, 15‑20.
a. Ordres donnés aux Apôtres. 16, 15‑18.
b. L’Ascension de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. 16, 19‑20.
L’Évangile selon Saint Marc
commenté verset par verset
1, 1‑8 ; Parall. Matth. 3, 1‑12 ; Luc 3, 1‑18.
Mc1.1 Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. S. Marc commence son récit de la façon la plus abrupte, nous conduisant aussitôt au centre de l’action. Dès sa première ligne, il se montre à nous comme l’Évangéliste de l’action (voir la Préface, § 7). Les deux autres synoptiques consacrent quelques pages aux origines humaines de Jésus ; Cf. Matth. 1–2 ; Luc 1–2. S Jean 1, 1‑48, raconte tout d’abord au lecteur la génération éternelle du Verbe : rien de semblable dans S. Marc. Prenant Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans la plénitude de sa vie, il passe directement aux faits qui préparèrent d’une manière immédiate le ministère messianique du Sauveur. Nous trouvons dès ce début tout ce qui le caractérise comme écrivain, c’est‑à‑dire la rapidité, la concision, le pittoresque. — Il règne parmi les exégètes le plus complet désaccord sur l’enchaînement et l’organisation intérieure des quatre premiers versets. Qu’il suffise de mentionner les trois opinions principales. 1° Théophylacte, Euthymius, Vatable, Maldonat, etc., suppléent ἦν ou « fut » à la fin du v. 1, qu’ils rattachent ainsi aux deux suivants. Une nouvelle phrase commence avec le v. 4. 2° D’autres critiques, tels que Lachmann, Mgr Mac‑Evilly, le P. Patrizi, sous‑entendent les mots « se déroula ainsi » après « Fils de Dieu » au v. 1 ; ils ouvrent ensuite une parenthèse dans laquelle ils placent les vv. 2 et 3. Le v. 4 se relie par là‑même directement au v. 1, qu’il complète et explique. « Voici quel fut le début de l’Évangile… : Jean parut dans le désert… » 3° On isole tout à fait le premier verset des suivants, de manière à en faire une sorte de titre ; puis on traite les vv. 2, 3 et 4 comme une longue phrase conditionnelle, de sorte que le dernier membre, « Jean était… », retombe sur le premier, « Selon qu’il est écrit ». « Ainsi qu’il est écrit dans le prophète Isaïe… : Jean fut dans le désert baptisant et prêchant ». Cet arrangement nous paraît le plus naturel et le plus logique des trois. — De l’Évangile. Voyez l’explication de cette expression dans l’Introduction générale, chap. 1. Évidemment, elle ne désigne pas ici le livre composé par S. Marc, mais la bonne nouvelle messianique dans toute son étendue. Quoique cette bonne nouvelle eût déjà été annoncée si fréquemment par les prophètes, quoique Dieu lui‑même eût daigné en faire entendre les premiers accents à Adam et à Ève aussitôt après leur péché, Genèse 3, 15 (les Pères ont justement nommé ce passage « le Protévangile »), néanmoins, à proprement parler, l’Évangile ne commence qu’avec la prédication de S. Jean‑Baptiste. — De Jésus‑Christ. Nous avons expliqué l’étymologie et le sens de ces beaux noms dans notre commentaire sur Matth. 1, 16 et Matth. 1, 21. La manière dont ils sont rattachés au mot Évangile indique que Jésus est l’objet de la bonne nouvelle que l’Évangéliste se propose de raconter tout au long. — Fils de Dieu. Ces mots ne sauraient être ici, comme le prétendent plusieurs rationalistes, un simple synonyme de « Messie » : on doit les prendre dans leur acception théologique la plus stricte et la plus relevée. S. Marc attribue à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, dès le début de sa narration, un titre dont toutes les pages suivantes prouveront la parfaite vérité, un titre que les premiers prédicateurs du Christianisme joignaient immédiatement à son nom dès qu’ils s’adressaient à un auditoire païen. S. Matthieu, écrivant pour des Juifs, commence au contraire par dire que Jésus est fils d’Abraham et de David : il ne parle qu’un peu plus tard de sa divinité. Quoique le but fût le même, la méthode variait suivant les circonstances. Cette appellation de « Fils de Dieu » est employée sept fois par S. Marc ; S. Jean l’appliqua jusqu’à 29 fois à Jésus. Voilà, dès le début du second Évangile, trois noms qui contiennent tout le caractère et tout le rôle du Sauveur. Jésus, c’est l’homme ; Christ, c’est la fonction ; Fils de Dieu, c’est la nature divine.
Mc1.2 Selon ce qui est écrit dans le prophète Isaïe : "Voilà que j'envoie mon messager devant vous, pour vous frayer le chemin. — Selon qu’il est écrit. Anneau qui rattache le Nouveau Testament à l’Ancien, l’Évangile aux Prophètes, Jésus au Messie promis. En effet, dit Jansénius, « Le début de l’évangile ne procède pas au hasard, ni ne s’inspire d’un conseil humain. Il est tel que les prophètes l’avaient décrit à l’avance, Dieu réalisant ce qu’il avait promis ». S. Matthieu citait à chaque instant les écrits de l’ancienne Alliance, pour prouver le caractère messianique du Sauveur ; S. Marc ne les rapproche de lui‑même qu’à deux reprises (cf. Marc 15, 26) des faits évangéliques. Voir la Préface § 4, 3, 3°. Mais le rapprochement actuel est significatif, comme le faisait remarquer saint Irénée [Adversus Hæreses, 3, 19, 6] : « Marc…fit ainsi le début de son ouvrage : début de l’Évangile… faisant manifestement du début de son évangile les paroles des saints prophètes ». Il ajoute : « Ainsi donc il n'y a qu'un seul et même Dieu et Père, qui a été prêché par les prophètes et transmis par l’Évangile, Celui‑là même que nous, chrétiens, nous honorons et aimons de tout notre cœur ». — Dans le prophète Isaïe. Les textes grecs imprimés et la plupart des manuscrits ne mentionnent pas le nom d’Isaïe ; de plus, le mot prophète y est mis au pluriel, et de fait la citation appartient à deux prophètes, le v. 2 à Malachie 3, 1, le v. 3 à Isaïe, 40, 3. Saint Irénée avait adopté cette leçon. Saint Jérôme regardait de son côté le nom d’Isaïe comme une interpolation : « Nous pensons, nous, que le nom d’Isaïe a été ajouté fautivement par un copiste » [in Matth., 3, 3]. Cependant, plusieurs manuscrits grecs importants, B, D, L, Δ, Sinait., et des versions assez nombreuses, telles que la copte, la syrienne, l’arménienne, l’arabe et la persane, portant ou ayant lu dans le prophète Isaïe comme la Vulgate, la plupart des critiques se décident à bon droit en faveur de cette variante. Il est vrai qu’elle crée une assez grande difficulté d’interprétation, puisque le passage cité par S. Marc, ainsi que nous venons de le dire, n’est pas seulement extrait de la prophétie d’Isaïe, mais encore de celle de Malachie. Toutefois ce fait même contient une raison favorable à l’authenticité, conformément aux principes de la critique littéraire. Du reste, les exégètes ne sont pas à court de moyens pour justifier la formule employée par S. Marc. 1° Isaïe serait seul mentionné parce qu’il était le plus célèbre et le plus ancien des deux prophètes ; 2° ou bien son nom représenterait le livre entier des prophéties de l’Ancien Testament, de même que le mot Psaumes servait parfois à désigner tous les Hagiographes ; 3° peut‑être est‑il mieux de dire que S. Marc use ici de la liberté que les écrivains de l’antiquité soit sacrée, soit profane, s’accordaient volontiers en fait de citations : « Comme Matthieu au chapitre 21, verset 5 n’attribue qu’au seul prophète Zacharie ce qu’Isaïe a dit lui aussi à 62, 11, et comme saint Paul dans le chapitre 9, et le verset 27 de la lettre aux Romains ne cite qu’Isaïe pour un texte qui se trouve aussi dans Osée 2, 2, de la même façon Marc se réfère à deux, mais ne nomme que le prophète Isaïe ». D’après un grand nombre de rationalistes, S. Marc aurait été mal servi par sa mémoire ; d’après Porphyre, il se serait rendu coupable d’une grossière maladresse en nommant un prophète pour un autre[Homilia de principio Evang. seç. Marc, inter opera saint Chrysost.]. — Voici que j’envoie… Nous avons vu dans le premier Évangile, Matth. 11, 10, Notre‑Seigneur appliquer lui‑même ces paroles de Malachie au saint Précurseur. — Mon ange, c’est‑à‑dire, d’après l’étymologie du mot ange, mon envoyé, mon messager. Jean‑Baptiste n’a‑t‑il pas été le vrai précurseur (litt. « celui qui court en avant ») de Jésus ?
Mc1.3 Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers." — Voix de celui qui crie… Voir, l’explication de cette prophétie dans l’Évangile selon S. Matthieu, 3, 3. — Préparez le chemin. « Quand un homme de qualité doit traverser une ville ou un village, on envoie un messager pour avertir les habitants qu’ils aient à préparer la route et à attendre ses ordres. On voit aussitôt les gens se mettre à balayer les chemins, d’autres qui étendent leurs vêtements sur le sol, d’autres qui coupent des branches d’arbre pour établir des guirlandes et des arcs de verdure partout où le grand homme doit passer » [Joseph Roberts, Oriental illustrations of the sacred scriptures, p. 555.]. — L’association des textes de Malachie et d’Isaïe, telle que nous la trouvons ici, est une des particularités de S. Marc. Les deux autres synoptiques rattachent bien la seconde citation à l’apparition du Précurseur, cf. Matth. 3, 3 et Luc 3, 4‑5 ; mais ils réservent la première pour une circonstance beaucoup plus tardive. Cf. Matth. 11, 10, et Luc 7, 27. Autre différence : dans notre Évangile, c’est l’écrivain sacré qui signale en son propre nom le rapport qui existait entre Jean‑Baptiste et les prophéties de l'Ancien Testament ; dans les deux autres narrations, c’est Jésus d’une part qui se sert de la prophétie de Malachie pour faire l’éloge de son Précurseur, c’est d’autre part S. Jean qui se sert de la prédiction d’Isaïe pour s’humilier profondément.
Mc1.4 Jean parut, baptisant dans le désert, et prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. — Jean était dans le désert. Voici l’ange annoncé par Malachie. La voix dont Isaïe avait parlé retentit enfin dans le désert. Dans le désert : l’Évangéliste appuie sur cette expression, pour montrer la réalisation parfaite de la prophétie qu’il vient de citer. C’était le désert de Juda (cf. Matth. 3, 1 et le commentaire), la contrée désolée qui avoisine la Mer Morte, et à laquelle les anciens Juifs avaient donné parfois le nom significatif de ישימון, l’horreur. Cf. 1 Samuel 23, 24. — Baptisant et prêchant. Nous avons, dans ces participes, l’indication des deux grands moyens par lesquels S. Jean accomplissait son rôle glorieux de Précurseur. 1° Il baptisait : il administrait, le plus souvent sur les rives du Jourdain, parfois en d’autres lieux, cf. Jean 3, 23, ce rite symbolique d’où lui est venu le surnom de Baptiste. Nous en avons expliqué la nature dans notre commentaire sur S. Matthieu, p. 70. 2° Il prêchait et, dans sa prédication, il recommandait vivement son baptême, autour duquel il groupait toutes les vérités qu’il annonçait, la nécessité de la pénitence, la rémission des péchés, l’avènement prochain du Christ (v. 8). — Le baptême de pénitence, c’est‑à‑dire « baptême dans la pénitence ». Ce nom, qu’on retrouve dans le troisième Évangile, Luc 3, 3, et au livre des Actes, 19, 4, détermine très bien le caractère du baptême de S. Jean : c’était un signe vivant de pénitence pour tous ceux qui le recevaient, car il leur montrait de la manière la plus expressive la nécessité où ils étaient de laver leurs âmes par le repentir, de même que leurs corps avaient été purifiés par l’eau dans laquelle ils s’étaient plongés. — Pour la rémission des péchés. Le baptême du Précurseur n’avait pas une vertu suffisante pour remettre de lui‑même les péchés, mais il disposait les cœurs à obtenir du Christ ce précieux résultat. — Sur le nom de S. Jean, voir l’Évangile selon S. Matthieu, 3, 1 ; sur l’époque de son apparition, Luc 3, 4 et les notes.
Mc1.5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem venaient à lui et, confessant leurs péchés, ils recevaient de lui le baptême dans le fleuve du Jourdain. — Après avoir décrit d’une manière générale S. Jean et son ministère, l’Évangéliste donne quelques détails particuliers sur ses auditeurs, v. 5, sur sa vie mortifiée, v. 6, et sur sa prédication, vv. 7 et 8. Le tableau est concis, mais il est vigoureusement tracé, à la manière accoutumée de S. Marc. — Et tous… venaient à lui. C’est l’auditoire qui est d’abord mis sous nos yeux. Les épithètes tout, tous, bien qu’elles soient des hyperboles populaires, témoignent néanmoins d’un concours prodigieux, occasionné par un immense enthousiasme. La plupart des habitants de la Judée et de Jérusalem accouraient auprès du Précurseur. De fait, tout le pays, représenté par les différentes classes de la société, cf. Matth. 3, 7 ; Luc 3, 10‑14, se transportait sur les bords du Jourdain. — Et ils étaient baptisés. Touchés par la prédication de S. Jean, tous recevaient avec empressement son baptême : le texte grec le dit formellement, καὶ ἐϐαπτίζοντο πάντες ἐν τῷ Ιορδάνῃ. Ce πάντες représente le « tous » de notre texte latin. La Vulgate, guidée sans doute par d’anciens manuscrits, l’a rattaché aux « habitants de Jérusalem ». — Dans le fleuve du Jourdain. Un de ces petits traits à peine perceptibles par lesquels on reconnaît la destination d’un ouvrage. S. Matthieu, du moins d’après les meilleurs manuscrits, ne dit pas que le Jourdain est un fleuve : aucun de ses lecteurs Juifs ne pouvait l’ignorer. Au contraire, les païens convertis pour lesquels écrit S. Marc ne connaissaient pas la géographie de la Palestine ; de là cette désignation particulière. — Confessant leurs péchés. Voyez quelques détails sur cette confession dans l’Évangile selon S. Matthieu, 3, 6.
Mc1.6 Or, Jean était vêtu de poils de chameau, il avait autour de la taille une ceinture de cuir et se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Et il prêchait ainsi :... — En S. Jean, tout portait à la pénitence : son baptême, sa prédication, son aspect extérieur et sa vie. Nous trouvons ici des informations intéressantes sur ces deux dernier points. — Vêtu de poils… Pour l’aspect extérieur, le Baptiste ressemblait à Élie, son grand modèle : ils avaient l’un et l’autre le même costume, c’est‑à‑dire une tunique grossière de poils de chameau (עמר גמלים des Rabbins, litt. laine de chameaux) et une ceinture de peau pour la retrousser [cf. 2 Samuel 8, 8]. — De sauterelles et de miel sauvage. Jean ne soutenait sa vie qu’à l’aide des nourritures les plus rudimentaires : l’Évangéliste signale les deux principaux, les sauterelles et le miel sauvage, dont certains Bédouins nomades font encore aujourd’hui leur nourriture [cf. Matthieu 3, 4 et le commentaire].
Mc1.7 "Il vient après moi, celui qui est plus puissant que moi et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, les cordons de sa sandale. — S. Marc résume en deux versets tout ce qu’il a jugé à propos de nous conserver sur la prédication du Précurseur. S’il est beaucoup moins complet là‑dessus que S. Matthieu, et surtout que S. Luc, il nous donne cependant une idée très exacte de ce qu’était l’enseignement de S. Jean‑Baptiste relativement à Jésus. La petite allocution qu’il cite contient trois idées : 1° Jean est le Précurseur de Jésus ; 2° Jean est bien inférieur à Jésus ; 3° le baptême de Jésus l’emportera de beaucoup sur celui de Jean. — Il vient après moi… C’est la première idée. Celui qui vient n’est pas nommé ; mais tout le monde comprenait sans peine qu’il s’agissait du Messie, du Messie qui était alors chez les Juifs l’objet de l’attente universelle. S. Jean, divinement éclairé, voit donc en esprit le Christ qui s’avance, qui est en chemin pour se manifester. — Celui qui est plus puissant. Le Baptiste joue sur les mots. Habituellement, le plus fort précède le plus faible ; le plus digne a le pas sur l’inférieur : ici, c’est le contraire qui a lieu. — Je ne suis pas digne… Seconde pensée. Jean a déjà dit que le grand personnage dont il annonce la venue est son supérieur (ὁ ἰσχυρότερός, remarquez cet article plein d’emphase) ; mais il veut appuyer davantage sur cette idée importante, afin qu’il n’y ait pas de méprise possible, et il l’exprime au moyen d’une très forte image, que nous avons expliquée dans nos notes sur Matth. 3.11. — De délier… la courroie. De même S. Luc, 3, 16, et S. Jean, 1, 27. S. Matthieu (3, 11) avait dit « porter » ; mais ce n’est là qu’une nuance insignifiante, car l’esclave chargé de porter les chaussures de son maître avait aussi pour fonction de les lui mettre et de les lui ôter, par conséquent d’attacher ou de délier les cordons qui servaient à les fixer aux pieds. — En me baissant. Détail graphique qu’on ne trouve que dans S. Marc ; c’est un de ces traits pittoresques qu’il a insérés en grand nombre dans son Évangile.
Mc1.8 Moi, je vous ai baptisés dans l'eau, mais lui vous baptisera dans le Saint-Esprit." — Moi, je vous ai baptisés... Troisième idée, qui établit une comparaison entre les deux baptêmes, pour relever celui du Christ aux dépens de celui du Précurseur. Les particules μὲν, δὲ (« moi, lui ») du texte grec rendent l’antithèse plus frappante : il est vrai qu’elles manquent dans les manuscrits B, L, Sinait. — Dans l’Esprit‑Saint. Le Saint‑Esprit est comme le fleuve mystique et vivifiant dans lequel les chrétiens sont plongés au moment de leur baptême. S. Matthieu et S. Luc ajoutent « et dans le feu », mot important qui sert à mieux déterminer les effets supérieurs du baptême de Jésus. Ainsi donc, le Christ apportera au monde des bienfaits spirituels que le Précurseur était incapable de lui donner. — Quelle humilité dans S. Jean. Elle est au niveau de sa mortification. Rien de semblable n’avait été entendu depuis l’époque des Prophètes. Qui méritait mieux d’être, selon le langage de Tertullien, « le prédécesseur et le préparateur des voies du Seigneur » [Adversus Marcionem, 4, 33] ? Il est intéressant de rapprocher de la narration évangélique les lignes bien connues dans lesquelles l’historien Flavius Josèphe, décrit le portrait moral et le ministère de S. Jean‑Baptiste : « C’était un homme parfait, qui ordonnait aux Juifs de s’exercer à la vertu, à la justice les uns à l’égard des autres, à la piété envers Dieu, et de se réunir afin de recevoir le baptême. En effet, disait‑il, le baptême ne saurait être agréable à Dieu qu’à la condition qu’on évitera soigneusement tous les péchés. À quoi servirait‑il de purifier le corps, si l’âme n’était auparavant purifiée elle‑même par la justice ? Un immense concours se faisait autour de lui et la foule était avide de l’entendre » [Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 18, 5, 2.].
1, 9‑11. Parall. Matth. 3, 13‑17 ; Luc 3, 21‑22.
Mc1.9 Or, il arriva en ces jours-là que Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. — Or, il arriva... C’est la formule hébraïque ויהי, si fréquemment employée par les écrivains de l’Ancien Testament. Elle a ici un cachet tout à fait solennel, car elle introduit Notre‑Seigneur Jésus‑Christ sur la scène. — En ces jours‑là : autre tournure hébraïque, בימים־ההם, assez vague en elle‑même, mais qui est habituellement déterminée par le contexte. Dans ce passage, elle désigne l’époque de la prédication de S. Jean‑Baptiste dont il vient d’être question. C’est donc peu de temps après l’apparition de son Précurseur que Jésus commença lui‑même sa Vie publique. D’après Luc 3, 23, il avait alors environ trente ans, l’âge auquel les Lévites entraient en fonctions suivant la Loi juive, Nb 4.3. La 780e année depuis la fondation de Rome approchait de sa fin. — Nazareth, en Galilée. Tandis que les deux autres Synoptiques se contentent de mentionner ici la Galilée en général, S. Marc, en vertu de l’exactitude de détails qui le caractérise, nomme le lieu spécial d’où venait Jésus. Le Sauveur avait donc récemment quitté sa douce retraite de Nazareth, dans laquelle s’était écoulée toute sa Vie cachée. Sur cette bourgade privilégiée, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 2, 22. — Il fut baptisé. Notre Évangéliste omet le beau dialogue qui s’engagea entre le Baptiste et Jésus immédiatement avant l’administration du baptême, sur la signification duquel il jette de si vives lumières. (cf. Matth. 3, 13‑15 et le commentaire) ; il se borne à signaler simplement le fait. — Dans le Jourdain. Saint Jérôme raconte que, de son temps, un grand nombre de pieux croyants avaient la dévotion d’aller se faire baptiser dans les eaux du Jourdain : il leur semblait que leur régénération y serait plus entière [Saint Jérôme de Stridon, Onomasticon, s. v. Jordanis]. Aujourd’hui, les pèlerins aiment du moins se baigner dans le fleuve sacré ; c’est même pour les Grecs une cérémonie officielle, qui se renouvelle chaque année à la fête de Pâque au milieu d’un immense concours.
Mc1.10 Et, comme il sortait de l'eau, il vit les cieux s'ouvrir et l'Esprit-Saint descendre sur lui comme une colombe. 11 Et du ciel une voix se fit entendre : "Tu es mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection." — Dans le récit des manifestations surnaturelles qui suivirent le baptême de Jésus, S. Marc ne diffère pas notablement de S. Matthieu. Il mentionne également trois prodiges, savoir : l’ouverture des cieux, la descente de l’Esprit‑Saint sous la forme visible d’une colombe, et la voix du Père céleste qui se fait entendre pour ratifier la filiation divine de Jésus [Voir l’explication de ces phénomènes dans l’Évangile selon S. Matthieu, 3, 16,17]. Mais, selon sa coutume, il a rendu sa narration pittoresque et vivante. C’est ainsi 1° qu’il nous montre Jésus, à l’instant même où il sortait du Jourdain, voyant de ses propres yeux les cieux qui s’ouvraient au‑dessus de lui : « comme il sortait… il vit » ; 2° qu’il emploie une expression vraiment plastique pour décrire ce premier phénomène : σχιζόμενους τοὺς οὐρανοὺς, littéralement, les cieux déchirés [Comparez Luc 5, 36 ; 23, 45 ; Jean 21, 11 ; Matth. 27, 51, où le verbe σχίζω est appliqué à un vêtement, un voile, un filet qui se déchirent, ou à un rocher qui se fend] ; 3° qu’il fait adresser la voix céleste directement à Jésus : « Tu es mon Fils… en toi... » Cf. Luc 3, 22. — M. Rohault de Fleury, dans ses belles Études iconographiques sur l’Évangile, reproduit un grand nombre de représentations artistiques relatives au baptême de Notre‑Seigneur, et datant des douze premiers siècles [Charles Rohault de Fleury, L’Évangile : Études iconographiques et archéologiques, Tours, 1874, t. 1, pp. 402 et ss.].
1, 12-13 ; Parall. Matth. 4 1‑11 ; Luc 4, 1‑13.
Mc1.12 Et aussitôt L'Esprit poussa Jésus au désert. — Voilà Jésus consacré Messie ; mais combien de sacrifices et d’humiliations lui vaudra ce rôle pourtant si glorieux. Le baptême d’eau, reçu dans le Jourdain, appelle le baptême de sang qui lui sera conféré sur le Calvaire. En attendant cette épreuve suprême du Golgotha, il y a l’épreuve préliminaire de la tentation qui, dans les trois premiers Évangiles, est étroitement unie au baptême du Sauveur. Mais nulle part la liaison n’est mieux marquée que dans notre Évangile : Et aussitôt. À peine baptisé, Jésus entre immédiatement en lutte avec Satan. Il était du reste très naturel que son premier acte, après avoir reçu l’onction messianique, consistât à combattre les puissances infernales, puisque tel était un des buts principaux de son Incarnation. Cf. 1 Jean 3, 8. Considérant le baptême du Jourdain comme une céleste armure dont Jésus avait été revêtu, S. Jean Chrysostome, crie à ce divin Capitaine : « Allez donc car si vous avez pris les armes, ce n’est pas pour vous reposer, mais pour combattre » [Homilia 13 in Matthieu.] . — L’adverbe « aussitôt », que nous venons de rencontrer déjà pour la seconde fois (cf. v. 40), est, comme nous l’avons vu dans la Préface, § 7, la formule favorite de S. Marc pour passer d’un fait à un autre : nous la retrouverons à chaque instant. Elle communique à sa narration beaucoup de vie et de rapidité. — L’Esprit le poussa. Quel profond mystère. C’est l’Esprit Saint lui‑même qui conduit Jésus en face de son adversaire. S. Matthieu et S. Luc avaient employé des expressions bien fortes pour représenter cette action du divin Esprit : « Jésus fut conduit dans le désert », avait dit le premier ; « Jésus fut poussé dans le désert », avait écrit le second ; mais le verbe έχϐάλλει (litt. fut expulsé) [au présent, temps aimé de S. Marc, cf. la Préface, loc. cit.] que nous lisons ici, a une énergie plus grande encore. « Les trois évangélistes disent la même chose. Mais Marc s’exprime avec plus d’efficacité... Le temps présent a aussi plus de force, et place plus la chose devant les yeux » [Juan Maldonat, Commentarii in quatuor Evangelistas, Marc, h. l.]. Jésus est donc pour ainsi dire chassé violemment dans le désert. — Quelques exégètes peu éclairés, où désireux de mettre S. Marc en contradiction avec S. Matthieu et avec S. Luc, supposent que « Esprit » désigne ici l’esprit mauvais. C’est un grossier contre sens. — Dans le désert. Selon toute probabilité, c’est dans le désert de la Quarantaine qu’eut lieu la tentation du Christ. Voir l’Évangile selon S. Matthieu, 4, 1.
Mc1.13 Et il y demeura quarante jours, tenté par Satan, il était parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient. — Il y demeura... S. Marc est obscur dans ce verset, parce qu’il a voulu trop abréger. Heureusement, nous avons deux autres récits pour éclaircir et pour compléter le sien. S. Matthieu et S. Luc nous apprennent que Jésus, à peine arrivé dans le désert, se livra à un jeûne rigoureux qui ne dura pas moins de quarante jours consécutifs, qu’ensuite le Sauveur fut attaqué à trois reprises par l’esprit tentateur, mais qu’il repoussa victorieusement ce triple assaut du démon. Au lieu de ces détails intéressants, nous ne trouvons dans le second Évangile qu’une phrase assez vague : Il était tenté par Satan. Quel est le sens de cet imparfait, ou du participe présent qui lui correspond dans le texte grec (πειραζόμενος) ? Ne dirait‑on pas que, d’après S. Marc, Jésus fut tenté pendant tout le temps de son séjour au désert ? seulement, que la tentation eut vers la fin des paroxysmes plus violents ? Divers commentateurs l’ont pensé, entre autres saint Augustin [De Consensu Evangelistarum, l. 2, c. 16.], et Luc de Bruges. « Ces mots nous font comprendre que Jésus n’a pas été tenté par Satan uniquement à la fin de son jeûne, mais qu’il l’a été fréquemment et diversement pendant toute sa durée ». À première vue, la narration de Luc 4,2 et ss. (voir le commentaire), paraît favoriser ce sentiment. Néanmoins, la plupart des exégètes ont toujours enseigné que telle n’est pas la véritable interprétation, mais qu’on doit ramener les récits du second et du troisième Évangile à celui de S. Matthieu, qui est le plus clair des trois. Or, le premier Évangéliste suppose formellement que la tentation ne commença qu’après les quarante jours de jeûne et de retraite : « lorsqu’il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim... Et le tentateur, s’approchant, lui dit… », Matth. 3, 2‑3. — Il était avec les bêtes sauvages. Malgré sa brièveté extraordinaire en ce passage, S. Marc a su pourtant nous apprendre deux choses nouvelles : la première consiste dans le nom de Satan, que nous lisions un peu plus haut, et qui est plus expressif que le « diable » des autres narrateurs ; nous trouvons la seconde ici même. Toutefois, ce trait pittoresque et vraiment digne du second Évangile devait être, malgré son apparente simplicité, une pomme de discorde pour les commentateurs. Combien d’opinion diverses n’a‑t‑il pas suscitées. 1° D’après les uns, il exprimerait les dangers extérieurs que courait le divin Maître : si le démon tentait son âme, les bêtes féroces étaient là, menaçantes pour son corps. 2° Suivant les autres, ce ne serait pas une réalité, mais un pur symbole : les animaux du désert, qui sont censés entourer Jésus, figurent les passions et la concupiscence d’où provient habituellement la tentation. 3° D’autres voient dans ce curieux détail l’expression d’un type : S. Marc, en le notant, voulait établir un rapprochement entre le second Adam et le premier ; montrer Jésus, même après la chute, entouré de bêtes sauvages qui ne lui nuisent pas, comme autrefois le père de l’humanité dans le paradis terrestre. 4° On admet plus communément, à la suite de Théophylacte et d’Euthymius, que c’est là un trait destiné à bien mettre en relief le caractère tout à fait sauvage du désert où résidait alors Jésus. Voyez aussi la description du désert de la Quarantaine dans l’Évangile selon S. Matthieu, 4, 1. Telle est, croyons‑nous, la véritable interprétation. Ces animaux du désert étaient alors, comme aujourd’hui, les panthères, les hyènes, les ours et les chacals : plus d’un voyageur les a rencontrés ou a entendu leurs cris dans ces parages. — Les anges le servaient. Les anges aussi sont aux côtés de Jésus, pour le servir comme leur Prince vénéré. Quelle étrange réunion autour du divin Maître. Satan, les bêtes fauves, les esprits célestes, c’est‑à‑dire l’enfer, la terre et le ciel. Il y a là de frappants contrastes, qui sont d’ailleurs très nettement marqués par S. Marc. Le v. 15 se compose en effet de deux phrases parallèles, ayant chacune deux membres qui se correspondent exactement, énonçant des idées d’abord connexes, puis opposées : Jésus était dans le désert et tenté par Satan ; il était avec les bêtes et servi par les anges. — Quoique la pensée exprimée par le verbe « servir » soit des plus simples, elle a été mal comprise et défigurée par plusieurs écrivains protestants, qui donnent aux anges la singulière mission de protéger Notre‑Seigneur contre les attaques des animaux sauvages. Lightfoot aussi est tombé dans l’erreur quand il a regardé la présence des anges comme un second genre de tentation pour le Christ : d’après lui, le démon se serait dissimulé sous la forme angélique afin de mieux réussir à tromper et à vaincre Jésus. — Tel est donc le récit de la tentation du Christ d’après S. Marc : nous y voyons un remarquable exemple de l’indépendance des Évangélistes en tant qu’écrivains.
1, 14‑15 ; parall. Matth. 4, 12 ; Luc 4, 14‑15.
Mc1.14 Après que Jean eut été mis en prison, Jésus vint en Galilée, prêchant l'Évangile du royaume de Dieu. — Après que Jean eut été mis en prison. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 4, 12. Nous trouverons plus loin, Marc 4, 17‑20, les détails de cet emprisonnement sacrilège. — Les évangélistes synoptiques sont unanimes pour rattacher l’activité messianique de Jésus à ce fait important, comme aussi pour en fixer le premier théâtre en Galilée. Le ministère auquel Notre‑Seigneur s’était livré en Judée d’après Jean 3, 22, presque aussitôt après son baptême, doit être simplement envisagé comme une œuvre de préparation et de transition. En réalité, la Vie publique ne s’ouvre qu’au moment de l’arrestation du Précurseur, c’est‑à‑dire lorsque le héraut se retire pour faire place à son Maître. — Jésus vint en Galilée. La Galilée était la plus au nord des trois provinces palestiniennes situées à l’Ouest du Jourdain. De magnifiques promesses lui avaient été autrefois adressées au nom de Dieu, cf. Es 8, 22 ; 9,9, et Matth. 4, 14‑16 ; Jésus vient actuellement les accomplir. Au reste, la Judée était alors peu disposée à recevoir l’Évangile : le Sauveur n’y trouvait presque personne à qui il pût se fier. Cf. Jean 2, 24. La Galilée au contraire était un terrain fécond, sur lequel la bonne semence devait promptement germer et abondamment fructifier, comme nous le montrera la suite du récit. — Prêchant l’Évangile du royaume de Dieu. Le mot « royaume », qui fait défaut dans les manuscrits B, L, Sinait., etc., dans Origène, dans les versions copte, arménienne et syriaque, est regardé par les meilleurs critiques comme une interpolation. La leçon primitive aurait donc été « l’Évangile de Dieu », et « de Dieu » indiquerait la provenance, pour signifier : l’Évangile dont Dieu est l’auteur. Peu importe du reste ; le sens est le même en toute hypothèse. — Voilà Jésus prêchant l’Évangile. Comme la « bonne nouvelle » était bien placée sur ses lèvres divines.
Mc1.15 Il disait : "Le temps est accompli et le royaume de Dieu est proche, repentez-vous et croyez à l'Évangile." — Il disait. S. Marc donne à ses lecteurs un résumé vraiment saisissant de la prédication du Sauveur. Son style est ici rythmé, cadencé à la façon orientale, plus encore qu’au v. 13. Nous avons de nouveau deux phrases composées chacune de deux propositions : Le temps est accompli
et le royaume de Dieu est proche. Faites pénitence et croyez à l’Évangile.
La première phrase indique ce que Dieu a daigné faire pour le salut des hommes ; la seconde, ce que les hommes doivent faire à leur tour pour s’approprier le salut messianique. — 1° L’œuvre de Dieu. Le temps est accompli. « Le temps », en grec ὁ καιρὸς, le temps par antonomase, c’est‑à‑dire l’époque désignée de toute éternité pour l’accomplissement des divins décrets relatifs à la rédemption de l’humanité. « Est accompli » : la plénitude des temps est arrivée, s’écriera plus tard saint Paul à deux reprises, Galates 4, 4 et Éphésiens 1,10 ; les longs jours d’attente (cf. Gn 49,10) qui devaient précéder la manifestation du Christ sont enfin passés. Quelle nouvelle. Et c’est le Messie lui‑même qui l’apporte. Mais qui mieux que lui pouvait dire : Les temps sont accomplis. — Le royaume de Dieu est proche. Le royaume de Dieu, c’est le royaume messianique dans toute son étendue. Expression consacrée, dont nous avons expliqué l’origine et le sens dans notre Commentaire sur S. Matthieu, 3, 2. — 2° L’œuvre de l’homme, ou conditions d’entrée dans le royaume des cieux. Faites pénitence. On ne pensait guère alors à réaliser cette première condition, quoique le souvenir et le désir du Messie fussent dans tous les cœurs et sur toutes les lèvres. — Seconde condition : Croyez à l’Évangile. Le grec est beaucoup plus énergique ; il dit littéralement : Croyez dans l’Évangile. L’Évangile est pour ainsi dire l’élément dans lequel la foi devra naître et grandir ; la base sur laquelle elle devra s’appuyer. Cf. Éphésiens 1, 1. Cette foi que Jésus exige rigoureusement des siens n’est donc pas un sentiment vague et général : son objet spécial, l’Évangile, par conséquent tout ce qui concerne la personne et l’enseignement de Notre‑Seigneur, est déterminé de la façon la plus nette. — Tout le « programme » de Jésus est contenu dans ces quelques paroles. On y voit en premier lieu sa doctrine touchent l’ancienne Alliance : les prophéties de l'Ancien Testament sont accomplies. On y voit ensuite l’idée fondamentale du Christianisme : le royaume de Dieu avec tout ce qu’il renferme. On y voit enfin les conditions préliminaires du salut : la pénitence et la foi.
1, 16-20. Parall. Matth. 4, 18‑22 ; Luc 5, 1‑11.
Mc1.16 Passant le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André son frère qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs. — Dans cette narration, qui nous révèle la puissance de Jésus sur les volontés et sur les âmes, S. Marc diffère à peine de S. Matthieu. Nous avons pourtant à signaler plusieurs traits caractéristiques, qui prouveront de nouveau l’indépendance des écrivains sacrés. — Passant : expression pittoresque, spéciale à notre Évangéliste. — Le long de la mer de Galilée. Le divin Maître a quitté Nazareth pour venir se fixer à Capharnaüm, cf. Matth. 4,13‑18 ; Luc 4, 31 ; 5, 16, sur les bords du lac si charmant de Tibériade, que nous avons décrit en expliquant le premier Évangile, Matth. 4, 13. Il est seul encore ; mais voici qu’il veut attacher définitivement à sa personne quelques disciples avec lesquels il a eu, vers l’époque de son baptême, des relations assez étroites, quoique temporaires, Jean 1, 35 et ss. Ils deviendront ses quatre principaux Apôtres. — Simon et André. S. Matthieu et S. Luc, dans les passages parallèles, ajoutent au nom de Simon l’épithète de Pierre. S. Marc est le seul à ne pas mentionner ce surnom. Nous avons vu dans la Préface, § 4, 4, que ses rapports intimes avec le Prince des Apôtres ont visiblement influé sur sa narration toutes les fois qu’elle touche à ce saint personnage : tantôt elle est plus complète, tantôt elle est moins précise que les autres récits évangéliques, selon les circonstances. — Qui jetaient leurs filets. Le grec détermine mieux la nature du filet dont se servaient alors les deux frères : c’est l’épervier, le filet que l’on jette, et qui, lorsqu’il est adroitement lancé par dessus l’épaule, soit du rivage, soit du bateau, retombe circulairement sur l’eau, et alors, s’enfonçant rapidement par le poids des plombs qui y sont attachés, enveloppe tout ce qui est au‑dessous de lui ». — Dans la mer. Le lac de Tibériade a toujours passé pour être un des plus poissonneux du monde.
Mc1.17 Jésus leur dit : "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes." — Prenant l’humble profession de Pierre et d’André pour point de départ, Jésus les appelle à de sublimes destinées, qui ne seront pas sans analogie, leur dit‑il, avec leur métier de pêcheurs. Ils seront désormais pêcheurs d’hommes. Voir sur cette expression l’Évangile selon S. Matthieu, 4, 19. C’est ainsi que, dans le langage figuré du Sauveur, tout devient signe ou symbole de ce qui aura lieu dans son royaume.
Mc1.18 Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. — Ce verset raconte la prompte obéissance des deux frères. S. Marc ne pouvait manquer d’employer ici son adverbe favori εὐθὺς (aussitôt). Cf. v. 20.
Mc1.19 Un peu plus loin, il vit Jacques, fils de Zébédée et Jean son frère, qui étaient eux aussi, dans une barque, réparant leurs filets. 20 Il les appela aussitôt et, laissant leur père Zébédée dans la barque avec les ouvriers, ils le suivirent. — À quelque distance de là (« un peu », est une particularité de S. Marc), une scène identique se renouvelle pour un autre couple de frères, S. Jacques et S. Jean. — Raccommodant leurs filets. Cf. Matth. 4, 21. Tandis que les fils de Jona étaient occupés à jeter leurs filets dans le lac, ceux de Zébédée raccommodaient les leurs dans la barque de leur père. Ils étaient les uns et les autres dans le plein exercice de leur métier. — Et ayant laissé leur père. Sacrifice aussi rapide et plus généreux encore, en un sens, que celui de Pierre et d’André ; car ceux‑ci n’avaient pas eu à quitter un père bien‑aimé ; rien du moins ne l’indique dans le récit. — Avec les ouvriers. S. Marc a seul mentionné cette circonstance qui, bien qu’elle semble insignifiante à première vue, a pour nous en réalité un grand intérêt : soit parce qu’elle prouve que Zébédée vivait dans une certaine aisance, puisqu’il faisait la pêche plus en grand ; soit surtout, comme beaucoup d’exégètes aiment à le dire, parce qu’elle nous montre que Jacques et Jean pouvaient se séparer de leur père sans blesser la piété filiale, attendu qu’ils ne le laissaient pas complètement seul. L’Évangéliste aurait donc noté ce détail pour adoucir ce que l’acte de Jésus ou des deux fils semblerait avoir de dur envers un père. Plus tard, probablement après la mort de Zébédée, nous verrons Salomé, mère des Fils du tonnerre, s’attacher elle‑même à Jésus. Cf. Matth. 20, 20 et ss. — Voilà donc quatre Apôtres conquis en un seul jour par le divin Maître. Jésus est véritablement le Roi des cœurs.
1, 21-28.Parall. Luc 4, 31‑37.
Mc1.21 Ils se rendirent à Capharnaüm et dès le premier sabbat, Jésus entrant dans la synagogue, se mit à enseigner. — Ils entrèrent dans Capharnaüm. Cette ville était située auprès du lac de Tibériade, et c’est dans son voisinage qu’avait eu lieu l’appel des quatre premiers Apôtres. Jésus y entre, suivi de ses heureux élus : Capharnaüm eut ainsi l’honneur de posséder immédiatement dans ses murs les prémices de la société chrétienne. — Aussitôt, le jour du sabbat. L’adverbe aussitôt ne signifie pas que l’entrée de la petite troupe dans la ville eut lieu en un jour de sabbat, mais seulement que Jésus profita du sabbat le plus prochain pour faire entendre la prédication messianique aux habitants de Capharnaüm. « du sabbat », quoique au pluriel dans le grec, a le sens du singulier. Voyez Matth. 12, 1 et l’explication. Toutefois, il est bien évident que l’Évangéliste ne veut pas exclure les sabbats suivants, du moins pour ce qui regarde l’enseignement public de Jésus dans les synagogues ; car ce fut à partir de ce moment une coutume régulière pour Notre‑Seigneur de prêcher le samedi dans les maisons de prière des Juifs. — Entrant dans la synagogue. C’était donc tout ensemble aux jours saints et dans les lieux saints que Jésus faisait entendre la divine parole : de même aujourd’hui les prédicateurs de l’Évangile. Sur les synagogues, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 4, 23. — Il les instruisait. « les » désigne les Juifs. On rencontre souvent, dans les écrits du Nouveau Testament, des pronoms employés de cette façon irrégulière et ne retombant sur aucun des substantifs qui précèdent. Nous en avons vu dans Matth. 4,23, un frappant exemple. — Quoique Jésus ne fût pas un Docteur attitré, il n’est pas surprenant qu’il pût ainsi prêcher librement dans les synagogues. Les Juifs laissaient sous ce rapport à leurs coreligionnaires une assez grande latitude : les étrangers, les personnes pieuses ou instruites, étaient même fréquemment invités à édifier les assemblées par quelques bonnes paroles. Cf. Actes 12, 45.
Mc1.22 Et ils étaient frappés de sa doctrine, car il les enseignait comme ayant autorité et non comme les Scribes.— Ils étaient frappés de sa doctrine. S. Marc indique ici l’effet causé par la prédication du Sauveur et le motif qui le produisait. Les auditeurs étaient vivement impressionnés. Toutefois, leur étonnement n’avait rien d’extraordinaire, ajoutent de concert les deux Évangélistes (cf. Luc 4, 32), car il enseignait avec autorité. — Comme ayant autorité. C’est le Verbe divin, la Sagesse incarnée qui parle, c’est le Législateur céleste qui interprète ses propres lois. Comment Jésus n’aurait‑il pas trouvé le chemin des esprits et des cœurs ? Ses ennemis eux‑mêmes seront obligés d’avouer que « jamais homme n’a parlé comme cet homme ». Ses paroles pleines de vigueur, de vérité, de grâce, convainquaient la raison et touchaient la volonté ; elles éveillaient le repentir, la frayeur et l’amour. En même temps, elles donnaient la force de rechercher ce qu’on devait aimer, de fuir ce qu’on devait craindre, de quitter ce qu’on aurait pu regretter. Voir les idées générales que nous avons exposées dans notre Commentaire sur S. Matthieu, touchant l’éloquence de Jésus‑Christ. — Et non pas comme les scribes. Quelle différence profonde entre la méthode du Sauveur et celle de ces Légistes officiels. Ces derniers n’étaient que les organes impersonnels de la tradition, et d’une tradition toute humaine : leur enseignement était froid, compassé, sans vie, aussi bien pour le fond que pour la forme. Qu’on lise de suite, si on le peut, quatre pages du Talmud, et l’on aura une juste idée de la prédication des Scribes. Le peuple est donc justement ravi dès qu’il a entendu Jésus : c’est un genre entièrement nouveau, approprié d’une façon admirable à ses besoins ; aussi ne peut‑il se lasser de l’entendre. Comparez Matth. 7, 28, 29. Quel éloge parfait pour Jésus orateur, dans les trois lignes de ce verset.
Mc1.23 Or il se trouva dans leur synagogue un homme possédé d'un esprit impur, qui s'écria : — Or, il y avait dans leur synagogue. Mais, voici un autre fait qui va redoubler, à un nouveau point de vue, l’admiration des habitants de Capharnaüm : c’est la guérison miraculeuse d’un de ces cas funestes, alors si nombreux en Palestine, connus sous le nom de possession. Le divin Orateur se transforme en Thaumaturge, et il montre qu’il est supérieur aux démons les plus puissants. — Sur les démoniaques, voyez l’Évangile selon S. Matthieu ; sur les miracles de Jésus en général, ibid. — Un homme possédé d’un esprit impur. « Possédé », c’est‑à‑dire « au pouvoir de » ; cette locution expressive indique la puissance du démon sur le possédé, l’absorption de celui‑ci par celui‑là. Le démoniaque était comme plongé dans l’influence satanique. Comparez le nom grec d’énergumène (ἐνεργούμένος) qui désigne une personne contrôlée par une autre. L’épithète « impur, immonde » est accolée vingt fois environ dans l’Évangile au nom des esprit mauvais. C’est une expression technique, empruntée au langage liturgique des Juifs, qui nommaient impur tout ce dont ils devaient éviter le contact. Qu’y a‑t‑il en effet de plus immonde que les mauvais anges ? Leur désobéissance envers Dieu les a profondément souillés ; ils se sont depuis endurcis dans leur malice, et ils ne songent qu’à profaner les hommes en les portant au péché. — Nous ne devons pas être trop surpris de trouver un démoniaque dans la synagogue de Capharnaüm : quand les possédés étaient calmes, on ne leur interdisait pas l’entrée des lieux de prière. — Au figuré, le démon avait pénétré dans la synagogue, c’est‑à‑dire dans le Judaïsme ; Jésus vient pour le chasser. Hélas. il restera quand même, par suite de l’endurcissement de la majorité des chefs du peuple Juif.
Mc1.24 "Qu'avons-nous à faire avec vous, Jésus de Nazareth ? Vous êtes venu pour nous perdre. Je sais qui vous êtes, le Saint de Dieu." — Nous trouvons dans les versets 24‑26 des détails dramatiques sur ce premier des prodiges de Jésus racontés par S. Marc. L’Évangéliste communique successivement à ses lecteurs les paroles au démoniaque, v. 24, le commandement de Jésus, v. 25, et le résultat de ce commandement, v. 26. — 1° Le démoniaque, ou plutôt le démon par son intermédiaire, exprime trois idées de la plus parfaite vérité. Première idée : Qu’y a‑t‑il entre nous et vous ? Il n’y a rien de commun entre Jésus et le démon. La locution que le possédé emploie pour exprimer cette pensée (cf. Matth. 8, 29) dénote une séparation entière de vie et de nature, une complète opposition d’intérêts et de tendances ; cf. 2 Corinthiens 6, 14,15. Le pluriel « nous » désigne la solidarité qui existe entre tous les esprits mauvais : actuellement, c’est au nom de toute l’armée satanique que le démoniaque parle à Jésus. — Jésus de Nazareth : telle était déjà, aux premiers temps de la Vie publique du Sauveur, sa dénomination courante et populaire. Quelques commentateurs supposent, mais sans raison suffisante, que le démon l’emploie ici avec un sentiment de dédain. — Deuxième idée : Êtes‑vous venu pour nous perdre ? L’esprit mauvais ne pouvait pas mieux caractériser l’objet de la mission de Notre‑Seigneur : Jésus est venu pour écraser la tête de l’antique serpent, pour ruiner l’empire de Satan sur la terre. Remarquons que le Sauveur n’a encore rien dit au possédé : sa seule présence suffit néanmoins pour faire trembler le démon qui prévoit sa prochaine défaite. — Troisième idée : Jésus est le Messie promis ; Je sais que vous êtes..., s’écrie le démoniaque avec emphase : le baptême et la tentation ont révélé aux démons le caractère messianique de Jésus. — ...le saint de Dieu, le Saint par antonomase, comme le font justement observer les exégètes grecs, Victor d’Antioche, Théophylacte et Euthymius. Ce titre, d’après plusieurs passages de l’Ancien Testament, Psaume 15, 10 ; Daniel 9, 24, équivaut à celui de Messie. Tertullien et d’autres exégètes à sa suite ont pensé que le démon l’adressait à Jésus par flatterie : il est préférable de croire qu’il le lui donne en toute sincérité, quoique malgré lui, Dieu permettant que l’enfer même rendît témoignage à son Christ.
Mc1.25 Mais Jésus, lui parlant avec menace : "Tais-toi, dit-il et sors de cet homme." — 2° Le commandement de Jésus. Jésus le menaça. Les Évangélistes semblent avoir affectionné cette expression ; cf. Matth. 8, 26 ; 16, 22 ; 17, 18 ; 19, 13 ; Marc 4, 29 ; 8, 31 ; 9, 25 ; 10, 13 ; Luc 4, 39 ; 9, 55 ; 18, 15 ; etc. Elle convenait d’ailleurs parfaitement à la dignité et à la toute‑puissance de Jésus, car elle suppose un ordre absolu, qui n’admet ni la résistance ni même une simple réplique. — Tais‑toi ; littéralement, d’après le grec : Sois muselé. C’est la première partie du commandement. Notre‑Seigneur commence par imposer silence à l’esprit immonde : il ne veut pas qu’il y ait de relations entre le royaume messianique et l’empire des ténèbres. De plus, il y aurait des inconvénients à ce que son caractère fût ainsi divulgué ; aussi verrons‑nous le divin Maître défendre habituellement aux malades guéris par lui de proclamer ses prodiges et sa dignité. — Seconde partie de l’ordre : Sors de cet homme. Jésus a pitié du pauvre démoniaque, et il expulse de lui l’esprit qui le possède.
Mc1.26 Et l'esprit impur, l'agitant violemment, sortit de lui en jetant un grand cri. — 3° Nous voyons ici l’admirable et prompt résultat du commandement du Sauveur. Toutefois, avant de quitter un séjour qui lui était cher, le démon manifeste sa rage de plusieurs manières. — L’agitant avec violence. Il tourmente une dernière fois le possédé, en le faisant entrer dans de violentes convulsions : c’est le trait du Parthe, trait impuissant toutefois, ajoute S. Luc, 4, 35. S. Grégoire, fait sur ce point de belles réflexions morales : « Dès que l’âme qui savourait les biens terrestres commence à aimer les célestes, l’antique adversaire lui présente des tentations plus violentes et plus subtiles qu’à l’accoutumée. Et ainsi, la plupart du temps, il tente une âme qui lui résiste comme il ne l’avait jamais tentée avant, quand il la possédait. Voilà pourquoi le démoniaque qui avait été libéré par le Seigneur est mis en pièces par le démon sortant » [Saint Grégoire, Homilia 4 in Ezechiel.]. — Poussant un grand cri. Le démon pousse un cri de rage et de désespoir. Mais rien n’y fait : il est obligé de fuir et de se précipiter en enfer. — Aucun Évangéliste ne raconte autant de guérisons de démoniaques que S. Marc. Il aime à représenter Notre‑Seigneur comme le vainqueur suprême des Esprits infernaux.
Mc1.27 Tous furent saisis d'étonnement, de sorte qu'ils se demandaient entre eux : "Qu'est-ce que ceci ? Quelle est cette doctrine nouvelle ? Car il commande en maître, même aux esprits impurs et ils lui obéissent." — Les versets 27‑28 décrivent l’impression profonde que produisit ce miracle soit sur ses témoins immédiats. v. 27, soit dans toute la province de Galilée, v. 28. — Tous furent dans l’admiration. D’après le texte grec, le sentiment qui saisit immédiatement l’assemblée fut l’effroi (mot rare, dans le Nouveau Testament), plutôt que l’admiration. À la suite de cette manifestation surnaturelle, tous les assistants furent en proie à une sainte frayeur. Ils se communiquèrent alors mutuellement leurs pensées. — Qu’est‑ce que ceci ? De mémoire d’homme on n’avait rien vu de semblable ; de là cette première exclamation générale. — Quelle est cette nouvelle doctrine ? L’assistance spécifie ensuite les points qui excitaient le plus son étonnement. C’était d’abord la doctrine attestée par de pareils prodiges : chacun venait de l’entendre et avait pu se convaincre de sa nouveauté, cf. v. 22 ; mais elle avait spécialement cela de nouveau qu’elle s’appuyait sur des miracles de premier ordre. Ce n’étaient pas les Scribes qui auraient pu offrir rien de semblable. — Il commande avec autorité. On admirait en second lieu la puissance merveilleuse de Jésus. Un mot de lui avait produit sur‑le‑champ le résultat le plus frappant. — Même aux esprits impurs… Cette puissance s’était en effet exercée dans les conditions les plus difficiles : Jésus avait montré qu’il était supérieur même aux démons. Il y a une grande, force dans ce « même ». — Actuellement, on admire donc Jésus à cause de sa prédication nouvelle et de son empire irrésistible sur les esprits mauvais. Bientôt, quand les cœurs se seront retournés contre lui, on tirera de ces deux faits les griefs les plus graves pour les lui jeter à la face.
Mc1.28 Et sa renommée se répandit aussitôt dans toute la région de la Galilée. — Le bruit de ce miracle se répandit d’abord dans la ville de Capharnaüm, et de là il fit rapidement (aussitôt est emphatique dans ce passage) le tour de toute la Galilée. — Plusieurs commentateurs supposent à tort que les mots « le pays de Galilée » désignent les provinces voisines de la Galilée.
1, 29-34. Parall. Matth. 8, 14‑17 ; Luc 4, 38‑41.
Mc1.29 En sortant de la synagogue, ils allèrent aussitôt dans la maison de Simon et d'André, avec Jacques et Jean. — Aussitôt. S. Luc, comme S. Marc, rattache très étroitement ce miracle à la guérison du démoniaque : il y eut donc une connexion historique réelle entre les deux prodiges. Les récits des Synoptiques sont ici les mêmes quant à la substance ; ils ne varient guère que dans l’expression. Notre Évangéliste a cependant le mérite d’être le plus précis pour la plupart des détails. Tout est pris sur le vif dans son récit : on devine à quelle source il avait puisé. — Sortant de la synagogue. Aussitôt après le miracle raconté au v. 26, Jésus sortit de la Synagogue avec ses quatre disciples, et ils vinrent ensemble dans la maison de Pierre et d’André. S. Marc est le seul à mentionner en termes exprès S. André, S. Jacques et S. Jean.
Mc1.30 Or, la belle-mère de Simon était au lit, ayant la fièvre, aussitôt ils parlèrent d'elle à Jésus. — La belle‑mère de Simon était couchée. Pierre semble avoir ignoré cet accident, qui avait pu, du reste, survenir d’une manière très rapide pendant son absence des jours précédents. Cf. les vv. 16 et 21. Heureusement, Jésus est là pour consoler cette famille éplorée. — Sur la belle‑mère et la femme de S. Pierre, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 8, 14. [Cf. Eusèbe de Césarée, Historia Ecclesiastica, 3, 30.]. — Ils parlèrent d’elle. Expression délicate. On dit simplement au bon Maître que la belle‑mère de son disciple est malade ; on sait que sa miséricorde et sa puissance feront le reste. Les sœurs de Lazare se contenteront aussi de faire dire à Jésus : Seigneur, celui que vous aimez est malade.
Mc1.31 Il s'approcha et la fit lever, en la prenant par la main, au même instant la fièvre la quitta et elle se mit à les servir. — La confiance n’avait pas été vaine, car le Sauveur guérit sur‑le‑champ la malade. S. Marc raconte le prodige de la façon la plus graphique : chacun des gestes de Jésus est décrit dans sa narration. Il s’approche du lit de la malade ; Il la prend par la main ; Il la soulève doucement. À son divin contact, le mal disparaît instantanément (c’est le troisième « aussitôt » depuis le v. 29.) et la guérison est si décisive, que celle qui gisait naguère sur son lit de souffrance peut se lever aussitôt et vaquer à ses fonctions de maîtresse de maison. — Elle les servait. Le verbe « servir » signifie en cet endroit servir à table. Cf. Matth. 4, 11 et le Commentaire. Il s’agit du repas joyeux et solennel qui termine chez les Juifs la journée du Sabbat [Voyez Flavius Josèphe, Vita, § 54.]. La belle‑mère de S. Pierre, rendue complètement à la santé, eut assez de force pour le préparer elle‑même. Puissions‑nous, disent les moralistes, quand Dieu a guéri miséricordieusement les maladies de notre âme, employer de même notre vigueur spirituelle à servir le Christ et ses membres.
Mc1.32 Sur le soir, après le coucher du soleil, ils lui amenèrent tous les malades et les démoniaques, — Sur le soir. Ce miracle en amena un grand nombre d’autres, qui occupèrent Jésus une partie de la nuit. Quelle douce soirée pour lui et pour les habitants de Capharnaüm. Mais, par suite d’un respect exagéré pour le repos du Sabbat, cf. Marc 3, 1 et suiv., on ne conduisit les malades et les possédés au Sauveur qu’après le coucher du soleil, le saint jour ne finissant, d’après le rituel juif, qu’au moment où cet astre disparaissait au dessous de l’horizon.
Mc1.33 et toute la ville se pressait devant la porte. — Et toute la ville… Trait pittoresque, spécial à S. Marc : on voit qu’un témoin oculaire le lui avait communiqué. Voilà donc toute la ville qui assiège en quelque sorte l’humble maison de S. Pierre. Les mots devant la porte désignent en effet le lieu où se trouvait alors Jésus et pas, comme on l’a dit quelquefois, la porte de la cité. — Cet émoi se comprend sans peine. Notre‑Seigneur avait opéré ce jour‑là même deux grands miracles à Capharnaüm : le bruit s’en était promptement répandu, et chacun voulait profiter de la présence du Thaumaturge pour la guérison de ses infirmes.
Mc1.34 Il guérit beaucoup de malades affligés de diverses infirmités et il chassa beaucoup de démons, mais il ne leur permettait pas de parler, parce qu'ils le connaissaient. — Il guérit beaucoup… il chassa beaucoup... Est‑ce à dire que Jésus aurait fait un choix parmi les malades et parmi les possédés ? Qu’il aurait guéri les uns et pas les autres ? Des exégètes anciens et modernes l’ont pensé : « Pourquoi n’a‑t‑il pas dit : et il les guérit tous, mais beaucoup ? Probablement parce que l’infidélité empêchait certains d’être guéris » . La foi aurait donc manqué à un certain nombre des personnes présentées à Jésus ; ou bien, a‑t‑on dit encore, le temps eût été insuffisant pour guérir tant de monde. Mais ce sont là des conjectures sans fondement, que réfutent les passages parallèles de S. Matthieu et de S. Luc. « Quand le soir fut venu, on lui présenta de nombreux possédés et il chassait les esprits par sa parole et il guérit tous ceux qui étaient malades », Matth. 8, 16. Non, il n’y eut pas d’exception, et ce n’est pas un contraste que notre Évangéliste a voulu établir en se servant des expressions citées : il s’est plutôt proposé de montrer le nombre considérable des guérisons. Telle était déjà l’opinion de Théophylacte. — Il ne leur permettait pas de dire... Comme dans la matinée, v. 20, il impose silence aux démons, dont les proclamations intempestives auraient pu nuire à son œuvre.
1, 35-39.Parall. Luc 4, 42‑44.
Mc1.35 Le lendemain, s'étant levé longtemps avant le jour, il sortit, alla dans un lieu solitaire et il y pria. — S’étant levé longtemps avant le jour. La nuit du samedi au dimanche s’achevait donc à peine, que Jésus était déjà debout, malgré les fatigues de la soirée précédente, et quittait sans bruit, à l’insu de tous, la maison hospitalière de Simon. Son but manifeste était d’échapper ainsi aux ovations de la foule enthousiasmée par ses miracles, et de se préparer, par une prière solitaire de quelques heures, à la mission qu’il allait bientôt commencer, v. 38 et s. — Il sortit et alla dans un lieu solitaire. Un trait remarquable du lac de Gennésareth, c’est qu’il était entouré de solitudes désertes. Ces places solitaires, situées à proximité, soit sur les plateaux, soit dans les ravins qui abondent près des deux rives, fournissaient d’excellents refuges pour le repos ou pour la prière… Jésus recherchait ces solitudes, tantôt seul, tantôt avec ses disciples. Les montagnes, les déserts, les lieux retirés, Gethsémani, tels furent les principaux oratoires du Sauveur : il ne priait pas sur la place publique comme les Pharisiens. — Et il y pria... Autre détail particulier à S. Marc : du reste tout ce récit est marqué au cachet distinctif du second Évangile. La scène est extrêmement pittoresque : le narrateur la met vraiment sous nos yeux. — Qu’il est beau de voir Jésus en oraison après et avant ses nombreux labeurs. Sa vie se compose de deux éléments, les exercices du zèle et les exercices de religion, le côté extérieur et le côté intérieur. Telle doit être aussi la vie du prêtre.
Mc1.36 Simon et ceux qui étaient avec lui se mirent à sa recherche, — Le jour venu, Simon‑Pierre remarqua le premier l’absence du bon Maître, et aussitôt il se mit à faire d’actives recherches pour le retrouver. Cet acte révèle l’ardeur de son tempérament et son vif amour envers Jésus. — Simon... Le grec porte une expression d’une rare énergie (litt. le poursuivit), qui n’est employée qu’ici dans le Nouveau Testament. Elle est souvent prise en mauvaise part, pour désigner des poursuites hostiles ; S. Marc, à la suite des Septante, la prend en bonne part, afin de caractériser le zèle avec lequel les disciples coururent en tous lieux pour chercher Jésus. — Et ceux qui étaient avec lui ; c’est‑à‑dire les trois compagnons de S. Pierre : André, Jacques et Jean. Cette tournure est à remarquer. Il est évident que l’Évangéliste accorde ici à Simon une prééminence sur les autres amis de Jésus. C’est la primauté par anticipation. Simon est déjà supérieur aux autres cf. Luc 8, 45 ; 9, 32.
Mc1.37 et l'ayant trouvé, ils lui dirent : "Tout le monde vous cherche." — L’ayant trouvé. Il leur fallut sans doute plusieurs heures avant de découvrir la retraite du bon Maître. — Tout le monde vous cherche. Ces paroles, qu’ils prononcèrent en l’abordant, prouvent que, dès l’aube du jour, le concours de la veille avait recommencé de plus belle. On voulait encore voir Jésus et obtenir de lui de nouveaux bienfaits. Ce fut une grande déception quand on apprit qu’il avait disparu. Tous se mirent alors en quête pour le trouver. S. Luc 4, 42, ajoute ici une ligne significative qui nous aidera à mieux comprendre la réponse subséquente du Sauveur, v. 38 : « Les foules le cherchaient, et elles vinrent jusqu’à lui, et elles voulaient le retenir, de peur qu’il ne les quittât ».
Mc1.38 Il leur répondit : "Allons ailleurs dans les bourgades voisines, afin que j'y prêche aussi, car c'est pour cela que je suis sorti." — Allons. Jésus ne saurait entrer dans les désirs du peuple de Capharnaüm : il n’a pas le droit de restreindre à cette ville le don de sa présence, de ses miracles et de sa prédication. D’autres cités, d’autres bourgades l’attendent, et il va sans plus tarder se diriger vers elles. — On lit dans plusieurs manuscrits grecs (B. C. L, Sinait.) « allons ailleurs » ; mais d’autres manuscrits (A, D, E, etc.) ont simplement « allons », comme la Vulgate. — Dans le texte grec, le mot correspondant à « villages », que notre version latine a traduit inexactement par « villes et bourgades », ne se rencontre qu’en cet endroit. C’est une expression composée, qui équivaut littéralement à « bourgades, villes », et qui désigne les bourgs alors si nombreux de la Galilée, trop petits pour être appelés des villes, mais trop gros pour être simplement nommés villages [Cf. Flavius Josèphe, Bellum Judaicum, 3, 2, 1]. L’épithète « voisines » montre que Jésus commença son tour de missionnaire par les localités voisines de Capharnaüm : c’étaient Dalmanutha, Corozaïn, Bethsaïda, Magdala, etc. — C’est pour cela que je suis sorti. C’est‑à‑dire pour faire entendre la bonne nouvelle à toute la contrée, et pas seulement à une ville spéciale. Mais quelle est bien ici la signification du verbe « je suis sorti » ? Quel est le point de départ auquel Jésus fait allusion ? D’où est-il venu ? D’où est-il sorti ? Il vient de Capharnaüm, répond de Wette. Il vient la vie cachée, dit Paulus. De sa retraite solitaire, v. 35, écrit Meyer. Interprétations misérables, dignes du rationalisme. Comme si Jésus ne voulait pas parler dans ce verset du but de l’Incarnation, par conséquent de sa mystérieuse sortie du sein du Père céleste. Il n’est pas possible d’expliquer autrement notre passage. C’est ainsi du reste que l’ont compris les anciens exégètes. Ajoutons que les paroles prononcées par Notre‑Seigneur d’après la rédaction de Luc 4, 41, ne permettent pas d’autre exégèse. Cf. Jean 16, 28. — La Vulgate a lu « je suis venu », de même que les versions copte, syriaque, arménienne et gothique.
Mc1.39 Et il prêchait dans leurs synagogues, parcourant la Galilée entière et chassant les démons. — Et il prêchait… Cette tournure est à remarquer : elle indique une continuité, une habitude régulière. — Jésus exécute immédiatement son dessein. Quittant Capharnaüm avec ses disciples, il se met en route à travers la Galilée, répandant en tous lieux les bonnes paroles, prêchant, et les bonnes œuvres, il chassait les démons. S. Matthieu 4, 23, est plus explicite relativement aux miracles du Christ pendant ce premier voyage apostolique : « Guérissant toute maladie et toute infirmité dans le peuple ». — Combien de temps dura la mission dont S. Marc nous donne un sommaire si rapide ? Quelques mois probablement ; toutefois, les données évangéliques sont trop vagues pour qu’on puisse répondre d’une manière précise à cette question. Cf. 2, 1. — La Galilée fut le théâtre général de l’apostolat de Jésus ; les synagogues étaient le théâtre particulier de sa prédication.
1, 40‑45. Parall. Matth. 8, 2‑5 ; Luc 5, 12‑16.
Mc1.40 Un lépreux vint à lui et se jetant à ses genoux, il lui dit d'un ton suppliant : "Si vous voulez, vous pouvez me guérir." — Un lépreux vint à lui. La scène se passa, d’après S. Luc, dans une des villes évangélisées par Jésus durant la mission qui vient d’être si brièvement racontée. C’est un épisode intéressant, que les trois Synoptiques ont relevé de concert, à cause du grand exemple de foi que donna le lépreux. Le récit de S. Marc est de nouveau le plus complet, le plus vivant. — Un lépreux. Sur cette terrible maladie de l’Orient, voyez l’Évangile selon S. Matthieu 8, 2. — Se jetant à ses genoux. Belle attitude de supplication, qui manifeste déjà la foi du malade. — Sa prière, Si vous le voulez, vous pouvez me guérir, est d’une exquise délicatesse. Il appelle justement sa guérison une purification, car, aux termes de la loi juive, quiconque était atteint de la lèpre était impur par là‑même.
Mc1.41 Ému de compassion, Jésus étendit la main et le toucha, en disant : "Je le veux, sois guéri." 42 Et dès qu'il eut parlé, la lèpre quitta cet homme et il fut guéri. — Ayant pitié de lui. S. Marc seul mentionne ce sentiment du cœur de Jésus. Le bon Maître s’attendrit à la vue des souffrances de l’infortuné qui est agenouillé devant lui. — Étendit la main. « Ce déploiement de pouvoir et de volonté est un grand signe », Fr. Luc. Cette main si pure et si puissante, Jésus ne craint pas de l’appliquer sur le corps du lépreux, il le toucha, malgré la susceptibilité de la Loi. Il n’avait pas à craindre de souillure, lui qui enlevait au contraire toute impureté physique et morale. — Je le veux, sois guéri. Dès qu’il eut prononcé ce mot majestueux, qu’il daignait emprunter à la prière même du lépreux, v. 40, le malade fut guéri à l’instant ; ce qui donne occasion à S. Marc de répéter encore l’adverbe favori, aussitôt, au moyen duquel il aime tant à accentuer la rapidité des prodiges de Jésus ».
Mc1.43 Aussitôt Jésus le renvoya, en lui disant d'un ton sévère : 44 "Garde-toi d'en parler à personne, mais va te montrer au prêtre et offre pour ta guérison ce que Moïse a ordonné pour l'attester au peuple." — Ces versets contiennent deux injonctions du Sauveur adressées à celui qu’il venait de guérir. Jésus le renvoya ; l’expression grecque correspondante est d’une force extraordinaire ; le verbe, qu’on ne trouve qu’en cinq endroits du Nouveau Testament (Matth. 9, 30 ; Marc 1, 43 ; 14.5 ; Jean 11, 33,38), signifie tantôt être sous le coup d’une vive indignation, tantôt, et c’est ici le cas, donner un ordre sur un ton sévère et menaçant. Voilà donc que Jésus, qui s’était attendri sur l’état du lépreux, le menace maintenant après l’avoir guéri. — Aussitôt. Encore aussitôt. Jésus renvoie brusquement le lépreux, sans lui permettre de demeurer plus longtemps auprès de lui. Ces détails sont spéciaux à S. Marc. Le Sauveur, par cette conduite sévère, se proposait d’intimer avec plus d’énergie les ordres qu’il allait donner. — Premier ordre : Garde‑toi d’en parler à personne. Dans le grec, il y a deux négations (ne rien dire… à personne), ce qui est conforme au genre de S. Marc, cf. la Préface, § 7. Jésus redoute les agitations politiques de la foule : de là ces soins minutieux qu’il prend pour les empêcher. Il veut agir sur les esprits plutôt par le dedans que par le dehors, les convertir et non les éblouir : c’est pourquoi il recommande si souvent le silence à ceux qu’il a guéris. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 8, 4. — Second ordre : Va te montrer au prêtre, au prêtre de semaine. — Et offre… Le détail de ces sacrifices est indiqué tout au long dans le chap. 14 du Lévitique. — Pour l’attester au peuple. Les hommes sauront ainsi que tu es entièrement guéri, et ils l’admettront de nouveau dans les rangs de la société. Tel est probablement le véritable sens de ces mots sur lesquels on a beaucoup discuté. Voir notre Commentaire sur Matth. 8, 4.
Mc1.45 Mais cet homme étant parti, se mit à raconter et à propager partout ce qui s'était passé : de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer publiquement dans une ville, il se tenait dehors, dans les lieux solitaires et l'on venait à lui de tous côtés. — Mais cet homme, étant parti. Le lépreux s’éloigne comme le voulait Jésus ; bientôt sans doute il alla faire déclarer officiellement sa guérison par les prêtres. Quant à l’ordre qui lui enjoignait le silence, il n’en tint aucun compte. Tout au contraire, il se mit à raconter et à divulguer la chose. Les sentiments de joie et de reconnaissance qui remplissaient son âme furent plus forts que son désir d’obéir au Sauveur. Du reste, il ne fut pas le seul à se conduire ainsi : plusieurs autres malades miraculeusement rendus à la santé par Notre‑Seigneur agirent de même dans des circonstances analogues. Cf. Matth. 9, 30 et suiv. ; Marc, 7, 36. — De sorte que… Le résultat de cette indiscrétion fut immense : il est décrit par l’Évangéliste d’une manière très pittoresque. — Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville. Jésus perdit une grande partie de sa liberté d’action : il ne pouvait plus se montrer dans les villes sans exciter de vifs mouvements d’enthousiasme. Le trait raconté par S. Marc au début du chapitre suivant (Marc 2, 2), prouvera jusqu’à quel point allait cet enthousiasme. — Dans une ville ; dans quelque ville que ce fût, car il n’y a pas d’article dans le grec. — Mais il se tenait dehors, dans des lieux déserts. Le divin Maître fut donc obligé de se retirer dans les solitudes mentionnées plus haut et de vivre éloigné des hommes, contrairement à ses desseins apostoliques (v. 38). « dehors », par rapport aux villes. — Et l’on venait à lui de toutes parts. Autre trait charmant : Jésus a beau faire, la multitude qu’il a ravie sait le trouver quand même ; ou plutôt, Jésus ne se propose pas de fuir, mais simplement d’éviter des manifestations aussi imprudentes qu’inutiles. Il se livrait donc à l’exercice de son ministère envers les bonnes âmes qui parvenaient à le rejoindre.
Ce premier chapitre de S. Marc nous a révélé de grandes choses sur Jésus. Nous l’avons vu faire majestueusement son apparition en qualité de Messie, précédé de son Précurseur, entouré de ses premiers disciples, parcourant la Galilée comme un conquérant pacifique des cœurs, excitant partout l’admiration par son enseignement et par ses miracles. Aucune intention hostile ne s’est encore manifestée contre lui. S’il était permis d’employer un pareil langage, nous dirions que c’est le beau, l’heureux temps du Sauveur, que S. Marc nous a décrit.
Ce chapitre nous a révélé en même temps le « genre » de notre Évangéliste. Le portrait de S. Marc en tant qu’écrivain, tel que nous l’avions tracé dans la Préface, s’est trouvé complètement justifié dès les premières lignes : brièveté, précision, animation, pittoresque, clarté, intérêt. À coup sûr cette narration nous a plu ; suivons‑la donc jusqu’à la fin avec amour.
CHAPITRE 2
2, 1‑12. Parall. Matth. 9, 1‑8 ; Luc 5, 17‑26.
Mc2.1 Quelque temps après, Jésus revint à Capharnaüm. — Jésus revint… Allusion au v. 21 du chapitre précédent. Jésus, après la grande course apostolique esquissée plus haut, regagne donc son centre d’action. Mais Capharnaüm se transforme aussitôt pour lui en un champ de bataille. — Quelques jours après. Cette formule est très vague et indique simplement, sans rien préciser, qu’un certain nombre de jours s’étaient écoulés depuis que Jésus avait quitté sa ville d’adoption.
Mc2.2 Lorsqu'on sut qu'il était dans la maison, il s'y assembla aussitôt un si grand nombre de personnes, qu'elles ne pouvaient trouver place, même aux abords de la porte et il leur prêchait la parole. — Lorsqu'on sut … Selon sa coutume, S. Marc, avant de raconter le fait principal, décrit d’abord en peu de mots les circonstances préliminaires. Il est vraiment dramatique dans ce verset, ou plutôt il l’est dans toute cette narration, car il dépasse S. Luc lui‑même par la vivacité des couleurs. — Bien que Jésus eût affecté de voyager depuis quelque temps en secret, Marc 1, 45, et qu’il eût probablement choisi la nuit pour rentrer à Capharnaüm, le bruit de son arrivée ne tarda pas à se répandre. Un parfum peut‑il rester caché ? — Qu’il était dans la maison. C’est là une sorte de construction prégnante équivalant à « le fait qu’il retournait à la maison ». — La maison en question était celle de S. Pierre, ou bien celle que Jésus, d’après divers exégètes, aurait louée à Capharnaüm pour y demeurer dans l’intervalle de ses voyages. — Il s’y rassembla un si grand nombre de personnes. Un grand concours se forme en un instant dans l’intérieur et aux abords de la maison. Un trait graphique, particulier au second Évangile, montre d’une manière saisissante jusqu’à quel point l’assemblée ainsi formée était nombreuse : Elles ne pouvaient trouver place. La pensée est claire. L’Évangéliste veut dire que non seulement les parties intérieures furent bientôt envahies par la foule, mais que les alentours de la porte, à l’extérieur, regorgeaient eux‑mêmes de visiteurs. Le texte grec équivaut littéralement en français à : « À tel point que les environs mêmes de la porte ne pouvaient plus contenir personne ». L’expression « l’espace devant la porte » désigne, d’après les anciens auteurs, le vestibule extérieur des maisons, une sorte de cour habituellement murée qui les séparait de la rue (« les vestibules qui sont devant la porte » [Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio), De architectura, 7, 5.] ; « le lieu vide d’une maison placé devant la porte, par lequel on a, de la rue et du seuil, accès à la maison » [Aulus Gellius, Noctes Atticæ, 16, 5.]). Il y a donc dans la description un « a fortiori » très énergique ; car si la cour extérieure était elle‑même complètement remplie par la foule, à coup sûr il ne devait pas y avoir une seule place libre dans le logement. Comme Jésus était alors aimé de ce bon peuple. — Il leur prêchait la parole ; en grec, τόν λόγον avec l’article, la parole, c’est‑à‑dire la parole par excellence, l’Évangile. Et l’auditoire toujours grossissant écoutait avec ravissement.
Mc2.3 Alors on lui amena un paralytique porté par quatre hommes. 4 Et, comme ils ne pouvaient l'aborder à cause de la foule, ils découvrirent le toit à l'endroit où il était et par l'ouverture ils descendirent le brancard où gisait le paralytique. — Après la mise en scène, nous passons à l’épisode proprement dit. Quatre hommes (détail omis par les autres Évangélistes) s’avancent, portant sur leurs épaules une couchette, sur laquelle est étendu un pauvre paralytique dont ils viennent demander la guérison au divin Thaumaturge. Mais l’entrée de la maison est entièrement obstruée par la foule ; il leur est impossible de pénétrer jusqu’auprès de Jésus. Que faire ? Attendre que la multitude se soit dispersée ? Non, leur foi et celle du malade leur suggère un moyen plus rapide. — Ils découvrirent le toit. Pour comprendre cette opération et celles qui vont suivre, il faut se souvenir que la scène se passe en Orient, et que les maisons orientales diffèrent notablement de nos habitations européennes. D’abord les toits sont plats et communiquent avec la rue par un escalier ou par une échelle. Ils sont formés d’une litière de roseaux ou de branchages étendus sur la charpente, d’une couche de terre jetée par dessus cette couche végétale, et enfin, le plus souvent du moins, quoiqu’il y ait des exceptions à cette règle, d’une garniture de briques reliées ensemble avec de l’argile ou du mortier. Ajoutons qu’habituellement ils sont peu élevés au‑dessus du sol. Cela posé, il est facile de concevoir 1° comment les porteurs purent hisser le paralytique sur le toit ; 2° la manière dont ils réussirent, sans faire de bien grands dégâts, à y percer une ouverture suffisante pour que le malade, toujours étendu sur son grabat, pût passer à travers ; 3° comment il leur fut possible de descendre leur ami jusqu’aux pieds de Jésus. On lit dans le Talmud de Babylone [Talmud de Babylone, Moed Katan, f. 25, 1.], qu’un Rabbin étant mort, on ne put faire passer son cercueil par la porte de la maison. On fut contraint de le monter sur le toit, d’où on le descendit ensuite dans la rue. C’est le rebours de notre histoire, dont la possibilité se trouve par là‑même confirmée. — Où il était. On a pensé parfois que ces mots désignaient la chambre haute de la maison, parce que les Rabbins choisissaient volontiers cet appartement pour y donner leurs leçons ; mais c’est une conjecture peu probable, soit parce que toutes les habitations n’étaient pas munies d’une chambre haute, soit parce qu’il est plus conforme au contexte de dire que Jésus était alors au rez‑de‑chaussée. — Le grabat. En grec κράϐϐατον : c’est une de ces expressions latines grécisées par S. Marc, dont nous avons parlé dans la Préface, § 4, 3. Les anciens appelaient grabat « un lit petit et bas du genre le plus commun [Cicéron (Marcus Tullius Cicero), De Divinatione, 2, 63 ; Virgile (Publius Vergilius Maro), Moretum, 5.], semblable à ceux dont se servait le pauvre peuple, n’ayant qu’un réseau de cordes étendu sur un châssis [Lucil. Sat. 6, 13 ; Pierre Sat. 97] pour supporter le matelas ».
Mc2.5 Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : "Mon fils, tes péchés te sont remis." — Voyant leur foi. Cette foi était vive et profonde, comme venait de le montrer la conduite qu’elle avait inspirée. Elle avait renversé tous les obstacles ; aussi Jésus lui accorde‑t‑il aussitôt la récompense qu’elle méritait. — Mon fils, douce parole qui dût aller au cœur du malade, et lui annoncer que ses vœux étaient exaucés. Elle ne prouve pas qu’il fût plus jeune que Jésus, car elle est prise ici au moral, de même qu’en un grand nombre de passages classiques. « Le mot τέϰνον a le plus souvent le sens de quelqu’un qu’on caresse ou encourage ». Le mot de S. Luc, ἄνθρωπε (homme), est plus froid ; S. Matthieu a τέκνον, comme S. Marc. — Tes péchés te sont remis. Voir dans l’Évang. selon S. Matthieu, 9, 2, le motif spécial pour lequel Jésus tint au paralytique ce langage, qui semble tout d’abord ne pas se rapporter à la situation. Les anciens étaient d’ailleurs portés à regarder le mal si terrible et si soudain de la paralysie comme le châtiment de péchés secrets ou publics. — Ces mots du Sauveur forment le nœud de l’épisode, car ce sont eux qui vont occasionner le conflit avec les Scribes.
Mc2.6 Or il y avait là quelques Scribes assis, qui pensaient dans leur cœur : 7 "Comment cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ?" — Il y avait là… D’après S. Luc, il y avait aussi des Pharisiens dans l’assemblée, indépendamment des Scribes. De plus, ils étaient venus les uns et les autres « de tous les villages de la Galilée, de la Judée et de Jérusalem », Luc 5, 17. Ils étaient donc là d’une manière pour ainsi dire officielle, en vue d’épier le Sauveur. — Qui pensaient dans leurs cœurs. Ils formèrent tous le même jugement téméraire ; toutefois, il ne l’exprimèrent pas au‑dehors. La promptitude avec laquelle Jésus répondit à leurs pensées les plus secrètes ne leur laissa pas le temps de se les communiquer. Cf. le v. 8. La locution « penser en son cœur » est un hébraïsme : d’après la psychologie des anciens Hébreux, le cœur était regardé comme le siège et le centre des opérations intellectuelles. — Pourquoi cet homme parle‑t‑il ainsi ? « cet homme » est dédaigneux ; « ainsi » est pris en mauvaise part : de cette manière coupable. — Il blasphème. Les Rabbins juifs, s’appuyant sur Lévitique 24, 15,16, distinguaient deux sortes de blasphème : le plus grave, qui était puni de mort, supposait une profanation ouverte du nom divin ; l’autre existait toutes les fois qu’on avait dit quelque chose d’outrageant pour Dieu, mais sans prononcer son saint nom [Cf. Sanhedrin, vi, 5.]. C’est de ce dernier blasphème qu’ils durent accuser Jésus, puisqu’il n’avait proféré aucun des noms divins.
Mc2.8 Jésus, ayant aussitôt connu par son esprit qu'ils pensaient ainsi en eux-mêmes, leur dit : "Pourquoi avez-vous de telles pensées dans vos cœurs ? — Connaissant aussitôt. Le Sauveur se plaint d’abord de l’injustice de ses adversaires. Pourquoi formez‑vous sans raisons de tels jugements ? leur demande‑t‑il. Il ne l’ignorait pas, le raisonnement qu’ils appuyaient sur ses paroles n’était nullement inspiré par un vrai zèle pour la gloire de Dieu, mais par la jalousie et la mauvaise volonté. — Par son esprit. Expression emphatique : « par lui‑même, sans que personne d’autre ne l’ait instruit », Patrizi. S. Marc a l’intention évidente de montrer que Jésus lisait au fond des cœurs et qu’il y découvrait les impressions les plus cachées. Les Prophètes avaient parfois une science semblable, mais elle leur était communiquée par l’Esprit de Dieu. Jésus la possède au contraire par son propre esprit : donc il est Dieu.
Mc2.9 Lequel est le plus facile de dire au paralytique : "Tes péchés te sont remis, ou de lui dire : Lève-toi, prends ton brancard et marche ? 10 Mais afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés, 11 je te le commande, dit-il au paralytique : lève-toi, prends ton brancard et va dans ta maison." — Le divin Maître fait maintenant une argumentation invincible contre les Scribes. Ceux‑ci lui ont fourni la majeure de son syllogisme : Qui, à part Dieu, est capable de remettre les péchés ? Il pose lui‑même la mineure : Moi, je puis remettre les péchés ; et il la prouve par un grand miracle. Là conclusion est évidente, bien qu’elle ne soit pas exprimée : Donc, j’agis au nom de Dieu, ou mieux encore : Donc, je suis Dieu [Cf. Francesco Saverio Patrizi, s.j., In Marcum commentarium, p. 18.]. Pour l’explication des détails, voir Matth. 9, 4‑6, et le commentaire. — Lequel est le plus facile… Voici une excellente pensée de Victor d’Antioche sur les paroles de Jésus : « Quel est le plus facile ? Dire ou agir ? Le premier, évidemment, attendu que le résultat n’est soumis à aucun contrôle. Eh bien puisque vous refusez d’ajouter foi à une simple assertion, j’y vais associer les faits, qui serviront de preuve à ce qui ne tombe pas sous les sens ». — Fils de l’homme. Cette expression importante et mystérieuse est employée quatorze fois par le second Évangéliste. nom important et célèbre que Jésus‑Christ aime à s’attribuer lui‑même dans l’Évangile. Les apôtres ne le lui donnent jamais ; seul, le diacre S. Étienne en fait usage dans son discours apologétique, Actes des Apôtres 7, 56. Ézéchiel le porte aussi dans sa Prophétie, 2, 1. 3-8 ; 3, 1-3, etc. ; mais alors c’est simplement l’expression que son interlocuteur céleste lui applique pour désigner la distance qui sépare leurs natures réciproques : d’un côté c’est un ange, de l’autre un simple « fils de l’homme », c’est-à-dire un mortel. Pour bien comprendre le sens de cette appellation quand c’est Jésus qui la prend, il faut recourir à une vision extatique de Daniel, pendant laquelle ce Prophète eut le bonheur de contempler le futur Messie revêtu de la forme humaine : « Je regardais en une vision nocturne et voici qu’avec les nuées du ciel venait quelqu’un qui était comme un fils d’homme », Dan. 7, 13. « Fils de l’homme » signifie certainement Messie dans ce passage : on s’en convaincra en lisant la suite de la narration du Prophète : c’est aussi en tant que Messie que Jésus se dit « le Fils de l’homme » par antonomase. Divers textes évangéliques ne laissent pas le moindre doute à ce sujet. Dans le récit de S. Matthieu, 26, 63 et ss., Caïphe somme Jésus au nom du Dieu vivant de lui dire s’il est le Christ, Fils de Dieu. Que répond Notre‑Seigneur ? « Tu l’as dit. Car je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel.... » cf. Marc. 14, 61-62 ; Luc. 22, 66-69. Bien plus, tel était le sens que les Juifs eux‑mêmes attribuaient à cette expression cf. Jean 12, 34, et surtout Luc. 12, 70, où ils tirent de la réponse ci‑dessus mentionnée du Sauveur la conclusion suivante : « Tu es donc le Fils de Dieu ? », ce qui revient à dire : Vous êtes donc le Messie ? Toutefois, comme on l’a répété avec beaucoup de raison à la suite de la plupart des Pères, ce titre de « Fils de l’homme » est loin d’être une dénomination glorieuse. « Le mot homme désigne souvent un homme d’une ville condition, e.g. Jud. 16, 7, 11 ; Psaume 82 (Vulg. 81), 7 ; et Psaume 49 (Vulg. 48), 3. On oppose fils de l’homme à fils de l’homme (hommes ordinaires à hommes courageux) », Rosenmüller, Schol. in h. l. « Parce que Dieu était aussi fils de Dieu, par une sorte d’antithèse, quant il parle de lui en tant qu’homme, il s’appelle fils de l’homme », Maldonat. Toutes les autres interprétations sont inexactes, depuis celle de Fritzsche qui réduit notre expression à un simple « Moi » (« Moi, c’est moi le fils de parents humains qui vous parle maintenant, cet homme que vous connaissez bien, c’est-à-dire : moi » : quelle platitude.), jusqu’à celle qui lui fait désigner Jésus comme l’homme par excellence, l’homme idéal. « de l'homme » doit se prendre d’une manière générale et ne représente pas spécialement Adam, comme l’a cru S. Grégoire de Nazianze, Orat. 30, c. 21. — Il dit au paralytique. Parenthèse ouverte par S. Marc entre deux paroles de Jésus, afin de mieux éviter toute amphibologie. Le pronom « te » du v. 11 est ainsi nettement déterminé. Le Sauveur, qui s’était adressé aux Scribes dans les versets précédents, se retourne tout à coup vers le malade, pour prononcer la parole de salut que celui‑ci attendait avec foi.
Mc2.12 Et à l'instant celui-ci se leva, pris son brancard et sortit en présence de tous, de sorte que tout le peuple était dans l'admiration et rendait gloire à Dieu, en disant : "Jamais nous n'avons rien vu de semblable." — Et à l'instant celui-ci se leva… La scène est pour ainsi dire photographiée, tant elle est vivante et détaillée. On voit le paralytique se dresser sur son séant, sauter promptement à bas de sa couchette, la charger sur ses épaules et s’en aller en présence de tous. Comme tous les regards devaient être rivés sur lui. — Ils furent tous dans l’admiration… L’admiration est universelle, ou plutôt, suivant l’énergie du texte grec (cf. Luc 5, 26), c’est une sorte d’extase qui s’empare de toute l’assistance, tant le miracle a été frappant dans ses différentes circonstances. — Et rendaient gloire à Dieu. Du fait surnaturel dont elle vient d’être témoin, la foule remonte aussitôt à Dieu, l’auteur de tout don parfait. Ainsi donc, les Scribes accusaient Jésus de blasphème, et voilà qu’au contraire il avait porté le peuple à glorifier le Seigneur. — Le Talmud fait référence au fait de n’avoir pas cru en Jésus parce qu’il n’avait pas le pouvoir de remettre les péchés : « Auprès de lui ne se trouvait pas le pouvoir de remettre nos péchés. Nous l’avons donc répudié » [Sanhedrin, fol. 38, 2, Gloss.] — Voyez d’anciennes représentations artistiques de la guérison du paralytique [Charles Rohault de Fleury, L’Évangile : Études iconographiques et archéologiques, t. 1, p. 474.].
2, 13‑22. Parall. Matth. 9, 9‑17 ; Luc 5, 27‑39.
Mc2.13 Jésus sortit de nouveau le long de la mer et tout le peuple venait à lui et il les enseignait. Les trois synoptiques insistent sur la vocation de S. Matthieu à cause de sa grande importance au point de vue du salut messianique. Cet appel contient une profonde leçon soit pour les juifs, soit pour les païens. Si un publicain, un excommunié, peut devenir apôtre de Jésus alors personne ne doit donc désespérer d’être sauvé. — À la vocation de Lévi, S. Marc, de même que les auteurs du premier et du troisième Évangile, rattache un nouvel exemple de l’opposition vicieuse des Pharisiens contre Jésus. Il nous montre ces adversaires acharnés cherchant et trouvant partout des occasions de conflit. Sorti de nouveau. Jésus sort de Capharnaüm où nous l’avions vu entrer au début de ce chapitre, v. 4. L’adverbe « de nouveau » retombe sur les mots suivants, du côté de la mer, et nous rappelle qu’une fois déjà (cf. Marc 1, 16) Notre‑Seigneur était allé sur le rivage du lac. Cette nouvelle sortie aura le même résultat que la première, car elle aboutira, elle aussi, au choix d’un nouvel apôtre. Il n’est question de la mer que dans le récit de S. Marc : le concours du peuple auprès de Jésus, les instructions que le divin Maître lui donna avec son zèle accoutumé, sont également des traits intéressants qui appartiennent en propre à notre Évangéliste.
Mc2.14 En passant, il vit Lévi, fils d'Alphée, assis au bureau de péage, il lui dit : "Suis-moi." Lévi se leva et le suivit. — En passant. Le sermon fini, Jésus continue sa promenade sur les bords du lac, et il fait en un clin d’œil la conquête d’un Apôtre. — Il vit. Les hommes s’étudient mutuellement avant de s’unir par des liens durables ; à Jésus un regard suffit, ses yeux pénétrants jusqu’au fond des cœurs. — Lévi, fils d’Alphée, sens ordinaire de cette tournure hébraïque. La mention du père de Lévi est encore une particularité que nous devons à S. Marc. Qu’était cet Alphée ? On l’ignore totalement : il paraît certain du moins qu’il ne faut pas le confondre, comme on l’a fait quelquefois, avec le père de S. Jacques le Mineur. Quant à Lévi, dont le nom était si célèbre chez les Hébreux (לוי, intimité, cf. Gn 27, 34), on a toujours généralement admis qu’il ne diffère pas de S. Matthieu [Comparez Apost. Const, 8, c. 22 ; Orig. Præfat. in Epistola ad Rom., Cat. in Matthieu ; Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, l. 2, c. 16 ; saint Jérôme de Stridon, De viris illustribus, c. 3.]. L’identité des deux personnages n’a été que très rarement contestée dans l’antiquité : elle l’est à peine de nos jours. Cf. Matth. 9, 9 et le Commentaire. Lévi était l’ancien nom, Matthieu fut la dénomination nouvelle, qui indique le grand changement par lequel le publicain avait été transformé tout d’un coup en Apôtre du Christ. — Suis‑moi. Jésus, dit admirablement Victor d’Antioche, reconnaît la perle qui gît dans la boue, il la ramasse et fait admirer au monde son éclat. — Et se levant, il le suivit. La perle, dirons‑nous pour continuer cette belle image, se laisse volontiers enchâsser par le divin joaillier.
Mc2.15 Il arriva que Jésus étant à table dans la maison de cet homme, plusieurs publicains et gens de mauvaise vie se trouvaient à table avec lui et ses disciples, car ils étaient nombreux à le suivre. — Comme Jésus était à table. Peu de temps après sa vocation, Lévi, soit pour honorer son nouveau Maître, soit pour prendre congé de ses amis et de ses anciennes fonctions, fit un repas solennel auquel Jésus assistait avec ses disciples. Cf. Luc.5, 29. — Dans la maison de cet homme. Évidemment, il s’agit de la maison de S. Matthieu, ainsi qu’il ressort du contexte et des récits parallèles : quelques exégètes, abusant de l’ambiguïté de l’expression, ont à tort prétendu que le festin avait eu lieu dans la maison de Notre‑Seigneur. — Plusieurs publicains et gens de mauvaise vie. « Plusieurs » est emphatique. Jésus et les siens n’étaient donc pas les seuls invités : Lévi, non sans raison, car il pensait probablement à leur bien spirituel, avait voulu mettre en contact avec le Sauveur tous ses collègues d’autrefois. Combien ne devait‑il pas désirer qu’ils se convertissent à leur tour. — Ils étaient nombreux à le suivre… « Marc a dit cela pour déclarer l’efficacité et le fruit de la prédication du Christ. Ébranlés par elle, plusieurs publicains et plusieurs pécheurs se sont faits les disciples d’un tel maître.
Mc2.16 Les Scribes et les Pharisiens, le voyant manger avec des pécheurs et des publicains, disaient à ses disciples : "D'où vient que votre Maître mange et boit avec des pécheurs et des publicains ?" — Les scribes et les pharisiens. Ce repas devait scandaliser doublement les Pharisiens. Premier scandale : Jésus ne craint pas de manger avec des publicains et des pécheurs. — Le voyant : ils ne tardèrent pas à s’en apercevoir, attendu qu’ils épiaient constamment les démarches de Jésus pour trouver de quoi l’accuser. — Disaient à ses disciples. N’osant s’adresser directement au Maître, dont ils redoutent les vertes répliques, ils prennent les disciples à partie. — Les publicains. Ce nom désigne dans les Évangiles des fonctionnaires inférieurs, chargés de recueillir les impôts au nom des chefs romains, auxquels l’État les avait affermés : leur vraie dénomination serait plutôt « douaniers, receveurs de péage ». Ils étaient généralement abhorrés à cause de leur odieuse rapacité. Aussi les épigrammes abondent‑elles sur eux dans les ouvrages classiques. Suétone raconte, que plusieurs villes érigèrent des statues à Sabinus « l’honnête publicain », et, comme on demandait à Théocrite quelles étaient les bêtes sauvages de la pire espèce, il répondit : « Sur les montagnes les ours et les lions ; dans les villes les publicains et les mauvais avocats » [Suétone, Vespas. 1.]. Les Juifs avaient excommunié ceux des leurs qui se livraient à ce métier [cf. Matth 5, 46 : On nommait publicains les employés chargés de prélever les impôts dans les pays annexés à l’empire romain. C’étaient tout d’abord des nobles ou des chevaliers qui, moyennant une annuité considérable qu’ils payaient à l’État, se chargeaient à leurs risques et périls de recouvrer la somme avancée par eux, grossie bien entendu d’intérêts considérables, car toute liberté ou peu s’en faut leur était laissée à cet égard. Toutefois cette dénomination servait plus communément à désigner non pas ces percepteurs en grand dont la principale fonction consistait à encaisser l’excédant toujours certain des recettes, mais leurs nombreux agents qui traitaient directement avec les contribuables. Ces employés inférieurs, désireux de s’enrichir comme leurs chefs, réclamaient plus encore que ceux‑ci n’avaient exigé, Cf. Luc. 3, 12 et 13, et se conduisaient en général avec une brutalité révoltante. C’était, on le voit, la concussion pratiquée sur toute la ligne, avec les abus les plus criants tolérés par les proconsuls. On comprend la haine que les pauvres provinciaux avaient dû concevoir pour les tyrans qui les dépouillaient avec une telle injustice. La classe des publicains, honnie chez les Grecs, l’était doublement chez les Juifs, aux yeux desquels elle avait en outre le tort impardonnable de servir les Romains, ces puissants ennemis de la cause théocratique. Aussi le Talmud affecte‑t-il de la ranger parmi celles des voleurs et des assassins ; il prétend même que le repentir, et par suite le salut des publicains, sont des choses impossibles. Le bon Jésus lui‑même parlant d’eux, soit selon leur malice réelle, soit en conformité avec les idées de ses compatriotes, les associe plus d’une fois à ce qu’il y a de pire dans la société, Cf. Mth. 18, 17 ; Mth. 21, 31-32, etc. Il mentionne donc ici leurs noms pour montrer qu’il y a bien peu de mérite à faire une chose qu’eux‑mêmes, hommes violents, brutaux, savent faire.]. Les Pharisiens, c’est‑à‑dire les séparés, d’après l’étymologie de leur nom [Cf. Matth. 3.7], se seraient bien gardés d’avoir le moindre rapport avec ces hommes profanes, et impurs, et voici que Jésus ne craignait pas de nouer avec eux les relations les plus intimes, il mange et il boit. C’était là un spectacle inouï en Israël, de la part d’un docteur et d’un saint. — La question ne fut sans doute posée aux disciples qu’après le festin ; car les Pharisiens et les Scribes n’entrèrent probablement pas dans la maison du publicain Lévi, surtout alors qu’elle était remplie de pécheurs.
Mc2.17 Entendant cela, Jésus leur dit : "Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs." — Ayant entendu cela. Jésus prend lui‑même la parole pour faire l’apologie de sa conduite. Dans sa réponse, il développe d’abord au moyen d’une image, puis au propre, l’idéal de son ministère parmi les hommes. — Ceux qui se portent bien. les gens robustes et biens portants. Le proverbe cité ici par Jésus se retrouve à peu près chez tous les peuples [Cf. Matth. 7, 12]. Le Sauveur daigne donc assurer qu’il est notre médecin aimable et tout‑puissant. Quelle consolation pour un monde si malade que le nôtre. « Je vois ce grand malade gisant dans tout l'univers, de l'Orient à l'Occident, et pour te guérir un médecin tout‑puissant est descendu du ciel » [Saint Augustin d’Hippone, Sermon 87.]. — Je ne suis pas venu appeler... Dans le langage du Nouveau Testament, le verbe « appeler » est une expression technique pour désigner la vocation au salut messianique. — Les justes. Théophylacte, et d’autres exégètes anciens et modernes, croient que Jésus appliquait ironiquement ce nom aux Pharisiens : Les justes, c’est‑à‑dire vous qui vous croyez justes. — Mais les pécheurs. Belle antithèse, qui exprime à merveille le but de l’Incarnation du Verbe, et qui montre que, dans la circonstance présente, Jésus était tout à fait à sa place et dans son rôle. Aussi, comme le dit saint Thomas d’Aquin, les Pharisiens se scandalisaient‑ils d’une chose qui aurait dû au contraire les édifier et les porter à l’admiration [2a 2æ, quæst. 25.]. — Voir dans Matth. 9, 13, une troisième proposition, tirée de l’Ancien Testament, que Jésus joignit à sa réponse.
Mc2.18 Les disciples de Jean et les Pharisiens avaient coutume de jeûner. Ils vinrent le trouver et lui dirent : "Pourquoi, tandis que les disciples de Jean et ceux des Pharisiens pratiquent le jeûne, vos disciples ne jeûnent-ils pas ?" — Second scandale : Les disciples du Sauveur négligent de jeûner. — Les disciples de Jean… Saint Marc place en avant de cette nouvelle scène une note archéologique qui pouvait être utile à ses lecteurs romains et grecs, peu au courant des usages juifs. Elle nous apprend que les disciples du Précurseur et les Pharisiens étaient dans l’habitude de jeûner fréquemment : les premiers imitaient ainsi la vie sévère de leur Maître ; les seconds suivaient en cela leurs traditions humaines, qui leur recommandaient deux jeûnes par semaine, celui du lundi parce que Moïse était descendu ce jour‑là du Sinaï, celui du jeudi parce qu’il en avait fait alors l’ascension [Cf. Babylonian Talmud, Bava Kama, f. 82.] — La construction de la phrase est extraordinaire : « étaient… jeûnants » au lieu du simple imparfait. Mais cette tournure a été choisie à dessein par l’écrivain sacré, parce qu’elle exprime très fortement une coutume fréquente, une chose qui a lieu d’une façon régulière. Comp. Matth. 9, 14 ; Luc 5, 33. — Étant venus, ils lui dirent. D’après S. Matthieu, la question aurait été posée par les seuls Joannites ; les seuls Pharisiens la lui adressent dans le troisième Évangile : S. Marc fait la conciliation en la mettant sur les lèvres et des uns et des autres. Quelques‑uns des disciples du Précurseur s’étaient rattachés aux Pharisiens après son emprisonnement, et ils avaient adopté la haine de la secte contre Notre‑Seigneur. Saint Jérôme réprouve par un blâme sévère, mais juste, la conduite qu’ils tinrent dans la circonstance présente : « Or ces disciples de Jean ne pouvaient pas ne pas être dominés par le mal, eux qui l'accusaient faussement sachant qu'il avait été célébré par les paroles du maître ; et ils étaient alliés aux Pharisiens qu'ils savaient avoir été condamnés par Jean » (Matth. 3, 7) [Saint Jérôme de Stridon, in Matthieu 9, 44.]. — Vos disciples ne jeûnent pas… Le contraste est habilement présenté. D’une part, la vie mortifiée des hommes qui étaient alors vénérés par tout le monde comme des saints ; d’autre part, Jésus et les siens qui font de bons repas. Cf. Matth. 11, 19.
Mc2.19 Jésus leur répondit : "Les compagnons de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? Aussi longtemps qu'ils ont avec eux l'époux, ils ne peuvent pas jeûner. 20 Mais les jours viendront où l'époux leur sera enlevé et alors ils jeûneront en ces jours-là. — Le Sauveur répond plus longuement à cette objection qu’à la première, parce qu’elle était en apparence plus grave et plus spécieuse. Il la réfute à l’aide de trois images familière, qui lui servent en même temps à caractériser d’une manière admirable la différence qu’il y a entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre la Loi et l’Évangile. Voir l’explication détaillée dans notre commentaire sur Matth. 9, 15. — Première image, vv. 19 et 20. Tant que durent les réjouissances données à l’occasion d’un mariage, aucun de ceux qui y participent ne saurait songer à jeûner : ce serait un vrai contresens. Mais, les fêtes nuptiales achevées, on peut se livrer au jeûne. Telle est la figure dans toute sa simplicité. Quelques expressions seulement demandent un commentaire rapide. — Les amis de l’époux ; dans le grec, « les fils de la chambre nuptiale », hébraïsme pour désigner ce qu’on nomme chez nous les « garçons d’honneur ». Jésus, le divin Époux, venu du ciel pour célébrer ses noces mystiques avec l’Église, appelait ainsi ses disciples. L’application du reste de la figure se fait maintenant d’elle‑même. — Peuvent‑ils jeûner. Ces mots n’expriment pas une impossibilité absolue, mais l’espèce d’inconvenance qu’il y aurait à jeûner en un pareil temps. — L’époux leur sera enlevé. C’est la première allusion que Jésus fait à sa Passion et à sa mort. En effet, le mot ἀπαρθῇ (enlever), employé de concert par les trois synoptiques, indique une séparation violente. La prévision de sa fin douloureuse était donc longtemps d’avance présente à la pensée du Sauveur : il est vrai que ceux qui devaient plus tard le condamner à mort, les Pharisiens, sont actuellement occupés à lancer contre lui de perfides attaques. — Alors ils jeûneront. C’est la coutume chez les Hindous de se livrer à diverses manifestations de tristesse le lendemain d’un mariage, quand le nouvel époux a quitté la maison de son beau‑père. Lorsque son céleste époux aura quitté la terre, l’Église pourra justement gémir et jeûner, exprimant ainsi la peine qu’elle aura de vivre loin de celui qu’elle aime par‑dessus tout. — La rédaction de S. Marc, dans ce passage, se fait remarquer par plusieurs redondances pleines d’emphase. Au v. 19, la même phrase est répétée deux fois avec de légères variantes. Dans le v. suivant, nous trouvons trois expressions pour une seule idée : « des jours viendront… alors… en ces jours‑là » (le singulier, pour signifier : « en ce triste jour. » serait préférable, car la leçon ἐν ἐκείνῃ τῇ ἡμέρᾳ est beaucoup plus accréditée que celle du Textus Receptus).
Mc2.21 Personne ne coud une pièce d'étoffe neuve à un vieux vêtement : autrement la pièce neuve emporte un morceau du vieux et la déchirure devient pire. — Ce verset contient la seconde image, qui est, au dire de saint Luc, Luc 5, 37, de même que la troisième, une sorte de petite parabole dans le sens large. Par ces deux comparaisons empruntées aux détails les plus pratiques de la vie de famille, Jésus se propose de démontrer, selon les uns, qu’un nouvel esprit se crée des formes nouvelles, c’est‑à‑dire que le Nouveau Testament peut se débarrasser de certaines observances cérémonielles de l’Ancien ; simplement, selon les autres, que les disciples étaient encore trop faibles pour mener une vie austère et pénitente. Nous avons examiné ces deux opinions dans l’Évangile selon S. Matthieu, 9, 17. — Personne ne coud… « Par ces deux comparaisons des vv. 21 et 22, (...) Jésus veut enseigner que pour recevoir sa doctrine, entrer dans la vie nouvelle qu’il inaugure, ses disciples doivent être animés d’un esprit nouveau, incompatible avec la stricte observance des traditions pharisaïques dénuées de réelles autorité. A cette heure de son ministère, il s’agit immédiatement pour Jésus de dégager ses disciples de tout lien sectaire pour se les attacher à lui seul comme Maître. Mais le principe est posé. Un jour viendra où, à la lumière conjointe du Saint-Esprit et de l’expérience chrétienne, ce ne seront pas seulement les observances pharisaïques, mais le Judaïsme lui-même qui apparaîtra aux disciples comme un vêtement usé qu’on ne peut coudre au Christianisme : l’Église se séparera de la Synagogue. » Cf. J. Huby, s.j., l’Évangile selon saint Marc, Paris, 1948, Les Éditions du Cerf, p.24.
Mc2.22 Et personne ne met du vin nouveau dans des outres vieilles : autrement, le vin fait rompre les outres et le vin se répand et les outres sont perdues. Mais le vin nouveau doit se mettre dans des outres neuves." — Troisième image. Personne ne met du vin nouveau… Un hymne d’Adam de saint Victor pour la fête de la Pentecôte abrège ainsi la comparaison du Sauveur :
« Des outres neuves, non les vieilles,
sont adaptées au vin nouveau »
Dans de vieilles outres, la peau est incapable de résister à une vive pression, telle qu’est celle du vin nouveau. Quiconque l’oublierait, perdrait tout à la fois le contenant et le contenu. Le Seigneur répond avec une grande sobriété et avec enjouement. Il tire des vêtements et du vin (dont on se servait dans les banquets) des paraboles joyeuses, pour confondre la tristesse des plaignards.
Marc 2, 23‑28. Parall. Matth. 12, 1‑8 ; Luc 2, 1‑5.
Mc2.23 Il arriva, un jour de sabbat, que Jésus traversait des champs de blé et ses disciples, tout en s'avançant, se mirent à cueillir des épis. — Il arriva. Cf. v. 15. La date fixée par S. Luc, 6, 1, malgré l’incertitude qui règne, autour d’elle, semble indiquer que l’épisode des épis n’eut pas lieu immédiatement après la vocation de Lévi, mais à une époque plus tardive. S. Marc aurait donc suivi en cet endroit l’ordre logique et non celui des faits. — Un jour de sabbat. Voyez plus haut, Marc 1, 21 et l’explication. — Passant le long des blés un jour de sabbat, ses disciples se mirent… La phrase grecque est autrement construite, sa traduction littérale serait : « ils commencèrent à cheminer en arrachant des épis ». Quelques exégètes ont vu que les Apôtres s’avançaient jusque dans les champs pour prendre des épis. Mais comment se seraient‑ils permis un dégât aussi inutile, puisqu’ils avaient sur le bord du chemin plus d’épis qu’il ne leur en fallait ? D’après Fritzsche, les disciples auraient pour ainsi dire marqué leur chemin en le jonchant des épis égrenés qu’ils rejetaient. Un tel commentaire est‑il sérieux ? Le vrai sens semble pourtant bien simple : on n’a qu’à faire une légère transposition et l’on obtient cette phrase très claire : Chemin faisant, ils se mirent à arracher des épis. Que voulaient‑ils faire de ces épis ? Notre Évangéliste n’en dit rien ; mais le contexte le montre suffisamment ; cf. v. 26. Du reste, les deux autres synoptiques le racontent en toutes lettres : « ses disciples arrachaient des épis, et les mangeaient, après les avoir froissés dans leurs mains », Luc 6, 1 ; cf. Matth. 9, 1.
Mc2.24 Les Pharisiens lui dirent : "Voyez donc Pourquoi font-ils, le jour du sabbat, ce qui n'est pas permis ?" — Même dans le calme et la solitude de la campagne, Jésus n’est pas à l’abri de ses ennemis. Ils sont là pour incriminer aussitôt l’acte des disciples, dont ils rejettent sur lui toute la responsabilité. — Pourquoi font‑ils… ce qui n’est pas permis ? D’après ces esprits étroits, arracher quelques épis équivalait à moissonner. « Est coupable celui qui récolte du blé, le sabbat, de la quantité d’une figue » [Moïse Maïmonide, Schabb, c. 7.]. Les disciples avaient donc fait une œuvre servile, et violé par là‑même le repos du Sabbat. Voyez à ce sujet l’Évangile selon S. Matthieu, 12, 2. Les Juifs dits orthodoxes ont encore aujourd’hui, relativement au respect dû au sabbat, toute la largeur d’idées des Pharisiens.
Mc2.25 Il leur répondit : "N'avez-vous jamais lu ce que fit David lorsqu'il fut dans le besoin, ayant faim, lui et ceux qui l'accompagnaient : 26 comment il entra dans la maison de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar et mangea les pains de proposition, qu'il n'est permis de manger qu'aux prêtres seuls et en donna même à ceux qui étaient avec lui ?" — Jésus s’empresse de défendre les Apôtres contre l’injuste accusation de ses adversaires. Son argumentation vigoureuse, à laquelle les délateurs n’eurent rien à répondre, se compose de deux parties, l’une historique, l’autre rationnelle. — Premier argument, v. 25 et 26. — N’avez‑vous jamais lu ? Regarde, s’étaient écriés les Pharisiens. Lisez. s’écrie à son tour le divin Maître. Il renvoie ces Docteurs aux Saints Livres qu’ils étaient chargés d’interpréter. — Ce que fit David. Cf. 1 Samuel 21, 6. L’incident s’était passé à Nob, au temps où David fuyait la colère de Saül. Pressé un jour par le besoin (lorsqu’il fut dans le besoin, ce détail est spécial à S. Marc : il est important pour ramener l’exemple de David au cas des disciples), le royal proscrit alla demander des vivres au grand‑prêtre qui, n’ayant alors sous la main que les pains de proposition, n’hésita pas à les lui livrer, bien qu’il fût permis aux seuls prêtres de manger cette nourriture consacrée. — Au temps du grand prêtre Abiathar, c’est‑à‑dire durant le pontificat d’Abiathar. Nous disons dans le même sens : sous Pie IX, sous Léon XIII. La mention expresse du nom du grand‑prêtre alors régnant est une nouvelle particularité du récit de S. Marc. Toutefois, elle crée une très grande difficulté, puisque, d’après 1 Samuel 21, 1 et ss., le grand‑prêtre qui remit à David les pains de proposition ne fut pas Abiathar, mais son père Achimélech. Pour résoudre ce problème exégétique, on a fait plusieurs hypothèses. Il suffira de citer les principales. 1° Abiathar serait une faute de copiste, pour Achimélech. 2° L’Évangéliste, mal servi par sa mémoire, aurait confondu les deux noms. 3° Le grand‑prêtre d’alors se serait appelé en même temps Abiathar et Achimélech : de là l’emploi de noms différents par les deux écrivains sacrés. 4° Abiathar, comme précédemment les fils d’Héli, 1 Samuel 4, 4, aurait été le coadjuteur de son père dans les fonctions du souverain Pontificat : c’est pourquoi il put donner de ses propres mains les pains de proposition au prince fugitif. 5° Quoiqu’il ne fût pas alors grand‑prêtre, Abiathar était néanmoins employé au service du tabernacle. On le nommerait ici de préférence à son père à cause de la célébrité qu’il acquit plus tard sous le règne et au service de David. Les deux dernières opinions sont les plus vraisemblables : la seconde est rationaliste ; la première et la troisième ne reposent sur aucun fondement solide. — Dans la maison de Dieu : c’était alors un simple tabernacle, une simple tente. — Et en donna à ceux qui étaient avec lui. Plus exactement, d’après le récit du 1er livre de Samuel, le grand‑prêtre remit les pains à David, qui s’était seul présenté dans le tabernacle. Les compagnons du prince étaient restés à quelque distance.
Mc2.27 Il leur dit encore : "Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat, — Il leur dit encore. S. Marc signale par cette formule de transition le second argument de Jésus, compris dans les vv. 27 et 28. Ce nouveau raisonnement se compose de deux principes de la plus haute importance, non seulement pour le point particulier qui était à résoudre, mais encore d’une manière générale relativement aux observances religieuses. — Le sabbat a été fait pour l’homme… Premier principe, qui ne se trouve que dans la rédaction de S. Marc. C’est là une vérité aussi profonde qu’elle est obvie : mais la « micrologie » pharisaïque l’avait complètement obscurcie, en faisant du sabbat un but, tandis qu’il n’était qu’un moyen. Ainsi donc, le sabbat a été établi en vue de l’homme, pour son bien spirituel et temporel : par conséquent, faire souffrir l’homme à cause du sabbat, c’est aller contre l’institution divine et renverser l’ordre naturel des choses. Plusieurs Rabbins l’avaient compris, entre autres R. Jonatha ben‑Joseph, qui disait : « Le sabbat a été livré entre vos mains, mais vous n’avez pas été livrés entre les siennes, car il est écrit : Le sabbat est pour vous (Exode 16, 29) » [R. Jonatha ben‑Joseph, Ioma, f. 85, 2.]. Les contemporains de Jésus ne jugeaient pas de la même manière. — Voyez au second livre des Macchabées, 2Macc. 5, 19, un principe analogue à celui de Jésus : « Dieu n’a pas choisi le peuple à cause du lieu, mais le lieu à cause du peuple ».
Mc228 c'est pourquoi le Fils de l'homme est maître même du sabbat." — Second principe, encore plus relevé que le premier : L’autorité du Christ est bien supérieure au sabbat. Jésus oppose donc maintenant son autorité messianique aux mesquines vexations des Pharisiens. — L’expression c’est pourquoi a été différemment comprise. Plusieurs exégètes la traduisent par « au reste, en fin de compte » (cf. Fr. Luc de Bruges), parce que, disent‑ils, elle n’introduit pas une conséquence rigoureuse des paroles qui précèdent, mais un argument nouveau et péremptoire. « Après tout (telle serait la pensée de Jésus), je puis dispenser mes disciples de la loi au sabbat, en vertu des pouvoirs dont je jouis comme Christ ». Mais n’est‑il pas plus naturel de conserver le sens de « en conséquence », et d’admettre une liaison réelle entre le v. 27 et le nôtre ? Si le sabbat est fait pour l’homme, comme Jésus vient de le dire, il est bien évident que le Fils de l’homme, c’est‑à‑dire le Messie, en est le Maître, et qu’il a le droit de dispenser à son sujet comme il lui plaît.
CHAPITRE 3
Marc 3, 1‑6. Parall. Matth. 12, 9‑14 ; Luc 6, 6‑10.
Mc3.1 Jésus étant entré une autre fois dans la synagogue, il s'y trouvait un homme qui avait la main desséchée. — Dans cet épisode, comme dans celui qui précède, nous voyons Jésus ramener le sabbat à son véritable esprit, de même qu’il avait fait un peu plus haut pour le jeûne. Cf. Marc 2, 18‑22. Ce n’était pas sans besoin, car peu de lois avaient été autant torturées par les Pharisiens, et par là même autant éloignées des intentions que Dieu s’était proposées en les instituant. — Jésus entra de nouveau dans la synagogue. « De nouveau » nous reporte au v. 21 du chap. 1, où nous avions déjà vu le Sauveur entrer dans une synagogue pour y opérer un grand miracle. Au point de vue chronologique, Luc 6, 6, a ici une note importante : « Il arriva, un autre jour de sabbat ». D’après le récit de S. Marc, on pourrait croire que l’incident qui va suivre eut lieu le même jour que celui des épis. — Une main desséchée. Cette expression désigne une paralysie locale, qui privait le pauvre infirme de l’usage de sa main. Jéroboam avait été miraculeusement atteint d’un mal semblable pour sa conduite sacrilège. Cf. 1 Samuel 13.4.
Mc3.2 Et on l'observait pour voir s'il le guérirait le jour du sabbat, afin de pouvoir l'accuser. — On l’observaient. « les scribes et les pharisiens », ajoute S. Luc, 6, 7. Le verbe est pris en mauvaise part (ils l’observaient de côté), comme il ressort du contexte. Cf. Luc 20, 20 ; Ac 9, 24. En soi, le verbe grec signifie simplement « diriger les yeux avec curiosité » ; dans le cas présent, les Pharisiens observent parce qu’ils épient. — Pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat. D’après les prescriptions imposées par les Docteurs de la Loi, à part le cas d’extrême urgence, toute opération médicale était sévèrement interdite aux jours de sabbat. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 12, 10. Jésus se montrera‑t‑il docile aux traditions ? Ses adversaires espèrent bien que non, car ils sont désireux de trouver contre lui quelque grave motif d’accusation : afin de l’accuser. Voilà leur but unique bien marqué.
Mc3.3 Jésus dit à l'homme qui avait la main desséchée : "Tiens-toi là debout au milieu", — Les regards scrutateurs de ses ennemis n’épouvantent pas Jésus. Au contraire, pour mieux attirer l’attention de toute l’assemblée, d’une voix ferme il commande à l’infirme de se placer au centre de la synagogue. Le divin Thaumaturge veut le grand jour pour ses actions.
Mc3.4 puis il leur dit : "Est-il permis le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver la vie ou de l'ôter ?" Et ils se taisaient. — Puis il leur dit, au présent, de même dans les vv. 3 et 5. S. Marc raconte la scène d’une façon vivante et dramatique : on croirait encore y assister. — Est‑il permis… D’après S. Matthieu, ce seraient les Pharisiens qui auraient eux‑mêmes demandé à Jésus : Est‑il permis de guérir en un jour du Sabbat ? L’accord se fait aisément entre les deux narrations, si l’on admet que le Sauveur répondit à leur question par une contre‑question analogue. Il employait volontiers cette tactique pour mettre dans l’embarras ses interrogateurs insidieux. Mais la contre‑question est arrangée de telle sorte qu’elle résout vraiment le problème proposé. — De faire du bien ou du mal . Dilemme habile, proposé sous une forme abstraite : bien faire ou mal faire en général, ou mieux encore, faire du mal ou du bien. — De sauver la vie ou de l’ôter. C’est la même alternative, exprimée sous la forme concrète, et plus directement appliquée à la situation actuelle. L’hébreu נפש, ne désigne pas ici l’âme proprement dite, mais la vie, toute créature vivante. « Ôter », en grec ἀποκτεῖναι, tuer. Jésus va faire le bien et sauver ; les Pharisiens et les Scribes, en ce même jour (Cf. v. 6), vont former de noirs projets d’homicide. Qui d’entre eux profanera le Sabbat et son repos ? Ainsi donc, d’après la vigoureuse argumentation du divin Maître, bien faire et mal faire sont des choses générales, indépendantes des circonstances de temps ; guérir est une bonne œuvre, qui convient très bien pour un jour sanctifié. « S’il est permis de faire le bien en un jour de sabbat, c’est en vain que vous m’épiez ; si cela est défendu, alors Dieu transgresse ses propres lois, puisque, même aux jours de Sabbat, il permet au soleil de se lever, à la pluie de tomber, à la terre de porter des fruits » (Chaîne grecque sur S. Marc.). — Mais ils se taisaient. Ils sont saisis entre les tenailles du dilemme, et, pour éviter de se compromettre en répondant, ils préfèrent garder un humiliant silence qui les condamne. S. Marc a seul noté ce trait saisissant. — Voir dans S. Matthieu, 12, 41-42, un argument « ad hominem » adressé par Jésus aux Pharisiens.
Mc3.5 Alors, les regardant avec colère et attristé de l'aveuglement de leur cœur, il dit à cet homme : "Étends ta main." Il l'étendit et sa main redevint saine. — Toute la première moitié de ce verset contient de nombreux détails particuliers à S. Marc. — les regardant. Jésus embrasse tous ses ennemis, l’un après l’autre, dans ce regard noble et ferme, devant lequel leurs propres yeux durent se baisser humblement. Notre Évangéliste aime à décrire les regards de Jésus. Cf. Marc 3, 34 ; 5, 32 ; 10, 23 ; 11, 44. — avec colère... Il aime à décrire aussi les sentiments humains qui agitaient son âme. Il signale ici un mouvement de sainte colère. C’est le seul endroit des Évangiles où il est dit que le Sauveur ait été ému par cette passion. Ou plutôt, comme s’exprime Fr. Luc, « La colère est en nous une passion ; dans le Christ, elle était une action. En nous, elle surgit spontanément, mais le Christ, lui, la suscite. En jaillissant en nous, elle trouble les autres puissances du corps et de l’âme ; et elle ne peut pas être réprimée par le libre arbitre. Excitée par le Christ, elle meut ce qu’il veut qu’elle meuve, et elle ne trouble rien. Elle s’apaise ensuite par l’action de sa volonté ». En effet, « Les sens corporels (du Christ) étaient pleins de vigueur, sans la loi du péché ; et la vérité de ses affections était soumise à la modération qu’apportaient la déité et sa raison » [Saint Léon Ier le Grand, Lettre 11.]. En Jésus, tout était pur et parfait. — Attristé. Étrange association, ce semble : la tristesse et la compassion unies à la colère. Et pourtant l’expérience, aussi bien que la psychologie, justifie ce mélange de sentiments qui ne sont en aucune façon contradictoires. Jésus s’irrite contre le péché, il s’apitoie sur les pécheurs ; ou bien, sa colère ne dure qu’un instant, une vive et perpétuelle sympathie la remplace aussitôt. — De l’aveuglement de leur cœur. Le substantif grec πωρώσις désigne plutôt l’endurcissement que la cécité du cœur : πωρόω signifie même pétrifier. Cf. Marc 6, 52 ; 8, 46 ; Jean 12, 40 ; 2Corinthiens 3, 14. Une haine implacable contre Jésus avait endurci le cœur des Pharisiens. — Étends ta main : le récit est aussi rapide que les faits. Jésus avait déjà opéré d’autres prodiges en des jours de Sabbat. Cf. Marc 1, 21‑29. Il en opérera d’autres encore, Jean 5, 9 ; 9, 14 ; Luc 13, 14 ; 14, 1. Ses ennemis ne lui pardonneront jamais cette sainte liberté ; aussi les Évangiles apocryphes nous les montrent‑ils lançant contre Jésus, à l’époque de son jugement, cette accusation avec une insistance particulière.
Mc3.6 Les Pharisiens, étant sortis, allèrent aussitôt s'entendre contre lui avec les Hérodiens, pour tâcher de le perdre. — Les pharisiens, étant sortis, tinrent aussitôt... Mais dès aujourd’hui nous les voyons, emportés par leur rage fanatique, ourdir les plus noirs complots. « aussitôt » : ils ne perdent pas un instant ; la haine qui les aiguillonne les rend prompts à agir. — Avec les Hérodiens. Sur le caractère et les tendances de ce parti, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 22, 15. C’étaient les « conservateurs‑libéraux » du temps. Ils formaient un parti beaucoup plus politique que religieux : or, précisément au point de vue politique, la popularité croissante de Jésus pouvait les effrayer, d’autant mieux que la résidence du tétrarque Hérode Antipas était non loin de là, à Tibériade. De là leur alliance avec les Pharisiens, quoique les deux sectes fussent entre elles aussi peu homogènes que le blanc et le noir. — pour tâcher de le perdre. L’alliance est conclue dans ce but : la clause en sera fidèlement exécutée des deux côtés, car, pendant la Semaine Sainte, Marc 12, 13, nous trouverons les parties contractantes agissant de concert pour perdre Jésus. Le détail de cette convention inique est propre à notre Évangéliste.
Marc 3, 7‑12. Parall. Matth. 12, 5‑21 ; Luc 6, 17‑19.
Mc3.7 Jésus se retira vers la mer avec ses disciples et une foule nombreuse le suivit de la Galilée, de la Judée, 8 de Jérusalem, de l'Idumée et d'au-delà du Jourdain. Ceux des environs de Tyr et de Sidon, ayant appris les choses qu'il faisait, vinrent aussi à lui en grande foule. — Jésus se retira avec ses disciples vers la mer. « Mais Jésus, le sachant, s’éloigna de là », lisons‑nous dans Matth. 12, 15. C’est donc la connaissance des projets sanguinaires des Pharisiens, v. 6, qui engagea le Sauveur à se retirer, par mesure de prudence, dans les solitudes qui environnent le lac. Voyez Marc 1, 35 et le commentaire. Toutefois, comme l’avait dit le Prophète, Isaïe 35, 1, « Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent. Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose ». Voici que le désert s’anime et se peuple sous l’influence de l’affection qu’on porte à Jésus. — Une foule nombreuse le suivit. Cette foule, attirée, dit le v. 8, par la renommée des œuvres de Notre‑Seigneur, vient de toutes les régions de la Palestine : les habitants du Nord (de la Galilée, proche de Tyr et Sidon) se rencontrent auprès de Jésus avec ceux de l’Est (au‑delà du Jourdain) et du Sud (la Judée, Jérusalem), même du Sud le plus lointain (l’Idumée), de manière à former, répète l’Évangéliste avec une certaine emphase, une immense multitude. — La ville de Jérusalem, bien qu’elle fût comprise dans la Judée, est nommée à part à causée son importance spéciale. Les mots « au‑delà du Jourdain » représentent la province de Pérée dans son étendue la plus vaste. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 19, 1. L’Idumée faisait alors partie de l’état juif, auquel elle avait été incorporée par les princes Asmonéens : ses habitants avaient dû adopter le culte mosaïque. Elle était gouvernée par Arétas, beau‑père du tétrarque Hérode. C’est la seule fois que son nom apparaît dans les écrits du Nouveau Testament. Nous devons à S. Marc de contempler les descendants d’Ésaü réunis, malgré des haines invétérées, aux fils de Jacob aux pieds du Christ. D’après cette énumération, une seule province, la Samarie, n’était pas représentée auprès de Jésus : cela provenait de la profonde antipathie qui séparait les Samaritains des Juifs. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 5.
Mc3.9 Et il dit à ses disciples de tenir toujours une barque à sa disposition, afin qu'il ne fût pas pressé par la foule. — Une barque. En grec et en latin un diminutif : une petite barque, une nacelle. Voilà la flotte de Jésus. — Il dit … de lui tenir prête... c’est‑à‑dire « il ordonna ». Ordre aussi intéressant en lui‑même que dans son but. H. Étienne, donne la définition suivante du verbe employé ici dans le texte grec primitif : « Avec patience et persévérance, j’insiste, je m’acharne, ou je répète la même chose régulièrement et fréquemment ». Ce que Jésus demandait, c’était donc que la barque en question fût mise en réserve pour son usage, et qu’elle fût constamment à sa disposition au bord du lac. Grâce à ce moyen, il pouvait, d’une part, s’échapper de temps en temps et gagner les solitudes de l’Est, d’autre part, prêcher plus à l’aise de cette chaire improvisée, sans être trop pressé par la foule. — On a fait observer que Notre‑Seigneur semble avoir aimé les lacs et les montagnes, les deux spectacles de la nature qui renferment le plus de beautés et qui parlent le plus aux âmes vives et délicates.
Mc3.10 Car, comme il guérissait beaucoup de gens, tous ceux qui avaient quelque mal se jetaient sur lui pour le toucher. — Il en guérissait beaucoup. Il paraît y avoir eu dans la Vie publique du Sauveur des périodes plus spécialement consacrée aux miracles, d’autres en grande partie réservées à la prédication, quoique régulièrement ces deux choses fussent unies de manière à s’appuyer l’une l’autre. L’époque actuellement décrite par S. Marc fut un temps de nombreux prodiges. — Tous… se jetaient sur lui ; littéralement, au point qu’on tombait sur lui. Trait tout à fait graphique, qui reproduit la scène sous nos yeux. — Pour le toucher. Motif de cet empressement, des pauvres malades. Et le bon Jésus se laissait faire. — Quelque mal, en grec μάστιγας, des fouets, des coups de fouet. Ce mot, de même que l’hébreu שוט R 1 1 Rois 12, 11, désigne au figuré toute sorte de souffrances physiques. Cf. v. 29, 34 ; Luc 7, 21. Son emploi dans cette acception provenait de l’antique croyance que les maladies étaient toujours des châtiments divins.
Mc3.11 Les esprits impurs, en le voyant, se prosternaient devant lui et s'écriaient : "Vous êtes le Fils de Dieu", — Les esprits impurs… se prosternaient. Quel beau et frappant contraste. Les malades se jettent sur Jésus afin d’obtenir leur guérison ; les possédés se prosternent devant lui, reconnaissant, son caractère messianique, et le conjurant sans doute, comme en d’autres circonstances, de les laisser en paix. Remarquez qu’on parle des esprits immondes comme s’ils n’eussent fait qu’une seule et même chose ; avec les malheureux dont ils s’étaient emparés. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu. — En le voyant indique un fait habituel et constant.
Mc3.12 mais il leur défendait avec de grandes menaces de faire connaître qui il était. — Le Fils de Dieu, c’est‑à‑dire le Messie en tant qu’il était censé avoir avec Dieu les relations les plus étroites, il n’est pas probable que ce titre eût, dans la bouche des démons, le sens strict de « Fils naturel de Dieu ». — Il leur défendait, avec de sévères menaces… Nous avons recherché plus haut [cf. Marc 1.35 et la note] les motifs pour lesquels Jésus‑Christ imposait ainsi le silence aux démons, S. Matthieu, dans le passage parallèle, Matth. 12, 17‑21, relève une belle prophétie d’Isaïe que Jésus réalisait à cette époque de la façon la plus parfaite.
Marc 3, 13‑19.Parall. Matth. 10, 2‑4 ; Luc 6, 12‑16.
Mc3.13 Étant monté ensuite sur la montagne, il appela ceux que lui-même voulut et ils vinrent à lui. — Étant monté ensuite sur la montagne. La montagne témoin du choix des douze Apôtres fut très probablement celle de Kouroun‑Hattin, dont le lecteur trouvera la description dans l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 1. Elle était située à une courte distance du lac, qu’elle surplombe de son double sommet. L’article du texte grec suppose qu’il s’agit d’une montagne célèbre dans la contrée. C’est donc là que Jésus, après une prière mystérieuse et une veille solitaire, Luc 6, 12, choisit parmi ses disciples, déjà nombreux, douze hommes spéciaux, destinés à un rôle supérieur, et dont il voulait dès lors faire l’éducation en vue de leur destinée si importante pour son œuvre. — Il appela : il proclama sans doute leurs noms devant l’assistance, les désignant un à un et les groupant à ses côtés. Ce fut un moment bien solennel : il est solennellement décrit dans la narration pourtant bien simple de notre Évangéliste. — Ceux que lui‑même voulut. Mot de la plus haute gravité, qui dénote de la part de Jésus un choix tout à fait libre, quoique basé sur les plans éternels de Dieu. Il appela ceux qu’il voulut. « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis », dira‑t‑il plus tard aux Douze, Jean 15, 16. Les Apôtres eux‑mêmes ne furent donc pour rien dans leur vocation, de même que leurs successeurs à divers degrés, Évêques ou Prêtres, ne doivent être pour rien dans la leur. « On ne s’attribue pas cet honneur à soi‑même, on est appelé par Dieu, comme Aaron ». Hébreux 5, 4. Non, personne, pas même le Christ, continue le grand Apôtre : « Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui‑même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit... Tu es prêtre de l’ordre de Melchisédek pour l’éternité ». — Et ils vinrent à lui. Voilà donc le cercle intime des Douze définitivement constitué ; les vocations antérieures dont les membres du Collège apostolique avaient été l’objet n’étaient que des degrés préliminaires et préparatoires à la grande installation faite en ce moment par Jésus.
Mc3.14 Il en établit douze pour les avoir avec lui et pour les envoyer prêcher, 15 avec le pouvoir de guérir les maladies et de chasser les démons. — Dans ces deux versets, S. Marc détermine avec beaucoup de clarté l’office et le rôle des Apôtres. — Il en établit douze… La première note de l’Évangéliste est donc relative au nombre des Apôtres. Ce fut un nombre mystique : douze Apôtres, de même qu’il y avait eu douze patriarches. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 2. — Pour les avoir avec lui. Second renseignement de S. Marc, relatif à l’un des principaux rôles des élus de Jésus : les Apôtres devaient vivre habituellement auprès du Maître, pour être témoins de sa prédication, de ses miracles, de sa conduite, et pour recevoir sa formation directe. Cf. Actes 1, 21. — Et pour les envoyer prêcher… Troisième renseignement, qui détermine une autre fonction apostolique. Apôtre signifie envoyé : les Douze seront, comme leur nom l’exprime, les ambassadeurs de Jésus, ses légats à ses côtés ; il les enverra porter, d’abord dans la Palestine, puis sur toute la terre, la bonne nouvelle du salut. — Et il leur donna le pouvoir… Pour que ses Apôtres fussent capables d’exercer avec plus d’autorité le ministère de la prédication, Jésus les munit de pouvoirs extraordinaires, surnaturels, qui seront comme leurs lettres de créance. Ces pouvoirs ne diffèrent pas de ceux que nous avons vu le Sauveur lui‑même exercer à différentes reprises d’après le récit évangélique. Ils sont de deux sortes : l’un permettra aux Apôtres de guérir les maladies, par l’autre ils pourront d’un mot expulser les démons.
Mc3.16 A Simon il donna le surnom de Pierre, — Après avoir signalé les pouvoirs conférés par Jésus à ses Apôtres, l’Évangéliste donne la liste complète des Douze, que nous nous contenterons de parcourir rapidement. On trouvera dans notre commentaire sur S. Matthieu, 10, 2‑4, d’assez nombreux détails sur les nomenclatures du même genre renfermées dans les écrits du Nouveau Testament, sur leur organisation intérieure, sur chaque Apôtre en particulier et sur l’ensemble du collège apostolique. — Simon… La liste commence d’une façon assez extraordinaire au point de vue du style. Quelques manuscrits grecs ont la variante « le premier, Simon », qui semble être un emprunt fait à Matth. 10, 2. — Le nom de Pierre. Jusqu’ici, S. Marc a toujours donné au prince des Apôtres son nom primitif de Simon ; désormais il l’appellera Pierre. Cette dénomination symbolique, qui fit de Simon le roc inébranlable sur lequel Jésus devait fonder son Église, avait été promise au fils de Jona dès sa première entrevue avec Notre‑Seigneur, Jean 1, 42 ; mais il ne la reçut d’une manière définitive que durant la dernière période de la Vie publique, Matth. 16, 18.
Mc3.17 puis il choisit Jacques, fils de Zébédée et Jean, frère de Jacques, auxquels il donna le surnom de Boanergès, c'est-à-dire, fils du tonnerre, — Jacques, fils de Zébédée, ou saint Jacques le Majeur, le seul Apôtre dont le Nouveau Testament raconte la mort, Actes 12, 2. — Jean, le disciple que Jésus aimait, cf. Jean 13, 23 ; 19, 26, et celui des Douze qui vécut le plus longtemps. — il donna le surnom… Trait spécial à S. Marc. Ainsi donc, le Sauveur avait imposé des surnoms mystérieux à ses trois disciples privilégiés. — Boanergès. Ce mot n’a pas peu embarrassé les anciens philologues et commentateurs, qui ne trouvaient rien, dans la langue hébraïque, qui lui correspondit exactement. Ils le croyaient donc plus ou moins corrompu par son vêtement grec ou par les copistes. « Les fils de Zébédée ont été appelés fils du tonnerre. Non pas comme la plupart pensent : Boanerges, mais comme on le lit, après correction : Benereem » [Saint Jérôme de Stridon, in Danielem, c. 2.]. Et ailleurs : « En hébreu benereem : fils du tonnerre, lequel mot, par corruption, est habituellement écrit boanerges » [Saint Jérôme de Stridon, Liber interpretationis nominum Hebraicorum.]. Mais, quoique l’expression hébraïque la plus usitée pour désigner le tonnerre soit en effet רעם, rehem, il en existe deux autres plus rares et poétiques, רגש, réghesch, et רגז, reghez (Cf. Job 37.2), qui ont le même sens (comparez le chaldéen et l’arabe) et qui auront pu servir l’une ou l’autre à former le surnom des fils de Zébédée. Il est vrai que בני־רנש, B’nè‑réghesch, ou בני־רגז, B’nè‑reghez, diffèrent encore de Boanerges ; mais l’accord devient aussi parfait que possible si l’on se souvient que, d’après la prononciation araméenne et galiléenne, le Scheva simple, ou e muet, devenait régulièrement oa. De la sorte nous obtenons, avec רגש, Bouné‑réghesch ; avec רגז, Boané‑reghez, et cette dernière expression est tout à fait identique au grec Βοανεργές. — C’est‑à‑dire, Fils du tonnerre, c’est‑à‑dire « tonitruants » ; en effet, dans les langues sémitiques, en unissant les mots בן, בר, à un substantif, on forme l’adjectif ou le nom concret correspondant. Mais quelle est la signification de cet étrange surnom ? Disons d’abord que Jésus, en l’imposant à Jacques et à Jean, ne songeait nullement à leur infliger une censure, ainsi qu’on l’a souvent répété à la suite d’Olshausen. Les anciens avaient mieux compris cet acte du divin Maître. « Il appelle les fils de Zébédée ainsi parce qu’ils devaient répandre sur toute la terre les ordonnances grandioses et sublimes de la divinité » [S. Jean Chrysostome ap. Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea in marcum.]. C’est donc un éloge délicat que Jésus adresse ainsi aux deux frères, une magnifique prophétie qu’il fait à leur sujet. Les classiques emploient aussi le mot tonnerre comme symbole d’une éloquence irrésistible. Pour Columelle, Démosthène et Platon sont des « tonnants ». Il est probable cependant que Jésus‑Christ, par ce surnom, faisait en même temps allusion au caractère ardent, au zèle entreprenant des fils de Zébédée, zèle et caractère dont on aperçoit quelques traces dans les Évangiles. Cf. Luc 9, 54 ; Marc 9, 38 ; 10, 37. L’épithète de Boanergès étant collective et ne pouvant servir à désigner isolément les deux frères, on conçoit qu’elle n’ait pas fait d’autre apparition dans le récit évangélique.
Mc3.18 André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d'Alphée, Thaddée, Simon le Zélé, — André. Tandis que S. Matthieu, 10, 2‑4, et S. Luc, 6, 11‑16, associent les Apôtres deux à deux, S. Marc les mentionne simplement les uns à la suite des autres, en séparant leurs noms par une conjonction. Saint André ferme ici le premier des trois groupes apostoliques : nommé aussitôt après son frère dans les listes du premier et du troisième Évangile, il n’occupe dans celle du second que le quatrième rang. Cf. Actes 1, 13. — Philippe… S. Philippe, qui entendit le premier retentir à ses oreilles la belle parole « Suis‑moi », Jean 1, 43, bien qu’il n’ait reçu que plus tard l’appel proprement dit du Christ, S. Barthélemy que l’on confond généralement avec le bon Nathanaël, Jean 1, 45 et ss., S. Matthieu qui ne diffère pas du publicain Lévi, cf. Marc 2, 14, et S. Thomas, nommé en grec Didyme, Jean 11, 16 ; 21, 2, constituent le second groupe. — Le troisième se compose de S. Jacques le Mineur (fils d’Alphée), de Thaddée, nommé encore Lebbée et plus communément S. Jude, de Simon le Cananéen, c’est‑à‑dire le Zélote, enfin du traître, auquel un verset spécial a été réservé.
Mc3.19 et Judas Iscariote, qui le trahit. —Judas, l’homme de Carioth (Voyez Matth. 10, 4 et le commentaire), clôt ignominieusement la liste, de même que Simon‑Pierre l’ouvrait glorieusement. — Qui le trahit. Cette note infamante est presque toujours ajoutée à son nom dans l’Évangile, comme une juste et perpétuelle flétrissure. Origène, ne pouvant s’expliquer le mystère de la vocation de ce misérable traître, imagina qu’il n’avait pas été réellement appelé par Jésus comme les autres Apôtres, mais qu’il s’ingéra de lui‑même dans le collège apostolique, où il fut seulement toléré. Cette singulière opinion se trouve réfutée par le texte formel que nous lisions plus haut, v. 13, et qui s’applique à Judas tout aussi bien qu’aux autres : « il appela à lui ceux que lui‑même voulut ». Si l’on s’étonne d’abord que Jésus ait pu choisir un traître pour le placer parmi ses Apôtres, on n’a qu’à se souvenir qu’il « ne l’avait pas choisi pour être un traître et qu’il lui avait donné toutes les grâces nécessaires pour répondre à sa vocation. Le Sauveur voulait nous apprendre qu’on peut se perdre dans les vocations les plus saintes, et qu’en permettant le mal, la Sagesse divine devait en tirer un plus grand bien et le faire servir à sa gloire » [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, 5e édit., t. 2, p. 496.].
Marc 3, 20‑35. Parall. Matth. 12, 24‑50 ; Luc 11, 15‑32 ; 8, 19‑21.
Mc3.20 Ils revinrent à la maison et la foule s'y assembla de nouveau, de sorte qu'ils ne pouvaient pas même prendre leur repas. — Ils revinrent. Jésus avec ses proches, c’est‑à‑dire avec les douze Apôtres qu’il venait de se choisir. — à la maison. C’était probablement à Capharnaüm. — La foule s’y assembla. La scène racontée dans Marc 2, 2 se renouvelle une seconde fois, quoique d’une manière beaucoup plus pénible pour Jésus et pour ses disciples. Cette fois, en effet, le concours dura si longtemps, que le Sauveur et les Apôtres, attentifs aux besoins de la multitude qui, accourait sans cesse, n’avaient pas même le temps de penser aux leurs. Quelle force dans ces mots : de sorte qu’il ne pouvait pas prendre leur repas. Il est peu de détails aussi expressifs dans toute l’histoire évangélique, et c’est à S. Marc que nous devons cette ligne qui en vaut mille. — D’après le récit de notre Évangéliste, il semble que ce fait eut lieu immédiatement après le choix des douze Apôtres ; mais, si nous ouvrons une Concorde évangélique, nous voyons qu’il existe en cet endroit du second Évangile une lacune considérable. En effet, entre les deux événements, doit se placer le Discours sur la Montagne, que S. Marc passe entièrement sous silence. Cf. Matth. 5–7 ; Luc 6, 20 et ss. Mais nous avons vu dans la Préface, § 7, qu’il s’inquiète beaucoup plus des actes que des discours : de là cette importante omission. « En grande partie d’ailleurs, dit très bien M. Bougaud, le Sermon sur la Montagne est juif. Il traite de l’infériorité de la Loi, de la perversité des commentaires qu’y avaient joints les Pharisiens, et du couronnement de cette Loi en Jésus‑Christ : toutes choses que les Romains n’étaient pas préparés à comprendre » [Émile Bougaud, Jésus‑Christ, 2e édit., p. 79 et ss.]. Les points de morale universelle et éternelle que contient aussi ce discours, tels que « le sacerdoce qui est le sel de la terre, la lumière qu’il ne faut pas mettre sous le boisseau, la main droite qu’il faut couper si elle devient un scandale, l’unité et l’indissolubilité du mariage, la pureté du cœur, la prière, le pardon des injures », sont signalés en divers endroits par S. Marc, Jésus étant revenu plusieurs fois sur ces enseignements pleins de gravité.
Mc3.21 Ce que ses parents ayant appris, ils vinrent pour se saisir de lui, car ils disaient : "Il a perdu la tête." — Ici encore, nous avons une note propre à S. Marc, note bien étrange, assez obscure, et différemment interprétée par les commentateurs. — Ses parents ayant appris. Qu’est‑ce à dire, les siens ? Le texte grec est assez ambigu et pourrait, au besoin, désigner les disciples, comme le veulent divers exégètes. Néanmoins, la plupart des versions anciennes et des critiques supposent à bon droit qu’il s’agit des parents du Sauveur. En araméen, le mot cousin n’existe pas. Pour désigner les cousins, on dit « ses frères ». — Vinrent. D’où viennent‑ils ? Selon les uns, de Capharnaüm, où ils se seraient fixés en même temps que Jésus ; plus probablement, selon les autres, de Nazareth, où nous retrouverons bientôt les « frères » de Notre‑Seigneur. Marc 6, 3. Cf. Marc 1, 9. — Pour se saisir de lui. Cette expression ne peut avoir qu’un sens : se saisir de lui bon gré mal gré, le contraindre de les accompagner, et l’empêcher de se montrer en public. — Car ils disaient… C’est ici surtout qu’existent les divergences signalées plus haut. — Indiquons‑en d’abord la cause principale, en empruntant des paroles très sensées de Maldonat : « Ce passage pose quelque difficulté à la piété, car chaque personne a en horreur non seulement de croire et de penser que les parents du Christ aient dit ou aient pensé qu’il était fou. Un zèle pieux a fait rejeter à certains le sens propre de ces mots ; d’autres cherchèrent des interprétations qui semblaient moins rebutantes à la piété. Je ne serais pas surpris qu’en en cherchant de pieuses, ils en aient trouvé de fausses ». Ce « je ne serais pas surpris... » est un pur euphémisme. Les fausses hypothèses, qui se sont multipliées depuis le temps de Maldonat, portent déjà sur le sujet de « disaient ». Malgré la grammaire et la logique, on l’a tour à tour appliqué aux hommes en général (Rosenmüller), à quelques Juifs envieux (Euthymius), aux disciples de Jésus (Schœtten, Wolf), aux messagers qui seraient allés avertir les parents du Sauveur (Bengel), etc. — Toutefois, on a erré davantage encore sur le sens du mot grec ἐξέστη, que notre Vulgate a traduit par il a perdu l’esprit. D’anciens auteurs, mentionnés par Euthymius, lui donnaient la signification de « il s’en est allé ». Selon Kuinœl, il équivaut à « il est extrêmement las » ; d’après Grotius, il représente un évanouissement momentané ; d’après Griesbach et Valer, il désigne une apparence d’insanité, produite par un excès de fatigue. Schœttgen et Wolf lui conservent bien sa vraie signification de « il a perdu l’esprit » ; mais ce seraient, suivant eux, les disciples qui auraient appliqué ce jugement au peuple. etc. etc. Nous sommes heureux de voir que ces interprétations erronées sont pour la plupart le fait d’auteurs protestants, tandis que nos exégètes catholiques, anciens et modernes, ont presque toujours bien traduit et bien commenté le verbe [Voyez les commentaires de Bède le Vénérable, de Théophylacte, de Corneille de la Pierre, de Franç. Luc, de Noël Alexandre, de Jansénius, de MM. Schegg, Reischl, Bisping, etc.]. ‑ Cf. Ac 26, 24 ; 2Co 5, 13. Les proches du Sauveur affirmaient donc ouvertement qu’il avait perdu l’esprit, qu’il était devenu insensé par suite de son enthousiasme religieux. Quelque surprenante que paraisse d’abord leur conduite, elle devient plus explicable si l’on se rappelle une grave déclaration de l’évangéliste S. Jean. « Car ses frères non plus ne croyaient pas en lui », écrit‑il du Sauveur, en parlant d’une époque un peu plus tardive, Jean 7, 5. En ce moment, leur incrédulité commence. Ils ne se rendent pas compte de la nature et du rôle de Jésus : l’agitation qui se fait autour de son nom les inquiète ; à plus forte raison se troublent‑ils en pensant aux nombreux ennemis qu’il s’est suscités, et dont la haine pourra retomber sur toute sa famille. C’est alors qu’ils formulent le jugement odieux qui nous a été conservé par S. Marc. Rien n’empêche du reste d’admettre, à la suite de quelques exégètes, qu’ils avaient au fond de bonnes intentions, et, qu’en se montrant au dehors si sévères pour leur parent, ils se proposaient de l’arracher par‑là même plus commodément aux dangers dont ils le savaient entouré. Hâtons‑nous d’ajouter que tous les proches de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ne participèrent pas à cette appréciation, et qu’on ne saurait, sans blasphème, ranger sa très sainte Mère parmi ceux qui avaient de lui une telle opinion.
Mc3.22 Mais les scribes, qui étaient venus de Jérusalem, disaient : "Il est possédé de Béelzéboul et c'est par le prince des démons qu'il chasse les démons." — Les scribes qui étaient venus de Jérusalem… Ces Scribes étaient‑ils les mêmes que ceux dont il a été question dans la guérison miraculeuse du paralytique, Marc 2, 6, cf. Luc 5, 17 ? Ou bien formaient‑ils une nouvelle députation ? Les deux hypothèses sont soutenables. Quoi qu’il en soit, ce sont des ennemis déclarés de Jésus. Une malice infâme les anime contre lui : il leur suffit d’ouvrir la bouche pour le montrer. — Disaient : Il est possédé de Béelzéboul… D’après Matth. 11, 22 et s., cf. Luc 10, 14, le Sauveur avait guéri en leur présence un possédé qui était sourd et muet. Bien loin de voir, comme la foule, le doigt de Dieu dans ce prodige, ils osent profiter de cette occasion pour formuler contre le Thaumaturge la plus noire calomnie : Il est possédé de Béelzéboul, et c’est au nom du prince des démons qu’il expulse les démons. C’est ainsi que, ne pouvant nier la réalité de ses miracles, ils font du moins tous leurs efforts pour amener le peuple à croire qu’ils sont impurs et même sataniques dans leur source. M. Schegg cite fort à propos en cet endroit les deux proverbes : « Calomnier audacieusement enfonce toujours ses clous solidement. Le glaive coupe, la calomnie sépare les amis ». — Sur le nom de Béelzéboul, appliqué au prince des démons, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 25. M. Reuss propose une nouvelle étymologie, savoir les mots syriaques « Beël debôbo », maître de l’inimitié, c’est‑à‑dire l’ennemi par excellence [Édouard Reuss, Histoire évangélique, p. 282.]. Nous nous en tenons à celle que nous avons précédemment adoptée. — L’expression « Il est possédé de Béelzéboul » est spéciale à S. Marc : elle a une très grande énergie, et désigne une alliance intime de Jésus avec l’esprit mauvais.
Mc3.23 Jésus les appela et leur dit en parabole : "Comment Satan peut-il chasser Satan ? — Les appela. Jésus, attaqué dans sa sainteté, relève aussitôt le gant : il ne pouvait pas permettre que de pareilles accusations demeurent sans réplique. Il commence donc une habile et vigoureuse plaidoirie, que nous avons étudiée à fond dans le premier Évangile. S. Marc, selon sa coutume, ne nous en donne qu’un résumé rapide, bien qu’il ait très exactement reproduit les principaux arguments. — Leur dit en paraboles. Il faut prendre ici le mot parabole dans le sens large, comme synonyme de figure, comparaison. Les images abondent en effet dans l’apologie du Sauveur. Cf. vv. 24, 25, 27. « Il appelle paraboles des morales tirées de comparaisons : celle d’un royaume divisé ou d’une maison divisée, d’un homme fort qui abat une maison » [Thomas Cajetan, Evangelia cum Commentariis, Marci, c. 3.]. Le même auteur donne ensuite une excellente division du discours de Jésus tel que nous le lisons dans S. Marc. « La première raison qui prouve qu’il ne chasse pas les démons par Béelzéboul se tire de l’intérêt qu’aurait le démon à le faire. En concluant à l’invraisemblance, il dit que les démons travailleraient à la destruction de leur propre règne, si l’on acceptait cette hypothèse insoutenable. Comment alors ce règne se maintiendra‑t‑il ? Aucun tyran ne s’efforce de détruire son royaume ; il s’évertue plutôt à conserver son propre bien. La deuxième raison il la tire de lui‑même, à savoir qu’il chasse les démons par la main de Dieu. C’est une preuve induite de l’effet, ou du fruit, introduite toutefois du vocabulaire guerrier ». — Comment Satan peut‑il… C’est la première preuve ; elle va jusqu’à la fin du v. 26, et démontre l’absurdité de l’accusation portée contre Jésus : Ce que vous affirmez est tout simplement une impossibilité. Vous prétendez que je chasse les démons parce que je suis de connivence avec Béelzéboul, leur chef ; mais cela revient à dire que Satan est en guerre ouverte avec lui‑même, ce qui ne saurait être, car le démon ne luttera jamais contre le démon. La phrase « comment… peut‑il… » ne se trouve que dans notre Évangile.
Mc3.24 Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne saurait subsister, 25 et si une maison est divisée contre elle-même, cette maison ne saurait subsister. — À l’appui de cette assertion, Notre‑Seigneur apporte deux faits évidents empruntés l’un à la politique, v. 24, l’autre à la vie de famille, v. 25. — Si un royaume est divisé contre lui‑même. Un royaume divisé par des guerres intestines est un royaume ruiné. Satan ne l’ignore pas, et il se donnerait bien garde de partager ainsi son empire en accordant à quelqu’un, contre ses propres sujets, un pouvoir qui deviendrait bientôt désastreux pour l’enfer. — Et si une maison est divisée contre elle‑même… ; à part maison au lieu de royaume, les mots sont tout à fait les mêmes qu’au v. 24. C’est donc une histoire identique : maison divisée, maison ruinée, comme maint exemple historique le démontre.
Mc3.26 Si donc Satan s'élève contre lui-même, il est divisé, il ne pourra subsister et sa puissance touche à sa fin. — Si donc Satan... Conclusion manifeste qui ressort des deux faits d’expérience signalés plus haut. Royaume divisé, royaume ruiné ; famille divisée, famille ruinée : par comparaison, Satan divisé, Satan ruiné : c’en est fait de lui et de sa puissance. Quelle simplicité, et pourtant quelle force d’argumentation.
Mc3.27 Nul ne peut entrer dans la maison du fort et enlever ses meubles, si auparavant il ne l'enchaîne et alors il pillera sa maison. — Nous passons à la seconde preuve, qui consiste en un nouvel exemple familier. Un guerrier armé de pied en cap monte la garde à l’entrée de sa maison. Pour qu’on y pénètre et qu’on la pille, que faudra‑t‑il ? Il faudra vaincre tout d’abord et garrotter le propriétaire vigilant et robuste. Mais, cela fait, on en sera le maître absolu. Or, des deux guerriers de cette parabole, l’un représente Satan, l’autre est Jésus lui‑même ; la maison avec les objets qu’elle renferme figure les possédés que Jésus délivre du joug honteux des démons. La conclusion est claire, bien qu’elle ne soit pas exprimée : Donc, Jésus est plus fort que Satan ; par conséquent, il n’a rien à recevoir de lui.
Mc3.28 En vérité, je vous le dis, tous les péchés seront remis aux enfants des hommes, même les blasphèmes qu'ils auront proférés. 29 Mais celui qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint n'obtiendra jamais de pardon, il est coupable d'un péché éternel." — Après avoir ainsi réfuté leur accusation aussi insensée qu’injurieuse, le divin Maître donne aux Pharisiens un avertissement des plus graves : Prenez bien garde à la faute que vous commettez en osant me calomnier ainsi : c’est un de ces péchés que la miséricorde de Dieu, pour infinie qu’elle soit, ne saurait pardonner. — En vérité, je vous le dis : formule par laquelle Jésus aimait à attirer l’attention sur quelque point important de ses discours. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 18. — Tous les péchés seront remis… Les pécheurs contrits et humiliés, quels qu’aient été leurs méfaits, n’ont qu’à se présenter au divin tribunal : ce n’est pas un Juge sévère, mais un Père aimant, qui recevra ces prodigues. « Lavez‑vous, purifiez‑vous, ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien : recherchez le droit, mettez au pas l’oppresseur, rendez justice à l’orphelin, défendez la cause de la veuve... Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront aussi blancs que neige. S’ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme de la laine ». Isaïe 1, 16‑18. — Péché représente le genre ; blasphème une espèce particulière, en vue du crime impardonnable qui va être nommé. — Celui qui aura blasphémé contre l’Esprit‑Saint. Sur la nature de ce péché, voir Matth. 12, 31 et notre commentaire. Le blasphème contre l’Esprit‑Saint est moins un acte qu’un état peccamineux, dans lequel on persévère sciemment et volontairement : c’est pour cela qu’il ne saurait être pardonné, le pécheur n’offrant pas les dispositions requises. — Sera coupable d’un péché éternel… Ces mots qui terminent le v. 29 n’ont été conservés que par S. Marc. Ils forment une confirmation énergique de la pensée précédente : Non, les blasphémateurs impies du Saint‑Esprit n’obtiendront jamais de pardon, mais ils expieront éternellement leur faute. Cet emploi d’une proposition affirmative à la suite d’une proposition négative, pour répéter la même idée en la renforçant, est quelque chose de tout à fait oriental. — Un péché éternel. Un péché éternel est celui qui ne sera jamais pardonné, pour lequel, par conséquent, on subira un châtiment éternel.
Mc3.30 Jésus parla ainsi, parce qu'ils disaient : "Il est possédé d'un esprit impur." — S. Marc fait ici une réflexion qui lui est propre, et il la fait en termes elliptiques. Il faudrait, pour que la pensée fût complète : « Il parlait ainsi parce qu’ils disaient… » L’Évangéliste se propose donc d’indiquer brièvement le motif qui inspirait à Jésus un langage si sévère. — Il est possédé d’un esprit impur. En proférant ces affreuses paroles, les Pharisiens commettaient précisément, ou du moins ils couraient le risque de commettre le péché irrémissible : c’est pourquoi le Sauveur, toujours charitable, les avertissait du grand danger dans lequel ils étaient tombés au point de vue de leur salut.
Mc3.31 Sa mère et ses frères étant venus, ils se tinrent dehors et l'envoyèrent appeler. 32 Or le peuple était assis autour de lui et on lui dit : "Votre mère et vos frères sont là dehors, qui vous cherchent." — Cependant, ce qui rattache l’incident actuel au v. 21. Marie accompagne les proches de Jésus ; mais il est inutile de répéter qu’elle n’entrait nullement dans leurs vues. — Se tinrent dehors. S. Luc (8, 19) dit pourquoi ils restèrent ainsi en dehors de la maison où se trouvait alors Notre‑Seigneur (cf. v. 20) : « ils ne pouvaient l’aborder, à cause de la foule ». — Ils l’envoyèrent appeler. C’est là encore un de ces détails précis qui n’existent que dans le second Évangile. Il en est de même du suivant, qui est si pittoresque : le peuple était assis autour de lui.
Mc3.33 Il répondit : "Qui est ma mère et qui sont mes frères ?" 34 Puis, promenant ses regards sur ceux qui étaient assis autour de lui : "Voici, dit-il, ma mère et mes frères. — Qui est ma mère… ? Par cette question, Jésus a pour but d’attirer l’attention de la foule sur la parole qu’il va prononcer. Cela fait, il jette sur tous ceux qui l’entourent un regard plein d’affection et de douceur, promenant ses regards ; puis il s’écrie : Voici ma mère.… Il n’y a eu que Jésus au monde pour tenir un pareil langage. — La mention du regard est spéciale à S. Marc : S. Matthieu, 12, 49, avait signalé un autre geste du Sauveur : « Et étendant sa main sur ses disciples ». C’est ainsi que les Évangélistes se complètent, tout en gardant une parfaite indépendance. — Au lieu de la leçon promenant ses regards sur ceux qui étaient assis autour de lui, qui a été suivie par la Vulgate et qu’on lit dans plusieurs manuscrits (B, C, L, Sinait. ; etc.), le grec ordinaire porte simplement promenant ses regards.
Mc3.35 Car quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère." — Jésus explique son assertion si extraordinaire du verset précédent. Ce que l’identité du sang produit entre les proches, l’accomplissement parfait de la volonté divine l’opère entre tous les hommes sans distinction. C’est un lien qui les unit beaucoup plus étroitement les uns aux autres, et au Seigneur Jésus, que celui de la maternité, de la fraternité proprement dite. « Il ne dit pas cela en reniant sa mère, mais en montrant qu’elle n’est pas digne d’honneur uniquement pour l’avoir enfanté, mais à cause des autres vertus dont elle était douée ». Euthymius. De la sorte, Marie était donc deux fois la mère de Jésus. — Ces paroles et cette conduite du Sauveur enseignent admirablement au prêtre ce qu’il doit être dans ses relations de famille. Mais, il y a là aussi pour lui un grand sujet de consolation, très bien exprimé dans les réflexions suivantes de Bède le vénérable : « Il y a là de quoi s’étonner grandement. Comment celui qui fait la volonté de Dieu peut‑il être appelé la mère du Christ ?… Mais il nous faut savoir que si l’on devient le frère et la sœur de Jésus en croyant, on devient sa mère en prêchant. Car c’est comme s’il enfantait le Seigneur celui qui le fait entrer dans le cœur de l’auditeur. Il devient donc sa mère, si, par sa voix, il engendre l’amour du Seigneur dans l’esprit du prochain » [Bède le vénérable, In Marci Evangelium expositio, lib. 1, c. 3.].
CHAPITRE 4
Les paraboles du royaume des cieux.
Malgré la réserve extraordinaire de notre Évangéliste toutes les fois qu’il s’agit de rapporter les discours du Sauveur, il fait néanmoins deux exceptions à la règle qu’il s’était imposée d’omettre presque entièrement les paroles pour aller droit aux actes. Nous trouvons ici même la première de ces exceptions : la seconde viendra au chap. 13. Elles s’imposaient pour ainsi dire d’elles‑mêmes à l’écrivain sacré ; car il fallait bien, d’une part, qu’il signalât l’enseignement de Jésus sous la forme de paraboles, et comment le signaler sans en donner quelques exemples ? Il fallait, d’autre part, qu’il transmît à ses lecteurs les graves prophéties du Sauveur relatives à la fin du monde. Néanmoins, même dans ces deux cas, il demeure fidèle à son rôle de celui qui met en abrégé. Ainsi, pour ce qui regarde les Paraboles du royaume des cieux, au lieu d’en citer jusqu’à sept, comme S. Matthieu, il se contente d’en relater trois, celle du Semeur, celle du champ de blé et celle du grain de sénevé. Et pourtant, selon sa coutume, tout en donnant si peu, il a su être original, puisque la parabole du champ de blé ne se rencontre nulle part ailleurs. Du reste, sa concision ne l’empêche nullement d’être complet jusqu’à un certain point, car ces paraboles nous représentent le royaume messianique dans ses phases principales et sous ses traits essentiels, comme on le verra par le commentaire.
Marc 4, 1‑9. Parall. Matth. 13, 1‑9 ; Luc 8, 4‑8.
Mc4.1 Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer. Une si grande foule s'assembla auprès de lui, qu'il monta et s'assit dans la barque, sur la mer et toute la foule était à terre le long du rivage. — Il se mit de nouveau à enseigner… La mise en scène est décrite dans ce premier verset d’une manière graphique, digne de S. Marc. « De nouveau », parce qu’à plusieurs reprises déjà, Marc 2, 13 ; 3, 7, l’Évangéliste avait montré le divin Maître enseignant au bord du lac. « Il se mit », car à peine l’orateur avait‑il pris la parole, qu’il se fit autour de lui un immense concours de peuple (une foule nombreuse se rassembla autour de lui) qui l’obligea d’interrompre momentanément son discours, afin de prendre quelques mesures, de manière à n’être pas trop comprimé par la foule. La Recepta et la plupart des anciens témoins se traduisent par « une grande multitude s'étant assemblée auprès de lui ». Plusieurs manuscrits importants (B, C, L, Δ) portent « une foule nombreuse se rassemble ». Cette variante a nos préférences, soit parce qu’elle est plus conforme au style de S. Marc où l’emploi du temps présent est si fréquent, soit parce que les deux autres synoptiques parlent aussi d’un rassemblement très considérable « des foules nombreuses s’assemblèrent autour de lui », Matth. 13, 2 ; « comme une grande foule s’était assemblée, et qu’on accourait des villes auprès de lui », Luc 8, 4. — De sorte qu’il monta dans une barque. Dans le grec avec l’article, pour montrer qu’il s’agit d’un bateau bien déterminé : c’était sans doute celui que Jésus s’était réservé précédemment, Marc 3, 9, pour les occurrences de ce genre. — Et s’assit, sur la mer. Comme tout est gracieux et populaire dans l’enseignement de Jésus. Comp. l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 1. — Toute la foule était à terre, au bord de la mer. Ces mots font tableau, et nous montrent le nombreux auditoire groupé sur le rivage et tourné du côté du lac, tandis que l’Orateur était assis dans sa barque à quelque pas de la rive.
Mc4.2 Et il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles et il leur disait dans son enseignement : — Il leur enseignait... D’après Matth. 12, 1, ce discours fut prononcé par Notre‑Seigneur le même jour que son apologie contre les Pharisiens (Marc 3, 22 et ss.). Quel contraste entre les deux scènes et les deux modes d’enseignement. — Beaucoup de choses en paraboles. Dans notre commentaire sur S. Matthieu, 13, 1, nous avons donné de longs détails sur les paraboles de Jésus : nous y renvoyons le lecteur. Clément d’Alexandrie définit la parabole : « Cette forme de langage, qui n'indique pas l'objet lui‑même, mais le montre à travers un léger déguisement, conduit l'intelligence au sens propre et véritable ; ou, si l'on veut, la parabole est une manière de parler qui nomme sous d'autres mots le mot propre, dans l'intérêt de notre instruction » [Clément d’Alexandrie, Stromates, ch. 15.].
Mc4.3 "Écoutez. Le semeur sortit pour semer. — Écoutez. Le Sauveur commence la série de ses paraboles relatives au royaume des cieux par cette apostrophe vive et solennelle, qui n’a été conservée que par S. Marc. Écoutez. Ce mot n’était pas de trop en pareille circonstance, puisque Jésus allait employer un discours voilé, figuré, dont l’intelligence présenterait de grandes difficultés. — Le semeur sortit pour semer. Après nous avoir mis en quelque sorte sous les yeux l’auditoire et le Prédicateur, v. 1, après avoir précisé le genre d’enseignement adopté par ce dernier, v. 2, l’Évangéliste signale trois des paraboles proposées ce jour‑là même par Jésus. La première, celle du Semeur, décrit les débuts pénibles du royaume de Dieu sur la terre : mille difficultés l’environnent alors, et empêchent son avènement dans un grand nombre de cœurs. La seconde parabole, celle du champ de blé, montre comment, en dépit de ces difficultés, le royaume messianique se développe et croît sûrement, quoique d’une manière lente et silencieuse. La troisième enfin, celle du sénevé, nous présente l’empire du Christ, le Semeur par excellence, parvenu à une merveilleuse diffusion et presque à un établissement parfait.
Mc4.4 Et comme il semait, des grains tombèrent le long du chemin et les oiseaux vinrent et les mangèrent. — Tandis qu’il semait. À partir de ce verset jusqu’à la fin du huitième, il existe une coïncidence presque verbale entre le récit de S. Marc et celui de S. Matthieu. Il n’y a guère que trois variantes principales à signaler dans notre Évangéliste : 1° il parle de la semence au singulier, tandis que S. Matthieu emploie constamment le pluriel ; 2° il ajoute, v. 7, les mots « et elle ne donna pas de fruit » ; 3° les verbes « qui montait et croissait » du v. 8 sont de même une particularité de sa narration. — Le long du chemin. « Ce n’est pas intentionnellement que le semeur dépose sa semence au bord du chemin et dans un sol pierreux. C’est une conséquence indirecte de la volonté du semeur d’ensemencer la totalité du champ ». Cajetan.
Mc4.5 D'autres tombèrent sur un sol pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre, ils levèrent aussitôt, parce que la terre était peu profonde. 6 Mais le soleil s'étant levé, la plante, frappée de ses feux t n'ayant pas de racine, sécha. 7 D'autres grains tombèrent parmi les épines et les épines montèrent et les étouffèrent et ils ne donnèrent pas de fruit. — Voyez l’explication détaillée dans l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 7. — Dans les épines, probablement le Nabk ou Nébek, plante épineuse qui abonde en Palestine et en Syrie. — Montèrent et l’étouffèrent. S. Matthieu avait exprimé la même idée avec une nuance. Le mot de S. Marc indique mieux que la croissance des épines et le dépérissement de la bonne semence furent deux faits simultanés. — Et elle ne donna pas de fruit. Jésus n’avait rien dit de semblable pour les deux premières parties de la semence, parce qu’il était bien évident qu’elles ne pouvaient rien produire, vu les conditions dans lesquelles les semailles avaient eu lieu. Mais, cette fois, on aurait pu s’attendre à des fruits nombreux, la graine ayant d’abord crû à merveille ; c’est pour cela que la stérilité est signalée en termes exprès.
Mc4.8 D'autres tombèrent dans la bonne terre, montant et croissant, ils donnèrent leur fruit et rapportèrent l'un trente pour un, l'autre soixante et l'autre cent." — Une autre partie tomba. Théophylacte décrit fort bien les quatre destinées si différentes du grain jeté par le Semeur. Une première partie ne germa pas même ; une autre leva, mais pour périr aussitôt ; la troisième partie germa, grandit, mais demeura stérile ; la quatrième seule fut féconde. On obtient donc ainsi une belle gradation, où l’on voit agir trois causes de stérilité, une seule de fertilité. — Du fruit qui montait et croissait, Cf. v. 4. Le mot « fruit » ne désigne pas les grains, dont il ne sera question qu’un peu plus bas, mais l’épi qui les contient, et dans lequel ils se formeront et mûriront peu à peu. Les classiques l’emploient également dans ce sens [Cf. Homilia 2. 1, 156 ; Xenophon, de Venaticus, 5, 5.]. « Qui montait », par opposition aux grains pour lesquels il n’y avait pas même eu de germination. « Et croissait », par opposition aux grains qui n’avaient eu qu’une croissance temporaire : on voit l’épi qui sort de sa gaine, qui s’allonge, et qui grossit. — Un grain rapporta trente, ... un autre cent. On lit dans plusieurs manuscrits « jusqu’à trente, jusqu’à soixante, jusqu’à cent » ; et ailleurs, « en trentaines, en soixantaines… » Il est moralement impossible de dire quelle dut être la forme primitive du texte. L’emploi de « en » semble plus conforme au style biblique. — S. Matthieu, 13, 8, dans son énumération, était allé du plus grand nombre au plus petit : « cent pour un, d’autres soixante, d’autres trente » ; S. Marc suit l’ordre contraire, qui est plus naturel et plus expressif. D’après ces chiffres, la quantité totale de la semence se divise donc, relativement au produit, en deux parts très distinctes, dont l’une fut tout à fait stérile, l’autre plus ou moins féconde. Dans chacune de ces parts, on distingue ensuite trois degrés soit de stérilité soit de succès.
Mc4.9 Et il ajouta : "Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende. — Et il ajouta. « En disant cela, il criait », dit S. Luc, 8, 8, employant une expression très énergique. La parabole achevée, Jésus prononça donc à haute voix les paroles qui suivent. — Que celui qui a des oreilles pour entendre... Des oreilles pour entendre. Formule solennelle, que les trois synoptiques mentionnent ici de concert : Jésus la prononça en six occasions différentes : Matth. 11, 15 ; 13, 43 ; Marc 4, 9 ; 4, 23 ; 7, 16 ; Luc 14, 35. Elle est citée huit fois dans l’Apocalypse : 2, 7, 11, 17, 29 ; 3, 6, 13, 22 ; 12, 9. — Le mot « pour entendre » est important : car, si tous les hommes ont des oreilles au physique, combien en sont dépourvus au moral ? « Plusieurs n’ont pas d’oreilles intérieures pour écouter les divines harmonies ».
Marc 4, 10‑12. Parall. Matth. 13, 10‑17 ; Luc 8, 9‑10.
Mc4.10 Lorsqu'il se trouva seul, ceux qui l'entouraient, avec les Douze, l'interrogèrent sur les paraboles. — Lorsqu’il se trouva seul. Seul, לבדד des Hébreux. Les détails qui vont suivre, jusqu’au v. 25, sont donc racontés ici par anticipation. D’après l’ordre chronologique, leur vraie place serait entre les vv. 34 et 35. En effet, Jésus ne fut seul qu’à la fin de la journée, lorsqu’il eut achevé sa prédication et congédié le peuple. Comp. Matth. 13, 10-36, et le commentaire. Néanmoins, l’ordre logique demandait que le lecteur apprît immédiatement le motif pour lequel Jésus‑Christ avait tout à coup transformé sa méthode d’enseignement, et que la parabole du semeur fût aussitôt suivie de son interprétation. — Ceux qui l’accompagnaient avec les Douze. S. Marc, à qui ce trait est spécial, suppose ainsi qu’outre les Apôtres il y avait alors auprès du Sauveur un certain nombre d’autres disciples. L’entourage intime de Jésus est surpris de voir que, contrairement à ses habitudes antérieures, il a employé d’une manière continue le langage figuré, et tous voudraient connaître le motif de cette innovation extraordinaire. — Les paraboles. La leçon la plus accréditée du texte grec (manuscrits B, C, L, Δ, et plusieurs versions anciennes) semble être « les paraboles » au pluriel ; ce qui est d’ailleurs plus naturel, puisque, d’après ce que nous venons de dire, la question des disciples, adressée seulement le soir à Jésus devait avoir un sens général et concerner toutes les paraboles du royaume des cieux. Cf. Matth. 13, 10.
Mc4.11 Il leur dit : "A vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais pour eux, qui sont dehors, tout est annoncé en paraboles, — A vous a été donné. Dans sa réponse, Jésus établit une distinction entre ceux qui croient en lui et les âmes incrédules. Aux premiers, qui sont désireux de connaître la vérité et qui prennent les moyens d’y parvenir, tout est révélé sans restriction ; les autres n’ont pas le même bonheur, mais c’est leur faute. À « vous », mis en avant avec emphase pour désigner tous les vrais disciples, présents et absents, le Sauveur oppose « ceux qui sont dehors », les personnes en dehors du cercle ami qui formait alors l’Église primitive. Cette expression énergique est propre à notre Évangéliste ; S. Paul l’emploiera plus tard à différentes reprises pour représenter les païens. Cf. 1Corin. 5, 12,13 ; Coloss. 4, 5 ; 1Thessa. 4, 2. Jésus partage ainsi les Juifs en deux catégories, selon la nature des relations qu’ils avaient avec sa personne divine. — Le mystère (S. Matthieu et S. Luc emploient le pluriel « mystères ») désigne une série de vérités obscures ou ignorées jusqu’alors, spécialement les vérités évangéliques, et à la connaissance desquelles les hommes n’ont pu arriver qu’en vertu d’une révélation divine (« a été donné »). — Du royaume de Dieu précise la nature des mystères dont parle Jésus. Le royaume messianique, comme tout autre royaume, a ses secrets d’État, que le Prince ne confie qu’à ses fidèles. Quant aux ennemis ou aux indifférents, on ne les leur mentionne que sous l’enveloppe et le voile des paraboles, en paraboles, de crainte qu’ils ne les profanent ou n’en abusent. — Tout se passe en paraboles, c’est‑à‑dire « tout est représenté ». Cf. Hérod. 9, 46.
Mc4.12 afin qu'en regardant de leurs yeux ils ne voient pas, qu'en entendant de leurs oreilles ils ne comprennent pas : de peur qu'ils ne se convertissent et n'obtiennent le pardon de leurs péchés." — Après l’indication préliminaire contenue dans le v. 11, Jésus entre au cœur même de sa réponse, et indique aux Apôtres la vraie cause pour laquelle il enseigne maintenant sous la forme de paraboles. S. Matthieu cite d’une manière beaucoup plus complète les paroles de Notre‑Seigneur. Mth.13.13 : C'est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu'en voyant, ils ne voient pas, et qu'en entendant, ils n'entendent ni ne comprennent. » ; voyez Matth. 13, 12‑15 et le commentaire : S. Marc en donne du moins un bon résumé ; sous une forme saisissante. — Afin que. — Bien que S. Marc ne mentionne pas le nom du prophète Isaïe, dont Jésus citait ici les paroles (Voyez S. Matthieu l. c. et Isaïe 6, 8‑10 : 9 Il dit : "Va et dis à ce peuple : Entendez et ne comprenez pas, voyez et n'ayez pas l'intelligence. 10 Appesantis le cœur de ce peuple et rends dures ses oreilles et bouche-lui les yeux, en sorte qu'il ne voie pas de ses yeux et n'entende pas de ses oreilles et qu'il ne se convertisse pas et ne soit pas guéri.", il est aisé de reconnaître le passage prophétique sous cette forme condensée. « Quand Dieu dit à Isaïe : aveuglez le cœur de ce peuple, ce n’est pas que celui qui est la bonté et la sainteté même puisse avoir aucune part à la malice de l’homme : mais il prédit l’effet que la prédication de sa parole doit produire dans le cœur des juifs, comme s’il lui disait : éclairez ce peuple, faites-lui entendre ma volonté ; mais la lumière que vous lui présenterez ne servira qu’à l’aveugler davantage. Il se bouchera les oreilles et il fermera les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, et que son cœur ne se convertisse. C’est pourquoi l’on peut dire dans ces rencontres, que toute la gloire est due à Dieu et la confusion à l’homme ; parce que Dieu ne tend qu’à éclairer l’homme et à le guérir et que l’homme au contraire s’endurcit le cœur par les mêmes choses qui auraient dû le porter à se convertir. Ainsi lorsque l’œil qui est gâté par une mauvaise humeur, s’expose au soleil, il en devient encore plus malade. Et alors on n’accuse pas le soleil de cet effet si mauvais ; mais on l’attribue à l’indisposition de l’œil. » Cf. Isaïe traduit en françois avec une explication tirée des saints Pères et des Auteurs Ecclésiastiques, par Mr Le Maistre de Sacy prêtre, Bruxelles, p.49, édité par Eugène Henry Fricx, imprimeur de sa Majesté Impériale et Catholique, vis à vis de l’Église de la Madeleine, MDCCXXIV [1724]. Avec Approbations [catholiques] et Privilège de sa Majesté. « Marc s’inspire ici d’Isaïe 6, 9-10, d’après le texte araméen (Targum), qui annonçait l’échec du prophète dont la prédication devait aggraver le péché du peuple endurci. Ce texte a été repris dans l’Église primitive à propos de l’échec de la mission chrétienne auprès du peuple juif, dont l’endurcissement apparaissait ainsi annoncé par les prophètes et compris dans le dessein de Dieu (Jean 12,39-41 ; Actes 28, 26-28). La phrase inspirée d’Isaïe est ici introduite par un pour que qui exprime non pas quelque volonté de Jésus de cacher son message et d’empêcher ceux du dehors de se convertir, mais la conformité de son échec avec l’Écriture et le plan mystérieux de Dieu. La raison dernière de ce plan n’est pas donnée (voir Romains 11, 7-16.29-32) et l’idée du dessein de Dieu ne veut en rien atténuer la responsabilité de l’homme (…) » ; cf. La Bible Notes Intégrales Traduction Œcuménique, notes sur Marc 4, 12, p.2177, Paris, co-édition : Cerf - Biblio, 12ème édition, 2012. Sur la remarquable variante de S. Matthieu, voyez le commentaire de Matth. 13, 11. — N'obtiennent le pardon de leurs péchés. Voilà donc une partie du peuple qui est exclue du salut, parce qu’elle l’a elle‑même rejeté. S. Chrysostome : Ils voient donc, et ne voient pas ; ils entendent et ne comprennent pas. C’est à la grâce de Dieu qu’ils doivent de voir et d’entendre ; mais ce qu’ils voient ils ne le comprennent pas, parce qu’ils repoussent cette grâce, ils ferment leurs yeux, ils feignent de ne pas voir, ils résistent à la parole sainte ; ainsi, bien loin que le spectacle qu’ils ont sous les yeux et la prédication qu’ils entendent leur obtienne le changement de leur vie coupable, ils n’en deviennent au contraire que plus mauvais. Théophile : Dieu accorde la lumière et l’intelligence à ceux qui les demandent, mais il laisse les autres dans leur aveuglement, pour ne pas avoir à châtier plus rigoureusement des hommes qui, comprenant leurs devoirs, ont refusé de les accomplir . S. Augustin (quest. sur l’Evang.) (Quest. 14 sur St. Matth.) : ce sont leurs péchés qui les ont privés du don de l’intelligence.
Marc 4, 13‑20. Parall. Matth. 13, 18‑23 ; Luc 8, 11‑15.
Mc4.13 Il ajouta : "Vous ne comprenez pas cette parabole ? Comment donc entendrez-vous toutes les paraboles ? — Il ajouta… Les formules de ce genre indiquent habituellement dans le second Évangile un changement plus ou moins considérable de sujet. Jésus passe en effet à une autre pensée. Répondant d’une manière directe à la question de ses disciples, v. 10, il leur explique la première parabole. — Vous ne comprenez pas cette parabole ? Cette exclamation n’exprime pas, comme on l’a dit, un reproche sévère, mais une sorte de surprise et d’étonnement. Vous devriez comprendre, vous à qui les mystères du royaume ont toujours été révélés. — Comment donc entendrez-vous… S. Marc seul a conservé ces paroles du Sauveur. La parabole du Semeur était la première de celles que Jésus avait proposées sur le royaume des cieux, et contenait jusqu’à un certain point la clef des autres ; si les disciples ne l’ont pas saisie, comment auront‑ils compris les suivantes ? « Il dit cela, observe Euthymius, pour les rendre plus attentifs, les éveiller ». Ce mot de Jésus jette de vives clartés sur l’état actuel de ses meilleurs disciples ; ce sont des écoliers lents à saisir les choses ; ils ont du moins la bonne volonté de s’instruire et ils prennent le bon moyen d’arriver à la lumière.
Mc4.14 Le semeur sème la parole. — Le semeur sème… Pour le commentaire de la Parabole du Semeur, vv. 14‑20, de même que pour son exposé, vv. 3‑8, il existe entre les trois Évangiles synoptiques une coïncidence remarquable : et pourtant chacun des écrivains sacrés fait preuve, par quelques nuances dans les détails, d’une complète indépendance. Nous engageons le lecteur à faire cette intéressante comparaison. — Le Semeur de la Parabole représente d’abord Notre‑Seigneur Jésus‑Christ : Comme le Christ est à la fois le Médecin et la médecine, le Prêtre et l’hostie, le Rédempteur et la rédemption, le Législateur et la loi, le Portier et la porte, de la même façon il est le Semeur et la semence. Il figure aussi les Apôtres et tous leurs successeurs. Le plus humble prêtre qui, devant le plus humble auditoire, prêche la parole de Dieu, sème le bon grain dans les âmes, il sème la parole. S. Pierre et S. Jean signalent aussi le rapport qui existe entre la semence et la prédication. Cf. 1Pierre 1, 23 ; 1 Jean 3, 9. Du reste les auteurs classiques ont très souvent comparé la parole en général au rôle du semeur [Voyez Hugo Grotius, Annotationes in Novum Testamentum, in h. l.].
Mc4.15 Ceux qui sont sur le chemin, ce sont les hommes en qui on sème la parole et ils ne l'ont pas plus tôt entendue, que Satan vient et enlève la parole semée dans leur cœur. — De même que la graine, dans la parabole, a eu quatre destinées différentes, Jésus distingue de même, dans l’application, quatre sortes d’âmes relativement à la prédication de la parole divine. — 1° Ceux qui sont sur le chemin. Jésus mentionne en premier lieu les cœurs endurcis, sur lesquels la parole divine ne produit pas la moindre impression. « Le chemin est un cœur meurtri et brisé par l’assaut continuel des mauvaises pensées » [Bède le Vénérable, Homilie, 3, 35.]. Quoique le succès de la semence dépende jusqu’à un certain point de la manière dont le semeur l’aura jetée en terre, il dépend surtout de la nature du terrain sur lequel elle tombe. La même chose a lieu au spirituel : les fruits de la parole de Dieu sont attachés avant tout aux dispositions des auditeurs.
Mc4.16 Pareillement, ceux qui reçoivent la semence en un sol pierreux, ce sont ceux qui, dès qu'ils entendent la parole, la reçoivent avec joie, 17 mais il n'y a pas en eux de racines, ils sont inconstants : que survienne la tribulation ou la persécution à cause de la parole, ils succombent aussitôt. — 2° Pareillement. Après les cœurs endurcis dans lesquels le bon grain ne pénètre pas même, il y a les cœurs superficiels qui le reçoivent, il est vrai, mais qui ne lui permettent pas de se développer. — Ils ne durent qu’un temps : « ils croient pour un temps, et au moment de la tentation ils se retirent », dit S. Luc, Luc 8, 13. — Lorsqu’il survient une tribulation. Le mot tribulation, dérivé de « tribulum », machine à triturer le blé, fait image et exprime énergiquement l’effet des afflictions que Dieu envoie aux hommes pour les éprouver. — Ils sont aussitôt scandalisés « Ils se heurtent en quelque sorte contre la sainte parole et tombent par terre, comme celui qui donne contre une pierre ou un bois » [Dom Augustin Calmet, Commentaire littéral sur S. Marc, h. l.]. Et le scandale a lieu immédiatement, au premier choc, comme l’exprime l’adverbe favori de notre Évangéliste, aussitôt.
Mc4.18 Ceux qui reçoivent la semence dans les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, 19 mais les sollicitudes du monde et la séduction des richesses et les autres convoitises entrant dans leurs cœurs, étouffent la parole et elle ne porte pas de fruit. — 3° Il en est d’autres… Ce sont les cœurs dissipés, qui reçoivent d’abord la bonne semence et lui permettent de croître pendant quelque temps, mais qui la laissent étouffer ensuite par leurs nombreuses passions. — Les sollicitudes du monde. Jésus désigne par là tous les soucis mondains qui, d’après l’étymologie du mot grec μέριμναι (de μερίς, part), divisent un homme en plusieurs parties, le remplissent par conséquent de distractions fatales à la parole divine qu’il a entendue. On connaît le mot de Catulle : « Malheureuse, la déesse d’Eryx, enfonçant dans ton sein les épines de la douleur, t’a livrée à des tourments éternels...» (Poème Carmen 64). — la séduction des richesses. Après le genre, « les soucis du monde », nous trouvons plusieurs espèces, dont l’une consiste dans les richesses si trompeuses de ce monde. Les autres sont indiquées en bloc par l’expression et les autres convoitises, ou plus clairement, d’après le texte grec, les passions relatives aux autres points, par exemple l’ambition, la volupté, etc. Ce trait est spécial à S. Marc. — Entrant dans leurs coeurs : tout cela entre dans le cœur, et étouffe la parole qui y avait pénétré auparavant.
Mc4.20 Enfin ceux où la semence tombe en bonne terre, ce sont ceux qui entendent la parole et la reçoivent et produisent du fruit, trente, soixante et cent pour un." — 4° Enfin. La semence céleste, si malheureuse jusque‑là, trouve pourtant des cœurs bien disposés, dans lesquels elle produit des fruits plus ou moins abondants, selon que le sol spirituel a été plus ou moins parfaitement préparé. Ce bon résultat fait oublier au prédicateur de l’Évangile tous ses insuccès antérieurs. « Que ni la peur des épines, ni une voie rocailleuse ou raboteuse ne nous terrifie donc pas, nous. Nous parviendrons un jour à ne semer la parole de Dieu que dans la bonne terre. Homme, reçois la parole de Dieu, que tu sois stérile ou fécond. Je répandrai moi, la semence, toi pense à la façon dont tu l’accepteras. » [Saint Augustin d’Hippone, De quarta feria, c. 2.]. — Les Rabbins, comme Jésus, divisaient en quatre catégories les auditeurs de la parole céleste. Leur classification est d’une curieuse originalité : « Parmi ceux qui écoutent les sages, il en est de quatre espèces, l’éponge, l’entonnoir, le filtre et le crible. L’éponge s’empare de tout ; l’entonnoir laisse échapper par un bout ce qu’il reçoit de l’autre ; le filtre abandonne la liqueur et ne garde que la lie ; le crible rejette la paille pour ne garder que le froment ».
Marc 4, 21‑25. Parall. Luc 8, 16‑18.
Mc4.21 Il leur dit encore : "Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau ou sous le lit ? N'est-ce pas pour la mettre sur le chandelier ? — « Il est facile de voir que les choses qui suivent, que Marc a assemblées en un tout, ne concordent pas avec celles qui précèdent, ni même entre elles. Mais… je pense que celles‑là correspondent avec celles qui précèdent ». Grotius, car ces lignes sont de lui, a parfaitement raison. Les vv. 21‑25 ne sont pas le moins du monde une pure intercalation de hasard ou de fantaisie. S. Marc et S. Luc les placent en cet endroit, parce que les pensées qu’ils contiennent furent réellement exprimées par Jésus après l’explication de la parabole du semeur, il est vrai que S. Matthieu les cite ailleurs, comme une partie intégrante du Discours sur la Montagne, ou de l’instruction pastorale adressée aux Douze (cf. Matth. 5, 15 ; 7, 2 ; 10, 26) ; mais rien n’empêche que le Sauveur n’ait prononcé plusieurs fois, en diverses circonstances, ces proverbes, qui contenaient des enseignements d’une grande importance. En tout cas, il cadrent bien ici avec le contexte, comme le montrera le commentaire. D’un autre côté, ils s’enchaînent l’un à l’autre et s’expliquent mutuellement. — Il leur dit. Voyez le v. 13 et l’explication. Le pronom ne désigne que les disciples, et ne saurait s’appliquer à tout l’auditoire décrit au commencement du chapitre, v. 1 ; la suite des faits suppose que Jésus est seul avec les siens. Cf. v. 10. — Est‑ce qu’on apporte la lampe... La lampe qui brûle de l’huile (par opposition à la chandelle ou la bougie) était faite généralement de terre cuite ou de bronze, avec une poignée d’un côté et de l’autre un bec pour la mèche, et au centre un orifice servant à verser l’huile dans la lampe… Il y avait bien des formes et des modèles différents de lampes ; suivant la nature des matériaux dont elles étaient faites, et le goût de l’artiste qui mettait ces matériaux en œuvre ; mais, quel que fût leur degré d’ornementation, quelque enrichies qu’elles pussent être d’accessoires et de détails capricieux, elles conservaient généralement… la forme caractéristique d’un vase en forme de bateau ». — Sous le boisseau. Le boisseau était une mesure romaine équivalant à peu près à notre décalitre. — Ou sous le lit. Le texte grec désigne pas le lit proprement dit, mais le lit‑siège, qui ne servait que pour les repas. Du reste, l’idée serait la même dans les deux cas. Ainsi donc, personne ne songe à placer une lampe allumée sous un boisseau ou sous un lit : ce serait une absurdité. — N’est‑ce pas pour la mettre sur le chandelier. Chandelier ou lampadaire, pied de lampe portatif, sur lequel on plaçait une lampe à huile. Ces pieds étaient quelquefois faits en bois (Petronius, Satiricon, 95, 6) ; mais la plupart du temps ils étaient en métal (Cicéron, Verrines, 2, 4, 26), et destinés à être placés sur quelque autre pièce du mobilier… Ils devaient se mettre sur une table ou reposer sur le sol ; dans ce cas, ils étaient d’une hauteur considérable, et consistaient en une tige haute et élancée, imitant la tige d’une plante ; ou bien encore c’était une colonne effilée, surmontée d’un plateau rond et plat sur lequel la lampe était placée. Il y avait aussi le candélabre à suspension, qu’on attachait au plafond ou à la muraille ; voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 15. — Maintenant, que signifie ce proverbe à la place que lui assigne S. Marc ? Simplement, que les mystères du royaume des cieux ne sont pas destinés à demeurer cachés. Jésus les communique à ses disciples pour que ceux‑ci les prêchent un jour sur les toits ; car la vérité ne doit pas et ne peut pas rester sous le boisseau.
Mc4.22 Car il n'y a rien de caché qui ne doive être révélé, rien ne se fait en secret qui ne doive venir au jour. — Même pensée exprimée d’une autre manière : Bien que je vous aie fait part de ces explications dans le secret, il faudra que vous les proclamiez ensuite publiquement en tous lieux, car ma volonté est qu’elles soient partout divulguées. Dans le v. 21, Jésus s’était servi d’une comparaison familière ; ici il emploie une forme paradoxale : ces deux façons donnent beaucoup de relief à l’idée.
Mc4.23 Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu’il entende." 24 Et il ajouta : "Prenez garde à ce que vous entendez. Selon la mesure avec laquelle vous aurez mesuré, on vous mesurera et on y ajoutera encore pour vous. — Et il ajouta. Elle est familière à Marc cette transition par laquelle il réunit divers sermons et diverses parties de sermon. — Prenez garde à ce que vous entendez. Comme Jésus insiste sur la nécessité de l’attention. Ne venait‑il pas, au verset précédent, de répéter la formule déjà employée un peu plus haut, v. 9 ? Cf. v. 3. Mais ce qu’il dit est de la dernière importance pour les siens. « Il avait prédit que ses actions et ses paroles devaient être divulguées et mises en lumière en leur temps. Et comme, dans ce passage, son intention était que cela se ferait pas les disciples, il les avertit sérieusement d’écouter sa doctrine attentivement et soigneusement ». Fr. Luc. — On vous mesurera… Le Sauveur, motive sa pressante invitation, et indique en même temps quelle grande récompense il tient en réserve pour les prédicateurs zélés de la parole divine. « Autant nous apportons à ceux qui sont capables d’accueillir la grâce, autant nous puisons une grâce d’inondation ». S. Cyprien. Si les membres de l’Église enseignante sont attentifs à l’Évangile, ils sauront mieux le faire goûter aux fidèles, et plus leur zèle aura été actif, plus leur couronne sera belle dans le ciel. Employons donc de larges mesures, puisqu’elles serviront un jour à fixer notre part de gloire et de bonheur et d’amour.
Mc4.25 Car on donnera à celui qui a déjà et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a, lui sera ôté." — Quatrième proverbe, qui appuie et développe le troisième de même que le second (v. 22) avait prouvé et expliqué le premier (v. 21). Sa signification est claire, et justifiée par mille faits d’expérience journalière. Voyez l’explication du premier Évangile, Matth. 13, 12. Quand on applique des proverbes à la chose dont on parle, pour répondre à des besoins d’enjolivement ou de rhétorique plutôt que pour la rendre plus certaine et plus indubitable, il ne faut pas exiger une traduction littérale, mais se contenter d’un sens général qui correspond à cette chose. D’après cette règle, voici quel nous semblerait être le sens spécial du proverbe dans notre verset : Quiconque est attentif croît chaque jour dans la connaissance des divins mystères et devient plus capable de la communiquer aux autres ; celui qui est inattentif oublie tout, car il perd bientôt le peu qu’il possédait. Avis aux prêtres qui seraient tentés de négliger l’étude de la parole de Dieu et de la théologie.
Mc4.26 Il dit encore : "Il en est du royaume de Dieu comme d'un homme qui jette en terre de la semence. Comme nous l’avons dit, cette petite parabole du champ de blé n’a été conservée que par S. Marc, circonstance qui lui prête un intérêt particulier. Les commentateurs de l’école de Strauss ont bien essayé de la confondre avec la parabole de l’ivraie, Matth. 13, 24‑30, que notre Évangéliste ou la tradition auraient défigurée ; mais la différence des deux pièces est trop palpable pour que des critiques sérieux, sans préjugés, puissent jamais songer à admettre leur identité primitive. — Il disait aussi. Cf. v. 24. Nous reprenons la suite du discours, qui avait été interrompu après le v. 9, car le récit de S. Matthieu, 13, 31, 36, suppose clairement que la parabole du grain de sénevé, racontée par S. Marc après celle‑ci (cf. v. 30 et ss.), fut prononcée devant le peuple. — Il en est du royaume de Dieu. Le royaume messianique, dans l’ensemble de ses phases terrestres et avant d’arriver à sa consommation dans le ciel (cf. v. 29), a une ressemblance frappante avec le fait décrit par Jésus dans les lignes qui suivent. — Comme un homme jette en terre de la semence… Quel est cet homme ? C’est à coup sûr Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, qu’on a si justement appelé le divin Semeur. Il est venu sur la terre, et il a répandu abondamment, surtout pendant sa Vie publique, la semence par excellence, de laquelle devait sortir son royaume.
Mc4.27 Il dort et il se lève, la nuit et le jour et la semence germe et croît, sans qu'il sache comment. — Il dorme et il se lève… Quand un agriculteur a confié son grain à la terre, il revient chez lui et se livre à ses occupations habituelles, abandonnant le reste aux forces mystérieuses de la nature et aux soins de la divine Providence. Il a fait tout ce qu’il a pu pour là réussite de son opération : le reste n’est plus son affaire. Il attend donc patiemment que la germination, puis la croissance, puis la maturité, aient lieu, sans aller comme les enfants remuer la terre de temps à autre, pour voir si les graines émettent un germe et des racines. — La nuit et le jour. Cette petite description est vivante et pittoresque. Naturellement, « nuit » retombe sur le verbe « dorme », « jour » sur « se lève ». — La semence germe et croît… Tandis que le semeur vaque a ses autres travaux, la graine qui semble pourtant inactive, est l’objet d’opérations aussi multiples qu’admirables. Doucement échauffée par les forces fécondantes du sol, humectée par la rosée ou par les pluies, elle éclate, émet en haut et en bas de petits organes qu’elle tenait soigneusement cachés dans son sein ; bientôt elle finit par percer le sol. — Sans qu’il sache comment. Assurément, le semeur n’est pas demeuré indifférent au sort du grain qu’il avait jeté en terre. Il y a souvent pensé avec le plus vif intérêt ; néanmoins, à part une protection générale qui ne va pas bien loin, tout ce qui advient après les semailles est placé en dehors de son contrôle, comme aussi en dehors de sa science. Mais ce trait peut‑il bien s’appliquer au Christ ? Plusieurs auteurs, croyant qu’il était impossible de le concilier avec les perfections de sa nature divine, ont pensé à tort que la parabole ne le désignait nullement, et ils en on aussitôt restreint l’application aux Apôtres et aux autres prédicateurs de l’Évangile. D’autres ont supposé que les détails contenus dans ce verset ne sont que des ornements accessoires, une sorte de draperie extérieure, et qu’ils n’ont aucune importance relativement à l’idée‑mère. Mais tout ne peut‑il pas s’expliquer sans exagération d’aucun genre ? Jésus a semé, comme nous le disions en commençant, tant qu’il a vécu sur la terre : il posait ainsi les fondements de son royaume. Quand le moment fixé par son Père fut venu, il est remonté au ciel, pour n’en redescendre visiblement qu’à la fin du monde, quand il faudra faire la moisson universelle. Entre ces deux époques, malgré l’assistance qu’il donne perpétuellement à la divine graine, il ressemble à un agriculteur ordinaire, qui la laisse croître d’elle‑même à travers mille chances bonnes et mauvaises. C’est en ce sens qu’il paraît dormir, ignorer.
Mc4.28 Car la terre produit d'elle-même du fruit : d'abord de l'herbe, puis un épi et l'épi ensuite s'emplit de froment. — Car la terre produit d’elle‑même. « D’elle-même » est le mot important du récit. Il exprime admirablement bien la spontanéité avec laquelle le sein de la terre fait fructifier les semences qu’on lui confie. Aussi les classiques grecs et le juif Philon l’emploient‑ils dans le même sens que notre Évangéliste, pour montrer qu’après les semailles la terre agit indépendamment de l’homme et de sa coopération. On ne le rencontre qu’en un seul autre endroit du Nouveau Testament, Actes 12, 10. — D’abord l’herbe, ensuite l’épi… Belle gradation, copiée d’après nature et qui nous montre les trois principaux états par lesquels passent les céréales et tous les autres végétaux du même genre, entre le temps des semailles et celui de la moisson. Il y a d’abord l’enfance représentée par le frais gazon qui sort de terre, la jeunesse que figure l’épi sortant vigoureux de sa gaine, enfin la maturité, l’état parfait. Car, d’après le vieux proverbe. « la nature ne fait rien par saut ». Il en est de même dans le règne spirituel.
Mc4.29 Et quand le fruit est mûr, aussitôt on y met la faucille, parce que c'est le temps de la moisson." — Et quand le fruit est mûr. La Peschito syriaque traduit : « Quand les fruits donneront grassement du retour », et la version de Philoxène : « Lorsque le fruit sera parfait ». Le récit suppose donc que le blé est parfaitement mûr et qu’il est temps de le moissonner. — Aussitôt on y met la faucille, latinisme de S. Marc, ou plutôt hébraïsme de Jésus lui‑même. Cf. Joël 3 13 Mettez la faucille car la moisson est mûre (...) ; שלחו מגל. La faucille est mentionnée encore dans un autre passage du Nouveau Testament, que nous citons en entier parce qu’il peut nous aider à mieux comprendre celui‑ci ; « Et je vis : et voilà une nuée blanche et, assis sur la nuée, quelqu’un de semblable au Fils de l’homme, ayant sur sa tête une couronne d’or, et en sa main une faux tranchante. Et un… ange sortit du temple, criant d’une voix forte à celui qui était assis sur la nuée ; Lance ta faux et moissonne, car l’heure de moissonner est venue, parce que la moisson de la terre est sèche. Et celui qui était assis sur la nuée jeta sa faux sur la terre, et la terre fut moissonnée ». Apocalypse 14, 14‑16. Dans notre parabole, comme dans ces lignes de l’Apocalypse, la moisson représente donc l’époque de la fin du monde. Voici maintenant la signification générale de cette gracieuse histoire de la semence qui croît secrètement. On peut sans doute l’appliquer à chaque âme individuelle et à l’influence qu’y exerce la parole divine prêchée par les ministres de l’Évangile. Alors la morale serait : « Moi (Paul), j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance », 1Corinth. 3, 6. Le prédicateur sème le bon grain, mais ce n’est pas lui qui le fait germer. Qu’il n’ait donc pas de préoccupation humaine au sujet de son développement : qu’il évite de s’inquiéter outre mesure, de s’impatienter, si la croissance n’est pas aussi rapide qu’il le souhaiterait, car « la semence se développe à son insu ». Ce premier sens est évidemment contenu dans la parabole, et il est à coup sûr très consolant pour nous, puisqu’il nous montre l’énergie secrète, énergie pourtant très réelle, de la parole divine, qui lui fait produire des effets merveilleux quoique invisibles. Toutefois, on doit admettre aussi un autre sens plus universel, qui répond directement aux intentions premières de Jésus. En effet, puisque cette parabole est rangée parmi celles qui traitent du royaume des cieux, il est manifeste par là‑même qu’elle doit s’appliquer avant tout à l’Église, à l’empire messianique considéré dans son ensemble. À ce point de vue, ainsi qu’il a été dit dans la note du v. 26, c’est par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même que la semence a été jetée : c’est par lui que la moisson sera faite à la fin des temps. Entre ces deux époques, le grain qui représenta l’Évangile se développe lentement, d’une manière indépendante de l’action humaine ; mais il se développe sûrement, il a ses évolutions successives, ses progrès magnifiques, qui font que l’Église du Christ, d’abord semblable à l’humble gazon qui sort timidement du sol, devient ensuite peu à peu un riche épi, qui se courbe sous le poids du blé qu’il contient. Ainsi comprise, cette parabole ajoute réellement une idée neuve aux sept autres (Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 52), et c’est pour cela que l’Esprit Saint nous l’a conservée par l’intermédiaire de S. Marc.
Marc 4, 30‑32. Parall. Matth. 13, 31‑32 ; Luc 13, 18‑21.
Mc4.30 Il dit encore : "A quoi comparerons-nous le royaume de Dieu ? Ou par quelle parabole le représenterons-nous ? — À quoi comparerons‑nous… par quelle parabole… Ces formules sont destinées tout à la fois à relever l’attention des auditeurs et à ménager une transition entre deux idées distinctes. Elles étaient fréquemment employées par les Rabbins. — La parabole précédente nous avait révélé la croissance imperceptible du royaume des cieux sur la terre, les révolutions intérieures produites par l’Évangile, soit dans le monde en général, soit dans chaque âme en particulier. Celle‑ci nous fait assister à ses progrès extérieurs et visibles.
Mc4.31 Il est semblable à un grain de sénevé qui, lorsqu'on le sème en terre, est la plus petite de toutes les semences qu'il y ait sur la terre, 32 et lorsqu'on l'a semé, il monte et devient plus grand que toutes les plantes potagères et il étend si loin ses rameaux, que les oiseaux du ciel peuvent s'abriter sous son ombre." — Voyez les détails dans l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 32. S. Marc, bien que son récit soit conforme aux deux autres, a quelques petites variantes qui lui sont propres. Il dit que la graine fut semée dans la terre ; S. Matthieu et S. Luc ont employé des expressions moins vagues : « dans son jardin », « dans son champ ». En revanche, il exprime par deux traits pittoresques le merveilleux développement de la plante ; d’une part pousse de grandes branches ; de l’autre les oiseaux viennent se réfugier sous son ombre. — « La graine de moutarde est au premier abord petite, sans intérêt, sans saveur ni odeur : Mais avoir germé en terre, aussitôt elle dégage une odeur, une âcreté, et on s'étonne qu'une si petite graine puisse contenir un si grand feu. De même il semble au premier abord que la foi chrétienne soit faible, petite et vile, ne révélant pas sa puissance, sans orgueil, sans grâce. » [Saint Augustin d’Hippone, Sermo 87, Appendix.]. Les Pères aiment en général à relever, à propos de cette parabole, la vertu âcre et brûlante de la graine de moutarde [Cf. Tertullien, Adversus Marcionem, 4, 30.]. Néanmoins ce n’est pas sur ce point spécial que Jésus appuie dans sa comparaison, mais sur l’énorme différence qui existe entre une si petite graine et la plante vigoureuse qu’elle produit. Le divin Maître aurait pu choisir d’autres graines, celle du cèdre par exemple et signaler des disproportions encore plus étonnantes ; toutefois il convenait mieux à son but de signaler l’un des végétaux les plus insignifiants. — Voir dans Didron l’usage fréquent que l’art chrétien a fait de cette parabole [Adolphe Napoléon Didron, Iconographie chrétienne, p. 208.]. Supposant avec justesse que le grain de sénevé symbolisait Jésus lui‑même, du sein duquel était sortie peu à peu l’Église entière, on se plaisait autrefois à représenter « le Christ dans un tombeau : de sa bouche sort un arbre sur les branches duquel sont les Apôtres ».
Marc 4, 33‑34. Parall. Matth. 13, 34‑35.
Mc4.33 Il les enseignait ainsi par diverses paraboles, selon qu'ils étaient capables de l'entendre. — S. Marc, de même que S. Matthieu, rattache à la parabole du grain de sénevé une réflexion générale, dans laquelle il fait ressortir la coutume que prit alors Notre‑Seigneur d’enseigner sous forme de paraboles. Seulement, tandis que le premier Évangéliste, après avoir signalé cette circonstance, montre le rapport qu’elle avait avec une prophétie de l’Ancien Testament, le nôtre établit un contraste entre l’enseignement public de Jésus et son enseignement privé. Les deux narrations se complètent ainsi l’une l’autre. — De nombreuses paraboles de ce genre… S. Marc insinue par là‑même qu’il n’a communiqué à ses lecteurs qu’un simple extrait très abrégé des paraboles du Sauveur. — Il les enseignait : « les» désigne la masse du peuple : cela ressort très clairement du v. 34, où ce même pronom est mis en opposition avec « ses disciples ». — Selon qu’ils étaient capables de l’entendre. « On explique ceci de deux manières. Selon qu’ils pouvaient l’entendre, c’est‑à‑dire, selon leur portée. Jésus‑Christ se proportionnait à la capacité de ses auditeurs, se rabaissant à leur peu d’intelligence pour leur être utile, et prenant ses paraboles des choses communes et triviales. D’autres l’expliquent dans un sens tout contraire : il leur parlait suivant leur disposition, il leur découvrait les vérités comme ils étaient dignes de les écouter. Leur orgueil, leur peu de docilité ne méritaient pas d’être mieux traités, ni de recevoir une plus grande intelligence » [Dom Augustin Calmet, Commentaire littéral sur S. Marc.]. L’exégète dit ensuite, en parlant du second sentiment : « C’est la vraie explication de cet endroit ». Nous le croyons comme lui d’après le contexte, puisque Jésus a dit nettement plus haut, vv. 11 et 12, que la nouvelle forme donnée à son enseignement avait un caractère pénal.
Mc4.34 Il ne leur parlait pas sans paraboles, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples. — Il ne leur parlait pas sans paraboles. Expression très énergique : il ne faudrait cependant pas en trop presser la signification, car, selon la juste remarque de D. Calmet, l.c., toutes les fois qu’il s’agissait de vérités pratiques et morales, le divin Maître employait toujours un langage clair et simple. Il semble donc qu’il est bon de restreindre au dogme, et plus spécialement au royaume des cieux, à l’établissement de l’Église, la note de l’écrivain sacré. — Mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples… D’après les manuscrits B, C, L, Δ, le texte, qui semble authentique, joue sur les mots d’une manière intéressante : en particulier à ses disciples particuliers. — Il expliquait tout. Ici encore, le texte grec emploie une expression qui mérite d’être signalée, qu’on peut traduire par « il résolvait comme une énigme », qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament. Mais S. Pierre, dans sa seconde Lettre, 2Pierre 1, 20, ayant à parler de l’interprétation, fait précisément usage d’une expression semblable. Les critiques n’ont pas manqué de relever ces deux expressions pour montrer les ressemblances de style qui existent entre l’Évangile selon S. Marc et les écrits de S. Pierre.
Marc 4, 35‑40.Parall. Matth. 8, 23‑27 ; Luc 8, 22‑25.
Mc4.35 Ce jour-là, sur le soir, il leur dit : "Passons à l'autre bord." — Ce jour-là. Tandis que les deux autres synoptiques ne signalent que d’une manière très vague la date de ce prodige, S. Marc la précise avec une grande netteté. C’était le jour même où Jésus s’était défendu contre les Pharisiens de chasser les démons grâce au concours de Belzébuth, Marc 3, 20 et ss., le jour même où il avait inauguré son enseignement sous la forme de paraboles, Marc 4, 1 et ss. Cette journée avait été fatigante pour le divin Maître ; néanmoins, le soir venu, il dit à ses disciples : Passons sur l’autre bord, allons de l’autre côté du lac. Jésus étant auprès de Capharnaüm quand il donna cet ordre, et Capharnaüm étant situé sur la rive occidentale, cela revenait à dire : Allons sur la rive orientale, en Pérée. Ce fut là un voyage célèbre, accompagné de toute espèce de miracles, bien qu’il n’ait duré qu’un jour et une nuit. Jésus y trouva l’occasion de manifester sa puissance divine de quatre manières différentes. Il montra d’abord qu’il était le roi de la nature, Marc 4, 35‑40 ; il se révéla ensuite tour à tour comme roi des esprits, Marc 5, 1‑20, comme roi des corps et comme roi de la mort et de la vie, Marc 5, 21‑43.
Mc4.36 Ayant renvoyé la foule, ils prirent avec eux Jésus, tel qu'il était, dans la barque et d'autres petites barques l'accompagnaient. — Et ayant renvoyé la foule. Les disciples congédient doucement la foule, en lui disant que le Maître va partir. Cela fait, ils l’emmenèrent … tel qu’il était c’est‑à‑dire, sans aucune préparation pour le chemin. Le départ fut donc immédiat. Du reste, Jésus était déjà tout embarqué d’après Marc 4, 1. Plus loin, Marc 6, 8, nous verrons le Sauveur recommander à ses Apôtres de se mettre en route sans aucun préparatif, quand ils entreprendront leurs premières missions : il commence par prêcher d’exemple. — Et d’autres petites barques l'accompagnaient… Ces autres barques, qui se mirent à la suite de celle qui portait Jésus, contenaient des disciples désireux de ne pas se séparer du Sauveur. La petite flottille fut probablement dispersée par l’orage, car, au débarquement, Jésus parait avoir été seul avec les Apôtres.
Mc4.37 Alors il s'éleva un tourbillon de vent impétueux qui poussait les flots contre la barque, de sorte que déjà elle s'emplissait d'eau. — Et il s’éleva un tourbillon… Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 8, 24. La description de la tempête est encore plus vivante dans le récit de S. Marc que dans les deux autres : surtout d’après le texte grec, où plusieurs des verbes sont au temps présent. Il désigne une de ces violentes tempêtes qui se déchaînent en un clin d’œil sur le lac de Gennésareth, les gorges voisines servant comme de couloirs pour amener le vent des montagnes.
Mc4.38 Lui cependant était à la poupe, dormant sur le coussin, ils le réveillèrent et lui dirent : "Maître, n'avez-vous pas de souci que nous périssions ?" — Lui (...) dormant… Comme S. Marc à bien noté toutes les circonstances. S. Matthieu et S. Luc se contentent de mentionner le sommeil de Jésus ; mais, à ce fait principal, notre évangéliste a ajouté deux traits particuliers qui font revivre pour nous la scène entière. Il signale d’abord la partie de la barque où se trouvait Jésus : c’était la poupe qui est habituellement réservée aux passagers dans les bateaux de petite dimension, parce que le tangage s’y fait moins sentir. Il décrit ensuite l’attitude du divin Maître : il dormait à la poupe, sur un coussin, en grec avec l’article : le coussin qui se trouvait dans la barque. Jésus, fatigué par ses travaux de la journée, a appuyé sa tête sur un coussin, et il s’est bientôt endormi. Michælis a supposé sans la moindre raison que le Sauveur s’était chargé du gouvernail, mais que le sommeil l’avait tout à coup gagné parmi ses fonctions de pilote. Jésus dormait pendant l’orage, Jonas aussi ; de là le rapprochement suivant établi par S. Jérôme, Comm, in Matth. 8, 34 : « Nous lisons le type de ce signe dans Jonas, quand il était en sécurité lorsque les autres périssaient ; quand il dormit et se releva. Et quand par le pouvoir et le mystère de sa passion, il libéra ceux qui se levaient. » [Saint Jérôme de Stridon, Comm. in Matth., 8, 34.]. Autre réflexion intéressante : ceci est le seul passage évangélique dans lequel nous voyons Jésus en train de dormir. Il est important de noter les circonstances dans lesquelles on le trouve faisant ou subissant quelque chose d’humain. Nous aimons à nous rappeler encore l’interprétation mystique de quelques Pères, d’après laquelle le coussin de Jésus n’est autre que le bois sacré de la croix, sur lequel il s’endormit pendant sa Passion. Satan profita de ce sommeil pour susciter une tempête terrible contre l’Église naissante ; mais Jésus s’éveilla par la Résurrection, et fit immédiatement cesser l’orage. — Ils le réveillèrent. Les disciples, se croyant perdus, ont recours à Celui dont ils connaissent déjà la toute‑puissance. — Maître, n'avez-vous pas de souci que nous périssions… Ce cri indique de la part de ceux qui le poussaient un mouvement d’impatience causé par l’imminence du péril : S. Marc seul nous l’a conservé sous cette forme caractéristique. D’après S. Matthieu, les Apôtres auraient dit : « Seigneur, sauvez‑nous, nous périssons » ; d’après S. Luc, plus simplement encore : « Maître, nous périssons. ». On le voit, ce ne sont pas uniquement des variantes dans les paroles, mais de vraies divergences dans le ton, dans les sentiments. Il est probable que les trois phrases furent prononcées en même temps, chaque disciple parlant alors d’après le sentiment qui dominait en lui.
Mc4.39 Jésus étant réveillé tança le vent et dit à la mer : "Tais-toi, calme-toi." Et le vent s'apaisa et il se fit un grand calme. — Quelle majesté dans cette attitude de Jésus. Quelle majesté dans ses paroles. Tais‑toi, calme‑toi, s’écria‑t‑il, parlant à la mer et employant deux verbes synonymes pour imprimer plus d’énergie à son commandement. S. Marc signale seul les paroles du Thaumaturge. Remarquons la gradation qui existe dans les ordres du Sauveur : il commence par menacer le vent, qui était cause de la tempête ; il impose ensuite silence aux flots courroucés, les réprimandant comme un maître fait ses écoliers rebelles. Il y a là deux belles personnifications des forces de la nature. — Et le vent cessa : dans le grec, ἐκόπασεν, mot extraordinaire, qui n’est employé qu’à trois reprises dans le Nouveau Testament (ici, Marc 6, 51 et Matth. 14, 32) et qui indique un repos provenant d’une sorte de lassitude. — Il se fit un grand calme : le verbe grec correspondant s’applique spécialement au calme de la mer et des lacs. Le vent s’est soumis à la parole toute‑puissante de Jésus : les flots obéissent à leur tour, et, contrairement à ce qui se passe d’ordinaire en pareil cas, reprennent aussitôt un équilibre parfait. Quand Jésus guérissait les malades, il n’y avait pas de convalescence ; quand il apaise une tempête, il l’arrête brusquement sans transition.
Mc4.40 Et il leur dit : "Pourquoi êtes-vous effrayés ? N'avez-vous pas encore la foi ?" Et ils furent saisis d'une grande crainte et ils se disaient l'un à l'autre : "Qui donc est celui-ci, que le vent et la mer lui obéissent ?" — Les disciples méritaient aussi des reproches : Jésus les leur adresse pour leur instruction — N’avez‑vous pas encore la foi ? La Recepta porte : Comment n’avez‑vous pas la foi ? Mais les manuscrits B, D, L, Sinaiticus, ont la variante « pas encore », que les versions copte et italique ont lue de même que la Vulgate. « Si les disciples avaient eu la foi, ils auraient été persuadés que Jésus pouvait les protéger, quoique endormi ». Théophylacte. — Et ils furent saisis d’une grande crainte… Dans le texte grec, ces mots commencent un nouveau verset, qui est le 41e du chapitre 4. — La crainte envahit une seconde fois l’âme des Apôtres, mais c’est une crainte d’un autre genre : précédemment, v. 38, ils avaient eu peur de l’orage qui menaçait de les engloutir ; maintenant, le miracle si éclatant de Jésus les remplit d’un effroi surnaturel et, se faisant part de leurs impressions, ils se demandent les uns aux autres : Quel est donc celui‑ci… Précédemment, Marc 1, 27, après la guérison d’un démoniaque, les assistants s’étaient écriés : « Qu’est‑ce que ceci ? ». Aujourd’hui, l’attention est plutôt dirigée sur la personne même de Jésus : Que doit être celui qui opère de tels prodiges ? — Tertullien, adv. Marc 4, 20, rapproche ce miracle de plusieurs passages prophétiques : « Quand Jésus traverse, le psaume trouve son accomplissement : Le Seigneur, dit‑il, est sur les grandes eaux. Quand il calme les eaux de la mer, se réalise ce qu’avait dit Habacuc : dispersant les eaux sur son chemin (Hab 3, 15). Quand la mer en vient aux menaces, c’est Nahum qui se voit approuvé : menaçant la mer, dit‑il, et l’asséchant Nah 1, 4). Et aussi quand il était incommodé par les vents » [Tertullien, Adversus Marcionem, 4, 20.].
CHAPITRE 5
Marc 5, 1‑20. Parall. Matth. 8, 28‑34 ; Luc 8, 26‑39.
Nous trouvons ici la plus merveilleuse de toutes les guérisons de démoniaques opérées par Jésus. Le récit très détaillé de S. Marc renouvelle en quelque sorte sous nos yeux cet incident grandiose, où le caractère messianique et divin du Sauveur se manifeste avec tant d’évidence. Les traits propres à notre Évangéliste apparaissent presque à chaque verset. Bornons‑nous à signaler les principaux. v. 4 : « personne ne pouvait le maîtriser » ; v. 5 ; « dans les tombeaux et sur les montagnes, criant et se meurtrissant » ; v. 6 ; « Ayant donc vu Jésus de loin, il accourut » ; v. 7 : « poussant un grand cri » : « Je vous en conjure au nom de Dieu » ; v. 10 : « il le priait avec instance de ne pas les chasser du pays » ; v. 13 : « Il y en avait environ deux mille » ; v. 20 : « il ... se mit à proclamer dans la Décapole ».
Mc5.1 Ayant passé la mer, ils arrivèrent au pays des Géraséniens. — De l’autre côté de la mer : sur la rive orientale ; ou mieux encore, d’après l’opinion commune, dans la contrée située au S.‑E. du lac. — Au pays des Géraséniens. Nous avons fait connaître, dans notre commentaire de Matth. 8, 28, les différentes leçons du texte grec, des versions et des Pères relativement à ce nom propre, (Γαδαρηνῶν, Γερααηνῶν, Γεργεσηνῶν). Notre choix s’est alors porté sur Gadara. Plusieurs commentateurs reviennent à l’opinion d’Origène ; l’un d’eux ayant découvert, auprès de l’ouadi Semak, en face de la plaine de Tibériade, les ruines d’une ville que son guide arabe nomma Kersa ou Ghersa, et qu’il n’hésite pas à identifier avec l’antique Gergesa où Jésus, selon le grand interprète alexandrin, aurait guéri le démoniaque. La ville est située à quelques mètres du rivage et, immédiatement au‑dessus d’elle, se dresse une montagne énorme dans laquelle sont d’anciens tombeaux… Le lac est si rapproché de la base de la montagne, que les pourceaux, se précipitant en bas tout affolés, eussent été dans l’impossibilité de s’arrêter ; nécessairement ils devaient tomber dans le lac et s’y noyer. Nous admettons sans peine que cette découverte semble favoriser l’opinion d’Origène, et que le site décrit concorderait mieux que le territoire de Gadara avec la narration évangélique. Toutefois le texte sacré n’exige nullement que la ville fût tout à fait sur les bords du lac, et les guides arabes ont si fréquemment donné de fausses indications sur les vieilles localités de la Palestine, qu’il y a tout intérêt à ne pas se presser trop pour les adopter.
Mc5.2 Et comme Jésus sortait de la barque, tout à coup vint à lui, du milieu des tombeaux, un homme possédé d'un esprit impur. — Comme il sortait de la barque : c’était donc quelques instants après le débarquement de Jésus et des Apôtres. — Un homme possédé d’un esprit impur. Cf. Marc 1, 23 et l’explication. Un homme au pouvoir du démon, l’esprit immonde par excellence. S. Matthieu mentionne deux possédés (voir le commentaire de Matth. 8, 28) ; S. Marc et S. Luc n’en présentent qu’un durant toute la scène qui va suivre : c’était probablement le plus célèbre. « Comprenons que l'un des deux était un personnage plus fameux et plus renommé, dont le pays déplorait extrêmement le malheur » [Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, 2, 24.].
Mc5.3 Il avait sa demeure dans les tombeaux et nul ne pouvait plus le tenir attaché, même avec une chaîne. 4 Car on l'avait souvent chargé de liens aux pieds et de chaînes et il avait brisé les chaînes et rompu ses liens, de sorte que personne ne pouvait en être maître. 5 Sans cesse, le jour et la nuit, il errait au milieu des tombeaux et sur les montagnes, criant et se meurtrissant avec des pierres. — Ces trois versets contiennent une description pittoresque du caractère sauvage et farouche de notre démoniaque. Sa vie était un perpétuel paroxysme de folie furieuse, ce qui faisait de lui un objet d’effroi et d’horreur pour toute la contrée. — Dans les tombeaux. Cf. v. 5. Les vastes chambres sépulcrales creusées dans le roc aux environs de Gadara, tel était son domicile habituel ; preuve qu’il avait complètement abandonné la société des hommes. L’esprit impur qui le dominait lui faisait hanter les tombeaux. — Personne ne pouvait plus le lier, même avec des chaînes… Les détails suivants montrent en effet le motif pour lequel on avait désormais cessé d’enchaîner le démoniaque. Des expériences réitérées avaient prouvé que c’était inutile. — Car souvent il avait eu les fers aux pieds… « Dans la civilisation si vantée de l’antiquité il n’y avait ni hôpitaux, ni établissements pénitentiaires, ni asiles ; et les infortunés de cette espèce, trop dangereux pour qu’on les tolérât dans la société, étaient simplement expulsés d’auprès de leurs semblables : pour les empêcher de nuire, on employait à leur égard des mesures à la fois insuffisantes et cruelles. Il fallait le Christianisme, et surtout le Catholicisme, pour créer des refuges à ces êtres malheureux. — Les fers désigne des entraves mises autour des pieds et des jambes, les chaînes des liens ou des chaînes qui attachaient les mains et les bras, peut‑être aussi le corps. — Il avait rompu les chaînes… Rendu plus furieux encore par ce traitement, le possédé, dont le démon centuplait les forces musculaires, mettait en pièces chaînes et entraves. Ainsi donc, comme l’ajoute l’Évangéliste, « personne n’avait réussi à le dompter ». — Sur les montagnes. Quand il n’était pas caché dans les tombeaux, on le voyait courant comme un forcené à travers les montagnes qui bordent les rives orientales de la mer de Galilée. Alors il poussait de grands cris, bien plus, il se déchirait le corps en se frappant avec des pierres. Affreux spectacle, qui prouve jusqu’à quel point ce malheureux était au pouvoir du démon. Un Évangile apocryphe, faisant allusion à cette lamentable histoire des possédés de Gadara, note un autre trait caractéristique : « il mangeait ses propres membres » [Cf. Johann Karl Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, t. 1, p. 808].
Mc5.6 Ayant aperçu Jésus de loin, il accourut, se prosterna devant lui, 7 et, ayant poussé un cri, il dit d'une voix forte : "Qu'avez-vous à faire avec moi, Jésus, fils du Dieu très haut ? Je vous adjure au nom de Dieu, ne me tourmentez pas." — Mais voici que le Libérateur se présente, et le démoniaque, un instant calmé, par son influence qui se fait sentir au loin (ayant donc vu Jésus de loin), accourt au‑devant de lui et se prosterne à ses pieds. — Qu'avez-vous à faire avec moi ? Cf. Marc 1, 24. Qu’avons‑nous de commun ? Pourquoi ne me laissez‑vous pas en paix ? On le voit, c’est le démon qui reprend son empire, et qui parle par la bouche du possédé. — Jésus, Fils du Dieu Très‑haut. C’est la première fois que Dieu reçoit ce nom dans les écrits du Nouveau Testament : mais il l’avait fréquemment porté sous l’ancienne Loi. Déjà, Melchisédech nous a été présenté, Genèse 14, 18, comme prêtre אל עליון, c’est‑à‑dire du Dieu très haut. Les prophètes et les poètes sacrés ont depuis répété sans cesse que le Seigneur est El‑Elyon [Cf. Deutéronome 32, 8 ; Isaïe 14, 14 ; Lamentations 3, 35 ; Daniel 4, 17, 24, 32, 34 ; 7, 18, 22, 25 ; Psaumes 7, 17 ; 9, 2 ; 8, 13 ; 44, 4, etc.]. À lui seul, l’auteur de l’Ecclésiastique a répété ce titre quarante fois au moins. Les démons le connaissent aussi et le donnent à Dieu. Cf. Luc 8, 28 ; Actes 16, 17. Ici, l’esprit impur ose même s’en servir pour adresser à Jésus une adjuration solennelle. — Ne me tourmentez pas. C’est toujours Satan qui parle ; il sait que Jésus va l’expulser (v. 8), et, par une humiliante supplication, il essaie d’échapper à ce sort qui l’effraie. Selon une belle pensée de S. Jérôme, les démons, semblables à des esclaves fugitifs, ne songent, lorsqu’ils aperçoivent leur Maître, qu’aux châtiments qui les attendent. Eux, qui tourmentent si cruellement les hommes, ils ont peur d’être tourmentés à leur tour.
Mc5.8 Car Jésus lui disait : "Esprit impur, sors de cet homme." — Motif de cette adjuration pressante du démon. En cet instant même, Jésus lui ordonnait de se retirer. Habituellement, quand le Sauveur donnait un ordre de ce genre, il était aussitôt obéi : dans la circonstance présente, il accorda un certain délai à son ennemi, afin de mieux accomplir ainsi ses miséricordieux desseins.
Mc5.9 Et il lui demanda : "Quel est ton nom ?" Et il lui dit : "Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux." — Quel est ton nom ? Ce n’est pas pour lui‑même, assurément, c’est pour les assistants que Notre‑Seigneur adresse cette question à l’esprit immonde : il se proposait par là de faire ressortir la grandeur du miracle qu’il allait accomplir. — Mon nom est Légion. Nom superbe, que le démon se donne en ce moment pour braver Jésus. La légion romaine se composait d’environ 6000 hommes : les Juifs en avaient tous contemplé les rangs serrés et terribles. Aussi employaient‑ils volontiers le mot לגיון (lèghion, calqué sur le nom latin « legio ») pour exprimer un nombre considérable. Satan s’en sert de même pour montrer que le possédé par l’organe duquel il parlait était au pouvoir d’une multitude de démons inférieurs. — Parce que nous sommes nombreux. Exégèse du nom que l’esprit mauvais venait de s’attribuer. Le pauvre démoniaque avait donc été transformé en un camp satanique où les démons tenaient pour ainsi dire garnison. Dieu aime à s’appeler le Seigneur des armées ; le diable s’arroge ici par bravade un titre analogue ; mais la légion infernale n’effraiera pas Jésus. — Les Évangiles nous offrent d’autres exemples de possessions multiples dans un même individu : cf. Marc 16, 9 ; Luc 8, 2 ; Matth. 12, 45.
Mc5.10 Et il le priait instamment de ne pas les envoyer hors de ce pays. — Et il le priait instamment. Le démon réitère maintenant sa supplique. Il y a ici comme au v. 9, un changement de nombre, qui, étrange en apparence, s’explique néanmoins fort bien par la circonstance indiquée ci‑dessus. Les démons sont une légion : de là le pluriel « nous sommes » ; c’est le principal d’entre eux qui a pris la parole au nom de tous ; de là le singulier « il le priait ». — Les chasser du pays. « Ils se plaisaient dans cette contrée à moitié païenne, où ils pouvaient mieux exercer leur puissance », Fr. Luc. Dans le troisième Évangile, Luc 8, 31, les démons « le suppliaient de ne pas leur commander de s’en aller dans l’abîme ». Ce sont deux expressions différentes pour rendre une seule et même idée.
Mc5.11 Or, il y avait là, le long de la montagne, un grand troupeau de porcs en train de paître. — Un grand troupeau de porcs. Sur la présence des porcs en Palestine, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 8, 30. Nous avons ici un exemple intéressant de l’indépendance des trois synoptiques ; malgré la grande ressemblance de leurs récits. S. Luc, pour désigner l’endroit où paissaient les pourceaux, emploie simplement le vague adverbe « là » ; S. Matthieu dit que c’était « non loin d’eux », à une assez grande distance du groupe formé par Jésus, ses disciples, le démoniaque et les autres témoins du prodige ; S. Marc concilie les deux autres Évangélistes en nous montrant le troupeau là, près de la montagne : note toute graphique.
Mc5.12 Et les démons suppliaient Jésus, disant : "Envoyez-nous dans ces porcs, afin que nous y entrions." — Les démons suppliaient. Pour la troisième fois, le démon s’humilie et implore Jésus. Cf. vv. 7 et 10. Ne me tourmente pas, avait‑il demandé tout d’abord. Précisant ensuite sa requête, il avait supplié le Sauveur de le laisser dans le pays. Maintenant il lui dit : Envoyez‑nous dans ces porcs… Il désire posséder les pourceaux, de même qu’il avait possédé jusque là le démoniaque auquel il se sentait forcé de renoncer. Sur le motif de cette singulière demande, voyez le commentaire de Matth. 8, 31.
Mc5.13 Il le leur permit aussitôt et les esprits impurs, sortant du possédé, entrèrent dans les porcs et le troupeau, qui était d'environ deux mille, se précipita des pentes escarpées dans la mer et s'y noya. — Il le leur permit. « Allez », répondit Jésus d’après S. Matthieu, avec un laconisme plein de majesté. — Les démons profitent aussitôt de la permission qui leur est accordée. Sortant du possédé... entrèrent : ils abandonnent l’homme créé à l’image de Dieu, et ils envahissent le troupeau de bêtes dénuées de raison. — Et le troupeau (…) se précipita… Cette scène étrange est très bien décrite par les trois Évangélistes, qui emploient du reste à peu près les mêmes expressions. Les animaux, devenus furieux comme l’avait été autrefois le démoniaque, vv. 3‑5, se lancent à toute vitesse le long des flancs de la montagne sur laquelle ils paissaient. En un clin d’œil ils roulent dans le lac : un immense tourbillon est produit, et bientôt l’abîme se renferme sur sa proie. — Il y en avait environ deux mille. La région qui servit de théâtre à cet événement a toujours été célèbre par des troupeaux nombreux. Les bois de chêne qu’elle contient la rendaient spécialement propice à l’élevage des cochons.
Mc5.14 Ceux qui les gardaient s'enfuirent et répandirent la nouvelle dans la ville et dans les campagnes. Les gens allèrent voir ce qui était arrivé, 15 ils vinrent à Jésus et virent le démoniaque, celui qui avait eu la légion, assis, vêtu et sain d'esprit et ils furent saisis de frayeur. 16 Et ceux qui en avaient été témoins leur ayant raconté ce qui était arrivé au possédé et aux porcs, 17 ils se mirent à prier Jésus de s'éloigner de leurs frontières. — La nouvelle de cet éclatant prodige, mais aussi de cette perte considérable, fut portée sur‑le‑champ à la ville voisine et dans toute la contrée par les bergers épouvantés. Les habitants sortirent alors pour voir le Thaumaturge. Le contraste saisissant qui frappa leurs regards dès qu’ils s’approchèrent de Jésus est peint au vif par S. Marc. — Assis, vêtu, et revenu à la raison. Autrefois, on voyait le possédé courir comme un fou à travers toute la contrée, maintenant il est assis aux pieds de Jésus et se tient aussi paisible qu’un petit enfant ; autrefois, dit S. Luc, 8, 27, « il ne portait pas de vêtement », maintenant il porte les vêtements que Jésus et les Apôtres lui ont donnés ; autrefois il agissait sous l’empire du démon, actuellement il est rentré dans la pleine possession de ses facultés. — Ceux qui avaient vu… leur racontèrent. Au fur et à mesure que de nouveaux curieux arrivaient, les témoins du miracle leur en exposaient les divers traits, parlant et du démoniaque et de porcs. Cette dernière expression forme, dans l’intention de l’écrivain sacré, une gradation manifeste. Les pourceaux, leurs pourceaux. D’abord simplement étonnés, les Gadaréniens se désolent maintenant au sujet de la perte qu’ils ont subie et ils redoutent d’en éprouver d’autres encore. Aussi conjurent‑ils Jésus de quitter leurs frontières. Ils ont bien mérité, par cette indigne conduite, que leur nom servît à stigmatiser quiconque refuse de prêter l’oreille à la saine doctrine [Cf. Érasme, Adagia, p. 313.].
Mc5.18 Comme Jésus montait dans la barque, celui qui avait été possédé lui demanda la permission de le suivre. — Comme Jésus montait dans la barque. Au moment où Jésus allait s’embarquer pour retourner sur la rive occidentale du lac, il se passa une scène touchante. Celui qui avait été l’objet du miracle adresse, lui aussi, une prière au divin Maître. Mais que sa demande diffère de celle des Gadaréniens. « ils se mirent à prier Jésus de sortir de leur territoire », lisions‑nous au verset précédent ; ici, au contraire, l’homme « se mit à lui demander de pouvoir rester avec lui ». Il implorait donc là faveur d’être le compagnon habituel de Jésus, c’est‑à‑dire son disciple dans le sens strict de cette expression. Car s’il ne voulait pas suivre le Christ comme un disciple, mais comme la foule, il aurait pu le faire sans l’ordre de Jésus, comme beaucoup d’autres faisaient. Personne ne pouvait être son disciple sans son approbation et sans son admission. Par cette offre, il témoignait sa profonde gratitude à l’égard de son libérateur. Théophylacte, Euthymius, Grotius, etc., supposent sans raisons suffisantes qu’il craignait le retour des démons, et qu’il désirait pour ce motif demeurer toujours auprès du Thaumaturge.
Mc5.19 Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit : "Va dans ta maison, auprès des tiens et raconte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi et comment il a eu pitié de toi." — Mais Jésus ne lui permit pas. Jésus refuse en apparence, mais de fait il accorde au suppliant un rôle plus méritoire et plus utile. — Raconte‑leur tout… Aux autres, Notre‑Seigneur enjoignait le silence : il prescrit à celui‑ci la publicité. C’est qu’en Pérée Jésus n’avait à craindre ni les mêmes inconvénients, ni les mêmes préjugés qu’en Judée ou qu’en Galilée. Dans cette lointaine province, il n’avait pas beaucoup d’ennemis, et l’enthousiasme messianique n’était guère à redouter. — Voilà donc l’ancien hôte du démon constitué Apôtre et missionnaire du Christianisme dans ce district. C’était une grande miséricorde de Jésus non seulement pour lui, mais pour toute la contrée. « Repoussé par les Géraséniens, le Seigneur, du moins pour l’instant, les abandonna comme ils le méritaient. Et comme ils ne pouvaient pas encore leur garantir leur salut, il les laissa à ses apôtres », Fr. Luc.
Mc5.20 Il s'en alla et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui : et tous étaient dans l'admiration. — Il s’en alla, et se mit à proclamer... Avec quel zèle ne dût‑il pas s’acquitter de cette noble fonction. Il parcourut tout le territoire de la Décapole, racontant les merveilles qui avaient été accomplies en lui. — Tout ce que Jésus avait fait pour lui. Au verset précédent, selon la juste remarque d’Euthymius, Jésus avait dit : « annonce‑leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi », rapportant ainsi par modestie toute la gloire du miracle à son Père ; mais, dans sa reconnaissance, l’ancien démoniaque mentionne l’auteur immédiat de sa guérison : il attribue directement le prodige à Jésus. — Tous étaient dans l’admiration. Tout porte à croire que l’Évangéliste ne veut pas seulement parler d’une admiration stérile : dans beaucoup de ces cœurs sans doute l’étonnement fit place à la foi et à de sincères conversions. — Voir d’anciennes et naïves représentations artistiques de ce miracle [Charles Rohault de Fleury, L’Évangile : Études iconographiques et archéologiques, t. 1, p. 467].
Marc 5, 21‑43.Parall. Matth. 9, 18‑26 ; Luc 8, 40‑56.
Mc5.21 Jésus ayant de nouveau traversé la mer dans la barque, comme il était près du rivage, une grande foule s'assembla autour de lui. — Ce verset raconte l’occasion du double miracle opéré par Jésus presque aussitôt après qu’il eût franchi le lac et débarqué sur la rive occidentale. Sur l’ordre chronologique des faits, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 8, 18. — Une foule nombreuse s’assembla. À peine le Sauveur avait‑il mis pied à terre, que déjà une multitude considérable l’entourait. S. Luc, 8, 40, signale la raison de ce rapide concours : « car tous l’attendaient ».
Mc5.22 Alors vint un des chefs de la synagogue, nommé Jaïre, qui en le voyant, se jeta à ses pieds, — Un des chefs de synagogue. S. Matthieu avait simplement dit « un chef de synagogue ». S. Marc et S. Luc relèvent la haute fonction ecclésiastique du suppliant. Chaque synagogue était gouvernée par un collège ou chapitre de notables, que présidait un chef nommé en hébreu ראש הכנסת, Rosch‑Hakkenèceth, ἄρχων τῆς συναγωγῆς, comme traduit S. Luc [Cf. Campeius Vitringa, De Synagoga Vetere, p. 584 et ss.]. Jésus avait bien peu d’amis et de disciples parmi ces chefs. Mais voici que le malheur lui en conduit un. — Nommé Jaïre : en grec Ἰάειρος, en hébreu יאיר ; cf. Nombres 32, 41 ; Judith 10, 3 ; Esther 2, 5. Les Évangélistes mentionnent rarement les noms des personnes qui furent l’objet des miracles du Sauveur : ils font une exception pour Jaïre, sans doute à cause de la grandeur du prodige qui eut lieu dans sa maison. — Qui, le voyant, se jeta à ses pieds. Malgré sa dignité, il tombe aux pieds de Notre‑Seigneur. Jésus ne courait pas au‑devant des honneurs humains ; pourtant, nous ne lisons nulle part qu’il ait refusé des hommages de ce genre. Jamais, au moment de pareilles scènes, il ne s’écria comme Paul et Barnabé : Hommes, pourquoi faites‑vous cela ? Nous aussi, nous sommes des mortels comme vous. Actes 14, 14. Il avait remarqué sans peine que les Pharisiens en étaient scandalisés ; et néanmoins il laissait faire ce qu’il n’aurait pas pu empêcher sans témoigner contre la vérité. Cette conduite mérite notre pleine attention : il y a là une preuve en faveur de la divinité de Jésus‑Christ.
Mc5.23 et le pria avec instance, disant : "Ma fille est à l'extrémité, venez, imposez votre main sur elle, afin qu'elle soit guérie et qu'elle vive." — le pria avec instance. Expression emphatique, qui fait très bien ressortir le caractère pressant et l’ardeur des prières de ce père infortuné. Elle est spéciale à S. Marc. — Ma fille. littéralement : « ma fillette chérie ». Ce diminutif est tout à fait conforme aux mœurs du Levant, car les Orientaux emploient volontiers les appellations de tendresse. — Est à l’extrémité. La phrase est synonyme de « être sur le point d’expirer ». Touchant la contradiction apparente qui existe ici entre S. Marc et S. Matthieu, voyez notre commentaire sur Matth. 9, 18. De fait, la jeune fille vivait encore lorsque Jaïre l’avait quittée pour courir à la rencontre de Jésus. — Venez, imposez votre main sur elle afin qu’elle guérisse et qu’elle vive. Pléonasme très expressif : du reste, il y a là deux idées distinctes, celle de la guérison et celle d’une longue vie après le rétablissement.
Mc5.24 Et il s'en alla avec lui et une grande multitude le suivait et le pressait. Et Jésus alla avec lui ; et une grande foule le suivait et le pressait. — Jésus accède aussitôt à la supplique de Jaïre. La foule se met à sa suite, espérant sans doute qu’elle serait témoin du miracle. — Une grande multitude… le pressait. Le texte grec emploie une expression très énergique, qu’on ne trouve qu’ici et au v. 31. Cela suppose que le divin Maître était à chaque instant heurté, coudoyé par la multitude.
Mc5.25 Or il y avait une femme affligée d'un flux de sang depuis douze années, — Touchant récit d’un miracle enchâssé dans un autre. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 9, 20. S. Marc a une description très vivante du triste état de l’hémorrhoïsse, vv. 25 et 26. Il a condensé en quelques lignes divers traits spéciaux, bien capables de nous apitoyer sur cette pauvre femme. — Atteinte d’une perte de sang. La maladie consistait en une hémorragie d’un caractère humiliant, que la voix publique désignait autrefois comme la suite d’une conduite déréglée. — En latin et en grec, littéralement : « être en maladie », pour désigner un état de maladie, expression très classique chez les Grecs et chez les Latins [Cf. Sophocle, Ajax, v, 270 ; Cicéron (Marcus Tullius Cicero), Tusculanes, 3, 4.].
Mc5.26 elle avait beaucoup souffert de plusieurs médecins et dépensé tout son bien et loin d'avoir éprouvé quelque soulagement, elle avait vu son mal empirer. — Ici, tous les mots portent. « Elle avait beaucoup souffert de la part de nombreux médecins ; elle avait dépensé toute sa fortune : elle n’en allait que beaucoup plus mal. ». S. Luc, 8, 43, dira au fond la même chose ; mais, en sa qualité de médecin, il parlera, avec plus de ménagements, afin d’épargner, dirait‑on, ses anciens collègues. — Qui avait beaucoup souffert… Dieu sait ce qu’était l’art médical dans ces temps reculés. Le Talmud nous a conservé tout au long les prescriptions qu’enjoignait alors la Faculté pour guérir le genre de malaise dont souffrait l’héroïne de ce récit. Nous en signalons quelques‑unes, qui commenteront à merveille notre verset : « Le rabbi Jochanan a dit : ajoute à la gomme d’Alexandrie un poids de gésier, un poids de gésier d’un jeune, et un poids de gésier à du safran de jardin. Qu’on les broie tous ensemble, et qu’on les donne dans du vin à la femme hémorroïsse. Si ce mélange n’a pas d’effet, qu’on fasse cuire avec du vin trois mesures d’orpin perse, et tu lui diras quand elle le boira : remets‑toi de ton flux de sang. Si cela non plus n’a pas d’effet, amenez‑la à une croisée de chemin. Quelle tienne dans ses mains un verre de vin ; que quelqu’un arrive par derrière, et la terrifie en lui disant : relève‑toi de ton flux de sang. Si même cela n’a pas d’effet, dites : reçois une gerbe d’arpin, et après lui avoir donné à boire, dites : reviens de ton flux de sang. »[Rab. Schabb. f. 110.]. Et cent autres doses analogues, dans le cas où les précédentes demeureraient sans effet. Voici l’une des recettes les plus énergiques : « Qu’ils creusent sept fosses dans lesquelles ils brûleront des serments de vignes non circoncises (c’est‑à‑dire ayant moins de quatre ans). Qu’elle prenne en main sa coupe de vin, qu’on la déplace d’une fosse et qu’on l’installe sur une autre. Qu’on la déplace encore d’une fosse, et qu’on la mette sur une autre. A chacun des déplacements, il faut lui dire : reviens de ton flux de sang. » — … avait dépensé tout son bien : Toutes ses ressources avaient été prodiguées en remèdes et en honoraires de médecins. Encore, si elle eût recouvré la santé à ce prix. Mais, tout au contraire, elle s’en trouvait encore plus mal. On connaît les satires mordantes lancées dans l’antiquité classique contre les médecins, notamment par Pindare. « De là cette inscription d’un monument malheureux : la foule des médecins a péri » [Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 24, 5.]. — Le rapport apocryphe envoyé à Tibère par Pilate décrit l’état auquel l’hémorrhoïsse avait été réduite [Johann Karl Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, t. 1, p. 808.].
Mc5.27 Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule et toucha par derrière son manteau. — Ayant entendu parler de Jésus. L’heure du salut a sonné pour cette pauvre femme. Elle entend parler de Jésus, de sa puissance à laquelle aucune maladie ne résiste, de sa bonté qui ne rejette personne, et elle accourt auprès de lui. — Son vêtement. S’étant mêlée à la foule qui accompagnait le Sauveur jusqu’à la maison de Jaïre, elle parvint à s’approcher de lui par derrière et a toucher le bord de son manteau, peut‑être même, d’après le récit de S. Matthieu, 9, 20, les tzizzith ou franges de laine qui en ornaient les extrémités, conformément aux injonctions de la Loi mosaïque. Son acte était ainsi un mélange de hardiesse et de timidité.
Mc5.28 Car elle disait : "Si je touche seulement ses vêtements, je serai guérie." — Elle disait : elle se disait à elle même, ainsi qu’on lit dans plusieurs manuscrits. Cf. Matth. 9, 21. — Si seulement je touche… C’était la conviction bien arrêtée de l’hémorrhoïsse, sa ferme foi, que, si elle pouvait réussir à toucher le vêtement de Jésus, cela suffirait pour la guérir entièrement. Peut‑être s’était‑elle répété longtemps à elle‑même ces paroles avant d’oser mettre son projet à exécution. Cela semble du moins ressortir de l’imparfait (« elle disait »), dont l’emploi dénote souvent la continuité d’un acte.
Mc5.29 Aussitôt le flux de sang s'arrêta et elle sentit en son corps qu'elle était guérie de son infirmité. — Aussitôt le flux de sang… Expression très élégante en grec et en latin. Flux de sang équivaut à la locution hébraïque מקור דמים du Lévitique, 12, 7 ; 20, 18. — Elle sentit dans son corps. Ce fut une sensation de bien‑être, de force intérieure, de renouvellement, qui lui fit comprendre d’une manière certaine qu’elle venait d’être guérie. — Guérie de son infirmité. Cf. Marc 3, 40 et le commentaire. Quel bonheur pour cette pauvre femme, après douze ans de maladie.
Mc5.30 Au même moment, Jésus connut en lui-même qu'une vertu était sortie de lui et, se retournant au milieu de la foule, il dit : "Qui a touché mes vêtements ?" — Les vv. 30‑34 décrivent d’une façon dramatique une petite scène qui eut lieu aussitôt après ce grand prodige. — Jésus, connaissant en lui‑même. L’hémorrhoïsse a senti qu’elle était guérie : Jésus aussi a éprouvé quelque chose de particulier, qui lui a fait connaître ce qui venait de se passer. Mais ce quelque chose n’était pas une sensation corporelle. C’était une perception intellectuelle ; c’était le regard divin et prophétique par lequel Jésus‑Christ, en tant qu’Homme‑Dieu, suivait jusque dans leur derniers résultats ses opérations les plus secrètes. Voilà comment il sut que ce n’était pas la foule qui l’avait touché par mégarde, mais qu’il avait été l’objet d’un contact spécial, dont l’effet instantané avait été un miracle. Cf. Luc 8, 46. Y a‑t‑il en cela de quoi effaroucher les rationalistes ? Où voient‑ils, dans les récits parallèles de S. Marc et de S. Luc, des traces de ce magnétisme grâce auquel Jésus aurait accompli les cures les plus merveilleuses, parfois malgré lui et sans en avoir conscience ? L’écrivain sacré distingue nettement la connaissance du miracle telle qu’elle fut produite dans l’esprit de la malade et dans la sainte âme de Jésus. La femme « connut par son corps », Jésus « connut en lui‑même ». Pour lui, il n’est plus question de corps, et le verbe employé par l’Évangéliste indique une perception tout intime, toute parfaite. — Il en est de même des mots suivants. Vertu ne représente rien de magique, mais une force divine. Qui était sortie est une figure qui dépeint très bien l’effusion de cette force, sans qu’il faille y voir le moins du monde je ne sais quelle émanation inconsciente. « La vertu qui demeurait dans le Christ avait pour effet d’opérer la santé dans la femme ». Cf. Luc 6, 19 ; Jérémie 30, 22 ; Ruth 1, 13. — Se tourna vers la foule. Un de ces gestes du Sauveur si fréquemment notés dans le second Évangile. Jésus se retourne donc brusquement, et demande d’un air sévère. Qui a touché mes vêtements ? Nul ne le savait mieux que lui ; mais il voulait manifester la foi de l’hémorrhoïsse, lui accorder ouvertement ce qu’elle lui avait en quelque sorte dérobé à l’insu de toute l’assistance par une pieuse fraude ; il voulait par là même que la guérison de cette humble femme devint pour un grand nombre l’occasion de croire en Lui et de s’attacher à Lui.
Mc5.31 Ses disciples lui dirent : "Vous voyez la foule qui vous presse de tous côtés et vous demandez : Qui m'a touché ?" — Et ses disciples lui dirent. Les disciples, ignorant ce qui s’était passé, ne peuvent comprendre cette question de leur Maître. Ils en sont même tout étonnés. Comment pouvez‑vous adresser une pareille demande ? lui dirent‑ils avec une certaine rudesse. Quand on est pressé par la foule, comme vous l’êtes en ce moment, est‑ce bien le temps de se plaindre d’avoir été légèrement touché par quelqu’un ? Les Apôtres appuient sur les mots presse et a touché, entre lesquels ils établissent un contraste. Les Pères aussi se plaisent à relever la même antithèse, mais dans un sens moral et mystique. Aujourd’hui encore, disent‑ils, beaucoup pressent Jésus, nul ne le touche avec foi et respect. « C'est comme si le Seigneur avait dit : Je cherche qui me touche et non qui me presse. Ainsi en est‑il aujourd'hui de l’Église, qui est son corps. Elle est comme touchée par la foi du petit nombre et pressée par la multitude. Pressée par la chair, et touchée par la foi… Levez les yeux de la foi, touchez ainsi le bout des franges de son vêtement ; ce sera assez pour votre salut » [Saint Augustin d’Hippone, Sermon 62, 5]. — S. Luc, 8, 45, dit expressément que, dans cette circonstance comme en tant d’autres, ce fut saint Pierre qui prit la parole au nom des Douze.
Mc5.32 Et il regardait autour de lui pour voir celle qui l'avait touché. — Et il regardait… Autre geste dont la mention est de nouveau spéciale à S. Marc. Nous avons vu du reste que le second Évangéliste aime à signaler les regards de Jésus. Cf. Marc 3, 5 et la note. L’emploi de l’imparfait indique un regard scrutateur et prolongé. — Pour voir celle qui avait fait cela. L’hémorrhoïsse est désignée en cet endroit par anticipation : le narrateur se place au point de vue du lecteur, qu’il a déjà mis au courant de la situation.
Mc5.33 Cette femme, tremblante de crainte, sachant ce qui s'était passé en elle, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. — S. Marc, dans ce verset, est un peintre plutôt qu’un écrivain. Il retrace admirablement les sentiments intérieurs et la conduite extérieure de l’hémorrhoïsse, au moment où elle vit que son secret était connu de Jésus. — 1° Ses sentiments intérieurs furent ceux de la crainte, de la terreur : Elle est saisie d’effroi pour avoir osé s’emparer en quelque sorte, et sans permission, d’un bien appartenant à Jésus. Cf. Théophylacte [Cf. Origène, Caten. in Marc]. Elle tremble par suite de cet effroi. — 2° Sa conduite consiste dans un humble et complet aveu de ce qu’elle avait fait quelques instants auparavant. S’approchant du Sauveur, elle se prosterne devant lui et lui confessa toute la vérité : expression emphatique, pour signifier qu’elle ne dissimula rien, qu’elle raconta les moindres détails au Thaumaturge. Cf. d’autres circonstances intéressantes dans Luc 8, 47. — Les anciens commentateurs remarquent à propos de ce verset qu’on y trouve les trois qualités d’une bonne confession : « empreinte de crainte respectueuse, humble, complète ».
Mc5.34 Jésus lui dit : "Ma fille, ta foi t'a sauvée, va en paix et sois guérie de ton infirmité." — Ma fille. Douce appellation, qui dut rassurer et calmer sur‑le‑champ l’hémorrhoïsse. C’est la seule fois que nous voyons Jésus donner ce nom à une femme dans l’Évangile. — Ta foi t’a sauvée… Le Sauveur met en relief la foi de la malade, qui avait été comme l’instrument et le canal de la guérison. — Va en paix. Nous lisons dans le texte grec : « Entre dans la paix. ». Que la paix soit désormais l’élément de ta vie. Les Hébreux disaient de même : לשלום. Cf. 1Samuel 1, 17 ; 2Samuel 15, 9. Cf. Jacques 11, 46 ; Actes 16, 36. On lira avec intérêt l’article « In pace » dans le Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de M. l’abbé Martigny. Cette formule, d’origine juive, inconnue aux païens, a été adoptée par les chrétiens pour exprimer des pensées variées. — Sois guérie… Par ces mots, Jésus confirme la guérison de l’hémorrhoïsse ; il ratifie solennellement le bienfait qu’elle avait cherché à lui ravir d’une manière subreptice. « Sois » a le sens de : « Sois définitivement », après une longue misère, un bénéfice durable ».
Mc5.35 Il parlait encore, lorsqu'on vint de la maison du chef de synagogue lui dire : "Ta fille est morte, pourquoi fatiguer davantage le Maître ?" — Il parlait encore. Cette transition nous ramène à Jaïre. Sa foi en Jésus, qui avait dû s’accroître à la vue du prodige auquel il venait d’assister, va être aussitôt soumise à une rude épreuve ; car, à peine Jésus achevait‑il de consoler l’hémorrhoïsse, qu’on vint annoncer au malheureux père la mort de sa fille. — On vint de la maison du chef de synagogue. Jaïre était alors auprès de Jésus. — Pourquoi fatiguer davantage… À quoi bon ennuyer le Rabbi, maintenant qu’il n’y a plus rien à faire ? Ces mauvais conseillers supposent, dans l’imperfection de leur foi, que Jésus est incapable d’opérer une résurrection. — Le verbe grec traduit ici par fatiguer, importuner, est très énergique. Il signifie proprement : enlever la peau, déchirer, puis, au figuré : fatiguer extrêmement.
Mc5.36 Mais Jésus entendant la parole qui venait d'être proférée, dit au chef de synagogue : "Ne crains rien, crois seulement." — Jésus entendant… Si le Maître prend immédiatement la parole, c’est pour empêcher le pauvre père de se laisser décourager par la triste nouvelle que lui ont apportée ses amis. Quelque pensée d’incrédulité aurait pu passer de leur esprit dans le sien : voilà pourquoi Jésus se hâte de jeter dans cette âme désolée une parole de vive espérance. Titus de Bosra exprime très bien cette idée [John Anthony Cramer, Catenæ Græcorum Patrum in Novum Testamentum, Luc.]. — Crois seulement. Jésus soutient ainsi la foi de Jaïre, la maintenant à flot parmi les vagues qui menaçaient de la faire sombrer. D’après les intentions du Sauveur, le miracle devait être la récompense de cette foi : c’est par elle qu’il devait être en quelque sorte gagné.
Mc5.37 Et il ne permit à personne de l'accompagner, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean, frère de Jacques. — Arrivé à la maison de Jaïre, Notre‑Seigneur en interdit l’entrée à la foule. Indépendamment du père et de la mère de la jeune fille, il n’y aura auprès de lui au moment du prodige que ses trois disciples privilégiés, Pierre, Jacques et Jean. Ce petit nombre de témoins suffisait largement pour prouver la vérité de la résurrection. — Si ce n’est à Pierre… C’était la première fois que le fils de Jona et les fils de Zébédée recevaient une pareille marque de distinction : mais ce ne sera pas la dernière.
Mc5.38 On arrive à la maison du chef de synagogue et là il voit une troupe confuse de gens qui pleurent et poussent de grands cris. — On arrive à la maison. En Orient, quand on pénètre dans l’habitation d’une personne riche ou aisée, on trouve habituellement, après avoir franchi le seuil, une grande salle qui sert aux réceptions : les appartements privés sont rangés de chaque côté de cette espèce de salon. — il voit une troupe confuse . Quoique la mort de l’enfant datât à peine d’une demi‑heure, la maison offrait déjà un étrange aspect. Au lieu du recueillement et du silence qui conviennent dans ces tristes circonstances et auxquels chacun se conforme de nos jours en Occident, nous y trouvons le tumulte et les démonstrations bruyantes de l’Orient ancien et moderne. — Des personnes qui pleuraient et poussaient de grands cris. Ces mots désignent les pleureurs à gages, dont le métier consiste à faire entendre, dans les maisons mortuaires et pendant l’enterrement, des lamentations lugubres [Voir le commentaire sur Matth. 9.23]. Le premier Évangile mentionnait aussi les joueurs de flûte.
Mc5.39 Il entre et leur dit : "Pourquoi tout ce bruit et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, mais elle dort." — Il entre. Le narrateur décrit graduellement l’entrée du Sauveur. Le v. 37 signalait son approche vers la maison ; le v. 38 le montrait arrivant jusqu’à la porte et jetant un coup d’œil dans l’intérieur de la salle principale ; celui‑ci l’introduit d’une manière définitive. Le récit est dramatisé par là‑même. — L’enfant n’est pas morte, mais elle dort. La jeune fille était bien morte en réalité : Cf. Luc 8, 53 ; mais Jésus, en tenant ce langage, voulait simplement indiquer qu’il allait lui rendre la vie aussi aisément et aussi promptement qu’on éveille une personne endormie. Sa mort aurait duré si peu de temps, qu’elle ressemblerait à un sommeil passager. Sur l’usage de cette locution et sur l’abus qu’en ont fait les rationalistes, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 9, 24.
Mc5.40 Et ils se moquaient de lui. Mais lui, les ayant tous fait sortir, prit avec lui le père et la mère de l'enfant et les disciples qui l'accompagnaient et entra dans le lieu où l'enfant était couchée. — Ils se moquaient de lui. Jésus, qui n’avait pas encore vu l’enfant, qui ne faisait même que d’entrer dans la maison, affirmait que la fille de Jaïre n’était pas morte : eux, au contraire, ils l’avaient contemplée et touchée. Ils se moquent donc ouvertement du Sauveur. — Ayant fait sortir tout le monde. Admirons la sainte autorité de Jésus : d’un mot, « Retirez‑vous » (Matth. 9, 24), il fait sortir toute cette foule aussi bruyante qu’inutile, et il pénètre, avec les témoins qu’il avait choisis, dans la chambre de la défunte.
Mc5.41 Et lui prenant la main, il lui dit : "Talitha qoumi" ce qui signifie : "Jeune fille, lève-toi, je te le dis." — Et lui prenant la main. Jésus avait fait de même pour la belle‑mère de saint Pierre. Cf. Marc 1, 31. — À ce geste, il joignit quelques paroles que S. Marc seul nous a conservées dans la langue araméenne, telles par conséquent qu’elles furent proférées par le divin Maître, car c’est cette langue qui était alors généralement parlée dans toute la Palestine. Talitha, טליתא, contraction de tal’yeta, est la forme féminine de טלי, tali, jeune, qui est en croissance. Koumi, קומי, est à la seconde personne du singul. fémin. de קומ, koum, forme Kal. Nous verrons en d’autres endroits encore, Marc 7, 34 ; 14, 36, S. Marc insérer dans son récit les « mots mêmes » de Jésus. Il les tenait sans doute de saint Pierre. — Ce qui signifie. L’Évangéliste traduit pour ses lecteurs romains et grecs les expressions syro‑chaldaïques qu’il vient de citer. — Jeune fille, lève‑toi, correspond à Talitha, koum. La parenthèse je te l’ordonne a été ajoutée par S. Marc, « il est aisé de voir qu'il n'a fait cette addition que pour faire mieux sentir l'efficacité de la parole de Jésus‑Christ et le pouvoir qu'il avait sur la mort », saint Jérôme.
Mc5.42 Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher, car elle avait douze ans et ils furent frappés de stupeur. — Aussitôt. L’adverbe favori de S. Marc ne pouvait manquer de faire son apparition à cet endroit du récit. Jésus est la Résurrection et la Vie, Jean 11, 25 : il n’a qu’à prononcer une parole, et la mort s’enfuit soudain. — La jeune fille se leva, et se mit à marcher. Trait spécial à S. Marc, destiné à prouver la réalité et la promptitude de la résurrection. Le Prophète, Isaïe 35, 6, avait prédit que, sous l’ère du Christ, on verrait les boiteux marcher ; et voici que ce sont les morts eux‑mêmes qui marchent. — Elle avait douze ans. Ce détail a pour but d’expliquer la parole qui précède. À plusieurs reprises, dans le récit, la jeune fille avait été appelée θυγάτριòν, παιδίον (enfant) : l’Évangéliste indique ici son âge exact, afin de montrer que ce n’était plus une enfant, et qu’elle pouvait se lever et marcher sans aide. — Ils furent frappés de stupeur. Expression emphatique et d’une grande énergie, qui est du reste calquée sur l’hébreu. Le juif Philon la définit ainsi [Philon, Quis rerum divinarum heres sit, p. 515.] « Une grande frayeur qui s’empare de ceux auxquels il arrive quelque chose de subite et d’inopiné ». On comprend après cela l’effroi des cinq témoins du prodige.
Mc5.43 Et Jésus leur défendit fortement d'en parler à quiconque, puis il dit de donner à manger à la jeune fille. — Jésus leur ordonna, c’est‑à‑dire aux parents de la jeune fille et à ses trois disciples, plus spécialement aux premiers. Cf. Luc 8, 56. Néanmoins, il était impossible que le secret fût gardé, puisqu’il y avait à la porte de la maison une foule nombreuse qui attendait l’issue de cette scène. Aussi S. Matthieu ajoute‑t‑il, Matth. 9, 26, que « le bruit de ce miracle se répandit dans toute la contrée ». — Il dit de donner à manger. Ordre singulier en apparence, mais qui avait sa raison d’être dans le cas actuel : Jésus, en le donnant, se proposait de montrer que la jeune fille était rendue non seulement à la vie, mais encore à la santé. « Ceux qui sont gravement malades peuvent à peine prendre de la nourriture », observe justement Grotius. La ressuscitée ne sortait donc pas de léthargie, comme le prétendent les rationalistes. — Les guérisons de femmes sont relativement rares dans l’Évangile : ce jour‑là, Notre‑Seigneur en opéra deux, qui se suivirent de très près.
CHAPITRE 6
Marc 6, 1‑6. Parall. Matth. 13, 54‑58.
Mc6.1 Étant parti de là, Jésus vint dans sa patrie et ses disciples le suivirent. — Étant parti de là. La locution « de là » ne désigne pas, comme le veut Meyer, la maison de Jaïre, dans laquelle nous avons vu Jésus vers la fin du chapitre 5, mais la ville de Capharnaüm, par opposition à « la patrie » du Sauveur, dont il sera question dans un instant. Désormais Notre‑Seigneur mènera presque toujours la vie d’un missionnaire. Capharnaüm ne cessera pas d’être son domicile de droit ; mais il n’y résidera que par intervalles, entre ses différentes courses apostoliques. — Dans sa patrie. C’est‑à‑dire à Nazareth, à deux petites journées de Capharnaüm. « Après avoir observé de près ce que nous enseignent l’Écriture et les bons auteurs, nous disons que le Christ a eu trois patries : celle de sa naissance, Bethléem, celle de son éducation, Nazareth, et celle où il a demeuré et a prêché, Capharnaüm. Par ce mot, nous ne devons entendre ici ni Bethléem qui jamais, si je ne m’abuse, ne reçoit dans l’Écriture le nom de patrie, ni Capharnaüm, parce que c’est là qu’il était, mais seulement Nazareth, où habitaient ses frères et ses sœurs », Maldonat. C’était la seconde fois que Jésus venait à Nazareth depuis le début de sa Vie publique (cf. les commentaires sur Matth. 13, 54, et sur Luc 4, 16 et ss.). Mal reçu lors de sa première visite, il veut essayer de toucher les cœurs de ses compatriotes. Hélas. sa tentative sera vaine. Les habitants de Nazareth demeureront incrédules. Cette fois du moins, ils n’auront plus recours à la violence ouverte : ils se contenteront de mépriser Jésus. — Sur Nazareth, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 2, 22. — Ses disciples le suivirent… Précieuse notice, spéciale à notre Évangéliste. Elle nous apprend que les disciples furent témoins de cette nouvelle humiliation de leur Maître.
Mc6.2 Quand le sabbat fut venu, il se mit à enseigner dans la synagogue et beaucoup de ceux qui l'entendaient, frappés d'étonnement, disaient : "D'où celui-ci tient-il ces choses ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée et comment de tels miracles s'opèrent-ils par ses mains ? — Quand le sabbat fut venu. Autre détail spécial à S. Marc. À Nazareth, Jésus demeure fidèle à la coutume qu’il avait adoptée dès les premiers jours de son ministère (cf. Marc 1, 21 et ss.) : il choisit, pour faire entendre la divine parole, le jour du sabbat et la synagogue, un temps sacré et un lieu sacré. — Beaucoup de ceux qui l’entendaient. Les meilleurs manuscrits grecs ont οἱ πολλοὶ avec l’article, c’est‑à‑dire « la plus grande partie de la population ». — Étonnés de sa doctrine. L’expression du texte grec dénote un très vif étonnement. Les habitants de Nazareth, comparant le passé de Jésus à sa situation présente, ne pouvaient comprendre comment le jeune charpentier était devenu en si peu de temps un puissant thaumaturge et un docteur célèbre. De là pour eux une profonde stupéfaction. — Les mots « de sa doctrine » manquent dans le texte grec. — D’où lui viennent toutes ces choses ? Cette délibération intéressante des concitoyens du Sauveur nous a été conservée d’une manière beaucoup plus complète dans le second Évangile que dans le premier. Au lieu d’une simple et froide mention de la sagesse et des miracles de Jésus (cf. Matth. 13, 54), nous avons ici une description pittoresque. Cette sagesse, il l’a reçue d’ailleurs. D’où ? C’est précisément la question. Ces miracles, on les voit en quelque sorte s’échapper des mains de l’humble ouvrier, habituées jusqu’alors à manier de grossiers outils, à accomplir de rudes travaux. — Notons que le mot δυνάμεις du grec (pouvoir, puissance), est une des quatre expressions qui servent à désigner les miracles dans l’Évangile. Nous le trouvons encore employé en plusieurs autres passages de S. Marc : Marc 5, 30 ; 6, 2-14 ; 9, 39. Notre Évangéliste ne se sert qu’une fois, Marc 13, 22, du mot « prodige » (τέρατα). « Signe » (σημεῖα) revient plusieurs fois sous sa plume : cf. Marc 13, 22 ; 16, 17,20. Il n’emploie nulle part la quatrième expression, « œuvre » (ἔργα).
Mc6.3 N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ?" Et il était pour eux une occasion de chute. — N’est‑ce pas là le charpentier. Nous lisons dans S. Matthieu 13, 55 : « N’est‑ce pas là le fils du charpentier ? ». S. Marc fait dire aux habitants de Nazareth, avec une légère variante : Celui‑ci n’est‑il pas un τέκτων, un pauvre ouvrier ? Il suit de là que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ avait lui‑même exercé durant sa Vie cachée le dur métier de son père adoptif. Le Verbe incarné, après avoir autrefois créé le monde d’une seule parole, Jean 1, 2-10, n’a donc pas dédaigné de travailler péniblement à la sueur de son front. Grande consolation que le prêtre doit souvent offrir aux travailleurs. Combien ils gagneraient à contempler Jésus ouvrier. — Sur le sens des mots « charpentier », voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 55. Par les rationalistes, comme alors par ses compatriotes, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ n’est regardé que comme un simple artisan. — Fils de Marie. De l’omission du nom de S. Joseph, on a justement conclu qu’à cette époque le père nourricier de Jésus avait sans doute cessé de vivre. — Frère de Jacques… Les noms sont les mêmes que dans le premier Évangile. Seulement, Simon, à qui S. Matthieu attribue la troisième place, occupe ici la quatrième. Celui que la Vulgate appelle Joseph est nommé tour à tour Ἰωσῆ et Ἰωσήφ dans les manuscrits grecs. — Ses sœurs. La légende réduit le plus souvent à deux le nombre des « sœurs » de Jésus, c’est à dire ses cousines : elles se seraient appelées Esther et Thamar (ou Marthe selon d’autres). — Nous avons prouvé dans notre commentaire sur Matth. 13, 55, que les personnes désignées dans l’Évangile, d’après la coutume orientale, sous l’appellation de frères ou de sœurs de Jésus, étaient simplement ses cousins et ses cousines, issus, selon l’opinion la plus probable, du mariage de Cléophas avec Marie, sœur, ou du moins belle‑sœur de la Très Sainte Vierge. Voir l’article du P. Corluy intitulé : Les Frères de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ [Études religieuses rédigées par des Pères de la Compagnie de Jésus, 1878.]. M. Renan, après avoir audacieusement affirmé que « Jésus avait des frères et des sœurs, dont il semble avoir été l’aîné » [Ernest Renan, Vie de Jésus, 13e édit., p. 27.], se corrige à moitié quand il écrit dans son récent ouvrage : « Seulement, il est possible que ces frères et ces sœurs ne fussent que des demi‑frères, des demi‑sœurs. Ces frères et ces sœurs étaient‑ils aussi fils ou filles de Marie ? Cela n’est pas probable » [Ernest Renan, Les Évangiles et la seconde génération chrétienne, 1878, p. 537‑549]. D’après le professeur du Collège de France, les « frères » et les « sœurs » de Jésus seraient nés d’un mariage antérieur de S. Joseph. — Et il était pour eux une occasion de chute. Triste conséquence des raisonnements tout humains que nous venons d’entendre. Celui qui apportait aux habitants de Nazareth des paroles de salut devenait ainsi pour eux une occasion involontaire de ruine spirituelle. Mais pourquoi fermaient‑ils les yeux à la lumière ? Pourquoi commettaient‑ils de gaieté de cœur le « péché contre l’Esprit‑Saint ? ».
Mc6.4 Jésus leur dit : "Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, dans sa maison et dans sa famille." — Les Nazaréens n’étaient ni les premiers ni les derniers à traiter dédaigneusement un prophète sorti de leurs rangs. Notre‑Seigneur leur rappelle ce triste fait, dont on trouve plus d’un exemple dans les textes sacrés. « Il est presque nécessaire que des concitoyens se jalousent entre eux. Sans regard pour les œuvres actuelles d’un homme, ils n’ont de lui que le souvenir de sa fragile enfance », Bède le Vénérable. « On estime toujours plus ce qui est absent que ce qu’on ne connaît que par la réputation, ce qu’on n’a pas que ce qu’on a. Quelque mérite qu’ait un homme, dès qu’on s’accoutume à le voir souvent et familièrement, on l’estime moins. Notre Sauveur, qui avait dans lui‑même un fond infini de mérite, et qui n’avait pas l’ombre du moindre défaut, n’a pas laissé d’éprouver cet effet de la bizarrerie de l’esprit de l’homme », Calmet. — Les mots et dans sa famille sont propres au second Évangile. Ils représentent toute la parenté, tandis que dans sa maison ne désigne que le cercle plus restreint de la maison paternelle.
Mc6.5 Et il ne put faire là aucun miracle, si ce n'est qu'il guérit quelques malades en leur imposant les mains. — Et il ne put faire là aucun miracle. S. Marc emploie ici une expression très forte, pour indiquer le fâcheux résultat produit par l’incrédulité des compatriotes du Sauveur. Tandis que S. Matthieu, 14, 58, se borne à mentionner simplement le fait, notre Évangéliste semble dire que les mains du divin Thaumaturge étaient liées. Mais on comprend sans peine sa pensée : « Il ne pouvait donc faire là aucun miracle, non parce que le pouvoir lui manquait, mais parce que la foi faisait défaut à ses concitoyens » [Victor d’Antioche, ap. Caten. græc. Pair. ed. Possin. Cf. Théophylacte et Euthymius, h. l.]. Les miracles de Jésus étaient en effet des actes moraux, qui supposaient dans les cœurs de bonnes dispositions. Ainsi donc,
« Indigné par ces choses, le Christ a comme comprimé ses dons » (Juvencus)
— Si ce n’est qu’il guérit... L’évangéliste corrige en quelque sorte son assertion précédente, pour dire que si Jésus n’opéra pas alors à Nazareth des prodiges insignes, tels que la résurrection des morts, l’expulsion des démons, les guérisons à distance au moyen de sa seule parole, il y accomplit cependant des miracles de second ordre, en rendant la santé à quelques infirmes par l’imposition de ses mains divines.
Mc6.6 Et il était surpris de leur incrédulité. Ensuite Jésus parcourut les villages d'alentour en enseignant. — Il était surpris. Oui, le Sauveur s’étonne. Il est surpris en face de la réception qui lui est faite par les siens. Toutefois, notons‑le bien, son étonnement n’est pas la suite de l’ignorance (« Il ne s’étonne pas celui qui sait tout, comme s’il s’agissait d’une chose inopinée et imprévue », Bède le Vénérable), il provient au contraire, de sa parfaite connaissance des cœurs. Les Nazaréens avaient tant de motifs de croire. N’était‑il pas étrange qu’ils demeurent incrédules ? Les saints Évangiles ne nous montrent qu’en deux endroits Notre‑Seigneur Jésus‑Christ livré à l’étonnement, ici et Matth. 8, 10, à l’occasion de la foi si vive du centurion. Quel contraste entre les deux faits. — Jésus parcourut les villages. Le divin Maître ne s’éloigne, dirait‑on, qu’à regret de sa patrie. Il demeure dans le voisinage, cherchant des cœurs mieux disposés. Les bourgades qu’il parcourut en y répandant ses bienfaits durent être Dabrat, Naim, Gath‑Hepher, Rimmon, Endor, Japhia, etc.
Marc 6, 7‑13.Parall. Matth. 10, 1‑15 ; Luc 9, 1‑6.
Mc6.7 Alors il appela près de lui les Douze et commença à les envoyer deux à deux, en leur donnant pouvoir sur les esprits impurs. — Alors il appela les douze. L’occasion de cette réunion solennelle, et du discours plus solennel encore que Jésus y prononça, a été fidèlement décrite par S. Matthieu, 9, 35‑38. Avec son cœur et ses yeux de bon Pasteur, le divin Maître a reconnu la misère morale dans laquelle ses pauvres brebis sont plongées. Il se dispose à les secourir, et c’est pour s’associer en vue de ce grand œuvre des collaborateurs zélés et intelligents, qu’il transforme pour la première fois les Douze en prédicateurs de l’Évangile. — « Il commença à les envoyer » n’est nullement un pléonasme, ainsi qu’on l’a prétendu. En ce moment, Jésus entreprend une chose nouvelle : il « commence » très réellement à envoyer ses disciples en qualité de missionnaires. S. Marc a eu raison de noter cette nuance. — Seul aussi il a noté une circonstance importante de cette première mission des Apôtres, en disant que le Sauveur les avait envoyés prêcher deux à deux. Jésus agit ainsi soit pour que ses missionnaires puissent se soutenir mutuellement, soit pour donner plus de poids à leur parole. Voici la manière dont les Douze semblent avoir été associés, d’après la liste que S. Matthieu nous fournit à propos de cet incident : Pierre et André, les deux fils de Zébédée, Philippe et Barthélémy, Thomas et Matthieu, Jacques le Mineur et Thaddée, Simon le Zélote et Judas. — En leur donna pouvoir. Tout en les séparant de lui momentanément afin de leur apprendre à voler de leurs propres ailes, Jésus demeure néanmoins d’une certaine manière avec eux en leur léguant son autorité, spécialement celle qu’il exerçait sur les esprits infernaux. Cf. Luc 9, 1.
Mc6.8 Il leur recommanda de ne rien prendre pour la route, qu'un bâton seulement, ni sac, ni pain, ni argent dans la ceinture, — Les vv. 8‑11 contiennent des règles tracées par le Sauveur à ses Apôtres concernant la conduite qu’ils auraient à tenir pendant leurs missions apostoliques. Jésus ne dédaigna pas d’entrer dans les détails les plus minutieux, montrant aux Douze, au moyen d’exemples concrets et pratiques, jusqu’où ils devaient porter l’esprit de pauvreté et de détachement. Il est question de nourriture dans les vv. 8 et 9, du logement dans les vv. 10 et 11. — Il leur recommanda. Les prescriptions données en ce jour par Notre‑Seigneur remplissent un long chapitre du premier Évangile (Matth. 10) et concernent les missions de tous les temps. S. Marc, fidèle à son plan, d’après lequel il transcrit des faits plutôt que des discours, s’est borné à consigner ici quelques avis relatifs à la mission actuelle, qui devait se passer tout entière sur le territoire de la Palestine, en plein pays juif. — De ne rien prendre… Aucune provision n’était permise aux Douze. Bède le Vénérable indique fort bien le motif de cette injonction : « Car le prédicateur doit avoir une telle foi en Dieu que, bien qu’il ne s’applique pas à acquérir les biens de la terre, il doit cependant avoir la certitude qu’ils ne lui manqueront pas. En effet, s’il s’occupait des choses temporelles, il procurerait moins aux autres les éternelles ». Au reste, nous avons dit dans notre commentaire sur Matth. 10, 9, que, dans cette contrée hospitalière, les Apôtres n’avaient pas un besoin urgent de nourriture. — Nous avons signalé aussi au même endroit, la divergence qui existe, à propos des mots si ce n’est un bâton, entre S. Marc et les deux autres synoptiques, et la solution de ce petit problème exégétique. Les deux rédactions sont exactes ; mais elles ont été faites à divers points de vue, et renferment plutôt la pensée que les « expressions mêmes » de Jésus. — Ni sac. La « pera » des Latins, la θήκη des Grecs, était une sorte de petit sac à dos, habituellement en peau, dans lequel les voyageurs plaçaient leurs provisions pour la route, le pain en particulier ; de là les mots suivants ni pain. — Pas de vivres, pas d’argent non plus pour s’en procurer, ni argent dans leur ceinture. Telle était la coutume antique de porter l’argent dans des ceintures de cuir ou d’étoffe. — Petit trait digne de remarque : S. Marc, qui écrit pour des Romains, emploie l’expression χαλκόν, qui servait souvent à désigner l’argent monnayé ; S. Luc, qui écrit pour des Grecs, a άργύριον; S. Matthieu mentionne les trois métaux usités dans tous les temps pour servir de monnaie, l’or, l’argent et le billon (alliage d’argent et de cuivre).
Mc6.9 mais d'être chaussés de sandales et de ne pas mettre deux tuniques. — Nouvelle divergence dans ce passage, le Sauveur ne permettant pas à ses apôtres, selon la rédaction de S. Matthieu, de porter des sandales avec eux. On peut choisir entre deux solutions : 1° d’après le premier Évangéliste, Notre‑Seigneur interdit aux disciples un type de sandales montantes qui couvraient tout le pied et n’étaient guère portés que par les riches ; S. Marc nous montre les Douze simplement chaussés de sandales, c’est‑à‑dire d’une semelle de cuir attachée aux pieds par des lacets ou des courroies. 2° Dans S. Matthieu, il s’agirait de sandales de rechange ; dans S. Marc, de ceux que les Apôtres avaient aux pieds au moment de leur départ.
Mc6.10 Et il leur dit : "Partout où vous serez entrés dans une maison, demeurez-y jusqu'à ce que vous partiez de ce lieu. — Jésus trace maintenant aux nouveaux missionnaires les règles qu’ils devront suivre à propos de leur séjour et de leur logement, dans les lieux où ils s’arrêteront pour prêcher l’Évangile. S. Marc a seulement noté deux de ces règles. La première, v. 10, recommande aux Apôtres la stabilité ; la seconde, v. 11, leur indique ce qu’ils auront à faire quand ils trouveront des maisons inhospitalières où on refusera de les recevoir. — Et il leur dit. Le discours, qui avait été indirect dans les deux versets précédents, devient tout‑à‑coup direct. L’Évangéliste cite au lieu de raconter. — Vous serez entrés dans une maison… En Palestine, lorsqu’un étranger arrive dans un village ou dans un camp, les voisins, l’un après l’autre, sont tenus de l’inviter à manger avec eux. Les règles de politesse sont très sévères sur ce point, et elles exigent un grand déploiement d’ostentation et de courtoisie ; le moindre oubli dans les formes est vivement ressenti et occasionne souvent de l’inimitié ou des luttes entre voisins. Ce système d’hospitalité consume aussi beaucoup de temps, cause une grande dissipation d’esprit, conduit à la légèreté, et en un mot nuit de toutes manières au succès d’une mission spirituelle. Les Apôtres étaient envoyés, non pour être fêtés et honorés, mais pour inviter les hommes à la pénitence, pour préparer les voies du Seigneur, pour proclamer que le royaume des cieux était proche. Ils devaient donc chercher tout d’abord une habitation convenable, et demeurer là jusqu’à ce que leur œuvre fût accomplie dans la localité.
Mc6.11 Et si quelque part on refuse de vous recevoir et de vous écouter, sortez de là et secouez la poussière de dessous vos pieds en témoignage pour eux." — Secouez la poussière,… Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 14. Par ce geste symbolique, les Apôtres éconduits montraient 1° qu’ils rompaient toute communion avec ceux qui les traitaient d’une façon si brutale, et qu’ils ne voulaient avoir absolument rien de commun avec eux ; 2° qu’ils déclinaient toute responsabilité dans leur refus obstiné, de recevoir l’Évangile. « Cette poussière était un signe pour ces entêtés, elle leur montrait la voie vers la grâce, que suivaient en vain les disciples du Christ » [Saint Cyrille, cité par Francesco Saverio Patrizi, s.j.].
Mc6.12 Étant donc partis, ils prêchèrent la pénitence, — Ainsi invités à négliger à peu près totalement les moyens humains pour ne s’appuyer que sur Dieu, les Douze partent deux à deux, et s’en vont porter la bonne nouvelle dans les régions que leur Maître leur avait désignées. S. Marc décrit fort bien le résultat de leurs premiers efforts. — Il fallait faire pénitence. La prédication des Apôtres ne différait pas de celle du Précurseur (cf. Marc 1, 4), car elle était simplement préparatoire, comme la sienne. Toutefois, le verset suivant nous dira qu’ils faisaient des miracles aussi bien que leur Maître, ce qui les distinguait de Jean‑Baptiste.
Mc6.13 ils chassaient beaucoup de démons, oignaient d'huile beaucoup de malades et les guérissaient. — S. Marc mentionne deux catégories de prodiges opérés par les Apôtres durant cette mission : ils chassaient les démons, ils guérissaient les malades. Jésus leur avait précisément conféré ce double pouvoir au moment où il les éloignait de lui, cf. Matth. 10, 1. Mais quel est le sens de cette onction mystérieuse que les Douze pratiquaient sur les infirmes auxquels ils voulaient rendre la santé ? Les mots ils faisaient des onctions d’huile ont suscité autrefois de longues et vives discussions parmi les exégètes. L’huile et les onctions ayant toujours joué un très grand rôle dans la médecine orientale [Cf. Isaïe 1, 6 ; Jérémie 8, 22 ; Luc 10, 34, et les termes ἔγχριστα φάρμακα, ἰατραλείπται, si usités chez les Grecs.], nos rationalistes ont prétendu que les Apôtres les employaient tout bonnement comme des remèdes naturels. C’est là un contre‑sens grossier, puisqu’il s’agit dans tout ce verset d’une puissance surnaturelle ou miraculeuse. D’un autre côté, Maldonat (sa longue et savante dissertation sur ce point est à lire), Fr. Luc et d’autres ont pensé, à la suite du V. Bède et de Nicolas de Lyre, qu’il est ici question à n’en pas douter du sacrement de l’Extrême‑Onction. Mais ce sentiment est à bon droit rejeté par la plupart des commentateurs catholiques. Pour le réfuter, il suffit de rappeler que l’Extrême‑Onction requiert le caractère sacerdotal dans celui par qui elle est administrée, et le baptême dans le sujet : or, à cette époque, il n’existait pas encore de prêtres chrétiens, et rien ne montre que les Apôtres avaient d’abord baptisé les malades sur lesquels ils pratiquaient l’onction signalée par S. Marc. La vérité consiste à dire que cette onction était un symbole du divin pouvoir exercé par les Douze, en même temps qu’une cause médiatrice de la guérison. Néanmoins, il serait téméraire de n’y pas voir, selon les paroles de Bellarmin, « une esquisse et une figure du sacrement ». « Cette onction des infirmes a été instituée par le Christ notre Seigneur, comme un sacrement véritable et propre au nouveau testament. Elle a été insinuée par Marc, et promulguée par Jacques » [Concile de Trente, Session 14, Du Sacrement d’Extrême Onction, aussi appelé Sacrement de l’onction des malades]. — Évidemment, les Apôtres ne songèrent pas d’eux‑mêmes à oindre ainsi les malades pour les guérir : c’est de leur Maître qu’ils tenaient cette pratique, comme le disait déjà Euthymius.
Marc 6, 14‑19. Parall. Matth. 14, 1‑12 ; Luc 9, 7‑9.
Mc6.14 Or le roi Hérode entendit parler de Jésus, dont le nom était devenu célèbre et il disait : "Jean-Baptiste est ressuscité : c'est pourquoi la puissance miraculeuse opère en lui." Les trois synoptiques sont très inégaux dans leurs récits de ce douloureux événement. S. Luc se borne à faire connaître d’un mot la décapitation du Précurseur, en relatant l’opinion qu’Hérode s’était formée au sujet de Jésus. S. Matthieu abrège, ainsi qu’il lui arrive presque toujours quand il passe des discours à des faits. Notre Évangéliste au contraire a une narration parfaite à tous les points de vue et pleine de détails pittoresques. — Hérode entendit parler... Ce qu’Hérode apprit, ce furent, directement, les miracles accomplis par les Apôtres à travers les bourgades galiléennes, puis, à cette occasion, les œuvres de Jésus lui‑même, que chacun savait être leur Maître. Toute la contrée retentissait donc alors de son nom béni. Sa réputation franchit jusqu’au seuil de la cour. — Le roi Hérode. S. Matthieu et S. Luc disent plus exactement « Hérode le tétrarque » ; car cet Hérode, dont le surnom était Antipas, ne fut jamais roi d’une manière proprement dite, malgré l’ardent désir qu’il avait d’en porter le nom, malgré les démarches officielles qu’il fit à Rome dans ce but : tétrarque, tel était son vrai titre. Mais S. Marc l’appelle roi dans le sens large et populaire de cette expression : de fait, Antipas exerçait vraiment en Galilée une autorité royale. C’est le second des Hérode mentionnés dans le Nouveau Testament [Voir Matth. 2, 1] : il était fils d’Hérode‑le‑Grand. — Et il disait. C’est à ses courtisans, à ses serviteurs, qu’il communiqua le sentiment que nous allons entendre. Cf. Matth. 14, 2. — Jean‑Baptiste est ressuscité… Devenu depuis quelque temps le meurtrier de Jean‑Baptiste, le tétrarque avait l’imagination hantée constamment par le spectre de sa victime. Il est donc naturel qu’au seul bruit des miracles de Jésus, il se soit persuadé que Jean était ressuscité d’entre les morts et, sous une forme nouvelle, revenu en Galilée pour y continuer son ministère avec une puissance encore plus grande qu’avant sa mort. — C'est pourquoi la puissance miraculeuse opère en lui : des forces miraculeuses sont énergiques en lui, agissent par lui.
Mc6.15 Mais d'autres disaient : "C'est Élie" et d'autres : "C'est un prophète, semblable à l'un des anciens prophètes." — De l’opinion d’Hérode, S. Marc rapproche les sentiments divers qui avaient cours parmi le peuple touchant le Précurseur. — C’est Élie, disaient les uns. En le confondant ainsi avec le grand prophète de Thisbé, ils n’étaient pas loin de la vérité. Cf. Matth. 11, 14 ; Luc 1, 17 ; etc. — C’est un prophète, disaient les autres d’une manière moins déterminée.
Mc6.16 Ce qu'Hérode ayant entendu, il dit : "C'est Jean, que j'ai fait décapiter, qui est ressuscité." — Ayant entendu cela, c’est‑à‑dire ces différentes opinions. Hérode n’en admet aucune, mais il s’en tient fortement à celle qu’il a déjà énoncée lui‑même, v. 14. Remarquons l’assurance avec laquelle il affirme la résurrection du Baptiste : c’est un effet de ses craintes, de ses remords, du ver qui le ronge intérieurement. « Ce » et « j’ai » sont emphatiques. — N’est‑ce pas une allusion à ces terreurs d’Hérode, devenues célèbres dans tout le monde romain, que l’on croirait lire dans les vers suivants de Perse ?
Voici les jours de la fête d'Hérode. De sales lampions sont disposés sur des fenêtres noircies d'huile ; il en sort une fumée puante ; ces fenêtres sont ornées de violettes. On apporte des plats de terre peints en rouge, chargés d'une queue de thon qui nage dans la sauce. On remplit de vin des cruches blanchies. Alors, superstitieux que tu es, tu remues les lèvres tout bas ; tu trembles au sabbat des déprépucés ; tu crains les lutins noirs et les farfadets ; tu frémis si on casse un œuf. Là sont des galles, ces fanatiques prêtres de Cybèle ; ici est une prêtresse d'Isis qui louche en jouant du sistre. Avalez vite trois gousses d'ail consacrées, si vous ne voulez pas
qu'on vous envoie des dieux qui vous feront enfler tout le corps. (Perse, Saturæ 5, 169‑185)
Mc6.17 Car c'était lui, Hérode, qui avait envoyé prendre Jean et l'avait fait mettre en prison chargé de fers, à cause d'Hérodiade, femme de Philippe, son frère, qu'il avait épousée, — « Marc l’Évangéliste, à l’occasion de ce qu’il vient de raconter, rappelle ici la mort du Précurseur », Théophylacte. S. Matthieu avait fait de même, signalant d’abord l’idée singulière qu’Antipas s’était faite de Jésus, et revenant ensuite sur ses pas, afin de décrire les circonstances parmi lesquelles S. Jean avait été arrêté, puis décapité par le tétrarque voluptueux et cruel. — En prison. S. Jean fut incarcéré à Machéronte, « la forteresse noire », citadelle bâtie par Hérode‑le‑Grand dans la province de Pérée, vers le N.‑E. de la mer Morte, pour tenir en respect les tribus de pillards arabes domiciliées à l’Est du Jourdain. — À cause d’Hérodiade. Nous trouvons ici le motif de cet emprisonnement injuste et sacrilège. C’était moins Hérode qui l’avait décrété que sa nièce et belle‑sœur Hérodiade, devenue récemment son épouse, en dépit des lois divines et humaines. En effet, d’une part, la femme légitime du tétrarque était encore vivante : d’autre part, Philippe, mari d’Hérodiade et frère d’Hérode, vivait aussi. Il y avait donc trois ou quatre empêchements au mariage. Mais la passion des deux conjoints avait impudemment franchi tous les obstacles [cf. Matth. 14, 4.].
Mc6.18 car Jean disait à Hérode : "Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère." — Le nouvel Élie rappela énergiquement à Hérode les droits de la morale outragée. L’imparfait « disait » montre qu’il ne se borna pas à dire une seule fois au coupable : Il ne t’est pas permis, mais qu’il lui donna sur ce point des avertissements réitérés.
Mc6.19 Hérodiade lui était donc hostile et voulait le faire périr, mais elle ne le pouvait pas. — Hérodiade... Les transitions sont très élégamment ménagées dans tout ce récit, à l’aide des particules car, or, que nous rencontrons presque à chaque verset. Voici donc la Jézabel du Nouveau Testament qui apparaît sur la scène évangélique. Elle agira d’une manière digne de sa conduite antérieure. — Lui était donc hostile. Nouvel imparfait, qui exprime une série interminable d’embûches et de machinations perfides, telles que certaines personnes savent les dresser. Le verbe grec serait peut‑être mieux traduit par « elle lui en voulait ». On comprend sans peine pourquoi l’épouse adultère était si profondément hostile à S. Jean. « Car Hérodiade craignait qu’Hérode ne vienne un jour à résipiscence… et qu’en la répudiant, il dissolve des noces illicites », Bède. — Et voulait le faire mourir : ses souhaits de vengeance allaient jusqu’à l’homicide. Il lui fallait la tête de l’audacieux qui l’avait attaquée. Et pourtant, elle ne le pouvait pas. Le v. 20 nous montrera d’où provenait cette impuissance surprenante.
Mc6.20 Car Hérode, sachant que c'était un homme juste et saint, le vénérait et veillait sur sa vie, il faisait beaucoup de choses d'après ses conseils et l'écoutait volontiers. — Tous les détails que nous lisons ici appartiennent en propre à S. Marc. C’est une profonde étude psychologique. — Hérode craignait Jean : il le craignait d’une crainte religieuse, car il savait, l’ayant appris par sa propre expérience, que c’était un homme de Dieu. Un homme juste et saint : magnifique éloge du Précurseur, venant d’un homme tel qu’Hérode. La première épithète, comme le fait remarquer la « Glose ordinaire » (recueil de gloses bibliques des Pères de l'Église, imprimées dans les marges de la Bible Vulgate), concerne les rapports de Jean avec les hommes, la seconde ses rapports avec Dieu. Avec tous il était parfait. — Faisait beaucoup de choses d’après ses avis. « Beaucoup » est pris en bonne part : beaucoup d’excellentes choses. Hélas. que ne commençait‑il par la plus nécessaire de toutes, par celle que le Précurseur lui conseillait le plus vivement ? Le livre des Actes, 24, 26, nous montrera le proconsul Félix s’inspirant de même des conseils d’un autre prisonnier non moins illustre. — Hérode, au sortir des entretiens qu’il avait avec Jean‑Baptiste, était déconcerté, embarrassé sur une foule de points, c’est‑à‑dire agité par de légitimes scrupules à propos de la plupart de ses actes. Quoi, qu’il en soit, il l’écoutait volontiers, la vérité gardant par intervalles toute sa puissance, même sur cette âme corrompue. Hérode, dans les cachots de Machéronte, écoutait son prisonnier avec une respectueuse attention.
Mc6.21 Enfin il se présenta une occasion favorable. Le jour anniversaire de sa naissance, Hérode donna un festin aux grands de sa cour, à ses officiers et aux principaux de la Galilée. — Cependant l’âme mobile du tétrarque subissait encore un autre ascendant que celui du Précurseur, et c’est du côté du crime qu’Hérode finira par tomber. — Une occasion favorable. Hammond, Paulus, Kuinœl, etc., donnent à cette locution le sens du יום טוב hébreu, « jour de fête » ; d’autres exégètes pensent que l’Évangéliste a plutôt voulu parler d’un jour opportun pour la réalisation des sanglants desseins d’Hérodiade. Selon M. Schegg, il s’agirait simplement d’un jour convenable pour la célébration de l’anniversaire du tétrarque. Le contexte favorise ce sentiment. — Le jour anniversaire de sa naissance ; les « natalitiæ dapes » des Romains. « Hérode et le Pharaon sont les seuls mortels dont on lise dans l’Écriture qu’ils ont célébré le jour de leur naissance par des festivités et des réjouissances. Et l’un et l’autre, en un signe de mauvais augure, ont souillé par du sang leur anniversaire de naissance. Mais Hérode avec une impiété d’autant plus grande qu’était saint et innocent le docteur de vérité qu’il a tué, et cela à la demande d’une danseuse ». Bède le Vénérable — Aux grands, aux officiers et aux principaux… S. Marc seul mentionne les trois catégories de convives invités par Hérode. La première se composait des officiers de la cour ; la seconde, des principaux chefs de l’armée, cf. Actes 21, 31 ; 26, 26 ; la troisième, d’un certain nombre de notables du pays. Ce détail nous donne une idée de la magnificence avec laquelle Antipas célébrait son anniversaire. Aussi le « Jour d’Hérode » était‑il proverbial à Rome [Cf. Perse, Saturæ, loc. cit.].
Mc6.22 La fille d'Hérodiade étant entrée dans la salle, dansa et plut tellement à Hérode et à ceux qui étaient à table avec lui, que le roi dit à la jeune fille : "Demande-moi ce que tu voudras et je te le donnerai." — La fille d’Hérodiade. Le pronom est emphatique : ce fut la fille d’Hérodiade « elle‑même », et non une danseuse de profession, qui, sur la fin du repas, vint égayer les convives par un de ces ballets en général très licencieux qui ont toujours été l’accompagnement obligatoire des fêtes orientales. On y représente par des poses variées des caractères, des situations morales, des passions [Cf. Saint Ambroise de Milan, de Virgin, lib. 3, c. 6.]. — La fille d’Hérodiade s’appelait Salomé [Cf. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 18, 5, 4.]. — Le verbe étant entrée suppose qu’elle n’assistait pas au festin : en effet, les femmes en Orient ne prennent qu’en de très rares occasions leurs repas avec les hommes.
Mc6.23 Et il ajouta avec serment : "Quoi que ce soit que tu me demandes, je te le donnerai, jusqu'à la moitié de mon royaume." — Quoique ce soit que tu me demandes. Le prince échauffé par la volupté et par le vin, promet à la jeune danseuse, sous le sceau du serment, de lui octroyer tout ce qu’elle lui demandera, dût‑elle exiger la moitié de son royaume. Cette locution, la moitié de mon royaume, dans la bouche du roi, était proverbiale pour signifier qu’il était disposé à ne rien refuser, quelque extravagant que pût être le désir [Cf. Esther 5,3 ; 7, 2 ; et chez les classiques, Hyginus, Fabulae 84 ; Homelia, 2, 10, 602.].
Mc6.24 Elle sortit et dit à sa mère : "Que demanderai-je ?" Sa mère lui répondit : "La tête de Jean-Baptiste." — Étant sortie. Embarrassée d’une telle promesse, la jeune fille sort (trait spécial à S. Marc) pour aller consulter sa mère ; car Hérodiade non plus n’assistait pas au banquet. — La tête de Jean‑Baptiste. Celle‑ci n’hésita pas un instant. Profitant habilement d’une situation qu’elle ne retrouverait peut‑être jamais, tirant parti de l’imprudence royale qui la rendait elle‑même toute‑puissante, elle veut que sa fille demande la tête du Précurseur.
Mc6.25 Revenant aussitôt avec empressement auprès du roi, la jeune fille lui fit cette demande : "Je veux que tu me donnes, à l'instant, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste." — Quelle vie, quel pittoresque dans ce récit tragique. La scène tout entière est mise sous nos yeux. — Elle s’empressa de rentrer. Des appartements d’Hérodiade, Salomé revient en courant à la salle du festin ; pas une minute n’est perdue par cette digne fille de sa mère. Elles avaient en effet l’une et l’autre mêmes raisons de haïr et de redouter Jean‑Baptiste. La conversion du roi eût été pour toutes deux le renvoi de la cour et le retour à une position relativement humble et pauvre. — Je veux. Elle appuie sur ce mot : Je veux, vous m’avez donné le droit d’être absolue dans ma volonté. — À l’instant, immédiatement, car elle ne veut pas laisser à Hérode le temps de se repentir. — Que tu me donnes : dans ses propres mains, de crainte qu’on ne la trompe. Quel langage, et dans quelles circonstances.
Mc6.26 Le roi fut attristé : néanmoins, à cause de son serment et de ses convives, il ne voulut pas l'affliger d'un refus. — Le roi fut attristé. Le texte grec est très expressif : « étant devenu très affligé ». S. Matthieu, 24, 38, et S. Marc, Marc 14, 34 emploient le même adjectif pour décrire la tristesse qui envahit la sainte âme de Jésus à Gethsémani. — Hérode regrette sa parole imprudente. Il pourrait, il est vrai, la rétracter ; mais son serment le retient, à cause de son serment, comme si un pareil serment eût été obligatoire. Ce qui le retient encore davantage, c’est l’assistance, ceux qui étaient à table avec lui. Il croirait forfaire à l’honneur en retirant la promesse faite devant une si honorable assemblée. Ce faux honneur mondain a fait commettre bien des crimes. — Il ne voulut pas lui refuser. Le verbe grec devrait être traduit par « renvoyer ». Le tétrarque n’osa donc pas renvoyer Salomé sans l’exaucer.
Mc6.27 Il envoya aussitôt un de ses gardes avec l'ordre d'apporter la tête de Jean sur un plat. — Il envoya aussitôt un de ses gardes. Nous lisons le même mot (σπεκουλάτωρα, spiculator) dans le texte grec et dans le texte latin : c’est là une des expressions latines grécisées par S. Marc. Cf. la Préface, § 4, 3. Le substantif « spiculator » avait primitivement la signification de sentinelle. Les écrivains latins contemporains de S. Marc l’emploient pour désigner des soldats auxquels on confiait les fonctions d’éclaireurs ou d’aides de camp [Voir Anthony Rich, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, s. v. Speculatores. Cf. Suétone, Caligula, c. xliv ; Tacite, Historiae, 11, 73.]. Mais il indiquait aussi les exécuteurs des hautes œuvres [Cf. Sénèque (Lucius Annaeus Seneca), de Beneficiis, 3, 25 ; de Ira, 1, 16 ; Julius Firmicus Maternus, 8, 26.] et tel est ici son véritable sens. Les Rabbins, du reste, l’avaient fait passer dans la langue hébraïque et s’en servaient aussi pour nommer le bourreau הסחוריים מיתה למלר ספקלטרר הירג. Gloss, ad Tanch. f. 72, 2. Le spiculator exécute ceux qui ont été condamnés à mort par le roi.
Mc6.28 Le garde alla décapiter Jean dans la prison et apporta sa tête sur un plat, il la donna à la jeune fille et la jeune fille la donna à sa mère. — Apporta sa tête. Chef sacré, que l’on vénère aujourd’hui dans l’église d’Amiens (en France). — Hérode n’eut pas honte de le faire porter tout sanglant devant ses hôtes : Salomé le saisit sans frémir pour le présenter à sa mère. Mais les cours orientales étaient habituelles à de pareils spectacles. « De cet horrible exemple, dit pieusement Bède le Vénérable, nous devons conclure qu’il vaut bien mieux nous rappeler le jour de notre mort dans la prière et la chasteté, que de célébrer le jour de notre naissance par la luxure ». Citons une autre belle réflexion : « Je ne puis sans un profond étonnement me souvenir que cet homme, rempli de l’esprit de prophétie dès le sein de sa mère, lui qui n’eut pas plus grand que lui parmi les fils de la femme, ait été jeté par des pervers dans une prison, décapité pour payer la danse d’une jeune fille, et que cet homme d’une telle austérité soit mort sous le rire des êtres les plus vils. Pouvons‑nous admettre qu’il y ait eu dans sa vie quelque chose qui excuse sa mort ?… D’où vient que le Dieu tout‑puissant ait pu abandonner d’une manière si terrible ceux auxquels il a accordé une élection si sublime avant le commencement du monde ? À moins que ce ne soit, ainsi qu’il parait évident à la piété des fidèles, que Dieu brise en les faisant tomber si bas ceux qu’il sait devoir récompenser en les portant sur les hauteurs. Au dehors, il les laisse déchoir jusque dans l’abjection, parce qu’au dedans il les fait pénétrer jusque dans une gloire incompréhensible » [Saint Grégoire, Moralia in Job, 3, 5.]. Voir aussi un beau passage de saint Ambroise [de Virginibus, l. 4 (leçons du 28 Nocturne dans le Bréviaire Romain pour le 29 août). Le Bréviaire est aussi appeler « La Liturgie des Heures depuis le concile Vatican II, 1962-1965].
Mc6.29 Les disciples de Jean l'ayant appris, vinrent prendre son corps et le mirent dans un tombeau. — Malgré sa lâche cruauté, Hérode permit cependant aux disciples du Précurseur de donner à leur Maître une sépulture honorable. D’après la tradition, ils l’enterrèrent à Sébaste en Samarie, auprès des tombeaux d’Élisée et d’Abdias. Puis, ajoute S. Matthieu, 14, 12, « ils allèrent l’annoncer à Jésus ».
Marc 6, 30‑44.Parall. Matth. 14, 13‑21 ; Luc 9, 10‑17 ; Jean 6, 1‑13.
Mc6.30 De retour près de Jésus, les Apôtres lui rendirent compte de tout ce qu'ils avaient fait et de tout ce qu'ils avaient enseigné. — Les Apôtres, revenant auprès de Jésus. Cependant, la courte mission des Apôtres est achevée, et ils reviennent, au temps qui leur avait sans doute été fixé, rejoindre le Sauveur à Capharnaüm. « Apprenons, nous aussi, quand on nous envoie en mission, à ne pas nous attarder, et à ne pas aller au‑delà de notre mandat. Mais à retourner vers celui qui nous a envoyé, et à lui rapporter tout ce que nous avons fait et enseigné », Théophylacte. S. Marc et S. Luc mentionnent seuls le retour des Douze auprès de Jésus, et le compte‑rendu détaillé qu’ils lui firent de leur prédication et de leurs œuvres.
Mc6.31 Il leur dit : "Venez, vous autres, à l'écart, dans un lieu désert et prenez un peu de repos." Car il y avait tant de personnes qui allaient et venaient, que les Apôtres n'avaient pas même le temps de manger. — Les détails pleins d’intérêt que contient ce verset sont propres au second Évangile. Ils consistent en une touchante invitation adressée par Jésus à ses disciples, et en une réflexion pittoresque du narrateur. — 1° La parole de Jésus : Venez à l’écart… Le texte grec est beaucoup plus énergique : Vous seuls, et pas d’autres, venez avec moi dans une retraite solitaire. — Reposez‑vous un peu. Quel bon Maître. Lui qui ne s’accordait pas un seul instant de repos, il songe à procurer quelques jours de récréation et de vacances à ses Apôtres après leurs labeurs évangéliques. Il est vrai, comme le font remarquer les anciens exégètes, que ce ne devait pas être des vacances complètement oisives, mais une sorte de retraite spirituelle, Jésus voulant apprendre ainsi aux Douze, et à tous les missionnaires ou prédicateurs apostoliques, qu’un pasteur des âmes ne doit pas s’oublier dans la vaine contemplation du bien qu’il a pu faire, mais qu’il a des obligations importantes à remplir envers soi‑même. — 2° La réflexion de l’Évangéliste : tant de personnes qui allaient et venaient… Cette réflexion pittoresque, qui montre si bien au lecteur le prodigieux concours dont le Sauveur était alors le centre, renferme en même temps le motif pour lequel Jésus voulait conduire les siens dans la solitude. L’affluence était telle sur la rive occidentale du lac, qu’il eût été impossible, en y restant, de trouver une seule minute de repos. La sainte troupe n’avait pas même le temps de prendre ses repas s’écrie pour la seconde fois S. Marc. Cf. Marc 3, 20. « Heureux temps où tel était le zèle des auditeurs, et le travail de ceux qui enseignaient. », Bède. C’était la proximité de la Pâque qui attirait alors à Jésus un si grand nombre de visiteurs. Cf. Jean 4, 4. Les pèlerins, accourus en foule de toutes les contrées au nord, se groupaient à Capharnaüm et partaient de là en longues caravanes pour gagner la capitale juive.
Mc6.32 Ils embarquèrent donc et se retirèrent à l'écart dans un lieu solitaire. — On a relèvé le caractère solitaire et l’aspect désert de la contrée située au N.‑E. du lac de Tibériade. Moins arrosée, moins fertile, elle avait beaucoup moins d’habitants : elle convenait donc à merveille pour le but que se proposait Notre‑Seigneur. C’est là qu’il se rendit avec les Douze après avoir franchi le lac de l’ouest à l’est. Cf. Jean 4, 1.
Mc6.33 On les vit partir et beaucoup de gens ayant deviné où ils allaient, de toutes les villes on accourut par terre en ce lieu et on arriva avant eux. — Description plastique et vivante, même pour S. Marc où tout est si vivant. — On les vit partir. Le sujet de « vit » n’est pas exprimé, mais on le devine aisément. C’est la foule mentionnée au v. 31 qui vit partir Jésus avec les siens. La nouvelle passe de bouche en bouche (ayant deviné), et suggère aussitôt à ce bon peuple une résolution admirable, qui nous montre jusqu’à quel point il aimait le Sauveur. — On accoururent par terre, c’est à dire à pieds. De toutes les villes et bourgades bâties au N.‑O. du lac, sortent des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, tous désireux de rejoindre l’orateur, le thaumaturge si populaire. La barque qui le porte est là‑bas sur les eaux ; tandis que tous les regards suivent sa direction, les pieds marchent au plus vite, de crainte qu’il n’aborde et ne s’enfonce dans les terres avant qu’on ait pu l’atteindre. — ...et arrivèrent avant eux. Comme il est moralement impossible, à moins de circonstances extraordinaires qu’il n’y a pas lieu de supposer ici (des vents contraires par exemple), que des marcheurs, partis de Capharnaüm et des alentours, mettent moins de temps à contourner la mer de Galilée jusqu’au delà de l’embouchure du Jourdain qu’un bon canot n’en mettrait à parcourir en droite ligne la distance qui sépare ces deux points, nous inclinons à adopter la leçon « on arriva avant eux » qu’on rencontre dans plusieurs manuscrits. De la sorte toute difficulté disparaît.
Mc6.34 Lorsque Jésus débarqua, il vit une grande multitude et il en eut compassion, parce qu'ils étaient comme des brebis sans pasteur et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses. — Voilà Jésus et les Douze frustrés de la retraite et du repos qu’ils s’étaient promis. Mais le bon Pasteur s’oublie lui‑même pour ne penser qu’à ses pauvres brebis. — Il en eut compassion : son divin cœur est saisi d’une indicible pitié au souvenir des misères morales du peuple qui l’entoure. Ces misères sont décrites brièvement, mais vivement, à l’aide d’une réflexion propre à S. Marc, quoique S. Matthieu l’ait aussi faite en un autre endroit, Matth. 9, 36. (Voyez le commentaire de Matth. 9, 36). — Ils étaient comme des brebis sans berger. Rien ne montre mieux que cette image le triste état moral dans lequel était alors la nation théocratique. « Les Pharisiens, ces loups dévorants, ne nourrissaient pas le peuple ; au contraire, ils le dévoraient », Théophylacte. Plaise à Dieu que les brebis du Christ n’aient à leur tête que des pasteurs fidèles. — Il se mit à leur enseigner beaucoup de choses. « Il leur parlait du royaume de Dieu », dit S. Luc, 9, 11, et il ajoute : « et guérissait ceux qui avaient besoin d’être guéris ».
Mc6.35 Comme l'heure était déjà avancée, ses disciples vinrent lui dirent : "Ce lieu est désert et déjà l'heure est avancée, 36 renvoyez-les, afin qu'ils aillent dans les fermes et les villages des environs, pour s'acheter de quoi manger." — L’heure était déjà fort avancée. C’est‑à‑dire « le soir étant venu », Matth. 14, 15. Les heures s’écoulèrent vite pour la foule émue, attentive, comme pour le divin orateur. Il y avait de part et d’autre tant de charmes soit à distribuer soit à goûter la nourriture spirituelle. Voici pourtant que le besoin d’une autre nourriture, non moins nécessaire, menace de se faire sentir d’une manière embarrassante, et les disciples s’approchent de Jésus pour le lui rappeler respectueusement. En ce lieu désert, lui disent‑ils, il est impossible de se procurer des vivres, et voilà que la nuit approche. Il est donc temps de congédier cette foule, si vous voulez qu’elle n’aie pas à souffrir de la faim. — Le mot villages désigne les métairies isolées ; bourgs représente les bourgs et les villages. — Et s’achèter de quoi manger. Beaucoup, sans doute n’avaient pas pris de provisions au moment de se mettre en route, car ils ne songeaient qu’à rejoindre Jésus : les autres avaient consommé celles dont ils s’étaient munis le matin. Le texte grec porte « des pains », ce qui constitue un hébraïsme, le mot pain, chez les Hébreux, servant à indiquer toute sorte de nourriture. Le Codex Sinaïticus a pourtant « des aliments ».
Mc6.37 Il leur répondit : "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Et ils lui dirent : "Irons-nous donc acheter pour deux cents deniers de pain, afin de leur donner à manger ?" — Donnez‑leur vous‑mêmes. « Vous » est emphatique. À quoi bon me donner ce conseil ? Vous, ne pourriez‑vous pas trouver des aliments pour cette foule ? — Les voilà tout troublés par la réflexion de leur Maître. Aussi répondent‑ils avec une légère pointe d’ironie : Irons‑nous donc acheter…? S. Marc et S. Jean ont seuls conservé cette réponse des Douze, mais avec une divergence que les rationalistes se hâtent de nommer contradiction. Saint Augustin expose en quelques mots là difficulté et la solution : « Le Sauveur aurait jeté les yeux sur la multitude et dit à Philippe ce que nous lisons dans le seul texte de saint Jean. Quant à la réponse que celui‑ci prête à Philippe, saint Marc la présente comme ayant été faite par les disciples ; pour faire entendre que cet Apôtre exprimait alors la pensée commune ; à moins que, comme il arrive très fréquemment, les trois évangélistes n'aient employé le nombre pluriel pour le singulier ». [Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, l. 2, c. 46.] — Deux cents deniers. Le denier était, comme l’on sait, la plus petite monnaie d’argent des Romains : il servait souvent d’unité quand on avait à supputer une somme. Il avait cours dans toute la Palestine. Sa valeur correspondait environ au coût d’une journée de travail.
Mc6.38 Il leur demanda : "Combien avez-vous de pains ? Allez et voyez." S'en étant instruits, ils lui dirent : "Cinq pains et deux poissons." — Le dialogue se poursuit entre le Maître et les disciples. La demande de Jésus, Combien avez‑vous de pains ? et l’injonction rapide qui la suit, Allez et voyez, n’ont été relatées que par S. Marc. — Lorsqu’ils s’en furent informés. Les Apôtres n’avaient avec eux aucune sorte de vivres ; mais, comme le raconte S. Jean, 6, 8, avec plus de détails, ils surent bientôt qu’un jeune homme mêlé à la foule possédait cinq pains d’orge et deux poissons.
Mc6.39 Alors il leur commanda de les faire tous asseoir, par groupes, sur l'herbe verte, — Alors il leur commanda… Jésus, ayant à sa disposition cette modeste base du festin miraculeux qu’il allait donner à des milliers de convives, s’occupe, comme un maître de maison, de faire asseoir ses hôtes. Notre narrateur redouble ici de pittoresque et d’exactitude. — De les faire tous asseoir par groupes : le texte grec a le sens de « en groupes, rangés par lignes et colonnes ». — Sur l’herbe verte. Le frais gazon qui abonde dans la plaine d’El‑Batîhah était alors en pleine croissance, car le printemps avait déjà commencé. Il remplaça les divans usités aux repas des Juifs.
Mc6.40 et ils s'assirent par groupes de cent et de cinquante. — Ils s’assirent par groupes. Dans le texte grec : par troupes et par troupes. C’est‑à‑dire, par groupes, ou d’après toute l’énergie de l’expression, comme les carrés d’un parterre. « L'Évangéliste nous donne ainsi à entendre que toute cette multitude fut distribuée par groupes ; car dans le texte grec, cette expression, par troupes, par sociétés, se trouve répétée, comme s'il y avait : Par groupes et par groupes ». Théophylacte. Si l’on se souvient que les Orientaux, fussent‑ils très pauvres, aiment à se couvrir de vêtements multicolores, on comprend mieux encore cette ingénieuse comparaison, communiquée selon toute vraisemblance à notre narrateur par saint Pierre, sa source vivante, qui avait été témoin du fait. — De cent et de cinquante. Indication un peu obscure, qui a été diversement interprétée. D’après quelques auteurs, elle signifierait simplement que les convives avaient été partagés en groupes de cent, qui alternaient avec des groupes de cinquante. L’opinion de M. Schegg est plus compliquée. Selon cet exégète, les hôtes de Jésus, distribués comme le raconte l’Évangéliste, auraient formé un quadrilatère composé de cinquante files qui contenaient cent hommes. Nous préférons nous représenter l’assemblée divisée en une vingtaine de groupes dont chacun avait, comme les tables des anciens, la forme d’un fer à cheval et contenait 250 hommes, deux lignes de 100 réunies par une ligne de 50. Quoi qu’il en soit, le but de ce placement est facile à comprendre. Jésus voulait d’une part rendre la distribution des vivres plus facile, d’autre part éviter la confusion qui n’eût pas manqué de se produire si chacun des 5000 convives avait été abandonné à sa propre inspiration.
Mc6.41 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction. Puis il rompit les pains et les donna à ses disciples, pour qu'ils les distribuassent au peuple, il partagea aussi les deux poissons entre tous. — Quelle simplicité dans le récit de cet étonnant prodige. On croirait que les Évangélistes racontent la chose la plus simple et la plus naturelle. — Il les bénit. Ce mot désigne probablement la prière que le père de famille, chez les Juifs, récitait au nom de tous avant le repas. — Il les donna. Dans le texte grec le verbe est à l’imparfait ; ce qui suppose que le Sauveur ne remit pas en une seule fois tous les pains aux Apôtres, mais qu’il leur donnait, par des actes répétés, les fragments qui se multipliaient entre ses mains divines. Ou plutôt, après avoir sa bénédiction, il divisa probablement les pains et mes poissons en plusieurs morceaux et les déposa au fond de paniers avec couvercle qui devaient se trouver là, ou au fond de grands sacs, puis lorsqu’il dit à ses disciples de les distribuer, ceux-ci soulevèrent des paniers subitement remplis et débordant, paniers ou sacs qui ne diminuèrent jamais malgré la distribution.
Mc6.42 Tous mangèrent et furent rassasiés, 43 et l'on emporta douze corbeilles pleines de morceaux de pain et de ce qui restait des poissons. 44 Or ceux qui avaient mangé étaient au nombre de cinq mille hommes. — Détails qui ont tous pour fin de rehausser la grandeur du miracle. 1° v. 42. Non seulement tous mangèrent, mais tous furent rassasiés. 2° v. 43. Après que chacun eût mangé selon son appétit, les Apôtres, sur l’ordre de Jésus, Jean 6, 42, ramassèrent douze corbeilles pleines de restes, c’est‑à‑dire plus de douze fois la quantité de pain qui avait servi de matière au prodige. 3° v. 44. Les convives étaient au nombre de cinq mille ; sans compter les femmes et les enfants, ajoute S. Matthieu, 14, 22. « C’était là l’œuvre d’une puissance surabondante… Si Moïse donnait la manne, il n’en donnait à chacun que le nécessaire… Élie nourrissant la veuve, ne lui donnait non plus que le nécessaire. Jésus seul, comme Seigneur, agit d’une manière surabondante ». Théophylacte. Élisée pourtant, 2 Rois 4, 42‑44, avait opéré un jour un miracle analogue à celui du Sauveur ; mais il avait eu vingt pains à sa disposition et seulement cent hommes à nourrir.
Marc 6, 45‑52. Parall. Matth. 13, 22‑33; Jean 6, 14‑21.
Mc6.45 Aussitôt après, Jésus obligea ses disciples de monter dans la barque et de passer avant lui de l'autre côté du lac, vers Bethsaïde, pendant que lui-même renverrait le peuple. Le récit de ce miracle, dans le second Évangile, suit de très près celui de S. Matthieu ; mais il l’emporte de nouveau par la vivacité des couleurs et le grand nombre des détails. — Aussitôt : immédiatement après le prodige de la multiplication des pains. Le moindre délai aurait pu avoir des conséquences fâcheuses, et permettre à la foule enthousiasmée de s’entendre avec les Apôtres, pour exécuter le plan qu’elle avait conçu de s’emparer du Sauveur et de le proclamer Roi‑Messie. Cf. Jean 6, 14, 15, et l’Évangile selon S. Matthieu, 14, 22. Sachant bien que les Douze n’auraient que trop secondé ce dessein du peuple, Jésus les força, en quelque sorte malgré eux (il les obligea), de s’embarquer en toute hâte, et de se diriger vers la rive occidentale. Comparez le v. 32 et l’explication. — Vers Bethsaïde. C’est là, dans la patrie de trois d’entre eux, Simon‑Pierre, André et Simon‑le‑Cananéen, qu’il leur fixait un prochain rendez‑vous. Et pourtant, d’après Luc 9, 10, le lieu désert dans lequel venait d’avoir lieu le festin merveilleusement improvisé par Notre‑Seigneur s’appelait aussi Bethsaïda : « il se retira à l’écart dans un lieu désert, près de Bethsaïda ». Que conclure de là ? Que le second et le troisième Évangéliste sont en désaccord ? Nullement, mais qu’il existait dans la Palestine du Nord deux cités du même nom, dont l’une, celle que les disciples quittaient, surnommée Julias en l’honneur de la fille d’Auguste, était située à l’Est du Jourdain, à peu de distance de l’endroit où ce fleuve pénètre dans la mer, tandis que l’autre, celle où ils se rendaient, s’élevait à peu de distance de Capharnaüm, au N.‑O, du lac de Tibériade.
Mc6.46 Et après qu'il en eut pris congé, il alla sur la montagne pour prier. 47 Le soir étant venu, la barque était au milieu de la mer et Jésus était seul à terre. — après qu'il en eut pris congé. Le pronom désigne la foule et non les disciples. — Le soir représente les premières lueurs de la nuit, puisque, dès le v. 35, il était déjà tard. — La barque était au milieu de la mer. Le verset suivant nous indiquera le motif pour lequel les Apôtres n’avaient pas encore pu franchir la distance assez courte qui sépare les ports des deux Bethsaïda : ils avaient « vent debout », comme disent les marins, et ne pouvaient avancer que très lentement. — Jésus était seul à terre. Beau contraste, qui fait tableau : d’une part Jésus, complètement seul, priant au sommet d’une colline dans le silence du désert et de la nuit ; de l’autre les Douze, dans un frêle esquif violemment agité par les vagues en furie, et ramant de toutes leurs forces.
Mc6.48 Voyant qu'ils avaient beaucoup de peine à ramer, car le vent leur était contraire, vers la quatrième veille de la nuit, il alla vers eux, marchant sur la mer et il voulait les dépasser. — Jésus aperçut ses disciples soit d’une manière surnaturelle, soit plus vraisemblablement de ses propres yeux, du bord du rivage : la nuit pouvait être claire, malgré le vent, et l’on nous a dit que les Apôtres n’avaient pu réussir à s’éloigner beaucoup. — Ils avaient beaucoup de peine à ramer. L’expression grecque traduite par ces mots est d’une rare énergie, littéralement : torturés à ramer. Le mot de S. Marc est donc plein de couleur locale : saint Pierre, qui le lui avait sans doute suggéré, se souvenait encore, après de longues années, des rudes labeurs de cette nuit orageuse. — Vers la quatrième veille de la nuit. La première des quatre subdivisions (appelées veilles) dont se composait alors la nuit chez les Juifs commençait à 6 h du soir, la seconde à 9 h, la troisième à minuit, la quatrième à 3 h du matin. Il était par conséquent de 2 à 4 h quand Jésus s’avança vers ses disciples en marchant sur les eaux du lac, affirmant ainsi sa royauté sur la nature, dont il renversait par un éclatant prodige les lois habituelles. — Il voulait les dépasser. C’est‑à‑dire, « il se portait en avant, comme s’il voulait les devancer », Fr. Luc [Cf. Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, l. 2, c. 47 ; Corneille de la Pierre, h. l., etc.]. S. Marc parle au point de vue des apparences extérieures. De fait, Notre‑Seigneur, s’approchant de la barque et faisant quelques pas sur les flots, dans une direction parallèle à celle qu’elle suivait, semblait vouloir la dépasser. C’était une manière d’éprouver la foi des Douze : plus tard, il éprouva d’une façon analogue les deux pèlerins d’Emmaüs, Luc 24, 28. Il n’y a donc pas la moindre contradiction entre le récit de S. Marc et celui de S. Jean. Voyez Jean 6, 14‑24 et le commentaire.
Mc6.49 Mais eux, le voyant marcher sur la mer, crurent que c'était un fantôme et poussèrent des cris. 50 Car ils le voyaient tous et ils étaient bouleversés. Aussitôt il leur parla et leur dit : "Ayez confiance, c'est moi, n’ayez pas peur." — Deux scènes rapides et touchantes. La première est une scène d’effroi, la seconde une scène d’encouragement et de réconfort. — Eux... crurent que c’était un fantôme. Dès qu’ils aperçurent cette forme majestueuse qui glissait sur les flots, les Apôtres supposèrent que c’était un de ces fantômes dont se repaît l’imagination populaire, ou l’âme d’un mort, ou en général quelque apparition dangereuse. Ils poussèrent alors une exclamation de frayeur. Plus tard encore, après sa Résurrection, ils prendront Jésus pour un fantôme. Cf. Luc 24, 36-37. — Mais aussitôt il leur parla. Leur effroi ne dura qu’un instant, car le bon Maître se hâta de les rassurer en se faisant connaître. — S. Marc passe entièrement sous silence, un incident qui se produisit alors, et dont saint Pierre fut le héros. Cf. Matth. 14, 28‑31 et le commentaire. Sur les motifs de cette omission, voyez la Préface, § 4, 4.
Mc6.51 Il monta ensuite auprès d'eux dans la barque et le vent cessa, or leur étonnement était au comble et les mettait hors d'eux-mêmes, — Le vent cessa. Cet apaisement subit, qui coïncida avec l’entrée de Jésus dans la barque, doit être regardé comme le résultat d’un nouveau miracle. Cela ressort du contexte d’une manière très évidente. Pourquoi en effet la recrudescence d’admiration de la part des disciples, signalée immédiatement après par l’Évangéliste, s’il ne se fût agi que d’un fait naturel ? On sait du reste qu’un vent violent ne cesse pas tout d’un coup, mais qu’il lui faut un certain temps pour se calmer. — Ils étaient intérieurement au comble de la stupéfaction. Nous avons à noter ici deux expressions très fortes du texte grec, par lesquelles l’écrivain sacré a voulu mettre en relief le caractère extraordinaire de l’étonnement des Douze, et qui correspondent à peu près à « tout à fait au‑delà de toute mesure » et à « saisis intérieurement par la stupéfaction ». On dirait que S. Marc, ne sachant comment exprimer la stupéfaction des Apôtres, accumule les synonymes pour en donner au moins une idée.
Mc6.52 car ils n'avaient pas compris le miracle des pains, parce que leur cœur était aveuglé. — Car… Parce que… Les deux conjonctions que nous rencontrons coup sur coup dans ce verset, montrent que l’Évangéliste se propose d’expliquer pourquoi les disciples, habitués cependant à tant de miracles, avaient été si frappés de ceux qu’ils avaient vus en dernier lieu. C’est là une note spéciale à S. Marc : elle nous ouvre un horizon des plus instructif non toutefois des plus consolants, sur l’état moral du collège apostolique à cette époque de la vie de Jésus. — Ils n’avaient pas compris. Ils n’avaient donc pas compris le premier des trois prodiges récemment opérés par leur Maître. L’Évangéliste semble vouloir insinuer que leur peu d’intelligence sur ce point provenait du défaut de réflexion. S’ils eussent réfléchi, il leur eût été aisé de comprendre que rien n’était impossible à Notre‑Seigneur, et aucun miracle ne les aurait étonnés de sa part. — Leur cœur était aveuglé… Stupéfaits parce qu’ils n’ont pas compris, ils n’ont pas compris parce qu’ils ont un cœur lent à percevoir, « endurci ». Tel est en effet le sens du participe traduit ici par aveuglé. Ce sont d’ailleurs deux images également exactes. Saint Paul ne parle‑t‑il pas, Ephésiens 1, 18, des « yeux illuminés du cœur » ?
Miracles de guérison dans la plaine de Gennésareth. Marc 6, 53‑56.
Parall. Matth. 14, 34‑36.
Mc6.53 Après avoir traversé le lac, ils vinrent au territoire de Génésareth et y abordèrent. — La terre de Gennésareth, mentionnée ici seulement et dans le passage parallèle de S. Matthieu, est une belle plaine en forme de croissant, située à l’Ouest du lac de Tibériade, auquel elle a parfois prêté son nom. Josèphe la compare à un paradis à cause de sa fertilité [Flavius Josèphe, Bellum Judaicum, 3, 10, 8.]. — Ils accostèrent : terme nautique qu’on ne trouve qu’en cet endroit du Nouveau Testament.
Mc6.54 Quand ils furent sortis de la barque, les gens du pays, ayant aussitôt reconnu Jésus, — À peine débarqué, Jésus fut reconnu par les habitants, du lieu, car le jour avait lui dans l’intervalle. Cf. v. 48. Le divin Thaumaturge, si populaire dans toute la Galilée, ne pouvait plus cacher sa présence, surtout à une si courte distance de Capharnaüm. Ses traits, une fois contemplés, se gravaient dans la mémoire d’une manière ineffaçable.
Mc6.55 parcoururent tous les environs et l'on se mit à lui apporter les malades sur les brancards, partout où l'on apprenait qu'il était. — Et parcourant toute cette contrée… Série de traits extrêmement pittoresques. Nous voyons pour ainsi dire ces bons Galiléens courir à travers la grande plaine d’El‑Ghuvéir, pour répandre dans les moindres hameaux la nouvelle de l’arrivée de Jésus, revenir portant des malades sur leurs épaules, puis, ne trouvant plus le Sauveur où ils l’avaient laissé, parce qu’il s’était avancé plus loin, s’informer de sa nouvelle résidence, et s’y rendre toujours chargés de leur pieux fardeau, qu’ils promenaient ainsi forcément en divers lieux. — Partout où ils entendaient dire qu’il était. La phrase grecque est moins obscure : ils portaient les malades « là où ils apprenaient qu’il se trouvait ». C’est du reste un hébraïsme manifeste : שם הוא כי שמעו אשר. Sur les grabats, voyez Marc 2, 4 et l’explication. — « Vois quelle est la foi des hommes de la ville de Génésareth. Ils ne se contentent pas de ce que ceux qui sont présents aient reçu le salut, mais ils envoient des délégués à toutes les villes des alentours, pour que tous accourent au médecin », Bède.
Mc6.56 En quelque lieu qu'il arrivât, dans les villages, dans les villes et dans les campagnes, on mettait les malades sur les places publiques et on le priait de les laisser seulement toucher la frange de son manteau et tous ceux qui pouvaient le toucher étaient guéris. — Autre exemple de cette foi admirable. — Dans les bourgs, dans les villages ou dans les villes. Le texte grec ne mentionnant les métairies qu’après les villes. Cette nomenclature, où nous trouvons réunis presque tous les noms qui servent à désigner les différentes agglomérations d’habitations humaines, suppose, et c’était vrai, que la plaine, de Gennésareth nourrissait une population considérable. — La frange de son vêtement. Les malades étant sans doute trop nombreux pour que Jésus leur imposât individuellement les mains, on conjurait le bon Maître de leur laisser au moins toucher ses tzizzith, c’est‑à‑dire les franges de son manteau [Voyez Matth. 23, 5.]. On savait apparemment que l’hémorrhoïsse avait été guérie par leur contact, Marc 5, 27 ; cf. Matth. 9, 20. — Tous ceux qui le touchaient étaient guéris. L’imparfait sert à indiquer une coutume, un fait qui se renouvelait sans cesse, Jésus dût passer quelques jours de paix et de bonheur au milieu de cette population respectueuse et aimante.
CHAPITRE 7
Mc7.1 Les Pharisiens et plusieurs Scribes venus de Jérusalem s'assemblèrent auprès de Jésus. — Les jours de bonheur dont nous parlions plus haut ne furent pas de longue durée. Voici déjà que les Pharisiens et les Scribes se chargent de les interrompre. Au reste, les conflits vont désormais se multiplier entre Jésus et ses adversaires : le divin Maître en profitera pour mettre ses disciples en garde contre la corruption morale et l’hypocrisie des Pharisiens. Le Verbe « s ‘assemblèrent » désigne une réunion officielle. — Venus de Jérusalem. S. Marc, comme S. Matthieu, semble appuyer sur le nom de Jérusalem. Les nouveaux arrivants n’étaient pas les premiers venus, mais bien des Docteurs de la capitale. On admet généralement qu’ils avaient été délégués tout exprès pour aller épier et attaquer Jésus. Les Pharisiens de Galilée, ne se sentant pas capables de tenir tête à Notre Seigneur, avaient demandé du renfort à leurs amis de Jérusalem, et ceux‑ci leur envoyaient en ce moment leurs Scribes les plus habiles.
Mc7.2 Ayant vu quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c'est-à-dire non lavées. — Le fait signalé dans ce verset, et les notes archéologiques qui leur servent de commentaires dans les deux suivants, forment une de ces nombreuses spécialités qu‘on rencontre à chaque page du second Évangile. Ce fait et ces notes contiennent un document important pour l’histoire de l’époque où vivait Notre Seigneur. — Ayant vu quelques‑uns de ses disciples manger du pain… Telle fut l’occasion du conflit. Remarquons bien que ce n’étaient pas tous les disciples de Jésus, mais seulement quelques‑uns d’entre eux, qui s’étaient donné la liberté incriminée par les Scribes, ce qui n’empêchera pas ces rigoristes de généraliser l’accusation, v. 5, et de parler comme si les partisans du Sauveur omettaient régulièrement les ablutions traditionnelles. — Avec des mains impures. « Les Hébreux appelaient communes les choses qu’on employait à des usages commun, parce qu’on présumait qu’étant touchées indifféremment par toutes sortes de personnes, il est moralement impossible qu’elles ne contractent quelques souillures, au lieu que les choses et les personnes saintes et pures étaient séparées de tout usage commun et profane » [331]. Cf. 1 Maccabées 1, 47, 62 ; Actes 10, 14, 28 ; 11, 8 ; Romains 14, 14 ; Hébreux 10, 29 ; Apocalypse 21, 27. « Avec des mains profanes », tel est donc le sens de cette expression technique. D’ailleurs, le narrateur l’explique pour ses lecteurs non‑juifs, en ajoutant aussitôt : c’est‑à‑dire non lavées.
Mc7.3 Car les Pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s'être lavé soigneusement les mains, suivant la tradition des anciens. 4 Et lorsqu'ils reviennent de la place publique ils ne mangent pas sans avoir pratiqué des ablutions. Ils pratiquent encore beaucoup d'autres observances traditionnelles, la purification des coupes, des cruches, des vases d'airain et des lits. — 1° Les ablutions des mains avant les repas. — Les pharisiens et tous les Juifs. Restreintes d’abord à la secte, elles étaient devenues peu à peu, grâce à son influence, d’un usage presque général chez les Juifs contemporains de Notre Seigneur. Elles avaient lieu fréquemment, souvent, et sur le moindre prétexte, mais tout spécialement avant les repas. Y être fidèle s’appelait « tenir (le grec κρατούντες est d’une grande énergie) les traditions léguées par les Anciens ». Cf. 2 Thessalo. 2, 14. — Ils se lavaient la partie du bras comprise entre le coude et l’extrémité des doigts. Ils accomplissaient cette opération soigneusement, et intensément. — Il ne s’agit pas des soins de propreté, mais d’ablutions purement cérémonielles, imposées au peuple par les Docteurs, et analogues à celles que les Musulmans pratiquent encore cinq fois par jour (sans savon et sans eau chaude). — 2° Les ablutions après les sorties et les visites. Sur les places publiques et dans les rues, où l’on rencontre toute sorte de personnes, ceux dont on décrit la conduite avaient pu, sans s’en douter, être mis en contact avec des objets légalement impurs, et contracter par là‑même quelque souillure. Il leur fallait de nouvelles ablutions pour se purifier. Le mot « s’être lavés » désigne‑t‑il ici un bain complet ou un simple lavement des mains ? Il est assez difficile de le déterminer. Cependant nous admettrions volontiers, avec Meyer, Bisping et d’autres, la première opinion. On obtient ainsi une gradation ascendante, qui semble avoir été intentionnelle de la part de S. Marc. Avant leurs repas, ils se lavent simplement les mains ; s’ils viennent du dehors, ils se plongent tout entiers dans l’eau. Olshausen et Bleek font un contre‑sens évident quand ils traduisent comme s’il y avait : « ils ne mangent pas les mets qui proviennent du marché sans les avoir lavés ». Le Codex Sinaïticus porte la curieuse variante « asperger, arroser », au lieu de « se laver ». — 3° Ablutions des ustensiles servant aux repas. Les coupes : celles dans lesquelles on buvait. — Les vases de terre : les amphores et les aiguières placées sur la table [Voyez Anthony Rich, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, s. v. Urceus.]. Le mot grec correspondant, ξεστῶν (ξεστής au nominatif) est un des latinismes de S. Marc, cf. Préface. § 4, 3. Il dérive par une légère transposition (sex étant changé en xes ; cf. Xystus et Sixtus) de « sextarius », nom d’une mesure romaine servant à la fois pour les liquides et les substances sèches, et contenant la sixième partie du « congius » le quart du « modius », à peu près trois quarts de litre [Voyez Anthony Rich, l. c., au mot Sextarius.]. — Les vases d’airain. C’étaient les grands vases d’airain, de grès ou d’argile placés dans la salle du festin, et renfermant les provisions de vin et d’eau qui servaient à remplir les « sextarii » devenus vides. Cf. Jean 2, 6. — Les lits : ou divans sur lesquels on se couchait à demi pour prendre les repas. Ces divers objets ayant pu être profanés, quoique à l’insu de tous, par le contact de quelque personne impure, les Pharisiens, conformément à leurs principes, ne permettaient pas qu’on en fit usage sans les sanctifier auparavant par des ablutions.
Mc7.5 Les Pharisiens et les Scribes lui demandèrent donc : "Pourquoi vos disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens et prennent-ils leur repas avec des mains impures ?" — Après avoir indiqué l’occasion du conflit, v. 2, et donné quelques détails nécessaires à ses lecteurs pour la claire intelligence du récit, vv. 3 et 4, S. Marc revient aux ennemis du Sauveur et à leur interpellation. — Lui demandèrent ; dans le grec, le verbe est au présent. — N’observent pas, littéralement : ne marchent pas, mot pittoresque. « Cela signifie qu’ils ne font pas un choix de vie. D’un idiotisme hébraïque, selon lequel marcher a la même signification que vivre. Et le mot voie indique le genre de vie que mène quelqu’un, comme s’il suivait un chemin ».
Mc7.6 Il leur répondit : "Isaïe a bien prophétisé de vous, hypocrites, ainsi qu'il est écrit : Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi. 7 Vain est le culte qu'ils me rendent, enseignant des doctrines qui sont des préceptes d'hommes. — « Par un raisonnement, le Christ minimise le superflu des Pharisiens dont il font parade », dit énergiquement saint Jérôme. La réponse de Jésus est plus qu’une défense : c’est une vigoureuse attaque qui rendra muets les Pharisiens et les Scribes. Quoiqu’elle soit au fond la même dans S. Matthieu et dans S. Marc, les arguments n’y sont pas reproduits dans un ordre identique. D’après le premier Évangéliste, Notre Seigneur, ripostant à ses ennemis par une contre‑question, leur reproche d’abord de violer les commandements de Dieu les plus graves, spécialement le quatrième, sous prétexte d’observer leurs vaines traditions. Puis, généralisant la question, il leur montre à l’aide du texte d’Isaïe toute la grandeur de leur hypocrisie. Dans le second Évangile nous retrouvons ces deux parties : seulement, la seconde, qui est plus générale, se présente à la première place ; le fait particulier relatif au Corban ne vient qu’ensuite. Il serait bien difficile de dire quel fut l’ordre suivi réellement par Jésus. — Isaïe a bien prophétisé… Cette terrible prophétie qu’Isaïe (24, 3) adressait directement à ses contemporains, devait trouver plus tard dans la conduite des Pharisiens un second accomplissement voulu par l’Esprit‑Saint. Elle décrit en termes très vifs l’horreur qu’inspire à Dieu un culte purement extérieur, l’honneur que lui procurent des hommages sincères. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 15, 7. — C’est en vain qu’ils m’honorent. La traduction littérale de ce mot en hébreu serait : Un « tohou » est leur culte (תהו désigne le vide, le chaos). Mais Isaïe ne l’a pas écrit dans ce passage : il exprime du moins fort bien la pensée divine.
Mc7.8 Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes, purifiant les vases et les coupes et faisant beaucoup d'autres choses semblables. — Jésus passe maintenant à la preuve de sa précédente assertion. — Laissant de côté le commandement de Dieu... Belle antithèse, exprimée avec plus de force encore dans le texte grec, littéralement : « Lâchant » les divins préceptes, vous vous cramponnez à des observances tout humaines. — Purifiant les vases et les coupes… de Bède le Vénérable : « C’était une coutume superstitieuse de revenir sans cesse à se laver, une fois que l’on était propre, et de ne pas manger avant d’avoir fait des purifications. Mais il est nécessaire pour ceux qui désirent participer souvent au pain descendu du ciel de purifier souvent leurs œuvres par les larmes, les aumônes et les autres fruits de justice. Il faut ainsi purifier, sous l’action incessante des bonnes œuvres et des bonnes pensées, les souillures qu’ont pu faire contracter les préoccupations du siècle. C’est en vain que les Juifs se lavent les mains et qu’ils se purifient à l’extérieur, tant qu’ils se refusent à venir se purifier à la fontaine du Sauveur, et c’est en vain qu’ils observent la purification des vases, lorsqu’ils négligent de purifier de leurs véritables souillures leurs corps et leurs cœurs ».
Mc7.9 Vous savez fort bien, ajouta-t-il, anéantir ainsi le commandement de Dieu, pour observer votre tradition. — Ajouta‑t‑il. S. Marc emploie volontiers cette petite formule de transition pour marquer des pauses dans les discours de Jésus. Elle équivaut à nos alinéas de l’Occident. — Vous savez fort bien… anéantir le commandement… Le Sauveur répète pour la troisième fois la même pensée. Cf. les vv. 7 et 8. Ici il y a gradation ascendante : maintenant en effet il ne s’agit plus d’une simple négligence des commandements divins, mais de leur violation absolue. L’adverbe καλῶς (bien, convenablement), que Jésus prononce pour la seconde fois dans l’intervalle de quelques lignes (cf. v. 6), est pris dans un sens ironique. Comparez 2 Corinthiens 11, 4. — Pour observer votre tradition. Les commentateurs hérétiques se sont parfois appuyés sur ce passage pour attaquer les définitions de l’Église catholique relatives à la tradition, et pour prétendre que la Bible doit être notre seule règle de foi. Mais ils ont fait par là‑même un grossier contre‑sens. En effet, 1° Jésus ne parle pas ici de la tradition en général, ni de la tradition en tant qu’elle remonte à Dieu, mais de traditions abusives, inventées par les hommes. 2° Il ne parle pas de traditions concernant le dogme et la morale, ou du moins s’y rattachant, mais de coutumes purement disciplinaires, qui sont opposées à la morale. 3° La tradition, telle que l’entend l’Église romaine, n’est autre chose que la parole divine développée, expliquée. Du reste, nous mettons nos adversaires au défi de citer une seule de nos traditions catholiques qui soit opposée le moins du monde à la parole de Dieu.
Mc7.10 Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère et : Celui qui maudira son père et sa mère, qu'il soit puni de mort. — Car Moïse a dit. Jésus va démontrer, vv. 10‑14, par un frappant exemple emprunté à la casuistique juive, et rapproché des commandements de Dieu, la justesse de l’accusation qu’il a lancée à trois reprises contre ses ennemis. On verra quels étaient les résultats immoraux produits par la substitution des coutumes pharisaïques à la Thora. Les textes cités par Jésus sont empruntés à l’Exode, 20, 12, et au Deutéronome, 5, 16 : ils concernent le quatrième précepte du Décalogue, qu’ils proposent d’abord d’une manière positive, Honore…, puis négativement, Celui qui maudira…
Mc7.11 Et vous, vous dites : Si un homme dit à son père ou à sa mère : Le bien dont j'aurais pu t'assister est qorban, c'est-à-dire un don fait à Dieu, 12 vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou sa mère, — Et vous... Vous, par opposition à Moïse, c’est‑à‑dire par opposition à Dieu dont Moïse était le représentant. — Si un homme dit… qorban. S. Marc a seul conservé ce mot hébreu, qui apparaît souvent dans les livres du Lévitique et des Nombres, mais qu’on ne rencontre que deux fois dans l’Ancien Testament en dehors du Pentateuque (Ézéchiel 20, 28 ; 40, 43). Les Rabbins l’emploient très fréquemment. Il servait à désigner toute sorte d’offrandes religieuses et même, d’après l’historien Josèphe, les personnes qui se dévouaient au service du Seigneur [Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 4, 4, 4.]. — C'est‑à‑dire offrande. L’Évangéliste indique entre parenthèses à ses lecteurs non juifs la signification de קרבן. Josèphe, dans l’endroit que nous venons de citer, en donnait une interprétation identique. — Ce dont j'aurais pu t'assister. Les difficultés grammaticales que présente le texte grec et leurs solutions sont ici à peu près les mêmes que pour le passage parallèle de S. Matthieu, 15, 5,6. Nous pouvons traduire : C’est Qorban, ou bien, Que ce soit Qorban, tout ce avec quoi je pourrais te secourir. Nous pouvons admettre aussi une figure d’omission, qui laisserait la phrase en suspens : Vous dites : Si quelqu’un dit à son père ou à sa mère, Tout ce que j’offrirai en Qorban vous profitera…, et vous ne lui permettez plus de faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère. Nous avons démontré dans notre commentaire sur Matth. 15, 5, que la première de ces deux interprétations est la plus vraisemblable. — Saint Ambroise stigmatise en ces termes des chrétiens de son temps qui voulaient faire passer le Qorban pharisaïque dans l’Église du Christ : « Ils concluent de cette phrase ceux qui pensent que les mauvaises pensées sont envoyées par le démon, qu’elles ne naissent pas de notre propre volonté. Le diable peut être l’incitateur et l’auxiliaire des mauvaises pensées, mais il ne peut pas en être l’auteur » [Saint Ambroise de Milan, Enarratio in Luc, 18.].
Mc7.13 anéantissant ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous enseignez. Et vous faites beaucoup d'autres choses semblables." — Il n’était pas possible d’alléguer un plus frappant exemple du renversement de la Loi divine par les traditions des hommes. Aussi Jésus peut‑il répéter victorieusement, pour la quatrième fois, son assertion du v. 7. En ajoutant : Et d’autres choses semblables…, il montre qu’il a signalé seulement un trait en faveur de sa thèse, mais que, s’il eût voulu multiplier les faits semblables, il n’aurait eu que l’embarras du choix, tant la morale pharisaïque les multipliait sur tous les points de la conduite pratique.
Mc7.14 Ayant rappelé le peuple, Jésus leur dit : "Écoutez-moi tous et comprenez. — À l’arrivée des Pharisiens et des Scribes, la foule qui entourait Jésus s’était respectueusement écartée. Jésus, après avoir réduit ses adversaires au silence, la rappelle auprès de lui pour lui donner une instruction importante. « Il lui présente la substance du débat dans une de ces formules à forme tranchante, quelquefois paradoxale et plus ou moins figurée, au moyen desquelles il savait si bien éveiller la réflexion » [Édouard Reuss, Histoire évangélique, p. 379.].
Mc7.15 Rien de ce qui est hors de l'homme et qui entre dans l'homme ne peut le souiller, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme. — Rien de ce qui est extérieur à l’homme… Principe d’une importance extrême pour la vie spirituelle, et montrant à l’homme, d’une part ce qui le rend impur, de l’autre ce qui est incapable de le souiller. Jésus l’expose sous la forme d’une antithèse frappante et d’une image familière. — 1° En général, et à moins de circonstances extraordinaires, les choses dont l’homme fait sa nourriture n’ont aucune influence sur sa condition morale. Peu importe qu’il absorbe tel ou tel mets, tel ou tel breuvage ; il importe moins encore qu’il se mette à table sans s’être auparavant lavé les mains. Ce sont là des faits qui se passent en dehors de son âme : ils ne sauraient donc le rendre impur et profane. — 2° Il n’en est pas de même de ce qui sort de l’homme : voilà (avec emphase) ce qui, faisant partie de son être le plus intime, peut contribuer à le souiller. Pour le moment, le Sauveur se contente de promulguer cette profonde vérité : il en fera dans quelques instants l’exégèse à ses disciples, vv. 18‑23. S. Matthieu l’exprime à peu près dans les mêmes termes, mais avec une légère nuance qui la rend plus claire et plus saillante. Au lieu des notions générales « entre en lui… sort de l’homme », il a ces mots qui développent l’image : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme ». Voyez le commentaire de Matth. 15, 11. Mais de même que, dans le premier Évangile, « bouche » était pris successivement en deux sens distincts, d’abord au propre, puis au figuré, de même, dans S. Marc, la locution « entrer dans l’homme » exprime un fait réel, tandis que « sortir de l’homme » doit se prendre au moral. Le Sauveur joue sur cette variété d’acceptions. — Il est peu probable que le v. 15 ne soit, comme on l’a dit, que le sommaire, en quelque sorte le texte, d’un long discours prononcé dans cette circonstance par Notre‑Seigneur.
Mc7.16 Que celui qui a des oreilles entende bien." — Ce verset est omis dans plusieurs manuscrits importants (B, L, Sinait., et quelques minuscules). Néanmoins, il est trop appuyé partout ailleurs pour n’être qu’une interpolation. La formule qu’il contient, souvent répétée par Jésus, est destinée à attirer la réflexion des auditeurs sur le grand principe qu’ils venaient d’entendre. Elle équivaut aux paroles « Écoutez‑moi tous, et comprenez », qui avaient précédé la mention de ce principe, v. 14.
Mc7.17 Lorsqu'il fut entré dans une maison, loin de la foule, ses disciples l'interrogèrent sur cette parabole. — Lorsqu’il fut entré dans une maison. S. Marc a seul conservé ce détail : il omet néanmoins un dialogue intéressant qui, d’après le premier Évangéliste, Matth. 15, 12‑14, eut lieu entre Jésus et les siens, immédiatement après qu’ils se furent séparés de la foule. — Ses disciples l’interrogèrent. Toujours d’après S. Matthieu, 15, 15, ce fut saint Pierre qui adressa cette demande à Notre Seigneur au nom du collège apostolique. Ici, comme en d’autres occasions du même genre (voyez la note de Marc 6, 50), le prince des Apôtres supprimait modestement son nom dans les récits qu’il faisait de la Vie de Jésus aux Romains et à S. Marc lui‑même. Mais S. Matthieu, témoin oculaire, a pris soin de le noter. — Parabole. Le mot parabole est employé dans un sens large, pour désigner, selon la définition donnée en cet endroit par Théophylacte, une sentence obscure et énigmatique, telle qu’était la parole du v. 15. La bonté avec laquelle Jésus avait daigné expliquer autrefois à ses disciples les paraboles du royaume des cieux (cf. Marc 4, 10 et ss.) leur fait justement espérer qu’il viendra encore, dans le cas présent, au secours de leur intelligence.
Mc7.18 Il leur dit : "Vous aussi, avez-vous si peu d'intelligence ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui du dehors entre dans l'homme ne peut le souiller, 19 parce que cela n'entre pas dans son cœur, mais va au ventre et est rejeté au lieu secret, ce qui purifie tous les aliments ? — La réponse du divin Maître commence par un reproche que nous avons déjà rencontré en des circonstances analogues. Cf. Marc 4, 13. — Vous aussi. Même vous. Vous, qui auriez dû comprendre sans peine ce qui concerne l’homme intérieur. — Jésus, reprenant ensuite son aphorisme, considère isolément les deux parties qui le composent, et en explique les expressions les plus difficiles. Première partie, vv. 18 et 19. Comment un aliment, un breuvage, choses tout extérieures à l’homme, pourraient‑ils salir son âme, avec laquelle ils n’ont aucun rapport ? — Rien de ce qui pénètre. Manger et boire sont des phénomènes purement physiques. C’est dans l’estomac, non dans le cœur, que pénètre la nourriture. Là, elle est soumise à des opérations dans lesquelles l’homme moral ne joue pas le moindre rôle. Après que ses parties assimilables ont été absorbées, ses éléments les plus grossiers sont rejetés par la nature. Par là, continue le Sauveur, le reste des aliments est purifié et peut entrer sans inconvénients dans l’organisation humaine. Ainsi donc, la nutrition est un phénomène physiologique, étranger à la religion : on mange et l’on digère, cela ne touche en rien à la partie spirituelle de l’homme. — Quelle étonnante simplicité de langage. Mais en même temps, quelle clarté jetée sur la question du pur et de l’impur. Cependant, quelques‑uns ont abusé des paroles… : Ce n’est pas ce qui entre dans le corps qui souille l’âme, prétendant que mal à propos l’Église avait interdit l’usage de la viande en certains temps, et prescrit des jeûnes et des abstinences particulières en d’autres. Mais elle n’a jamais fait ces défenses dans la croyance que ces créatures fussent mauvaises : elle les défend dans la vue de faire pratiquer à ses enfants la vertu de pénitence et de mortification… Elle est fort convaincue que toute créature de Dieu est bonne en elle‑même, et qu’on peut en user avec action de grâces. Cf. 1Timothée 4, 4. Mais, aussitôt qu’une autorité légitime en a interdit l’usage, la chose devient par là défendue : la désobéissance et l’intempérance de celui qui en use contre les lois souillent son âme, et la rendent coupable aux yeux du Créateur et de Jésus‑Christ, chef de l’Église. À ce point de vue, le protestant Stier a raison de dire que « ce qu’on mange ou boit n’est pas une chose complètement indifférente, car cela aussi provient du cœur et agit dans le cœur ».
Mc7.20 Mais ajouta-t-il, ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme. — Jésus développe dans les vv. 20‑24 la seconde moitié de son aphorisme. Cf. v. 15.
Mc7. 21 Car c'est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les pensées mauvaises, les adultères, les fornications, les homicides, 22 les vols, l'avarice, les méchancetés, la fraude, le libertinage, l’envie, la calomnie, l'orgueil, la folie. — Car c’est du dedans, du cœur… Pléonasme, pour mieux marquer l’opposition qui existe entre les deux parties de l’aphorisme commenté par Jésus. Le cœur est donc vraiment le laboratoire où se prépare tout ce qu’il y a de bon et de mauvais dans l’homme envisagé comme être moral. C’est ce que les Égyptiens exprimaient ingénieusement sur leurs fresques funéraires. Les hommes, jugés par Osiris après leur mort, y sont représentés par le cœur qui les animait autrefois, placé et pesé dans une balance, comme la source de leurs mérites et de leurs démérites. — Les mystiques et les exégètes anciens appuyaient sur ces mots du Sauveur une profonde réflexion. Dans la vie pratique, disaient‑ils, on oublie qu’on porte en soi le germe de tous les crimes : nous rejetons trop souvent nos tentations sur le démon, pas assez sur notre propre cœur. « Ceci sert de réponse à ceux qui pensent que les mauvaises pensées viennent du diable et non de leur propre volonté. Le diable peut aider et pousser aux mauvaises pensées, mais ne saurait en être l’auteur ». Bède. — Dans l’énumération de S. Marc, qui est plus complète que celle de S. Matthieu, le Sauveur signale treize formes particulières du mal, comme ayant leur foyer au cœur de l’homme : les sept premières sont nommées au pluriel et désignent des actes, les six autres sont nommées au singulier (dans le texte grec) et paraissent représenter surtout des dispositions. Il ne règne pas d’ordre systématique proprement dit dans cette nomenclature. — L’avarice. L’expression grecque a une signification plus étendue. Elle indique tous les moyens par lesquels l’homme attire à soi la créature, aux dépens du culte qu’il doit rendre à Dieu. — L’œil méchant. Le mauvais œil, עין רע, est bien connu dans tout l’Orient, et même dans l’Europe occidentale où l’on redoute tant ses effets. Cf. Proverbes 23, 6 ; 28, 22 ; Matth. 20, 45. Il représente ici l’envie. — La folie, l’opposé de la sagesse. La raison pour laquelle la folie est placée en dernier lieu est qu’elle rend toutes choses incurables.
Mc7.23 Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et souillent l'homme." — Après cette énumération, Jésus répète la même pensée sous une forme générale : « Tous les maux que je viens de nommer proviennent évidemment de l’intérieur de l’homme ; évidemment aussi ils souillent l’homme ». Par conséquent, la vérité qu’il voulait démontrer est maintenant prouvée d’une manière rigoureuse. — La leçon qui se dégage de tout ce passage est bien claire. La nature humaine est foncièrement dépravée. De cette source délétère sortent des péchés sans nombre ; c’est donc l’homme intérieur qu’il faut régénérer. Des pratiques purement extérieures, telles que les ablutions auxquelles les Pharisiens attachaient tant d’importance, sont tout à fait insuffisantes pour obtenir ce résultat.
Le récit de S. Matthieu est un peu plus complet : nous trouvons néanmoins dans celui de S. Marc quelques‑uns de ces coups de pinceau caractéristiques auxquels il nous a depuis longtemps accoutumés.
Mc7.24 Il partit ensuite de ce lieu et s'en alla vers les territoires de Tyr et de Sidon. Et étant entré dans une maison, il désirait que personne ne le sût, mais il ne put demeurer caché. — Il partit ensuite. Littéralement, hébraïsme équivalant à « se levant de là ». Le mot se lever est mis six cent fois avant les mots aller et partir. Ce prompt départ de Notre‑Seigneur n’est pas une fuite proprement dite loin d’adversaires qu’il sait avoir exaspérés (cf. Matth. 15, 42), car son grand cœur ne craignait pas les hommes ; c’est toutefois une sage retraite, dont il profitera pour achever l’instruction de ses Apôtres. Il ne veut pas avancer l’heure que la divine Providence a fixée pour sa Passion et pour sa mort. — de Tyr et de Sidon. Tout d’abord, le Sauveur ne franchit pas les limites du territoire de ces deux villes. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 15, 21. La maison dans laquelle il s’installa semble avoir été bâtie à peu de distance de la frontière. Tyr et Sidon, ces antiques villes rivales, célèbres par leurs malheurs autant que par leur gloire, jouissaient alors d’une certaine splendeur. Leur population était païenne en grande majorité. — Il voulait que personne ne le sût est une traduction littérale du grec, la phrase peut signifier indifféremment : Il ne voulut connaître personne, ou bien : Il voulut n’être reconnu de personne. Le contexte montre qu’il faut adopter le premier de ces deux sens. L’intention de Jésus était donc, comme l’on dit, de garder l’incognito ; néanmoins, il ne put rester caché, à la façon d’un parfum qui ne tarde pas à trahir sa présence. Ces derniers mots prouvent que la volonté du Sauveur n’était pas absolue dans cette circonstance. Tout revient à dire qu’il agissait à la façon d’un voyageur qui cherche à éviter la publicité. — Les détails contenus dans la seconde moitié de ce verset sont spéciaux à S. Marc.
Mc7.25 Car une femme, dont la petite fille était possédée d'un esprit impur, n'eut pas plus tôt entendu parler de lui, qu'elle vint se jeter à ses pieds. — L’évangéliste passe à un fait particulier, destiné à démontrer la justesse de son assertion préalable, « il ne put rester caché ». — Ayant entendu parler de lui : dès que cette femme eut appris la présence de Jésus dans ces parages. Il y avait longtemps que le bruit des miracles du Sauveur s’était répandu en Phénicie. Cf. Marc 3, 8 ; Luc 6, 17. — elle vint se jeter à ses pieds… Description pittoresque de toutes les démarches de cette pauvre mère.
Mc7.26 Cette femme était païenne, syro-phénicienne de nation, elle le pria de chasser le démon hors de sa fille. — païenne. L’équivalent de « païenne » dans le texte primitif est Ἑλληνίς, « Grecque ». Et pourtant la suite du verset prouve que la suppliante n’était nullement grecque d’origine. Mais il faut se souvenir que, pour les Juifs, le mot Ἑλλην servait à désigner tous les païens, sans distinction de nationalité. Le nom de Franc a eu un sort analogue dans la Palestine moderne : après avoir représenté d’abord uniquement les Français, il est devenu plus tard synonyme d’Occidental en général. — Syro‑phénicienne de nation. Païenne au point de vue de la religion, la femme que nous avons vue se prosterner aux pieds de Jésus était « cananéenne » d’origine : tel est en effet le sens de Συροφοίνισσα (d’anciens manuscrits portent Συραφοινίκισσα et Συροφοινίκισσα). Cf. Matth. 15, 22 : « une femme cananéenne ». Mais l’expression de S. Marc est d’une exactitude plus parfaite. Bien que les habitants de Tyr et de Sidon appartinssent à la grande famille cananéenne (voir Genèse 10, 15‑19), leur vrai nom n’en était pas moins « Phéniciens ». Or, au temps de Jésus, la Phénicie faisait partie intégrante de la province romaine de Syrie : de là les deux mots réunis Syro‑Phéniciens, pour distinguer ses habitants des Carthaginois, qu’on appelait parfois Λιϐυφοίνικες, Phéniciens d’Afrique. S. Matthieu a employé l’expression plus communément en usage chez les Juifs, S. Marc s’est servi du nom gréco‑romain [Cf. Juvénal, Satires, 8, 159 et 160.]. — Et elle le pria... S. Matthieu a conservé les termes mêmes de cette pressante demande : « Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David ; ma fille est affreusement tourmentée par le démon ». Il note ensuite, Matth. 15, 23‑25, divers incidents que notre Évangéliste a omis pour aller droit au cœur de l’épisode.
Mc7.27 Il lui dit : "Laissez d'abord les enfants se rassasier, car il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens." — Dans sa réponse, Jésus affecte un langage sévère, afin d’éprouver la foi de la Cananéenne. — Laisse d’abord les enfants se rassasier. Nous ne lisons ces paroles que dans la rédaction de S. Marc. Elles expriment une idée importante, le droit qu’avaient les Juifs, fils de Dieu plus que tous les autres peuples, de recevoir avant les païens les bienfaits qui accompagnent l’Évangile. Voyez notre commentaire sur Matth. 1, 22-23. Néanmoins, par « d’abord », le Sauveur indiquait délicatement que les Païens auraient bientôt leur tour [Cf. Théophylacte et Bède le Vénérable, h. l.]. Son refus d’exaucer la prière de la suppliante recevait par là même un certain adoucissement. — Car il n’est pas bon de prendre le pain des enfants… Vérité d’autant plus évidente que Jésus s’adressait à une mère de famille. La Cananéenne aurait‑elle jamais consenti à priver sa fille de nourriture, pour rassasier les chiens à ses dépens ? La comparaison contenue dans les mots enfants et chiens (d’après le grec : les petits chiens) sert à mieux exprimer la distance qui séparait les Juifs des païens au point de vue des bienfaits divins. D’ailleurs, « c’est pour faire éclater la foi constante de cette femme que le Seigneur diffère et ne l’exauce pas tout de suite. Il veut aussi nous apprendre à ne pas laisser tomber tout d’abord notre prière, mais à insister pour obtenir ». Théophylacte.
Mc7.28 Il est vrai, Seigneur, répondit-elle, mais les petits chiens mangent sous la table les miettes des enfants." — « Or, elle supporta tout sans peine, dit de son côté S. Jean Chrysostome, et, de sa voix pleine de respect, elle ne fit que confirmer la parole du Sauveur. C’est par révérence pour Jésus qu’elle se range dans l’espèce des chiens, comme si elle disait : Je regarde comme un bienfait même d’être placée au nombre des chiens, et de manger, non à une table étrangère, mais à la table de mon maître » [Chaîne d’Or, S. Thomas d’Aquin, au verset Marc 7, 28]. — Les petits chiens mangent sous la table. Tour pittoresque donné à la pensée dans le second Évangile. Nous lisions dans S. Matthieu : « les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». — Les miettes des enfants : autre détail non moins dramatique, et spécial à S. Marc. Il nous montre les enfants de la famille émiettant une partie de leur pain pour les petits chiens qui attendent cette bonne aubaine sous la table.
Mc7.29 Alors il lui dit : "A cause de cette parole, allez, le démon est sorti de votre fille." 30 Étant retournée à sa maison, elle trouva sa fille couchée sur son lit, le démon l'avait quittée. — À cause de cette réflexion pleine de foi, d’humilité et de sagesse, Jésus consentit à franchir les limites qu’il s’était prescrites relativement aux païens, et il accorda aussitôt à la suppliante le miracle qu’elle implorait de sa Bonté. Il lui avait montré pendant quelques instants, comme autrefois Joseph à ses frères, un visage sévère ; mais, comme Joseph, il ne put garder longtemps cet aspect. Quelle joie dans le cœur de cette mère affligée, quand elle entendit la promesse du Sauveur : Le démon a quitté ta fille. Quelle joie plus grande encore quand elle trouva la malade guérie. La description de S. Marc, la jeune fille couchée sur le lit, est toute graphique : la jeune fille qui, auparavant, était sans cesse en proie à des convulsions produites par l’esprit mauvais, est à présent tranquillement étendue sur son lit, et jouit d’un repos bienfaisant. — C’était la troisième des guérisons opérées à distance par Notre‑Seigneur : les deux autres avaient été accomplies en faveur du fils d’un intendant royal, Jean 4, 45, et du serviteur d’un centurion, Luc 7, 6. — Le démon était sorti. Ici, la description représente les choses telles que la mère les trouva à son retour ; là, elle suit l’ordre réel des faits. — Voyez, dans les Homélies Clémentines, 2, 19, diverses légendes relatives à la vie subséquente de la Cananéenne.
Mc7.31 Sortant alors du pays de Tyr, Jésus revint par Sidon vers la mer de Galilée, au centre du pays de la Décapole. — Quittant de nouveau. Ce verset décrit en abrégé l’un des voyages les plus considérables de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Tandis que S. Matthieu n’en parle qu’en termes fort vagues, « Étant parti de là, Jésus vint près de la mer de Galilée », Matth. 15, 29, la note de S. Marc indique très clairement l’itinéraire suivi par Jésus. — Les frontières de Tyr : tel fut le point de départ. Les mots par Sidon désignent la première partie du trajet. Après avoir, selon toute vraisemblance, franchi la frontière juive et traversé une partie du territoire de Tyr, le Sauveur se dirigea tout droit vers le Nord, du côté de Sidon. Il est peu probable que Jésus soit entré dans cette cité païenne : il ne faut donc pas prendre trop à la lettre la locution « par Sidon ». Elle peut fort bien signifier : À travers le pays qui dépendait de Sidon. — En traversant le milieu de la Décapole. La Décapole étant située à l’Orient du Jourdain (cf. Matth. 4, 24) pour gagner la mer de Galilée à travers son territoire, quand on se trouvait aux alentours de Sidon, on n’avait pas le choix entre plusieurs itinéraires. Il fallait se diriger d’abord vers l’Est à travers le massif du Liban méridional, franchir la gorge profonde de la Cœlésyrie ou Syrie creuse, et arriver dans l’Antiliban auprès des sources du Jourdain. De là on devait marcher directement au Sud, en passant par Césarée de Philippe et Bethsaïda‑Julias. Le voyage dura sans doute quelques semaines. Dans ces contrées solitaires, Jésus et ses disciples purent jouir du calme et du repos qu’ils avaient en vain cherchés quelque temps auparavant. Cf. Marc 6, 31 et ss.
Mc7.32 Là, on lui amena un sourd-muet et on le pria de lui imposer les mains. — Sur la rive orientale du lac (cf. Matth. 15, 29-39 et le commentaire), le Sauveur opéra de nombreux prodiges : « des foules nombreuses s’approchèrent de lui, ayant avec elles des muets, des aveugles, des boiteux, des estropiés et beaucoup d’autres malades et elles les jetèrent à ses pieds et il les guérit. ». Au lieu de noter toutes ces guérisons miraculeuses, S. Marc a préféré en relever une seule, qui avait eu du reste un caractère particulier. Ce récit, qui lui appartient en propre (vv. 32‑37), abonde en détails dramatiques. — Un homme sourd et muet. La Recepta dit : un sourd parlant avec peine, d’où Vatable, Calmet, Maldonat, M. Schegg, etc., concluent, et ce semble à bon droit, que l’infirme n’était ni sourd de naissance, ni totalement muet, mais qu’il avait perdu de bonne heure, par suite de quelque accident, l’usage de l’ouïe et en grande partie celui de la parole. Cf. v. 35. La Peschito le nomme un קאפא, « quelqu’un qui parle avec difficulté, obscurément ». Nous devons dire cependant que les Septante traduisant au moins une fois (Isaïe 35, 5) l’hébreu אים, « muet », par μογίλαλος, « qui parle avec difficulté ». Rien ne prouve que le malade fût possédé du démon, comme l’ont conjecturé Théophylacte et Euthymius. — On le suppliait. Le verbe grec est au présent. C’est ici l’une des rares circonstances où l’Évangile nous montre des amis intercédant pour leurs amis auprès du divin Maître. Cf. Marc 11, 3‑5 ; 8, 22‑26. — De lui imposer les mains. « Ils demandaient au Christ qu’il leur impose les mains, soit parce qu’ils savaient qu’il avait guéri plusieurs autres malades par l’imposition de ses mains, ou soit parce que c’était la coutume des prophètes et des saints du passé de guérir en imposant les mains ». Maldonat. C’était une demande indirecte, mais évidente, de guérison.
Mc7.33 Jésus, le tirant à part hors de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles et de sa salive sur sa langue, — Jésus l’ayant emmené à l’écart. Pourquoi Jésus, avant de guérir ce malheureux, le tira‑t‑il du milieu de la foule pour le conduire à l’écart ? On a essayé, de justifier cet acte par cent raisons différentes. Nous pensons que le Sauveur se proposait simplement de susciter la foi de l’infirme, selon sa coutume, et, d’un autre côté, d’éviter l’enthousiasme de la multitude. Il n’opérait que rarement ses prodiges sous les yeux des masses populaires. — Mais les autres circonstances qui accompagnèrent cette guérison sont bien plus extraordinaires encore. Après avoir isolé le sourd‑muet, il lui mit les doigts dans les oreilles, c’est‑à‑dire qu’il mit l’index de sa main droite dans l’oreille gauche, l’index de sa main gauche dans l’oreille droite ; puis, il lui toucha la langue avec sa salive, c’est‑à‑dire qu’ayant humecté son doigt avec un peu de salive, il en toucha la langue de l’infirme. C’étaient là évidemment des gestes symboliques. « Et parce que les sourds semblaient avoir les oreilles bouchées par quelque chose, il mit son doigt dans les oreilles d’un sourd, comme s’il voulait percer des oreilles fermées et obstruées. Et parce que ceux qui sont muets semblent avoir la langue liée et asséchée, ou collée au palais, et que c’est pour cela qu’ils ne peuvent parler, comme le dit le Prophète : ma langue adhère à mon gosier (Psaume 21, 15)…il envoie de la salive dans la bouche du muet, comme pour humecter sa langue » [Juan Maldonat. Cf. Cornelius a Lapide, Jansenius, Fr. Luc.]. C’est sur le sens de l’ouïe que le Sauveur agit en premier lieu, car la surdité était, comme dans tous les cas semblables, le mal principal. L’infirme ne parlait indistinctement que parce qu’il n’entendait pas. Mais pourquoi Jésus fait‑il tant de cérémonies, au lieu d’opérer la guérison par une simple parole, ainsi que cela avait lieu la plupart du temps ? C’est son secret. Nous pouvons néanmoins dire encore avec le sage Maldonat, auquel nous aimons à faire des emprunts : « Il semble que le Christ n’a pas toujours voulu déclarer de la même façon sa divinité et sa puissance, parce qu’il jugeait que cela ne convenait pas toujours, même si la raison nous en échappe. Il lui arrive parfois, par une seule parole, de chasser les démons, de ressusciter des morts, en montrant qu’il est Dieu. Mais, en d’autres occasions, c’est avec le toucher, la salive ou de la boue qu’il guérit des malades, adaptant sa puissance à la façon d’agir des causes naturelles, aux sens et à la coutume ».
Mc7.34 puis levant les yeux au ciel, il poussa un soupir et lui dit : "Effata" c'est-à-dire, ouvre-toi. — Levant les yeux au ciel. S. Marc n’a pas omis le moindre détail : il reproduit la scène sous nos yeux. — Avec quelle spontanéité le regard de Jésus devait se diriger vers le ciel. Cf. Jean 17, 1. Mais ce geste était surtout familier au divin Maître quand il était sur le point d’accomplir quelque grand prodige. Cf. Matth. 14, 19 et parall. ; Jean 10, 41, 42. Il montrait ainsi que des liens intimes l’unissaient au Père céleste. C’était une muette, mais pressante prière de notre Médiateur. — Il soupira. Ce gémissement exprimait, suivant la belle pensée de Victor d’Antioche [John Anthony Cramer, Catenæ Græcorum Patrum in Novum Testamentum, h. l.], le sentiment de vive pitié qu’excitait dans le cœur de Jésus la vue de la profonde misère qu’avaient apportée à l’humanité déchue l’envie du démon et la faute de nos premiers parents. Le pauvre sourd‑muet était en effet un type vivant de toutes les infirmités physiques et morales auxquelles l’homme est en butte sur cette terre. — Effata. Nous avons déjà vu, v. 14, notre Évangéliste citer les paroles du Sauveur dans la langue araméenne. C’est là une des particularités de sa narration graphique et vivante. Cf. Marc 12, 3. — La traduction ajoutée pour les lecteurs non juifs de l’Évangile, ouvre‑toi, est tout à fait littérale. — Quand le prêtre catholique confère le baptême solennel, il adresse cette même parole au catéchumène, dont il humecte les narines et les oreilles avec un peu de salive. Ce double emprunt fait à la conduite du Sauveur a pour but d’indiquer qu’avant la régénération opérée par le sacrement de baptême, l’homme est sourd et muet relativement aux choses de la foi. De là cette allocution de saint Ambroise à de nouveaux baptisés : « Ouvrez donc vos oreilles, et respirez la bonne odeur de la vie éternelle qu’exhale le don des sacrements, que nous vous communiquerons quand, célébrant le mystère de l’ouverture, nous dirons epheta, ce qui signifie ouvre‑toi » [Saint Ambroise de Milan, De Mysteriis, 1.].
Mc7. 35 Et aussitôt les oreilles de cet homme s'ouvrirent, sa langue se délia et il parlait distinctement. — Et aussitôt. La parole de Jésus produit immédiatement son effet. Les oreilles s’ouvrent, raconte S. Marc dans son style imagé, le lien qui avait jusqu’alors retenu la langue captive se brise en un clin d’œil, et le muet de tout à l’heure parle parfaitement. « Le Créateur de la nature avait fourni ce qui manquait à la nature ». Victor d’Antioche. — Des mots il parlait distinctement, les exégètes dont nous avons cité plus haut les noms (voir la note du v. 32) concluent à juste titre que l’infirme n’était ni sourd ni muet de naissance. « Car personne ne peut parler ainsi, même après que tout obstacle ait été enlevé à sa langue, car l’homme ne peut pas dire ce qu’il n’a pas appris ». Luc de Bruges. Quoique tout fût possible à Jésus, nous n’avons aucune raison spéciale de supposer que, par un nouveau prodige, il ait subitement communiqué au sourd‑muet la connaissance de la langue araméenne.
Mc7.36 Jésus leur défendit d'en parler à quiconque. Mais plus il le leur défendait, plus ils le proclamaient, — Il leur défendit… Ce pronom au pluriel désigne tous les témoins au miracle, par conséquent l’infirme, ses amis qui l’avaient conduit à Jésus et les disciples. Les défenses de ce genre étaient presque toujours violées : au reste, ceux qu’elles concernaient, emportés par l’enthousiasme et la reconnaissance, ne se croyaient guère obligés au secret. Dans la circonstance présente, comme dans beaucoup d’autres, il arriva donc le contraire de ce que le Sauveur avait prescrit. L’Évangéliste emploie, pour exprimer ce fait des termes à la fois énergiques et populaires : plus il le leur défendait, plus ils en parlaient, est surtout à noter.
Mc7.37 et ravis d'une admiration sans bornes, ils disaient : "Tout ce qu'il a fait est merveilleux. Il fait entendre les sourds et parler les muets." — Et ravis d’admiration. Tous ceux qui entendaient le récit de cette cure merveilleuse étaient saisis de l’admiration la plus vive. — La surprise arrachait aux foules une exclamation touchante, Il a bien fait toutes choses, qui contient « une belle apologie du Sauveur contre les accusations et les murmures des Pharisiens, un éloge qui ne convient proprement qu’à Dieu seul ». Calmet. « Les œuvres du Seigneur sont toutes très bonnes », Ecclésiastique 39, 16 ; « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon », Genèse 1, 31, est‑il dit du Dieu Créateur. — Les paroles il a fait entendre les sourds et parler les muets sont une réminiscence de la célèbre prophétie d’Isaïe, Isaïe 35, 5-6, dont elles chantent l’accomplissement parfait : « Alors (à l’époque du Messie) les yeux, des aveugles s’ouvriront et les oreilles des sourds seront ouvertes… et la langue des muets sera déliée ».
CHAPITRE 8
Seconde multiplication des pains. Marc 8, 1‑9. Parall. Matth. 15, 32‑38.
Les narrations de S. Matthieu et de S. Marc, se suivent ici presque mot pour mot. Néanmoins celle de notre Évangéliste est un peu plus longue, parce qu’elle contient quelques détails particuliers, dont voici les principaux : v. 1, « la foule… n’avait pas de quoi manger » ; v. 3, « quelques‑uns d’entre eux sont venus de loin » ; v. 7, « quelques petits poissons ; il les bénit aussi ».
Mc8.1 En ces jours-là, comme il y avait encore une grande foule qui n'avait pas de quoi manger, Jésus appela ses disciples et leur dit : — En ces jours‑là. C’est‑à‑dire, d’après les antécédents (cf. Marc 7, 31), durant le séjour que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ fit auprès du lac de Tibériade après son retour des régions phéniciennes. — encore nous reporte à la première multiplication des pains, opérée quelques mois auparavant aux environs de Bethsaïda‑Julias, Marc 6, 35‑43. — La foule était de nouveau nombreuse. Cette foule nombreuse avait été attirée par les miracles récents du Sauveur. Cf. Matth. 15, 30, 31. — il y avait encore une grande foule qui n’avait pas de quoi manger. Le peuple manquait de vivres parce que, rassemblé depuis déjà trois jours (v. 2) auprès de Jésus, il avait consommé toutes les provisions dont il s’était muni.
Mc8.2 "J'ai compassion de ce peuple, car voilà trois jours déjà qu'ils ne me quittent pas et ils n'ont rien à manger. — J’ai compassion. Le verbe grec correspondant désigne toujours une très vive émotion. Presque toutes les fois que nous l’entendons prononcer par le bon Pasteur, nous apprenons aussitôt après que les pauvres brebis qui excitaient sa compassion reçurent de lui quelque merveilleux secours. Cf. Marc 1, 41 ; Matth. 9, 37 ; 14, 14 ; 20, 34 ; etc, — Ils sont avec moi. Dans le grec, littéralement, « ils restent auprès de moi ».
Mc8.3 Si je les renvoie dans leur maison sans nourriture, ils tomberont de défaillance en chemin, car plusieurs d'entre eux sont venus de loin" — Et si je les renvoie à jeun… D’après S. Matthieu, 15, 32, Jésus aurait dit avec plus de force : « je ne veux pas les renvoyer à jeun ». C’était une hypothèse à laquelle son divin cœur ne voulait pas même s’arrêter un instant. Pouvait‑il exposer ce bon peuple qui, par amour pour lui, avait oublié ses nécessités matérielles, à faire une longue route à jeun, avant d’atteindre un domicile qui était lointain pour plusieurs ? Sans compter que, dans celle foule, il y avait des femmes et des enfants. Cf. Matth. 15, 48. — Ce court préambule nous montre que les deux multiplications des pains eurent lieu dans des circonstances à peu près identiques. Sur la distinction réelle des deux miracles, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, Matth.15, 33, et Dehaut [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, t. 3, pp. 51 et 52.].
Mc8.4 Ses disciples lui répondirent : "Comment pourrait-on trouver ici, dans un désert, assez de pain pour les rassasier ?" — Au lieu de la réponse pleine de foi qu’on aimerait à entendre sortir de la bouche des Apôtres, Jésus en reçoit une qui fait justement dire à Victor d’Antioche : « Les disciples semblaient manquer d’intelligence : après les premiers miracles, ils avaient encore peu de confiance dans la puissance du Seigneur ». Hélas. tant d’autres hommes semblent n’acquérir aucune expérience au contact journalier des choses divines. Du reste, le Sauveur leur reprochera bientôt, v. 17, d’avoir l’intelligence encore aveugle. — Dans le désert : plus clairement, loin de tout lieu habité. Cf. Marc 6, 32 et l’explication.
Mc8.5 Et il leur demanda : "Combien avez-vous de pains ?" Ils dirent : "Sept." 6 Alors il fit asseoir la foule par terre, prit les sept pains et, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples pour les distribuer et ils les distribuèrent au peuple. — Sans tenir compte de la réponse des Douze, Jésus se contente de leur demander s’ils ont quelques pains à leur disposition. Il agissait ainsi, dit saint Rémi, « Ils répondirent sept, parce que, moins ils seraient nombreux, plus éclatant et plus mémorable serait le miracle » [Saint Rémi apud Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea in marcum, 8. « S’il les interroge, ce n’est pas qu’il ignorât lui‑même ce qu’ils avaient de pains, mais il voulait que leur réponse, en constatant le petit nombre de pains qu’ils avaient, rendit le miracle plus digne de foi et plus éclatant. »]. Le même auteur remarque, à propos des mots s’asseoir par terre : « Dans la multiplication précédente, on nous dit qu’ils s’étaient assis dans l’herbe ; mais ici sur la terre » [Saint Rémi apud Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea in marcum, 8. « Lors de la première multiplication des pains, il la fit asseoir sur le gazon, ici il la fait asseoir sur la terre. »]. Cette nuance a sa valeur pour la distinction des deux faits. — Et les donna : Cf. Marc 6, 41, et la note correspondante.
Mc8.7 Ils avaient en outre quelques petits poissons, après avoir prononcé une bénédiction, Jésus les fit aussi distribuer. — Cette bénédiction est désignée dans le texte primitif par le verbe εὐλογήω (louer, bénir) ; celle du pain, v. 6, par εὐχαριστέω (rendre grâces). Ces deux expressions sont d’ailleurs identiques. Cf. Matth. 26, 26 ; Luc 22, 17.
Mc8.8 Ils mangèrent et furent rassasiés et l'on emporta sept corbeilles des morceaux qui restaient. 9 Or ceux qui mangèrent étaient environ quatre mille. Ensuite Jésus les renvoya. — Détails qui servent à montrer la grandeur du prodige. — Sept corbeilles. S. Marc, comme S. Matthieu, donne ici aux corbeilles le nom de σπύριδες. Lors de la première multiplication des pains, il les avait désignées par celui de κόφινοι. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 15, 37. — Il les renvoya. Les pasteurs des âmes, ainsi que le font observer ici les moralistes, ne doivent renvoyer leurs peuples qu’après leur avoir fourni, à l’exemple de Jésus, une nourriture substantielle et abondante. Autrement, combien seraient saisis de défaillance sur le long et pénible chemin de la vie, et ne pourraient parvenir au salut. — D’après saint Augustin [Sermo 81.], et saint Hilaire [in Matth., 15.], les convives du premier de ces festins miraculeux représenteraient les Juifs, tandis que ceux du second seraient la figure des Païens. « Comme la première foule qu’il a nourrie correspondait à celle des croyants Juifs, celle‑ci se rapporte au peuple des Païens ». Ce sont les mots venus de loin, Marc 8, 3, qui ont suggéré cette ingénieuse distinction, les païens, pour venir à Jésus, ayant besoin de faire au moral une route plus longue que les Juifs.
Mc8.10 Il monta aussitôt dans la barque avec ses disciples et vint dans le pays de Dalmanutha. — Montant dans une barque. Dans le grec, « la » barque avec l’article : la barque qui était habituellement à la disposition de Jésus. Le Sauveur se hâte de sortir aussitôt après son miracle (aussitôt), pour ne pas fournir au peuple l’occasion de nouvelles tentatives enthousiastes, procédant de fausses idées messianiques [360]. — Il alla dans le pays de Dalmanutha. Au lieu de ce nom propre, qu’on ne rencontre nulle part dans l’Ancien Testament, ni dans les écrits de Josèphe, S. Matthieu mentionnait celui de Magedan d’après la Vulgate, de Magdala d’après le texte grec. C’est sans doute pour rendre la concorde plus facile que plusieurs Pères latins et divers manuscrits grecs ont également écrit, dans le présent passage de S. Marc, les uns « Magedan », les autres Μαγδαλά. Mais Δαλμανουθά est certainement la leçon authentique. Où placer la localité ainsi désignée ? Comment établir l’accord entre nos deux Évangélistes ? Certains font de Dalmanoutha un village situé à peu de distance de Magdala, dans la plaine de Gennésareth, et dont le nom se serait perdu depuis l’époque de Jésus. D’après cette hypothèse, la conciliation entre S. Matthieu et S. Marc est aisée : le premier évangéliste aura mentionné la ville principale, près de laquelle Jésus vint débarquer ; le second, avec sa précision accoutumée, la localité moins connue dont le Sauveur foula tout d’abord le sol après être sorti de son embarcation. En somme, comme le disait déjà saint Augustin, c’est la même région qu’ils auront désignée sous deux noms différents (Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, L’accord entre les Évangiles, l. 2, c. 5.).
Mc8.11 Survinrent les Pharisiens, qui commencèrent à discuter avec lui, lui demandant, pour l'éprouver, un signe du ciel. — Les pharisiens survinrent, et se mirent à discuter. En grec, συζητεῖν, c’est‑à‑dire : 1‑faire des recherches et 2‑discuter. La forme la plus ancienne de la dispute se faisait par des interrogations. Voilà pourquoi on dit disputer pour discuter. — L’objet de la discussion est ensuite clairement indiqué : lui demandant un signe du ciel. En quoi consistait ce signe du ciel qui, suivant les traditions juives, devait inaugurer le règne du Messie ? On ne saurait le dire au juste. En ce que Jésus fît pleuvoir la manne, répond Bède le Vénérable ; en ce qu’il arrêtât le soleil ou la lune, fît tomber la grêle et changeât l’état de l’atmosphère, écrit Théophylacte. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 1. Quoi qu’il en soit, ce signe opéré par le Sauveur devait être, selon la pensée des Pharisiens, une légitimation péremptoire de son caractère messianique. Ou plutôt, il n’eût rien légitimé à leurs yeux, comme le montre une réflexion significative de l’Évangéliste : pour le tenter. Leur but secret était d’humilier, de confondre Notre‑Seigneur, nullement de s’assurer de la divinité de sa mission. N’avaient‑ils pas déjà toutes les preuves désirables ? Cette tentation, par son objet, rappelle celle du désert. Cf. Matth. 4, 1 et ss. De nouveau l’on presse Jésus de recourir à des prodiges éblouissants pour montrer qu’il est le Christ attendu.
Mc8.12 Jésus ayant poussé un profond soupir, dit : "Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? Je vous le dis, en vérité, il ne sera pas donné de signe à cette génération." — ayant poussé un profond soupir. La première réponse du divin Maître est un profond soupir qu’arrache à son Cœur sacré l’incrédulité des Pharisiens. Précieux détail, dont nous sommes redevables à S. Marc. Le verbe composé ἀναστενάξας, qu’on ne trouve qu’en cet endroit du Nouveau Testament, signifie d’après toute sa force : « gémir, pousser des gémissements ». — Pourquoi cette génération… Nouveau trait particulier à notre Évangile. Il est vrai qu’ensuite S. Marc abrégera notablement l’épisode, ne citant que le sommaire des paroles de Jésus, sans mentionner le « signe de Jonas », et le blâme énergique tiré des pronostics du beau et du mauvais temps. Cf. Matth. 14, 2‑4 et le commentaire. Mais nous savons qu’il aime mieux dépeindre les situations que citer au long les discours. Cette est emphatique : Cette génération infidèle, en faveur de laquelle Jésus a déjà fait tant de miracles. — Demande : elle cherche un nouveau prodige, en sus de tous ceux qu’elle a reçus. — En vérité, je vous le dis. C’est un serment, comme l’indique cette grave formule, que le Sauveur va maintenant prononcer. Il atteste, au nom de la véracité divine, qu’il ne donnera pas aux Pharisiens le signe éclatant qu’ils désirent. — Un signe, le signe spécial qu’ils désiraient. Jésus n’abaissera pas sa puissance miraculeuse pour produire des actions d’éclat.
Mc8.13 Et les laissant, il remonta dans la barque et passa à l'autre bord. — Les laissant. « Le Seigneur renvoie les Pharisiens comme incorrigibles ; il faut insister là où il y a espoir de guérison, mais ne pas s’arrêter là ou le mal est irrémédiable », Théophylacte. — Il remonta dans la barque. Sur la rive orientale, ou mieux encore au N.‑E. du lac, puisque nous trouverons bientôt, v. 22, Jésus à Bethsaïda‑Julias. C’est une des prudentes « retraites » du Sauveur. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 5.
Mc8.14 Or les disciples avaient oublié de prendre des pains, ils n'en avaient qu'un seul avec eux dans la barque. — Or les disciples avaient oublié. Cf. v. 40. Cet oubli était providentiel, car il allait servir à donner aux Apôtres une notion plus vraie de la toute‑puissance de Jésus. Il se conçoit du reste sans peine au moment d’un départ précipité. — Ils n’avaient qu’un seul pain. S. Marc est seul a faire cette restriction, qui dénote sa parfaite exactitude, en même temps qu’elle rappelle la source précieuse à laquelle il avait puisé tant de détails particuliers.
Mc8.15 Jésus leur donna cet avertissement : "Gardez-vous avec soin du levain des Pharisiens et du levain d'Hérode." — Tandis que la barque flottait sur les eaux du lac, Jésus fit une grave recommandation à ses disciples. Gardez‑vous avec soin du levain des pharisiens et du levain d’Hérode. Par cette expression figurée, il désignait, ajoute S. Matthieu, 16, 12, la doctrine et les idées perverses des sectaires. En effet, « Le levain a une puissance telle que, s’il est mêlé à la farine, ce qui paraissait petit grossit rapidement, et communique sa saveur à l’ensemble. Il en est ainsi de la doctrine hérétique. Si elle te lance sur la poitrine la moindre étincelle, une grande flamme se développe rapidement, et prend possession de tout l’homme ». À ce commentaire vigoureusement tracé, on reconnaît le grand saint Jérôme [In Matth. 16.]. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 6. C’est à cause de ces qualités pénétrantes et envahissantes du levain que les hommes doivent, surtout lorsqu’il s’agit du domaine moral, veiller avec le plus grand soin sur son action. Les Juifs, quand ils faisaient disparaître le levain de leurs maisons la veille de la Pâque, devaient prendre les précautions les plus minutieuses pour n’en pas laisser une seule parcelle [Cf. Exode 12, 15] : c’est avec un zèle semblable que les Apôtres devaient repousser loin d’eux le levain pharisaïque ou hérodien. Notons ici une nouvelle nuance dans les récits évangéliques. « Matthieu dit : le levain des Pharisiens et des Sadducéens. Marc : des Pharisiens et des Hérodiens. Mais Luc : des Pharisiens seulement. Les trois évangélistes ont nommé les Pharisiens, comme étant les plus importants. Matthieu et Marc ont différé sur ceux qui sont secondaires. Mais Marc a eu raison de nommer les Hérodiens, que Matthieu avait gardés pour la fin de son récit » [S. Jean Chrysostome, ap. Caten.]. Peut‑être serait‑il plus exact de dire que, les principes d’Hérode et ceux de la secte Sadducéenne étant à peu près les mêmes, les expressions « ferment des Hérodiens » et « ferment des Sadducéens » ne différaient guère l’une de l’autre.
Mc8.16 Sur quoi ils faisaient réflexion entre eux, disant : "C'est que nous n'avons pas de pains." — Cette réflexion du Maître causa une vive agitation parmi les disciples. Les voilà tout troublés parce que, l’idée du levain réveillant dans leur esprit celle du pain, ils se rappellent qu’ils n’ont pas pris de provisions. Ils se préoccupent d’un morceau de pain, à côté de Celui qui a pu, de rien, nourrir de nombreuses multitudes.
Mc8.17 Jésus connaissant leur pensée, leur dit : "Pourquoi vous entretenez-vous de ce que vous n'avez pas de pains ? N'avez-vous encore ni sens ni intelligence ? Votre cœur est-il encore aveuglé ? 18 Avez-vous des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ? Et n'avez-vous pas de mémoire ? 19 Quand j'ai rompu les cinq pains entre les cinq mille hommes, combien avez-vous emporté de corbeilles pleines de morceaux ?" Ils lui dirent : "Douze." 20 Et quand j'ai rompu les sept pains entre les quatre mille hommes, combien de paniers pleins de morceaux avez-vous emportés ?" Ils lui dirent : "Sept." 21 Il leur dit : "Comment ne comprenez-vous pas encore ?" — connaissant leur pensée. Ce manque de foi méritait un blâme : Jésus le leur adresse à l’instant. Le récit de S. Marc est, ici encore, plus vivant et plus complet que celui de S. Matthieu. Il se compose d’une longue série de questions (huit ou neuf, selon qu’on place une virgule ou un point d’interrogation à la fin du v. 18) qui se succèdent coup sur coup avec une grande rapidité. D’abord, les pauvres disciples demeurent tout à fait muets. Puis, vers la fin, vv. 19 et 20, les demandes sont suivies d’une réponse ; c’est un vrai dialogue qui s’engage entre Jésus et les Douze sur les événements antérieurs. Enfin l’interrogatoire se termine au v. 21 par une dernière question qui revient au point de départ : Comment se fait‑il que vous ne compreniez pas encore ? « Mais alors ils comprirent, ajoute S. Matthieu, 14, 12, que Jésus ne parlait pas d’un levain matériel ». — La gradation contenue dans les vv. 17 et 18 est vraiment remarquable. L’erreur singulière des Apôtres provient donc d’abord de ce qu’ils n’ont pas suffisamment réfléchi à la puissance du Sauveur : ce manque de réflexion les a empêchés de comprendre. Du reste, comment auraient‑ils compris ? Leur cœur était endurci, leurs yeux aveuglés, leurs oreilles sourdes : en un mot, toutes les grandes ouvertures par lesquelles la connaissance entre habituellement dans un homme étaient obstruées chez eux. Bien plus, ils avaient même perdu la mémoire des plus récents prodiges de leur Maître. Était‑il donc étonnant que les choses les plus évidentes leur échappent ?
Mc8.22 Ils arrivèrent à Bethsaïde et on lui amena un aveugle qu'on le pria de toucher. — à Bethsaïde. Le P. Patrizi et plusieurs autres commentateurs supposent qu’il s’agit ici de la Bethsaïda occidentale ; mais, des versets 10 et 13 de ce chapitre, il ressort très clairement que Jésus et les siens avaient franchi le lac de l’Ouest au Nord‑Est et ne pouvaient se trouver alors qu’à Bethsaïda‑Julias. Voyez Marc 6, 45 et l’explication. — S. Marc a seul raconté la guérison miraculeuse que le Sauveur opéra en ce lieu. Elle rappelle vivement à l’esprit, par tous ses détails, une autre cure analogue que Jésus avait récemment accomplie et dont le récit était déjà propre à S. Marc. Cf. Marc 7, 31‑37. L’aveugle, comme le sourd‑muet, sera conduit à l’écart par le Thaumaturge et guéri d’une manière lente et graduelle. Les motifs qui inspirèrent à Jésus cette méthode extraordinaire furent sans doute les mêmes dans les deux cas : défaut de foi suffisante dans le patient, désir d’éviter l’enthousiasme populaire [Cf. Théophylacte, Euthymius, Luc de Bruges, in h. l.]. — On lui amena un aveugle. À la façon orientale, le narrateur rapproche les uns des autres, sans aucune indication, des verbes qui n’ont pas le même sujet, laissant au lecteur le soin d’établir les distinctions nécessaires. C’est Jésus qui arrive à Bethsaïda suivi des siens ; c’est le peuple qui amène l’infirme. — On le priait de le toucher. Cf. Marc 7, 30, et le commentaire. « Sachant que le toucher du Seigneur pouvait rendre la vue à un aveugle, comme il guérissait un lépreux », écrit Bède le Vénérable.
Mc8.23 Prenant la main de l'aveugle, Jésus le conduisit hors du bourg, lui mit de sa salive sur les yeux et, lui ayant imposé les mains, lui demanda s'il voyait quelque chose. — Ayant pris la main de l’aveugle. Détail pittoresque, comme tous les suivants. La gradation qui forme le caractère principal de ce miracle est nettement accentuée dans le récit : Jésus prend familièrement la main de l’aveugle, il le conduit hors du bourg, il lui fait une onction sur les yeux avec de la salive, il lui impose les mains une première fois, il lui demande ce qu’il ressent, il lui fait une seconde imposition des mains. Alors seulement la guérison est complète. Qu’on aime à se représenter par la pensée ce beau tableau : Notre‑Seigneur se faisant, selon les expressions de S. Jean Chrysostome, « la route et le guide du pauvre aveugle », puis, à sa suite, les disciples et les amis de l’infirme, l’accompagnant en silence.
Mc8.24 L'aveugle leva les yeux et dit : "Je vois les hommes qui marchent, semblables à des arbres." — L'aveugle leva les yeux : geste bien naturel dans la circonstance. L’aveugle lève la tête et les yeux afin d’expérimenter s’il pourrait voir quelque chose. — Ses paroles sont plus naturelles encore : Je vois les hommes marcher, semblables à des arbres. Il voyait, mais imparfaitement. À ses yeux encore à demi voilés, les figures qui s’agitaient alentour apparaissaient vagues et confuses. Elles ressemblaient à des arbres quant à la taille ; mais leur mouvement lui montrait que c’étaient des hommes. « Ceux dont la vue est encore obscure distinguent quelques formes de corps qui se détachent sur les ombres, mais ils ne peuvent pas saisir les contours : c’est ainsi que, pendant la nuit ou dans le lointain, les arbres apparaissent indéterminés, en sorte que l’on ne sait pas si c’est un arbre ou un homme ». Bède le Vénérable Il suit de cette comparaison, selon la juste remarque de F. Luc, que cet homme n’avait pas toujours été frappé de cécité : autrement, il lui aurait été bien difficile de tenir un pareil langage, et d’établir aussitôt un rapprochement entre des formes qui lui eussent été jusqu’alors inconnues.
Mc8.25 Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux et il le fit regarder. Alors il fut si bien guéri, qu'il voyait distinctement toutes choses. — Quand Jésus eût imposé une seconde fois ses mains divines sur les yeux de l’aveugle, la vue redevint parfaite en un moment ; « bien et fixement », disent les meilleurs manuscrits grecs, suivis par les versions copte et éthiopienne. Le manuscrit D a « il commença à voir », comme la Vulgate. La Recepta porte : « et (Jésus) le fit regarder ». — La fin du verset montre jusqu’à quel point la guérison était complète : il voyait toutes choses distinctement. Le texte grec signifie littéralement : « il voyait très clairement et de loin ».
Mc8.26 Alors Jésus le renvoya dans sa maison, en lui disant : "Va dans ta maison, sans entrer dans le bourg, ni parler de ceci à personne du bourg." — Le miracle une fois accompli, Jésus recommande à l’aveugle, comme il avait auparavant recommandé au sourd‑muet, Marc 7, 36, de garder le silence sur le miracle dont il venait d’être l’objet. — Dans sa maison. Sa maison, qu’il lui dit de gagner à l’instant, était située en dehors de Bethsaïda, puisqu’il pouvait y arriver, d’après le contexte, sans entrer dans cette ville. — La défense de Jésus fut‑elle observée cette fois ? L’Évangéliste ne le dit pas. Il est probable que non, comme on l’a vu dans des cas semblables.
Parall. Matth. 16, 13‑20 ; Luc 9, 18‑21.
Mc8.27 De là, Jésus se rendit avec ses disciples dans les villages qui entourent Césarée de Philippe et sur le chemin il leur fit cette question : "Qui dit-on que je suis ?" — Jésus sortit de Bethsaïda, v. 12, pour aller plus au Nord en remontant le cours du Jourdain. Après avoir traversé une contrée qui s’est toujours fait remarquer par son aspect calme et solitaire, il arriva sur le territoire et auprès des villages qui dépendaient de la riche Césarée. Cette ville, alors surnommée « de Philippe » en l’honneur du tétrarque, fils d’Hérode‑le‑Grand et frère d’Antipas, qui l’avait embellie, a mérité, par sa situation ravissante. Derrière le village, en face d’une large grotte creusée par la nature, une rivière s’élance du sein de la terre : c’est la source supérieure du Jourdain. Des inscriptions et des niches sculptées dans le rocher parlent des antiques hommages rendus en ces lieux à Baal et à Pan. Sur ce terrain qui appartint longtemps aux faux dieux, Jésus fera proclamer sa divinité par les siens. — Il interrogeait ses disciples sur le chemin. « Sur le chemin » est un trait propre à S. Marc. La scène grandiose qui va suivre ne se passa donc pas pendant une halte, mais tandis que le Sauveur s’avançait avec les Douze sur la route de Césarée. — Qui dit‑on que je suis ? Il y a plus d’emphase dans la question telle que l’a conservée S. Matthieu, 16, 13 ; « Que disent les hommes qu’est le Fils de l’homme ? ». S. Luc, 9, 18, écrit, à peu près comme notre Évangéliste : « Les foules, qui disent‑elles que je suis ? ». Jamais encore Jésus n’avait demandé aux Apôtres d’une façon si catégorique et si solennelle ce qu’on pensait de sa personne.
Mc8.28 Ils lui répondirent : "Jean-Baptiste, d'autres, Élie, d'autres, un des prophètes. — La réponse des Douze nous fait connaître les bruits qui avaient cours dans le peuple au sujet de Notre‑Seigneur. La divergence des opinions était grande. — 1° Jean‑Baptiste. Nous avons vu que c’était le sentiment bien arrêté d’Hérode Antipas, Marc 4, 14-16. — 2° Élie. On pensait que ce prophète, enlevé mystérieusement sur un char de feu, était revenu ici‑bas sous les traits de Jésus. — 3° L’un des prophètes. Ceux qui craignaient de trop s’engager en s’arrêtant à un nom précis avaient du moins recours à cette hypothèse générale. Voyez Marc 6, 15, où nous avons déjà trouvé la seconde et la troisième opinion mentionnées à côté de celle d’Antipas. S. Matthieu en ajoute une quatrième : « les autres, Jérémie ». « Frappés de l’éloquence toute divine du Sauveur, de sa sagesse, de ses vertus, de son zèle, des œuvres merveilleuses qu’il semait partout sur ses pas, les Juifs étaient bien forcés de reconnaître que ce n’était pas un homme ordinaire, que c’était un prophète suscité de Dieu ; mais, dominés par l’autorité des Scribes et des Pharisiens, aveuglés par leurs préjugés,… ils avaient peine à reconnaître le Messie libérateur dans l’humble fils du charpentier, qui ne prêchait que le mépris des richesses,… se dérobait obstinément aux ovations et aux honneurs » [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, 5e édit. t. 3, p. 69.].
Mc8.29 Mais vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ?" Pierre, prenant la parole, lui dit : "Vous êtes le Christ." — Mais vous. Il interroge, lui qui sait toutes choses ; mais ne fallait‑il pas que ses disciples les plus intimes expriment sur lui de meilleures idées que la foule [Victor d’Antioche, Pensée.] ? C’est leur sentiment personnel qu’il désire leur entendre formuler maintenant d’une manière explicite. — Pierre, répondant. « Jésus interroge les disciples… Comment donc Pierre est‑il la bouche des apôtres ? Ils avaient tous été interpellés, puisque tous avaient été interrogés. Mais c’est lui seul qui a répondu » [Victor d’Antioche]. Hâtons‑nous d’ajouter que cet empressement du prince des Apôtres n’avait alors rien de naturel : il provenait de sa foi, de son amour, et de l’inspiration divine. Cf. Matth. 16, 17. — Vous êtes le Christ. Voilà la glorieuse « confession » de saint Pierre : elle est prompte, précise, vigoureuse. Vous êtes le Christ, le Messie promis à nos pères, ὁ Χριστός, par excellence. Et pourtant, il y manque quelque chose, du moins dans les rédactions de S. Marc et de S. Luc : ce sont les paroles si importantes par lesquelles le fils de Jona compléta sa profession de foi : le Fils du Dieu vivant. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 16. Mais nous avons à signaler ici une omission autrement étonnante de la part de S. Marc. Comment se fait‑il que Marc, le rapporteur des paroles de Pierre, ait totalement passé sous silence la promesse solennelle par laquelle Jésus, répondant à son apôtre, récompensa sa foi en lui conférant la plus haute dignité qui ait jamais existé, en l’établissant Chef visible de l’Église ? Cf. Matth. 16, 18-19. Cette étrange réserve de notre Évangéliste avait déjà frappé les Pères et les exégètes des premiers siècles. Ils ont aussi trouvé la vraie réponse : « Quand Marc arriva à ce moment historique où Jésus a interrogé ses disciples sur ce que disaient les hommes de lui et sur l’opinion que ses disciples avaient de lui, et quand il ajouta que Pierre avait dit qu’il était le Christ, il ne rapporta pas les paroles que lui avait dites Jésus… Car il n’était pas présent à cet entretien ; et Pierre ne jugea pas équitable de confirmer par son propre témoignage les paroles que Jésus lui avait alors adressées. C’est avec raison que Pierre a considéré devoir taire ce que même Marc a laissé de côté » [Eusèbe de Césarée, Démonstration Évangélique, l. 3, c. 5.]. « Matthieu rapporte cet épisode avec plus d’exactitude. Car Marc, pour ne pas sembler parler en faveur de son maître Pierre, s’est satisfait d’un exposé succinct, et a omis un compte rendu plus détaillé de l’événement », Victor d’Antioche. Ou encore : « Ce que le Seigneur répondit à la confession de Pierre, et la manière dont il le proclama bienheureux, toutes ces choses sont omises par S. Marc, qui ne voulait pas paraître les dire par complaisance pour saint Pierre, son maître » [Théophylacte, h. l. Cf. S. Jean Chrysostome, Homilia in Matth., 16, 24]. Certains protestant admettent ces raisons. Que saint Pierre ait pu se passer d’un témoignage écrit, favorable à sa primauté, et cela précisément dans son Évangile et auprès de lecteurs romains, c’est un fait qui prouve combien grande et puissante était la réalité de cette primauté, et avec quelle solidité elle s’était établie dans la conscience de l’Église.
Mc8.30 Et il leur défendit sévèrement de dire cela de lui à personne. — Et il leur défendit sévèrement ; mot expressif, destiné à montrer l’insistance avec laquelle Jésus appuya sur cet ordre. — De dire cela de lui à personne, ou plus clairement, d’après S. Matthieu, « il ordonna à ses disciples de ne dire à personne qu’il était Jésus, le Christ ». Au reste, quelques manuscrits contiennent ces dernières paroles. L’interdiction devait durer jusqu’après la Résurrection du Sauveur. Sur ses motifs, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 11, 21.
La croix pour le Christ. Marc 8, 31‑33. Parall. Matth. 16, 21‑23 ; Luc 9, 22.
Mc8.31 Alors il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup, qu'il fût rejeté par les Anciens, par les Princes des prêtres et les Scribes, qu'il fût mis à mort et qu'il ressuscitât trois jours après. — il commença à leur enseigner. Les deux verbes semblent avoir été choisis à dessein par l’Évangéliste. D’une part en effet Jésus « commençait » vraiment à parler aux siens de sa Passion et de sa mort, en ce sens que c’était la première nouvelle claire et officielle qu’il leur en donnait ; de l’autre, « l’enseignement » qu’il va leur fournir sur ce point sera complet. Il retracera dans les termes les plus précis : 1° la nécessité ou était le Christ de souffrir et de mourir pour le salut des hommes : il fallait, nécessité inhérente à son rôle tel qu’il avait été prédit depuis longtemps par les Prophètes ; 2° le tableau général de la Passion : que le Fils de l’homme souffrît beaucoup ; 3° le tableau détaillé de cette même Passion, et en particulier deux scènes spéciales : a) les outrages, qu’il fût rejeté que Jésus recevra du Sanhédrin juif, nettement désigné par ses trois chambres, les anciens, la chambre des notables, la chambre des princes des prêtres, les scribes, la chambre des Docteurs ; b) la douloureuse Consommation de ce drame inique, qu’il fût mis à mort ; 4° l’issue glorieuse de la Passion : qu’il ressuscitât après trois jours (plus clairement, d’après S. Matthieu, « le troisième jour » ; S. Marc emploie une locution familière aux Hébreux [Cf. Deutéronome 14, 28 ; 26, 12 ; 1Samuel 20, 12 ; 5, 19 ; 1Rois 20, 29 ; Esther 4,16.]. Voila le vrai Christ des Prophètes, cf. Isaïe 8, mis en contraste avec la fausse représentation que s’en faisait la foule, que s’en faisaient même les Apôtres, comme le montrera l’incident qui va suivre.
Mc8.32 Et il leur dit ces choses ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à le reprendre. — Et il leur dit ces choses ouvertement. Ouvertement, sans réticence et sans mystère : allusion aux indications énigmatiques et obscures que Jésus avait autrefois données sur sa Passion. Cf. Jean 2, 19 ; 3, 12‑16 ; 4, 47‑51 ; Matth. 9, 15. Ce détail est émis par les deux autres Synoptiques. — Pierre, le tirant à part. S. Matthieu emploie la même expression, qui signifie : prendre quelqu’un par la main ou par les vêtements pour l’entretenir en particulier. — Se mit à le reprendre. Saint Pierre ne peut supporter l’idée qu’un sort si humiliant, si funeste, soit réservé à son Maître. Ne consultant que son bon cœur et sa vivacité naturelle (« Pierre, toujours bouillant de zèle, est le seul parmi tous les disciples qui ose ici discuter avec son maître », S. Jean Chrysostome), il ose réprimander le Sauveur au sujet des choses qu’il venait de leur prédire : « A Dieu ne plaise, Seigneur ; cela ne vous arrivera pas. » Matth. 16, 22. Qu’était devenue sa noble foi de tout‑à‑l’heure ? Mais, disent les anciens exégètes, son amour ardent l’excuse jusqu’à un certain point : « Il s’adresse par ces paroles à l’affection et au désir de l’amant », Bède le Vénérable. Au reste, jusqu’alors « Il n’avait pas reçu la révélation de la passion du Seigneur. Car il avait appris que le Christ est le Fils de Dieu, mais pas encore ce qu’était le mystère de la croix et de la résurrection » [Catenæ Græcorum Patrum in Novum Testamentum, h. l.]. Voilà pourquoi « ce même Pierre qui avait si bien reconnu la vérité en confessant la grandeur du Sauveur du monde, ne la peut plus souffrir dans ce qu’il déclare de sa bassesse » [Jacques‑Bénigne Bossuet, Panégyrique de saint Pierre, Œuvres, Édit. de Versailles, t. 16, p. 237.].
Mc8.33 Mais Jésus, s'étant retourné et ayant regardé ses disciples, réprimanda Pierre, en disant : "Arrière Satan car tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes." — Lui, se retournant… Jésus s’arrête tout‑à‑coup (cf. v. 27, « en chemin »). Puis, se retournant vers les Douze, qui marchaient sans doute respectueusement derrière lui, il jette sur eux un de ces regards pénétrants que S. Marc aime tant à noter. Il ne contemple pas seulement le coupable, mais la troupe entière des disciples ; car ils partageaient tous assurément les idées de saint Pierre, et ils étaient prêts à répéter son assertion. Néanmoins, ses paroles de blâme (il réprimanda) ne retombent directement que sur Simon. — Arrière Satan… Comme Jésus traite sévèrement celui qui voudrait le détourner de sa Passion et de sa mort. « Voyez quelle opposition. Là (Matth. 16, 17‑19) il dit : Bar‑jona, fils de la colombe ; ici, Satan. Là il dit : Tu es une pierre sur laquelle je veux bâtir ; ici : tu es une pierre de scandale pour faire tomber » [Jacques‑Bénigne Bossuet, l. c., p. 238.]. Mais quelle opposition aussi dans la conduite de l’Apôtre. Là il avait pensé, compris, goûté les choses de Dieu ; ici il avait parlé comme un homme naturel, auquel la souffrance fait horreur ; il avait dit au Christ qu’il n’était pas bon de souffrir et de mourir pour la rédemption de l’humanité.
La croix pour les chrétiens Marc 8, 34‑39. Parall. Matth. 16, 24‑28 ; Luc 9, 23‑27.
Mc8.34 Puis, ayant appelé le peuple avec ses disciples, il leur dit : "Si quelqu'un veut marcher à ma suite, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive. — « Après que le Seigneur eut montré à ses disciples le mystère de sa passion et de sa résurrection, il les exhorta, eux et la foule, à le suivre dans l’exemple de sa passion ». Ces paroles de Théophylacte expriment très bien la transition qui existe entre les deux paragraphes. — Ayant appelé à lui la foule. Trait propre à S. Marc. S. Luc paraît toutefois supposer que Jésus avait alors d’autres auditeurs que les disciples. Cf. Luc 9, 23. Une foule nombreuse avait donc rejoint le Sauveur jusque dans ces parages lointains. Elle était demeurée à l’écart durant toute la scène qui précède : le divin Maître l’appelle pour lui faire entendre un des plus grands principes du Christianisme. — Si quelqu’un veut me suivre. Dans S. Matthieu et S. Luc, nous lisons des variantes traduites par : « si quelqu’un veut marcher à ma suite ». Nous citons ces légères variantes comme un modèle de l’indépendance des écrivains évangéliques. — Qu'il renonce à lui‑même exprime un renoncement entier à ce que l’homme a de plus cher, le moi. L’égoïsme, le culte de la personnalité propre, est donc un vice tout‑à‑fait anti‑chrétien. — Qu'il porte sa croix. S. Marc n’avait pas encore mentionné le nom alors infamant, mais désormais glorieux de la croix. Toute l’assistance dut frémir en entendant ce langage si opposé aux idées de la chair et du monde. Mais elle aurait été vivement consolée, si elle avait pu comprendre le sens des mots qu’il me suive. Nous, qui le comprenons tout entier, suivons avec amour le divin Crucifié. — Voyez l’explication détaillée de ce verset et des suivants dans l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 24‑28. Les deux Évangélistes citent en des termes à peu près identiques les paroles de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ.
Mc8.35 Car celui qui veut sauver sa vie, la perdra et celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera. — Le Christ nous fait comprendre ce qu’il prescrit pour marcher à sa suite. Il faut suivre Jésus, dût‑on pour cela perdre la vie ; car, la perdre, c’est la gagner. On la perdra dans le temps, mais on la gagnera pour l’éternité. Notre‑Seigneur joue, on le voit, sur le double sens du substantif ψύχη, âme et vie. Perdre sa vie pour moi, dit‑il, c’est sauver son âme. — Les mots et de l’Évangile sont propres à S. Marc. — La sauvera est une expression plus claire que le « la trouvera », de S. Matthieu.
Mc8.36 Que servira-t-il à l'homme de gagner le monde entier, s'il perd son âme ? 37 Car que donnera l'homme en échange de son âme ? — Second argument : Suivre Jésus, malgré l’attrait du monde et de ses faux biens. — Dans le verset qui précède, l’idée de perdre était opposée à celle de sauver ; ici, nous voyons en regard l’un de l’autre un bénéfice et un détriment. Le profit consiste dans l’acquisition du monde entier, par hypothèse ; le détriment, dans la damnation éternelle. Y a‑t‑il équilibre entre ces deux choses ? Les biens du monde sont‑ils assez précieux pour que l’on consente à se damner en vue de les acquérir ? Assurément non, comme l’indique le v. 37. Supposé qu’un mondain ait sacrifié le bonheur céleste en échange des jouissances d’ici‑bas, avec quoi pourra‑t‑il le racheter ? Vous avez une maison ; vous la vendez, et vous en recevez le prix : il vous sera loisible ensuite de la racheter en livrant un « contre‑prix ». Pour l’âme il n’y a pas de rançon possible après cette vie.
Mc8.38 Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi rougira de lui, lorsqu'il viendra dans la gloire de son Père avec les anges saints." — Troisième argument : Suivre Jésus, en foulant aux pieds tout respect humain. La rédaction de S. Matthieu ne mentionne pas ici cette pensée : mais on la trouve dans S. Luc, 9, 26. — Jésus suppose donc, et hélas. il ne suppose pas à tort, qu’il y aura des hommes qui rougiront de lui et de sa doctrine par respect humain. Comment traitera‑t‑il ces lâches ? Leur appliquant la peine du talion, il rougira d’eux à son tour. Mais, tandis qu’ils auront refusé de le reconnaître au milieu de cette génération, c’est‑à‑dire dans ce monde corrompu, dont ils auront redouté les vains jugements, lui il les reniera au jour du jugement dernier, en face de Dieu son Père et de toute la cour céleste. — « Génération », de même que son équivalent hébreu דור, désigne ici une époque quelconque et tous ceux qui y vivent. Victor d’Antioche donne une excellente interprétation des épithètes adultère et pécheresse : « Si on appelle adultère une femme qui fut à un autre homme, l’âme qui a abandonné sont vrai époux divin, et qui n’a pas observé ses commandements est appelée elle aussi adultère et pécheresse ». Comparez du reste Isaïe 54, 5 ; Jérémie 31, 32 ; Malachie 2, 11 ; Hébreux 12, 8, etc. — La fin du verset fait allusion au second et glorieux avènement du Christ. — Le Fils de l’homme, au lieu du simple « Je » que l’on attend d’après la construction de la première partie de la phrase, est emphatique et majestueux.
Mc9.1 Il ajouta : "Je vous le dis, en vérité, parmi ceux qui sont ici, quelques-uns ne goûteront pas la mort, qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance." — il ajouta. Nous ayons vu plus haut, cf. Marc 7, 9, 20, que cette formule annonce habituellement dans le second Évangile une pause et une transition. De l’avènement qu’il vient d’annoncer, mais qui n’aura lieu qu’à la fin des temps, le Sauveur passe tout à coup à un avènement d’un autre genre, que plusieurs de ceux auxquels il parlait alors devaient contempler de leurs propres yeux. Il le désigne d’une manière assez énigmatique : le royaume de Dieu venir avec puissance. Le royaume de Dieu manifesté avec puissance : qu’est‑ce à dire ? Plaçons avec S. Matthieu le concret au lieu de l’abstrait, « le Fils de l’homme venant dans son royaume », et la pensée paraîtra déjà plus claire. Où trouver maintenant, dans une période assez rapprochée pour justifier l’assertion quelques‑uns de ceux qui sont ici, une manifestation éclatante de Jésus en tant que Roi messianique ? Nous répondons, pour les motifs exposés dans notre commentaire sur Matth. 16, 28, que la ruine de Jérusalem et de l’État juif semble répondre seule aux conditions fixées par Notre‑Seigneur lui‑même, et que c’est elle sans doute que le divin Prophète avait en vue quand il prononça ces graves paroles.
Mc9.2 Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean et les conduisit seuls, à l'écart, sur une haute montagne et il fut transfiguré devant eux. Sur le but et le motif de la Transfiguration, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, Matth. 17, 1. — Six jours après les événements racontés en dernier lieu, Marc 8, 27‑39. Tout porte à croire que Jésus et les siens passèrent ce temps dans le voisinage de Césarée : rien du moins, dans le récit sacré, n’indique un changement de lieux. — Jésus prit avec lui Pierre… Ne voulant pas, dans ses mystérieux desseins, faire assister tous les Apôtres à son triomphe momentané, le Sauveur prend du moins avec lui « les trois sommets du Sacré‑Collège » (Théophylacte), Pierre, le futur Chef de l’Église, et les deux fils du Tonnerre. — Et les conduisit. Dans le grec, littéralement, il les conduit en haut, mot qui semble indiquer, de concert avec l’adjectif haute, une ascension longue et pénible. — Une haute montagne. Était‑ce le Thabor ? était‑ce l’Hermon ? Nous avons discuté dans notre commentaire sur S. Matthieu, 17, 1, les raisons qui parlent pour et contre chacune de ces montagnes, et nous nous sommes décidé en faveur de l’Hermon. Telle était peut‑être même l’opinion d’Eusèbe de Césarée [In Psalm. 88.]. Le sentiment traditionnel a fait donner chez les grecs le nom de θαϐώριον (Thaborium) à la fête de la Transfiguration. — Il fut transfiguré. Les Pères et les théologiens ont bien déterminé le sens de cette expression, qui, d’après la signification littérale du grec, semblerait indiquer une sorte de métamorphose. « Personne ne pense qu’il avait perdu son apparence première. La substance n’est pas enlevée, mais elle est changée en gloire » [Saint Jérôme de Stridon, in Matth., 17.]. « Il a été transfiguré non par un changement des membres, mais par l’imprégnation de la gloire » [Thomas Cajetan, Evangelia cum Commentariis, Marci, h. l.].
Mc9.3 Ses vêtements devinrent étincelants, d'une blancheur aussi éclatante que la neige et tels qu'aucun blanchisseur sur la terre ne saurait blanchir ainsi. — Au rayonnement divin de la physionomie du Sauveur, se joignit celui de ses vêtements, qui devinrent resplendissants. Pour donner à ses lecteurs une idée de cette blancheur merveilleuse, S. Marc emploie deux comparaisons qui lui sont propres. — La seconde comparaison, tels qu’aucun blanchisseur…, est empruntée à l’art humain, de même que la précédente l’avait été à la nature, à la neige étincelante qui blanchissait le sommet de l’Hermon. Certes, dès l’antiquité, l’habileté des hommes, qui progresse si vite toutes les fois qu’il s’agit de rehausser le bien‑être matériel, était allée très loin sous le rapport auquel S. Marc fait allusion. Les candidats vêtus d’une toge blanche de Rome et d’Athènes portaient des toges d’une blancheur éblouissante. Et pourtant, cela n’était rien à côté de la splendeur céleste qui avait subitement envahi tout l’extérieur de Jésus.
Mc9.4 Puis Élie et Moïse leur apparurent, conversant avec Jésus. — Les deux héros de la théocratie juive viennent saluer, dans ce moment glorieux, le Législateur et le Prophète de la loi nouvelle, montrant ainsi l’alliance qui existe entre les deux Testaments. Ce fut sans doute par une sorte d’intuition surnaturelle que les trois Apôtres les reconnurent aussitôt. — Conversant avec Jésus. Cette construction semble indiquer que l’entretien eut une certaine durée. S. Luc nous en fait connaître l’étonnant objet, Luc 9, 31.
Mc9.5 Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : "Maître, il nous est bon d'être ici, dressons trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie." — C’est saint Pierre, vif, ardent et saintement empressé comme toujours, qui songe le premier à prendre la parole. — Maître. Tandis que les deux autres synoptiques emploient l’équivalent grec de ce titre, S. Marc cite à sa manière le mot hébreu, רבי. On en trouvera l’étymologie et l’histoire dans l’Évangile selon S. Matthieu, 23, 7. — Il nous est bon… « Pierre est témoin de ce spectacle, et goûtant les choses humaines à la manière des hommes : « Seigneur, dit‑il, il nous est bon d'être ici. » Il s'ennuyait de vivre au milieu de la foule, il avait trouvé la solitude sur une montagne où le Christ servait d'aliment à son âme. Pourquoi en descendre afin de courir aux travaux et aux douleurs, puisqu'il se sentait envers Dieu un saint amour et conséquemment des mœurs saintes ? Il cherchait son propre bien ; aussi ajouta‑t‑il : « Si vous voulez, dressons ici trois tentes » [Saint Augustin d’Hippone, Sermo 78.]. Bède le Vénérable fait ici un beau rapprochement : « Si l’humanité transfigurée du Christ et la compagnie de deux saints, aperçus un instant, les réjouissent au point de ne plus vouloir s’en aller... et de s’installer là à demeure, dans le cas de Pierre, quelle sera la félicité causée par la vision perpétuelle de la déité, parmi les chœurs des anges ? » Il fera meilleur encore au ciel que sur le Thabor ou l’Hermon.
Mc9.6 Il ne savait ce qu'il disait, l'effroi les ayant saisis. — Il ne savait pas… S. Marc relève, de concert avec S. Luc, ce trait intéressant. Saint Pierre oubliait qu’il n’est pas possible de prolonger ici‑bas de tels moments d’une manière perpétuelle, que cette vie doit être consacrée à la lutte et non aux seuls délices. Son extase l’avait transporté dans des régions sublimes où il ne songeait plus aux conditions de l’existence présente. « Car, ayant une constitution spirituelle, surtout quand il contemple la gloire de Dieu… l’homme doit se séparer des sens, c’est‑à‑dire être ombragé par la vertu divine » [Tertullien, Adversus Marcionem, 4, 22.]. — L’effroi les ayant saisis. Ce second détail est propre à notre Évangéliste. C’est un fait d’une grande vérité psychologique, quoique, de prime‑abord, il semble contredit par ce qui précède. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Une joie surnaturelle et une frayeur religieuse se concilient fort bien ensemble. Saint Pierre et ses deux compagnons, quoique si heureux sur la sainte montagne, pouvaient être en même temps en proie à un sentiment de vif effroi en face du divin qui les enveloppait. C’étaient tout à la fois le bonheur et la crainte qui les avaient mis hors d’eux‑mêmes. Le verbe grec signifie « être épouvanté » et est d’une grande énergie.
Mc9.7 Et une nuée les couvrit de son ombre et de la nuée sortit une voix : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le." — Une nuée les couvrit… Telle fut la réponse donnée à saint Pierre ; une tente toute divine, consistant en une nuée lumineuse [Cf. Matth. 18.4.], enveloppa soudain Jésus et ses deux interlocuteurs. Puis, Dieu le Père, qui cachait sous ce voile l’éclat de sa sainte présence, fit entendre de solennelles paroles, par lesquelles il saluait Notre‑Seigneur comme son Fils bien‑aimé, Celui‑ci est mon fils bien‑aimé, et l’établissait Législateur souverain de la Nouvelle Alliance, « Écoutez‑le ». C’est à lui et à lui seul que l’on doit obéir désormais. La loi mosaïque a fait son temps : Celui qu’elle figurait est arrivé. Les Prophètes, représentés par Élie, ont fait leur temps : Celui qu’ils annonçaient a fait son apparition. « Le Père confie donc au Fils de nouveaux disciples, leur montrant avec lui Moïse et Élie récompensés par la gloire, et ayant en conséquence terminé leur mission terrestre, comme s’ils leur étaient déjà comparables par la vocation et l’honneur » [Tertullien, l. c.]. C’est donc le Christ, Fils de Dieu, qu’il faut écouter exclusivement et à tout jamais.
Mc9.8 Aussitôt, regardant tout autour, ils ne virent plus personne, si ce n'est Jésus, seul avec eux. — Voir dans S. Matthieu, 17, 6-7, quelques détails graphiques omis par S. Marc. L’adverbe aussitôt (ou soudain) autorise à croire que la Théophanie n’avait duré que peu d’instants. Lorsque, n’entendant plus la voix et devenant plus hardis, les trois Apôtres jetèrent autour d’eux un regard furtif, ils n’aperçurent plus que Jésus auprès d’eux sur la montagne, avec son apparence habituelle et son habit habituel ; la Transfiguration avait pris fin. — Voyez dans Rohault de Fleury [L’Évangile : Études iconographiques et archéologiques, t. 2, pp. 68 et ss.], quelques notes intéressantes sur ce mystère considéré dans ses rapports avec l’art antique.
Mc9.9 Comme ils descendaient de la montagne, il leur défendit de raconter à personne ce qu'ils avaient vu, jusqu'à ce que le Fils de l'homme fût ressuscité des morts. — Comme ils descendaient. L’entretien que le Sauveur eut avec les trois disciples privilégiés, aussitôt après sa Transfiguration, comprend deux points principaux. Jésus commença par enjoindre aux témoins du mystère de garder le plus profond silence sur ce qu’ils avaient vu et entendu, vv. 8 et 9 ; il répondit ensuite à une question qu’ils lui adressèrent au sujet de l’avènement d’Élie, vv. 10‑12. — 1. Le silence. Ne raconter à personne... À personne absolument, pas même aux autres Apôtres qu’ils allaient bientôt rejoindre au pied de la montagne. L’interdiction devait durer autant que la vie mortelle de Notre‑Seigneur. Seule, sa résurrection d’entre les morts pourrait lever le scellé placé sur les lèvres de Pierre, de Jacques et de Jean. Cet ordre n’a rien d’étonnant, après les défenses semblables que Jésus avait fréquemment formulées depuis le début de son ministère public. Ou plutôt, il avait cette fois une raison d’être toute particulière : « Car plus ils raconteraient de lui de grandes choses, plus il deviendrait difficile pour la plupart de croire en lui, et plus fort serait le scandale de la croix ». Victor d’Antioche.
Mc9.10 Et ils gardèrent pour eux la chose, tout en se demandant entre eux ce que signifiait ce mot : "être ressuscité des morts." — Ils gardèrent pour eux la chose. Dans le grec, littéralement : ils tinrent ferme cette parole. Cela veut‑il dire qu’ils obéirent fidèlement à l’injonction de leur Maître ? ou bien, d’après une autre interprétation, qu’ils furent vivement frappés des derniers mots prononcés par le Sauveur, et qu’ils en firent le thème de leurs réflexions ? Ce second sens nous paraît plus en rapport avec le contexte. — Se demandant en eux‑mêmes, les trois Apôtres discutaient donc entre eux sur la signification de ressuscité d’entre les morts. S. Marc a seul signalé l’espèce de perplexité dans laquelle les amis de Jésus furent jetés par cette parole du Sauveur. Sans doute ils n’ignoraient pas ce qu’était la résurrection en général, puisqu’elle faisait partie du symbole de foi chez les Juifs comme chez les chrétiens ; mais la Résurrection personnelle de Jésus les troublait. En effet, pour ressusciter il faut mourir ; or, la mort de leur Maître était opposée à leurs vieux préjugés.
Mc9.11 Ils l'interrogèrent et lui dirent : "Pourquoi donc les Scribes disent-ils qu'il faut qu'Élie vienne auparavant ?" — 2. L’avènement d’Élie. Si les disciples n’osent questionner Jésus sur le mystère, si obscur pour eux, de sa Résurrection, ils lui proposent du moins une difficulté que la récente apparition d’Élie avait fait naître dans leur esprit. Peut‑être se figuraient‑ils que les deux points n’étaient pas sans connexion intime, et, qu’en provoquant des explications sur l’un, ils feraient jaillir en même temps la lumière sur l’autre. — Il faut qu’Élie vienne. « Auparavant », c’est‑à‑dire avant le Messie, en qualité de Précurseur, ainsi que l’avait annoncé le prophète Malachie, 4, 5. Sur ce retour d’Élie, qui a toujours vivement intéressé les Juifs, à tel point que vouloir citer tous les passages rabbiniques où il en est question serait une tâche infinie, voyez S. Matthieu, 17, 10.
Mc9.12 Il leur répondit : "Élie doit venir auparavant et rétablir toutes choses et comment est-il écrit du Fils de l'homme qu'il doit souffrir beaucoup et être méprisé ? 13 Mais, je vous le dis, Élie est déjà venu et ils l'ont traité comme ils ont voulu, selon qu'il est écrit de lui." — La réponse du Sauveur est exprimée d’une manière un peu obscure dans le second Évangile. La rédaction plus nette de S. Matthieu fait disparaître toute difficulté. Un premier point est clair : c’est qu’Élie viendra d’abord, et, qu’une fois de retour sur cette terre dont il a si mystérieusement disparu, il préparera les hommes à recevoir le Messie. D’abord représente l’époque du second avènement de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ; rétablira, les travaux d’Élie pour amener les Juifs à la vraie foi. Ainsi, Jésus donne raison aux Scribes ; seulement, il explique et rectifie leur dire en appliquant à la fin des temps ce qu’ils s’attendaient à voir bientôt accompli [Théophylacte, h. l.]. — Selon qu'il est écrit de lui... C’est ici que la pensée devient énigmatique, à cause de la construction un peu lourde et enchevêtrée de la phrase. De même qu’il est écrit au sujet du Fils de l’homme qu’il aura beaucoup à souffrir et qu’il sera méprisé (dans le grec, littéralement, « réduit à rien »), de même, je vous dis qu’Élie est venu… comme il est écrit à son sujet. À l’apparition future du véritable Élie, Jésus oppose l’arrivée déjà ancienne de l’Élie figuratif, Jean‑Baptiste ; des souffrances subies par son Précurseur, il rapproche ses propres souffrances. De part et d’autre il montre, planant au‑dessus des destinées humaines, la volonté de Dieu exprimée dans les Saintes Écritures. De la sorte, il existe entre toutes les parties de la phrase un lien qui les unit, un contrepoids qui les soutient, et l’obscurité se trouve amoindrie. De plus, nous nous rapprochons ainsi du texte de S. Matthieu, 17, 12 : « Je vous le dis : Élie est déjà venu et ils ne l’ont pas connu, et ils ont fait contre lui tout ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que le Fils de l’homme doit souffrir par eux ». — Ils l'ont traité comme ils ont voulu… Jésus désignait ainsi les persécutions endurées par S. Jean [Cf. Marc 6.17 et ss.]. Le prophète Élie n’avait pas moins souffert [Cf. 1 Rois 19].
Mc9.14 Étant retourné vers ses disciples, il vit une grande foule autour d'eux et des Scribes qui discutaient avec eux. — Étant retourné vers ses disciples… Au pied de l’Hermon, une scène bien différente de celle de la Transfiguration attendait Jésus et ses disciples. Les trois Synoptiques sont unanimes pour la rapprocher du glorieux mystère que nous venons d’étudier ; mais c’est incontestablement S. Marc qui l’a décrite de la manière la plus complète. Il se surpasse lui‑même au point de vue des détails pittoresques. Raphaël n’a eu en quelque sorte qu’à le copier pour produire le chef‑d’œuvre dont nous parlions dans notre commentaire sur S. Matthieu, 17, 14. — Dès les premiers mots, la situation est admirablement dépeinte : nous voyons les neuf Apôtres, timides et embarrassés ; autour d’eux, une grande foule qui prend parti pour eux ou contre eux ; puis des scribes qui discutaient avec eux (avec les disciples). Le contexte nous apprendra l’objet du litige. Les disciples n’avaient pu guérir un jeune possédé, qu’on leur avait conduit en l’absence de leur Maître. Cet échec avait comblé d’une joie maligne des Scribes qui en avaient été témoins : profitant de cette occasion unique, ceux‑ci avaient attaqué devant toute l’assistance non seulement les Apôtres impuissants, mais aussi Jésus lui‑même, comme si la défaite des soldats eût prouvé contre le général. Mais, voici que le Sauveur apparaît tout à coup à quelque distance, pour venger son honneur attaqué.
Mc9.15 Toute la foule fut surprise de voir Jésus et elle accourut aussitôt pour le saluer. — Nouveau tableau propre à S. Marc et tracé d’une main magistrale. Mais les divers traits qui le composent ne sont‑ils pas contradictoires ? La foule voit Jésus, elle a peur, et pourtant elle accourt au‑devant de lui pour le saluer. La frayeur dut être grande ; le texte grec n’a qu’un seul verbe ; il est vrai que c’est une expression d’une grande énergie, qui désigne une terreur extrême (on a remarqué que S. Marc seul l’emploie dans son Évangile). Pourquoi d’abord le peuple, en apercevant Jésus, fut‑il saisi d’un effroi si violent ? « Il en est qui disent que son visage conservait un reflet de la Transfiguration », écrivait Théophylacte. Corneille de Lapierre est plus catégorique, et n’hésite pas à accepter ce que son devancier grec n’osait donner que comme un dire incertain : « Du fait qu’ils voyaient des rayons lumineux sur le visage de Jésus, qui venait tout juste d’être transfiguré, comme demeuraient sur le visage de Moïse, après son colloque avec Dieu, des rayons et comme une couronne de lumière ». Oui, voilà bien ce qui dut effrayer le peuple quand il reconnut Jésus : il restait sur la physionomie du Sauveur quelques traces de la gloire divine qui l’avait récemment illuminé, et c’est ce reflet extraordinaire, imposant, qui inspirait à la foule une frayeur surnaturelle. Mais, en face de Jésus, le sentiment de la crainte ne pouvait être de longue durée : ses divins attraits, sa bonté, dominèrent promptement toute autre impression. Aussi voyons‑nous la multitude accourir bientôt au‑devant de lui et le saluer avec une aimable familiarité, tout heureuse qu’il arrivât si à propos pour tirer les siens d’embarras. Voilà le paradoxe éclairci.
Mc9.16 Il leur demanda : "Sur quoi discutez-vous avec eux ?" — Il leur demanda. Le grec porte littéralement : il interrogea les Scribes. Jésus se serait adressé en général à toute l’assemblée. Suivant le « textus receptus », il aurait pris les Scribes à partie, leur montrant que ce n’était plus avec ses disciples, mais avec lui‑même, qu’ils avaient à discuter.
Mc9.17 Un homme de la foule lui répondit : "Maître, je vous ai amené mon fils, qui est possédé d'un esprit muet. — Tandis que tous les autres demeurent silencieux, un homme sort de la foule et s’avance jusqu’auprès de Jésus. S. Matthieu, 17, 14, décrit fort bien le pathétique de son attitude et de sa prière : « un homme s’approcha de lui, et se mit à genoux devant lui, et lui dit : Seigneur, ayez pitié de mon fils ». — Je vous ai amené. Ce pauvre père était du moins venu avec l’intention de présenter son fils au Sauveur ; mais, n’ayant pas trouvé le divin Thaumaturge, il avait eu recours à ses disciples. — Possédé d’un esprit muet. Locution tout orientale, pour dire que l’enfant était au pouvoir d’un démon qui le rendait sourd (v. 24) et muet.
Mc9.18 Partout où l'esprit s'empare de lui, il le jette contre terre et l'enfant écume et grince des dents et il se dessèche, j'ai prié vos disciples de le chasser et ils ne l'ont pu. — partout où il s'empare de lui… Bien que la possession fût habituelle, elle présentait néanmoins des alternatives étranges de calme relatif et de crises horribles. Ces crises sont vigoureusement décrites par notre Évangéliste. — Il le jette contre terre. Le verbe grec désigne plutôt de violentes convulsions, son sens primitif est « déchirer ». Il signifie pourtant aussi « renverser, terrasser » [408]. — Les deux traits suivants : il écume, grince des dents, dénotent aussi d’affreux paroxysmes. — Et se raidit. Les crises se terminaient par un état de complète prostration, durant lequel les membres du démoniaque devenaient raides comme le fer.
Mc9.19 O race incrédule, leur dit Jésus, jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi." — O génération incrédule. C’est à l’assemblée tout entière, c’est‑à‑dire au père, à la foule, aux Scribes, et même aux disciples jusqu’à un certain point, que Jésus adressait ce reproche. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 17, 16. — Jusqu’à quand vous souffrirai‑je ? La peine la plus grande que Jésus ait éprouvée sur la terre semble avoir été celle qui provenait de l’incrédulité des hommes : de même que les joies les plus vives de son Cœur semblent avoir eu pour cause la foi des vrais croyants.
Mc9.20 On le lui amena. A sa vue, l'esprit agita soudain l'enfant avec violence, il tomba par terre et se roulait en écumant. — Quand, sur l’ordre du Sauveur, on eut approché l’enfant, le démon manifesta sa rage par un accès suprême, que le Thaumaturge toléra pendant quelques instants, pour mieux faire éclater la vertu divine qui agissait en lui. — Il est assez difficile de déterminer le sujet du verbe « voir ». Est‑ce Jésus qui regarda l’enfant, et qui fit frémir ainsi le démon ? Est‑ce l’enfant qui regarda Jésus, et qui, uni étroitement à l’esprit mauvais, lui communiqua l’impression de crainte dont il avait été aussitôt saisi ? La locution grecque est tout aussi ambiguë. Le second sentiment nous paraît plus naturel. — Le verbe grec traduit ici par agita avec violence signifie plutôt « déchirer, mettre en pièces ». L’enfant fut donc repris de convulsions et de spasmes. — Il se roulait en écumant… Trait douloureusement pittoresque.
Mc9.21 Jésus demanda au père de l'enfant : "Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? Depuis son enfance, répondit-il. 22 Souvent l'esprit l'a jeté dans le feu et dans l'eau pour le faire périr, si vous pouvez quelque chose, ayez pitié de nous et secourez-nous." — Jésus demanda au père de l’enfant. Cependant Jésus, plein d’un calme divin, noue avec le père du jeune démoniaque un touchant dialogue, vv. 20‑23, que S. Marc nous a seul conservé. — Combien y a‑t‑il de temps… Comme un médecin dans un cas semblable, Notre‑Seigneur se fait renseigner (pas pour lui‑même assurément, mais pour l’assistance) sur la durée de ce mal affreux. — Depuis son enfance, répond le père, indiquant par là que la maladie, ainsi que sa cause, était tout à fait invétérée. Puis, trait bien naturel, pour susciter davantage la pitié de Jésus, il ajoute quelques détails sur le malheureux état de son pauvre enfant : l’esprit l’a souvent jeté… Cf. v. 17. — Pour le faire périr. Tel était, dans la pensée du suppliant, le but que se proposait le démon en maltraitant ainsi son fils : il voulait lui donner la mort. — Mais, si vous pouvez quelque chose… On croit entendre, en lisant ces paroles, l’accent de détresse avec lequel elles durent être prononcées. Mais pourquoi le père ne s’écrie‑t‑il pas comme le centurion : Dis seulement une parole, et mon fils sera guéri ? En effet, c’est une foi vacillante qu’exprime une telle restriction : « Si vous pouvez quelque chose ». Le père croyait jusqu’à un certain point en la puissance de Jésus, puisqu’il lui avait conduit son fils ; mais sa foi, déjà imparfaite en elle‑même, était devenue plus faible encore, après les efforts impuissants des Apôtres pour chasser le démon. — Ayez pitié de nous. De même qu’autrefois la Cananéenne, Matth. 15, 25, le père fait sienne l’infirmité de son enfant.
Mc9.23 Jésus lui dit : "Si vous pouvez ? Tout est possible à celui qui croit." — Jésus saisit au vol la fâcheuse réflexion du suppliant, et il s’en sert avec autant d’habileté que de bonté pour raviver dans ce cœur désolé la foi sans laquelle le miracle n’eût pas été produit. La question est ainsi ramenée à son véritable point de vue : il ne s’agit pas de la puissance du Thaumaturge, sur laquelle le moindre doute n’est pas permis, mais de la foi de quiconque y a recours.
Mc9.24 Aussitôt le père de l'enfant s'écria, disant avec larmes : "Je crois ! Venez au secours de mon incrédulité !" — La description devient de plus en plus pathétique. — Aussitôt le père de l’enfant s’écria. Effet instantané de la parole du Sauveur. Allant droit au cœur du père, elle y enfanta une grande foi, ou du moins un grand désir de foi. — Je crois, Seigneur. Je crois déjà, j’ai une entière bonne volonté pour croire, et cependant, venez au secours de mon manque de foi, parce que je sens que ma foi n’est pas assez vive encore. Il appelle incrédulité ce qu’il comprend n’être qu’un commencement de foi, une foi appelée à se développer. Belle prière, qui rappelle celle des disciples : « Seigneur, augmentez en nous la foi ».
Mc9.25 Jésus, voyant le peuple accourir en foule, menaça l'esprit impur, en disant : "Esprit sourd et muet, je te le commande, sors de cet enfant et ne rentre plus en lui." — Jésus, voyant accourir la foule. Dans le grec, le verbe, doublement composé, indique des foules grossissantes qui viennent s’ajouter à celle qui environnait déjà Notre‑Seigneur, v. 13. Le Sauveur se hâte d’accomplir le miracle pour échapper à tous ces regards curieux, cf. Marc 7, 33 ; 8, 23, et les notes correspondantes. — Esprit sourd et muet. C’est‑à‑dire, esprit qui rend sourd et muet. — Je te le commande. Il y a une emphase visible dans ce « je » mis en tête de la phrase : Moi, à qui tu ne résisteras pas comme à mes disciples. L’ordre est majestueux, digne du Messie. — Et ne rentre plus en lui. C’est une guérison perpétuelle que le Seigneur effectue : il interdit à tout jamais au démon d’entrer dans ce corps qu’il avait si longtemps regardé comme sa propriété.
Mc9.26 Alors ayant poussé un grand cri et l'ayant agité avec violence, il sortit et l'enfant devint comme un cadavre, au point que plusieurs disaient : "Il est mort." 27 Mais Jésus, l'ayant pris par la main, le fit lever et il se tint debout. — Poussant des cris et l’agitant avec violence… Quelle abondance de détails vivants et intéressants d’un bout à l’autre du récit. Saint Pierre avait tout vu, tout retenu, tout raconté à son disciple. — Le démon, obligé d’obéir à la voix de Jésus, lance cette dernière attaque en se retirant. Il convulsionne une dernière fois sa victime et l’étend comme morte aux pieds de Jésus. Peine inutile. Notre‑Seigneur n’a qu’un geste à faire, l’ayant pris par la main, le souleva, et l’infirme recouvre ses sens et la pleine possession de tout son être. — C’est peut‑être à cette cure merveilleuse que Lucien fait une allusion ironique, lorsqu’il écrit dans son Philopseudes, 16 : « Tous savent qu’il y a un Syrien de Palestine qui connaît toutes ces choses ; tout ceux qu’il prend dans ses mains, ceux qui tombent à terre au clair de lune, qui roulent les yeux et qui ont la bouche pleine d’écume, il les rétablit cependant, et il les renvoie, leurs sens et leur compréhension rétablis, après que contre une forte rémunération il les ait libéré de ces horreurs. Quand il s’avance auprès de ceux qui gisent sur le sol, et qu’il leur demande d’où viennent ceux qui sont entrés dans leur corps, le malade se tait, mais le démon répond, en grec ou dans une autre langue, et indique d’où il vient et comment il est entré dans l’homme ».
Mc9.28 Lorsqu'il fut entré dans la maison, ses disciples lui demandèrent en particulier : "Pourquoi n'avons-nous pu chasser cet esprit ?" — Lorsque Jésus fut entré dans la maison. Détail propre à S. Marc. La question des Apôtres au divin Maître fut donc posée « en particulier », comme le dit S. Matthieu. — Pourquoi n’avons‑nous pas pu ? Ils n’avaient pas dépassé leur mandat, puisque Jésus leur avait donné quelque temps auparavant, Marc 6, 7, « puissance sur les esprits impurs » : quelle pouvait bien être la cause secrète de leur récente défaite ?
Mc9.29 Il leur dit : "Ce genre de démon ne peut être chassé que par la prière et le jeûne." — Notre Évangéliste ne donne que la substance de la réponse du Sauveur. Voyez S. Matthieu, 17, 19‑20 et le commentaire. C’est seulement après avoir dit à ses disciples que leur impuissance provenait de l’imperfection de leur foi, et après leur avoir révélé par un frappant exemple la vertu incomparable d’une foi ferme, que Jésus ajouta : Cette sorte de démon, c’est‑à‑dire, d’après l’opinion commune, la classe particulière dont faisait partie, dans la hiérarchie infernale, le démon expulsé par Notre‑Seigneur. C’était un « des démons les pires et les plus déterminés ». Tirin. — Par la prière et par le jeûne. Par le jeûne, la chair est soumise à l’esprit ; par la prière, l’esprit est soumis à Dieu, et, de la sorte, l’homme devient pour ainsi dire un ange, supérieur à la chair et au démon (Pensée d’Eusèbe d’Émèse). Mais pour prier, comme pour mortifier sa chair, il faut avoir une foi vive. Que le prêtre ait donc cette foi, qu’il réduise son corps en servitude, qu’il soit un homme d’oraison, et il sera plus fort que tous les démons qu’il gémit de voir ravager son troupeau.
Mc9.30 Étant partis de là, ils cheminèrent à travers la Galilée et Jésus ne voulait pas qu'on le sût, — Ils traversèrent la Galilée. Le texte grec emploie ici une expression délicate, qui semblerait indiquer une marche clandestine à travers des chemins écartés, comme si Jésus eût voulu, pendant ce voyage, demeurer seul avec ses disciples les plus intimes, afin d’achever librement leur formation apostolique. Du reste, les mots suivants, il voulait que personne ne le sût, montrent clairement que le Sauveur évitait avec soin tout concours de la foule, cf. Marc 7, 14. On ne trouve ces deux traits que dans le second Évangile.
Mc9.31 car il enseignait ses disciples et leur disait : "Le fils de l'homme sera livré entre les mains des hommes et ils le feront mourir et le troisième jour après sa mort il ressuscitera." — Il instruisait … et leur disait. De cette répétition emphatique et de l’emploi de l’imparfait, nous pouvons conclure que Jésus revenait fréquemment, durant la période actuelle de sa vie, sur le grave sujet de sa Passion et de sa mort. — Le Fils de l’homme sera livré.
Mc9.32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et ils craignaient de l'interroger. — Ils comprirent cependant d’une certaine manière, puisque, d’après S. Matthieu, 17, 22, le premier effet de cette nouvelle prédiction fut de les attrister profondément. Ce qu’ils ignoraient, c’était le mode, la cause, le but des souffrances du Messie. Aveuglés par leurs fausses idées christologiques, ils ne voyaient pas pourquoi Jésus devait mourir avant d’établir son royaume [Cf. le Vén. Bède et Luc de Bruges, h. l.]. — Ils craignaient de l’interroger. D’une part, ils redoutaient d’avoir trop de détails sur des événements si douloureux ; d’autre part, se rappelant les reproches qu’avait attirés à saint Pierre une réflexion malheureuse sur le même sujet (cf. Marc 8, 31‑33), ils craignaient peut‑être aussi d’affliger leur Maître en le questionnant. Ce verset contient une belle analyse psychologique des sentiments des Apôtres.
Mc9.33 Ils arrivèrent à Capharnaüm. Lorsqu'il fut dans la maison, Jésus leur demanda : "De quoi parliez-vous en chemin ?" — à Capharnaüm. S. Marc passe sous silence le miracle du didrachme, qui eut lieu aussitôt après le retour de Jésus dans cette ville. Cf. Matth. 17, 24‑27. Il nous montre immédiatement le Sauveur et ses Apôtres retirés dans la maison qui leur servait d’habitation à Capharnaüm. Tout à coup, Notre‑Seigneur adresse aux Douze cette question inattendue : Sur quoi discutiez‑vous en chemin ? Il les avait laissés seuls durant une partie du trajet, marchant en avant, tout uni à son divin Père. Maintenant il faut qu’ils lui rendent compte de la discussion bruyante qui s’était élevée entre eux à un moment donné. — Sur la petite divergence qui existe ici entre les narrations des deux premiers Évangélistes, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 18, 1.
Mc9.34 Mais ils gardèrent le silence, car en chemin ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand. — Ils se taisaient. Ce seul mot constitue un tableau complet, où nous voyons, à l’avant‑scène, les Apôtres confus, embarrassés. — Car, en chemin… Note du narrateur, qui contient la raison du silence des Douze. Il n’est pas étonnant qu’ils n’aient rien eu à répondre à leur Maître : comment eussent‑ils osé lui avouer que la discussion avait roulé sur un point d’orgueil et d’ambition ? Lequel d’entre nous, s’étaient‑ils demandé, a droit à la première place dans le royaume messianique ?
Mc9.35 Alors il s'assit, appela les Douze et leur dit : "Si quelqu'un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous." — S’étant assis. Trait graphique. Du reste, ce verset et le suivant en contiennent un grand nombre, dont plusieurs sont propres à S. Marc. Jésus s’assied, il appelle les Douze auprès de lui, il prend par la main un petit enfant, le place au milieu du groupe formé par les Apôtres, puis le serre doucement entre ses bras. Gracieuse et touchante scène. — Si quelqu’un veut… « Le Seigneur se soucie de guérir le désir de la gloire par l’humilité », Bède. Les premières paroles du divin Maître énoncent un grand principe, qui dirime aussitôt la question que les disciples s’étaient posée. Quelle profondeur dans cette pensée. Mais en même temps quel paradoxe. La vraie grandeur consiste dans l’humilité ; c’est en s’abaissant au‑dessous des autres qu’on monte aux premiers rangs. C’est le rebours des croyances mondaines, charnelles ; mais Jésus n’avait‑il pas pour mission de lutter contre le monde ?
Mc9.36 Puis, prenant un petit enfant, il le mit au milieu d'eux et après l'avoir embrassé, il leur dit : — Pour rendre la leçon plus forte et plus insinuante, le Sauveur a recours aux actes selon sa coutume. Voyez dans l’Évangile selon S. Matthieu, 18, 2, les différentes opinions émises au sujet de cet heureux petit enfant, qui reçut les caresses du Seigneur. — Après l’avoir embrassé. Le verbe grec est expressif et ne se rencontre qu’ici et Marc 10, 16. Il signifie proprement « porter dans ses bras ».
Mc9.37 "Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants, me reçoit et quiconque me reçoit, ce n'est pas moi qu'il reçoit, mais celui qui m'a envoyé." — S. Matthieu, 18, 3‑5, expose d’une manière plus complète la pensée de Jésus. S. Marc, a son ordinaire, resserre le langage pour appuyer davantage sur les faits. — Un enfant comme celui‑ci. Par ces mots, le Sauveur montrait qu’il voulait parler non seulement au propre, mais encore au figuré, c’est‑à‑dire qu’indépendamment des petits enfants, il pensait aussi et surtout aux âmes simples dont ils sont l’emblème. — Et quiconque… Sublime gradation, qui promet aux amis des enfants et des humbles la plus parfaite récompense qu’on puisse envier ici‑bas. « Voyez ce que vaut l’humilité, car elle mérite l’inhabitation du Père, du Fils et même du Saint Esprit ». Théophylacte. Cf. Matth. 10, 40 et le commentaire.
Mc9.38 Jean, prenant la parole, lui dit : "Maître, nous avons vu un homme qui ne va pas avec nous, chasser les démons en votre nom et nous l'en avons empêché. — Les mots « en mon nom », que le Sauveur venait de prononcer semblent avoir rappelé à S. Jean un incident extraordinaire qui avait eu lieu probablement dans l’un des derniers voyages, et sur lequel il désirait interroger son Maître. L’interrompant donc familièrement, il prit la parole pour exposer son cas de conscience. — Nous avons vu un homme, un homme quelconque, le premier venu, qui n’avait reçu de Jésus aucune mission spéciale. — Qui chasse les démons. Cet homme accomplissait ainsi un miracle qui paraissait être un privilège réservé aux Apôtres. C’est là un fait d’une grande importance ; il suppose que l’influence de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ avait pris des proportions énormes, puisque des hommes qui ne comptaient pas parmi ses disciples proprement dits s’étaient mis, de leur propre mouvement, à exorciser les démoniaques en usant de son nom sacré. — Et il ne nous suit pas. « Nous » et non pas « te ». L’exorciste n’était pas Apôtre : S. Jean n’a pas d’autre blâme à lui adresser. — Nous en l’avons empêché. — Que penser de cette conduite des Apôtres ? On le voit, elle inquiétait l’âme délicate de S. Jean. Provenait‑elle d’un sentiment d’envie ou d’égoïsme comme on l’a maintes fois répété de nos jours ? Nous avons de la peine à le croire. Nous aimons mieux, avec S. Jean Chrysostome et d’autres anciens exégètes, l’attribuer au zèle dont ils étaient animés envers leur Maître, à la crainte qu’ils éprouvaient de voir profaner son nom par des gens sans aveu. Il est vrai que ce zèle était un peu exagéré, ainsi que Jésus va le leur démontrer.
Mc9.39 Ne l'en empêchez pas, dit Jésus, car personne ne peut faire de miracle en mon nom et aussitôt après parler mal de moi. — Ne l’en empêchez pas. Lui, et tous ceux qui pourraient agir comme lui avec une entière bonne foi. Quand on vint annoncer à Moïse que plusieurs Hébreux s’étaient mis à prophétiser, bien loin de céder aux instances de Josué qui lui disait : « Moïse, mon maître, arrête‑les ! », il s’écria tout au contraire : « Serais‑tu jaloux pour moi ? Ah. Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes. » Nombres 11, 27‑29. C’est une leçon analogue que Jésus donne à ses disciples. — Il appuie sa réponse sur trois motifs. Premier motif : Car il n’y a personne qui… Quiconque emploie son nom divin pour accomplir des prodiges ne saurait être dans des dispositions hostiles à son égard : c’est au fond un disciple et un ami. Avant de juger la conduite d’un tel homme et de la condamner, il est juste d’attendre quelque temps, car les présomptions sont en sa faveur. — Celui dont parlait S. Jean chassait seulement les démons. Jésus, étendant la pensée, applique le cas à toute sorte de miracles : après avoir fait un miracle. — Puisse aussitôt après parler mal de moi : Il est impossible qu’immédiatement après avoir fait un miracle au nom de Jésus, on se mette à le calomnier, à le blasphémer. Ce serait être en même temps ami et ennemi.
Mc9.40 Qui n'est pas contre nous, est pour nous. — Second motif : à l’égard de Jésus, la neutralité n’est pas possible. L’homme en question avait prouvé qu’il n’était pas contraire au Sauveur, il lui était donc favorable. Pourquoi le repousserait‑on ? — Contre nous... pour nous. — S. Matthieu place sur les lèvres du Sauveur, mais dans une autre occasion, Matth. 12, 30 (voyez le commentaire), une sentence qui semble, à première vue, en complète opposition avec celle‑ci. Néanmoins la contradiction n’est qu’apparente. « On sait, dit fort bien Dom Calmet, que ces sortes de proverbes populaires peuvent s’appliquer à différents sujets, et sont susceptibles de différents sens suivant les circonstances où on les emploie » [Cf. Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, l. 4, c. v.].
Mc9.41 Car quiconque vous donnera un verre d'eau en mon nom, parce que vous êtes au Christ, je vous le dis, en vérité, il ne perdra pas sa récompense. — Troisième motif de tolérance, sous forme d’argument « a fortiori ». Si le plus petit service que l’on rend au nom de Jésus‑Christ, par exemple un verre d’eau donné à un missionnaire altéré, prouve qu’on aime le divin Maître et, à ce titre, mérite une récompense, à plus forte raison l’action de produire de grandes choses par la vertu et en l’honneur de ce nom sacré. Cf. Matth. 10, 42. — Parce que vous êtes au Christ. C’est le seul endroit des Évangiles où les chrétiens soient ainsi désignés.
Mc9.42 Et quiconque sera une occasion de chute pour un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât au cou la meule qu'un âne tourne et qu'on le jetât dans la mer. — Jésus vient de promettre les plus magnifiques récompenses, vv. 36 et 40, à quiconque témoignerait de la bienveillance aux petits enfants de son royaume ; par contraste, il menace maintenant des châtiments les plus terribles tous ceux qui les porteraient au mal. — Scandalisait. Le verbe grec σκανδαλὶζω, sur lequel a été calquée l’expression latine correspondante « scandalizo », est tout à fait inconnu des classiques. Les traducteurs grecs de l’Ancien Testament ne l’ont que très rarement employé : on le trouve donc surtout dans les écrits du Nouveau Testament, d’où il a passé dans le langage chrétien. Sa racine probable est σκάζω, « chanceler, être peu solide ». Il désigne tout ce qui peut être pour une âme une occasion de chute et de ruine spirituelle. — Un de ces petits qui croient en moi. Mots emphatiques, qui portent l’idée principale. Ces « tout petits » croient en Jésus : la foi qu’ils ont en Lui les grandit, leur communique une valeur inappréciable, parce qu’elle établit entre eux et Lui la communion la plus intime. Les scandaliser est donc un crime énorme, qui sera sévèrement châtié. — Qu’on lui mît autour du cou une de ces meules. Sur ce supplice voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 18, 6. Meule, pierre de moulin. — Nous ne lisons jamais que le Christ, quand il réprouvait d’autres péchés, ait employé, pour corser et étoffer son discours, des formules aussi véhémentes et terribles, des sentences aussi drastiques que dans ce passage, quand il chercha à démontrer la gravité de ceux qui pèchent en scandalisant autrui.
Mc9.43 Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la : mieux vaut pour toi entrer mutilé dans la vie, que d'aller, ayant deux mains, dans la géhenne, dans le feu inextinguible. 44 là où leur ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas. 45 Et si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le : mieux vaut pour toi entrer boiteux dans la vie, que d'être jeté, ayant deux pieds, dans la géhenne du feu inextinguible. 46 là où leur ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas. 47 Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le : mieux vaut pour toi entrer avec un seul œil dans le royaume de Dieu, que d'être jeté, ayant deux yeux, dans la géhenne du feu, 48 là où leur ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas. — « Après avoir enseigné plus haut (v. 42) qu’il ne faut pas scandaliser ceux qui croient en son nom, le Seigneur nous dit ici avec quel soin nous devons éviter ceux qui s’efforcent de nous scandaliser ». Ces lignes de Bède le Vénérable marquent fort bien la liaison des deux versets. — Les trois organes mentionnés par le Sauveur, la main, le pied, l’œil figurent, suivant la juste interprétation des Pères, les occasions plus ou moins prochaines qui peuvent nous porter au mal. L’image est d’autant plus exacte que ce sont en réalité ces membres qui sont pour nous les principaux auxiliaires de l’iniquité. Notre main agit pour le mal, notre pied nous conduit dans les sentiers du péché, notre œil contemple et convoite les choses mauvaises. — Le remède au scandale est énergiquement indiqué : coupe, coupe, arrache. Il faut retrancher sans pitié, tailler dans le vif ; on ne se sauvera qu’à ce prix. — Dans la vie du v. 42 est expliqué par une épithète au v. 44, dans la vie éternelle, et ces deux expressions sont synonymes de royaume de Dieu, v. 46, qui désigne le royaume messianique envisagé dans sa glorieuse consommation. — Dans la géhenne : elle représente l’enfer avec ses effroyables tourments, et surtout avec son feu éternel qui brûlera les damnés sans les consumer. Il nous faut retracer rapidement ici l’histoire du mot « géhenne », car elle nous est indispensable si nous voulons saisir toute la pensée de Jésus. « Gehenna », vient de l’hébreu, Ghé-Hinnom, vallée d’Hinnom, ou plus complètement, Ghé-Ben‑Hinnom, vallée du fils d’Hinnom. On appelait ainsi, du nom de son ancien propriétaire ou de quelque héros inconnu, un ravin étroit et profond, situé au Sud de Jérusalem et célèbre au temps des Prophètes par toutes sortes d’abominations, en particulier par l’affreux culte de Moloch ; 2 Chroniques 28, 3 ; 33, 6 ; Jérémie 7, 31 ; 19, 2-6. Pour protester contre tant d’horreurs, le pieux roi Josias déclara ce lieu impur et le profana en effet au point de vue légal en y faisant porter des ossements humains et des immondices de tout genre ; 2 Rois 23, 10. Depuis ce moment la vallée d’Hinnom devint la sentine et l’égout de Jérusalem. Ces diverses circonstances, ajoutées à l’aspect sauvage du ravin, le firent regarder de bonne heure par les Juifs comme la figure de l’enfer. Cette idée, qu’on trouve déjà dans les prophéties d’Isaïe, 30, 33 ; 66, 24, réussit à merveille ; l’imagination populaire ne tarda pas à s’emparer, et à placer dans la Géhenne (le mot apparaît sous cette forme dans le Talmud, Ghéhinnâm) les portes mêmes du lieu des tourments éternels. « Il y a, disait‑on, dans la vallée d’Hinnom deux palmiers entre lesquels on voit s’élever de la fumée, c’est là que se trouve la porte de la Géhenne », Babylon. Erubin. fol. 19, 1. Quant au mot « feu » habituellement associé à « Géhenne » dans les Évangiles, il tire son origine, suivant les uns, des feux perpétuels qu’on entretenait dans la vallée pour consumer les détritus de tout genre qu’on y jetait depuis l’époque de Josias ; plus probablement, selon les autres, des feux sacrés qu’on y avait allumés autrefois en l’honneur de Moloch. Cette association s’opéra d’autant plus facilement que les Juifs croyaient, de même que nous, à la réalité des flammes éternelles de l’enfer. Notre‑Seigneur se conforme donc au langage de ses compatriotes et, comme eux, c’est l’enfer qu’il désigne par la locution « feu de la Géhenne ». De là, à trois reprises, vv. 42, 44 et 46, l’association des mots où le feu ne s’éteint pas, à géhenne. — Leur ver ne meurt pas… Ces autres mots, répétés également par trois fois, donnent une couleur spéciale à la rédaction de S. Marc. Nous avons dans tout ce passage (vv. 42‑47) une sorte de poésie avec son parallélisme, son rythme parfaitement cadencé, ses couplets (un pour chacun des membres humains signalés par Jésus) et son refrain terrible. Il y a tout lieu de croire que telle fut vraiment la forme originale des paroles de Notre‑Seigneur. Ce que nous venons d’appeler un refrain a été presque littéralement emprunté au prophète Isaïe, 66, 24. Le fils d’Amos, contemplant en esprit le châtiment des ennemis de Dieu, et les voyant semblables aux morts qui jonchent un champ de bataille, s’écriait : « Et quand on sortira, on verra les cadavres des hommes qui m’ont offensé. Leur ver ne mourra pas, et leur feu ne s’éteindra pas, et leur vue dégoûtera toute chair ». Du reste on rencontre des images analogues dans les livres de Judith, 16, 20-21, et de l’Ecclésiastique, 7, 19, qui nous montrent aussi les pécheurs éternellement rongés par un ver impérissable, éternellement brûlés par un feu inextinguible. Ce sont là des supplices qui représentent d’une manière concrète et frappante les souffrances endurées sans fin ni trêve par les damnés. Le premier doit se prendre au propre, puisqu’il existe dans l’enfer un feu réel qui ne s’éteindra jamais ; le second est un symbole du remords qui torturera les pécheurs. « Il appelle conscience remplie de vers une âme qui mord en paroles, parce qu’elle ne fait pas le bien » [S. Jean Chrysostome, in Caten. Cf. Juan Maldonat, h. l. Voir un autre sentiment dans Saint Augustin d’Hippone, de Civitate Dei, l. 21, c. 9.]. Ces comparaisons, un peu obscures pour nous, étaient très claires pour des Juifs ; car la vallée d’Hinnom ou Géhenne, avec ses cadavres lentement dévorés par les vers ou brûlés sur des bûchers, était un emblème expressif de l’enfer. — Le pronom leur, qui ne retombe directement sur aucun des mots précédents, désigne évidemment les damnés, d’après le contexte. — « Qui n’est pas terrifié par cette répétition, et la menace d’une peine si redoutable proférée par la bouche divine ? [Saint Augustin d’Hippone, l. c., cap. 8.]
Mc9.49 Car tout homme sera salé par le feu et toute offrande sera salée avec du sel. — Chacun des damnés sera salé par son propre feu, au point de ne pas pouvoir être consumé. Mais celui qui est pour Dieu une vraie victime, sera assaisonné par le sel de la grâce, lequel lui donnera l’incorruptibilité de la gloire. Ce verset et le suivant, qui appartiennent en propre à S. Marc, sont difficiles parmi les difficiles. « L’obscurité de ce passage engendre une grande diversité d’interprétations… L’obscurité porte sur deux choses : en quelle circonstance et dans quel sens ces paroles ont‑elles été dites par le Christ », Maldonat. Examinons successivement ces deux points. — 1° La liaison des pensées. On a nié parfois l’existence d’un enchaînement réel entre ces deux versets et les précédents. La tradition, oubliant les circonstances auxquelles se rapportait cette parole de Jésus, l’aurait placée au premier endroit venu ; ou du moins la transition n’existerait que dans l’esprit du rédacteur [Voir Édouard Reuss, Histoire évangélique, p. 429.]. Nous rejetons bien loin de nous ces procédés rationalistes et nous affirmons que ni la tradition ni le rédacteur ne se sont trompés en cet endroit. Il y a une liaison entre les idées, puisqu’il y a un car au commencement du v. 49. Jésus veut donc confirmer la doctrine si importante, mais d’une observance si pénible, qu’il a prêchée en dernier lieu, vv. 43‑48. Il se propose d’expliquer pourquoi un chrétien doit se séparer courageusement de tout objet capable de le porter au mal, plutôt que de s’exposer aux supplices de l’enfer. — 2° Le sens. Chaque mot a besoin d’être interprété à part. Tous est une expression assez vague. Pour la déterminer, on a restreint parfois son application aux damnés [Jansénius]. Selon d’autres, elle indiquerait au moins tous les chrétiens. La plupart des exégètes laissent à « tous » sa signification la plus générale, la plus absolue : Chacun sans exception, tous les hommes. Nous préférons la première de ces interprétations. — Par le feu. De quel feu s’agit‑il ? Du feu de l’enfer, dont Jésus a récemment parlé ? ou d’un feu métaphorique, qui symboliserait la mortification, le retranchement spirituel ? Du feu de l’enfer, croyons‑nous, puisque tel a été le sens du mot « feu » dans tout le passage qui précède, et que rien ne nécessite un changement. — Salés. On a souvent fait ressortir les propriétés communes du sel et du feu. « Le sel est le plus puissant conservateur des corps. Pendant des siècles, il les préserve de la corruption », disait déjà Pline l’Ancien [Histoire naturelle, 31.]. Le sel pénètre à travers les corps comme une flamme subtile ; le feu mord à la façon du sel. Néanmoins les effets produits par ces deux agents diffèrent notablement, car le feu dévore et détruit, tandis que le sel fixe et conserve. Mais c’est précisément sur cette seconde idée que le Sauveur voulait appuyer ici. Il venait de mentionner les flammes éternelles qui tortureront les damnés dans l’enfer ; il explique en passant comment ces malheureux brûleront toujours, sans être consumés. Le feu infernal aura pour eux la nature du sel et les rendra incorruptibles. « Il sera salé par le feu, c’est‑à‑dire, il sera brûlé et torturé par le feu, mais en même temps conservé sans corruption » [Luc de Bruges. De même Jansénius, Corneille de la Pierre]. Nous ne pensons pas que le verbe « saler » ait en cet endroit le sens de « purifier », que lui attribuent divers exégètes. — et toute offrande… Tout ce second hémistiche est omis par les manuscrits B, L, Δ, Sinaït, et quelques minuscules ; mais son authenticité n’est pas douteuse, car elle a d’innombrables témoins pour garants. Et correspondrait‑il à une comparaison ou à une simple liaison ? Dans le premier cas, il y aurait un rapport de dépendance entre la seconde et la première moitié de notre verset, sous forme de comparaison ; dans l’autre hypothèse, les deux hémistiches seraient simplement coordonnés l’un à l’autre, et Jésus énoncerait une nouvelle pensée par manière de contraste. Bien que le premier sentiment soit adopté par des exégètes de renom (Maldonat par exemple), nous aurions de la peine à le suivre. La comparaison, pour être exacte, exigerait que le verbe fût au présent. Il est certain du moins que, dans les derniers mots du v. 49, Jésus‑Christ fait allusion à une antique ordonnance relative aux sacrifices lévitiques. « Tout ce que tu offriras en fait de sacrifice, tu l’assaisonneras avec du sel. Tu n’enlèveras pas de ton sacrifice le sel de l’alliance de ton Dieu. Pour toute oblation tu offriras du sel ». Lévitique 2, 13 ; cf. Ezéchiel 43, 24. Sans les quelques pincées de sel qui leur servaient pour ainsi dire de condiment, les sacrifices, quels qu’ils fussent, auraient donc été insupportables à Dieu : grâce à elles, ils lui devenaient agréables. De là, pour l’expression « sera salé par le sel », le sens métaphorique de « trouver grâce auprès de Dieu ». Quant aux victimes dont Jésus veut parler ici, et au sujet desquelles il affirme qu’elles seront salées avec du sel, par opposition aux malheureux damnés qui seront salés dans le feu, ce sont, d’après le contexte, les chrétiens généreux qui n’hésitent pas à faire les rudes sacrifices recommandés plus haut, vv. 42, 44 et 46. La sentence énigmatique du Sauveur reviendrait donc aux deux phrases suivantes : « Chacun des damnés sera salé par son propre feu, au point de ne pas pouvoir être consumé. Mais celui qui est pour Dieu une vraie victime, sera assaisonné par le sel de la grâce, lequel lui donnera l’incorruptibilité de la gloire ». Lightfoot. D’après une autre explication, qui a été fréquemment adoptée, voici quel serait le sens général de ce verset : Pour l’humanité coupable et dégénérée il est une loi que chacun de ses membres doit subir : il faut qu’ils passent tous par le feu. Mais mieux vaut passer par le feu du sacrifice volontaire que par les flammes éternelles de l’enfer.
Mc9.50 Le sel est bon, mais si le sel s'affadit, avec quoi lui donnerez-vous de la saveur ? Gardez bien le sel en vous et soyez en paix les uns avec les autres." — Le sel est bon. Ce sel mystique, dont le Sauveur vient de signaler l’heureux effet, est excellent sans doute, tout aussi bien que le sel naturel. Mais s’il devient fade, littéralement, « sans sel », c’est‑à‑dire fade et sans saveur, sa vertu a disparu tout entière, et on ne saurait trouver de condiment capable de la lui rendre. Cf. Matth. 5, 13 ; Luc 14, 34, où l’on trouve la même idée avec une nuance. Donc, ajoute Notre‑Seigneur Jésus‑Christ s’adressant à ses Apôtres, ayez du sel en vous, ayez‑en toujours une abondante provision dans vos cœurs ; laissez agir sa force en vous, sans lui permettre de jamais s’affadir. — Puis, le divin Maître, revenant au fait qui avait servi de point de départ à l’entretien, vv. 32 et 33, conclut par cette exhortation pressante : soyez en paix les uns avec les autres. Cette parole finale était d’autant plus expressive que, dans l’Orient ancien et moderne, le sel, sur lequel avait roulé la dernière partie de l’allocution, a toujours été regardé comme un symbole de paix et d’alliance [Cf. Nombres 18, 19 ; 2 Chroniques 13, 5]. Notre Évangéliste termine par ce grave discours le séjour de Jésus en Galilée. Il passe sous silence plusieurs paraboles et sentences pleines d’intérêt rapportées par S. Matthieu, 18, 10‑35.
CHAPITRE 10
Marc 10, 1‑12. Parall. Matth. 19, 1‑12.
Mc10.1 Étant parti de ce lieu, Jésus vint aux frontières de la Judée, au-delà du Jourdain et le peuple s'assembla de nouveau près de lui et, suivant sa coutume, il recommença à les enseigner. — Ce verset décrit brièvement l’arrivée du Sauveur en Pérée et l’excellent accueil qu’il y reçut. — Étant parti de ce lieu, c’est‑à‑dire de Capharnaüm, d’après Marc 9, 42. Jésus quittait alors probablement la Galilée d’une manière définitive. — Jésus… vint aux frontières de la Judée. Ces mots indiquent le terme du voyage : le divin Maître se proposait de gagner la Judée et Jérusalem. Cf. v. 22. Toutefois, au lieu de s’y rendre à travers la Samarie, il prit le chemin de la Pérée, au‑delà du Jourdain ; ou mieux, d’après la Recepta grecque, « par la région de l’autre côté du Jourdain » ; ou encore, suivant une variante fortement appuyée, « et de l’autre côté du Jourdain ». Cette dernière leçon mentionnerait un double but du voyage, le but final qui était la Judée, le but accessoire qui était de séjourner quelque temps en Pérée. — le peuple s'assembla de nouveau. Cf. Marc 9, 24. Le narrateur passe sous silence la première partie du voyage. Il nous montre immédiatement Jésus à l’œuvre sur un nouveau terrain, où sa réputation l’avait d’ailleurs devancé depuis longtemps. Cf. Marc 3, 7-8. — suivant sa coutume, il recommença à les enseigner. S. Marc mentionne seul cette particularité. Le céleste Docteur, après avoir suspendu pour un temps son enseignement public, cf. Marc 9, 29, reprit pour ce bon peuple le cours de ses leçons, prenant soin de les corroborer, comme l’observe S. Matthieu, 19, 2, par de nombreux miracles.
Mc10.2 Les Pharisiens l'ayant abordé lui demandèrent s'il était permis à un mari de répudier sa femme : c'était pour le mettre à l'épreuve. — Et s’approchant, les pharisiens... « Ils s’approchent et ne le quittent pas, pour que les foules ne puissent pas s’attacher à sa foi ; et, en venant continuellement vers lui, ils s’efforcent de jeter le doute sur sa personne et de le couvrir de confusion par leurs questions. Celle qu’ils lui proposent ici s’ouvre sur un précipice des deux côtés ; elle est posée de telle sorte qu’ils puissent, quelle que soit sa réponse, l’accuser de se montrer en contradiction avec Moïse. Mais le Christ, qui est la sagesse même, leur fait une réponse qui échappe à leurs filets ». Théophylacte. — Est‑il permis à un homme de renvoyer sa femme ? Le contexte prouve que les Pharisiens n’entendaient pas parler d’une simple séparation (des époux séparés pour le lit et la table mais toujours mariés), qui du reste était inconnue des Juifs, mais d’un divorce proprement dit, autorisant un nouveau mariage. Ils ajoutèrent, d’après S. Matthieu, « pour une raison quelconque » ; paroles insidieuses que S. Marc a omises parce qu’elles faisaient allusion à des controverses toute judaïques, que ses lecteurs d’origine païenne auraient difficilement comprises [Matth. 19,3.].
Mc10.3 Il leur répondit : "Que vous a ordonné Moïse ?" — La réponse du Sauveur, bien qu’elle soit la même dans les deux synoptiques, n’est pas tout à fait présentée par eux de la même manière. Suivant le récit du premier Évangile, Jésus aurait considéré le mariage d’abord dans le paradis terrestre, puis dans la législation mosaïque. Cet ordre est renversé dans l’exposé de S. Marc. Nous avons déjà signalé une interversion semblable à propos de la discussion sur le pur et l’impur,
Marc 7, 6 et ss. — Que vous a ordonné Moïse (s’agissant du divorce) ?
Mc10.4 Ils dirent : "Moïse a permis de dresser un acte de divorce et de répudier." — Moïse a permis. Les Pharisiens s’expriment ici avec une parfaite exactitude. « Permis » : en effet, le divorce n’est nulle part commandé dans la Loi, il est simplement permis et toléré. Voir une nuance dans S. Matthieu, 19, 7-8. — Un acte de divorce. Cf. Deutéronome 24, 1‑4. On nommait ainsi, en hébreu ספר כריתות, la pièce officielle, écrite devant témoins, qui servait à régulariser les divorces chez les Juifs. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu, 5, 31. — Et de la renvoyer, sous‑entendu « l’épouse ». Pauvres femmes, qui étaient ainsi à la merci du caprice des hommes.
Mc10.5 Jésus leur répondit : "C'est à cause de la dureté de votre cœur qu'il vous a donné cette loi. — Les Pharisiens ont prétendu résoudre la question en recourant à l’autorité de Moïse : dans une vigoureuse riposte, vv. 5‑9, Jésus en appelle à l’autorité de Dieu lui‑même. Son argumentation est présentée par S. Marc avec une grande clarté : il en ressort nettement qu’en toute hypothèse le mariage chrétien est indissoluble. — A cause de la dureté de votre cœur… Réplique de Notre‑Seigneur à l’allégation du nom de Moïse. L’autorisation accordée par ce grand Législateur ne reposait pas sur un droit primitif ; c’était une simple tolérance accordée pour un temps à la faiblesse humaine. Le substantif σκληροκαρδία (« dureté de cœur » de la Vulgate) traduit à plusieurs reprises dans la version des Septante la locution ערלת לב, dont le sens littéral est « peau du cœur ». Cf. Deutéronome 10, 16 ; Jérémie 4, 4. C’est là une figure très expressive, le cœur étant censé enveloppé dans une peau épaisse qui lui enlève toute sensibilité. — Voir, sur cette première partie de la réplique du Sauveur, un beau raisonnement de saint Augustin [Contra Faustum, lib. 19, c. 26.].
Mc10.6 Mais au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. — Jésus passe à la vraie preuve de sa thèse. Elle consiste en un fait biblique remontant jusqu’à l’apparition de l’homme sur la terre, et démontrant de la façon la plus nette que la monogamie absolue était dans les plans du Créateur.
Mc10.7 A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, — Jésus continue de ramener ses adversaires à la loi primordiale du mariage. — C’est pourquoi : c’est‑à‑dire, vu les conditions dans lesquelles Dieu a créé les premiers humains, parce qu’il les a créés « homme et femme », ainsi que nous lisions au précédent verset. — L’homme quittera… Dans la Genèse, 2, 24, ces paroles sont prononcées par Adam ; S. Matthieu, 19, 4, les attribue au Dieu Créateur ; S. Marc à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Ce sont là trois nuances également exactes. Adam parlait comme un prophète inspiré de Dieu, le Christ comme une personne divine.
Mc10.8 et les deux ne feront qu'une seule chair." Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. 9 Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni." — les deux ne feront qu'une seule chair. Ceux qui avaient été deux avant le mariage ne formeront désormais plus qu’une seule et même chair. — Ainsi ils ne sont plus deux… De l’argumentation qui précède, Jésus est en droit de conclure que le lien du mariage est le plus étroit de tous les liens. Il n’unit pas trois ou quatre êtres, ou davantage, mais deux seulement, qui s’harmonisent, se complètent et se suffisent. C’est aussi, ajoute‑t‑il, le lien le plus indissoluble : Ce que Dieu a uni… Que l’homme n’aille donc pas porter une main sacrilège sur une institution toute divine. Entre les mots Dieu et homme il existe une frappante antithèse : le Créateur et la créature, le Maître tout‑puissant et l’humble serviteur. Comment l’homme oserait‑il essayer de renverser un état de choses voulu par Dieu ? Ainsi donc, dans le royaume messianique, dans l’Église chrétienne, le mariage est ramené par Jésus à sa perfection primitive ; le divorce y est supprimé quelle qu’en soit la cause ; la femme est relevée, ennoblie. — Voir dans l’Évangile selon S. Matthieu, 19, 4‑6, une explication détaillée de ce passage.
Mc10. 10 Lorsqu'ils furent dans la maison, ses disciples l'interrogèrent encore sur ce sujet — Dans la maison. Détail propre à S. Marc. La scène qui précède avait été publique : en voici une autre tout intime, qui se passe entre le Maître et ses disciples, dans la maison qui leur servait alors de résidence temporaire. Plusieurs fois déjà notre Évangéliste a mentionné des entretiens confidentiels de Jésus avec les siens sur des points importants de la morale chrétienne. Cf. Marc 9, 28-29, 33‑37. C’est à quoi semble faire allusion l’adverbe encore — Sur ce sujet. Sur le point litigieux qui avait été l’objet de la discussion du Sauveur avec les Pharisiens.
Mc10.11 et il leur dit : "Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à l'égard de la première. — Et il leur dit. Interrogé par les Apôtres, Jésus se borne à reproduire sa décision antérieure sous une forme nouvelle et plus énergique. — Quiconque répudie sa femme… S. Marc, de même que S. Luc, omet la fameuse clause « si ce n’est en cas d’infidélité », que nous avons rencontrée dans le premier Évangile (Matth. 5, 32 ; 19, 9) et dont le protestantisme a si souvent abusé. Cette omission prouve que le langage du Sauveur, même tel qu’on le lit dans S. Matthieu, doit s’entendre d’une manière absolue. Autrement, comment expliquer l’oubli d’une restriction si importante ? — Commet un adultère à l’égard de la première. La première désigne la femme légitime, injustement renvoyée, sa femme. L’union contractée dans les circonstances indiquées par Jésus n’est pas un mariage ; le divin Maître lui inflige le nom infamant d’adultère.
Mc10.12 Et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle se rend adultère." — Et si une femme… C’est la réciproque du verset 11. Mais il est à noter que S. Matthieu ne dit rien de semblable. Bien que, d’après son Évangile, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ait signalé jusqu’à neuf reprises le cas d’un mari qui divorce avec sa femme, nulle part nous ne le voyons supposer qu’une femme puisse congédier son mari. Dans le passage parallèle à celui que nous expliquons, Matth. 19, 9, on lit simplement : « celui qui épouse une femme renvoyée commet un adultère ». C’est que, chez les Juifs, le droit du divorce n’existait que pour les hommes ; la coutume, d’accord en cela avec le texte de la loi, n’accordait aucune initiative aux femmes sous ce rapport [Cf. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 15, 7, 16.]. Or S. Matthieu écrivait spécialement pour des Juifs. Au contraire, les païens convertis (Grecs et surtout Romains) auxquels était destiné le second Évangile reconnaissaient aux femmes aussi bien qu’aux hommes la faculté d’intenter des procès en séparation de corps et de biens, et nous savons qu’elles en usaient avec une liberté presque effrénée, à tel point que Sénèque reprochait à ses contemporaines « de compter les années, non plus par les consuls, mais par le nombre des maris qu’elles avaient eus » [Sénèque (Lucius Annaeus Seneca), de Beneficiis, 3, 16. Cf. Martial (Marcus Valerius Martialis), 6, 7.]. De là cette particularité de S. Marc. Est‑ce à dire toutefois qu’il ait de lui‑même modifié les paroles du Sauveur, afin de leur donner plus d’à‑propos auprès de ses lecteurs ? Divers auteurs l’ont pensé ; mais il nous répugne de croire que les Évangélistes aient pris de telles libertés. D’ailleurs, pourquoi Jésus, qui ne pensait pas moins aux abus du paganisme qu’à ceux du Judaïsme, n’aurait‑il pas prononcé à la suite les unes des autres les trois sentences que nous lisons dans les deux récits réunis ? Seulement, S. Matthieu aura laissé la troisième, qui n’avait pas d’application chez ses lecteurs : S. Marc l’a citée parce qu’elle n’en avait que trop chez les siens ; mais en même temps il omet la seconde qui est implicitement contenue dans la première. De cette manière, tous les coupables, et l’on n’en conçoit précisément que de trois sortes, auront été anathématisés par Jésus : 1° le mari qui contracte une nouvelle union sous prétexte de divorce ; 2° la femme qui se remarie dans les mêmes conditions ; 3° quiconque s’arrogerait le droit d’épouser l’un des conjoints. — Saint Jérôme cite un résultat heureux, quoique isolé, de la loi nouvelle que promulguait Notre‑Seigneur : « Fabiola, une patricienne, a observé cette loi du Christ. Elle a fait une pénitence publique parce que, après avoir rejeté son mari adultère, elle s’était mariée à un autre » [Epistola 30.].
Marc 10, 13‑16. Parall. Matth. 19, 13‑15 ; Luc 18, 15‑17.
Mc10.13 On lui amena des petits enfants pour qu'il les touchât. Mais les disciples réprimandaient ceux qui les présentaient. — On lui amena des petits enfants. « Après nous avoir montré plus haut la malice des Pharisiens qui tendaient des embûches au Sauveur, l’Évangéliste nous fait voir la foi du peuple, qui croyait que, par la seule imposition de ses mains, Jésus porterait bonheur aux enfants ». Théophylacte. — Pour qu’il les touchât. De même S. Luc. Les expressions employées par S. Matthieu, « afin qu’il leur imposât les mains et priât pour eux », supposent une bénédiction proprement dite. Que le prêtre enseigne aux mères chrétiennes à imiter l’exemple de ces mères juives, et à conduire leurs petits enfants à Jésus. Mieux encore, qu’il use de son influence pour les conduire lui‑même au Sauveur. — Les disciples repoussaient... Peut‑être les Apôtres étaient‑ils choqués d’avoir été dérangés au milieu de l’entretien si important qu’ils avaient en ce moment avec leur Maître ; ou du moins ils croyaient, en agissant ainsi, sauvegarder la dignité de Notre‑Seigneur.
Mc10.14 Jésus, à cette vue, fut indigné et leur dit : "Laissez les petits enfants venir à moi et ne les en empêchez pas, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent. — Jésus, les voyant, en fut indigné. Trait propre à S. Marc. Le verbe grec signifie « extrêmement affecté », suppose une vive émotion, un profond mécontentement. Jésus éprouva donc une sorte d’indignation quand il vit ses disciples traiter avec rudesse les petits enfants et leurs mères. — Laissez venir à moi les petits… Ravissante parole, que le catholicisme a si bien comprise. La conjonction et est probablement apocryphe. Sans elle, le langage est plus rapide, l’antithèse mieux marquée, conformément au genre de S. Marc. — Le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent… Le royaume des cieux est pour ainsi dire la propriété des enfants, et non seulement des enfants, mais de tous ceux qui leur ressemblent par les dispositions morales.
Mc10.15 Je vous le dis, en vérité, quiconque ne recevra pas comme un petit enfant le royaume de Dieu, n'y entrera pas." — Jésus commente dans ce verset la dernière partie du précédent : « Le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent ». Cette profonde pensée, « quiconque ne reçoit pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas », avait déjà été prononcée par le divin Maître en une autre circonstance, Matth. 18, 3 ; il la rappelle aux Douze, qui semblaient l’avoir oubliée. — Quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu. Figure expressive. Le royaume messianique y est décrit comme un objet qui arrive au‑devant de nous, qui se présente à nous pour que nous le recevions. Et quel devra être notre accueil ? Les mots comme un petit enfant nous le disent. Il faudra qu’il soit accompagné de la foi, de la simplicité, de l’humilité, de l’innocence qui brillent dans les petits enfants. Voyez Jean 3, 3, où Jésus insiste sur la nécessité d’une nouvelle naissance pour quiconque veut mériter le royaume des cieux. — N’y entrera pas. L’image change brusquement, d’une manière assez étrange. On « entre » dans le royaume qu’on avait auparavant « reçu ». Mais l’idée reste claire, quoique la forme soit tout orientale.
Mc10.16 Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. — Voici un touchant tableau, dont nous devons à S. Marc les deux plus beaux détails. — Les embrassa. Deux fois seulement il est fait mention des caresses de Jésus, et ce sont toujours des enfants qui les reçoivent, et c’est notre Évangéliste qui les signale. Cf. Marc 9, 35. Il manquerait quelque chose à l’Évangile si ces faits délicats n’eussent été racontés. — Imposant les mains sur eux. Ne dirait‑on pas que c’est ici l’ordination des petits enfants, opérée en vue du royaume des cieux ? Le bon Pasteur traite avec la plus suave bonté les agnelets de son troupeau. — les bénit. Marque la tendresse et la bienveillance du Sauveur pour les enfants.
Mc10.17 Comme il sortait pour se mettre en chemin, quelqu'un accourut et se jetant à genoux devant lui, lui demanda : "Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?" — Comme il sortait, au moment même où il se mettait en route. Jésus quittait alors la maison mentionnée plus haut, v. 10, ou du moins l’endroit où il avait béni les petits enfants. — Quelqu’un accourut et se jetant à genoux. Si S. Marc laisse dans l’ombre la condition de ce personnage, que les deux autres synoptiques ont mieux caractérisée (cf. Matth. 19, 20, « un jeune homme » ; Luc 18, 18, « un chef de synagogue »), il décrit tous ses gestes de la façon la plus pittoresque. Il nous le montre d’abord courant au plus vite pour atteindre Jésus, puis, quand il l’eut rejoint, se prosternant à ses pieds comme on faisait parfois devant les Rabbins les plus vénérés. Le premier acte prouvait le zèle de ce jeune homme, l’ardeur de ses désirs ; le second témoignait de sa profonde estime pour le Sauveur. — Bon maître. Le suppliant dut appuyer sur l’épithète « bon », comme le montre la réponse de Jésus. — Que dois‑je faire… Désireux d’acquérir la vie éternelle comme un précieux héritage, et pressentant que la justice vulgaire que lui enseignaient les Docteurs juifs était insuffisante pour cela, il vient demander au Sauveur quelque œuvre spéciale, au moyen de laquelle il pourra se fixer dans le port bienheureux du salut. « Je suis étonné de cet homme, qui, au moment où tous viennent au Seigneur pour des guérisons corporelles, lui demande la vie éternelle. » Théophylacte.
Mc10.18 Jésus lui dit : "Pourquoi m'appelles-tu bon ? Il n'y a de bon que Dieu seul. — Pourquoi m’appelles‑tu bon ? Voyez une variante dans Matth. 19, 46-47. Le jeune homme avait donné à Jésus le titre de bon Maître d’une manière superficielle et par simple déférence : Jésus prend au contraire l’adjectif bon dans le sens absolu, et il assure qu’ainsi compris il ne saurait convenir qu’à Dieu. Ainsi donc, il ne récuse pas l’épithète qu’on lui adresse, il ne nie pas davantage sa divinité, mais, se mettant au point de vue de celui qui l’interrogeait, il répond en tant que Fils de l’homme, essayant de le conduire doucement au bien idéal par cette brusque transition [Cf. Saint Augustin d’Hippone, contr. Maxim., 3, 23 ; Saint Ambroise de Milan, De fide ad Gratianum, 2, 1.].
Mc10.19 Tu connais les commandements : ne commets pas d'adultère, ne tue pas, ne dérobe pas, ne porte pas de faux témoignage, abstiens-toi de toute fraude, honore ton père et ta mère." — Après avoir fait subir au demandeur cette première épreuve, Jésus répond directement à sa question. Mais il se contente de le renvoyer aux dix commandements de Dieu. En effet, si Dieu seul est bon, il ne doit y avoir qu’une seule chose bonne et parfaite, qui consiste à accomplir en tous points sa sainte volonté. La liste des préceptes divins est plus complète dans la rédaction de S. Marc que dans les deux autres Évangiles. Ne fais de tort à personne exprime cette ordonnance spéciale de la Loi : « Tu n’exploiteras pas un salarié pauvre et malheureux », Deutéronome 24, 14 ? Ou résume les deux derniers commandements du Décalogue, Exode 20, 17. Ou récapitule les quatre préceptes qu’il venait de mentionner, et dont la violation supposait un tort d’un genre ou d’un autre causé au prochain.
Mc10.20 Il lui répondit : "Maître, j'ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse." — Maître. Cette fois, le jeune homme n’ose plus dire Bon Maître ; il a supprimé l’épithète. — J’ai observé toutes ces choses. En tenant ce langage, il parlait en toute sincérité, comme ce vieux Rabbin qui, sur le point de mourir, s’écriait : Apportez le livre de la Loi, et voyez s’il contient quelque précepte que je n’aie pas observé. Néanmoins, il se faisait illusion d’une certaine manière. « Il avait bien gardé les pratiques extérieures de la loi, mais il n’en avait pas observé l’esprit » [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, 5e édit. t. 3, p. 419.]. Aussi n’avait‑il pas trouvé la paix de l’âme. C’est pourquoi il demandait encore à Jésus, d’après Matth. 19, 20 : « Que me manque‑t‑il encore ? »
Mc10.21 Jésus, l'ayant regardé, l'aima et lui dit : "Il te manque une chose, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi." — Jésus, l’ayant regardé, l’aima. Deux traits admirables, propres à S. Marc. Dans le texte grec, le premier verbe signifie « regarder dedans » et désigne un regard prolongé, scrutateur. Cf. v. 27 ; Jean 1, 36, 41, Luc 17, 61. L’autre verbe a ici sa signification accoutumée d’aimer. Jésus, plongeant donc son divin regard jusqu’au fond du cœur de ce bon jeune homme, y contempla de nobles qualités, et il daigna concevoir pour lui une vive affection. Touchant passage, qui nous montre le Sauveur semblable à nous, s’attachant à ce qui est aimable et pur. Quel bonheur d’être ainsi aimé par Jésus. Toutefois, avant que le sceau fût mis à cette sainte amitié, il fallait que celui qui en était l’objet s’en montrât digne par sa générosité. De là l’épreuve que lui impose aussitôt Notre‑Seigneur. — Vends tout ce que tu as… Vas, vends tout sans exception, et donne aux pauvres le prix que tu en auras retiré. S. Chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) Ce n’est pas sans dessein que Notre-Seigneur promet à ce jeune homme, non la vie éternelle, mais un trésor : "Et tu auras un trésor dans le ciel. " Il vient de lui parler du renoncement aux richesses et à tout ce qu’il possède, il lui apprend que les récompenses promises à ceux qui auront pratiqué ce renoncement, seront aussi élevées au-dessus des biens qu’ils auront quittés, que le ciel l’est au-dessus de la terre. — Puis viens et suis‑moi. Bède : suivre Notre-Seigneur, c’est l’imiter et marcher sur ses traces.
Mc10.22 Mais lui, affligé de cette parole, s'en alla tout triste, car il avait de grands biens. — Cette parole du Maître, si ardemment désirée, produisit un résultat désastreux, que S. Marc décrit avec son énergie accoutumée. Le verbe grec se dit en effet d’un ciel qui s’assombrit, d’une nuit obscure [Cf. Sagesse 17.5 ; Matth. 16.3 ; Pline, Histoire Naturelle, 2, 6.]. Il nous fait donc assister à la transformation qui se manifesta aussitôt sur le visage du jeune homme. Nous devons dire pourtant que, selon d’autres auteurs, il signifierait « être effrayé » [Hésychius traduit ἔστυγεν par κατεπλάγη. Cf. Isaïe 47, 19 ; Ezéchiel 27, 35 ; 28, 19 ; Daniel 2,11, dans la version des Septante.] ; dans ce cas, l’Évangéliste décrirait un effet moral et non un jeu de physionomie. — S’en alla triste. Hélas. pour lui se réalisait le célèbre :
Je vois le bien, je l'aime et je fais le mal.
Il y avait en lui deux tendances : les biens temporels et les biens éternels le tiraient en sens contraires. Il eut la lâcheté de sacrifier l’amitié du Sauveur et ses désirs de perfection à l’attrait qui l’entraînait vers les richesses périssables. Dante stigmatise cette conduite par le nom de « grand refus ». Quelques mois plus tard, nous verrons au contraire à Jérusalem de nombreux chrétiens vendre d’eux‑mêmes leurs biens et en apporter le prix aux Apôtres, pour mener ensuite une vie toute dégagée des préoccupations terrestres. Cf. Actes 4, 34‑37.
Mc10.23 Et Jésus, jetant ses regards autour de lui, dit à ses disciples : "Qu'il est difficile à ceux qui ont les biens de ce monde d'entrer dans le royaume de Dieu." — Jésus, regardant autour de lui. Trait spécial à S. Marc. Jésus agit comme s’il voulait étudier l’impression produite sur les Apôtres par ce fâcheux départ. Mais il est plus exact de dire qu’il se proposait, par ce geste solennel, d’ajouter à l’effet des paroles qu’il allait prononcer. — Qu’il est difficile… Le triste exemple du jeune homme riche ne démontrait que trop parfaitement la vérité de cette grave sentence. « Non toutefois, dit fort bien Théophylacte, que les richesses soient mauvaises en elles‑mêmes ; ce sont ceux qui les possèdent qui sont mauvais. » — Par royaume de Dieu, il faut entendre ici le ciel, où le royaume messianique atteindra sa bienheureuse et glorieuse consommation.
Mc10.24 Comme les disciples étaient étonnés de ses paroles, Jésus reprit : "Mes petits-enfants, qu'il est difficile à ceux qui se confient dans les richesses, d'entrer dans le royaume de Dieu. — Les disciples étaient étonnés. « Frappés de stupeur, ils étaient comme terrassés. Un des mots les plus forts que Marc ait employés. Il y avait de quoi être vivement frappé : Jésus ne paraissait‑il pas exclure formellement du ciel toute une catégorie d’hommes, à cause de leur position sociale ? — Jésus, reprit. C’est à ce sentiment des Douze que le Maître répond. Modifiant sa parole pour l’adoucir et en mieux marquer le véritable sens, il ne dit plus : « Ceux qui ont des richesses », il dit : « Ceux qui se confient dans les richesses », désignant ainsi non pas les riches en tant qu’ils sont riches, mais les riches en tant qu’ils mettent leur fin dans leurs richesses. Il faut noter aussi l’appellation de tendresse Mes petits enfants (nous lisons ainsi d’après plusieurs manuscrits), par laquelle le Sauveur essaie de calmer l’effroi qu’il venait de causer à ses amis. — Tous les détails contenus dans ce verset appartiennent en propre à S. Marc.
Mc10.25 Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu." — Sur ce proverbe oriental, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 19, 24. Nous prenons la figure à la lettre, sans vouloir des interprétations plus ou moins ingénieuses, mais certainement fausses, auxquelles on a recouru sous prétexte de la rendre plus acceptable. Elle exprime une impossibilité réelle. — Jésus venait d’adoucir sa pensée : il la renforce maintenant à l’aide d’une image vigoureuse. Il est si peu de riches en effet qui ne mettent pas leur confiance dans leurs richesses. C’est donc à bon droit que le Seigneur semble désespérer de jamais rencontrer dans les hommes favorisés des biens de ce monde l’héroïsme moral que réclame le détachement chrétien. — « L’œil d’une aiguille, dit un proverbe persan, est assez large pour deux amis : le monde entier est trop étroit pour deux ennemis ». C’est une image analogue pour exprimer une idée toute différente.
Mc10.26 Et ils étaient encore plus étonnés et ils se disaient les uns aux autres : "Qui peut donc être sauvé ? " — On conçoit sans peine ce surcroît d’étonnement et de frayeur après les dernières paroles de Jésus. — Qui peut donc… « Mais alors, dans ce cas, qui pourra bien être sauvé ? »
Mc10.27 Jésus les regarda et dit : "Aux hommes cela est impossible, mais non à Dieu : car tout est possible à Dieu." — C’est le troisième regard de Jésus mentionné dans l’intervalle de quelques lignes. Quelle vie et quel pittoresque dans ce second Évangile. — Impossible aux hommes… Le Sauveur, au moyen de cette distinction, explique de quel genre d’impossibilité il a voulu parler. S. Marc présente l’antithèse avec plus de force que les deux autres synoptiques. — Tout est possible à Dieu. « Il ne faut pas entendre ce passage au sens où les cupides et les orgueilleux entreraient dans le royaume des cieux avec la cupidité et l’orgueil, mais au sens où il est possible à Dieu de les faire passer de la cupidité et de l’orgueil à la charité et à l’humilité ». Théophylacte. Avec l’appoint des divins secours, tout devient possible à l’homme de bonne volonté.
Mc10.28 Alors Pierre, prenant la parole : "Voici, lui dit-il, que nous avons tout quitté pour vous suivre." — Nous avons tout quitté, s’écrie tout à coup saint Pierre. Nous du moins, dit‑il avec emphase, nous ne nous confions pas dans les richesses. La preuve, c’est que nous avons tout laissé pour vous suivre. En réalité, les Apôtres, sur un mot de Jésus, avaient renoncé à tout, et s’étaient mis généreusement à sa suite. Deux points sur lesquels ils avaient fait complètement le contraire du pauvre jeune homme dont il était question naguère.
Mc10.29 Jésus répondit : "Je vous le dis en vérité, nul ne quittera sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses champs, à cause de moi et à cause de l'Évangile, — Le bon Maître n’oublie pas les sacrifices qui ont été faits pour lui, et il saura dédommager leurs auteurs par de magnifiques récompenses. Le v. 29 donne la liste des principaux objets qu’un chrétien peut abandonner pour l’amour de Jésus et de son Évangile ; le v. 30 celle des récompenses qui leur seront distribuées soit en ce monde, soit en l’autre, par la main du Dieu rémunérateur. — à cause de moi et à cause de l'Évangile est un trait propre à notre Évangéliste. Notons en passant, à propos de l’expression εὐαγγελίου (Évangile), que S. Matthieu et S. Marc sont seuls à l’employer, S. Matthieu quatre fois [4,23 ; 9, 35 ; 24, 14 ; 26, 13.], S. Marc beaucoup plus souvent [1, 1, 14, 15 ; 8, 35 ; 10, 29 ; 13, 10 ; 14, 9 ; 16, 15.].
Mc10.30 qu'il ne reçoive maintenant, en ce temps présent, cent fois autant : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, au milieu même des persécutions et dans le monde à venir, la vie éternelle. — Cent fois autant. Chiffre rond, pour désigner à la façon orientale l’étendue et la richesse de la rétribution promise par Notre‑Seigneur. — Maintenant, en ce temps présent. Même dès cette vie. Ces mots sont emphatiques et propres à S. Marc. On ne trouve également que dans son récit la répétition de la nomenclature des maisons, des frères, etc. Cette nomenclature subit pourtant dans le v. 30 de légères modifications. Mères est au pluriel, et justement ; car si la nature ne nous donne qu’une mère, la charité chrétienne nous en fournit un grand nombre. — Un saint abbé, dont Cassien nous a conservé les paroles, admirait l’accomplissement de toutes ces promesses du Sauveur. « Qu’il en est bien ainsi, vous avez pu en faire l’expérience personnelle vous qui, après avoir abandonné chacun de vous des pères, des mères et des maisons, dans quelque partie du monde où vous êtes allés, avez conquis sans effort et sans peine, des mères, des frères innombrables, des maisons, des champs et des serviteurs extrêmement fidèles, qui se soumettent à vous comme à leurs maîtres, qui vous chérissent, vous soutiennent et vous vénèrent dans votre apostolat » [Jean Cassien, Collationes 24, c. 26]. Et cette réalisation, n’a pas seulement lieu dans les communautés religieuses, mais partout où le vrai Christianisme est mis en pratique. Ainsi donc, Jésus annonce qu’il dédommagera même dès ce monde, par toutes sortes de grâces et de consolations, des privations embrassées en son honneur. — Au milieu même des persécutions. « S. Marc ajoute une chose remarquable, qui n’a pas été exprimée par les autres Évangélistes. C’est qu’ils recevront le centuple avec des persécutions. Est‑ce donc que les persécutions font partie des promesses de Jésus‑Christ, et des récompenses qu’il promet à ses serviteurs ? Oui sans doute. Les persécutions, les peines, les travaux sont la joie et le partage des chrétiens ; c’est le gage assuré de leur bonheur futur. Jésus‑Christ partage ses amis comme il s’est partagé lui‑même… Et ceux qui ont l’avantage d’être à lui n’ont garde de se plaindre de leur sort ; ils l’estiment infiniment plus que si on leur offrait tous les plaisirs du monde… Il n’appartient qu’aux vrais chrétiens de souffrir volontiers les maux temporels dans l’espérance des biens éternels. C’est le propre des chrétiens de supporter les maux temporels, et d’espérer les biens éternels, dit saint Augustin ». Dom Calmet. Les écrits du Nouveau Testament sont remplis de cette idée [Cf. Matth. 5, 11 ; Romains 5, 3 ; 2Corinthiens 12, 10 ; Philippiens 1, 29 ; 2Thessaloniciens 1, 4 ; 2Timothée 3, 11,12 ; Hébreux 12, 6 ; Jacques 1, 2,4 ; 1Pierre 1, 6, etc.]. — Et dans le monde à venir, par opposition à maintenant, en ce temps présent. Ces locutions sont mises en corrélation, de même que les mots équivalents des Rabbins, עולם הדח, ce siècle‑ci, et עולם הבא, le monde à venir.
Mc10.31 Et plusieurs des derniers seront les premiers et des premiers, les derniers." — Mais plusieurs… Dans l’Évangile selon S. Matthieu, 19, 30 ; 20, 16 (voyez le commentaire), cette phrase énigmatique sert tout à la fois d’ouverture et de finale à une parabole qui le développe et l’explique. C’est un « Prenez garde. » adressé aux Apôtres et à tous les chrétiens. Même après les plus saints commencements, même après avoir donné des preuves du plus généreux dévouement à la cause du Christ, on peut s’arrêter en chemin, comme le jeune homme de notre Évangile, comme Judas ; tandis que les Madeleine et les Saul gagnent les premières couronnes et les premiers trônes du paradis.
Mc10.32 Or, ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem et Jésus marchait devant eux, ils s'en étonnaient et ils le suivaient avec crainte. Jésus, de nouveau, prenant à part les Douze, se mit à leur dire ce qui devait lui arriver : — Ils étaient en chemin. Plus haut, v. 17, l’Évangéliste nous montrait Notre‑Seigneur se dirigeant vers la route ; maintenant, Jésus et les siens sont en chemin. Quelle parfaite exactitude dans les détails les plus minutieux. — Pour monter à Jérusalem. Voyez, sur cette expression, l’Évangile selon S. Matthieu, 20, 17. — Les mots suivants, Jésus marchait devant eux, ils s'en étonnaient et ils le suivaient avec crainte sont vraiment dramatiques. Nous devons à S. Marc ce magnifique tableau. À l’avant‑scène on aperçoit le divin Maître, qui marche le premier, à quelque distance des siens. Il sait qu’il se dirige vers le Calvaire ; mais c’est pour cela même qu’il se hâte avec une sainte impatience, « faisant voir, dit justement Théophylacte, qu’il va au‑devant de sa Passion, et qu’il ne redoute pas d’endurer la mort pour notre salut ». Ce trait est donc un commentaire plastique de la parole : « J’ai à être baptisé d’un baptême, et comme je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse ! » Luc 12, 50. Derrière ce glorieux capitaine, qui choisit vaillamment le poste d’honneur, nous voyons la troupe timide de ses soldats. Ils étaient troublés, stupéfaits de son courage. En effet, ils ne l’ignoraient pas d’après les scènes dont ils avaient été naguère témoins dans la capitale juive [Cf. Jean 7, 11 et ss. ; 8, 59 ; 9, 1 et ss.], aller à Jérusalem dans les circonstances présentes, c’était s’offrir librement à toute sorte de dangers. Aussi est‑il ajouté qu’ils le suivaient avec crainte. Ils redoutaient pour lui et pour eux‑mêmes les conséquences d’une pareille démarche. De là une sorte d’hésitation bien naturelle. Néanmoins, ils suivaient leur divin Maître : ce n’est qu’à Gethsémani que leur courage devait entièrement faiblir pour un temps. — Prenant de nouveau les douze à part. Le Sauveur s’arrête tout à coup pour rallier la troupe intimidée de ses Apôtres. Les groupant autour de lui, « il se mit à leur prédire ce qui devait lui arriver ». C’était pour la troisième fois qu’il entrait devant eux dans ces tristes détails. La première prédiction de ce genre avait eu lieu après la Confession de saint Pierre, Marc 8, 31 ; la seconde, après la Transfiguration, Marc 9, 30‑32.
Mc10.33 "Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l'homme sera livré aux Princes des prêtres et aux Scribes, ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, 34 on l'insultera, on crachera sur lui, on le flagellera et on le fera mourir et, trois jours après, il ressuscitera." — Voici que nous montons à Jérusalem… Les termes de la prophétie diffèrent à peine de ceux que nous lisions dans S. Matthieu (voyez le commentaire de Matth. 20, 18-19). Seulement, notre Évangéliste mentionne d’une manière complète les catégories du Sanhédrin, princes des prêtres, scribes, anciens ; puis, dans l’énumération des humiliations que Jésus devait endurer avant sa mort, il signale un détail spécial, et cracheront sur lui. En revanche, S. Matthieu précisait mieux la nature du supplice final : « pour qu’ils… le crucifient » au lieu du vague le feront mourir. — Toute la Passion est dans ces quelques lignes.
Marc 10, 35‑45. Parall. Matth. 20, 20‑28.
Mc10.35 Jacques et Jean, fils de Zébédée, s'approchèrent de lui, disant : "Maître, nous désirons bien que vous fassiez pour nous ce que nous vous demanderons. — Surprenant épisode, surtout après cette prédiction si claire de Jésus. S. Marc, dans la description qu’il en fait, a plusieurs traits originaux. Tout d’abord, son entrée en scène diffère de celle du premier Évangile. Dans S. Matthieu, c’était Salomé qui se présentait à Jésus accompagnée de ses deux fils, et qui formulait elle‑même leur étrange désir : ici, il n’est question que de Jacques et de Jean. C’est donc le récit de S. Matthieu qui est le plus complet. — Nous désirons que vous fassiez pour nous ce que nous vous demanderons. Les deux frères, n’osant pas sans doute formuler directement leur désir, essayent d’en obtenir l’accomplissement en se faisant tout d’abord octroyer cette sorte de blanc‑seing universel.
Mc10.36 Que voulez-vous, leur dit-il, que je fasse pour vous ?" — Que voulez‑vous…? Jésus, bien qu’il pénétrât les secrets desseins de leur cœur, veut que leur demande soit proférée ouvertement. Ils recevront par là‑même une humiliation salutaire, qui les préparera à mieux goûter la leçon qui viendra plus loin.
Mc10.37 Ils dirent : "Accordez-nous d'être assis, l'un à votre droite, l'autre à votre gauche, dans votre gloire." — Accordez‑nous d’être assis... Le Sauveur, d’après la rédaction de S. Matthieu, 19, 28, avait promis aux Apôtres, peu d’instants auparavant, qu’ils siégeraient un jour dans le ciel sur douze trônes glorieux. Ce fut sans doute cette image qui enflamma l’ambition des fils de Salomé, et qui leur suggéra la pensée de demander pour eux‑mêmes les trônes situés immédiatement à gauche et à droite de celui que Jésus occuperait, c’est‑à‑dire les deux premières places. — Dans votre gloire. Dans S. Matthieu, « dans votre royaume ». Ces deux expressions désignent l’époque à laquelle Notre‑Seigneur, après avoir triomphé de ses ennemis, jouirait de sa puissance et de sa gloire, selon tous les préjugés du Judaïsme de ces temps.
Mc10.38 Jésus leur dit : "Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ?" — Vous ne savez pas. « C’est comme si Jésus leur disait : Vous parlez d’honneur, tandis que je vous entretiens de fatigues et de combats. Ce n’est pas maintenant le temps des récompenses, mais celui du sacrifice, des luttes et des périls » [S. Jean Chrysostome, Homilia in Matth., 66.]. — Pouvez‑vous… Un prince n’élève personne au rang de premier ministre sans s’être assuré de ses dispositions, sans exiger de lui un dévouement spécial, sans avoir mis ses forces et son courage à l’épreuve. De là cette question de Jésus. — Boire le calice que je dois boire ou être baptisé du baptême dont je dois être baptisé ? : figures énergiques, pour désigner la Passion du Sauveur. La seconde est ici une particularité de S. Marc. Elles apparaissent du reste en plusieurs autres endroits dans les discours de Notre‑Seigneur [Cf. Marc 14, 36 ; Luc 12, 50 ; Jean 18, 11, etc.]. Elles ont l’une et l’autre leurs analogies dans l’Ancien Testament. Comparez Psaume vulgate 57, 2, 3, 16 ; 123, 4, pour la métaphore du baptême, et, pour celle du calice, les passages cités dans l’Évangile selon S. Matthieu, 20, 22. — Que je dois boire... dont je dois être baptisé. Le pronom « je » est emphatique. L’emploi du temps présent, qui relève si bien la proximité, la certitude de la Passion, est propre à S. Marc.
Mc10.39 Ils répondirent : "Nous le pouvons." Et Jésus leur dit : "Le calice que je vais boire, vous le boirez en effet et vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé, — Nous le pouvons. Cette brève réponse, qui dut être prononcée avec un accent énergique, sortait directement du cœur des deux frères : La suite de leur vie prouve combien ils étaient sincères en la prononçant. — Vous le boirez, en effet… L’épreuve qu’ils se croient capables de soutenir, ils la soutiendront : ils goûteront l’amertume du calice de Jésus, ils auront part à son baptême de sang, en un mot, ils auront beaucoup à souffrir pour leur Maître. Cela leur est accordé.
Mc10.40 mais d'être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de l'accorder, si ce n'est à ceux à qui cela a été préparé." — Quant au reste, le Sauveur les renvoie à son divin Père, et à ses décrets éternels. — « Ce n’est pas à moi de donner, sauf à ceux pour qui cela a été préparé » [Sur le sens de ces paroles, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, Matth. 20, 23.].
Mc10.41 Ayant entendu cela, les dix autres s'indignèrent contre Jacques et Jean. 42 Jésus les appela et leur dit : "Vous savez que ceux qui sont reconnus comme les chefs des nations leur commandent en maîtres et que les grands font sentir leur pouvoir. — Les dix autres s’indignèrent. S. Matthieu parait supposer que l’indignation des disciples éclata complètement ; elle commençait seulement à se manifester, quand Jésus la réprima en réunissant les Douze autour de lui pour leur donner à tous une grave leçon. — Vous savez… Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 20, 25. Nous n’avons à noter ici qu’une expression spéciale à notre Évangéliste, ceux qui sont reconnus comme les chefs des nations. Pourquoi ce « sont reconnus » au lieu de « qui gouvernent », qui serait beaucoup plus clair ? De nombreux auteurs pensent que ce verbe est destiné à exprimer quelque idée particulière. Il existe à ce sujet plusieurs interprétations : ceux qui s’imaginent qu’ils gouvernent les nations ; ceux qui s’arrogent le droit de gouverner… ; ceux qui paraissent gouverner… (par opposition au gouvernement divin qui est le seul véritable) ; ceux qui sont reconnus comme les gouvernements des nations ; ceux qui ont l’honneur de gouverner… Les partisans de cette dernière traduction s’appuient, entre autres raisons, sur l’analogie qui existe entre le verbe grec δοκεῖν (sembler, paraître), les mots sanscrits « dac », briller, « dacas », gloire, et les mots latins « decet, decus, dignus » (gloire, dignité, etc). Nous préférons, avec Calmet et d’autres commentateurs, regarder le verbe δοκεῖν en cet endroit comme un pur pléonasme, dont on trouve d’assez fréquents exemples soit dans le Nouveau Testament [Voir en particulier 1Co 11, 16 ; Matth. 3, 8 ; Luc 12, 24.], soit chez les auteurs profanes.
Mc10.43 Il n'en doit pas être ainsi parmi vous, mais quiconque veut être grand parmi vous se fera votre serviteur, 44 et quiconque veut être le premier parmi vous, se fera l'esclave de tous. — Il n’en doit pas être ainsi. La règle imposée par Jésus entrait donc immédiatement en vigueur pour les Douze, qui formaient un abrégé de l’Église chrétienne. — Après cette proposition générale, qui proscrit dans le royaume messianique l’ambition et l’abus du pouvoir, le Sauveur développe sa pensée au moyen de deux propositions particulières, qui correspondent à celles du v. 42. Il y a suivi un parallélisme parfait dans l’expression. Remarquez la gradation ascendante que forment les mots plus grand et premier, votre serviteur, serviteur de tous, accouplés deux à deux. « Ose donc usurper de dominer l’apostolat, ou d’évangéliser le dominé. On t’empêchera sûrement d’avoir l’un et l’autre. Si tu veux les avoir tous les deux, tu perds l’un et l’autre. Voici quelle est la forme apostolique : la domination est interdite, le service est prescrit » [Saint Bernard de Clervaux, De consideratione, lib. 2, c. 6, n. 10 et 11.].
Mc10.45 Car le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rançon de la multitude." — Car le Fils de l’homme… Pour que les disciples fassent ce qu’il leur avait exhorté de faire, le Christ leur redonne du courage en leur exposant ce qui pouvait leur servir d’exemple. Le Fils de l’homme qui, par sa nature, était si élevé au‑dessus des autres hommes, a daigné se faire le serviteur de tous. Ainsi donc ses disciples ne doivent pas hésiter à l’imiter. — Donner sa vie comme la rançon. L’homme déchu, esclave de Satan, « homme charnel, vendu au péché » (Romains, 7, 14), n’avait rien pour se racheter : Jésus a donné sa vie en guise de rançon.
Mc10.46 Ils arrivèrent à Jéricho. Comme Jésus sortait de cette ville avec ses disciples et une assez grande foule, le fils de Timée, Bartimée l'aveugle, était assis sur le bord du chemin, demandant l'aumône. — Ils arrivèrent à Jéricho. Quittant la Pérée, Jésus et les siens franchirent le Jourdain, puis la plaine alors si fertile de Jéricho : après quelques heures de marche, ils arrivaient dans la ville du même nom [451]. C’était l’avant‑dernière station de leur voyage. Jéricho était à cette époque, soit pour la richesse, soit pour la population, la seconde ville de Palestine. — Comme il partait de Jéricho… De même S. Matthieu ; au contraire, d’après S. Luc, « comme il approchait de Jéricho ». C’est une première contradiction apparente. Une seconde divergence consiste en ce que S. Matthieu mentionne expressément deux aveugles, tandis que S. Marc, conforme cette fois à S. Luc, n’en signale qu’un seul. Voir la solution de ces difficultés dans l’Évangile selon S. Matthieu, 20, 24. — Et une foule considérable. Le triomphe de Jésus commence dès sa sortie de Jéricho ; mais c’est à Jérusalem qu’aura lieu l’ovation principale. — Le fils de Timée. Seul, notre Évangéliste a conservé le nom de cet aveugle ; peut‑être, ainsi qu’on l’a conjecturé, parce que Bartimée eut plus tard des relations avec la chrétienté romaine, pour laquelle était écrit le second Évangile. « Fils de Timée » est la traduction de « Bartimée », et Bartimée est un de ces noms patronymiques, alors très fréquents chez les Juifs, dont le Nouveau Testament contient plus d’un exemple : Barjona, Barthélemi, Barnabé. Son orthographe hébraïque était בר־טמאי (ou, d’après la version syriaque, בר־פוימי), Bar‑Timaï. Il se compose d’un mot araméen, Bar, qui signifie fils, et d’un nom grec, Τιμαίος, que Platon a rendu célèbre : c’est là une combinaison assez étrange. — Assis sur le bord du chemin. À l’approche de la Pâque juive, les chemins qui conduisaient à Jérusalem étaient couverts d’indigents qui demandaient l’aumône aux pèlerins.
Mc10.47 Ayant entendu dire que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : "Jésus, fils de David, ayez pitié de moi." — Jésus, Fils de David. Nous avons vu en plusieurs endroits que telle était la dénomination habituelle et populaire du Messie. Bartimée croyait donc depuis quelque temps déjà que Jésus était le Christ. Sa foi sera bientôt récompensée. — Ayez pitié de moi. Ce « Seigneur, ayez pitié » du pauvre aveugle de Jéricho était un nouvel hommage adressé à Notre‑Seigneur, auquel il reconnaissait le pouvoir d’accomplir des miracles. C’est d’ailleurs, dans les écrits inspirés [Cf. les Psaumes, passim ; Job 19, 21 ; Isaïe 33,2 ; Ecclésiastique 34, 1-14 ; Tobie 8,10 ; Judith 7, 20.] comme chez les auteurs profanes [Cf. Homère, Odyssée, v, 44 et ss.; Virgile (Publius Vergilius Maro), Æneid, 12, 930 et ss., etc.], le cri bien naturel de tous les malheureux.
Mc10.48 Et plusieurs le rabrouaient pour le faire taire, mais lui criait beaucoup plus fort : "Fils de David, ayez pitié de moi." 49 Alors Jésus s'arrêta et dit : "Appelez-le." Et ils l'appelèrent en lui disant : "Aie confiance, lève-toi, il t'appelle." 50 Celui-ci jetant son manteau, se leva d'un bond et vint vers Jésus. — Les synoptiques ont tous fort bien décrit le petit drame auquel donna lieu ce miracle de Jésus. Après les scènes des vv. 46 et 47, en voici de nouvelles, entre lesquelles il existe un contraste frappant : la conduite de la foule, d’abord si peu compatissante ; la conduite de l’aveugle : il ne se laisse pas intimider ; la conduite de Jésus : c’est toujours le « bon Maître », qu’on n’implore jamais en vain. — Tous les détails qui suivent, jusqu’à la fin du v. 50, appartiennent en propre à S. Marc. Ce ne sont pas les moins intéressants. Le premier, ils appelèrent l’aveugle… est d’une grande vérité psychologique. Quand la foule s’aperçut que Jésus témoignait un commencement de bienveillance pour Bartimée, elle se mit aussitôt, se conformant à l’attitude de Jésus, à manifester une sympathie qu’elle était bien loin d’éprouver quelques instants auparavant. Ceux qui rebutaient rudement l’aveugle, le pressent maintenant d’accourir. Remarquez la rapidité du langage. — Les traits suivants sont d’un pittoresque achevé. Jetant son manteau. L’infirme ne se fait pas appeler deux fois ; mais, son large manteau oriental gênant ses mouvements, il commence par le jeter loin de lui [Cf. Homère, Iliade, 2, 183] ; puis il se précipite tout joyeux du côté de Jésus : se leva d'un bond et vint vers Jésus.
Mc10.51 Jésus lui dit : "Que veux-tu que je te fasse ? L'aveugle répondit : Rabbouni, que je voie." — Que veux‑tu que je te fasse ? Question bien surprenante en apparence. « Celui qui pouvait rendre la lumière ignorait‑il donc ce que voulait l’aveugle ? Il s’informe pour qu’on demande. Il interroge pour disposer le cœur à la prière ». Bède le Vénérable. — Rabbouni. Tandis que les deux autres Évangélistes traduisent ce titre par Κύριε (Seigneur), S. Marc le cite en hébreu, tel qu’il fut prononcé. Cf. Jean 20, 16. « Rabbouni » est un augmentatif de Rabbi, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 23, 7.
Mc10.52 Jésus lui dit : "Va, ta foi t'a sauvé." Et aussitôt il vît et il le suivait dans le chemin. — S. Matthieu, sans mentionner les paroles du Sauveur, raconte que la guérison fut opérée par l’imposition de ses mains divines. — Et aussitôt il vît. Avec quel amour et quelle reconnaissance le miraculé ne dût‑il pas diriger son premier regard sur Jésus. Mais il fit plus encore ; s’associant à la foule qui entourait Notre‑Seigneur, il suivit son bienfaiteur jusqu’à Jérusalem. L’Évangile de Nicodème, ch. 6, nous le montre quelques jours plus tard, prenant courageusement la défense de Jésus au prétoire. « Et un autre Juif s’avança et dit : J’étais aveugle de naissance ; j’entendais parler et je ne voyais personne. Et Jésus ayant passé, je m’adressai à lui en criant à haute voix : Fils de David, prends pitié de moi. Et il eut pitié de moi, et il posa sa main sur mes yeux, et aussitôt je recouvrai la vue » [Pierre Gustave Brunet, Les Évangiles apocryphes, 2e éd., p. 240.].
Mc11, 1-11. Parall. Matth. 21, 1‑11 ; Luc 19, 29‑44 ; Jean 12, 12‑19.
Mc11.1 Comme ils approchaient de Jérusalem, aux environs de Betphagé et Béthanie, vers la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, — Comme ils approchaient. Notre Évangéliste, de même que S. Matthieu, abandonne ici l’ordre réel des faits, pour suivre l’ordre logique : il place, lui aussi, l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem immédiatement après le départ de Jéricho, qui avait été déjà, nous l’avons vu, une marche triomphale. Cf. Marc 10, 46. S. Jean nous dira clairement, Jean 12, 1‑19, qu’avant de pénétrer dans la capitale juive, le Sauveur s’arrêta pendant au moins une nuit, probablement même pendant un jour et deux nuits, chez ses amis de Béthanie ; Lazare, Marthe et Marie. C’est de leur maison, hospitalière que nous le voyons en ce moment sortir pour son triomphe. — Jérusalem et Béthanie. Ce n’est pas sans surprise qu’on lit ici le nom de Jérusalem avant celui de Béthanie ; car, le voyageur qui va de Jéricho à la Ville sainte rencontre nécessairement Béthanie sur sa route avant d’arriver au terme de son voyage. Il faudrait donc, d’après la topographie, « Béthanie et Jerusalem ». S. Marc se serait‑il rendu coupable d’une erreur géographique ? Pas le moins du monde. Mais, suivant de nouveau l’ordre des idées, il signale d’abord, comme point principal, le but vers lequel se dirigeait Notre‑Seigneur ; ensuite, il mentionne la station intermédiaire, près de laquelle se firent les premiers préparatifs du triomphe. Trois localités sont citées : Jérusalem est désigné comme le but final du voyage de Jésus. Ces deux villages étaient situés à peu de distance l’un de l’autre, et seulement à une demi‑heure de Jérusalem, du côté de l’Orient.
Mc11.2 en leur disant : "Allez au village qui est devant vous, dès que vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel nul homme ne s'est encore assis : détachez-le et amenez-le-moi. — Allez au village qui est devant vous. D’après le récit de S. Matthieu, ce hameau, qui se dressait en face de Jésus et de ses deux envoyés, ne différait vraisemblablement pas de Bethphagé. — Vous trouverez un ânon attaché. Le premier Synoptique faisait dire à Jésus : « vous trouverez une ânesse liée, et son ânon avec elle » : S. Marc, S. Luc et S. Jean parlent seulement de l’ânon. Où se trouve la vérité ? des deux côtés à la fois. En effet, dit saint Augustin, « Dès lors que deux choses ont pu avoir lieu en même temps, il n'y a plus d'objection à faire si l'un raconte la première et l'autre la seconde ; à plus forte raison si l'un raconte l'une des deux et l'autre toutes les deux à la fois » [De Consensu Evangelistarum, l. 2, c. 66.]. Néanmoins, la relation de S. Matthieu, étant la plus complète, est par là même la plus exacte. Dans les trois autres Évangiles, il n’est pas question de l’ânesse, parce que ce ne fut pas elle, mais l’ânon, qui servit de monture à Jésus : S. Matthieu la mentionne, en partie parce que Notre‑Seigneur avait commandé qu’on l’amenât, en partie afin de rendre plus évidente la réalisation de la prophétie de Zacharie, qu’il cite un peu plus bas. — Sur lequel nul homme ne s’est encore assis… S. Luc note aussi ce détail, qui avait bien son importance ; car, soit chez les Juifs [Cf. Nombre 19, 2 ; Deutéronome 21, 3 ; 1Samuel 6, 7.], soit chez les païens [voyez Ovide, Métamorphoses, 3, 12.], on employait de préférence à des usages sacrés les animaux qui n’avaient encore rendu aucun service profane. Il convenait que la monture pacifique du Christ, au jour de son triomphe, n’eut jamais porté d’autre cavalier.
Mc11.3 Et si quelqu'un vous dit : Que faites-vous ? Répondez : Le Seigneur en a besoin et aussitôt il va le renvoyer ici." — Que faites‑vous ? De même S. Luc « Pourquoi le déliez‑vous ? » Ce langage direct est beaucoup plus vivant que le « Et si quelqu’un vous dit quelque chose » de S. Matthieu. — Le Seigneur en a besoin. En tant que Messie, Jésus était le souverain Seigneur et Maître de toutes choses : il jouissait du droit de réquisition, dont il usait ici pour la première fois. — Aussitôt il va le renvoyer ici. Par ces mots, le Sauveur prédit qu’au seul nom « Le Seigneur » (avec l’article) le propriétaire de l’animal se prêtera aussitôt au dessein des Apôtres. Quelques auteurs, déroutés par l’adverbe aussitôt, donnent à tort une autre signification à ce passage. Suivant eux, ces mots ne contiendraient pas une prédiction de Jésus, mais la suite de la communication qu’il chargeait ses envoyés d’adresser au maître supposé récalcitrant de l’ânon : « Dites que le Seigneur en a besoin, et qu’il le renverra bientôt là‑bas ». Cette interprétation nous paraît manquer de grandeur, surtout dans la circonstance où se trouvait Jésus. — Μ. Reuss, bien que rationaliste à ses heures, fait ici une remarque très juste, qu’on nous permettra de citer : « Le récit de la mission des deux disciples doit faire sur le lecteur l’impression d’un double miracle, d’après l’intention même des narrateurs. Jésus sait, sans l’avoir vu, qu’un âne se trouve attaché à une porte, à l’entrée même du village ; il voit que cet âne n’a jamais encore servi de monture à qui que ce soit ; il prédit, non seulement que le propriétaire trouvera à redire à ce qu’on le détache, ce qui était bien naturel, mais que cette seule parole : Le Seigneur en a besoin, suffira pour lever toute difficulté. Si l’on voulait dire que Jésus avait pris d’avance ses mesures, et retenu l’âne de concert avec le propriétaire, cela reviendrait à l’accuser d’avoir joué la comédie devant ses disciples, qui auraient sans doute raconté le fait dans des termes très différents s’ils avaient eu connaissance d’un pareil arrangement préalable. Mais ils nous le représentent comme voyant à distance et comme exerçant une influence surnaturelle sur la volonté d’autrui » [Édouard Reuss, Histoire évangélique, p. 549.]. Voyez dans Stanley [Arthur Penrhyn Stanley, Sinai and Palestine, 2e éd., p. 190.], une curieuse légende musulmane touchant l’ânon qui servit au triomphe de Jésus.
Mc11.4 S'en étant allés, les disciples trouvèrent un ânon attaché à une porte, en dehors, au tournant du chemin et ils le détachèrent. 5 Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : "Que faites-vous de détacher cet ânon ?" 6 Ils répondirent comme Jésus le leur avait commandé et on les laissa faire. — Description très détaillée et très précise, qui nous permet de suivre dans leur mission les deux ambassadeurs de Jésus, et d’assister à l’accomplissement intégral des prédictions que nous venons d’entendre. Les traits si minutieux et si pittoresques du v. 4, ils trouvèrent l’ânon attaché à une porte, en dehors, au tournant du chemin, appartiennent en propre à S. Marc, d’où l’on a parfois conclu que saint Pierre, la source ordinaire de notre Évangéliste, était l’un des envoyés. — Quelques uns de ceux qui étaient là. Autre trait propre à S. Marc. De même, au v. 6, on les laissa faire. Ces hommes aussi, qu’ils fussent ou ne fussent pas les disciples de Jésus, le regardaient donc comme un roi puissant, qui avait le droit de tout commander, de tout exiger.
Mc11.7 Et ils amenèrent l'ânon à Jésus et ils mirent dessus leurs manteaux et Jésus s'y assit. — ils mirent leurs manteaux. Les amples manteaux à couleur éclatante que les Orientaux portent ordinairement par‑dessus leur tunique convenaient parfaitement pour ce dessein.
Mc11.8 Un grand nombre étendirent leurs manteaux le long de la route, d'autres, ayant coupé des branches d'arbres, en jonchèrent le chemin. — Beaucoup étendirent leurs manteaux… L’exemple des deux disciples est bientôt imité par la foule. De même que les disciples, par honneur pour Jésus, s’étaient servis de leurs vêtements pour orner la monture de son triomphe, de même la foule emploie les siens pour tapisser le chemin par lequel il devait passer. Ainsi avaient fait antérieurement les Juifs de Suze pour le célèbre Mardochée [Cf. Targum Esther, 8, 15.] ; ainsi avaient fait les soldats persans pour Xerxès au moment où ce prince allait franchir l’Hellespont [Herodotus, 7, 54]. Voyez d’autres traits analogues dans l’explication de l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 8.— D’autres coupaient des branches. Il est à remarquer qu’au lieu du mot κλάδοι, employé dans le passage parallèle de Matth. 21, 8, nous trouvons ici une expression spéciale, στοιϐάδες, qui ne désigne pas simplement des branches, mais les parties les plus feuillues et les plus tendres des rameaux, par conséquent les parties les plus en rapport avec la destination qu’on avait en vue. — D’arbres. Les champs qui environnaient Jérusalem étaient remplis d’oliviers, de palmiers, de dattiers et autres arbres semblables. — « Avant d’avoir été corrompue, la multitude savait comment se comporter envers le Christ. Voilà pourquoi chacun honora Jésus selon sa capacité propre » [Saint Jérôme de Stridon, in Matth., 21.].
Mc11.9 Et ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient, criaient : "Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! — Le cortège entoure Jésus de toutes parts. Comme un triomphateur, le divin Maître s’avance au milieu de cette procession glorieuse. — Hosanna. Sur ce mot hébreu, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 9. Contre sa coutume, S. Marc n’en donne pas la traduction ; mais les chrétiens de Rome en devaient connaître la signification, car Hosanna, de même que les expressions analogues Amen, Alléluia, s’était introduit de bonne heure dans la liturgie de l’Église du Christ.
Mc11.10 Béni soit le règne de David notre père, qui va commencer ! Hosanna au plus haut des cieux !" — Béni soit le règne de David… Souhait d’heureuse bienvenue, adressé à Jésus au moyen de paroles inspirées. Cf. Ps 118, 26. — À ce souhait qui concernait la personne du Messie, S. Marc en ajoute un autre, qu’on trouve seulement dans sa rédaction, et qui était relatif au royaume du Christ : Béni soit le règne de David…. La manière dont le peuple caractérisait ce royaume est significative. Notre père David : c’était le royaume de David continué, restauré, transfiguré par le plus illustre de ses descendants. Voilà le pendant de la parole de l’Ange : « le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin ». Luc 1, 32. Voilà Jésus ouvertement acclamé par la multitude comme le Roi‑Messie. — Hosanna au plus haut des cieux. Gloire à Dieu qui trône au plus haut des deux. Du Messie, la foule remonte à celui qui l’envoie, pour le remercier de ce que les temps si ardemment désirés soient enfin accomplis.
Mc11.11 Et il entra à Jérusalem, dans le temple et ayant observé toutes choses, comme déjà l'heure était avancée, il s'en alla à Béthanie avec les Douze. — Jésus entra à Jérusalem dans le temple. S. Marc ne dit rien d’une scène touchante que nous trouverons dans Luc 19, 41‑44 ; il ne dit rien non plus de l’émoi que l’entrée solennelle de Jésus suscita dans Jérusalem, Matth. 21, 10, 11. Il préfère, et ce trait a une signification profonde, conduire immédiatement la procession triomphale à son terme, dans le temple. C’est donc droit au temple que Jésus se fit escorter par le peuple. On ne le mène pas sur une place publique comme un tribun vulgaire, ni à un palais comme un roi ordinaire ; on le mène au temple de Dieu. C’est là en effet sa résidence en tant que Messie. Comme ce détail nous fait bien voir la nature toute religieuse de l’ovation qu’on venait de lui décerner. S. Marc nous l’a seul conservé. — Ayant observé toutes choses. Autre trait caractéristique et spécial. On en a parfois méconnu la portée, par exemple Bède le Vénérable, qui suppose que le Sauveur, en jetant ainsi les yeux de tous côtés, voulait voir « si quelqu’un lui offrirait l’hospitalité. ». Non, le véritable sens est à la fois et plus simple et plus noble. Ce regard provient de l’œil du Maître. Arrivé à son palais messianique, Jésus inspecte toutes choses à la façon d’un roi : il contemple les désordres qu’il reviendra châtier le lendemain. — Comme déjà l'heure était avancée… La marche triomphale et l’inspection du Sauveur avaient rempli une grande partie de la journée. — Il s’en alla à Béthanie. Pourquoi Jésus ne passa‑t‑il pas la nuit à Jérusalem, au milieu de ce bon peuple ? On le conçoit sans peine. Il n’avait pas que des amis dans la capitale juive ; il y avait aussi des ennemis nombreux, puissants, acharnés à sa perle. Le séjour de la ville sainte n’eut donc pas été sûr pour lui. C’est pourquoi nous le verrons chaque soir chercher un refuge à Béthanie, jusqu’à la nuit du Jeudi saint.
Mc11.12 Le lendemain, après qu'ils furent sortis de Béthanie, il eut faim. — Le lendemain. C’est‑à‑dire le lundi de la Semaine Sainte, l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem ayant eu lieu un dimanche, d’après l’opinion commune des exégètes, la chronologie de S. Marc est ici d’une précieuse clarté. Il distingue très nettement trois séjours de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans le temple, durant cette grande et dernière semaine : 1° le séjour qui suivit immédiatement l’entrée triomphale, vv. 1‑11 ; 2° le séjour du lundi saint, qui fut marqué par l’expulsion des vendeurs, vv. 12‑19 ; 3° le séjour du mardi saint, durant lequel Jésus lutta si vigoureusement contre ses adversaires, vv. 20 et ss. — ils furent sortis. Le Sauveur, en compagnie des douze Apôtres, sortait de Béthanie pour retourner à Jérusalem. — Il eut faim. Sur la nature de cette faim matinale de Jésus, voyez l’Évangile selon saint Matthieu, Matth. 21, 18. Divers hérétiques ont prétendu qu’elle n’exista pas en réalité, mais que Notre‑Seigneur la simula pour donner plus commodément une leçon à ses disciples. Nous admettons qu’elle fut tout à la fois véritable, naturelle et providentielle.
Mc11.13 Apercevant de loin un figuier couvert de feuilles, il s'avança pour voir s'il n'y trouverait pas quelque fruit et s'en étant approché, il n'y trouva que des feuilles, car ce n'était pas la saison des figues. — Apercevant de loin un figuier. « De loin » est une particularité de S. Marc. Dans cette région, si fertile en figuiers que Bethphagé (« la maison des figues ») en tirait son nom, Jésus aperçut donc à quelque distance un de ces arbres tout couvert de feuilles, bien que la saison fût encore peu avancée. Il était peut être d’une espèce plus précoce, ou bien il jouissait d’une meilleure exposition que les autres. — Il alla voir s’il y trouverait quelque chose. — En faisant remarquer que ce n’était pas la saison des figues », S. Marc voulait indiquer que la démarche du Sauveur n’était pas fondée sur l’époque de l’année où l’on se trouvait alors, mais sur quelque autre circonstance propre à l’arbre en question. Celle circonstance a été mentionnée plus haut : Le figuier avait des feuilles. Le figuier émettant ses fruits avant ses feuilles, une plante de cette espèce qui attirait l’attention des passants par la précocité de son feuillage, les invitait par là‑même à venir chercher sur lui un fruit rafraîchissant.
Mc11.14 Alors il dit au figuier : "Qu'à jamais personne ne mange plus de ton fruit." Ce que ses disciples entendirent. — Il dit. Jésus traite cet arbre trompeur comme un être doué d’intelligence ; bien plus, en le maudissant, il le traite en être moral, libre et responsable. Il y a là évidemment un symbole. En effet, dit Eusèbe d’Emèse, « Le Seigneur ne fait jamais rien sans raison. Quand il semble agir pour rien, c’est là le signe d’une grande chose ». Dans ce fait extraordinaire, qui n’a pas son parallèle dans la vie du Sauveur, nous devons donc voir, suivant l’heureuse expression de Bède le Vénérable, une parabole de choses ; autrement, il n’aurait pas de raison d’être, et serait incompréhensible pour nous. « L’Évangéliste dit positivement que ce n'était pas le moment des figues ; le Sauveur toutefois en cherchait sur cet arbre pour apaiser sa faim. Mais quoi. le Christ ignorait‑il ce que savait un paysan ? Le Créateur de ces arbres méconnaissait‑il ce que savait le jardinier ? Il faut donc reconnaître qu'en cherchant des fruits sur cet arbre pour apaiser sa faim, il voulait faire entendre qu'il avait faim d'autre chose et qu'il cherchait une autre espèce de fruits. On le vit de plus maudire ce figuier qu'il trouva couvert de feuilles mais sans aucun fruit, et cet arbre se dessécha. Or comment avait‑il démérité en ne portant pas de fruits [Saint Augustin d’Hippone, Sermon 98.] ? » Il est des hommes dont la stérilité est volontaire, et la volonté les rendant inféconds, ils sont coupables de ne pas l'être. Ils sont comme des arbres chargés de feuilles et dénués de fruits, certains juifs se vantaient de posséder la loi sans en faire les œuvres. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 19. Dieu ne disait‑il pas déjà, par l’intermédiaire du prophète Michée, 7, 1-2, en parlant du peuple théocratique : « Hélas pour moi ! Je suis comme au temps des récoltes d’été, comme au grappillage des vendanges : plus une grappe à manger, plus de ces figues précoces que j’aime tant. ». — Qu'à jamais personne ne mange plus de ton fruit… Accumulation emphatique. Cette forme de la sentence est spéciale à S. Marc. Nous lisions dans S. Matthieu : « Que jamais aucun fruit ne naisse de toi ». — Et ses disciples entendirent. Ce trait est également propre au second Évangile. Il a pour but de préparer la suite du récit, vv. 20 et 21.
Mc11.15 Ils arrivèrent à Jérusalem. Jésus étant entré dans le temple, se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le temple et il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des colombes, — Ils arrivèrent à Jérusalem. Quittant le figuier maudit, Jésus poursuit sa marche vers Jérusalem, passant ainsi du type à l’antitype, du symbole à la chose signifiée. À peine arrivé dans le temple, nous le voyons accomplir un nouvel acte judiciaire, non moins terrible que le précédent. Par un coup éclatant d’autorité, il rend à la maison de Dieu le calme, le silence, l’honneur dont on l’avait dépouillée par d’étonnants abus. Ce que nous appelons le Temple de Jérusalem était loin de ressembler à nos églises actuelles. Il se composait de parties très distinctes, dont la principale, qui formait le sanctuaire proprement dit, n’était accessible qu’aux seuls prêtres. Autour du sanctuaire il y avait plusieurs cours, que des clôtures de divers genre séparaient les unes des autres : c’étaient 1° le parvis des prêtres, où l’on offrait les sacrifices, 2° la cour dite d’Israël ; 3° ce qu’on appelait la cour des femmes ; enfin 4° en communication avec les rues avoisinantes, la cour des Païens, où les païens eux‑mêmes pouvaient pénétrer. C’est dans cette cour, entourée de magnifiques galeries, la plus extérieure et la plus vaste de toutes, qu’eut lieu la scène qui va suivre. — Jésus... se mit à chasser ceux qui vendaient… En soi, l’existence d’un marché à l’entrée du temple, pour faciliter aux personnes pieuses, et plus spécialement aux pèlerins venus de loin, l’emplette des objets nécessaires pour les sacrifices qu’ils voulaient offrir au Seigneur, n’avait rien que de légitime et même de louable. C’est donc l’abus, et non la chose même, que Jésus réprouve par ses actes et par ses paroles. Or l’abus était manifeste, palpable. Au lieu d’un marché pacifique, on avait un bruyant bazar, une foire perpétuelle ; de plus, les pèlerins étaient odieusement rançonnés par les marchands, qui étaient souvent des prêtres, ou du moins les employés des prêtres. On en vint jusqu’à vendre une colombe au prix exorbitant d’un denier d’or. — Les tables des changeurs… Pour tous ces détails, nous renvoyons à l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 12.
Mc11.16 et il ne laissait personne transporter quoi que ce soit à travers le Temple. — Et il ne laissait personne… Voici encore un trait des plus intéressants, qui est propre à S. Marc. Cette interdiction du Sauveur suppose un autre genre de liberté que les Juifs de son temps s’étaient permise à l’égard du temple. Après avoir transformé les cours intérieures en un lieu de trafic, ils en avaient fait encore un passage public et profane, qu’ils traversaient sans gêne, chargés de toute sorte d’objets, pour s’épargner un détour dans les rues de la ville. — À travers le temple. Ce second abus concernait donc pareillement les cours, et non le sanctuaire. — Les Rabbins insistent sur les règles que l’on devait observer dans le Temple : mais il paraît par l’Évangile que les lois étaient fort mal gardées. Ils disent donc qu’il n’est pas permis d’y entrer, pas même dans le parvis des Païens, avec son bâton, ses souliers, sa bourse, ou ses pieds crottés, ou avec de l’argent dans un mouchoir, ou avec une besace, ou d’y cracher, ou d’en faire un lieu passager, etc… Tout cela est fort beau en théorie ; mais il en faudrait montrer la pratique ». Wetstein et Lightfoot citent tout au long dans leurs Recueils les décrets talmudiques à ce sujet. Megilla, f. 28, 1, nous lisons l’ordonnance suivante : « Que personne ne fasse de la synagogue dévastée un raccourci ». Et Josèphe ne dit‑il pas, dans les mêmes termes que S. Marc : « Il n’est même pas permis d’apporter un vase dans le temple » [Flavius Josèphe, Contra Apionem, 2, 8.].
Mc11.17 Et il enseignait, en disant : "N'est-il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs." — Le verbe enseignait, mis à l’imparfait, a fait croire à plusieurs exégètes que les paroles attribuées à Notre‑Seigneur seraient simplement le résumé d’un discours qu’il aurait prononcé après l’expulsion des vendeurs. Opinion assez peu vraisemblable. — N’est‑il pas écrit… ? Le Sauveur justifie par deux paroles inspirées, Isaïe 56, 7 et Jérémie 7, 11, l’action de zèle à laquelle il venait de se livrer. Le temple était une maison de prière ; mais on l’avait honteusement changé en un antre de brigands : Jésus, en vertu de ses droits messianiques, l’a purifié, lui a rendu sa destination première. — Pour toutes les nations. S. Marc a seul cité ces mots du texte d’Isaïe. Ils convenaient d’autant mieux, que la scène se passait dans une cour ouverte aux païens aussi bien qu’aux Juifs.
Mc11.18 Ce qu'ayant entendu, les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient les moyens de le faire périr, car ils le craignaient, parce que tout le peuple admirait sa doctrine. — Ce verset décrit l’impression que produisit sur les hiérarques juifs la nouvelle de ce qui avait eu lieu dans le temple. Leur haine contre Jésus ne connut plus de bornes, quand ils apprirent que leur adversaire était venu agir en maître et en réformateur sur leur propre terrain. « Au tribunal, on déteste celui qui réprimande, et l’homme intègre dans sa parole, on le hait » [Amos 5, 10.]. — Ils le craignaient. Une seule chose les empêcha d’exécuter sans délai les projets homicides qu’ils avaient depuis longtemps formés à son égard : c’était la crainte que le peuple, charmé par ses divines leçons et visiblement passionné pour lui, ne s’insurgeât contre quiconque tenterait de lui faire quelque mal. Cf. Luc 19, 48. De là leur grand embarras et leurs délibérations pour savoir comment le faire mourir.
Mc11.19 Le soir étant venu, Jésus sortit de la ville. — L’emploi de l’imparfait semble insinuer que l’Évangéliste veut parler ici d’un fait qui se passa non seulement le soir du lundi saint, mais encore les deux jours suivants. Telle est même la seule interprétation permise si nous lisons avec Tischendorf « toutes les fois que » au lieu de « quand ».
Marc 11, 20‑26.Parall. Matth. 21, 20‑22.
Mc11.20 Or, en repassant de grand matin, les disciples virent le figuier desséché jusqu'à la racine. — De grand matin. C’était le matin du mardi saint. Cf. v. 12 et le commentaire. Jésus et les Douze revenaient de Béthanie à Jérusalem. Cf. v. 27. — Virent le figuier, desséché. La veille au soir, en se rendant de la capitale à leur tranquille retraite, les Apôtres n’avaient pas remarqué le merveilleux effet de la parole de Jésus, soit qu’il fît déjà nuit, soit qu’ils soient passés par un autre chemin. Deux ou trois routes distinctes conduisent aujourd’hui de Jérusalem à Béthanie. — Jusqu’à la racine : détail pittoresque, spécial à S. Marc, pour signifier que le figuier était totalement desséché.
Mc11.21 Et Pierre, se ressouvenant, dit à Jésus : "Maître, voilà que le figuier que vous avez maudit a séché." — Autre détail spécial, que notre évangéliste tenait assurément de saint Pierre lui‑même. S. Matthieu, bien que témoin oculaire du fait, attribue d’une manière générale la réflexion qui suit à tous les Apôtres, Matth. 20, 20. Saint Pierre donc, à la vue de cet arbre dont les feuilles, si fraîches la veille, retombaient tristement le long des rameaux, se souvint de la malédiction que Jésus avait lancée contre lui, et il se hâta, en termes vifs et naïfs tout ensemble, d’attirer l’attention du Sauveur sur ce prodige. — Voilà que est une exclamation de surprise, d’admiration.
Mc11.22 Jésus leur répondit : "Ayez foi en Dieu. — Notre‑Seigneur profite de cette réflexion pour donner aux siens une leçon importante sur la puissance irrésistible de la foi, surtout de la foi dans la prière. S. Marc nous communique cette leçon avec plus d’ampleur et d’une manière plus complète que S. Matthieu.
Mc11.23 Je vous le dis, en vérité, si quelqu'un dit à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer et s'il ne doute pas dans son cœur, mais qu'il croie que ce qu'il dit arrivera, il le verra s'accomplir. — En vérité. Notre‑Seigneur commence par garantir au nom de l’éternelle vérité l’exactitude du fait qu’il va signaler. — si quelqu'un dit… Ce fait est assurément bien extraordinaire. Un chrétien quelconque qui dit à une montagne : Jette‑toi dans la mer, et qui voit son ordre immédiatement obéi. Une condition est pourtant exigée : s’il ne doute pas dans son cœur, mais qu’il croit... Saint Jacques semble commenter cette promesse quand, parlant de la prière, il écrit, Jacques 1, 6 : « Qu’il demande dans la foi sans hésiter. Car celui qui hésite est semblable au flot de la mer que le vent agite et fait tourbillonner ». L’idée d’hésitation, de défiance, est très bien rendue dans le texte grec par un verbe dont la signification primitive indique des jugements portés en divers sens, un va et vient perpétuel de l’esprit qui ne sait se fixer.
Mc11.24 C'est pourquoi, je vous le dis, tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez que vous l'obtiendrez et vous le verrez s'accomplir. — tout ce que vous demanderez dans la prière… Si vous pouvez être certains d’obtenir par une prière pleine de foi la puissance d’accomplir les miracles les plus étonnants, à plus forte raison obtiendrez‑vous toutes les autres choses que vous demanderez au Seigneur. — Vous le verrez s’accomplir. Cette leçon est très expressive : la prière du chrétien est à peine formulée qu’elle est déjà exaucée.
Mc11.25 Lorsque vous êtes debout pour faire votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. — Souvent il arrive que, malgré une foi très vive, on n’obtient pas les grâces demandées au Seigneur. C’est qu’on n’est pas en règle avec ses frères, qu’on nourrit au fond du cœur quelque sentiment peu charitable. Telle est la liaison des idées. — S. Marc mentionne seul en cet endroit les pensées contenues dans les vv. 25 et 26 ; S. Matthieu les passe sous silence, sans doute parce qu’il les avait déjà citées dans le Discours sur la Montagne, Matth. 6, 14-15. Elles durent revenir plus d’une fois sur les lèvres du Sauveur. — Debout pour prier. Les Juifs se tenaient habituellement debout pour prier. Cf. 1Samuel 1, 26 ; Matth. 4, 5 ; Luc 18, 11. De là le nom de מעמדות, « stations », qui servait souvent chez eux à désigner les prières, et que notre langage liturgique leur a emprunté. Parfois néanmoins ils priaient à genoux, 1 Rois 8, 54 ; Daniel 6, 10, ou prosternés, Josué 7, 6 ; 1 Rois 18, 42. — Pardonnez. Le verbe grec a le sens de : remettez, renvoyez, relâchez : Belle expression pour indiquer le pardon généreusement accordé.
Mc11.26 Si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas non plus vos offenses." — Si vous ne pardonnez pas… C’est la même idée, présentée sous une forme négative. « Terrible sentence. » s’écrie la Glose.
Mc11.27 Ils arrivèrent de nouveau à Jérusalem. Pendant que Jésus se promenait dans le temple, les Princes des prêtres, les Scribes et les Anciens s'approchèrent de lui, — De nouveau fait allusion aux deux entrées des jours précédents, vv. 11 et 15. Nous sommes encore dans la matinée du mardi de la Semaine Sainte. Cf. v. 20 — Comme Jésus se promenait dans le temple. Ce détail pittoresque est propre à S. Marc. Il nous montre Jésus, entouré des siens, se promenant sous les vastes galeries de la cour des Païens, et se mêlant aux groupes du peuple ; S. Matthieu, 21, 23, ajoute que le Sauveur ne tarda pas à prendre la parole pour enseigner la foule. — Les princes des prêtres, les scribes et les anciens. Dans cette nomenclature, nous reconnaissons les noms des trois Chambres qui formaient le Sanhédrin. Ceux qui s’approchent en ce moment de Jésus viennent donc à lui avec un mandat officiel, comme délégués de la Cour suprême des Juifs. Leur but est manifeste : ils veulent engager avec leur ennemi un combat à mort, trouver une occasion de l’arrêter et de le perdre, malgré sa popularité. La narration claire et rapide de S. Marc nous permet d’assister aux diverses péripéties de cette lutte.
Mc11.28 et lui dirent : "Par quel pouvoir faites-vous ces choses ? Qui vous a donné pouvoir de les faire ?" — La bataille s’engage par une escarmouche livrée sur le terrain des pouvoirs de Notre‑Seigneur : Par quelle pouvoir… « Qui êtes‑vous donc pour faire des choses semblables ? Est‑ce que vous vous établissez docteur ? Vous consacrez‑vous prince des prêtres ? » Théophylacte. — Faites‑vous ces choses. Ces « choses » désignent les divers actes que le Sauveur s’était permis d’accomplir dans le temple depuis la journée du dimanche, spécialement l’expulsion des vendeurs. C’est une double question que les Sanhédristes posent ici à Jésus : 1° Avez‑vous des titres personnels qui vous permettent d’agir comme vous le faites ? Êtes‑vous prophète, par exemple ? 2° A défaut de titres semblables, qui vous a conféré un pouvoir légal ?
Mc11.29 Jésus leur dit : "Je vous ferai, moi aussi, une question, répondez-moi et je vous dirai par quel pouvoir je fais ces choses. 30 Le baptême de Jean, était-il du ciel ou des hommes ? Répondez-moi." — Les délégués du Grand‑Conseil pensaient bien que Jésus serait incapable de fournir une réponse satisfaisante à ces demandes, qu’ils lui adressaient avec une certaine apparence de droit. Avec quelle noble simplicité il déjoue leurs manœuvres. — Je vous ferai, moi aussi, une question. On prétend lui faire subir un interrogatoire ; c’est lui au contraire qui va en imposer un aux orgueilleux personnages qu’il a en face de lui. — Le baptême de Jean… Jésus aurait pu demander d’une manière générale : D’où provenait la mission de Jean ? Il préféra mentionner la cérémonie qui résumait si bien le ministère du Précurseur, qui avait même valu à Jean son surnom célèbre de Baptiste. Cf. Marc 1, 4.
Mc11.31 Mais ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion : "Si nous répondons : Du ciel, il dira : Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui. 32 Si nous répondons : des hommes." Ils craignaient le peuple, car tous tenaient Jean pour un véritable prophète. — Ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion ; mieux, « entre eux ». La réponse était donc bien difficile, puisqu’elle exigeait une consultation en règle. Elle était aisée en soi ; mais, d’une part, la conduite antérieure des Sanhédristes à l’égard de Jean‑Baptiste, de l’autre la crainte de blesser la foule en parlant d’une manière défavorable de celui qu’elle vénérait comme un saint, plaçait nos Docteurs dans une cruelle perplexité. — ils craignaient le peuple, changement de personnes qui donne à la pensée un tour vif et saisissant. Il arrive plusieurs fois aux écrivains sacrés de passer ainsi du langage direct à l’indirect. Cf. Marc 2, 10 ; Matth. 9, 6 Luc 5, 24.
Mc11.33 Ils répondirent donc à Jésus : "Nous ne savons. Et moi, dit Jésus, je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses." — Les Sanhédristes mentent pour cacher leur embarras ; ils ne se reconnaissent pas froussards ouvertement et perdent par là‑même le droit d’avoir une réponse de Notre Seigneur. S’ils sont incapables de porter un jugement sur le ministère de S. Jean, ils sont incapables aussi de juger la mission de Jésus. En outre, ce que le Sauveur a fait n’a pas besoin de justification ; la nature de ses œuvres montre qu’elles proviennent d’une source divine. Au reste, dit un ancien, « obligés d’instruire celui qui cherche la vérité, nous pouvons renverser par un raisonnement vigoureux quiconque essaie de nous tendre un piège ». C’est précisément ce que nous avons vu faire à Jésus : d’un seul coup, il a déchiré le filet du sophisme.
Mc12.1 Jésus se mit donc à leur parler en paraboles. "Un homme planta une vigne, il l'entoura d'une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons et partit pour un autre pays. — Il se mit donc à leur parler en paraboles. « Après avoir cloué le bec des tentateurs par une interrogation avisée, le Seigneur fait, par une parabole, la démonstration de leur malice », Glossa. Jésus relève ainsi le gant jeté par ses adversaires et se fait agresseur à son tour. — S. Matthieu, 20, 28 - 22, 14, a conservé trois paraboles qui furent prononcées par Notre‑Seigneur dans cette circonstance mémorable : S. Marc n’en mentionne qu’une seule, celle des vignerons. Mais c’est bien la plus significative et la plus énergique. Du reste, en employant l’expression en paraboles, il montre suffisamment que, selon sa coutume, il cite en abrégé les paroles de Jésus. — Un homme planta une vigne… Tous les détails de cette description sont empruntés d’un côté aux écrits de l’Ancien Testament, de l’autre aux usages viticoles de la Palestine. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 33. La plantation de la vigne spirituelle de Dieu avait eu lieu sous Josué, quand la nation théocratique fut établie par son souverain Maître dans la terre de Canaan. Là, le Seigneur entoura son peuple de soins multiples, analogues aux opérations par lesquelles un vigneron protège et cultive un vignoble. Puis, après en avoir confié la direction aux chefs suprêmes qui le représentaient, il s’en alla dans un pays lointain. « Ce n’est pas qu’il ait changé de lieu, dit fort bien Bède le Vénérable expliquant ce passage, mais il parut s’en aller, pour laisser aux vignerons toute liberté dans leur travail ». N’oublions pas que c’est sur ces vignerons et sur leur conduite que repose l’idée même de la parabole.
Mc12.2 Le moment venu, il envoya un serviteur aux vignerons pour recevoir d'eux une part de la récolte. — Le moment venu : c’est‑à‑dire au temps de la vendange. « Lorsque le temps des fruits approcha », dit S. Matthieu. — Un serviteur. Les serviteurs envoyés successivement par Dieu auprès des vignerons, pour revendiquer ses droits de propriétaire, représentent les Prophètes de l’Ancien Testament, qui furent en effet chargés plus d’une fois de ramener dans le droit chemin les prêtres oublieux de leurs devoirs les plus sacrés. — Pour recevoir d’eux sa part des fruits. On voit par ce détail que les agriculteurs de la parabole étaient ce que l’on nomme en France des métayers, et qu’ils payaient leurs redevances en nature, non en argent. Voyez dans Pline des détails intéressants sur ce genre de location [Pline l’Ancien, Epistola, 9, 37.].
Mc12.3 Mais s'étant saisis de lui, ils le battirent et le renvoyèrent les mains vides. — ils le battirent : dans le texte grec le verbe a pour acception primitive « écorcher » ; mais il faut lui donner ici le sens dérivé de « maltraiter durement » que la Vulgate a adopté. Il s’agit en tout cas d’une injure insigne. — Et le renvoyèrent les mains vides : vides au point de vue des fruits qu’il était venu chercher.
Mc12.4 Il leur envoya encore un autre serviteur et ils le blessèrent à la tête et le chargèrent d'outrages. — Il leur envoya encore… D’après le premier Évangile, le maître de la vigne envoya successivement deux groupes de nombreux serviteurs. Cf. Matth. 21, 34-36. Suivant le récit de S. Marc et de S. Luc, les ambassades furent plus fréquentes et se composèrent seulement de serviteurs isolés, qui vinrent l’un après l’autre réclamer aux vignerons la part du propriétaire. Cette description est a la fois plus pittoresque, plus naturelle et plus conforme à la réalité des faits. — Ils le blessèrent à la tête. Théophylacte donne cette paraphrase : « Il lui infligèrent toutes sortes d’affronts qu’ils poussèrent à l’extrême ».
Mc12.5 Il en envoya un troisième, qu'ils tuèrent, beaucoup d'autres furent encore, les uns battus, les autres tués par eux. — Le premier envoyé avait été simplement battu, le second avait subi de mauvais traitements d’une nature plus grave et plus injurieuse, le troisième est mis à mort : il y a gradation dans les outrages. — Beaucoup d’autres. La phrase est elliptique. Comme il eût été trop long de signaler un à un tous les serviteurs envoyés par le maître de la vigne à ses vignerons, la parabole abrège et résume, en disant que de nombreuses et fréquentes ambassades se succédèrent de la même manière, mais sans plus de succès. Quelle longue série de prophètes Dieu n’envoya‑t‑il pas à son peuple et aux hiérarques pour les convertir. Mais ils furent pour la plupart affreusement traités. Citons seulement les plus célèbres : Élie injurié par Jézabel, 1 Rois 19, 2 (cf. 1Rois 18, 13) ; Michée emprisonné par Achab, 1 Rois 22, 24‑27 ; Élisée menacé par Joram, 2 Rois 6, 31 ; Zacharie lapidé sur les ordres de Joas, 2Chroniques 24, 21 ; Jérémie lapidé par ses compatriotes en Égypte ; Isaïe scié avec une scie de bois d’après la tradition juive, etc., etc.
Mc12. 6 Il restait au maître un fils unique qui lui était très cher, il l'envoya aussi vers eux le dernier, se disant : Ils respecteront mon fils. — un fils unique… Cette manière touchante et délicate d’introduire sur la scène le fils du maître de la vigne est propre à S. Marc. Tous les mots portent : un fils unique, qui lui était très cher : ce n’est plus un serviteur, mais un fils et ce fils est unique, et par conséquent bien‑aimé. À plusieurs reprises, Marc 1, 11 ; 9, 6, nous avons entendu la voix de Dieu appeler Notre‑Seigneur Jésus‑Christ son « fils bien‑aimé ». — Il l’envoya : sans hésiter, quoiqu’il sût d’avance quel sort lui était réservé ; mais il l’envoya le dernier, comme le dernier de tous ses ambassadeurs. Cf. Hébreux 1, 2. Après l’avertissement porté par Jésus aux Juifs, il n’y en aura plus d’autre : les coupables seront simplement condamnés et punis. — Les six premiers versets sont la partie historique de la parabole, c’est‑à‑dire la partie qui s’était déjà réalisée au moment où Notre‑Seigneur parlait aux Pharisiens ; les vv. 7‑9 contiennent au contraire la partie prophétique.
Mc12.7 Mais ces vignerons dirent entre eux : Celui-ci est l'héritier, venez, tuons-le et l'héritage sera à nous. — Dès qu’ils aperçurent le fils de leur maître venant au‑devant d’eux, les vignerons formèrent un horrible projet, qui devait mettre le comble à leurs atrocités antérieures. — Celui-ci est l’héritier. Ils agissent, on le voit, en pleine connaissance de cause. Ils savent que celui qui vient à eux comme un messager de pardon est le fils et l’héritier ; mais c’est là pour eux un nouveau motif de lui donner la mort. Ils espèrent, les insensés, que l’héritage leur appartiendra ensuite pleinement.
Mc12.8 Et ils se saisirent de lui, le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne. — Se saisirent de lui, le tuèrent. Le verset précédent nous avait fait entendre le langage cynique et barbare des vignerons ; celui‑ci nous les montre à l’œuvre et réalisant leur affreux dessein. Ce tableau est vraiment tragique. — Et le jetèrent hors de la vigne. D’après les deux autres récits, les bourreaux avaient entraîné leur victime hors de la vigne avant de lui porter le coup fatal ; ici, c’est son cadavre qu’ils jettent par‑dessus la haie que le propriétaire avait si soigneusement plantée.
Mc12.9 Maintenant que fera le maître de la vigne ? Il viendra, il exterminera les vignerons et donnera sa vigne à d'autres. — Que fera le maître… Jésus adressa cette question à ses adversaires, afin de leur faire formuler eux‑mêmes leur sentence. Cf. Matth. 21, 40-41. Les paroles qui suivent, Il viendra, et fera périr…, furent donc proférées par les Sanhédristes. Elles contiennent une menace terrible, annonçant d’un côté que la vigne sera violemment enlevée aux vignerons perfides, de l’autre que ces misérables seront personnellement l’objet des justes vengeances du propriétaire : deux points qui ne tardèrent pas à se réaliser.
Mc12.10 N'avez-vous pas lu cette parole de l'Écriture : La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre d’angle : 11 c'est le Seigneur qui a fait cela et c'est une merveille à nos yeux ?" — Application de la parabole, à l’aide d’un texte biblique qui rend la pensée de Jésus tout à la fois plus solennelle et plus transparente. Voyez les détails dans l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 42. — Cette parole de l’Écriture, ce passage écrit dans nos saints Livres [Psaumes 117, 22 ; Isaïe 28, 16 ; Actes 4, 11 ; Romains 9, 33 ; 1 Pierre 2, 7]. Les hiérarques avaient très bien répondu ; mais ils ignoraient peut‑être, ou du moins ils affectaient d’ignorer qu’ils étaient eux‑mêmes les vignerons de la parabole, menacés, à cause de leur conduite indigne, des châtiments les plus graves du Seigneur. Le Sauveur, par ce texte bien connu d’un Psaume que tout le monde regardait comme messianique, leur montre que c’est eux qu’il a eus en vue dans son allégorie. — La pierre d’angle. Jésus est la pierre angulaire qui unit deux murs séparés : « La pierre angulaire, en effet, réunit deux murs qui vont en sens divers. Et qu'y a‑t‑il de plus divers que la circoncision et la gentilité ? Ce sont deux murs qui viennent, l'un de la Judée, et l'autre du milieu des nations, et ils se joignent à la pierre angulaire » [Saint Augustin d’Hippone, Sermo 88, 10.].
Mc12.12 Et ils cherchaient à se saisir de lui, sachant qu'il les avait en vue dans cette parabole, mais ils craignaient le peuple et le laissant, ils s'en allèrent. — Description de l’effet produit sur les hiérarques par ces dernières paroles de Jésus. Ce fut comme de l’huile jetée sur du feu. Comprenant alors que la parabole des vignerons les désignait, les condamnait, ils devinrent furieux, exaspérés. Aussi auraient‑ils exécuté sans retard les noirs complots qu’ils avaient depuis longtemps tramés contre Jésus, si un puissant obstacle ne les eût arrêtés pour la seconde fois : ils craignirent la foule. Cf. Marc 11, 18 ; Luc 20, 19. Ils remirent donc à une occasion plus propice la satisfaction de leur vengeance. En attendant, ils s’en vont, sans avoir appris ce qu’ils voulaient savoir (cf. Marc 11, 27 et ss.), et après avoir appris ce qu’ils auraient préféré ne pas connaître.
Mc12.13 Alors ils lui envoyèrent quelques-uns des Pharisiens et des Hérodiens pour le surprendre dans ses paroles. — Quoique éconduits honteusement, et quoique incapables d’en venir sur l’heure aux voies de fait à l’égard de leur ennemi, les Sanhédristes essaient pourtant encore, par des questions captieuses, d’amoindrir son autorité devant le peuple. Ne pouvant plus se présenter en personne après les scènes humiliantes que nous venons de lire, ils se font remplacer par une députation, composée de Pharisiens choisis parmi leurs disciples (cf. Matth. 22, 16) et d’un certain nombre d’Hérodiens. Voyez sur ces derniers la note de Marc 3, 6, et l’Évangile selon S. Matthieu, 22, 15. — Pour le surprendre… ; dans le grec, une expression qui fait image, car elle signifie littéralement : « afin qu’ils lui fissent la chasse » [Cf. Henri Étienne, Dictionnaire grec‑français, s. v. ἀγρεύω.]. S. Matthieu emploie une figure analogue (« le surprendre ».
Mc12.14 Ceux-ci étant venus, lui dirent : "Maître, nous savons que vous êtes véridique et n'avez souci de personne, car vous ne considérez pas l'extérieur des hommes, mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? Devons-nous payer, ou non ?" — Nous savons que vous êtes véridique… Nicodème, l’un des membres les plus illustres du grand Conseil, avait autrefois adressé à Notre‑Seigneur des compliments analogues à ceux‑ci, cf. Jean 3, 2 ; mais il parlait en toute sincérité. Actuellement au contraire, nous n’entendons que des flatteries hypocrites. « Ils l’interrogeaient avec des paroles cauteleuses, et ils l’entouraient comme les abeilles qui apportent du miel dans la bouche, mais un dard dans le dos » [Pseudo‑Hieron., ap. Caten. D. Thom.]. — Après ce préambule insidieux, vient la question : Est‑il permis de payer le tribut à César… ? On avait précédemment tendu des pièges au Sauveur sur le domaine religieux ; cette fois on essaie de l’embarrasser sur le terrain dangereux de la politique. Il y eut donc deux interrogations successives, la première générale et théorique : Est‑il permis de payer le tribut à l’empereur romain ? La seconde particulière et pratique : Nous, peuple théocratique, nous acquitterons‑nous de cet impôt ? Cette rédaction est propre à S. Marc. Les Pharisiens, ennemis de Rome, et les Hérodiens, chauds partisans de l’empire, se présentent donc à Jésus comme s’ils avaient discuté sur ce point délicat sans pouvoir s’accorder, et comme s’ils venaient l’établir arbitre de leur querelle, prêts à s’en rapporter à sa décision. Mais en réalité, dit Théophylacte, « cette parole était tout artifice, et elle avait un précipice de chaque côté ; car, si Jésus répondait : Il faut payer le cens à César, on excitait contre lui le peuple, en le lui présentant comme voulant le réduire en servitude ; s’il disait au contraire que cela n’était pas permis, on l’accusait de soulever le peuple contre César », et les Hérodiens étaient là pour le livrer aux autorités romaines.
Mc12.15 Connaissant leur perfidie, il leur dit : "Pourquoi me tentez-vous ? Apportez-moi un denier, que je le voie." — Connaissant leur perfidie. C’était là en effet l’œuvre d’une hypocrisie consommée. S. Matthieu et S. Luc emploient d’autres expressions, « astuce, fourberie », et « adresse, ruse ». Ces petites variantes sont intéressantes à étudier. — Pourquoi me tentez‑vous ? Jésus prouve, par cette parole, qu’il n’est pas dupe de leur malice. — Apportez‑moi un denier. Le verbe apportez‑moi paraît supposer que les Pharisiens tentateurs n’avaient pas sur eux le denier demandé : d’aussi saints personnages auraient sans doute craint de se profaner en portant habituellement dans leur bourse une pièce de monnaie couverte de symboles et de titres païens. Mais ils n’avaient qu’à faire quelques pas pour aller la demander à l’un des changeurs du temple.
Mc12.16 Ils le lui apportèrent et il leur dit : "De qui sont cette image et cette inscription ? De César", lui dirent-ils. — De qui est cette image ? Les traits gravés sur la monnaie que Jésus tenait alors dans ses mains divines sont bien connus des antiquaires et des numismates. On en trouverait difficilement de plus beaux, mais on en trouverait difficilement aussi de plus cruels parmi les nombreuses effigies qui nous restent des empereurs romains. — Et cette inscription. Cette inscription était conçue dans le style pompeux de l’épigraphie latine : « Tiberius Cæsar Divi Augusti filius, Augustus, Imperator, etc ».
Mc12.17 Alors Jésus leur répondit : "Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu." Et ils étaient très étonnés à son sujet. — La pensée de Jésus est extrêmement claire. Ce denier vient de Rome, veut‑il dire, qu’il retourne à Rome. Sa présence en Judée prouve les droits du gouvernement romain sur la Judée ; soyez donc les fidèles sujets de César. La réponse de Notre‑Seigneur, présentée sous cette forme, était non seulement d’une vérité indiscutable ; mais les plus fougueux Zélotes n’y pouvaient rien trouver à reprendre. Si les Juifs avaient suivi le conseil qu’elle contenait, ils auraient évité une affreuse guerre avec Rome, la ruine de Jérusalem, du temple et de leur nation. — Et à Dieu ce qui est à Dieu. Si César peut exiger qu’on lui rende ce qui lui appartient, à plus forte raison Dieu a‑t‑il droit que l’homme, marqué à son image et à sa ressemblance, n’oublie pas ses devoirs envers lui. — Que de lumière dans ces quelques paroles de Jésus. Combien de rapports délicats elles pourraient régler, si des politiques anti‑chrétiens voulaient se laisser régler ? — Notons que chacun des deux partis qui étaient venus tenter Jésus reçoit ici la leçon qui lui convient. Les Pharisiens refusaient à César ce qui lui était dû ; les Hérodiens donnaient bien peu de chose à Dieu : aux uns et aux autres d’importants devoirs sont ainsi rappelés. — Et ils étaient très étonnés. Jésus avait parlé comme un nouveau Salomon : chacun admire donc justement sa sagesse.
Marc 12, 18‑27. Parall. Matth. 22, 23‑33 ; Luc 20, 27‑40. S. Marc raconte cet épisode à peu près dans les mêmes termes que S. Matthieu. Nous renvoyons donc le lecteur, pour l’explication détaillée, à notre commentaire sur l’Évangile selon S. Matthieu, 22, 23.
Mc12.18 Des Sadducéens, qui nient la résurrection, l'abordèrent ensuite et lui firent cette question : — Des Sadducéens ; ce qui est conforme au récit de S. Luc, où nous lisons : « Quelques‑uns des sadducéens ». Naturellement, ce n’est qu’une députation du parti sadducéen que nous trouvons en ce moment aux prises avec Jésus. Sur cette secte puissante, placée, dans le Judaïsme d’alors, aux antipodes de celle des Pharisiens, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 3, 7. — Qui nient la résurrection. Les Sadducéens étaient en effet les matérialistes du temps et du pays.
Mc12.19 "Maître, Moïse nous a prescrit que, si un frère meurt, laissant une femme sans enfants, son frère doit prendre sa femme et susciter des enfants à son frère. — Les Pharisiens avaient posé deux questions au Sauveur, l’une dogmatique, Marc 11, 28, l’autre politique, Marc 12, 14 : les Sadducéens ramènent la discussion sur le terrain du dogme. Le piège qu’à leur tour ils viennent tendre au Sauveur est d’abord habilement masqué par eux derrière un ordre de Moïse, v. 19, puis dissimulé plus habilement encore sous un cas de conscience qu’ils inventent pour la circonstance et qu’ils proposent avec beaucoup d’esprit, vv. 20‑23.
Mc12.20 Or, il y avait sept frères, le premier prit une femme et mourut sans laisser d'enfants. 21 Le second la prit ensuite et mourut aussi sans laisser d'enfants. Il en arriva de même au troisième, 22 et chacun des sept la prit et ne laissa pas d'enfants. Après eux tous, mourut aussi la femme. — Après avoir rappelé à Jésus la « loi du Lévirat » telle que l’avait décrétée Moïse [Deutéronome 25,5-10], les Sadducéens démontrent d’une manière piquante qu’elle est, suivant eux, tout à fait inconciliable avec le dogme de la résurrection. — Il y avait sept frères. Cette anecdote est racontée par S. Marc avec beaucoup de vie et de rapidité : les détails reçoivent en outre dans sa narration quelques développements plus complets que dans les deux autres Évangiles.
Mc12.23 Eh bien, dans la résurrection, lorsqu'ils seront ressuscités, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme ? Car les sept l'ont eue pour femme." — Les sept frères auraient en effet des droits égaux sur la femme en question.
Mc12.24 Jésus leur répondit : "N'êtes-vous pas dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ? — Les Sadducéens frivoles avaient pensé créer, à Jésus une difficulté inextricable par ce raisonnement par l’absurde qui terminait étrangement leur cas de conscience. Mais ce sont eux, et non pas lui, qui vont se trouver humiliés. — N’êtes‑vous pas dans l’erreur… ? Tournure propre à S. Marc. C’est une interrogation à la façon des Hébreux, destinée à exprimer une forte affirmation. Sans répondre directement à la question que lui avaient posée ses adversaires, Notre‑Seigneur ne craint pas de leur dire qu’ils sont tombés dans une erreur vraiment énorme, et cela par suite de leur profonde ignorance : d’une part ils ne connaissent pas les Saintes Écritures, d’autre part il ne se font pas une idée exacte de la toute‑puissance de Dieu.
Mc12.25 Car, une fois ressuscités des morts, les hommes ne prennent pas de femmes, ni les femmes de maris, mais ils sont comme les anges dans le ciel. — Revenant sur son assertion du v. 24. Jésus en démontre la vérité par deux raisonnements qui correspondent à chacune des deux parties qu’elle renfermait. — une fois ressuscités des morts… Les hommes ne prennent pas de femmes… Ici‑bas, le mariage a été institué en vue de perpétuer la famille humaine, qui, sans lui, ne tarderait pas à s’éteindre ; mais au ciel, où il n’y aura pas de vides créés par la mort, cette institution n’aura aucune raison d’être. Les Sadducéens se trompent donc en prenant les faits de la vie présente pour modèle de ce qui aura lieu dans la vie future, comme si Dieu ne pouvait rien changer à l’état actuel des hommes. — Ils sont comme les anges. Ces paroles contiennent l’une des rares révélations positives qui nous ont été faites sur notre manière d’être dans l’autre vie. Nous ne pourrions souhaiter rien de plus honorable.
Mc12.26 Et touchant la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu dans le livre de Moïse, au passage du Buisson, ce que Dieu lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? 27 Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Vous êtes donc grandement dans l'erreur." — Second raisonnement, et preuve que les Sadducéens ignorent les Écritures. S’ils connaissaient mieux la Bible, ne sauraient‑ils pas qu’elle renferme des textes très frappants en faveur de la résurrection, notamment celui où le Seigneur s’appelle le Dieu des trois illustres fondateurs de la nation juive ? Dieu, voulant prendre un titre glorieux, se serait‑il bien nommé le Dieu de quelques ossements réduits en poussière depuis plusieurs siècles ? C’est ce qu’il faudrait dire dans le cas où les Sadducéens auraient raison. Mais non, ils se trompent au contraire grossièrement. Jésus le leur répète à la fin de son argumentation. Ils s’étaient appuyés sur le nom et sur l’autorité de Moïse pour embarrasser le Sauveur : celui‑ci invoque le même nom et la même autorité pour les réfuter et les confondre. — L’expression au passage du buisson, commune à S. Marc et à S. Luc, a été souvent mal comprise. Elle ne désigne pas le lieu célèbre auprès duquel Dieu apparut à Moïse, mais l’endroit de l’Exode où se trouve le texte cité par Notre‑Seigneur. Il faut donc la rattacher à « lu », et non à « dit ». Les anciens, n’ayant pas encore de divisions en chapitres et en versets, ne pouvaient renvoyer l’auditeur ou le lecteur à tel ou tel passage des livres qu’ils citaient, que par une indication tirée du sujet, d’une de ses circonstances principales, etc. C’est ainsi que les Juifs donnaient au chapitre 3 de l’Exode, à Ézéchiel 1, 15‑28, à 2Samuel 1, 17‑27, les noms de Buisson, de Chariot, d’Arc. Comparez Romains 11, 2, où saint Paul emploie les mots « dans l’histoire d’Élie » pour désigner la section des Saints Livres relative à Élie. Certaines parties des poésies d’Homère sont souvent indiquées de la même manière.
Marc 12, 28‑34. Parall. Matth. 22, 34‑40 : Le récit de S. Marc est ici beaucoup plus complet que celui de S. Matthieu. Il abonde en traits nouveaux, tellement nouveaux parfois qu’on a crié à la contradiction dans le camp rationaliste. Nous apprécierons plus bas cette accusation.
Mc12.28 Un des Scribes, qui avait entendu cette discussion, voyant que Jésus avait bien répondu, s'approcha et lui demanda : "Quel est le premier de tous les commandements ?" — Un des scribes… Détails pittoresques. Ce Scribe, mêlé à la foule, avait assisté sinon à toutes les discussions que Jésus venait de soutenir contre ses adversaires, du moins à celle qui s’était livrée en dernier lieu, vv. 18‑27. Charmé des réponses du jeune Docteur, il s’avance respectueusement jusqu’à lui et lui pose à son tour une question délicate, vivement débattue dans les écoles juives (voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 22, 35) : Quel était le premier de tous les commandements.
Mc12.29 Jésus lui répondit : "Le premier de tous est celui-ci : Écoute Israël : le Seigneur notre Dieu, est seul le Seigneur. 30 Tu aimeras donc le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. C'est là le premier commandement. — À l’interrogation du docteur, Jésus répond de la manière la plus simple, par une citation de la Bible. Vous me demandez quel est le premier commandement. Pour vous le dire, je n’ai qu’à vous rappeler une parole de Moïse : Écoute, Israël ; le Seigneur ton Dieu… Ces paroles d’introduction, que S. Marc a seul conservées, sont célèbres dans le Judaïsme, où elles sont devenues comme l’expression populaire et condensée de la foi d’Israël. On les nomme le Schema (שמע, écoute) : c’est par elles que commence la prière du matin et du soir, et les Juifs aiment à les répéter en guise d’exclamation : Schema Israel.[Moïse Schwab, Traité des Berachoth, p. 177.] — Et tu aimeras le Seigneur ton Dieu… S’il n’y a qu’un seul Dieu, nous devons l’aimer sans partage, de toutes les puissances de notre âme. C’est ce qu’exprime énergiquement la longue nomenclature de tout ton cœur, etc. Dans le passage du Deutéronome cité par Jésus, on ne lit que trois substantifs : מאד, נפש, לב, cœur, âme et force. Les Septante traduisent exactement le second et le troisième ; ils rendent le premier par « esprit, pensée ». Notre‑Seigneur, d’après S. Marc, fondit ensemble le texte et la version, en ajoutant un quatrième substantif emprunté à cette dernière : ta force. S. Matthieu l’omet. — Tout, dans l’homme, doit donc aimer Dieu : le cœur d’abord, puisque c’est l’organe de l’amour ; mais aussi l’âme et l’esprit, c’est‑à‑dire les facultés intellectuelles ; mais aussi la force, c’est‑à‑dire l’ensemble de nos énergies et de nos puissances. Voyez Théophylacte, h. l.
Mc12.31 Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là." — On n’a demandé au Sauveur qu’un seul commandement, et voici qu’il en mentionne deux. Mais il existe entre le précepte de l’amour de Dieu et celui de la charité fraternelle une telle cohésion, qu’ils ne forment en réalité qu’un seul et même commandement, qui est l’alpha et l’oméga de la Loi.
Mc12.32 Le Scribe lui dit : "Bien, Maître, vous avez dit selon la vérité que Dieu est unique et qu'il n'y en a pas d'autre que lui, 33 et que l'aimer de tout son cœur, de tout son esprit, et de toute sa force et aimer son prochain comme soi-même, c'est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices." — Le Scribe avait admiré les réponses antérieures de Jésus ; celle‑ci ne le frappe pas moins par sa vérité, par sa bonté. Il adresse donc tout d’abord à Notre‑Seigneur un éloge public. Puis, non content d’approuver publiquement sa décision, il la répète avec emphase, qu’il n’y a qu’un seul Dieu… et qu’on doit l’aimer…, en y ajoutant une conclusion, ...quelque chose de plus grand…, qui montre qu’il en a très bien saisi le sens et la portée. Lui aussi, il cite librement le texte du Deutéronome, car il insère dans la série des facultés humaines qui doivent aimer Dieu « l’intelligence » (traduit ici par esprit), de même que Jésus y avait inséré « la force ».
Mc12.34 Jésus, voyant qu'il avait répondu avec sagesse, lui dit : "Tu n'es pas loin du royaume de Dieu." Et personne n'osait plus lui poser de questions. — Dans la parole adressée au Scribe par Notre‑Seigneur, Tu n’es pas loin du royaume de Dieu, de Wette et d’autres exégètes veulent voir une litote, mais à tort ; en effet, ce Docteur de la Loi, bien qu’il eût manifesté des sentiments très sympathiques à la personne de Jésus, ne croyait pas encore en son caractère messianique et divin, ce qui était nécessaire pour faire partie du Royaume de Dieu. Néanmoins la scène qui précède a suffisamment montré qu’il était sur le seuil de l’Église, et qu’il n’avait plus qu’un pas à faire pour devenir un citoyen du Royaume des cieux. De là cette parole encourageante, par laquelle Jésus le presse d’acquérir ce qui lui manque et de devenir un chrétien complet. « Si tu n’es pas un étranger, entre. Autrement, cela prouvera que tu en es un ». — Arrivons maintenant à la difficulté que nous avons annoncée au début de cet épisode. S. Matthieu et S. Marc ne se contredisent‑ils pas ? D’après le premier Évangile, le Scribe nous est ouvertement présenté comme un ennemi de Jésus : « Les Pharisiens, apprenant que Jésus avait réduit les Sadducéens au silence, se réunirent, et l’un d’eux, Docteur de la Loi, l’interrogea pour le tenter ». Matth. 22, 34‑35. Dans le second Évangile au contraire, non seulement ce Scribe ne paraît avoir eu aucune intention hostile, mais il admire Notre‑Seigneur, v. 28, il le comble d’éloges, v. 32, et mérite d’en être loué à son tour. N’est‑ce pas le oui et le non sur un même point ? Assurément, pour quiconque cherche et veut trouver quand même des contradictions dans les récits évangéliques, les variantes que nous venons de signaler en fourniront une qu’on peut faire valoir sans beaucoup de peine ; mais nous nions qu’elle existe pour les esprits sérieux, impartiaux, non imbus de préjugés dogmatiques. On concilie aisément les deux récits en disant que les Évangélistes envisagent l’incident à deux points de vue distincts. Ce qui a frappé surtout S. Matthieu, c’est le motif qui conduisit le Scribe auprès de Jésus : de fait, il se présentait pour tendre un piège à Notre‑Seigneur ; nous le voyons agir tout d’abord comme le champion des Pharisiens, quoiqu’il ne partageât ni toute leur haine contre Jésus, ni toutes leurs idées étroites en fait de religion. C’est précisément ce côté recommandable du Docteur, son impartialité, le courage avec lequel il reconnut la vérité, que S. Marc a voulu mettre en relief. De là les couleurs différentes des deux narrations. Mais, en réunissant ces traits épars, on obtient un tableau très unique, où tout s’accorde parfaitement. — Et personne n’osait plus lui poser de questions… Tel fut le résultat de ces nombreuses attaques dirigées coup sur coup contre le Sauveur par ses ennemis. Elles aboutirent pour eux à un échec complet. Naguère si audacieux, les voilà maintenant intimidés, réduits au silence. Qui aurait osé désormais se mesurer avec Celui qui avait ainsi triomphé des prêtres et des rabbins ?
Mc12.35 Jésus, continuant à enseigner dans le temple, dit : "Comment les Scribes disent-ils que le Christ est fils de David ? — Jésus, continuant à enseigner. Tous les adversaires de Jésus se taisent. Pour lui, il prend la parole afin de rendre leur défaite plus complète. Il les humilie d’abord en leur posant un problème qu’ils sont incapables de résoudre, vv. 35‑37 ; puis, il met le peuple en garde contre ces guides hypocrites, vv. 38‑40. La scène continue donc de se passer sous les galeries du temple, par conséquent en face de la foule, que les discussions précédentes avaient attirée auprès de Jésus et de ses ennemis. Ce trait est propre à S. Marc. — Comment les scribes disent‑ils… C’est‑à‑dire : « Comment les scribes peuvent‑ils affirmer que le Christ est le fils de David ? » Remarquez la différence qui existe ici entre les récits du premier et du second Évangile. Contre l’ordinaire, c’est S. Matthieu qui est le plus pittoresque, le plus complet ; il décrit l’incident sous la forme d’un dialogue qui eut lieu entre Jésus et les Pharisiens. S. Marc abrège, et présente le fait comme si c’eût été une simple question adressée au peuple par Notre‑Seigneur touchant l’enseignement des Scribes. La narration de S. Luc tient le milieu entre les deux autres.
Mc12.36 Car David lui-même parle ainsi par l'Esprit-Saint : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds. — David lui‑même. Le pronom « lui‑même » est emphatique. De même au verset suivant. David, parlant dans le Ps 109 (108 d’après l’hébr.) comme un prophète inspiré, et donnant au Messie le titre de Mon Seigneur, ne contredit‑il pas l’assertion des Scribes ? Est‑il possible en effet qu’on soit en même temps le fils et le Seigneur de quelqu’un ? Telle est l’objection proposée par Jésus. Voyez l’explication détaillée dans l’Évangile selon S. Matthieu, 22, 43.
Mc12.37 David lui-même l'appelle Seigneur, comment donc est-il son fils ?" Et la foule nombreuse prenait plaisir à l'entendre. — Comment donc est‑il son fils ? Renan ose affirmer que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, par cette argumentation, répudie pour ce qui le concerne toute prétention à une origine davidienne. Un autre rationaliste, M. Colani, a été ou plus clairvoyant, ou plus sincère, quand il a dit : « Ce raisonnement de Jésus n’est pas un argument frivole et des plus subtils, destiné à jeter les Scribes à leur tour dans l’embarras, comme ils ont essayé de l’y jeter à plusieurs reprises. Ce n’est pas un tour de sophiste. S’appuyant sur un passage d’un psaume, qu’il interprète comme les Scribes eux‑mêmes, il déclare que le Messie doit être infiniment plus grand qu’un David, qu’un roi temporel » [Thimothée Colani, Jésus‑Christ et les croyances messianiques de son temps, p. 105.]. En effet, infiniment plus grand, puisqu’il est vraiment Fils de Dieu. Telle est la clef de l’énigme : David appelle le Christ son Seigneur, bien qu’il dût être son fils d’après la nature humaine, parce qu’il devait participer en même temps à la nature divine. Ainsi donc, les Scribes n’ont pas tort, et le prophète royal a raison. — la foule nombreuse prenait plaisir à l'entendre. Beau trait, que nous ne trouvons que dans le second Évangile. La foule extrêmement nombreuse s’était groupée autour de Jésus. Le peuple, qui a si facilement le sens du vrai et du divin, était donc charmé par l’éloquence du Sauveur, suspendu à ses lèvres, comme l’on dit. Les Pharisiens s’étaient pourtant proposé de le rendre hostile à Jésus ; c’est le contraire qui est arrivé.
Mc12.38 Il leur disait encore dans son enseignement : "Gardez-vous des Scribes qui aiment à se promener en longues robes, à recevoir les salutations dans les places publiques, 39 les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les festins : — « Après avoir réfuté les Scribes et les Pharisiens, Jésus brûle, ainsi qu’avec du feu, ces modèles arides » [Saint Jérôme de Stridon, in Matth.]. Feu brûlant, en vérité, qui réduit en cendres le masque de la sainteté pharisaïque. Mais S. Marc n’a conservé qu’un court extrait du long discours, tout parsemé d’anathèmes, que nous avons lu dans S. Matthieu (voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 23, 1). Le réquisitoire de Jésus contre les Pharisiens avait moins d’importance pour les lecteurs du second Évangile que pour ceux du premier. Néanmoins, les quelques lignes citées par notre Évangéliste résument fort bien, la pensée du Sauveur, en nous présentant les vices les plus saillants et les plus caractéristiques de la secte orgueilleuse, avare, hypocrite. — Dans son enseignement. Cf. Marc 4, 2. — Gardez‑vous des scribes. C’est le mot d’ordre. Défiez‑vous de vos Docteurs. Prenez garde à leurs mauvais exemples, qui pourraient vous entraîner au mal. Les détails qui suivent justifient cette recommandation de Jésus, donnent la raison de cet ostracisme. — Qui aiment… Le Sauveur attaque d’abord l’orgueil pharisaïque. Quatre traits pittoresques nous montrent les Scribes superbes en quête de toute sorte d’honneurs. — Se promener vêtus de longues robes. La « stola » était une sorte de robe longue et flottante, qu’on portait autrefois aussi bien en Occident qu’en Orient. Les Pharisiens aimaient à donner à ce vêtement de vastes dimensions, pour mieux attirer par là l’attention du public. — Être salués sur la place publique. Ces vaniteux personnages voulaient que tout le monde s’inclinât profondément devant eux. Ils avaient même porté des décrets dans ce but. — Il leur fallait aussi les premiers fauteuils dans les synagogues, les premiers divans dans les festins, c’est‑à‑dire les places les plus honorables dans les assemblées soit sacrées, soit profanes.
Mc12.40 ces gens qui dévorent les maisons des veuves et font par ostentation de longues prières, subiront une plus forte condamnation." — Jésus flétrit en second lieu l’avarice des Scribes. — Qui dévorent les maisons des veuves. Crime déjà bien révoltant en lui‑même, mais aggravé encore par une circonstance qui y ajoutait la malice d’un sacrilège, sous prétexte de longues prières. — Ils subiront une condamnation plus sévère. Dieu, s’il est permis de parler ainsi, sera prolixe dans son jugement à l’égard des Scribes, de même qu’ils auront fait semblant de l’être dans leurs prières impures.
Mc12.41 S'étant assis vis-à-vis du Tronc, Jésus considérait comment le peuple y jetait de la monnaie, plusieurs riches y mettaient beaucoup. — L’Évangéliste décrit d’abord la situation. Quel vivant tableau il trace par quelques mots. Le temple et ses cours, Jésus assis sous le portique, la multitude bigarrée des pèlerins qui vient jeter ses aumônes dans les troncs : c’est tout un monde que S. Marc place ainsi sous nos yeux. — S’étant assis. Son discours terminé, Notre‑Seigneur s’était donc retiré du milieu de la foule et était venu se reposer sur un des bancs placés dans la cour des païens. — Vis‑à‑vis du Tronc. Le « gazophylacium », nom formé du mot persan grécisé γάζα, trésor, et de φυλάσσειν, garder, servait à désigner tantôt le trésor au temple [cf. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 19, 6, 1], tantôt les troncs destinés aux offrandes, qui se trouvaient dans les divers parvis. Il a ici cette seconde signification. C’est en face de l’un de ces troncs que Jésus était alors assis. — Jésus considérait : il regardait avec attention, il examinait la scène qu’il avait sous les yeux. — Comment la foule y jetait de l’argent… Les Juifs étrangers, venus en grand nombre à Jérusalem pour la Pâque, apportaient tour à tour leurs aumônes volontaires. — Beaucoup de riches en jetaient beaucoup. Il y a dans ces mots une emphase visible. On croirait voir ces riches faisant tomber avec ostentation leurs généreuses offrandes dans le tronc.
Mc12.42 Une pauvre veuve étant venue, elle y mit deux petites pièces, valant ensemble le quart d'un as.— Mais quelle antithèse. Voici qu’au milieu de la foule s’avance une pauvre veuve, qui, elle aussi, veut donner quelque chose pour le temple. « Une » et « pauvre » sont évidemment opposés à « beaucoup de riches » au v. 41. Les mots suivants, y mit deux petites pièces, sont de même opposés à « en jetaient beaucoup ». Mais que sont ces pièces (en latin, un « minutum », ou mieux un λεπτὸν, puisque telle est l’expression employée dans le texte grec) ? S. Marc l’explique à ses lecteurs romains, en disant que deux lepta équivalaient au quadrans latin. Or le « quadrans » était, comme son nom l’indique, le quart d’un as, et l’as ne valant que 1/16 de denier. Un denier était le salaire d’une journée de travail.
Mc12.43 Alors Jésus, appelant ses disciples, leur dit : "Je vous le dis, en vérité, cette pauvre veuve a donné plus que tous ceux qui ont mis dans le Tronc. — Jésus, appelant ses disciples. Jésus ne veut pas laisser passer ce bel exemple sans en tirer une leçon pour ses disciples. C’est dans ce but qu’il les appelle auprès de lui. — Cette pauvre veuve a plus donné… « Il est dit de la veuve qu’elle a donné plus que tous, non si tu considères la grandeur de l’offrande, mais la charité et le dénuement de la pauvresse. Car les deux petites pièces de monnaie de la pauvre veuve avaient plus de valeur que les millions du riche. Et elle manifestait plus d’amour envers Dieu en lui donnant les seules pièces qui lui restaient pour vivre, que n’en a montré le riche avec son immense somme d’argent ». Maldonat. C’est donc par comparaison et d’une manière relative que Jésus attribue à l’obole de la veuve une valeur supérieure aux riches offrandes des autres donateurs. — Qui ont mis dans le tronc. Les gens continuaient d’apporter leurs aumônes sous les yeux de Jésus et des Apôtres.
Mc12.44 Car tous ont mis de leur superflu, mais cette femme a donné de son nécessaire, tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre." — Le Sauveur explique maintenant son étonnante assertion. Les autres ont donné de leur abondance, de leur superflu : cette pauvre veuve a donné au contraire de son indigence. Aux autres il est donc resté plus ou moins : à cette veuve il n’est absolument rien resté. — Tout ce qu’elle possédait : elle ne s’est pas même réservé un lepton. — Tout ce qu’elle avait pour vivre est une apposition emphatique à Tout ce qu’elle possédait. Le grec porte littéralement : « toute sa vie ». — Une grande leçon se dégage de ce gracieux épisode, par lequel se termine si suavement le ministère public de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ : « Non pas combien, mais de combien ». Beaucoup d’âmes l’ont comprise. Du haut du ciel, comme autrefois dans la cour du temple, Jésus voit et bénit ces pauvres, qui font preuves de grandes générosités. Dieu pèse les intentions bien plus que la quantité même de nos offrandes, il considère moins la matière de notre sacrifice que la disposition généreuse de celui qui l’offre.
13, 1-37. Parall. Matth. 24, 1‑51 ; Luc 21, 5‑36.
Mc13.1 Comme Jésus sortait du temple, un de ses disciples lui dit : "Maître, voyez quelles pierres et quelles constructions." — Comme il sortait du temple. Le soir venu (ces choses se passaient encore dans la journée du mardi saint), Jésus quitta le temple comme aux deux jours précédents, pour se retirer à Béthanie. Mais il y avait alors cela de remarquable, qu’il le quittait pour n’y plus revenir. Le prophète Ézéchiel, à la fin d’une vision terrible, Ézéchiel 11, 22-23, raconte comment il vit Dieu abandonner le temple et la cité de Jérusalem devenus indignes de lui : « Alors les Kéroubim levèrent leurs ailes, les roues auprès d’eux ; la gloire du Dieu d’Israël était au‑dessus d’eux. La gloire du Seigneur s’éleva du milieu de la ville et s’arrêta sur la montagne qui est à l’est de la ville. ». De même, en cet instant, le Messie répudie son palais, sa capitale et son peuple. — Un des disciples. S. Marc, plus précis que les deux autres synoptiques, attribue la réflexion qui suit à un seul des Apôtres. — Maître, regardez… Jésus et les siens descendaient probablement alors les degrés qui conduisaient à la vallée du Cédron. C’est de ce côté que les murs du temple présentaient l’aspect le plus imposant. On y voit encore plusieurs de ces pierres gigantesques qui suscitaient l’admiration des disciples. L’historien Josèphe n’exagère nullement quand il dit que la plupart des blocs qui entrèrent dans la construction du temple mesuraient 25 coudées de longueur, sur 8 de hauteur, et 12 de largeur [Cf. Flavius Josèphe, Bell. Jud., 5, 6, 8 ; Ant., 15, 11, 3.]. Aussi, en plusieurs endroits, les béliers romains durent‑ils battre les murs six jours durant pour y faire quelques brèches légères.
Mc13.2 Jésus lui répondit : "Tu vois ces grandes constructions ? Il n'y sera pas laissé pierre sur pierre qui ne soit renversée." — Le disciple qui avait pris la parole semblait sous‑entendre : De pareilles constructions défient les ravages du temps. Jésus le détrompe en lui révélant leur triste destinée — Ces grandes constructions est emphatique et correspond à « quelles pierres et quelles constructions » du v. 1. — Il n’en restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée. Deux négations, deux circonstances qui fortifient la pensée. Le grec serait mieux traduit par « qui ne soit désagrégée, séparée des autres pierres ». Quarante ans s’étaient à peine écoulés depuis cette prédiction, qu’elle était déjà en grande partie réalisée. Le vent des jugements divins avait passé sur le temple de Jérusalem, comme sur les palais de Thèbes et de Ninive. Qu’en reste‑t‑il aujourd’hui ? Rien, absolument rien ; car, à vrai dire, les pierres énormes qui attirent encore l’attention des pèlerins ne faisaient pas partie du temple : elles formaient ou des murs d’enclos ou des substructions destinées à soutenir les terrasses.
Mc13.3 Lorsqu'il se fut assis sur la montagne des Oliviers, en face du temple, Pierre, Jacques, Jean et André l'interrogèrent en particulier : — Assis sur la montagne des Oliviers. Jésus et ses disciples gravirent probablement en silence les flancs de la montagne des Oliviers, livrés les uns et les autres à de pénibles réflexions. Arrivés au sommet de la colline, à mi‑chemin entre Jérusalem et Béthanie, ils s’arrêtent pour prendre un peu de repos, et Jésus s’assied sur le gazon. — En face du temple. Trait graphique, propre à S. Marc, et servant de trait d’union pour amener la question des Apôtres. Les derniers rayons du soleil couchant devaient en ce moment couvrir d’or le temple et ses dépendances, leur communiquant une nouvelle beauté. — Pierre, Jacques, Jean et André. « Marc est le seul a rapporter que ce furent Pierre, Jacques, Jean et André qui interrogèrent le Christ. Note la mention de Pierre ». C’étaient les quatre premiers Apôtres attachés à Jésus d’une manière définitive. Cf. Marc 1, 16‑20. Saint André nous apparaît ici à côté des trois disciples les plus intimes : d’où l’on a conclu parfois que c’était lui peut‑être qui avait attiré l’attention de Jésus sur le temple, v. 1. — En particulier : relativement aux autres membres du Collège apostolique, qui étaient restés à l’écart.
Mc13.4 "Dites-nous quand cela arrivera et à quel signe on connaîtra que toutes ces choses seront près de s'accomplir ?" — Dites‑nous… La question est plus complète et plus claire dans le premier Évangile. Elle avait trait à trois points distincts : 1° l’époque de la destruction du temple (c’est le quand cela arrivera de S. Marc) ; 2° les signes du second avènement du Messie ; 3° les pronostics de la fin du monde. Le toutes ces choses de notre Évangéliste réunit ces deux derniers points.
Mc13.5 Jésus leur répondant, commença ce discours : "Prenez garde que nul ne vous séduise. — Prenez garde. Ce grave avertissement, que nous entendons dès le début du discours, retentira de temps à autre comme une de ses notes dominantes. Cf. vv. 9, 23, 33. À chaque instant reviendront aussi les conseils analogues : Veillez, supportez, priez. — Que nul ne vous séduise. Grand danger, qui menace tous les hommes, durant toute leur vie et de mille manières. Il faut donc « prendre garde », si l’on veut y échapper.
Mc13.6 Car beaucoup viendront sous mon nom, disant : C'est moi le Christ et ils en séduiront un grand nombre. — Car beaucoup… La particule « car » montre que le Sauveur va développer son exhortation pressante du v. 5. Il attire l’attention de ses disciples sur divers signes qui leur annonceront en premier lieu la proximité de la ruine de Jérusalem, puis, à la fin des temps, celle du jugement général. — Viendront sous mon nom… Premier signe, l’apparition d’un grand nombre de pseudo‑messies. — Ils séduiront beaucoup de monde. Ces faux Christs ne réussirent que trop à séduire les Juifs avant et pendant la guerre avec Rome. Josèphe raconte que plusieurs d’entre eux entraînèrent à leur suite dans le désert d’immenses multitudes auxquelles ils avaient promis de faire voir des prodiges éclatants. Bien plus, à l’heure où le temple brûlait, six mille personnes de tout âge et de toute condition y pénétrèrent sur la parole d’un faux prophète et périrent affreusement dans les flammes. La fin du monde ne trouvera pas les imposteurs moins nombreux, ni les foules moins crédules.
Mc13.7 Quand vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres, ne vous troublez pas, car il faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin. — Second signe, les guerres rapprochées et lointaines. Guerres indique en effet des combats qui auront lieu à proximité ; les bruits de guerre, des combats livrés à distance. — Ne vous troublez pas. De même que les chrétiens ne devront pas se laisser séduire par l’erreur, de même ils devront veiller à ne pas se laisser égarer par la peur, qui est si souvent une mauvaise conseillère et qui a causé tant d’apostasies. — Ce ne sera pas encore la fin. Ces premiers signes ne seront que des préliminaires, annonçant des dangers plus terribles.
Mc13.8 On verra se soulever peuple contre peuple, royaume contre royaume, il y aura des tremblements de terre en divers lieux, il y aura des famines. Ce sera le commencement des douleurs. — Troisième signe : les peuples, les empires, soulevés les uns contre les autres, et occupés à s’entre‑détruire. « Quand tu verras les royaumes s’agiter les uns contre les autres, tu t’attendras à voir les empreintes de pas du Messie » [Beresch. Rabb. sect. li.]. — Des tremblements de terre. Quatrième signe, d’effroyables tremblements de terre, arrivant en divers lieux. — Des famines. Cinquième signe. — Le commencement des douleurs. Que sera donc la douleur elle‑même, si les malheurs signalés jusqu’ici n’en sont que le prélude ? Ces maux préalables, d’après la traduction littérale du mot grec traduit par douleurs, seront à la catastrophe finale ce que sont les souffrances qui précèdent l’enfantement à celles qui l’accompagnent. Jésus ne pouvait pas choisir une comparaison plus énergique. Du reste, les prophètes avaient souvent employé la même image.
Mc13.9 Prenez garde à vous-mêmes. On vous traduira devant les tribunaux et les synagogues, vous y serez battus, vous comparaîtrez devant les gouverneurs et les rois, à cause de moi, pour me rendre témoignage devant eux. — Prenez garde. Trait propre à S. Marc. : Prenez garde à vous, pour ne pas chanceler dans la foi, car la chair est faible, et elle aura beaucoup à endurer. — On vous traduira… Voici maintenant le tableau des épreuves qui attendent les chrétiens aux deux époques indiquées. On les livrera comme des criminels à toute sorte de tribunaux : tribunaux juifs et ecclésiastiques, les Sanhédrins de divers degrés (voyez l’Évangile selon S. Matthieu) et dans les synagogues ; tribunaux civils et païens, devant les gouverneurs et devant les rois. S. Matthieu ne mentionne pas ici tous ces détails ; mais il les avait rapportés ailleurs, dans l’Instruction pastorale de Jésus à ses disciples, Matth. 10, 17, 18. — Les verbes vous serez battus, vous comparaîtrez sont dramatiques. — Pour me rendre témoignage. Par tous ces mauvais traitements supportés avec courage, vous prouverez la divinité de mon œuvre. La persécution contribuera ainsi à la propagation de l’Évangile.
Mc13.10 Il faut qu'auparavant l'Évangile soit prêché à toutes les nations. — Autre passage spécial à S. Marc. — Auparavant : c’est‑à‑dire avant la « fin » dont il a été question au v. 7. Et en effet, avant la destruction du temple, saint Paul seul avait porté l’Évangile dans une grande partie de l’empire romain. Les autres Apôtres avaient travaillé à proportion. L’Apôtre saint Pierre adresse sa première Lettre aux fidèles du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie, de la Bithynie. Saint Paul écrit aux Romains que la réputation de leur foi est répandue par tout le monde. Et depuis, quels immenses progrès n’a pas faits l’Évangile.
Mc13.11 Donc lorsqu’on vous emmènera pour vous faire comparaître, ne pensez pas d'avance à ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera donné à l'heure même, car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit-Saint. — Nouvelle pensée propre à S. Marc. Les autres Synoptiques la placent ailleurs, cf. Matth. 10, 19 ; Luc 12, 11 ; 22, 14 ; preuve que Jésus l’exprima plusieurs fois en différentes circonstances. Elle contient en effet une grande consolation pour le disciple persécuté, la promesse d’une assistance toute spéciale de l’Esprit‑Saint. — À l’heure même, c’est‑à‑dire quand vous serez arrivés devant vos juges. — Ce n’est pas vous qui parlerez : Jésus suppose par anticipation que la situation qu’il vient de décrire est déjà réalisée, et il contemple ses disciples improvisant de sublimes apologies sous la dictée de l’Esprit‑Saint. Quel encouragement pour eux dans cette promesse.
Mc13.12 Le frère livrera son frère à la mort et le père son fils, les enfants s'élèveront contre leurs parents et les mettront à mort. — Ce passage a été également omis par S. Matthieu. — Le frère livrera son frère… Le Sauveur prédit maintenant aux siens une peine plus cruelle encore que la précédente, les persécutions et la trahison de la part de leurs proches. Les liens les plus sacrés de la nature cesseront d’exister, ou plutôt ils seront une cause de plus grande haine, de poursuites plus acharnées.
Mc13.13 Et vous serez en haine à tous à cause de mon nom. Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. — Vous serez en haine à tous… Ces paroles résument le sort des chrétiens aux deux grandes époques de crise prophétisées par Jésus : ils seront de la part de tous ceux qui ne partageront par leur foi, amis et ennemis, l’objet d’une profonde inimitié. — Mais celui qui persévérera… Conclusion de ce premier tableau. De toutes parts, soit avant la ruine de Jérusalem, soit avant la fin du monde, il surgira pour les disciples du Christ des dangers redoutables, qui menaceront leur salut éternel. Que faire pour ne pas succomber ? Une seule chose, tenir ferme, persévérer jusqu’au bout. Le verbe grec traduit ici par persévérera, cf. Matth. 24, 13, est très expressif : il signifie littéralement « je reste dessous », et suppose qu’on demeure debout malgré toute sorte de difficultés provenant du dehors. On ne le rencontre que trois fois dans les Évangiles. — Celui qui est emphatique : Celui‑là et pas un autre.
Mc13.14 Lorsque vous verrez l'abomination de la désolation établie où elle ne doit pas être, que celui qui lit, comprenne, alors que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes. — Sur les mots abomination de la désolation, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 24, 15. Aucun Juif n’ignorait la prophétie de Daniel. « Abomination de la désolation » était donc un terme technique pour désigner d’affreux malheurs qui devaient fondre sur la ville sainte et plus spécialement sur le lieu saint. Le terme grec traduit par désolation provient du verbe « provoquer le dégoût » (surtout par une mauvaise odeur) et n’apparaît que six fois dans les écrits du Nouveau Testament : ici, dans le passage parallèle de Matth. 24, 45 ; Luc 16, 4-5 ; Apocalypse 17, 4-5 ; 21, 27. Les Septante appliquent ce substantif aux idoles et à tout ce qui se rattache au culte païen. Cf. 1 Rois 11, 5, 33 ; 2 Rois 16, 3 ; 21, 2, etc. — Établie là où elle ne doit pas être. C’est‑à‑dire, d’après S. Matthieu, « dans le lieu saint », dans le temple, que son caractère sacré devrait préserver de toute profanation. — Que celui qui lit comprenne. Avertissement pressant, glissé selon toute vraisemblance par l’Évangéliste au milieu des paroles de Notre‑Seigneur [Matth. 24, 15]. — Alors : immédiatement après l’apparition de l’affreux malheur prédit par Daniel, il faudra fuir sans hésiter. — Que ceux qui sont en Judée s’enfuient... De toutes les provinces juives, c’est la Judée qui eut le plus à souffrir, soit de la part des Romains, soit de la part des Zélotes, durant l’horrible guerre qui se termine par la ruine de l’État juif. De là cet avis spécial à l’adresse des chrétiens qui y avaient établi leur résidence.
Mc13.15 Que celui qui sera sur le toit ne descende pas dans sa maison et n'y entre pas pour prendre quelque objet. 16 Et que celui qui sera allé dans son champ ne revienne pas pour prendre son manteau. — Deux images très pittoresques, pour montrer avec quelle rapidité chacun devra quitter la Judée, aussitôt qu’aura paru « l’abomination de la désolation ». Assurément, il ne faut pas les prendre à la lettre ; ce sont de vives hyperboles pour dire : Fuyez au plus vite. S. Marc, sans rien ajouter à l’idée, est plus complet, plus explicite dans l’expression. S. Matthieu, pour le premier exemple, dit seulement : « que celui qui sera sur le toit n’en descende pas pour emporter quelque chose de sa maison ». Notre Évangéliste, fidèle à son genre dramatique, distingue deux actes, descendre du toit, et entrer dans la maison. De même pour le second exemple. S. Matthieu : « ne retourne pas pour prendre sa tunique » ; S. Marc : Ne retourne pas en arrière (c’est‑à‑dire des champs à la ville)…
Mc13.17 Mais malheur aux femmes qui seront enceintes, ou qui allaiteront en ces jours-là. 18 Priez pour que ces choses n'arrivent pas en hiver. — Autres détails pittoresques, destinés à faire ressortir l’étendue des malheurs qui menacent Jérusalem, et la nécessité de prendre une prompte fuite si l’on désire y échapper. — Malheur n’est pas une malédiction en cet endroit, mais plutôt une exclamation de profonde sympathie : Pauvres mères, qui ne pourrez fuir assez vite. — Priez… Après ces deux premiers empêchements qui devaient retarder la fuite, à savoir le désir d’emporter quelque chose et l’embarras des petits enfants, Jésus touche à un troisième empêchement, celui qui peut venir du temps. En hiver le terrain est détrempé, les rivières débordent, et ce sont là, en Orient surtout, de sérieux obstacles à une marche rapide. — Ces choses. Ces choses n’arrivent. Il s’agit des malheurs qui obligeront les chrétiens de s’expatrier. — S. Marc ne fait pas mention du sabbat (cf. Matth. 24, 20), parce que cette circonstance avait peu d’intérêt pour ses lecteurs romains.
Mc13.19 Car il y aura, en ces jours, des tribulations telles qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement du monde, que Dieu a créé, jusqu'à présent et qu'il n'y en aura jamais. — Des tribulations telles... Expression très énergique, propre à S. Marc. Elle signifie que le caractère spécial des jours dont parle Jésus sera la peine et la tribulation. — Qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement… Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 24, 21. Cf. Tacite, Hist. 5, 13.
Mc13.20 Et si le Seigneur n'avait abrégé ces jours, nul homme ne serait sauvé, mais il les a abrégés à cause des élus qu'il a choisis. — Et si le Seigneur n’avait abrégé ces jours… Le verbe que le Nouveau Testament n’emploie qu’ici et dans le passage parallèle de Matth. 24, 22, a le sens de « amputer ». Cf. 2 Samuel 4, 12, dans la traduction des Septante. Mais, comme le verbe hébreu מער, « couper avec une faux » (Ps 102 hébr.), il se dit au moral du temps qu’on abrège. — Nul homme ne serait sauvée. Si Dieu, dans sa pitié, n’eût abrégé le temps du siège de Jérusalem, aucun Juif n’aurait survécu à tant d’horreurs et de misères. Cette « abréviation » miséricordieuse se manifesta de deux manières, d’une part dans les mesures actives et vigoureuses des assiégeants, d’autre part dans la folle confiance et les guerres intestines des assiégés. Elle eut lieu à cause des élus, en vue des chrétiens que Dieu voulait sauver. — Qu’il a choisis. Nouvelle répétition, semblable à celle du v. 19.
Mc13.21 Si quelqu'un vous dit alors : Le Christ est ici, il est là, ne le croyez pas. 22 Car il s'élèvera de faux christs et de faux prophètes et ils feront des signes et des prodiges, jusqu'à séduire, s'il se pouvait, les élus mêmes. — Si quelqu'un vous dit alors… Ce alors nous transporte subitement à la fin des temps, vers l’époque du second avènement du Christ. Telle est, depuis l’ère patristique, l’interprétation la plus suivie. « Il ne faut pas prendre ce mot alors dans le sens que cela doive arriver tout de suite, mais dans le sens que la réalisation de cette prophétie succédera à celle de la ruine de Jérusalem ». Théophylacte. En apparence, Jésus range donc sur un même plan des événements qui devaient être séparés par un long intervalle. — De faux christs et de faux prophètes… C’est la prédiction du v. 6, développée et appliquée d’une manière spéciale aux derniers jours du monde. — Ils feront des signes et des prodiges. Ces faux Christs et ces faux prophètes opéreront, avec l’appui de Satan leur maître, des prodiges aussi nombreux qu’éclatants, Dieu le permettant ainsi pour éprouver les justes.
Mc13.23 Pour vous, prenez garde. Voyez, je vous ai tout annoncé d'avance. — Répétition emphatique d’une exhortation que Jésus a déjà adressée deux fois aux disciples depuis le commencement de son discours (Cf. vv. 5 et 9). S. Marc est seul à la signaler. L’adjectif tout, également emphatique, après annoncé, lui appartient aussi en propre.
Mc13.24 Mais en ces jours-là, après cette tribulation, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, 25 les étoiles du ciel tomberont et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. — La particule mais introduit de nouveaux détails, dont l’ensemble forme une tragédie terrible qui doit se réaliser aux derniers jours du monde, en ces jours‑là. — Les mots après cette tribulation ne désignent plus l’abomination de la désolation (vv. 14 et 19), mais les malheurs décrits plus bas, vv. 21 et 22, et propres à la fin des temps. Cf. Matth. 24, 29. — Le soleil s’obscurcira… Nous interprétons littéralement ces divers phénomènes (voir notre commentaire sur l’Évangile selon S. Matthieu, 24, 29), que deux des Apôtres auxquels s’adressait alors Notre‑Seigneur, saint Pierre et S. Jean, ont mentionnés dans leurs écrits comme devant se réaliser à la fin du monde. Cf. 2Pierre 1‑13 ; Apocalypse 20–21. — Les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées (Matth. « des cieux », d’après Isaïe 34, 4). Les astres, sortant de leur orbite accoutumée, erreront çà et là : il n’y aura donc plus d’harmonie dans leur marche, d’où résultera un ébranlement universel.
Mc13.26 Alors on verra le Fils de l'homme venir dans les nuées avec une grande puissance et une grande gloire. — Alors. Cette expression, réitérée trois fois presque coup sur coup, cf. vv. 21 et 27, marque solennellement le rythme dans cette prophétie qui est cadencée à la façon des oracles de l’Ancien Testament. — On verra le Fils de l’homme. Sans mentionner, comme l’a fait S. Matthieu, le signe du Messie faisant d’abord dans le ciel son apparition subite, S. Marc introduit immédiatement sur la scène le Christ lui‑même, qui se présentera tout environné de puissance et de gloire, ainsi qu’il convient au Fils de Dieu, au Roi théocratique.
Mc13.27 Et alors il enverra ses anges rassembler ses élus des quatre vents, de l'extrémité de la terre jusqu'à l'extrémité du ciel. — rassembler ses élus, « avec la trompette et une voix éclatante », ajoute S. Matthieu. Le Christ réunira ses élus à la manière dont les Hébreux étaient autrefois convoqués aux saintes assemblées. Cf. Exode 19, 13, 16, 19 ; Lévitique 23, 24 ; Psaume 80, 3‑5. — De l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel. Expression qui diffère un peu de celle que nous lisons dans le premier Évangile (« depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre »), bien que le sens soit le même de part et d’autre. La locution de S. Marc suppose, d’après les idées populaires des anciens, une terre aplatie, dont les extrémités étaient de toutes parts entourées, encadrées en quelque sorte, par les rebords inférieurs de la calotte des cieux. Elle signifie : d’un bout de la terre à l’autre.
Mc13.28 Écoutez cette comparaison du figuier : Dès que ses rameaux sont tendres et qu'il pousse ses feuilles, vous savez que l'été est proche. — Deux fois déjà le figuier avait donné aux disciples de graves enseignements. Cf. Marc 11, 13 et ss. ; Luc 13, 6‑9. Voici qu’il est établi leur docteur à un nouveau point de vue.
Mc13.29 Ainsi, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à la porte. — De même que l’homme naturel est sensible aux signes variés des temps et des saisons, de même il faut que le chrétien sache reconnaître aux pronostics indiqués par le Sauveur (lorsque vous verrez ces choses arriver) l’approche de la grande crise qui mettra fin au monde présent. — Sachez que c’est proche, à la porte. « Voici que le juge se tient devant la porte », écrit saint Jacques employant la même figure, et faisant peut‑être allusion aux paroles de Jésus. Jacques 5, 9.
Mc13.30 Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. — Conclusion solennelle de toute la prophétie qui précède (vv. 5‑30). Notre‑Seigneur, revenant sur les deux grandes idées autour desquelles a roulé la première partie de son discours, c’est‑à‑dire, d’une part sur la ruine de Jérusalem et ses signes avant‑coureurs, de l’autre sur la fin du monde et ses divers préludes, annonce que tout se passera comme il l’a prédit. Les mots cette génération désignent donc soit les Juifs contemporains de Jésus, soit la race humaine en général, selon qu’on envisage l’une ou l’autre de ces deux catastrophes. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 24, 34.
Mc13.31 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. — Comme si la formule « En vérité, je vous le dis » ne suffisait pas pour garantir la vérité parfaite de son assertion, Jésus y ajoute une antithèse frappante. Il met en regard le ciel, la terre, ces objets qui paraissent si stables dans leur existence, et ses paroles qui avaient déjà cessé de retentir sur la cime du mont des Oliviers. Et pourtant le ciel et la terre passeront, mais ses paroles ne passeront pas. Quelle noble et fière assurance dans un tel langage. Qui eût osé le tenir, si ce n’est le Fils de Dieu ?
Marc 13, 32‑37. Cf. Matth. 24, 36–25, 46 : C’est ici surtout que S. Marc abrège et condense. Il n’a que six versets pour exprimer ce qui occupe un chapitre et demi dans le premier Évangile.
Mc13.32 Pour ce qui est de ce jour et de cette heure, nul ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul. — Quant à ce jour ou à cette heure. C’est‑à‑dire l’époque précise de la fin du monde. Après avoir affirmé d’une manière générale que personne ici‑bas ne connaît ce jour et cette heure terribles, nul ne les connaît, Jésus spécifie davantage, et signale deux sortes d’êtres qui, par suite de leur nature sublime et de leurs rapports intimes avec Dieu, sembleraient devoir posséder sur ce point des connaissances particulières : ce sont, d’un côté, les anges dans le ciel, de l’autre, le Fils de l’homme, le Messie. Or, des Anges et du Fils de l’homme il assure qu’eux aussi ils ignorent le jour et l’heure du jugement dernier. Les mots ni le Fils sont propres à S. Marc. Les hérétiques anciens et modernes (autrefois les Ariens et les « Agnoètes ou Agnoites », aujourd’hui les protestants et les musulmans) en ont abusé pour imposer à la science du Christ des limites plus ou moins étroites. Mais il y a longtemps que les Pères de l’Eglise, par des distinctions aussi claires que solides, en ont indiqué le véritable sens. Citons quelques‑unes de leurs paroles : « Comment le Fils peut‑il ne pas savoir ce que sait le Père, puisque le Fils est dans le Père ? Mais dans un autre endroit, il montre pourquoi il ne veut pas le dire » (Actes 1, 7 : "(…) ce n'est pas à vous de connaître les temps ni les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. ») Saint Ambroise de Milan, In Luc, 17, 31. De même saint Augustin, Discours sur les Psaumes, 36, 1 : « Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, envoyé pour nous instruire, a dit que le Fils de l’homme lui‑même ne connaît pas ce jour, parce qu’il n’était pas dans ses attributions de nous le faire connaître. Le Père, en effet, ne sait rien que le Fils ne sache également, puisque la science du Père est identique à sa sagesse, et que sa sagesse est son Fils, son Verbe. Mais comme il n’était pas utile pour nous de connaître ce que connaissait fort bien celui qui était venu nous instruire, sans nous apprendre ce qu’il ne nous était pas avantageux de savoir : alors, non‑seulement c’est en qualité de maître qu’il nous a donné certains enseignements, mais encore en qualité de maître qu’il nous en a refusé d’autres. ». Cf. saint Augustin, de Trinitate, 12, 3, saint Hilaire de Poitiers, de Trinitate, 9 ; et les commentaires de Jansenius, de Maldonat, de Patrizi, h. l. Nous citerons encore l’excellente interprétation de Fr. Luc : « Il dit que c’est le Fils de l’homme, c’est‑à‑dire lui en tant qu’homme, qui ne sait pas, non absolument parlant, mais d’une manière qui lui est propre… Dieu ne révèle à aucune créature ce jour qu’il est impossible à aucune créature de découvrir. Mais l’âme du Christ, bien qu’elle soit une créature, le voit dans la nature de Dieu à laquelle elle est unie. Car, que le Christ fils d’homme soit aussi fils de Dieu, c’est une chose qui lui est propre, et qui n’est le partage d’aucune créature. Et c’est du seul fait que le Fils de l’homme est uni au Fils de Dieu qu’il sait qu’il ignorera, comme les autres créatures, certaines choses, même les plus subtiles… C’est dans ce sens que Grégoire le Grand dit que le Christ a connu ce jour dans la nature humaine, mais pas par la nature humaine » [car le Christ a connu ce jour par sa nature divine] Franciscus Lucas Brugensis, Commentarius in Sacro‑sancta Quatuor Iesu Christi Evangelia, h. l. Voyez aussi Bossuet, Méditatation sur l’Évangile, Dernière Semaine, 77e et 78e jour. — Mais le Père seul. « Par ce secret impénétrable, dit fort bien Dom Augustin Calmet, Jésus veut nous contenir dans une vigilance et une attention continuelles, et réprimer en nous la vaine curiosité et les recherches inutiles au salut ».
Mc13.33 Prenez garde, veillez et priez, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. — L’exhortation devient pressante et rapide. Incapable d’être assez attentif par lui‑même, à cause de l’insouciance et de la légèreté qui lui sont propres, l’homme doit demander du secours au Seigneur pour n’être pas surpris par l’arrivée soudaine du dernier jugement.
Mc13.34 C'est ainsi qu'un homme, ayant laissé sa maison pour aller en voyage, après avoir remis l'autorité à ses serviteurs et assigné à chacun sa tâche, commande au portier de veiller. — Cette petite parabole, par laquelle Notre‑Seigneur corrobore son exhortation, diffère un peu de celle que nous lisons dans le passage parallèle du premier Évangile, Marc 24, 45 et ss. Là, le personnage principal était un majordome, c’est‑à‑dire le premier de tous les serviteurs ; ici c’est un portier, le dernier des esclaves. Là, Jésus recommandait par‑dessus tout la fidélité dans la vigilance ; ici il exhorte à la vigilance. Le Sauveur eut donc recours dans cette circonstance à plusieurs similitudes, parmi lesquelles chaque Évangéliste a fait son choix. Ainsi s’expliquent leurs divergences. — Un homme qui, s’en allant au loin. Cf. Marc 12, 1 et le commentaire. Allusion manifeste au prochain « départ » de Jésus. — Remet l’autorité à ses serviteurs. « Ayant donné le commandement à ses serviteurs, à chacun son emploi », il recommanda spécialement au portier de veiller.
Mc13.35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand viendra le maître de la maison, le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin, 36 de peur que, survenant tout à coup, il ne vous trouve endormis. — Application de la parabole. — Veillez donc. Jésus répète son mot d’ordre avec emphase. Il répète de même avec quelques développements (cf. v. 33) le motif pour lequel ses disciples devront veiller sans cesse dans l’attente de son second avènement : car vous ne savez pas… — Le soir, ou au milieu de la nuit… Ce sont les noms techniques des quatre divisions de la nuit chez les Romains. La Mischna, Tamid. 1, 1, 2, raconte que, pour obliger à une vigilance perpétuelle les Lévites qui montaient la garde dans le Temple pendant la nuit, un prêtre venait de temps en temps, mais à des heures variées et à l’improviste, frapper à la porte du lieu saint, qu’on devait aussitôt lui ouvrir. C’est ainsi que fait le Fils de Dieu. — Survenant tout à coup. C’est sur cet adverbe tout à coup que repose l’idée principale.
Mc13.37 Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez." — Je le dis à tous. « Il n'a pas seulement parlé ainsi pour ceux qui avaient le bonheur de l'entendre, mais aussi pour ceux qui furent de ce monde après ses disciples et avant nous, et pour nous‑mêmes et pour ceux qui viendront après nous jusqu'au dernier avènement » [Saint Augustin d’Hippone, Lettre 199.]. — Veillez. Dans la rédaction de S. Marc, le discours eschatologique se termine par cette parole vigoureusement accentuée. Les premiers chrétiens, afin de se motiver plus vivement à mettre en pratique la recommandation de Jésus, aimaient à prendre des noms qui la leur rappellent sans cesse. De là ces Vigilius, ces Gregorius (d’un verbe grec signifiant « veiller ») si souvent mentionnés dans les inscriptions des Catacombes.
Marc 14, 1‑2. Parall. Matth. 26, 3‑5 ; Luc 22, 1‑2.
Mc14.1 La Pâque et les Azymes devaient avoir lieu deux jours après et les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient les moyens de se saisir de Jésus par ruse, afin de le faire mourir. — Deux jours après… C’est‑à‑dire le surlendemain. Ce qui va suivre se passait donc le 12 nisan, le mardi de la Semaine Sainte. — C’étaient la Pâque et les Azymes. La fête par excellence du Judaïsme, la grande solennité nationale et religieuse des Hébreux. Sur l’origine des mots Pâque et Azymes, voyez commentaire de S. Matthieu, 26, v.1 et v.17. On s’est parfois demandé pour quel motif S. Marc a réuni ces deux noms, la Pâque et les Azymes, alors que l’un ou l’autre eût parfaitement suffi. Plusieurs exégètes, restreignant le sens de « Pâque » de manière à ne lui faire désigner ici que l’agneau pascal, ont supposé que l’Évangéliste avait surtout en vue le repas légal du 14 nisan, qui se trouverait ainsi désigné par ses deux mets principaux, l’agneau et les pains azymes. Mais cette raison nous parait peu convaincante, puisque, dans ce passage, il est question de la solennité considérée dans son ensemble, et pas seulement de la Cène. Peut‑être la formule « Pâque et Azymes » (פסח והמעות) était‑elle parfois employée à l’époque de Notre‑Seigneur pour dénommer la Pâque. Mais il nous semble plus probable que S. Marc n’a voulu associer ces deux noms techniques qu’afin de montrer à ses lecteurs d’origine païenne qu’ils indiquent une seule et même fête. Cf. Luc 22, 1. — Les princes des prêtres et les scribes cherchaient… S. Matthieu, dont la narration est plus complète, nous montre les Sanhédristes se réunissant en séance solennelle chez Caïphe, le prince des prêtres, et tenant une consultation en règle sur le sujet en question. S. Marc note du moins clairement le but de leurs efforts, se saisir de Jésus… — Nous avons fait remarquer en expliquant le passage parallèle de S. Matthieu, 26, 4, que l’expression « par ruse » ne retombe que sur « se saisir », et pas sur « afin de le faire mourir ». La principale difficulté consistait en effet à se saisir de la personne de Jésus. Une fois arrêté, les Sanhédristes sauront bien se défaire de lui, soit juridiquement, soit au besoin en recourant au poignard d’un tueur.
Mc14.2 "Mais, disaient-ils, que ce ne soit pas pendant la fête, de peur qu'il n'y ait du tumulte parmi le peuple." — Pas pendant la fête ; c’est‑à‑dire pendant les huit jours que durait la fête. Les Sanhédristes reculaient ainsi d’une grande semaine et au‑delà l’arrestation de Jésus. — De peur qu’il n’y ait de l’agitation… Cf. l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 5. Vu les dispositions favorables du peuple pour Jésus, un soulèvement était fort à craindre si l’on ne procédait avec la plus grande prudence dans cette affaire délicate. C’est pourquoi les membres du grand Conseil, malgré leur désir de se débarrasser au plus vite de leur ennemi, sont unanimes pour retarder de quelques jours l’exécution de leurs noirs projets de vengeance. Sur le motif qui annula bientôt cette résolution, voyez notre commentaire sur Matth. 26, 5.
Marc 14, 3‑9.Parall. Matth. 26.6‑13 ; Jean 12.1‑11.
Mc14.3 Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme entra pendant qu'il se trouvait à table. Elle tenait un vase d'albâtre plein d'un parfum de nard pur d'un grand prix et ayant brisé le vase, elle répandit le parfum sur sa tête. — Comme Jésus était à Béthanie. Ce dîner que Jésus prit à Béthanie chez Simon le Lépreux se fit six jours avant la Pâque… S. Jean l’a rapporté en son lieu, Jean 12, 1 ; mais les autres évangélistes l’ont mis ici par récapitulation, pour faire connaître la cause de la trahison de Judas. — Simon le lépreux. Personnage inconnu, qui était évidemment un disciple de Notre‑Seigneur. — Une femme entra. C’était celle qui avait eu le bonheur de s’entendre dire par Jésus quelque temps auparavant : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas ôtée ». Luc 10, 42. — Un vase d’albâtre plein d’un parfum précieux. S. Marc, de même que S. Jean, a nettement indiqué la nature du parfum répandu par Marie sur la tête du Sauveur. Le nard, mentionné à deux reprises dans le Cantique des Cantiques (1, 12 ; 4, 13-14) était une huile aromatique, fabriquée avec les racines, les feuilles ou l’épi de la plante du même nom [Nardostachys jatamansi, de la famille des Valérianées, De Candolle.], qui croît, ou plutôt que l’on cultive en grand dans les Indes. Dioscorides [lib. 1, c. 72.] en fait ressortir la grande valeur. Ce parfum était si estimé des anciens, qu’Horace, on le sait, allait jusqu’à promettre à Virgile un tonneau entier de bon vin pour une petite fiole de nard [Cf. Horace, Carmina 4, 12, 16 et 17.]. « Pur », authentique, par opposition à frelaté. La fraude allait grand train sur cette matière précieuse, comme nous le raconte Pline l’Ancien [Histoire naturelle, 12, 26.], en parlant du « Pseudonard ». — Ayant rompu le vase. Détail pittoresque, propre à S. Marc. Le goulot étroit du vase n’aurait pas permis au parfum de s’échapper assez vite : Marie le brise sans hésiter, sacrifiant tout ensemble le contenant et le contenu dans sa sainte prodigalité.
Mc14.4 Plusieurs de ceux qui étaient là exprimèrent leur mécontentement : "Pourquoi perdre ainsi ce parfum ? — À l’instigation de Judas, cf. Jean 12, 4, plusieurs disciples se permirent de blâmer, non seulement au fond de leur cœur, en eux‑mêmes, mais aussi ouvertement et à voix haute, la conduite de Marie.
Mc14.5 On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers et les donner aux pauvres." Et ils se fâchaient contre elle. — On pouvait vendre ce parfum plus de trois cents deniers. Ces Galiléens, positifs et pratiques comme le sont d’ordinaire les gens de la campagne, ont eu le temps déjà de calculer la valeur du parfum. On aurait pu, s’écrient‑ils, le vendre 300 deniers et au delà, c’est‑à‑dire le salaire de 300 journée d’un ouvrier agricole. — Et les donner aux pauvres. « L’amour des pauvres fut le prétexte dont on se servit pour condamner la piété de cette femme, qu’on appelait indiscrète » [Jacques‑Bénigne Bossuet, Méditation sur l’Évangile, Dernière Semaine 8e jour.]. — ils se fâchaient contre elle. Expression énergique, qui marque ordinairement une indignation extrême. Ce trait est propre à S. Marc.
Mc14.6 Mais Jésus dit : "Laissez-la, pourquoi lui faites-vous de la peine ? C'est une bonne action qu'elle a faite à mon égard. — Le Sauveur protesta avec bonté, mais aussi avec fermeté, contre cette conduite injuste de ses Apôtres. Du reste, comme le dit Bossuet, l. c., leurs insolents discours n’attaquaient pas seulement la femme dont ils accusaient la profusion, mais encore leur Maître, qui l’admettait. — une bonne œuvre… Jésus a rarement loué d’une manière si illimitée les hommages dont sa divine personne a été l’objet sur la terre.
Mc14.7 Car vous avez toujours les pauvres avec vous et toutes les fois que vous voulez, vous pouvez leur faire du bien, mais moi, vous ne m'avez pas toujours. — Quand vous voudrez, vous pourrez… S. Matthieu et S. Jean ont omis cette belle parenthèse, par laquelle Jésus exhorte indirectement les siens à la charité envers les pauvres. — Moi, vous ne m’aurez pas toujours. Allusion délicate à sa mort prochaine. — On l’a dit avec beaucoup de justesse, ce verset contient les titres de noblesse de l’art chrétien, qui renouvelle de mille manières pour Notre‑Seigneur Jésus‑Christ l’acte généreux de la sœur de Lazare.
Mc14.8 Cette femme a fait ce qu'elle a pu, elle a d'avance embaumé mon corps pour la sépulture. — Ces paroles sont également propres à S. Marc. Quel éloge sous la forme la plus simple. — Elle a d’avance embaumé mon corps… Par cette onction respectueuse, Marie avait rendu d’avance au corps sacré de Jésus les honneurs funèbres. C’est ainsi qu’un acte qui n’avait en soit rien d’extraordinaire, était devenu, à cause des circonstances particulières où se trouvait Jésus, profondément significatif. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 12.
Mc14.9 Je vous le dis, en vérité, partout où sera prêché cet évangile, dans le monde entier, on racontera aussi ce qu'elle a fait, en mémoire d'elle." — Partout où sera prêché cet Évangile… Après avoir loué sans réserve l’action de Marie et après en avoir expliqué le sens prophétique, le Sauveur lui accorde, dès ici‑bas, une grande récompense. La pieuse amie de Jésus, en rendant un hommage public à Celui dont elle et les siens avaient reçu tant de bienfaits, s’élevait à son insu un monument éternel de gloire.
14, 10-11. Parall. Matth. 26, 14‑16 ; Luc 22, 3‑6.
Mc14.10 Or, Judas l'Iscariote, l'un des Douze, alla vers les Princes des prêtres pour livrer Jésus. — Judas… l’un des douze. C’était, remarque saint Augustin, « un des douze, quant au nombre, mais non quant au mérite ; par l’apparence, mais non par la vertu ; quant à la société extérieure, mais non par les liens de l’esprit ; par la réunion des corps, mais non par l’union des cœurs » [Tractatus 41 in Jean]. C’est pourquoi il ne rougit pas de livrer son Maître. « Venu au repas pour espionner son Pasteur, tendre des pièges à son Sauveur et vendre son Rédempteur », comme le dit encore saint Augustin [bid. Tractatus 55], il s’en va de lui‑même, par le libre choix de son âme criminelle, tendre la main aux Sanhédristes et conclure avec eux le marché le plus infâme qui ait jamais eu lieu sur la terre. Quel contraste entre l’acte de Marie et la démarche de Judas. Et ce qui rend le contraste plus frappant, c’est que ce fut précisément l’action si noble et si affectueuse de Marie qui mit le comble à la haine de Judas. Sur les mobiles de cette trahison, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 15. La démarche du traître eut lieu, selon toute vraisemblance, le soir du Mardi saint, peu de temps après le complot du Sanhédrin (v. 1).
Mc14.11 Après l'avoir entendu, ils furent dans la joie et promirent de lui donner de l'argent. Et Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer. — Après l’avoir entendu, ils se réjouirent. S. Matthieu n’avait pas mentionné ce trait caractéristique. On comprend sans peine que la proposition du Judas ait rempli le cœur des Sanhédristes d’une joie infernale. On l’a vu, vv. 1 et 2, ils étaient réellement inquiets sur l’issue d’une entreprise qu’ils croyaient hérissée de difficultés, même de dangers, et voici qu’un des amis les plus intimes de Jésus se chargeait de lever tout obstacle. — « Et ils convinrent de lui donner trente pièces d’argent », dit S. Matthieu. C’est pour cette misérable somme que l’avare Judas vendit son Maître. — Et il cherchait une occasion favorable… Devenu l’agent des Princes des prêtres, le traître guette le moment favorable de tomber sur sa proie. L’arrestation, en effet, ne pouvait guère avoir lieu à Béthanie, où Jésus comptait un si grand nombre d’amis dévoués.
Marc 14, 12‑25. Parall. Luc 22.3‑6.
Marc 14, 12‑16. Parall. Matth. 26, 15‑19 ; Luc 22, 7‑13.
Le récit de S. Marc est le plus vivant et le plus complet des trois : un seul détail y est omis, le nom des deux disciples chargés de préparer la cène.
Mc14.12 Le premier jour des Azymes, où l'on immolait la Pâque, ses disciples dirent à Jésus : "Où voulez-vous que nous allions vous préparer ce qu'il faut pour manger la Pâque ?" — Le premier jour des Azymes. C’est‑à‑dire dans la journée et probablement dès le matin du 14 nisan, qui tombait un jeudi cette année‑là. Voyez la note chronologique insérée dans notre Évangile selon S. Matthieu, 26, 17. — Où on immolait la Pâque. Le sujet est « les Juifs », sous‑entendu à la façon hébraïque. La Pâque a évidemment le sens de victime pascale. Ce petit détail d’archéologie est omis par S. Matthieu : il eût été fort inutile pour ses lecteurs d’origine juive. — Où voulez‑vous que nous allions vous préparer… ? Les Apôtres rappellent familièrement à leur Maître qu’il est temps de faire les préparatifs nécessaires pour la célébration de la cène légale, et ils lui demandent spécialement ses intentions touchant le choix d’un local convenable.
Mc14.13 Et il envoya deux de ses disciples et leur dit : "Allez à la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau, suivez-le, — Et il envoya deux de ses disciples : « Pierre et Jean », dit S. Luc. Jésus les envoie à Jérusalem, à la ville, où devaient avoir lieu l’immolation et la manducation de l’agneau pascal. — Vous rencontrerez un homme… Ainsi qu’on l’admet communément, Jésus, au lieu de nommer directement le propriétaire de la maison où il désirait faire la Pâque, employa cette circonlocution mystérieuse afin de cacher à Judas jusqu’au soir le lieu de la réunion. Si le traître eût connu d’avance ce local, il n’eût pas manqué d’avertir les Sanhédristes pendant la journée, et on serait venu arrêter Notre‑Seigneur avant que « son heure » fût venue, avant qu’il eût laissé à son Église, dans la sainte Eucharistie, le gage de l’amour le plus parfait et la plus précieuse bénédiction. — Portant une cruche d’eau. Signe très distinctif, qui rendait cet homme facile à reconnaître, même au milieu de la foule nombreuse qui remplissait alors la capitale juive. Le mot grec traduit par cruche signifie proprement un vase de terre cuite : il s’agit donc d’une de ces grandes urnes en terre que les Orientaux portaient sur la tête. Ce serviteur devait‑il se trouver là en vertu d’un arrangement concerté d’avance entre Jésus et le maître de la maison ? ou bien est‑ce la Providence elle‑même qui devait le placer sur le chemin des deux Apôtres pour leur servir de guide, de sorte que Jésus eût été vraiment prophète en tenant ce langage ? Les deux sentiments ont été soutenus ; le premier nous paraît néanmoins difficilement admissible. Les Évangélistes racontent visiblement un fait surnaturel.
Mc14.14 et là où il entrera, dites au propriétaire de la maison : Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? — Là où il entrera. Le langage de S. Luc est plus précis : « suivez‑le dans la maison où il entrera ». — Propriétaire de la maison. Ce devait être un disciple, assurément, ainsi qu’il ressort du contexte et surtout du mot Maître. — Où est la salle... Le mot grec (cf. Luc 22, 11) signifie lieu de repos, appartement où le voyageur se repose quelques instants.
Mc14.15 Et il vous montrera un grand cénacle meublé et tout prêt : faites-nous là les préparatifs." — Et il vous montrera une grand cénacle meublé… S. Matthieu a omis tous ces détails ; S. Luc les rapporte dans les mêmes termes que notre Évangéliste. Le cénacle, ou, d’après le grec, la chambre haute qui devait être cédée aux disciples, est décrite en deux mots par Jésus : grande, elle avait de grandes dimensions. Ce qui suppose qu’elle faisait partie d’une maison riche et considérable ; meublé, elle était munie de tapis, de divans, par conséquent déjà préparée pour le repas.
Mc14.16 Ses disciples partirent et allèrent à la ville et ils trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et ils préparèrent la Pâque. — La narration est pittoresque et rapide. Elle est en même temps très circonstanciée, à la manière de S. Marc.
Marc 14, 17‑21. Parall. Matth. 26, 20‑26 ; Luc 22, 13, 21‑23 ; Jean 13, 1‑30.
Mc14.17 Sur le soir, Jésus vint avec les Douze. — Le narrateur nous transporte tout à coup au soir du jeudi saint, et il nous montre Jésus faisant son entrée avec les Douze dans la salle du festin. Les deux Apôtres désignés pour faire les préparatifs de la Pâque avaient sans doute rejoint leur Maître dans l’après‑midi.
Mc14.18 Pendant qu'ils étaient à table et mangeaient, Jésus dit : "Je vous le dis en vérité, un de vous me trahira, celui qui mange avec moi." — Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient. Marc condense dans ces quelques paroles les nombreuses cérémonies de la cène pascale, sur laquelle il n’avait pas à s’étendre. On en trouvera la description abrégée dans l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 20. Sur la manière dont les Juifs célèbrent la Pâque, fin XIXème, début Xxème siècle voyez Stauben [Daniel Stauben, Scènes de la vie juive en Alsace, Paris, 1860, pp. 98 et ss. et Coypel [Édouard Coypel, Le Judaïsme, Esquisse des mœurs juives, pp. 231 et ss.]. — Vers la fin du repas légal, Jésus, d’une voix émue, prédit tout‑à‑coup aux siens que l’un d’eux se disposait à le trahir. Les mots qui mange avec moi sont emphatiques. En tous lieux, mais surtout en Orient, l’action de prendre un repas en commun établit une certaine union entre les convives. Trahir quelqu’un avec qui l’on a mangé est donc une circonstance aggravante. Mais, sur les lèvres de Jésus et relativement à Judas, cette phrase était beaucoup plus significative encore ; car elle revenait a dire : Je vais être livré à mes ennemis par l’un de mes plus intimes amis.
Mc14.19 Et ils se mirent à s'attrister et à lui dire l'un après l'autre : "Est-ce moi ?" — Ils se mirent… à lui dire l’un après l’autre. Cette dernière expression (Cf. Jean 8, 9 ; Romains 12, 15) est très pittoresque. — Mais pourquoi tous les Apôtres adressaient‑ils cette question à Jésus ? C’est que, répond délicatement Théophylacte, bien qu’ils se sentissent étrangers à la coupable intention dont avait parlé leur Maître, ils croyaient cependant beaucoup plus à Celui qui connaît le cœur de tous, qu’ils ne croyaient à eux‑mêmes.
Mc14.20 Il leur répondit : "C'est un des Douze, qui met avec moi la main dans le plat. — Jésus réitère sa triste prédiction, en la rendant encore plus précise. C’est ainsi qu’il dit un des douze, au lieu de « un de vous », qu’on aurait pu appliquer aux disciples en général. — Qui met avec moi la main dans le plat… Ces mots sont également plus expressifs que le simple « qui mange avec moi » du v. 18. Nous avons montré, en expliquant le passage parallèle de S. Matthieu (26, 23), qu’ils ne désignaient pas ouvertement Judas.
Mc14.21 Pour le Fils de l'homme, il s'en va, ainsi qu'il est écrit de lui, mais malheur à l'homme par qui le Fils de l'homme est trahi. Mieux vaudrait pour cet homme qu'il ne fût pas né." — Pour le Fils de l’homme… mais malheur… Énumération des deux pensées contenues dans ce verset, pour montrer le rapport qui existe entre elles. C’est comme s’il y avait : Sans doute il a été décrété, prophétisé, que le Fils de l’homme serait trahi par l’un des siens ; et pourtant, malheur à l’homme qui doit remplir l’office de traître. — Mieux vaudrait. « Jésus ne dit pas : Il vaudrait mieux absolument ; car, par rapport au conseil de Dieu, et au bien qui revient au monde de la trahison de Judas, il faut bien qu’il vaille mieux qu’il ait été ; mais la puissance de Dieu n’empêche ni n’excuse la malice de cet homme… Il vaudrait mieux pour cet homme qu’il n’eût jamais été, puisqu’il est né pour son supplice, et que son être ne lui sert de rien que pour rendre sa misère éternelle » [Jacques‑Bénigne Bossuet, Méditation sur l’Évangile, Dernière semaine, 20e jour.]. Cette menace terrible était un dernier appel de Jésus au cœur de Judas. « On annonce la peine, pour que celui que la pudeur n’a pas vaincu, l’annonce des supplices le corrige ». Saint Jérôme. Mais elle demeura sans effet.
Marc 14, 22‑25. Parall. Matth. 26, 26‑29 ; Luc 22, 15‑20; 1Corinthiens 11, 23‑25. Pour l’explication détaillée, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 26. Le récit de S. Marc ressemble en effet beaucoup à celui du premier synoptique.
Mc14.22 Pendant le repas, Jésus prit du pain et après avoir prononcé une bénédiction, il le rompit et le leur donna, en disant : "Prenez, ceci est mon corps." — Pendant le repas. Cet épisode commence de la même manière que le précédent. Cf. v. 18. L’Évangéliste a voulu montrer par là l’union étroite des deux cènes : la seconde fut comme la continuation de la première, qu’elle devait désormais remplacer. « Après en avoir fini avec les cérémonies de la Pâque ancienne, Jésus passe à la nouvelle. C'est‑à‑dire qu’à la chair et au sang de l’agneau, il a substitué le sacrement de son corps et de son sang ». Bède le Vénérable. — Jésus prit du pain ; l’un des pains azymes qui étaient placés en face de lui sur la table. — L’ayant béni, il le rompit. Cette cérémonie n’avait lieu d’ordinaire qu’au commencement du repas : en la renouvelant ici, Jésus indiquait qu’il passait à un second festin. — Ceci est mon corps. Jésus ne dit pas Ce pain, mais Ceci, ce que je vous offre. « Mon corps », mon propre corps. « Par le nom du corps, dans les paroles du Christ, ce n’est pas toute la substance de l’homme que l’on désigne, comme quelques‑uns l’ont compris faussement. Mais une autre partie de la substance, matérielle et solide, qui n’est pas seulement distincte de l’âme, mais aussi du sang. Car la consécration du sang se fait séparément avec des paroles particulières ». [Guillaume Estius, Commentaria in 1 Corinthiens 11, 24.]
Mc14.23 Il prit ensuite la coupe et, ayant rendu grâces, il la leur donna et ils en burent tous. 24 Et il leur dit : "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, répandu pour la multitude. — Jésus transforme le vin en son sang de même qu’il avait changé le pain en son corps. Les mots et ils en burent tous sont propres à S. Marc. Ils sont placés en cet endroit par anticipation ; car certainement le Sauveur ne fit pas circuler la coupe entre les mains des Apôtres avant de l’avoir consacrée. — Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance. Les Apôtres comprirent de quelle alliance il s’agissait, car jusqu’alors il n’y en avait pas eu d’autre que celle du Sinaï. Les jours étaient venus où devait s’accomplir l’oracle célèbre de Jérémie, 31, 31 et ss. : « Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. Ce ne sera pas comme l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte ». — Pour la multitude. Autres traductions : pour beaucoup ou pour un grand nombre… Hélas, s’écrie saint Jérôme, ce sang divin ne purifie pas tous les hommes. — « Chrétien, te voilà instruit ; tu as vu toutes les paroles qui regardent l’établissement de ce mystère. Quelle simplicité. quelle netteté dans ces paroles. Il ne laisse rien à deviner, à gloser… Quelle simplicité encore un coup, quelle netteté, quelle force dans ces paroles. S’il avait voulu donner un signe, une ressemblance toute pure, il aurait bien su le dire… Quand il a proposé des similitudes, il a bien su tourner son langage d’une manière à le faire entendre, en sorte que personne n’en doutât jamais : Je suis la porte ; Je suis la vigne… Quand il fait des comparaisons, des similitudes, les évangélistes ont bien su dire : Jésus dit cette parabole, il fit cette comparaison. Ici, sans rien préparer, sans rien tempérer, sans rien expliquer, ni devant, ni après, on nous dit tout court : Jésus dit : Ceci est mon corps ; Ceci est mon sang ; mon corps donné, mon sang répandu ; voilà ce que je vous donne… Ô mon Sauveur, pour la troisième fois, quelle netteté, quelle précision, quelle force. Mais en même temps, quelle autorité et quelle puissance dans vos paroles.… Ceci est mon corps ; c’est son corps : Ceci est mon sang ; c’est son sang. Qui peut parler en cette sorte, sinon celui, qui a tout en sa main ?… Mon âme, arrête‑toi ici, sans discourir : crois aussi simplement, aussi fortement que ton Sauveur a parlé, avec autant de soumission qu’il fait paraître d’autorité et de puissance… Je me tais, je crois, j’adore : tout est fait, tout est dit » [Jacques‑Bénigne Bossuet, loc. cit., 22e jour.].
Mc14.25 Je vous le dis, en vérité, je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne, jusqu'au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu." — Je ne boirai plus… Parole solennelle, qui ouvre un double horizon, le premier très rapproché, le second très lointain. Jésus ne boira plus de vin sur la terre ; c’est dire qu’il va bientôt mourir. Il en boira plus tard dans le ciel avec ses Apôtres, d’une manière mystique : c’est annoncer son triomphe et la consommation de son royaume dans les splendeurs de l’éternité. On le voit, le verbe boirai est pris successivement en deux acceptions distinctes : la première fois au propre, la seconde fois au figuré, pour désigner les délices du ciel. — Des mots je ne boirai plus, faut‑il conclure que Jésus, avant de faire passer à ses disciples la coupe qui contenait le vin transsubstantié, y avait le premier trempé ses lèvres, et, par analogie, qu’il avait de même communié sous les espèces du pain ? Des auteurs importants l’ont pensé, en particulier S. Jean Chrysostome [Homilia 82 in Matth.], saint Augustin [De Doctrina christiana, 2, 3.], saint Jérôme [Ad Hedibiam, quæst. 2.], saint Thomas d’Aquin [Summa Theologica, 3, q. 84, a. 4.]. « Il est le convive et le festin, celui qui mange et qui est mangé ». Malgré le profond respect que nous avons pour ces grands savants et ces grands saints, nous nous permettons avec plusieurs exégètes et théologiens des divers temps, d’adopter l’opinion contraire. Il nous semble en effet que l’acte ainsi attribué au Sauveur répugne à l’idée de la communion, qui suppose l’union de deux êtres au moins. En outre, la phrase « Je ne goûterai plus du fruit de la vigne », non seulement ne suppose pas d’une manière nécessaire que Jésus ait bu à la coupe qu’il faisait circuler pour la dernière fois, mais elle devient au contraire plus claire, plus rigoureusement exacte, s’il s’abstint d’y toucher. Comme le père de famille, dont Notre‑Seigneur jouait alors le rôle, buvait toujours le premier quelques gouttes des différentes coupes pascales, par ces paroles, le Sauveur s’excusait en quelque sorte de ne pas prendre sa part de ce calice. Buvez tous ; pour moi je ne boirai plus de vin ici‑bas : cependant je partagerai avec vous la coupe délicieuse du paradis.
Marc 14, 26‑31.Parall. Matth. 26, 30‑35 ; Luc 22, 31‑34 ; Jean 13, 36‑38.
Mc14.26 Après le chant de l'hymne, ils s'en allèrent au mont des Oliviers. — Après avoir dit l’hymne. Ces mots représentent ici la prière d’action de grâces après le repas, spécialement celle qu’on récitait à la fin de la cène légale et qui portait le nom de Hallel, הלל, louange. — Sur le mont des Oliviers. Ce n’était pas vers le sommet de cette montagne que Jésus et les siens se dirigeaient alors, mais seulement vers sa base, à l’endroit où elle émerge du profond ravin où coule le Cédron.
Mc14.27 Alors Jésus leur dit : "Je serai pour vous tous, cette nuit, une occasion de chute, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. — C’est la première des prédictions. Elle annonce aux onze Apôtres demeurés fidèles la honteuse attitude qu’ils prendront bientôt à l’égard de leur Maître. Ils ne le trahiront pas comme Judas ; du moins ils l’abandonneront lâchement ; ils s’enfuiront comme de timides brebis dès que leur Pasteur aura été frappé, ainsi qu’il était écrit dans la prophétie de Zacharie, 13, 7.
Mc14.28 Mais, après que je serai ressuscité, je serai à votre tête, en Galilée." — Seconde prédiction : Jésus ressuscitera, et, après son triomphe, il ira attendre ses Apôtres en Galilée. Comme la bonté de Notre‑Seigneur éclate dans ces paroles. Car, pour que les disciples ne pensent pas qu’il serait offensé par leur infidélité qu’il avait prédite, au point de ne leur laisser aucun espoir de retourner en grâce avec lui, il leur prédit également qu’il reviendrait à la vie avec eux.
Mc14.29 Pierre lui dit : "Quand vous seriez pour tous une occasion de chute, vous ne le seriez jamais pour moi." — Pierre ne peut supporter, pour ce qui le concerne, l’idée d’une si lâche désertion. Il proteste donc avec énergie de sa fidélité à toute épreuve. — Quand vous seriez pour tous... je ne le serai pas. Quelle vigueur dans ces paroles. Mais en même temps quelle présomption.
Mc14.30 Jésus lui dit : "Je te le dis, en vérité, aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq ait chanté deux fois, trois fois tu me renieras." — En vérité, je te le dis. Jésus connaît mieux son disciple que son disciple ne se connaît lui‑même. Aussi annonce‑t‑il à Pierre, avec une douloureuse assurance, et c’est là notre troisième prédiction, qu’avant peu il l’aura renié trois fois. — Le pronom tu est emphatique : Jésus l’oppose au « je ne le serai pas » du verset précédent. Oui, toi‑même, toi en personne. — Aujourd’hui, pendant cette nuit. Tout est nettement déterminé. Aujourd’hui, car, chez les Juifs, les jours se comptaient du soir au soir, et la nuit du jeudi au vendredi était déjà assez avancée. — Avant que le coq ait chanté deux fois. « deux fois » est un détail propre à S. Marc : notre Évangéliste le tenait sans doute de saint Pierre lui‑même. Nous en verrons plus bas la réalisation parfaite. Cf. vv. 68 et 72. Jésus signale ce trait comme une circonstance aggravante ; car l’Apôtre, ainsi averti, aurait dû se tenir davantage sur ses gardes et revenir à résipiscence dès le premier chant du coq. Il ne le fit pas, soit par faiblesse, soit plutôt par inattention. — À cette prédiction, si simple et si claire, on a parfois opposé le texte suivant du Talmud (Bava Kama, cap. 7), d’après lequel, nous dit‑on, il ne devait pas y avoir de coqs à Jérusalem : « Les prêtres ne nourrissent pas de coqs à Jérusalem, comme objet de culte, ni par toute la terre d’Israël ». — « Il avait été interdit aux Israélites de nourrir des coqs à Jérusalem. Car les Israélites y avaient mangé le chair des sacrifices… On avait coutume de faire du fumier avec les poulets. Ce fumier attirait les reptiles, et en le mangeant ils pouvaient polluer les lieux saints ». Cela étant, on a pris le coq dans un sens figuré, et on lui a fait désigner tantôt le « Trompette » romain qui annonçait les heures au son du clairon, tantôt les gardes de nuit qui les proclamaient à haute voix pour les Juifs, comme cela se pratique encore dans plusieurs contrées. Mais ce sont là des subtilités inacceptables. Il y avait certainement des coqs à Jérusalem, tout comme ailleurs. Elle est mémorable l’histoire du coq lapidé sur sentence du Sanhédrin, pour avoir tué un bébé. Hieros. Erubin, f. 26, 1. On peut donc prouver par le Talmud même qu’il y avait des coqs à Jérusalem. Supposé que les habitants juifs eussent eu quelque scrupule à en élever, la garnison romaine ne se serait nullement gênée à cet égard. Au reste, la touchante comparaison dont Jésus s’était servi peu de jours auparavant afin de marquer la tendresse qu’il éprouvait pour Jérusalem, prouve suffisamment que les habitants de la capitale, auxquels il s’adressait alors, connaissaient les mœurs des Gallinacés, par conséquent que ces volatiles ne leur étaient pas étrangers.
Mc14.31 Mais Pierre insistait encore plus : "Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas." Et tous dirent de même. — Pierre insistait. Bien loin d’avoir été ramené à des sentiments plus humbles par cette prophétie de son Maître, Pierre ose donner à Jésus un formel démenti, en protestant de plus en plus fort de son attachement inaltérable. Encore plus : dans le grec, un mot rare ayant le sens de « abondamment, démesurément ». — Quand il me faudrait mourir avec vous. Le vaillant apôtre est prêt, dit‑il, à répandre pour Jésus jusqu’à la dernière goutte de son sang. Comment donc serait‑il capable de le renier ? Hélas. « L’oiseau qui n’a pas encore de plumes s’efforce de voler. Mais le corps alourdit l’âme, de sorte que la crainte du Seigneur est surpassée par la crainte humaine de la mort » [Pseudo Hieronymous, ap. Caten. D. Thom.].
Marc 14, 32‑42. Parall. Matth. 26, 36‑46 ; Luc 22, 39‑46 ; Jean 18.1.
Mc14.32 Ils arrivèrent à un domaine appelé Gethsémani et il dit à ses disciples : "Asseyez-vous ici pendant que je prierai." — Voyez la description du jardin de Gethsémani dans l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 36. On a souvent établi d’ingénieuses comparaisons entre ce douloureux jardin et les ombrages du paradis terrestre. Ici un bonheur sans mélange, là d’affreuses angoisses ; mais ici le péché avec ses châtiments divers, et là la vie spirituelle rendue à l’humanité :
L’ancien jardin a apporté la mort,
Là où la faute est apparue.
Ce nouveau jardin apporte la vie,
Là où, pendant la nuit,
Jésus est demeuré en prière
Hymn. Laud, pro Fest. Orat. D. N. J. C.
Mc14.33 Et ayant pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, il commença à sentir de la frayeur et de l'angoisse. — À peine entré avec ses trois disciples privilégiés dans la partie la plus reculée du jardin, Jésus commença à être saisi de frayeur et d’angoisse. Saisi d’angoisse est commun aux deux premiers Évangélistes. Cf. Marc 9, 15. Tel est le début de la Passion proprement dite de Notre‑Seigneur. Quelle horrible agonie.
Mc14.34 Et il leur dit : "Mon âme est triste jusqu'à la mort, restez ici et veillez." — Mon âme est triste… « Je ne crains pas de vous assurer qu’il y avait assez de douleur pour lui donner le coup de la mort… La seule douleur de nos crimes suffisait pour… épuiser sans ressource les forces du corps, en renverser l’économie, et rompre enfin tous les liens qui retiennent l’âme. Il serait donc mort, il serait mort très certainement par le seul effort de cette douleur, si une puissance divine ne l’eût soutenu pour le réserver à d’autres supplices » [Jacques‑Bénigne Bossuet, 1er Sermon pour le Vendredi Saint]. — Restez ici, et veillez. S. Matthieu ajouté « avec moi ». Peut‑être avons‑nous ici la seule requête personnelle que Jésus ait jamais adressée à ses amis. Hélas. elle ne fut pas exaucée, comme nous l’apprend la suite du récit.
Mc14.35 S'étant un peu avancé, il se jeta contre terre et il priait que cette heure, s'il se pouvait, s'éloignât de lui. — Et s’étant un peu avancé. Le divin agonisant cherche pour quelques instants une solitude complète, afin d’épancher librement son cœur devant son Père céleste. — Il priait : imparfait qui indique une prière prolongée. — Pour que, s’il était possible… S. Marc a seul spécifié d’une manière indirecte l’objet de la supplication du Sauveur, avant d’en citer directement, la formule. Heure doit s’entendre, comme on le voit par le contexte, des souffrances et de la mort réservées à Jésus. Cf. Jean 12, 24. Notre‑Seigneur désirait donc, en tant qu’homme, que cette heure terrible passât sans l’atteindre.
Mc14.36 Et il disait : "Abba, Père, tout vous est possible, éloignez de moi ce calice, cependant, non pas ma volonté, mais la vôtre." — Abba, Père. Le mot araméen Ἀϐϐᾶ, אב) אבא, Ab, en hébreu), propre à notre Évangéliste, nous rappelle les locutions analogues Ephpheta, Talitha koumi, etc., que S. Marc s’était complu à insérer dans son récit telles que Jésus les avait prononcées. Saint Paul l’emploie deux fois dans ses Lettres, cf. Romains 8, 15 ; Galates 4, 6, et il a soin, lui aussi, d’en donner immédiatement la traduction, Père. C’est de là que sont venus les substantifs « Abbas », abbé. — Tout vous est possible. Il y a, s’il est permis de parler ainsi, un grand art dans cette prière du Sauveur. Après avoir lancé vers le ciel une appellation de vive tendresse, Mon Père, elle rappelle à Dieu que tout lui est possible, qu’il sait atteindre ses fins de mille manières, qu’il peut par conséquent éloigner du suppliant la coupe amère qui le menace : de là ces mots pressants, éloignez ce calice… Elle se termine pourtant par un acte d’entier abandon à la volonté du Père tout‑puissant, Jésus s’abandonne entièrement à ce qu’il a décidé en tant que Dieu : non pas ce que je veux [en tant qu’homme], mais ce que vous voulez, c’est à dire ce que je veux en tant que Dieu. Sur l’importance dogmatique de ce passage, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 39.
Mc14.37 Il vint ensuite et trouva ses disciples endormis et il dit à Pierre : "Simon, tu dors. Tu n'as pu veiller une heure. 38 Veillez et priez afin que vous n'entriez pas en tentation. L'esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible." — Il vint vers les disciples, et il les trouva endormis. « Ils commencent à se séparer de Jésus dans la prière, ceux qui vont s’en séparer dans sa Passion : il prie, mais eux ils dorment ». Saint Jérôme. C’était la réalisation de la parole d’Isaïe, 63, 3 : J’ai foulé seul le pressoir ; il n’y a personne pour le fouler avec moi. — Et il dit à Pierre : Simon, tu dors ? D’après S. Matthieu, le reproche de Jésus retombait simultanément sur les trois Apôtres : « vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ? » Ici, il est adressé tout spécialement à saint Pierre, qui avait fait naguère de si magnifiques promesses. Qu’est devenu son courage ? Le nom de « Simon », que Jésus lui donne dans cette circonstance, est de mauvais augure. C’est le nom de l’homme faible et naturel, tandis que Pierre était l’appellation de l’homme surnaturel, confirmé en grâce à la Pentecôte, du fondement inébranlable de l’Église du Christ. — L’esprit est généreux, mais la chair est faible. Comme l’a dit le livre de la Sagesse, 9, 15 : « car le corps, sujet à la corruption, appesantit l'âme et sa demeure terrestre accable l'esprit aux pensées multiples ». Mais ce que les Saints Livres appellent la « chair » produit des effets encore plus fâcheux que le corps : c’est contre la chair que viennent se briser les meilleures résolutions de notre esprit. Tel était le cas pour S. Pierre, S. Jacques et S. Jean.
Mc14.39 Et, s'éloignant de nouveau, il pria, disant les mêmes paroles. 40 Puis, étant revenu, il les trouva encore endormis, car leurs yeux étaient appesantis et ils ne savaient que lui répondre. — S’en allant de nouveau, il pria… Jésus, délaissé même par ses meilleurs amis, va se consoler, se réconforter de nouveau dans la prière. Puis, il revient auprès des trois Apôtres ; mais cette fois encore il les trouve profondément endormis. Comme au moment de la Transfiguration, Marc 9, 4, et Luc 9, 32, ils étaient en proie à un sommeil extraordinaire ; aussi leurs réponses étaient‑elles confuses, embarrassées, ainsi qu’il arrive aux personnes qu’on vient subitement réveiller : ils ne savaient que lui répondre. Ce dernier trait ne se trouve que dans le second Évangile.
Mc14.41 Il revint une troisième fois et leur dit : "Dormez, maintenant et reposez-vous. C'est assez. L'heure est venue, voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. 42 Levez-vous, allons, celui qui me trahit est près d'ici." — Il revint une troisième fois. S. Marc ne mentionne pas en termes exprès la troisième prière de Jésus ; mais il la suppose implicitement en disant que Notre‑Seigneur rejoignait ses disciples pour la « troisième fois ». La tentation de Gethsémani, de même que celle du désert, Matth. 4, 1 et ss., se composa donc de trois assauts consécutifs, victorieusement repoussés par le Sauveur. — Dormez maintenant et reposez‑vous. Jésus, n’ayant plus besoin de consolations humaines, accorda aux siens, par ces paroles, quelque temps de repos. Puis, quand approcha l’heure de la trahison, il les éveilla en disant : C’en est fait... La Vulgate a très bien traduit le verbe grec, qui signifie : C’est assez de sommeil. vous avez suffisamment dormi. et non, comme le veulent quelques exégètes « [mon angoisse] s’éloigne », ou bien : « Assez veillé. je n’ai plus besoin de vous ». Entre ce mot, qui est une particularité de S. Marc, et reposez‑vous, il faut admettre une pause plus ou moins longue. — Celui qui me trahit est proche. Dans le texte grec, nous avons deux fois le présent au lieu du futur. En effet, l’affreux mystère de la trahison de Judas était déjà en plein cours d’exécution. Bellini, fra Angelico, Carlo Dolci, Schidone, Murillo, le Pérugin ont admirablement reproduit cette scène douloureuse.
Marc 14, 43‑52. Parall. Matth. 26, 47‑56 ; Luc 22, 47‑53 ; Jean 18, 2‑11.
Mc14.43 Au même moment, comme il parlait encore, arrive Judas, l'un des Douze et avec lui une grande troupe, armée d'épées et de bâtons, envoyée par les Princes des prêtres, par les Scribes et par les Anciens. — Comme il parlait encore. Les trois synoptiques commencent par cette formule leur récit de l’arrestation du Sauveur. — arrive Judas... Depuis sa sortie du cénacle, cf. Jean 13, 30, le traître n’était pas resté inactif. Il était allé immédiatement auprès de ses nouveaux maîtres, auxquels il s’était si honteusement vendu, et il en avait obtenu la nombreuse escorte avec laquelle nous le voyons en ce moment pénétrer dans le jardin de Gethsémani. — L’un des douze fait mieux ressortir encore le caractère ignominieux de la trahison de Judas. Cf. v. 10. — Envoyée par les grands prêtres… C’est‑à‑dire « de la part » du grand Conseil. S. Marc nomme ici très distinctement les trois classes qui composaient le Sanhédrin.
Mc14.44 Le traître leur avait donné ce signe : "Celui que j’embrasserai, c'est lui, saisissez-le et emmenez-le sous bonne garde." — Le mot signal ne se rencontre que dans ce passage du Nouveau Testament. Judas ne prévoyait pas que Jésus se présenterait de lui‑même à ses ennemis : de là ce signe conventionnel, destiné à empêcher toute méprise. — Emmenez‑le sous bonne garde. S. Marc a seul noté cette pressante recommandation du traître. Judas, on le voit, prend toutes les précautions nécessaires pour exécuter son contrat honteux. Connaissant par expérience la puissance de Jésus, craignant aussi quelque résistance de la part des disciples, il fait appel à toute l’attention et à toute l’énergie de sa bande sinistre.
Mc14.45 Dès qu'il fut arrivé, s'approchant de Jésus, il dit : "Maître" et il l’embrassa. — Dès qu’il aperçoit Jésus, il va droit à lui, et, d’après le texte grec, lui dit deux fois de suite avec une affectation hypocrite : Ῥαϐϐί, Ῥαϐϐί. Cependant, plusieurs témoins anciens ont « salut, Rabbi », comme la Vulgate et comme S. Matthieu. — Il l’embrassa. Cet infâme baiser, par lequel Judas espérait en vain tromper son Maître, a inspiré à divers peintres, notamment à Duccio, à Giordano, H. Flandrin et à Ary Scheffer, de beaux tableaux, dans lesquels ils se sont complu à faire contraster la physionomie si douce, si aimante et si divine de Jésus avec les traits vulgaires, cruels et sataniques de Judas. Le verbe grec traduit ici par donna un baiser est très expressif. Cf. Matth. 26, 49 et le commentaire ; Luc 7, 36, 45 ; 15, 20 ; Actes 20, 37.
Mc14.46 Les autres jetèrent les mains sur lui et l'arrêtèrent. 47 Un de ceux qui étaient là, tirant l'épée, en frappa le serviteur du grand prêtre et lui enleva l'oreille. — Ces versets racontent le fait même de l’arrestation du Sauveur et une tentative isolée de l’un des disciples pour délivrer Jésus. — Ils mirent les mains sur Jésus. Cette formule indique des procédés violents, qui étaient d’ailleurs parfaitement dans les mœurs des hommes qu’on avait donnés pour séides à Judas. On comprend qu’en voyant ces mains brutales saisir le corps sacré de son Maître bien‑aimé, saint Pierre, car c’est lui qui est désigné par les mots Un de ceux qui étaient présents (cf. Jean 18, 10), n’ait pu réprimer un mouvement d’indignation, et qu’au risque de tout perdre en voulant tout sauver, il ait blessé d’un coup d’épée le serviteur du grand‑prêtre qui accompagnait Judas.
Mc14.48 Jésus, prenant la parole, leur dit : "Vous êtes venus comme à un brigand, avec des épées et des bâtons pour me prendre. 49 Tous les jours j'étais parmi vous, enseignant dans le temple et vous ne m'avez pas arrêté, mais c'est afin que les Écritures s'accomplissent." — Jésus... leur dit, c’est‑à‑dire à la troupe de ses adversaires. S. Marc ne mentionne pas le reproche adressé par Jésus à son trop ardent défenseur. Cf. Matth. 26, 52‑54. — Comme contre un brigand… Le divin Maître relève avec force le caractère odieux de son arrestation : on est venu le surprendre comme un voleur, à la faveur des ténèbres de la nuit. Il relève aussi l’inconséquence qui se manifeste dans la conduite des Sanhédristes : Tous les jours j’étais au milieu de vous… Mais il se soumet à tout, parce qu’il le permet comme Dieu et les a annoncées depuis longtemps dans les Livres sacrés : c’est pour que les Écritures soient accomplies. Cette dernière phrase est elliptique. Il est aisé de la compléter en ajoutant : « que tout cela s’est fait ». Cf. Matth. 26, 56.
Mc14.50 Alors tous ses disciples l'abandonnèrent et prirent la fuite. — La prophétie de Jésus relativement à Judas s’est accomplie ; celle qu’il faisait quelques instants après touchant ses onze autres disciples se réalise également. Ils prennent la fuite dès qu’ils voient que leur Maître renonce à résister. Tous est emphatique. Tous, même S. Pierre, même S. Jacques et S. Jean.
Mc14.51 Un jeune homme le suivait, couvert seulement d'un drap, on se saisit de lui, 52 mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu. — Voici un petit épisode des plus intéressants et propre au second Évangile. Indépendamment de l’intérêt que S. Marc porte d’une manière générale à tout ce qui est pittoresque, dramatique, il est aisé de découvrir, d’après le contexte, le motif spécial qui lui a fait insérer ce curieux détail dans sa narration. Luc de Bruges, et nos autres exégètes catholiques à sa suite, l’ont fort bien indiqué : « Marc raconte cette histoire d’un adolescent, pour nous montrer quelle était la rage des ennemis du Christ, avec quelle licence et barbarie ils se comportaient, avec quelle violence inhumaine, quelle férocité et quelle absence de pudeur, eux qui ont arrêté, sans le connaître, un adolescent accouru sur les lieux, misérable et en robe de nuit, du seul fait qu’il semblait sympathique au Christ, et qui ne put échapper de leurs mains et s’enfuir qu’en restant tout nu » [Franciscus Lucas Brugensis (Fr. Luc), h. l.]. — Un jeune homme. Quel était ce jeune homme ? Se demandent tout d’abord les exégètes. Et, n’ayant là‑dessus aucune donnée certaine, ils donnent un libre cours à leur imagination. D’après Ewald, ce mystérieux jeune homme ne serait autre que Saul, le futur saint Paul. Plusieurs auteurs anglais, en particulier M. Plumptre, veulent que ce soit Lazare, l’ami de Jésus et le ressuscité de Béthanie. D’autres commentateurs opinent en faveur de quelque esclave attaché à la garde et à la culture du domaine de Gethsémani. Tel est le sentiment de M. Schegg et du P. Patrizi. « Cette chose défend de douter que cet adolescent n’ait été le seul à échapper à la surveillance des gardiens de la maison. Il a été tiré de son sommeil par le vacarme, s’est levé de son lit, et, recouvert d’un seul drap, il est accouru rapidement sur les lieux ». Théophylacte croit que c’était le fils du propriétaire du cénacle : mais il lui fait faire un bien long chemin et en un costume étrange. Quelques Pères ont nommé divers Apôtres, par exemple, S. Jean [S. Jean Chrysostome, Homilia in Psaume 13 ; Saint Ambroise de Milan, Enarratio in Psaume 36 ; Saint Grégoire, Moralia, xiv, 24.], ou saint Jacques‑le‑Mineur [Saint Épiphane, Panarion, 87, 13.]. Mais ceux qui pensent que cet adolescent a été un quelconque des douze disciples, ne se rendent pas suffisamment compte qu’ils ont tous, cette nuit‑là, mangé avec le Christ ; qu’ils sont tous allés dans le jardin avec lui, à l’exception de Judas, lequel était déjà rendu là où il voulait aller. Aucun des douze n’a donc pu être recouvert d’un seul drap, pour couvrir sa nudité. D’après une opinion qui réunit un assez grand nombre d’adhérents, notre jeune homme serait S. Marc en personne. En effet, nous dit‑on, 1° il est seul à raconter ce trait ; 2° il résidait à Jérusalem (voyez la Préface, § 1, 1) ; 3° les détails qu’il fournit sont tellement circonstanciés qu’ils ne peuvent guère venir que d’un témoin oculaire ; 4° l’Évangéliste S. Jean se met plusieurs fois indirectement en scène, d’une manière tout‑à‑fait analogue à celle‑ci. Tout ce qu’on peut affirmer de certain, c’est que cet « adolescent » demeurait dans le voisinage de Gethsémani. Peut‑être était‑il disciple de Jésus dans le sens large de cette expression : de là son intérêt pour le divin prisonnier. Mais peut‑être aussi était‑ce simplement la curiosité qui servit de mobile à une démarche d’où faillirent découler pour lui des conséquences si fâcheuses. — Couvert seulement d’un drap. Le mot « sindon », σινδών, désignait chez les anciens une grande pièce d’étoffe de lin ou de coton, qui servait tantôt de vêtement de dessous, tantôt de vêtement de dessus [Cf. Anthony Rich, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, p. 586.]. Ici, il représente évidemment, d’après le v. 52, une sorte de couverture de nuit dans laquelle le jeune homme s’était enveloppé avant de sortir pour reconnaître la cause du bruit qui l’avait réveillé. Il n’avait pas d’autre vêtement. — Lui, rejetant le drap, s’enfuit nu… Se dégageant lestement, le héros de cette aventure lâcha son « sindon », qu’il laissa entre les mains des sbires ; puis il s’enfuit, la pudeur le cédant à l’effroi.
Marc 14, 53‑65.Parall. Matth. 26, 57‑68 ; Luc 22, 54‑65 ; Jean 18, 19‑23.
Mc14.53 Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre, où s'assemblèrent tous les Princes des prêtres, les Scribes et les Anciens. — Ils emmenèrent Jésus. « L’évangéliste avait raconté plus haut comment le Seigneur avait été capturé par les serviteurs des prêtres. Il commence maintenant à raconter comment il a été, dans la maison du prince des prêtres, condamné à mort ». Gloss. — Chez le grand prêtre. S. Luc dit avec plus de précision : « ils l’emmenèrent dans la maison du grand prêtre ». Le prince des prêtres était alors Caïphe. — Où s’assemblèrent... Nous avons indiqué dans notre Évangile selon S. Matthieu, 26‑57, le motif pour lequel le Sanhédrin (les prêtres, les scribes et les anciens) se réunit alors chez Caïphe et non pas au Gazzith, qui était le local ordinaire des assemblées officielles. — La première partie d’une des récentes prophéties de Jésus est maintenant accomplie : « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres, et aux scribes, et aux anciens ». Marc 10, 33.
Mc14.54 Pierre le suivit de loin, jusque dans l'intérieur de la cour du grand prêtre et s'étant assis près du feu avec les serviteurs, il se chauffait. — Note destinée à préparer le récit d’événements ultérieurs. Cf. vv. 66‑72. — Pierre le suivit de loin. « La peur repousse, mais la charité attire », dit délicatement saint Jérôme : voilà pourquoi saint Pierre, après avoir repris un peu de sang‑froid à la suite des incidents de Gethsémani, d’une part se mit à suivre son Maître, mais, d’autre part, ne le suivit que de loin, l’affection et la crainte tirant chacune de leur côté.
Mc14.55 Cependant les Princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mourir et ils n'en trouvaient pas. — Les princes des prêtres et tout le conseil… Après cette courte digression, l’Évangéliste nous ramène à la scène principale, qui se passait dans l’intérieur du palais. — Cherchaient un témoignage contre Jésus… La phrase exprime une recherche anxieuse et pressante. À toute force, les Sanhédristes voulaient un témoignage qui leur permît de décréter la mort de leur ennemi avec une apparence de justice. Une base de condamnation était en effet nécessaire ; autrement, quel prétexte allégueraient‑ils à Pilate pour obtenir de lui l’exécution de la sentence ? Comment se justifieraient‑ils devant le peuple, pour qui Jésus était encore un favori ?
Mc14.56 Car plusieurs déposèrent faussement contre lui, mais les dépositions ne s'accordaient pas. — Ce verset explique les derniers mots (« ils n’en trouvaient pas ») du précédent. Ce n’étaient donc pas les témoignages qui manquaient contre Jésus : à défaut de vrais, on en forgeait de faux, et en grand nombre. Il fallait bien que les prophéties de l'Ancien Testament s’accomplissent : « contre moi se sont levés de faux témoins injustes », Psaume 26, 12 ; mais, comme l’ajoutait le poète sacré, « l’iniquité a menti contre elle‑même ». De là cette réflexion de l’Évangéliste : les témoignages ne s’accordaient pas. Les témoignages étaient par là‑même invalidés, et des juges, même peu scrupuleux, ne pouvaient en tirer parti.
Mc14.57 Enfin quelques-uns se levant, portèrent contre lui ce faux témoignage : 58 "Nous l'avons entendu dire : Je détruirai ce temple fait de main d'homme et en trois jours j'en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d'homme." 59 Mais sur cela même leurs témoignages ne s'accordaient pas. — Quelques‑uns, se levant… S. Marc relève ici l’une, peut‑être la principale, des accusations mensongères lancées contre Notre‑Seigneur. Au lieu du vague « Quelques‑uns », nous lisons dans S. Matthieu, « deux faux témoins » : deux témoins seulement, juste le nombre requis, par la loi. — Nous l’avons entendu, s’écrient ces malheureux avec emphase ; nous l’avons entendu de nos propres oreilles : circonstance qui accroît la force de leur témoignage, et que S. Marc a seul exposée. L’antithèse ce temple, fait de main d’homme, ... j’en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d’homme est une autre particularité de son récit. Cette déposition était capitale. « On sait combien le peuple juif était jaloux de la gloire du Temple. Pour avoir annoncé prophétiquement que Dieu réduirait un jour le Temple au même état que Silo et qu’il en ferait un désert, Jérémie (26, 6, 19) avait failli être lapidé par les prêtres et par le peuple ; et s’il échappa à une mort certaine, il le dut à l’intervention de puissants seigneurs attachés à la cour. L’accusation formulée contre Jésus par les deux témoins était donc de la plus haute gravité » [Augustin Lémann, Valeur de l’Assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus‑Christ, Lyon, 1876, p. 76.]. Mais, ajoute notre Évangéliste (et lui seul encore a noté ce trait), leurs témoignages ne s’accordaient pas. Les deux témoins, comme cela s’est toujours pratiqué, avaient comparu l’un après l’autre devant le tribunal ; le second, sans s’en douter, avait donc contredit sur quelque point important le rapport du premier. L’accusation tombait par conséquent d’elle‑même.
Mc14.60 Alors le grand prêtre se leva et venant au milieu, il interrogea Jésus, disant : "Ne réponds-tu rien à ce que ces hommes déposent contre toi ?" — Et pourtant Caïphe ne veut pas qu’elle tombe tout à fait. De là cette démarche, inouïe de la part d’un juge suprême, que nous lui voyons faire actuellement. — Se leva et venant au milieu. Construction elliptique, pour « se levant et venant au milieu de l’assemblée ». Le grand‑prêtre se lève, quitte sa place, et s’avance jusqu’auprès de l’accusé, qui se tenait debout au milieu de la salle. La seconde partie de ce trait si graphique est propre à S. Marc. — Ne réponds-tu rien… « Autant Jésus persistait à ne pas répondre aux faux et aux indignes témoins, autant le grand prêtre, emporté par la colère, le provoque à répondre, pour qu’il trouve, dans une parole quelconque, un motif d’accusation ». Bède le Vénérable. L’interrogatoire des témoins n’a fourni aucun résultat : mais, en répondant à leurs dépositions, quelque fausses qu’elles fussent, Jésus se compromettra peut‑être. C’est pour cela que Caïphe le presse de parler.
Mc14.61 Mais Jésus garda le silence et ne répondit rien. Le grand prêtre l'interrogea de nouveau et lui dit : "Es-tu le Christ, le Fils de celui qui est Béni ?" — Jésus garda le silence, et ne répondit rien. C’est là une des répétitions emphatiques et pittoresques qui sont à l’ordre au jour dans le second Évangile. Cf. Préface, § 7. Le silence du Sauveur a inspiré à saint Jérôme une belle réflexion : « Le Christ qui se tait, dit‑il, absout Adam qui s’excuse ». Cf. Genèse 3, 10 et ss. Qu’importe du reste aux bourreaux, dit quelque part Tacite, la défense de leur victime ? — Le grand prêtre l’interrogea de nouveau. La première question ayant été rendue vaine par le silence inattendu de l’accusé, Caïphe lui en adressa brusquement une autre : Es‑tu le Christ, le Fils de celui qui est Béni ? Cette fois, la demande était posée sur un terrain brûlant, et le souverain‑prêtre, comme nous le voyons par le récit de S. Matthieu, 26, 63, avait pris ses précautions pour qu’elle ne demeurât pas sans réponse ; il l’avait introduite en effet par une formule solennelle qui devait forcer Jésus de prendre la parole : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire… » L’épithète béni est propre à S. Marc. Le substantif Dieu manque dans le texte grec, où on lit simplement : « le fils du Béni par excellence ». Les Rabbins emploient de la même manière l’expression הברוך.
Mc14.62 Jésus lui dit : "Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir environné des nuées du ciel." — Je le suis, répond clairement Jésus. Oui, je suis le Messie, le Fils de Dieu. Autrefois, il avait accepté la parole enflammée de saint Pierre : « Tu es le Christ fils du Dieu vivant », Matth. 16, 46 ; naguère encore, Marc 11, 9, 10, il agréait comme un hommage légitime les Hosanna du peuple : mais ici il y a quelque chose de plus. C’est lui‑même qui proclame bien haut, devant l’autorité suprême des Juifs en fait de religion, en réponse à une question officielle, son caractère messianique et sa divine filiation. Écoutons‑le, adorons‑le. — Et vous verrez le Fils de l’homme… Le Sauveur complète et confirme son Je le suis de tout à l’heure. L’avenir, dit‑il à ses juges, vous montrera que j’ai parlé selon la vérité. Maintenant, je vous apparais sous un extérieur humilié, comme Fils de l’homme ; mais un jour vous me verrez trôner comme Fils de Dieu à la droite de mon Père. Ainsi donc, Jésus ne revendique pas seulement la dignité messianique : il promet d’en exercer les fonctions. Voyez l’explication détaillée de ces paroles dans l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 59.
Mc14.63 Alors le grand prêtre déchira ses vêtements et dit : "Qu'avons-nous donc besoin de témoins ? 64 Vous avez entendu le blasphème, qu'en pensez-vous ?" Tous prononcèrent qu'il méritait la mort. — Caïphe a atteint son but : il a réussi à faire parler l’accusé, et à le faire parler dans le sens désiré par toute l’assemblée. Désormais, il n’y a plus qu’à tirer parti d’un aveu aussi formel, et ce sera chose facile : mais le président sait faire les choses en acteur consommé. Une feinte colère lui avait fait quitter précédemment son fauteuil, v. 60 ; un zèle non moins hypocrite pour la gloire de Dieu le porte maintenant à déchirer ses vêtements en signe de deuil, comme s’il venait d’entendre le plus effroyable blasphème. Lorsque, quelques semaines plus tôt, il prononçait au sujet de Jésus cette parole célèbre : « il vaut mieux pour vous qu'un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas », Jean 11, 50 (cf. le v. 54), il ne se doutait guère qu’il était prophète ; il ne se doutait pas davantage qu’il accomplissait une action prophétique quand il mettait en pièces le devant de sa tunique, et c’était pourtant là un frappant symbole, comme l’ont enseigné les Pères. « Déchire ton vêtement, ô Caïphe. s’écrient MM. Lémann, résumant l’enseignement patristique, le jour ne se passera pas que le voile du Temple ne soit déchiré aussi, en signe, l’un et l’autre, que le sacerdoce d’Aaron et le sacrifice de la loi de Moïse sont abolis, pour faire place au sacerdoce éternel du Pontife de la Nouvelle Alliance » [Augustin Lémann, l. c., p. 83. Cf. Origène, Saint Jérôme de Stridon, Théophylacte, Euthymius et Saint Thomas d’Aquin, in Matth. 26, Saint Léon‑le‑Grand, sur la Passion du Seigneur, sermo 6.]. — Ses vêtements : ce mot est justement au pluriel (cf. Matthieu), car, d’après le précepte des Rabbins, ce n’était pas seulement le vêtement supérieur qu’on devait déchirer en pareil cas, mais tous les vêtements, la chemise seule exceptée. Les riches portaient habituellement plusieurs tuniques superposées. — Vous avez entendu le blasphème. Au geste, Caïphe joint la parole pour accabler l’accusé. « À quoi bon un plus long interrogatoire ? Vous avez pu le constater par vous‑mêmes, c’est un blasphème manifeste qu’il vient de prononcer ». — Tous le condamnèrent… La seconde partie de la prophétie de Jésus à laquelle nous faisions allusion plus haut s’accomplissait tout aussi exactement que la première : « ils le condamneront à mort », Marc 10, 33. « Tous » : tous les membres présents. Preuve que le Sanhédrin ne se trouvait pas alors au complet, car Nicodème et Joseph d’Arimathie n’auraient certainement pas voté la mort de Jésus. Peut‑être n’avaient‑ils pas été convoqués ; ou du moins ils n’assistaient pas à la séance.
Mc14.65 Et quelques-uns se mirent à cracher sur lui et, lui voilant le visage, ils le frappaient du poing, en lui disant : "Devine" et les gardes le rouèrent de coups. — Détails horribles, qui constituent au point de vue juridique une véritable énormité. Tandis que partout, sinon parfois chez les peuplades barbares, les condamnés à mort sont respectés, depuis leur sentence jusqu’à leur exécution, comme une chose sacrée, Jésus se vit, sous les yeux des Sanhédristes qui laissèrent faire, l’objet des traitements les plus indignes. La haine sauvage de la soldatesque chargée de garder Notre‑Seigneur s’étale avec toute sa fureur dans la description vivante de S. Marc. Notons en particulier le à lui voilant le visage, que S. Matthieu n’avait pas mentionné, et qui aide à mieux comprendre la suite de la scène : Prophétise. Devine qui t’a frappé. — Admirons l’adorable patience de Jésus devant ces outrages sanglants. Son amour pour nous le soutenait.
Marc 14, 66‑72. Parall. Matth. 26, 69‑75 ; Luc 22, 55‑62 ; Jean 18, 15‑18 ; 18, 25‑27.
Mc14.66 Pendant que Pierre était en bas, dans la cour, il vint une des servantes du grand prêtre, — L’Évangéliste revient maintenant sur ses pas (cf. v. 54), pour signaler une autre tragédie lugubre, qui se passait à peu près en même temps que la précédente, et qui réalisait aussi une prophétie antérieure de Jésus. Cf. v. 30. — En bas, dans la cour. S. Matthieu dit : « dehors, dans la cour ». Mais les deux descriptions sont exactes car le portique du temple (atrium) était à l’extérieur si on porte les yeux sur la partie plus intérieure des édifices, et au‑dessus, si on regarde en haut, à l’endroit où un escalier montait. Jésus était « à l’intérieur, et en haut » ; saint Pierre « à l’extérieur, et en bas ». — Il vint une des servantes… Sur la vraie manière de compter les trois reniements de saint Pierre, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 69.
Mc14.67 et voyant Pierre qui se chauffait, elle le regarda et lui dit : "Toi aussi, tu étais avec Jésus de Nazareth." — La servante aperçut d’abord saint Pierre qui se chauffait auprès du feu ; puis, frappée dès ce simple coup d’œil de son visage morne, de sa contenance grave, qui contrastaient avec l’attitude des serviteurs et des soldats, elle se mit à le contempler attentivement. S. Marc distingue très bien ces deux regard distincts, l’un rapide et à demi inconscient, « ayant vu », l’autre attentif et prolongé, « elle le regarda ».
Mc14.68 Mais il le nia, en disant : "Je ne sais, ni ne comprends ce que tu veux dire." Puis il s'en alla, gagnant le vestibule et le coq chanta. — Mais il le nia. Ce second regard, et la question qui le suivit suffirent pour troubler le timide Pierre, au point de lui arracher un premier reniement. — Je ne sais pas et ni ne comprends ce que tu veux dire. Comme sa négation est accentuée. (Elle est spéciale à S. Marc sous cette forme). L’Apôtre ne renie pas formellement son Maître, il affecte seulement de ne pas comprendre de quoi ni de qui il est question. — Et le coq chanta. Trait propre à S. Marc.
Mc14.69 La servante l'ayant aperçu de nouveau, se mit à dire aux assistants : "Voilà un de ces gens-là." — La servante. Néanmoins, cette manière de parler n’indique pas nécessairement que ce fût la même femme qu’au v. 66. Elle désigne la servante, quelle qu’elle fût, auprès de laquelle saint Pierre se trouva quand il se fût écarté du foyer. En effet, nous savons, d’après S. Matthieu et S. Jean, qu’il s’agit d’« une autre servante ». — Voilà un de ces gens-là. Formulé avec dédain. Il fait partie de leur bande. C’est‑à‑dire, c’est un des disciples de Jésus.
Mc14.70 Et il le nia de nouveau. Un peu après, ceux qui étaient là dirent à Pierre : "Tu es certainement des leurs, car tu es Galiléen." — Il le nia de nouveau. L’imparfait du texte grec original indique une dénégation prolongée. — tu es Galiléen, nous avons vu dans le premier Évangile (Matth. 26, 73 et le commentaire) que les habitants de la Galilée trahissaient leur origine par leur accent.
Mc14.71 Alors il se mit à faire des imprécations et à dire avec serment : "Je ne connais pas l'homme dont vous parlez." — Ce dernier reniement est le plus triste et le plus grave des trois. Pierre, pour rendre ses protestations plus énergiques, leur associa des anathèmes et des serments ; en outre, cette fois, il affirme très directement qu’il ne connaissait pas Jésus, ce Jésus à qui il disait naguère : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ». Il l’appelle cet homme, prenant soin d’ajouter : dont vous parlez, comme s’il n’eût jamais entendu parler de Jésus avant que les servantes et les serviteurs de Caïphe le lui nommassent. Ces derniers mots sont une particularité de S. Marc.
Mc14.72 Et aussitôt, pour la seconde fois, le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que Jésus lui avait dite : "Avant que le coq ait chanté deux fois, trois fois tu me renieras" et il se mit à pleurer. — S. Marc, seul, nous l’avons vu, v. 30, avait mentionné deux chants successifs du coq dans la prédiction de Jésus. — Le premier chant était probablement passé inaperçu, mais le second produisit une réaction dans le cœur de saint Pierre : il se souvint, les paroles de son Maître lui revinrent subitement à la pensée, et alors, reconnaissant toute l’étendue de sa faute, il se mit à pleurer. D. Théophylacte traduit comme s’il y avait : « ayant jeté son manteau sur sa tête, il pleura ». Luc 22, 62 : « Et étant sorti de la maison, Pierre pleura amèrement. ». — On a de remarquables compositions du Poussin, de Valentin, de Stella, sur les différentes scènes du reniement de saint Pierre. Carlo Dolci a immortalisé à sa manière les larmes du prince des Apôtres dans son tableau connu sous le nom de « saint Pierre pleurant ».
CHAPITRE 15
Marc 15, 1. Parall. Matth. 27, 1‑2 ; Luc 23, 1 ; Jean 18, 28.
Mc15.1 Dès le matin, sans retard, les Princes des prêtres tinrent conseil avec les Anciens et les Scribes et tout le Sanhédrin. Et après avoir lié Jésus, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate. — Dès le matin. Indique avec quelle hâte et quelle détermination les princes des prêtres, les scribes et les pharisiens ont entrepris la condamnation du Christ. — Tinrent conseil. Cette séance, distincte de celle qui avait eu lieu pendant là nuit, Marc 14, 55 et ss., devait, d’une part, corriger ce qu’il y avait eu de défectueux, d’après la loi juive, dans une sentence nocturne (voyez Matth. 27, 1 et le commentaire) ; d’autre part, permettre aux Sanhédristes de se concerter sur la manière dont ils accuseraient Jésus devant Pilate. — Avec les Anciens et les Scribes et tout le Sanhédrin. Expression évidemment emphatique, puisque les trois catégories du Sanhédrin ont été mentionnées auparavant. S. Marc seul a pris soin de noter que cette seconde assemblée fut plénière. — lié Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Comme les Juifs n’avaient plus alors l’exercice de la justice vindicative, ni le droit de faire mourir un homme, mais seulement de lui faire son procès, et de le juger suivant leur loi, ils amènent eux‑mêmes Jésus à Pilate, gouverneur de la province au nom des Romains, le priant, qu’étant jugé digne du dernier supplice selon leur loi, il lui plût de le condamner et de le faire exécuter. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 1. Le nom complet de Pilate, cet homme sinistre dont la mémoire restera à tout jamais associée au plus grand crime commis sur la terre, était « Pontius Pilatus ». Cf. Matth. 27, 2. S. Marc ne mentionne que le surnom, qui était sans doute plus usité que le nom. Il ne signale pas le titre de Pilate parce que c’était un point d’histoire romaine que ses lecteurs connaissaient parfaitement. — En conduisant le Sauveur au prétoire, les Sanhédristes réalisaient sans le savoir une partie de sa prophétie à laquelle nous avons déjà fait plusieurs fois allusion : « ils le livreront aux païens », Marc 10, 33. Ils livraient Jésus aux Romains ; mais leur tour viendra bientôt d’être livrés eux‑mêmes par Dieu entre les mains de ces ennemis de leur nation.
Marc 15, 2‑5. Parall. Matth. 27, 11‑14 ; Luc 23, 2‑5 ; Jean 18, 29‑38.
Mc15.2 Pilate l'interrogea : "Es-tu le roi des Juifs ?" Jésus lui répondit : "Tu le dis." — Es‑tu le roi des Juifs ? C’était la seule, ou au moins la principale des accusations qui pouvait intéresser Pilate ; car, pour le blasphème, par exemple, qui avait été le seul motif de la condamnation prononcée par les prêtres, cela ne le regardait pas. À son égard, il ne s’agissait que de savoir si Jésus était un séditieux, et un homme qui cherchât à se faire un parti, et à se faire déclarer roi. En arrivant auprès de Pilate, les Sanhédristes avaient donc accusé Jésus d’un délit politique, d’un crime de lèse‑majesté. — Tu le dis. Ce que tu dis est vrai ; il en est comme tu le dis. Cette manière de répondre affirmativement à une question est, aujourd’hui encore, usitée en Syrie. Elle n’a pas le sens ambigu que lui prête Théophylacte, lorsqu’il la commente en ces termes : « En lui disant : c’est toi qui le dis, il lui répond avec beaucoup de sagesse. Car il n’a pas dit : je ne le suis pas, ni non plus : je le suis. Mais il employa une formule intermédiaire, quand il lui a répondu : tu le dis. Car on peut le comprendre aussi de la façon suivante : je suis ce que tu dis ; ou encore, cela, moi je ne le dis pas, c’est toi qui le dis » [Théophylacte, Enarratio in Evangelii, Matth. 27, 2.].
Mc15.3 Comme les Princes des prêtres portaient contre lui diverses accusations, — S. Jean, 18, 30, et S. Luc, 23, 5, ont conservé quelques‑unes des accusations que les Sanhédristes portaient contre Jésus. « ils insistaient, en disant : Il soulève le peuple, en enseignant par toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici ».
Mc15.4 Pilate l'interrogea de nouveau, disant : "Tu ne réponds rien ? Vois de combien de choses ils t'accusent." 5 Mais Jésus ne fit plus aucune réponse, de sorte que Pilate était dans l'étonnement. — Pilate qui déjà s’intéresse à l’accusé et voudrait lui sauver la vie, le presse de se défendre, espérant bien qu’un homme en qui se manifeste une telle dignité renversera sans peine les allégations évidemment passionnées des Sanhédristes. Mais Jésus ne fit plus aucune réponse, se contentant du « Tu le dis » prononcé quelques instants auparavant. Le Sauveur se tait ; il est prêt à subir, par amour pour nous, le sort qu’on lui destine ; il ne veut rien faire pour écarter la coupe amère de sa Passion.
Marc 15, 6‑15. Parall. Matth. 27, 15‑26 ; Luc 23, 17‑25 ; Jean 18, 39–19.1.
Mc15.6 Cependant, à chaque fête de Pâque, il leur relâchait un prisonnier, celui qu'ils demandaient. 7 Or, il y avait dans la prison le nommé Barabbas, avec les séditieux ses complices, pour un meurtre qu'ils avaient commis dans la sédition. — Avant d’arriver à la scène principale, l’Évangéliste note deux faits préliminaires, destinés à orienter le lecteur sur la suite de l’incident. Le premier fait, v. 6, consiste en une coutume ayant force de loi d’après laquelle, à l’occasion de la Pâque, le gouverneur romain devait mettre en liberté un prisonnier juif, que le peuple se chargeait lui‑même d’indiquer. Voyez, sur cet usage, l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 15. — Second détail préliminaire, v. 7. Il y avait précisément alors dans la prison du prétoire « un prisonnier célèbre » (Matthieu), nommé Barabbas, dont S. Marc caractérise très nettement la conduite criminelle, afin de mieux faire ressortir le contraste qui va suivre (v. 11). 1° dans la prison (…) avec les séditieux. C’était un de ces nombreux sicaires qui s’insurgeaient fréquemment alors contre l’autorité romaine, surtout depuis que Pilate se faisait comme un plaisir de blesser les sentiments religieux et nationaux des Juifs. 2° Pour un meurtre qu’ils avaient commis. À la révolte il avait joint l’homicide. Ses mains étaient souillées de sang. Voilà l’homme qu’on va bientôt préférer à Jésus.
Mc15.8 La foule étant montée se mit à réclamer ce qu'il leur accordait toujours. — Après ce petit préambule S. Marc reprend le fil du récit. — La foule, étant montée. Indiquerait que la foule se rendit au prétoire de toutes les parties de la ville, ou bien gravit le Lithostrotos (cf. Jean 19, 13) qui servait de tribunal au gouverneur. — Se mit à réclamer ce qu’il leur accordait toujours. Construction elliptique, pour « se mit à réclamer qu’il leur accorde comme d’habitude ». La foule réclame donc à grands cris l’exercice de son privilège habituel.
Mc15.9 Pilate leur répondit : "Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ?" 10 Car il savait que c'était par envie que les Princes des prêtres l'avaient livré. — Voulez‑vous que je vous délivre… ? Cette demande du peuple coïncidait trop bien avec les désirs les plus intimes du gouverneur, pour qu’il hésitât un seul instant à l’exaucer. Saisissant ce moyen inattendu qui lui était offert de sauver Notre‑Seigneur, il suggère aussitôt à la multitude l’idée de lui appliquer l’amnistie. Par les mots le roi des Juifs, il espérait peut‑être susciter davantage la pitié du peuple : Ne vous laissez‑vous pas toucher par l’état misérable de cet homme qui dit être votre roi ? On leur a donné parfois, mais à tort, un sens ironique. — Car il savait... Le cours même des débats avait révélé à Pilate que c’était par envie que les chefs du parti sacerdotal (leur mention en cet endroit est propre à S. Marc) voulaient à tout prix se défaire de Jésus. Voilà pourquoi, sans engager sa responsabilité, il essayait de s’appuyer sur la foule pour leur arracher leur victime.
Mc15.11 Mais les Pontifes excitèrent le peuple, afin d'obtenir qu'il leur relâchât plutôt Barabbas. — Les prêtres comprirent la manœuvre du « Procurator », et ils s’empressèrent de la déjouer en excitant eux‑mêmes le peuple contre Jésus. L’interruption produite dans l’audience par l’arrivée du messager de la femme de Pilate (cf. Matth. 27, 19, 20) leur accorda quelques minutes dont ils profitèrent habilement pour arriver à leurs fins sataniques. — Excitèrent. L’expression correspondante du texte grec est d’une grande énergie. On ne la trouve qu’ici et dans Luc 23, 5. Elle désigne des efforts vigoureux, opérés en vue d’agiter une réunion d’hommes en soulevant leurs plus mauvaises passions. — Qu’il délivrât plutôt Barabbas… « plutôt », de préférence. Les prêtres représentaient sans doute au peuple que Barabbas était, après tout, un valeureux champion de la nationalité juive contre l’oppression romaine, un zélote plein de patriotisme, et, qu’à ce titre, c’était à lui qu’on devait donner la préférence.
Mc15.12 Pilate, reprenant la parole, leur dit : "Que voulez-vous donc que je fasse de celui que vous appelez le roi des Juifs ?" 13 Ils crièrent de nouveau : "Crucifiez-le." — Nous avons ici un exemple de la manière dont S. Marc abrège et condense les faits. Il passe sous silence, parce qu’elles étaient contenues en germe dans les deux lignes qui précèdent (v. 11), une question de Pilate et une réponse de la foule. Nous trouvons l’une et l’autre dans le premier Évangile, Matth. 27, 21 : « Lequel des deux voulez‑vous que je vous délivre ? Ils dirent : Barabbas ». Quoique déçu dans son espérance, Pilate cherche encore à sauver Jésus, en demandant au peuple : Que ferai‑je donc au roi des Juifs ? Ou, d’après une leçon très accréditée : Que ferai‑je à celui que vous dites être le roi des Juifs ? Il pensait obtenir, pour Jésus comme pour Barabbas, un vote d’élargissement. — Crucifie‑le. Telle fut la sentence barbare prononcée par la foule. Elle choisit, pour son Messie, le plus atroce et le plus ignominieux des supplices romains. On voit jusqu’à quel point les prêtres avaient réussi à la fanatiser.
Mc15.14 Pilate leur dit : "Mais quel mal a-t-il fait ?" Et ils crièrent encore plus fort : "Crucifiez-le." — Mais quel mal a‑t‑il fait ? Tout entier aux moyens ingénieux, Pilate tâche d’attirer l’attention de la multitude sur l’innocence de celui dont elle demandait impitoyablement la mort. Mais une populace ameutée, avide de sang, s’inquiète bien de l’innocence de ceux qu’elle égorge. « Les Juifs, cédant à leur folie, ne répondent pas à la question de leur gouverneur ». — Et ils criaient encore plus fort : Crucifie‑le, « Pour que s’accomplisse cette parole de Jérémie (c. 12) : mon héritage est devenu comme un lion dans la forêt : ils ont donné de la voix contre moi ». Bède le Vénérable. — Saint Pierre reprochera plus tard aux Juifs, Actes 3, 13‑15, leur conduite : « Jésus,... vous l'aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie ». Ces ennemis de Jésus ne se doutaient guère alors qu’eux‑mêmes ou leurs enfants expieraient bientôt sur la croix le crucifiement de Jésus. Un grand nombre de Judéens en effet furent condamnés à ce supplice par les Romains, durant la guerre qui mit fin à la nation théocratique [Cf. Flavius Josèphe, Bellum Judaicum, 6, 28.].
Mc15.15 Pilate, voulant satisfaire le peuple, leur délivra Barabbas et après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour être crucifié. — Pilate a fait preuve assurément de quelque justice dans la scène qui précède ; mais il n’a résisté que trop mollement à la foule, et maintenant il n’est plus maître de la situation. À Césarée déjà, comme le raconte Josèphe [Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 4, 3, 1.], il avait appris dans une circonstance analogue jusqu’où pouvait aller l’obstination d’un attroupement israélite. Il cède donc lâchement aux deux volontés qui avaient été exprimées devant lui : il met Barabbas en liberté et condamne Jésus au supplice de la croix. « Tu iras à la croix », telle était, dans sa concision toute romaine, la sentence du juge en pareil cas. — Les mots voulant satisfaire le peuple montrent le but que se proposait le Procureur en décrétant ce supplice pour Jésus. Il voulait se débarrasser d’une foule devenue menaçante, relever par cette concession sa popularité depuis longtemps ébranlée. Il est vrai qu’il sacrifiait pour cela un innocent. Mais un gouverneur romain, et surtout un Pilate, n’y regardait pas de si près. — Après avoir fait flageller Jésus : voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 26. Nous avons dit (ibid.) que, dans l’intention de Pilate, la flagellation devait être une sorte de compromis destiné à calmer les désirs sauvages du peuple et à épargner la vie de Jésus. Mais, cet expédient ayant échoué comme les autres, ce ne fut en réalité qu’une cruauté inutile. Il servit du moins à réaliser la prophétie de Jésus, « ils le flagelleront », Marc 10, 33, et à nous mériter un surcroît de grâces. — Sur la flagellation du Christ, le saint Suaire de Turin fournit des informations historiques importantes et émouvantes.
Marc 15, 16‑19. Parall. Matth. 27, 27‑30 ; Jean 19, 2‑3.
Mc15.16 Les soldats conduisirent Jésus dans l'intérieur de la cour, c'est-à-dire dans le prétoire et ils convoquèrent toute la cohorte. — Les soldats… Le contexte indique qu’il s’agit des soldats romains. Cf. Matth. 27, 27, « les soldats du gouverneur ». Quand Jésus eut été condamné à mort par le Sanhédrin, les serviteurs du grand‑prêtre se mirent à l’accabler d’outrages. Cf. Marc 14, 63. La soldatesque impériale agit de même à son égard, quand Pilate eut ratifié la sentence du grand Conseil. — Dans l’intérieur de la cour. La scène à laquelle nous venons d’assister s’était passée dans la cour extérieure du palais qui servait de résidence à Pilate, et qui portait le nom de prétoire selon la coutume romaine ; celle du couronnement d’épines aura lieu dans la cour intérieure, avec laquelle la caserne était sans doute en communication. — Ils convoquèrent toute la cohorte. La cohorte formait la dixième partie de la légion, et comprenait de cinq à six cents hommes. Le « Procurateur » de Judée avait six cohortes à sa disposition : cinq d’entre elles étaient stationnées à Césarée de Palestine ; la sixième restait à Jérusalem.
Mc15.17 Et l'ayant revêtu de pourpre, ils ceignirent sa tête d'une couronne d'épines qu'ils avaient tressée. — Ils le revêtent d’un manteau rouge. « Comme on avait appelé Jésus le roi des Juifs, et que le crime que lui avaient reproché les Scribes et les prêtres était d’avoir voulu usurper le pouvoir sur le peuple d’Israël, les soldats en font le sujet de leurs dérisions, et c’est pour cela que, le dépouillant de ses habits, ils le revêtent de la pourpre, distinction des anciens rois ». Bède le Vénérable. D’après la relation plus exacte de S. Matthieu, 27, 28 (voyez le commentaire), c’est d’une chlamyde, d’un de leurs manteaux écarlates, que les soldats revêtirent Notre‑Seigneur. Les anciens auteurs ne se piquent pas d’une parfaite exactitude lorsqu’il s’agit des couleurs : ils confondent souvent les nuances voisines. C’est pour cela que S. Marc et S. Jean appellent « vêtement pourpre » ce que S. Matthieu nomme « un manteau rouge ». Cf. saint Augustin [De Consensu Evangelistarum, l. 3, c. 9.]. — Une couronne d’épines. La dérision sera complète : au simulacre d’un vêtement royal, on ajoute celui du diadème royal.
Mc15.18 Puis ils se mirent à le saluer : "Salut, roi des Juifs." — Salut, roi des Juifs. De même la Recepta. Mais, d’après de nombreux manuscrits (A, C, E, F, G, etc.), la leçon authentique parait avoir été : « Salut, toi qui es le roi des Juifs ». Cette seconde locution est plus énergique, par conséquent plus outrageante.
Mc15.19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils crachaient sur lui et, fléchissant les genoux, ils lui rendaient hommage. — Ils lui frappaient la tête avec un roseau. Nous savons par S. Matthieu, 27, 29, que ce roseau avait d’abord été placé en guise de sceptre dans la main droite du Sauveur. — Crachaient… adoraient. Remarquez ces imparfaits qui indiquent la répétition, la multiplication des insultes, chacun des soldats de la cohorte voulant jouer son rôle dans cette scène affreuse. Ainsi, se réalisait une autre partie de la prophétie de Jésus : « ils l’insulteront, et cracheront sur lui, », Marc 10, 34. — La dérision du Christ et le couronnement d’épines ont inspiré des œuvres magistrales à Schidone, au Guide, à Valentin, à Luini, à Titien, à Rubens. L’attitude vraiment royale de Jésus y a été en général bien reproduite.
Marc 15, 20‑22. Parall. Matth. 27, 31‑33 ; Luc 23, 36‑32 ; Jean 19, 2‑3.
Mc15.20 Après s'être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre, lui remirent ses vêtements et l'emmenèrent pour le crucifier. — Quoique déjà rassasié d’opprobres, comme l’avait prédit Isaïe, Jésus n’a pas encore vidé la coupe jusqu’à la lie. Il lui faut encore gravir péniblement le Calvaire et y subir par amour pour nous une mort cruelle. C’est pourquoi ils l’emmenèrent pour le crucifier, afin que s’accomplit encore la prédiction du Sauveur : « ils le feront mourir », Marc 10, 34. Ils le font sortir d’abord du prétoire, puis de la ville ; car, chez les anciens, les exécutions avaient lieu en dehors de l’enceinte des cités. Cf. Matth. 27, 32 et l’explication. C’est aussi en vertu d’une coutume soit romaine, soit orientale, que nous voyons le supplice suivre d’aussi près la sentence.
Mc15.21 Un certain Simon de Cyréne, le père d'Alexandre et de Rufus, passant par là en revenant des champs, ils le réquisitionnent pour porter la croix de Jésus, — Ils réquisitionnent… Voir, sur ce mot, l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 41. — Simon de Cyrène. Ce surnom de Cyrénéen indique‑t‑il que Simon habitait la Cyrénaïque, et qu’il ne se trouvait en ce moment à Jérusalem qu’à l’occasion de la Pâque ? ou bien signifie‑t‑il que le porte‑croix de Jésus était simplement originaire de cette province, et que son domicile actuel était depuis un certain temps fixé dans la capitale juive ? Le détail qui suit, revenant des champs, commun à S. Marc et à S. Luc, rend la seconde opinion très vraisemblable. En effet, il paraît supposer ou que Simon possédait aux environs de Jérusalem une propriété de laquelle il revenait en ce moment, ou, d’après le sens plus ordinaire du mot ἀγρος (champ), qu’il avait sa résidence accoutumée à la campagne, à quelque distance de la ville. Le vague un certain montre qu’il n’était pas connu des lecteurs de S. Marc ; mais, d’un autre côté, les mots père d’Alexandre et de Rufus, propres à notre Évangéliste, annoncent que les deux fils du Cyrénéen étaient non seulement des chrétiens, mais des chrétiens célèbres dans l’Église de Rome, pour laquelle était spécialement composé le second Évangile. Il est même probable qu’Alexandre et Rufus étaient eux‑mêmes alors, ou du moins avaient été autrefois domiciliés à Rome ; car parmi les salutations personnelles qui terminent la lettre de saint Paul aux Romains, nous trouvons la suivante, Romains 16, 13 : « Saluez Rufus, choisi par le Seigneur, et sa mère qui est aussi la mienne ». Or, on admet communément que le Rufus de saint Paul et celui de S. Marc sont identiques. Cette opinion se rencontre déjà dans l’écrit apocryphe intitulé « Actes d’André et de Pierre ». Rien ne prouve au contraire qu’il faille confondre l’autre fils de Simon avec le personnage du même nom mentionné d’une manière peu honorable en divers endroits du Nouveau Testament. Cf. Actes 19, 33 ; 1Timothée 1, 20 ; 2Timothée 4, 14. Détail curieux : de ces trois noms que nous trouvons dans une famille juive contemporaine de Notre‑Seigneur, le premier seul (Simon) était juif. Le second (Alexandre) était grec, le troisième (Rufus) était latin. Ce simple fait suffit pour montrer jusqu’à quel point le Judaïsme tendait à se désagréger, pour devenir cosmopolite. — Porter la croix de Jésus. « Tout vice, écrit Plutarque, porte son propre tourment, de même que tout criminel porte sa propre croix » [Plutarque, De sera numinis vindicta, 9.]. Cf. Artemidorus [Artemidorus Daldianus, Oneirocritica, 2, 61.]. Aussi Notre‑Seigneur porta‑t‑il lui‑même pendant un certain temps sa croix sur ses épaules. Si les soldats l’en déchargèrent avant la fin du pénible trajet, ce fut assurément parce que, épuisé de fatigue et de douleur, il n’avait plus la force de traîner son pesant fardeau. C’est pour cela qu’au moment où le convoi sortait de la ville (Cf. Matth. 27, 32) par la « Porte judiciaire » de la tradition, les bourreaux, rencontrant Simon le Cyrénéen, l’obligèrent de porter la croix à la place de Jésus. Du reste, le but principal était atteint, puisque le divin condamné avait eu l’humiliation de traverser, avec l’instrument de son supplice sur le dos, les rues alors si populeuses de Jérusalem, et de recevoir mille outrages.
Mc15.22 qu'ils entraînent au lieu-dit Golgotha, ce que l'on traduit : lieu du Crâne. — Golgotha. Sur le nom et l’emplacement du Golgotha, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 33. — « Ce serait un beau problème résolu, de retrouver à Jérusalem le Chemin que Jésus a parcouru, arrosé de son sang pendant sa Passion. Malheureusement les traditions relatives à la Voie douloureuse sont presque modernes ; c’est‑à‑dire que les stations désignées aujourd’hui n’ont été définitivement arrêtées qu’au moyen âge. Les seuls points fixes sont le prétoire, qui certainement était situé dans la tour Antonia, le Calvaire et le tombeau : tout le reste est conjectural. Les transformations profondes et successives qu’a subies la Ville sainte rendent presque impossible de reconnaître exactement la ligne parcourue ; on se perd dans un dédale de constructions modernes qui empêchent de l’aborder. Au point de vue de la foi une approximation est tout à fait suffisante » [Charles Rohault de Fleury, Mémoire sur les Instruments de la Passion, p. 280 et s.]. La « Via crucis », telle que les pèlerins la suivent à Jérusalem depuis plusieurs siècles, s'étend sur environ 500 mètres et est marquée par neuf des quatorze stations du chemin de croix. Les cinq dernières stations sont à l'intérieur de l'église du Saint-Sépulcre. Sa direction générale est de l’Est à l’Ouest, entre la porte saint Étienne et le couvent latin. « Il y a, dit un auteur protestant, quelque chose qui impressionne vivement dans cette rue sombre, avec ses passerelles voûtées, ses taches d’ombre et de lumière, et ses pierres vénérées autour desquelles on aperçoit toujours quelques petits groupes de pèlerins ». La partie de la Voie douloureuse qui monte au Saint‑Sépulcre d’une manière assez abrupte a un cachet tout à fait pittoresque. — Parmi les chefs‑d’œuvre presque innombrables qu’a produits la représentation intégrale ou partielle du Chemin de la Croix, bornons‑nous à signaler un tableau de Titien, image saisissante du Christ portant sa croix et ayant autour du cou une corde tirée par un personnage ignoble et le « Spasimo » de Raphaël. « Le mélange de souffrance et de pitié dans le regard du Christ, quand il s’affaisse sous sa croix, et qu’il dit aux filles de Jérusalem de ne pas pleurer sur lui, donne à cette partie du tableau une force d’attraction qui semble avoir été calculée pour provoquer un élan d’amour ou de contrition » (Rio).
Marc 15, 23‑37. Parall. Matth. 27, 34‑50 ; Luc 23, 33‑46 ; Jean 23, 18‑30.
Mc15.23 Et ils lui donnaient à boire du vin mêlé de myrrhe, mais il n'en prit pas. — Ce verset raconte l’un des préliminaires du supplice de Jésus. Quand l’auguste victime fut arrivée chancelante sur le Golgotha, en vertu d’un ancien usage juif on lui offrit, tout à la fois pour la fortifier et pour la rendre moins sensible aux horribles souffrances du crucifiement, un breuvage que S. Matthieu (27, 34, voyez le commentaire) appelle « vin mêlé de fiel », mais que S. Marc désigne plus exactement par les mots vin mêlé de myrrhe, c’est‑à‑dire un mélange de vin et de myrrhe. On sait que les anciens recherchaient ce mélange à cause de son goût aromatique très prononcé [Cf. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 14, 15] ; mais, de plus, ils le regardaient comme un puissant narcotique [Dioscorides, 1, 77.], et c’est pour ce motif que, d’après l’opinion généralement suivie, des personnes dévouées l’offrirent à Jésus. — Mais il n’en prit pas. Le Christ, en effet, devait mourir vivant, et non pas endormi. Néanmoins, comme le dit S. Matthieu, Jésus consentit à prendre quelques gouttes du vin myrrhé.
Mc15.24 L'ayant crucifié, ils se partagent ses vêtements, tirant au sort ce que chacun en prendrait. — L'ayant crucifié. Quelles souffrances dans ce seul mot. « Mes Frères, je vous en conjure, soulagez ici mon esprit ; méditez vous‑mêmes Jésus crucifié, et épargnez‑moi la peine de vous décrire ce qu’aussi bien les paroles ne sont pas capables de vous faire entendre : contemplez ce que souffre un homme qui a tous les membres brisés et rompus par une suspension violente ; qui, ayant les mains et les pieds percés, ne se soutient plus que sur ses blessures, et tire ses mains déchirées de tout le poids de son corps entièrement abattu par la perte du sang ; qui, parmi ses excès de peine, ne semble élevé si haut, que pour découvrir de loin un peuple infini, qui se moque, qui remue la tête, qui fait un sujet de risée d’une extrémité si déplorable » [Jacques‑Bénigne Bossuet, 4e sermon pour le Vendredi saint, Édit. de Versailles, t. 3, p. 488.]. — Pour toutes les questions relatives à la croix et au crucifiement, nous renvoyons le lecteur à notre Évangile selon S. Matthieu, 27, 35 et au livre du Docteur Pierre Barbet, La Passion de Jésus Christ selon le chirurgien, éditions Médiaspaul, ISBN 2-7122-0049-7. Nous invitons les lecteurs à chercher sur l’Internet, les photos de face et de profil du Crucifix du Docteur Charles Villandre, chirurgien et sculpteur qui présente le crucifix qui se rapproche le plus de la vérité historique. Au point de vue artistique, on pourrait remplir un volume si l’on voulait décrire tout ce que le crucifiement de Jésus a produit de remarquable en fait de tableaux, de gravures et de sculptures. Avec la crèche, c’est la croix qui a le plus inspiré les grands maîtres le tous les temps. Les œuvres de Duccio, de Bernardino Luini, de Cavallini, de Lorenzetti, d’Avanzi, de Ferrari, de Véronèse, du Pérugin, de Rubens, de fra Angelico, nous plaisent entre toutes. — Ils partagèrent ses vêtements… Valentin et Lebrun ont bien reproduit cette scène. Les licteurs ou soldats qui remplissaient l’office de bourreaux avaient droit aux vêtements des suppliciés. Les dés à jouer, que tout guerrier romain portait habituellement sur lui, servirent à déterminer le lot de chacun des quatre exécuteurs.
Mc15.25 Il était la troisième heure lorsqu'on le crucifia. — Trait propre à S. Marc. La troisième heure des anciens équivaut environ à 9 h du matin. Comme d’après S. Jean, 19, 14, Jésus se trouvait encore au prétoire vers la sixième heure, on a souvent pensé, à la suite de saint Jérôme, que l’adjectif « troisième » de notre texte devait être une erreur de copiste pour « sixième » ; mais nous verrons plus tard que S. Jean avait adopté une numération spéciale. Il n’y a donc rien à changer.
Mc15.26 L'inscription indiquant la cause de sa condamnation portait : "Le roi des Juifs." — L’inscription… « Titulus », ἡ ἐπιγραφὴ, tels étaient bien les mots techniques de la Grèce et de Rome pour désigner la planchette sur laquelle on écrivait le motif de la condamnation des crucifiés, et qu’on attachait au sommet de la croix. Voyez Matth. 27, 37 et le commentaire. — Le roi des Juifs. Des quatre inscriptions qui nous ont été conservées dans les saints Évangiles, celle de S. Marc est notablement la plus courte. Elle indique seulement la nature du crime, imputé à Jésus. Peut‑être était‑ce l’inscription latine.
Mc15.27 Ils crucifièrent avec lui deux brigands, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. 28 Ainsi fut accomplie cette parole de l'Écriture : "Et il a été mis au rang des malfaiteurs." — Ils crucifièrent avec lui… C’était, on le devine aisément, pour humilier davantage Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qu’on avait crucifié auprès de lui deux scélérats de la pire espèce. En les plaçant l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, comme des assesseurs, on jouait encore sur son titre de roi ; car, dans cette situation, ils semblaient se tenir à côté de son trône à la façon de deux premiers ministres. — Ainsi fut accomplie cette parole de l’Écriture… Notre Évangéliste, tout à fait au début de son récit, 1, 2 et ss., a déjà signalé à propos du Précurseur la réalisation des prophéties de l’Ancien Testament. — Il a été rangé parmi les criminels… Cette prophétie est extraite d’Isaïe 53, 12. Les anciens Juifs l’entendent du Messie. Saint Philippe, dans les Actes, 8, 32‑33, lui en fait aussi l’application. Et Jésus‑Christ lui‑même dans S. Luc, 22, 37, avait averti qu’il fallait qu’on en vît l’application dans sa personne.
Mc15.29 Les passants l'insultaient, en hochant la tête et disant : "Ah, Toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, 30 sauve-toi toi-même et descends de la croix." 31 Les Princes des prêtres aussi, avec les Scribes, le raillaient entre eux et disaient : "Il en a sauvé d'autres et il ne peut se sauver lui-même. 32 Que le Christ, le roi d'Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions." Ceux même qui étaient crucifiés avec lui l'insultaient. — S. Marc passe au récit navrant des outrages dont les Juifs n’eurent pas honte d’abreuver le divin Crucifié. Les détails qu’il donne à ce sujet diffèrent à peine de ceux que nous avons lus dans S. Matthieu. Il distingue, lui aussi, trois classes d’insulteurs : les passants, vv. 29 et 30, les Sanhédristes, vv. 31 et 32a, et les voleurs 32b. Il abrège un peu, selon sa coutume : mais il a aussi plusieurs petits traits originaux, par exemple, le pittoresque entre eux du v. 31, et les mots afin que nous voyions du v. 32. — Cette affreuse scène montre jusqu’à quel point allait la haine des ennemis de Jésus : elle est du reste très conforme aux mœurs de l’Orient, où l’on ne craint pas d’insulter les condamnés à mort jusque sur le gibet où ils agonisent.
Mc15.33 La sixième heure étant arrivée, les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu'à la neuvième heure. — Les ténèbres se répandirent sur toute la terre. Trois heures déjà s’étaient écoulées depuis que Jésus avait été attaché à la croix. Cf. v. 25. Vers midi (sixième heure), le ciel se voila tout à coup d’une manière mystérieuse et surnaturelle (voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 45), comme pour n’être pas témoin des souffrances et de la mort du Christ. Ces ténèbres, qui enveloppèrent non seulement la ville déicide, mais la Palestine entière et probablement une partie considérable du vieux monde, toute la terre, persévérèrent jusqu’au dernier soupir de Jésus.
Mc15.34 Et à la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte : "Éloï, Éloï, lama sabacthani." Ce qui se traduit : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ?" — Et à la neuvième heure. À trois heures de l’après‑midi. C’est alors qu’on offrait dans le temple le sacrifice du soir. À ce moment suprême, l’agonie de Jésus expirant atteignit son plus haut degré. Délaissé de son Père céleste, de même qu’il était délaissé des hommes, Notre‑Seigneur prononça d’une voix forte ce texte des Psaumes : Eloï, Eloï, lamma sabacthani. Cf. Matth. 27, 46 et l’explication. Dans le premier Évangile, nous lisions « Eli » (אלי) au lieu de « Eloï » (אלהי). S. Marc a conservé la forme araméenne, qui fut vraisemblablement celle dont le divin Maître se servit. Quelles angoisses dans cette exclamation déchirante.
Mc15.35 Quelques-uns de ceux qui étaient là, l'ayant entendu, disaient : "Voyez, il appelle Élie." 36 Et l'un d'eux courut emplir une éponge de vinaigre et l'ayant mise au bout d'un roseau, il lui donna à boire, en disant : "Laissez, voyons si Élie viendra le faire descendre." — il appelle Élie. Notre Évangéliste raconte presque dans les mêmes termes que S. Matthieu l’incident auquel donna lieu le cri de détresse poussé par Jésus. Le dernier trait, laissez, voyons..., a néanmoins reçu dans sa narration une forme spéciale. En effet, tandis que c’est à une personne animée d’un certain sentiment de compassion à l’égard de Jésus qu’il fait dire : Laissez. voyons si Élie viendra l’aider à descendre, S. Matthieu prête cette réflexion à toute l’assistance : « Mais les autres disaient : Laisse, voyons si Élie viendra le délivrer. ». Mais qui donc prononça en réalité cette parole ? « De là nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage », répond fort bien saint Augustin [De Consensu Evangelistarum, Livre 3, c. 17]. En combinant les deux récits, on obtient un tableau vivant de la surexcitation créée au pied de la croix par le cri du Sauveur. — Notons encore, d’un côté l’expression viendra le faire descendre, plus pittoresque que le « viendra le sauver » du premier Évangile ; d’un autre côté, la description aussi rapide que dût l’être le fait lui‑même. C’est bien là le style de S. Marc.
Mc15.37 Mais Jésus, ayant jeté un grand cri, expira. — Ce cri poussé d’une voix forte était le cri d’un vainqueur plutôt que celui d’un agonisant. Jésus expira donc dans la plénitude de sa liberté, et non comme une victime de la sentence terrible qui a condamné tous les hommes à la mort.
Marc 15, 38‑41. Parall. Matth. 27, 51‑56 ; Luc 23, 47‑49.
Mc15.38 Et le voile du sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas. — « Après avoir raconté la passion et la mort du Christ, l’évangéliste continue avec ce qui est arrivé après la mort du Seigneur », Glossa ordinaria. S. Marc, comme S. Matthieu, mentionne trois sortes d’incidents ; mais il abrège considérablement le premier car, se contentant de parler du voile du temple, il ne dit rien du tremblement de terre, des rochers fendus, des morts ressuscités. — Premier fait : Le voile du temple se déchira en deux. Ce fut là certainement un éclatant prodige et un profond symbole. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 51. Grâce à la mort de Jésus, il n’y a désormais plus de barrière entre Dieu et les hommes. La porte du royaume des cieux est largement ouverte. Le voile qui séparait les deux parties du temple nommées Saint et Saint des Saints était magnifique : il était composé en grande partie de pourpre et d’or ; des Chérubins brodés le recouvraient presque en entier.
Mc15.39 Le centurion qui se tenait en face de Jésus, voyant qu'il avait expiré en jetant un tel cri, dit : "Vraiment cet homme était Fils de Dieu." — C’est le second fait. S. Marc, dans la relation qu’il en donne, a plusieurs particularités intéressantes. D’abord, il emploie pour désigner le centurion un mot latin grécisé, κεντυρίων, tandis que les deux autres synoptiques se servent de l’expression classique ἐκατόνταρχος (chef de cent hommes) : de même aux vv. 44 et 45 (voir la Préface, § 4, 3). En second lieu, il est seul à noter un trait pittoresque, qui était en face de Jésus, d’où il ressort que le centurion avait parfaitement vu et entendu. En troisième lieu, il signale explicitement le dernier cri du Sauveur comme la cause de l’étonnement du centurion, voyant qu’il avait expiré en jetant un tel cri. Cet homme de guerre, qui avait sans doute assisté à un grand nombre d’agonies, ne se souvenait pas d’avoir jamais été témoin d’un pareil fait. Dans ce cri, d’autant plus extraordinaire que les crucifiés mouraient presque toujours d’étouffement, suite à la tétanie des membres, ils ne pouvaient plus pousser sur leurs jambes pour reprendre leur respiration, il vit donc quelque chose de surnaturel : puis, l’associant à la conduite si noble de Jésus, à sa patience, aux ténèbres mystérieuses, etc., il en vint jusqu’à formuler ce jugement intérieur : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. C’est la seconde conversion opérée par le Christ mourant : la première avait été celle du bon larron.
Mc15.40 Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin, entre autres Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joseph et Salomé, 41 qui le suivaient déjà et le servaient lorsqu'il était en Galilée et plusieurs autres qui étaient montées à Jérusalem avec lui. — Des femmes qui regardaient de loin. Ces mots font tableau, de même que « qui était en face» au verset précédent. — Comme S. Matthieu, S. Marc signale à part trois des saintes amies de Jésus, les plus connues sans doute et les plus dévouées. Mais il y a quelque chose de spécial dans sa mention des deux dernières. 1° Au nom de Jacques, fils de Marie, il ajoute l’épithète le Mineur, pour le distinguer de l’Apôtre saint Jacques dit le Majeur. D’où provenait ce surnom ? Suivant les uns de la taille, suivant d’autres de la jeunesse relative du fils de Marie ; on a dit aussi qu’il se l’était lui‑même imposé par modestie. 2° S. Marc désigne la mère des enfants de Zébédée par son nom de Salomé. Cf. Matth. 27, 56. — Qui le suivaient déjà et le servaient… L’Évangéliste condense dans ces quelques paroles une longue série de services généreux et dévoués. Cf. Luc 8, 1‑3. Remarquez l’emploi de l’imparfait. — Plusieurs autres encore, qui étaient montées à Jérusalem avec lui… Ces saintes femmes n’ont pas voulu se séparer de leur Maître : elles l’ont suivi jusqu’à la mort.
Marc 15, 42‑47. Parall. Matth., 27, 57‑61 ; Luc 23, 50‑56 ; Jean 19, 38‑42.
Mc15.42 Le soir étant venu, comme c'était la Préparation, c'est-à-dire la veille du sabbat, — Nous trouvons dans ce verset deux circonstances de temps, relatives, la première, le soir venu, à l’heure du jour vers laquelle se passèrent les faits qui vont être racontés, la seconde, c’était… la veille du sabbat, au jour lui‑même. C’était un jour de « Parascève », c’est‑à‑dire de Préparation ; or, comme l’indique ensuite S. Marc pour ses lecteurs non‑juifs, ce mot technique équivaut à « avant‑sabbat », par conséquent, à « veille du sabbat ». C’est donc le vendredi qu’on désignait ainsi dans le Judaïsme. Cf. Matth. 27, 62. Mais, comme le sabbat approchait (comp. Luc 23, 54 et le commentaire) lorsqu’on procéda à l’ensevelissement du Sauveur, et comme, d’un autre côté, les jours commençaient chez les Juifs au coucher du soleil, la vague formule Le soir étant venu doit indiquer les dernières heures du vendredi, de trois à six heures environ. — Ces renseignements de l’Évangéliste ont pour but d’expliquer pourquoi Joseph d’Arimathie et les autres amis de Jésus se hâtèrent de l’ensevelir. Une grande diligence était nécessaire, puisqu’on ne pouvait disposer que d’un temps peu considérable avant l’ouverture du repos sacré.
Mc15.43 arriva Joseph d'Arimathie : c'était un membre du grand conseil fort considéré, qui attendait, lui aussi, le royaume de Dieu. Il était allé avec courage auprès de Pilate, demander le corps de Jésus. — Joseph d’Arimathie. On ajoute au nom de Joseph celui de sa patrie, pour le distinguer de ses homonymes évangéliques. Sur la situation probable d’Arimathie, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 57. — Membre du grand conseil. On admet communément (cf. Luc 23, 50, 51 et l’explication) que ce mot signifie dans le Nouveau Testament « assesseur du grand sanhédrin ». Joseph était donc l’un des 70 membres du sanhédrin juif. — Qui attendait, lui aussi… expression emphatique. Lui aussi, comme saint Siméon, comme sainte Anne, comme tant d’autres Juifs pleins de foi, « il attendait le royaume de Dieu », c’est‑à‑dire l’avènement du Messie et de son règne mystique. Cela marque une attente anxieuse, constante et fidèle. Mais, voici que les pieux désirs de Joseph ont été satisfaits : le royaume de Dieu est arrivé pour lui. À en croire une tradition vénérable, ce noble personnage, devenu plus tard missionnaire, aurait évangélisé la grande Bretagne, et construit à Glastonbury, comté de Somerset, le premier oratoire chrétien de l’Angleterre [Acta Martyrum, 2, 507 et ss. ; François Giry, Vie des Saints, 3, 328‑331.]. Une autre tradition, qui présente moins de garanties, le range parmi les 72 disciples. — Le courage d'aller chez Pilate. Il fallait en soi un courage réel pour faire alors ouvertement une démarche favorable à Jésus ; en second lieu parce que, jusqu’à cet instant, Joseph était demeuré disciple secret du divin Maître « par crainte des Juifs », Jean 19, 38. Mais la croix du Sauveur l’a transformé en héros. Sa timidité antérieure disparaît complètement, et il s’approche sans crainte de Pilate pour lui demander le corps de Jésus.
Mc15.44 Mais Pilate, surpris qu'il fût mort si tôt, fit venir le centurion et lui demanda s'il y avait longtemps que Jésus était mort. 45 Sur le rapport du centurion, il accorda le corps à Joseph. — Pilate, surpris… Détail propre à S. Marc. Les crucifiés demeuraient ordinairement un jour et demi, deux jours, parfois même trois jours sur la croix avant d’expirer. Aucun organe essentiel n’étant lésé en eux, la vie ne les quittait qu’avec lenteur. Cela dépendait que la hauteur où les pieds étaient cloués : plus les jambes étaient à plat et moins le crucifié pouvait pousser sur elles pour reprendre son souffle et se maintenir en vie. Plus les crucifiés étaient cloués les jambes pliées et plus le supplice était long et abominables. Ils brisèrent les jambes des deux larrons pour les empecher de reprendre leur souffle et ainsi les condamner à une mort par étouffement plus rapide. Donc Pilate fut étonné. De là l’enquête qu’il fit faire auprès du centurion de garde. — Il accorda le corps. Dans le texte grec, le verbe signifie proprement « donner en présent, donner d’une manière gratuite ». Il n’était pas rare que les magistrats romains ne consentissent que moyennant une somme considérable à livrer aux parents ou aux amis les corps des suppliciés, pour qu’on leur accordât une sépulture honorable [Cf. Cicéron, Verrines, v, 45 ; Justin (Marcus Junianus Justinus), 9, 4, 6.] : Pilate se montra généreux et ne demanda rien. C’est sans doute ce que notre Évangéliste a voulu exprimer par ce verbe.
Mc15.46 Alors Joseph, ayant acheté un linceul, descendit Jésus, l'enveloppa du linceul et le déposa dans un tombeau, taillé dans le roc, puis il roula une pierre à l'entrée du tombeau. — Après avoir raconté les préliminaires de la sépulture de Jésus, l’Évangéliste passe au fait même de l’ensevelissement. — Ayant acheté un linceul est une particularité de S. Marc. C’est au sortir du prétoire que Joseph alla acheter le sindon, c’est‑à‑dire une grande pièce d’étoffe destinée à servir de linceul à Jésus. — Descendit Jésus : expression classique pour indiquer l’action de descendre de la croix les corps des crucifiés. — Le déposa dans un tombeau, « un tombeau neuf », ajoute S. Matthieu, 27, 60 (voyez le commentaire). Ainsi s’accomplissait un oracle célèbre d’Isaïe, 53, 9 : On lui a donné son tombeau avec les méchants et dans sa mort il est avec le riche, alors qu'il n'a pas commis d'injustice et qu'il n'y a pas de fraude dans sa bouche. — Les grands maîtres ont souvent pris ce verset pour thème de leurs magnifiques développements. 1° Descente de croix : Schidone, fra Bartolomeo, Andrea del Sarto, Raphaël, Jouvenet, Lesueur, Bourdon, B. Luini, Antonio Razzi, Giotto, fra Angelico, Rubens, etc. 2° Le Christ porté au tombeau : Schidone, Titien. 3° L’ensevelissement : le Bassan, Rosso, Van der Werff, Pinfuricchio, Raphaël, etc.
Mc15.47 Or Marie-Madeleine et Marie, mère de Joseph, observaient où on le déposait. — L’épisode de la sépulture se termine, dans les deux premiers Évangiles, comme celui du crucifiement. Cf. vv. 40 et 41 ; Matth. 17, 55, 56, 61. De part et d’autre nous voyons, à l’arrière‑scène du tableau, les saintes femmes debout, et pourtant attentives à ce qui se passait autour d’elles : elles ne quitteront le Calvaire que lorsque les restes précieux de Jésus auront été mis dans le tombeau, et encore ne sera‑ce qu’avec l’intention de revenir au plus tôt. C’est pour cela qu’elles regardaient où on le déposait.
16, 1-8. Parall. Matth. 28, 1‑10 ; Luc 24, 1‑8.
Mc16.1 Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et Salomé, achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus. — « Après la tristesse du sabbat, brille un jour heureux, qui détient le primat parmi les jours, les premiers rayons du soleil resplendissant en lui, et le Seigneur ressuscitant triomphalement » [Pseudo‑Hieron., h. l.]. Les détails de ce premier verset sont propres à notre Évangéliste. Ils consistent en une date, en un fait, en un but. — 1° La date : Lorsque le sabbat fut passé ; c’était donc le samedi soir après le coucher du soleil, puisque, à ce moment, le sabbat et son repos obligatoire cessaient. — 2° Le fait : les trois saintes femmes que nous avions vues la veille auprès de la croix de Jésus expirant, Marc 15, 40, achètent des baumes et des parfums précieux. Elles le pouvaient alors ; car, aussitôt que le sabbat avait pris fin, les magasins, fermés pendant les vingt‑quatre heures précédentes, s’ouvraient afin que chacun pût faire ses achats pour les besoins du soir et du lendemain matin. — Marie mère de Jacques est la même que « Marie mère de Joseph » de la fin du chap. 15 (v. 47). D’abord désignée, Marc 15, 40, par les noms réunis de ses deux fils, elle l’est ensuite alternativement par les noms séparés de l’un et de l’autre. — 3° Le but : venir embaumer Jésus. L’ensevelissement du Sauveur avait eu lieu à la hâte et d’une manière imparfaite à cause de l’approche du sabbat (cf. Marc 15, 42). Les pieuses amies de Jésus se proposent de le compléter.
Mc16.2 Et, le premier jour de la semaine, de grand matin, elles arrivèrent au tombeau, le soleil étant déjà levé.— La formule le premier jour après le sabbat indique par conséquent le dimanche. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 28, 1. — Le soleil étant déjà levé. S. Marc ayant dit une ligne plus haut qu’il était de grand matin, la conciliation se fait sans peine si l’on admet que, parties de chez elles avant le lever du soleil, les deux Marie et Salomé arrivèrent au tombeau de Jésus quand cet astre commençait à paraître. Du reste, à cette époque de l’année, en Orient surtout, l’heure du lever du soleil peut s’appeler matinale. Comparez Jean 20, 1 et l’explication.
Mc16.3 Elles se disaient entre elles : "Qui nous ôtera la pierre qui ferme l'entrée du tombeau ?" 4 Et, levant les yeux, elles aperçurent que la pierre avait été roulée de côté, elle était en effet fort grande. — Elles disaient entre elles. Chemin faisant, Marie Madeleine et ses compagnes ont un sujet d’anxiété. Se rappelant qu’une grosse et lourde pierre avait été roulée à rentrée de la grotte sépulcrale, Marc 15, 46, elles se demandent : Qui nous ôtera la pierre… ? Elles craignent, à celle heure peu avancée du jour, de ne rencontrer personne qui puisse leur rendre ce service. On le voit, elles sont dans une ignorance absolue de ce qui s’était passé l’avant‑veille auprès du tombeau. Elles ne savent rien des gardes, ni des sceaux apposés sur la pierre. Cf. Matth. 27, 62‑66. — Elles aperçurent : littéralement « voir de bas en haut ». Or le tombeau était précisément sur une éminence, et les saintes femmes arrivaient par en bas. Ce trait est donc tout à fait pittoresque. D’ailleurs, tous les détails contenus dans ces deux versets sont de nouvelles particularités du second Évangile. —Elle était fort grande. Cela explique comment les saintes femmes purent remarquer de loin que la pierre avait été roulée en avant du tombeau.
Mc16.5 Entrant alors dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche et elles furent saisies de frayeur. — Entrant dans le tombeau. Les tombeaux juifs des environs de Jérusalem, du moins les plus considérables, consistaient en des chambres plus on moins profondes, creusées dans le roc. Les saintes femmes purent donc pénétrer dans le tombeau où avait reposé Jésus. — Elles virent un jeune homme. Ce jeune nomme était évidemment un ange, d’après l’ensemble du récit ; mais S. Marc a surtout voulu décrire sa forme, son apparition extérieure. De là le nom de jeune homme qu’il lui donne. Était‑ce le même ange qui, selon le récit de S. Matthieu, 28, 2‑4, avait roulé en avant la pierre du tombeau, et fait fuir les gardiens postés par le Sanhédrin ? Tout porte à le croire. Il est vrai que l’auteur du premier Évangile nous le montre assis à l’entrée du tombeau et invitant les saintes femmes à entrer, tandis que, d’après S. Marc, Madeleine et ses compagnes le trouvèrent dans l’intérieur du tombeau. Il est également vrai que S. Luc, 24, 4 et ss., parle non d’un seul ange, mais de deux anges qui seraient apparus aux saintes femmes. Toutefois, ce sont là de simples nuances, qui n’impliquent nullement une contradiction réelle. Pour concilier les trois narrations, il suffit de rappeler, comme nous l’avons fait en des circonstances analogues, qu’aucun des Évangélistes n’a voulu tout raconter, mais que chacun d’eux s’est contenté de noter les circonstances parvenues à sa connaissance, ou qui entraient le mieux dans son plan. Sans doute, tous les faits qu’ils exposent ont eu lieu tels qu’ils les exposent, mais successivement. De là ce principe que nous avons déjà mentionné : « Distingue les temps, et l’Écriture concordera ». Voyez le commentaire de Théophylacte, h. l., et saint Augustin [De Consensu Evangelistarum, l. 3, c. 24]. — Assis à droite : à droite par rapport aux visiteuses ; ou, mieux encore, à droite d’une manière absolue, c’est‑à‑dire au Sud, d’après la manière des Juifs. On sait que, dans la langue hébraïque, le mot droite équivaut à Midi, gauche à Nord. — Vêtu d’une robe blanche. Sur la « stola » des anciens, voyez Marc 12, 38 et l’explication. — Elles furent saisies de frayeurs, expression grecque énergique, qui désigne une terreur extrême.
Mc16.6 Mais il leur dit : "Ne vous effrayez pas, vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié : il est ressuscité, il n'est pas ici, voici le lieu où on l'avait mis. 7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit." — Il leur dit. On trouvera l’explication des paroles de l’Ange dans l’Évangile selon S. Matthieu, 28, 6 Elles sont encore plus rapides et plus entrecoupées ici que dans la narration du premier Évangéliste. Du reste, l’absence de particules de liaison est très naturelle dans la circonstance. S. Marc ajoute deux détails spéciaux. 1° Non seulement il mentionne la croix du divin Ressuscité, dont le souvenir est actuellement si glorieux pour Jésus, si consolant pour nous (« La racine amère de la croix s’est évanouie, la fleur de la vie s’est redressée glorieusement avec tous ses fruits », Gloss.), mais il donne au Sauveur l’humble nom de Jésus de Nazareth. Cf. Actes 22, 8, où Notre‑Seigneur, parlant de sa gloire céleste, s’appelle lui‑mème Jésus de Nazareth. — 2° Et à Pierre est un autre trait caractéristique du second Évangile. Voyez la Préface, § 4. Mais pourquoi saint Pierre est‑il signalé à part entre les disciples ? Peut‑être à cause de sa dignité ; mais plus encore, ainsi que le disait déjà Victor d’Antioche, en signe du pardon complet que le Sauveur lui avait accordé. Aussi comme ces mots, « et à Pierre », durent consoler le cœur désolé du prince des Apôtres. — Comme il vous l’a dit. Variante qui prouve l’indépendance des Évangélistes. Selon S. Matthieu, l’ange aurait dit : « Voici, je vous l’ai prédit ». La prophétie de Jésus, à laquelle il est fait allusion en cet endroit, avait été prononcée à l’issue de la Cène, Marc 14, 28. — Notons encore, au commencement du v. 7, la particule Mais, par laquelle l’ange s’interrompt tout à coup pour passer à un autre sujet. C’est une transition usitée dans la plupart des langues.
Mc16.8 Sortant aussitôt du tombeau, elles s'enfuirent, car le tremblement et la stupeur les avaient saisies et elles ne dirent rien à personne, à cause de leur effroi. — Les saintes femmes se hâtent d’obéir. S. Marc, à propos de leur départ, note plusieurs circonstances particulières. D’abord, trait pittoresque, il nous montre ce départ se transformant aussitôt en une vraie fuite, elles s’enfuirent ; la Recepta dit d’une manière encore plus expressive : « elles s’enfuirent au plus vite ». Pourquoi fuyaient‑elles ainsi ? Le contexte l’indique : le tremblement et la peur les avaient saisies. Le mot grec traduit ici par peur signifie : « égarement de l’esprit », d’où il suit que les amies de Jésus étaient hors d’elles‑mêmes d’épouvante. De là leur fuite précipitée, pour échapper au domaine du surnaturel. Voyez dans S. Matthieu, 28, 8, une nuance non moins intéressante. — Elles ne dirent rien à personne. Ces mots ne signifient pas que les saintes femmes négligèrent d’exécuter les ordres de l’Ange, puisque nous savons, d’après le premier Évangile, qu’« elles allèrent en courant porter la nouvelle aux disciples ». Ils veulent dire, ainsi que l’admettent de concert la plupart des exégètes anciens et modernes, qu’elles gardèrent, le long du chemin, toujours par suite de la frayeur qui les animait, un silence complet sur les événements extraordinaires dont elles venaient d’être témoins. Cf. Euthymius, Fr. Luc, Grotius, etc., h. l.
Marc 16, 9-11. Parall. Jean 20, 11‑18. (Sur l’authenticité des versets 9‑20, voyez la Préface, § 3).
Mc16.9 Jésus étant donc ressuscité le matin du premier jour de la semaine, il apparut d'abord à Marie-Madeleine, de laquelle il avait chassé sept démons, — Le premier jour de la semaine. S. Marc, fidèle jusqu’au bout à ses habitudes de précision, répète la date qu’il avait indiquée déjà au v. 2. Du reste, cette date ajoute ici quelque chose à la narration ; car, plus haut elle ne se rapportait qu’à la visite des saintes femmes, tandis qu’elle indique maintenant d’une manière stricte le jour de la Résurrection du Christ. — Apparut d’abord à Marie‑Madeleine. Des témoignages irrécusables, par exemple ceux de l’Ange, du tombeau vide, avaient démontré déjà que Jésus était vraiment ressuscité d’entre les morts ; mais on ne l’avait pas encore vu lui‑même. C’est Marie Madeleine qui eut la première le bonheur de le contempler après son triomphe (voyez dans Jean 20, 11 et ss., les détails de cette apparition). Les mots de laquelle il avait chassé sept démons (cf. Luc 8, 2 et le commentaire) sont emphatiques, comme « et à Pierre » du v. 7. Ils ont pour but de mettre en relief la bonté, la condescendance généreuse de Notre‑Seigneur. Voyez Bède, Fr. Luc, h. l. — Les mots apparut d’abord de S. Marc peuvent se concilier sans peine avec la pieuse croyance, déjà partagée par saint Ambroise [de Virginibus.], saint Anselme [Saint Anselme de Cantorbéry, Excell. Virgin., Lib. 6.], saint Bonaventure [Meditationes Vitae Christi.], Maldonat, Suarez, etc., d’après laquelle c’est à sa Mère, la Vierge Marie, que Jésus aurait tout d’abord apparu après sa Résurrection.
Mc16.10 Et elle alla l'annoncer à ceux qui avaient été avec lui et qui s'affligeaient et pleuraient. — Elle alla à ceux qui avaient été avec lui. Cette formule, qui désigne tous les disciples et plus spécialement les Apôtres, est nouvelle dans le récit évangélique ; mais elle existe dans les Actes, 20, 18, et n’a rien non plus de bien particulier. D’ailleurs, l’idée de disciples, de compagnons, est en plusieurs endroits exprimée dans notre Évangile par une locution analogue. Cf. Marc 1, 36 ; 2, 25 ; 5, 40. — Qui s’affligeaient et pleuraient. Belle répétition, qui peint au vif la désolation extrême dans laquelle les disciples étaient plongés depuis la mort de leur Maître.
Mc16.11 Quand ils entendirent qu'il vivait et qu'elle l'avait vu, ils ne la crurent pas. — Ils ne la crurent pas. Et pourtant, Μ. Renan affirme audacieusement « que la gloire de la résurrection appartient à Marie de Magdala. Après Jésus, c’est Marie qui a le plus fait pour la fondation du Christianisme. Sa grande affirmation de femme : Il est ressuscité a été la base de la foi de l’humanité » [Ernest Renan, Les Apôtres, p. 13.]. Or il se trouve au contraire, et l’Évangile le dit de la façon la plus formelle, cf. Luc 24, 11, que les Apôtres refusèrent les premiers d’ajouter foi au témoignage de Madeleine. Ils ne crurent que lorsqu’ils eurent eux‑mêmes contemplé de leur propres yeux le Sauveur ressuscité.
Marc 16, 12‑13. Parall. Luc 24.13‑35.
Mc16.12 Ensuite Jésus se montra en chemin sous une autre forme à deux d'entre eux qui allaient à la campagne. — Dans cette seconde apparition notée par S. Marc, on reconnaît sans peine celle que S. Luc raconte en détail au chapitre 24. C’est ainsi que les Évangélistes se confirment et se complètent mutuellement. — Deux d’entre eux, « qui avaient été avec lui », v. 10. Nous savons toutefois par S. Luc que ce n’étaient pas des Apôtres. — Il se montra. Le verbe grec correspondant a le sens de « il se manifesta », et semble avoir été choisi à dessein pour indiquer que Jésus ne fut pas immédiatement reconnu par les deux disciples. Cf. Luc 24, 16, 31. S. Marc l’avait déjà employé plus haut, Marc 4, 22, bien que les autres synoptiques ne s’en servent jamais. — Sous une autre forme. La « forme » représente ici l’apparence extérieure, physique. Cf. Philippiens 2, 7. Cette apparence était « autre », vraisemblablement parce qu’elle avait quelque chose de transfiguré, de plus céleste, depuis la Résurrection, ce qui faisait qu’on ne reconnaissait pas toujours immédiatement Notre‑Seigneur. Mais il est possible aussi que ce mot fasse allusion à l’apparition précédente : en effet, tandis que Jésus s’était présenté à Marie‑Madeleine sous la figure d’un jardinier, Jean 20, 45, il se présente maintenant aux disciples sous celle d’un voyageur. — L’objection tirée de ce que l’adjectif grec traduit ici par « autre » n’apparaît pas ailleurs dans le récit de S. Marc n’a pas la moindre force probante. — Qui allaient à la campagne. Dans le grec, la campagne par opposition à la ville. Cf. Marc 15, 26 et le commentaire.
Mc16.13 Ceux-ci revinrent l'annoncer aux autres, qui ne les crurent pas non plus. — Les deux disciples reprirent le chemin de Jérusalem aussitôt après l’apparition, se hâtant d’en porter la bonne nouvelle aux autres amis de Jésus. Mais ceux‑ci persistèrent dans leur incrédulité. Ce nouveau témoignage les laissa aussi froids que celui de Madeleine, v. 11. — Toutefois, l’épisode des deux pèlerins d’Emmaüs se termine d’une manière bien différente dans le troisième Évangile, Luc 24, 33‑35 : « Et se levant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem ; et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés, 34et disant : Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon. 35Et ils racontaient eux‑mêmes ce qui s’était passé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu lorsqu’il rompait le pain ». Ainsi donc, là on accueille les deux messagers, on leur annonce que Jésus est vraiment ressuscité. Des narrations aussi divergentes peuvent‑elles se concilier ? Quand on lit, dans les quatre Évangiles, l’histoire détaillée des incidents qui eurent lieu le jour de la Résurrection, on est frappé de voir que les disciples, durant cette journée mémorable, furent agités par deux sentiments très distincts, qui les emportaient tour à tour en sens divers, la joie et l’incrédulité. Un moment, ils croient que leur Maître a triomphé de la mort et du tombeau ; puis, l’instant d’après, le doute les saisit et ils refusent de s’en rapporter à ceux qui l’ont vu et entendu. S. Luc a noté un de ces éclairs de foi, S. Marc au contraire l’autre sentiment, qui avait presque aussitôt repris le dessus. Voyez Bède, Théophylacte, Fr. Luc.
Marc 16, 14. Parall. Luc 14, 36‑43 ; Jean 20, 19‑25.
Mc16.14 Plus tard, il se montra aux Onze eux-mêmes, pendant qu'ils étaient à table et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, de n'avoir pas cru ceux qui l'avaient vu ressuscité. — Il y a une gradation manifeste dans les trois apparitions de Jésus dont S. Marc a conservé le souvenir : le Sauveur se montre d’abord à une femme, puis à deux disciples, puis aux onze Apôtres. Plus tard, il se montra : il ne s’agit pas l’apparition du Christ ressuscité qui eut lieu le jour de l’Ascension. Nous croyons, avec la plupart des exégètes, qu’il s’agit encore du jour de la Résurrection et de l’apparition faite en présence des Apôtres dans le Cénacle, à la manière racontée par S. Luc et par S. Jean. — Ils étaient à table. Les Onze, ou plus exactement les Dix, puisque saint Thomas était absent, Jean 20, 24 et ss., étaient donc à table quand Jésus se montra subitement à eux. Cf. Luc 24, 41 et ss. S. Marc dit-il « les onze » parce que Matthias était déjà avec eux ? C’est lui qui fut désigné par le sort pour remplacer Judas après son suicide et sa damnation [Actes des Apôtres, chap.1, 21 Il faut donc que, parmi les hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu avec nous, 22 à partir du baptême de Jean jusqu'au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection." 23 Ils en présentèrent deux : Joseph, appelé Barsabas et surnommé le juste et Mathias. 24 Et s'étant mis en prière, ils dirent : "Seigneur, vous qui connaissez le cœur de tous, indiquez lequel de ces deux vous avez choisi 25 pour occuper dans ce ministère de l'apostolat, la place que Judas a laissée par son crime pour s'en aller en son lieu." 26 On tira leurs noms au sort et le sort tomba sur Mathias, qui fut associé aux onze Apôtres]. — Il leur reprocha leur incrédulité… Le verbe grec est très expressif et désigne de sérieux reproches, qui étaient d’ailleurs justement mérités. Cf. les vv. 41 et 43. S. Marc, en signalant ainsi à plusieurs reprises l’incrédulité des Apôtres par rapport au grand fait de la Résurrection au Sauveur, confirme énergiquement la réalité de ce fait. Son récit prouve que les témoins du miracle n’étaient pas des enthousiastes qui crurent aussitôt ce qu’ils désiraient être vrai.
Mc16.15 Puis il leur dit : "Allez dans le monde entier et prêchez l'Évangile à toute créature. — Puis il leur dit. « Il n’est pas apparu quand les disciples étaient assis à table et qu’il leur reprocha leur incrédulité, mais après ». Maldonat. À la façon des anciens historiens lorsqu’il voulaient abréger, S. Marc réunit, sans tenir compte des intervalles ni des événements intermédiaires, parce qu’ils n’entraient pas dans son plan, deux faits qui furent en réalité séparés par un temps plus ou moins notable. D’après divers auteurs, les paroles qui vont suivre auraient été prononcées lors de la grande apparition que Jésus fit à ses disciples en Galilée (cf. Matth. 28, 16‑20). Nous croyons, avec d’autres exégètes assez nombreux, qu’elles le furent plutôt dans les derniers moments qui précédèrent l’Ascension de Notre‑Seigneur. Elles se composent d’un ordre intimé, vv. 15 et 16, et de pouvoirs considérables accordés aux disciples, vv. 17 et 18, par le divin Maître. L’ordre est d’abord solennellement exprimé, v. 15. — Allez dans le monde entier… Cf. Matth. 28, 19 et le commentaire. Désormais plus de restrictions. Toutes les barrières de nationalités tombent devant la prédication évangélique. Ce n’est plus seulement en Judée que les Apôtres doivent annoncer la bonne nouvelle, mais dans l’univers entier ; ce n’est plus seulement à leurs coreligionnaires qu’ils doivent s’adresser en vue de les convertir, mais à toute la création. Les Rabbins employaient de la même manière l’expression identique כלי־בריאה, pour désigner tout le genre humain. Le mot κτίσις (la création, l’univers, le monde), qu’on trouve plusieurs fois dans S. Marc, n’est pas usité dans les autres Évangiles.
Mc16.16 Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé, celui qui ne croira pas, sera condamné. — Cet ordre si formel : Prêchez. est maintenant motivé. La prédication suscitera la foi, et la foi procurera le salut. Cf. Romains 10, 14 et ss. — La nécessité de la foi et du Baptême en vue du salut éternel est nettement marquée dans ce passage : Celui qui croira et qui sera baptisé… « Jésus n’a pas dit : Celui qui se contentera de croire ; il n’a pas dit non plus : Celui qui se contentera de se faire baptiser ; mais il a uni les deux choses, car l’une sans l’autre ne saurait suffire pour sauver l’homme ». Euthymius. Voyez les théologiens, aux traités de la foi et du baptême. — Celui qui ne croira pas sera condamné. C’est le contraire du premier hémistiche. Il est à noter que Jésus n’ajoute pas « et ne sera pas baptisé », bien que le parallélisme semble exiger ces mots ; mais ils eussent été superflus, car il est évident que ceux qui refuseront de croire à l’Évangile ne consentiront jamais à se laisser baptiser. — Voyez dans Maldonat un aperçu des nombreuses erreurs théologiques qui sont nées de ce verset mal compris.
Mc16.17 Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront de nouvelles langues, 18 ils prendront les serpents et s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera pas de mal, ils imposeront les mains aux malades et les malades seront guéris." — Pouvoirs accordés aux disciples par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Ces pouvoirs qu’il nomme des miracles (ou signes), ne diffèrent pas de ce que saint Paul appelle charismes, ni des « grâces gratuites » des théologiens. Ils avaient pour but de procurer le bien général de l’Église, et tout d’abord de confirmer la prédication de l’Évangile. Ils formaient donc, à ce point de vue, les lettres de créance des Apôtres, quoiqu’ils ne fussent pas exclusivement restreints au cercle apostolique, puisque Jésus promet de les étendre sans exception à toutes les âmes fidèles, à ceux qui auront cru. — Accompagneront. Le verbe grec παρακολουθήσει (suivre de près) , bien que S. Marc ne l’emploie pas ailleurs, rend admirablement l’idée que l’écrivain sacré voulait exprimer. On ne saurait donc l’objecter comme un indice du caractère apocryphe de ce passage. — Les miracles que les disciples de Jésus pourront faire par la vertu toute‑puissante ou par l’invocation de son nom (en mon nom domine la liste entière jusqu’à la fin du v. 18) ne pouvaient être tous signalés : les cinq qui reçoivent ici une mention spéciale servent donc simplement d’exemples. Ce sont du reste les principaux, et ceux qui devaient être le plus fréquemment accomplis. — 1° ils chasseront les démons. Les Apôtres avaient usé déjà de ce grand pouvoir, que leur Maître leur avait communiqué depuis assez longtemps. Cf. Marc 3, 15 ; Luc 10, 17, 18. Le livre des Actes des Apôtres nous les montre plusieurs fois encore occupés à chasser victorieusement les démons, Actes 5, 16 ; 8, 7 ; 16, 18, etc. Et, au second siècle, c’était un fait si commun parmi les fidèles, que Tertullien pouvait écrire : « Nous chassons les démons des corps des possédés, comme beaucoup le savent » [Tertullien, Ad Scapulam, c. 2.]. Cf. Tertullien [De spectaculis, 26.], et saint Irénée [Contre les Hérésies, Livre 5, 6.]. — 2° ils parleront de nouvelles langues. Ce prodige devait se réaliser quelques jours seulement après l’Ascension. Cf. Actes 2, 4 et ss. Il devint ensuite très fréquent dans la primitive Église (cf. 1Corinthiens 12–14) : saint François‑Xavier s.j. le renouvela d’une manière étonnante. L’adjectif a ici le sens d’« étrangères, inconnues ». — 3° ils prendront les serpents, comme saint Paul à Malte, Actes 28, 3. D’après S. Luc, 10, 19, ce pouvoir avait aussi été conféré précédemment aux Douze. — 4° S’ils boivent quelque breuvage mortel… Grâce au privilège concédé par Jésus à ses disciples, ceux‑ci n’auront à redouter ni le venin des vipères, ainsi qu’il vient d’être dit, ni les autres poisons quels qu’ils soient. Le nom sacré du Seigneur sera pour eux un puissant antidote. La tradition raconte que S. Jean l’Évangéliste et plusieurs autres saints personnages échappèrent ainsi à une mort certaine. — 5° ils imposeront les mains sur les malades… Dans le grec : sur les infirmes, les invalides. Une simple imposition des mains, et, comme résultat, le prompt et entier rétablissement de la santé ; l’expression καλῶς ἕχειν (aller bien, se porter bien) est aimée de S. Marc, qui en fait usage jusqu’à six fois. Pour l’accomplissement de cette promesse, voyez Actes 5, 15 ; 19, 12, etc., et saint Irénée, 2, 32, 4. Elle aussi, elle avait été faite antérieurement aux Apôtres. Cf. Matth. 10, 1 et parall.
Marc 16, 19-20. Parall. Luc 24, 50‑53.
Mc16.19 Après leur avoir ainsi parlé, le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu. — Le Seigneur Jésus. Ce début est solennel. Le titre de Seigneur, Κύριος, ainsi appliqué au divin Maître, n’est pas, comme on l’a dit, « étranger à la diction de S. Marc » (Alford), car notre Évangéliste l’emploie d’une manière analogue en deux autres endroits, Marc 2, 28 et Marc 11, 3. — Fut élevé au ciel. Ailleurs, Éphésiens 4, 40, 1Pierre 3, 22, on montre le Christ s’élevant au ciel par sa propre vertu : ici et dans les Actes, 1, 2, 11, 22 (cf. 1Timothée 3, 16) son Ascension est représentée comme quelque chose de passif. Cette différence provient des points de vue divers auxquels se sont placés les écrivains sacrés ; ici c’est la nature humaine de Jésus, là sa nature divine qui est surtout envisagée. Venu sur la terre d’une manière mystérieuse et toute céleste, c’est encore d’une manière mystérieuse et céleste que le Sauveur quitte la terre pour retourner vers son Père. — Et s’assit à la droite de Dieu. Belle métaphore, pour exprimer que Jésus participe à la toute‑puissance de Dieu. Cf. Actes 7, 55 ; Romains 8, 34 ; Éphésiens 1, 20‑23. Ainsi donc, « Emporté dans les sphères éthérées, il disparaît au plus haut des cieux, s’approche de la droite du Père, et gouverne le monde »
Sedulius, Carm. Lib. 5
Mc16.20 Pour eux, étant partis, ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui l'accompagnaient. — Pour eux, étant partis. Le pronom « eux » désigne les Apôtres. Cf. vv. 14, 15, 19. Ce verset s’enchaîne avec le précédent : La vie de Jésus parmi les hommes a pris fin avec l’Ascension, aussitôt commence, sans la moindre interruption, la vie de son Église : c’est par cette grande pensée que S. Marc achève son récit. Voilà pourquoi ses dernières lignes sont consacrées à décrire, avec cette rapidité, ce pittoresque, cette concision, que nous avons si souvent admirés dans sa rédaction, le ministère des Apôtres succédant à celui du Christ, l’Église chrétienne s’établissant dans le monde entier. — Prêchèrent partout. Dociles aux ordres de leur Maître, les ouvriers évangéliques se répandent partout. « Un psaume (18, 5) le dit : Sur toute la terre se répand leur message, et leurs paroles, jusqu’aux limites du monde ». S. Paul, Romains 10, 18. — Le Seigneur travaillant avec eux. Si les disciples n’oublient pas les prescriptions de Jésus, Jésus de son coté n’oublie pas ses promesses. Il a dit : « Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps », Matth. 28, 20, et voici qu’en effet, d’après l’énergique parole de S. Marc, il se fait le collaborateur de ses prédicateurs. Et il manifeste sa collaboration divine par les prodiges qui se multiplient sous les pas des Apôtres, et qui communiquent à leur prédication une efficacité toute divine. L’histoire de l’Église est là pour le prouver.
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