Évangile selon Saint Luc
La Bible de Rome
télécharger gratuitement la Bible de Rome
Vous pouvez aussi acheter la version imprimée sur papier https://www.amazon.fr/dp/B0CN9M4JY6?binding=hardcover&ref=dbs_dp_rwt_sb_pc_thcv
Explications verset par verset sur JesusMarie.com
Introduction
Luc, en latin Lucas, en grec Λουϰᾶς, est la forme abrégée de Zucianus (Λουϰιανός), ou de Lucilius (Λουϰιλιός), ou plus probablement de Lucanus (Λουϰανός) : plusieurs anciens manuscrits de l’Itala (En particulier les Cod. Vercell., Vindobon., Cottonian. cf. Patrizi, de Evangel. libri tres, l, 62.) intitulent en effet le troisième Évangile « Evangelium secundum LUCANUM » (Les abréviations de ce genre étaient très fréquentes chez les Grecs et les Romains ; par exemple Zénas pour Zénodore, Démas pour Démétrius, Artémas pour Artémidore, Cléopas pour Cléopater, Hermas pour Hermagoras; Alexas pour Alexandre, etc.).
Ce nom apparaît trois fois dans les écrits du Nouveau Testament, Colossiens 4, 14; Philémon 24 ; 2 Timothée 4, 11, et toujours, d’après le témoignage unanime de l'antiquité, pour désigner le troisième des évangélistes synoptiques. Mais c’est à tort que divers auteurs anciens et modernes ont essayé d'identifier S. Luc avec les deux personnages nommés « Lucius » dont il est question au livre des Actes, 13, 1 (« Mais ce Luc aussi, ils estiment qu’il est le même que celui qui a écrit l’évangile, parce qu’on a coutume d’écrire tantôt les noms comme on les écrit dans leur pays d’origine, ou tantôt comme on les écrit en grec ou en latin. » Origène, Comment. In Ep. ad Rom. 16, 21. Camp. Baronius, Annal. ad ann. 58, n° 57), et dans la lettre aux Romains, 16, 21.
Nous possédons sur la patrie et l'origine de S. Luc des renseignements patristiques du plus grand prix.
L'historien Eusèbe et S. Jérôme s’accordent pour le faire naître à Antioche, capitale de la Syrie. Λουϰᾶςτὸ γένος τῶν ἀπʹ Ἀντιοχείας, dit le premier, Hist. Eccl. 3, 4. De même S. Jérôme : « Tertius (Evangelista) Lucas..., natione Syrus, Antiochensis, » Proœm. in Matth. (cf. S. Jean Chrysost, Hom. in Matth. 1 ; Tillemont, Mémoires ecclésiast. 2 p 60.) Cette tradition, bien qu’on l’ait parfois attaquée, vaut assurément les conjectures de Greswell et d’autres protestants, qui attribuent sans la moindre apparence de raison aux villes de Troas ou de Philippes l’honneur d’avoir donné le jour à notre évangéliste.
S. Luc, par sa naissance, n’appartenait pas au judaïsme, mais au monde païen. Cela ressort très clairement) de la lettre aux Colossiens, 4, 10 et ss., où S. Paul, après avoir mentionné trois de ses amis et collaborateurs, Aristarque, Marc et Jésus le Juste, en prenant soin d’ajouter qu’ils étaient Juifs d'origine («qui étaient circoncis, » verset 11), en nomme trois autres, Épaphras, LUC et Démas, sans indication du même genre, ce qui suppose que ces derniers étaient nés de parents païens. Les hébraïsmes que l’on rencontre en plusieurs endroits des écrits de S. Luc ne prouvent rien contre cette conclusion, car ils s’expliquent très bien par les sources juives auxquelles l'auteur du troisième Évangile et des Actes a dû parfois puiser. — Des quatre évangélistes, S. Luc est donc le seul qui soit issu du paganisme. Il est très possible néanmoins, suivant une croyance qui était déjà générale du temps de S. Jérôme (Quæst. in Genèse c. 46), qu'il se soit fait affilier à la religion juive en devenant prosélyte (Voyez Matth. 23, 15, et le commentaire), avant de se convertir au christianisme. Par là s’explique sa parfaite connaissance des usages israélites.
S. Paul nous apprend que S. Luc exerçait la profession de médecin. Colossiens, 4, 14 : Luc, le médecin bien-aimé, vous salue. Et l’on trouve une confirmation de ce fait non seulement dans les nombreuses assertions des écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, mais jusque dans les pages du troisième Évangile et du livre des Actes. Des termes techniques y trahissent en effet à différentes reprises le médecin. Par exemple, 4, 38, l’auteur prend soin de dire que la belle-mère de S. Pierre était malade d’une grande fièvre, πυρετῷ μεγάλῳ, expression qu’on rencontre précisément dans Galien. Dans les Actes, 13, 11 désigne la cécité par un mot rare, ἀχλύς, également employé par Galien. Ailleurs, Luc 22, 44, etc., il signale des phénomènes pathologiques que les autres évangélistes avaient passés sous silence. Ces détails sont assurément significatifs.
Partant de ce fait, et s’appuyant d’une part sur ce que les noms d’esclaves étaient fréquemment abrégés en as comme celui de S. Luc, d’autre part sur ce que, chez les Grecs et à Rome, les médecins étaient souvent de condition servile (cf. Sueton., In Caio, c. 8; Senec., De benef. 3, 24; Quintil., 7, 2, n° 26), divers exégètes ont prétendu que notre évangéliste aurait été un esclave affranchi. Mais rien, dans la Bible ni dans la tradition, ne vient justifier cette hypothèse.
S. Luc aurait-il été peintre en même temps que médecin ? C'était la croyance de S. Thomas d’Aquin (Somme, 3a, q. 25, a. 3), comme aussi celle de Simon Métaphraste au milieu du dixième siècle (Vita Luc, c. v1.). Nicéphore (14ème siècle) n’est donc pas le premier, ainsi qu’on le répète souvent, à mentionner cette opinion (Hist. eccl. 2, 43; ἄϰρως τὴν ζωγράφου τέχνην ἐξεπιστάμενος. S. Luc aurait fait, d'après cet auteur, les portraits de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des principaux Apôtres.). Quoi qu’il en soit de l'authenticité des tableaux qui lui ont été attribués, il est certain, et le commentaire le fera voir à chaque instant, que S. Luc avait une âme d'artiste, et qu’il excelle dans les descriptions de tout genre, spécialement dans les portraits psychologiques (Bougaud, Jésus-Christ, 2° édit. pp. 87, 88, 93).
A quelle époque et dans quelles circonstances S. Luc devint-il chrétien ? La tradition est à peu près muette sur cette question, à laquelle on ne peut répondre, par conséquent, qu’à l’aide de conjectures plus ou moins hasardées. Toutefois, S. Luc étant originaire d’Antioche, il paraît vraisemblable qu’il ait appris à connaître et adopté la religion de Jésus dans cette ville, qui posséda de si bonne heure une chrétienté florissante, formée en grande partie d’éléments païens (cf. Actes 11, 19-30.). Tertullien insinue même, adv. Marcion, 4, 2, que S. Luc aurait été converti par l’apôtre des Païens en personne (« Luc, non apôtre, mais apostolique. Non maître, mais disciple. Inférieur, donc, au maître. Et certainement d'autant postérieur qu'il est un adepte (sectateur) de l'apôtre postérieur, de saint Paul, sans aucun doute.» ce qui expliquerait très bien du reste leurs rapports intimes dont nous allons bientôt parler. »
S. Épiphane, Contre les Hérésies 51, 6, et d’autres auteurs à sa suite, font de S. Luc un des soixante-douze disciples. Quelques-uns des partisans de cette opinion allèguent, pour la justifier, que le troisième évangéliste a seul raconté l’envoi des soixante-douze, les instructions que Jésus leur adressa, leurs travaux et leur retour (Luc. 10, 1 et suiv.). Mais S. Luc les a en quelque sorte réfutés d’avance, dès le début de son Évangile (1, 1), en affirmant d’une manière implicite qu’il ne fut pas témoin oculaire des choses qu’il raconte. Au reste, « Tertullien dit comme une chose constante que S. Luc n'a pas été disciple de Jésus-Christ... Le même Tertullien et S. Irénée (Lib. 1, c. 20) se contentent de l'appeler Homme apostolique (Calmet, Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament [26 tomes, aussi appelé « La Bible Calmet ]», t. 20, p. 182, Préface sur S. Luc.). » Le canon de Muratori affirme tout aussi nettement, que S. Luc «n'a cependant jamais vu le Seigneur en chair et en os.»
Le sentiment d’après lequel notre évangéliste serait l’un des deux disciples d’Emmaüs (Luc. 24, 13 et ss. Voyez Théophilacte, Comm. h. l.) ne repose pas sur des fondements plus solides.
Mais voici que S. Luc va devenir son propre biographe pour une partie considérable de sa vie. Sans se nommer, et pourtant d’une façon tellement claire qu’il est impossible de s’y méprendre (cf. S. Irénée, Contre les Hérésies 3, 14. Voyez les commentaires du livre des Actes, aux passages indiqués ci-après), il raconte en abrégé le ministère évangélique qu’il eut le bonheur d’exercer dans la société de S. Paul pendant plusieurs années. « Le très cher médecin, » partant de Troas avec l’Apôtre des nations, au moment où celui-ci se disposait à passer en Europe pour la première fois, l'accompagna jusqu’à Philippes, en Macédoine, Actes 16, 10-17. Suivant S. Jérôme, De viris ill. c. 7, le disciple qui accompagna Tite à Corinthe pour y recueillir les aumônes des fidèles au nom de S. Paul (2 Corinthiens 8, 18 et ss.), ne serait autre que S. Luc.). Plus tard, Actes 20, 5 et ss., nous le retrouvons dans cette même ville avec son illustre maître : ils traversent de nouveau l’Hellespont, mais en sens contraire, pour rentrer à Troas, d’où ils font route ensemble vers Jérusalem en passant par Milet, Tyr et Césarée. Ibid. 20, 13-21, 17. Tout trahit le témoin oculaire dans ce récit plein de détails intéressants. C’est sur ces entrefaites qu’eut lieu l’arrestation de S. Paul à Jérusalem et sa longue incarcération à Césarée. Quand le grand Apôtre, après son appel à César, fut dirigé sur Rome avec d’autres prisonniers, son fidèle S. Luc le suivit encore et partagea son naufrage, ce qui nous a valu l’une des narrations les plus vivantes et les plus instructives du Nouveau Testament. Cf. Actes, 27, 1-28, l6.
Quelques années après, durant sa seconde captivité romaine, S. Paul nous montre lui-même S. Luc à ses côtés, comme un ami dont rien ne peut ébranler l'attachement : « Luc est seul avec moi ». 2 Timothée 4, 11 (Pour la chronologie de cette partie de l'histoire de S. Luc, voyez Drach, Épîtres de S. Paul, pp. 72 et 73.).
Que devint l'évangéliste après la glorieuse mort de son maître ? Les sources certaines nous abandonnent ici, et nous ne pouvons parler que d’après des traditions presque toujours indécises et flottantes, quand elles ne sont pas directement contradictoires. On nous le montre du moins comme un missionnaire infatigable, qui porta en de nombreuses contrées, même jusque dans les Gaules d'après le témoignage de S. Épiphane (Contre les Hérésies l. 51, 11.) le nom et la doctrine du Seigneur Jésus. L’Achaïe semble toutefois avoir été le principal lieu de ses travaux (cf. S. Greg. de Naz. Orat. 33, 11; Carm. 12 de veris S. Script. libris. Voyez D. Calmet, Préface sur S. Luc. p. 183.). Il mourut martyr (En Grèce, pendu à un olivier, d’après Nicéphore, Hist. Eccl. 2, 43; en Bithynie, suivant S. Isidore, De ortu et de obitu Patrum, c. 92), à un âge assez avancé (soixante-quartorze ou à quatre-vingt-un ans, selon les différentes traditions. Voyez Nicéphore et S. Isidore, l. c.), probablement durant le dernier quart du premier siècle chrétien. Sédulius (Argum. in Luc. Collect. nov. Vol. 9, p. 177.) dit expressément qu’il avait gardé, comme S. Paul, une virginité perpétuelle. En 357, la vingtième année du règne de Constance, ses précieux restes furent solennellement transportés a Constantinople (cf. S. Jérôme, De vir. Illustr., c. 7; S. Jean Damasc. ap. Spicil. rom. ed. Mai, t. 4. p. 352.). C’est en vertu d’une tradition légendaire qu’on montre aujourd’hui son tombeau parmi les ruines d’Éphèse.
L’Église célèbre sa fête le 18 octobre (Voyez le Martyrologe romain au même jour).
L’authenticité du troisième évangile n’est pas moins certaine que celle des deux premières biographies de N.-S. Jésus-Christ (« Rien de très grave, ce sont les paroles de M. Renan, ne s’oppose à ce qu'on tienne Luc pour l'auteur de l'Évangile qu’on lui attribue. Luc n’avait pas assez de célébrité pour qu'on exploitât son nom en vue de donner de l’autorité à un livre. » Les Évangiles, Paris 1877, p. 252. Même ainsi formulé l'aveu ne laisse pas d’avoir son prix). Nous avons, pour la démontrer, des témoignages nombreux, qui remontent jusqu’aux temps apostoliques (Nous laissons de côté les preuves intrinsèques, dont la force probante nous paraît contestable). Nous pourrions dire que l'authenticité du livre des Actes, dont on a établi ailleurs (Voir le commentaire. Préface, § 1) l'existence par les raisonnements les plus plausibles, est un sûr garant de celle de notre évangile, l'auteur des deux écrits étant le même, et affirmant en termes formels, Actes 1, 1, qu’il n’a composé le second que pour compléter le premier. Mais, pour le moment, nous ne voulons faire appel qu’à la tradition proprement dite.
I. Les témoignages directs, c'est-à-dire ceux qui désignent nommément S. Luc comme l’auteur du troisième évangile, ne dépassent pas, il est vrai, le second siècle. Toutefois, il faut remarquer « qu’ils ne sont pas l'expression du sentiment individuel des écrivains chez qui ils se rencontrent, mais qu’ils apparaissent accidentellement, comme l'expression de la conviction antique, non interrompue et non contestée, de l'Église entière. Ces écrivains expriment le fait comme une chose que personne n’ignore. Ils n'auraient pas songé à l’énoncer si une circonstance spéciale ne les y avait appelés. Par ce caractère ecclésiastique, tout à la fois universel et héréditaire, ces témoignages, lors même qu’ils ne datent que du 2ème siècle, nous permettent donc de constater la conviction du premier. Ce qui régnait alors, en effet, ce n’était pas la critique individuelle, mais la tradition (Godet, Commentaire sur l'Évangile de Luc, 2° édit. t. l, p. 32). » Le silence de Papias, que les rationalistes aiment à nous opposer, n’enlève donc à S. Luc aucun de ses droits d’auteur (le lecteur se rappelle que Papias attribue expressément à S. Matthieu et à S. Marc la composition du premier et du second Évangile. Voir nos commentaires. On sait du reste que nous ne possédons que de rares fragments des œuvres de Papias.).
Le premier témoignage formel est celui de S. Irénée. Il est extrêmement net et précis : Λουϰᾶς δὲ ὁ ἀϰόλουθος Παύλου τὸ ὑπʹ ἐϰείνου ϰηρυσσόμενον εὐαγγέλιον ἐν βιϐλίῳ ϰατέθετο. Contre les Hérésies 3, 1 ; cf. 14, 1. Du reste, le grand évêque de Lyon cite plus de quatre-vingt fois le troisième évangile.
A la même époque (fin du second siècle), le Canon de Muratori (Voyez sur cette pièce importante le. P. de Valroger, Introd. hist. et crit. aux livres du N. T., t. l, p. 76 et suiv.) promulguait comme il suit, dans son curieux latin, l'authenticité de l’évangile selon S. Luc : « Le troisième évangile, celui selon Luc. Ce Luc médecin, après l'Ascension du Christ, comme saint Paul le reçut comme quelqu’un qui veut apprendre à être juste, écrivit en son nom propre, et selon son opinion à lui. Il n'avait pas vu, cependant, le Seigneur en chair et en os. Mais, il put quand même s’acquitter de son entreprise. Et c’est à partir de la nativité de Jean qu’il commença à écrire. Latin : Lucas iste medicus post ascensum Christi, cum eo (eum) Paulus quasi ut juris studiosum secundum assumpsisset, numine (nomine) suo et opinione concriset (conscripsit); Dominum tamen nec ipse vidit in carne, et idem, prout assequi potuit, ita et ab nativitate Joannis incipet (incipit) dicere. »
Tertullien n’est pas moins explicite : « En somme, s'il appert que rien n'est plus vrai que ce qui est antérieur, que rien n'est plus antérieur que ce qui est depuis le début, et que ce qui est depuis le début vient des apôtres, il appert également qu'a été transmis par les apôtres ce qui a été tenu comme sacro-saint par les églises des apôtres. Je dis que non seulement chez elles, mais dans toutes les églises qui leur sont unies par la communion aux mêmes mystères, cet évangile de Luc figure au tout début de l'édition. Nous pouvons donc lui faire une confiance totale» (Adv. Marcion. 4, 5.). Latin : « In summa, si constat id verius quod prius, id prius quod ab initio, quod ab apostolis, pariter utique constabit, id esse ab apostolis traditum, quod apud ecclesias apostolorum fuerit sacrosanctum... Dico itaque apud illas, nec jam solum apostolicas, sed apud universas, quæ illis de societate sacramenti confœderantur , id evangelium Lucæ ab initio editionis stare, quod eum maxime tuemur. »
On le voit, comme nous le disions plus haut, nous n’entendons pas seulement ici le sentiment privé d’un grand docteur, mais la croyance de toute l'ancienne Église.
Origène, cité par Eusèbe, Hist. Eccl. 6, 25, s’exprime ainsi sur le troisième évangile : Καὶ τρίτον τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν, τὸ ὑπὸ Παύλου ἐπαινούμενον εὐαγγέλιον, τοῖς ἀπὸ τῶν ἐθνῶν πεποιηϰότα (cf. Clem. Alex., Strom. 1, 21.).
Eusèbe lui-même n’hésite pas à admettre cet évangile parmi les ὁμολογούμενα, c’est-à-dire parmi les livres sacrés universellement reconnus comme authentiques dans la primitive Église. Cf. Hist. eccl. 3, 4.
S. Jérôme enfin, car il est inutile de descendre plus bas que le quatrième siècle, écrit dans son traité De viris illustr., c. 7 : « Luc, médecin à Antioche, comme ses écrits l'indiquent, ne fut pas sans bien connaître la langue grecque. Il fut un disciple de Paul, et le compagnon de toute ses voyages. Il a écrit un évangile. »
On peut également regarder comme des témoins directs du plus grand prix les antiques traductions latines (l’Itala et la Vulgate), syriaques, égyptiennes, etc. , qui intitulent le troisième évangile « Selon Luc. »
2. Les témoignages indirects sont peut-être encore plus importants, soit parce qu’ils remontent beaucoup plus haut, soit parce que nous les recevons de la bouche des écrivains hérétiques tout aussi bien que de celle des auteurs orthodoxes, soit enfin parce qu’ils nous prouvent que le troisième évangile a toujours été ce qu’il est aujourd’hui.
1° Les écrivains orthodoxes. — S. Justin, dont les citations multiples nous ont été si précieuses pour établir l’authenticité du premier évangile, ne nous sera pas ici d’un moindre secours. Recueillons d'abord quelques aveux significatifs d’exégètes rationalistes. « La connaissance qu’a Justin de l'évangile de Luc, dit Zeller, est démontrée par une série de textes dont les uns sont à n’en pas douter, les autres selon toute vraisemblance, des emprunts faits à cet écrit (Apostelgeschichte, p. 26.). » « Outre Matthieu et Marc..., Justin utilise encore l'évangile de Luc, » écrit Hilgenfeld (Der Kanon, p. 25. cf., du même auteur, das Evangel. Justin's, pp. 101 et ss.). Et Volkmar: « Justin connaît nos trois évangiles synoptiques, et les extrait presque en entier (Ursprung unserer Evangelien, p. 91. cf. Semisch, die Denkwürdigkeiten Justin's, pp. 134 et ss.).» Quelques rapprochements justifieront ces dires.
Dialog. c. 100 : « La Vierge Marie, quand l’ange Gabriel lui annonça que l’Esprit du Seigneur viendrait sur elle et que la puissance du Très-Haut la couvrirait de son ombre, et que par conséquent l’être saint qui naîtrait d'elle serait le fils de Dieu, répondit : Qu’il me soit fait selon ta parole. » (Voir aussi Apol. 1. 33.) cf. Luc. 1, 26-30.
Dialog. c. 78 : « Le premier recensement étant alors fait en Judée sous Cyrinus, (Joseph) était venu de Nazareth, où il habitait, à Bethléem, où nous le trouvons maintenant, pour se faire inscrire. Il appartenait en effet à la tribu de Juda, qui habitait cette contrée. » cf. Luc. 2, 2.
Dialog. c. c103: « Dans les mémoires composés, comme je l’ai dit, par les Apôtres et leurs disciples, il est raconté que la sueur découla par gouttes (de Jésus), tandis qu’il priait et disait : Que cette coupe, s’il est possible, s’éloigne de moi ! » cf. Luc. 22, 44.
Dialog. c. 105 : « Expirant sur la croix, il dit : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. » cf. Luc. 23, 46.
Rapprochez semblablement Dial. 51 de Luc. 16, 16 ; Apol. 1, 16 et Dial. 101 de Luc 18, 19; Apol. 1, 19 de Luc. 20, 34 ; Apol. 1, 66 de Luc. 22, 19, etc.
La lettre des Églises de Lyon et de Vienne (Ap. Euseb. Hist. eccl. 5, l), écrite en l’année 177, cite clairement Luc. 1, 5 et 6.
Dans celle de S. Clément de Rome, c. 13, Volkmar lui-même reconnaît un texte de S. Luc, 6, 31, 36-38 (Maier, Einleit., p. 117, mentionne quelques autres citations moins certaines provenant d’écrivains apostoliques.).
2° Les écrivains hétérodoxes — Cerdon admettait l’autorité du troisième évangile, comme nous l’apprend un ancien livre attribué à Tertullien : «Cerdon n'a reçu que l'évangile de saint Luc, mais pas en totalité.» « Solum evangelium Lucæ, nec tamen totum, recipit (Cerdo) » (Pseudo-Tertull. De præscript. hær. c. 51).
Dans les Philosophoumena, 6, 35 et 7, 26, nous voyons Basilide et les Valentiniens citer notre évangile (1, 15), preuve qu’ils en acceptaient l’authenticité (cf. aussi S. Irénée, Contre les Hérésies 1, 8, 4, et Luc. 2, 29, 36.). Héracléon en commente plusieurs passages (3, 17 ; 12, 8, 9, ap. Clem. Al, à la suite des Stromates); Théodote argumente sur divers autres textes (Theodoti Ecloge, c. 5, 14, 85). De même les Homélies clémentines, comme on le voit en établissant une comparaison entre les passages suivants : Hom. 12, 35, 19, 2 et Luc. 10, 18 ; Hom. 9, 22 et Luc. 10, 20; Hom. 3, 30 et Luc. 9, 5; Hom. 17, 5 et Luc. 18, 6-8. etc.
Mais, de tous les témoignages hérétiques favorables à l’authenticité du troisième évangile, le plus important et le plus célèbre est celui du gnostique Marcion (vers 138 de l’ère chrétienne). Désireux de faire disparaître du christianisme tout élément qui rappelât le Judaïsme, cet hérésiarque trancha, coupa à sa guise dans les écrits du Nouveau Testament, dont il garda seulement quelques lettres de S. Paul et l’évangile selon S. Luc, non sans leur avoir fait subir des changements et des modifications considérables, pour les approprier à son système. Nous avons pour témoins de ce fait plusieurs Pères, qui lui donnèrent un grand retentissement par leurs dénonciations énergiques. « Et en plus de cela, dit saint Irénée, prenant ce qui est selon l'évangile de Luc, et enlevant tout ce qui est écrit sur la génération du Seigneur, et beaucoup de choses sur la doctrine des sermons du Seigneur, il persuade ses disciples d'être plus véridique que les apôtres du Christ, alors qu'il ne leur transmet qu'une partie de son évangile (Contre les Hérésies 1, 27, 2.). » Tertullien écrivait de même : « Marcion semble avoir choisi Luc (Contr. Marcion, 4, 2.).» cf. Orig. Contr. Celsum 2, 27; S. Épiphane, Contre les Hérésies 42, 11; Théodoret, Haeret. Fab. 1, 24 (On trouvera dans Thilo, Cod. apocryph. N. T., pp. 401-486, et dans Volkmar, das Evangel. Marcion's, pp. 150-174, des fragments considérables de l'évangile de Marcion, recueillis à travers les écrits des Pères).
Que suit-il de ce traitement infligé par Marcion au récit de S. Luc, de manière à former ce que le fameux gnostique appelait fièrement « l’évangile du Christ ? » La conclusion évidente est que le troisième évangile préexistait à Marcion, qu’il était reçu dans l’Église dès la première moitié du second siècle. — Mais les rationalistes ont prétendu tout autre chose (à la fin du 18ème siècle Semler et Eichhorn, au 19ème siècle Schwegler, Baur, Ritschl (das Evangel. Marcions u. das kanonische Evangel. des Lucas, Tubing. 1846), etc.). Prenant pour base le fait que nous avons signalé, ils ont osé soutenir, malgré l'interprétation si claire qu’en avaient donnée les Pères les plus anciens et les plus instruits, que, bien loin de tirer son origine du troisième évangile canonique, la composition arbitraire de Marcion est beaucoup plus ancienne que l’œuvre dite de S. Luc, celle-ci n’étant en réalité qu’un remaniement tardif de celle-là. De pareilles assertions mériteraient à peine une réponse. La Providence a néanmoins permis que d’autres nationalistes devinssent sur ce point d’ardents défenseurs de la vérité, et qu’ils dévoilassent au grand jour les secrètes manœuvres de leurs rivaux : « Cette opinion, écrit Hilgenfeld (Die Evangelien, p. 27.), a méconnu la tendance réelle de l'évangile marcionite, dans le but d'attribuer au texte canonique LA DATE LA PLUS RÉCENTE POSSIBLE. » « Nous pouvons admettre comme démontré et généralement accepté, dit pareillement Zeller, non seulement que Marcion a employé un évangile plus ancien, mais encore qu’il l’a retravaillé, modifié, souvent abrégé, et que cet évangile plus ancien n’était autre... que notre S. Luc (Apostelgeschichte, l. c. Volkmar, das Evangel. Marcion's, Leipzig 1852, développe savamment la même thèse. Cédant à ces raisons, Ritschl s’est vu obligé de se rétracter, Theolog. Jahrb, 1851, pp. 528 et ss. Voyez encore, sur cette question des rapports de S. Luc et de Marcion, Hahn, Heim, Marcion, sa doctrine et son évangile, Strasbourg 1862 ; Mgr Meignan, Les Évangiles et la critique au 19ème siècle, Bar-le-Duc 1864, pp. 317 et ss.).» La question est donc désormais tranchée, et Marcion devient, quoique malgré lui, un garant de l’authenticité du troisième évangile.
Ajoutons enfin que le païen Celse (cf. Origène, Contre Celse, 2, 32) connaît les difficultés exégétiques qui proviennent des généalogies de Notre-Seigneur Jésus-Christ, preuve que l’Évangile selon S. Luc existait de son temps.
On a parfois attribué un caractère apocryphe aux deux premiers chapitres, qui racontent l’histoire de la Sainte Enfance de Jésus. Cette opinion n’avait aucune base sérieuse.
1. S. Luc, nous l’avons vu dans la notice biographique qui ouvre ce volume, a eu de longues et intimes relations avec l’Apôtre des Païens. « A priori » nous devons nous attendre à trouver dans son Évangile quelques reflets de la doctrine et du style de S. Paul. Mais voici que, grâce à la tradition et à la critique, nos conjectures sur ce point vont se changer en une complète certitude.
Λουϰᾶς δὲ, lisons-nous dans S. Irénée (Contre les Hérésies 3, 1. cf. 14, l), ἀϰόλουθος Παύλου, τὸ ὑπʹ ἐϰείνου ϰηρυσσόμενον εὐαγγέλιον ἐν βιϐλίῳ ϰατέθετο. Origène dit semblablement : ϰαί τὸ τρίτον τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν τὸ ὑπὸ Παύλου ἐπαινούμενον εὐαγγέλιον (Ap. Euseb. Hist. eccl. 6, 25). Tertullien (Contr. Marcion. 4, 2), après avoir appelé saint Paul le « maître » et l'«illuminateur» de Luc, ajoute : « Car ils ont coutume d'attribuer à Paul ce que Luc a écrit. Il est raisonnable, en effet, de penser que provienne des maîtres ce que les disciples ont propagé » (Ibid, 4, 5). L’auteur de la Synopsis S. Scripturæ faussement attribuée a S. Athanase (P. 155), écrit aussi que τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν εὐαγγέλιον ὑπηγορεύθη μὲν ὑπὸ Παύλου ἀπόστολου, συνέγραφη δὲ ϰαί ἐξέδοθη ὑπὸ Λουϰᾶ. Enfin, plusieurs Pères assurent que, selon l'enseignement de divers exégètes qui vivaient de leur temps, S. Paul aurait voulu désigner directement le troisième Évangile toutes les fois que, dans ses Lettres, il emploie cette expression : Mon Évangile (Par exemple, Romains 2, 16 ; 16, 25 ; 2 Timothée 2, 8). Φασὶ δὲ ὡς ἄρα τοῦ ϰατʹ αὐτὸν (Λουϰᾶν) εὐαγγελίου μνημονεύειν ὁ Παῦλος εἴωθεν, ὕπηνίϰα ὡς περὶ ἰδίου τινος εὐαγγελίου γράφων ἔλεγε, Κατὰ τὸ εὐαγγελίον μου. Eusèbe, Hist. Eccl. 3, 4. « Quelques-uns estiment même que à chaque fois que, dans ses lettres, saint Paul écrit « selon mon évangile », il parle de celui de saint Luc. » S. Jérôme, De viris illustr. c. 7 (cf. S. Jean Chrys. Hom. 1 in Act. Apost.; Orig. Hom. 1 in Luc.).
Sans doute nous ne devons pas prendre trop à la lettre ces divers passages : S. Luc lui-même s’y opposerait (Voyez 1, 1 et ss.). Il ressort toutefois très clairement de leur ensemble que S. Paul a joué un rôle important dans la composition du troisième Évangile. Son influence devient tout-à-fait palpable si, de la tradition, nous passons à l'examen de plusieurs faits qui ont depuis assez longtemps attiré l'attention des exégètes et des critiques.
Premier fait. S. Paul a inséré dans sa première Lettre aux Corinthiens, 11, 23 et suiv., le récit de l'institution de la divine Eucharistie : or, la narration parallèle de S. Luc, 22, 19 et suiv., d’une part s’écarte de celle des deux autres synoptiques (cf. Matth. 26, 26 et ss., et Marc. 14, 22 et ss.), d’autre part coïncide d’une manière presque verbale avec celle de S. Paul. Cette coïncidence n’est certainement pas accidentelle (cf. encore d'un côté Luc. 10, 7; 1 Timothée 5, 18. de l’autre Matth. 10, 11).
Second fait. On remarque, dans les écrits du grand Apôtre et dans l’Évangile selon S. Luc, un grand nombre d'idées communes. Comme son maître, l'évangéliste relève à chaque instant le caractère universel de la religion du Christ ; il parle de la justification par la foi, de l’activité de la grâce divine dans la rémission des péchés, etc. Voyez en particulier les passages suivants : 1, 28, 30, 68 et ss. ; 2, 31 et 32 ; 4, 25 et ss.; 7, 36 et ss. ; 9, 56 ; 11, 13 ; 14, 16 et ss. ; 17, 3 et ss., 11 et ss. ; 18, 9 et ss., etc. (Voir aussi ce que nous dirons plus bas du but et du caractère du troisième Évangile, §§ 4 et 5).
Troisième fait. Souvent, la ressemblance n'existe pas seulement entre les pensées : elle atteint même les expressions. Nous pourrions, à la façon de Davidson (Introduction, t. 2, pp. 12 et ss.), remplir des pages entières de locutions communes à S. Paul et à S. Luc. Il suffira d’en citer quelques-unes, choisies parmi celles qui n’ont été employées que par ces deux écrivains sacrés : Ἄδηλος, Luc. 11, 44 et 1 Corinthiens 14, 8 ; αἰφνίδιος, Luc. 21, 34 et 1 Thessaloniciens 5, 3 ; αἰχμαλωτίζειν, Luc. 9, 54 et 2 Corinthiens 10, 5 ; ἀλλʹ οὐδέ, fréquemment de part et d’autre ; ἀναλῶσαι, Luc. 1, 54 et Galates 5, 15, 2 Thessaloniciens 2, 8 ; ἀνταπόδομα, Luc. 14, 12 et Romains 11, 9 ; ἀπολύτρωσις, Luc. 21, 18 et souvent dans S. Paul; ἀροτριᾶν, Luc. 17, 7 et 1 Corinthiens 9, 10; ἐϰδιώϰειν, Luc. 11, 49 et 1 Thessaloniciens 2, 15 ; ἐπιμελεῖσθαι, Luc. et 1 Timothée 3, 5 ; ϰατάγειν, Luc. 5, 11, Actes. et Romains 10, 6 ; ϰυριεύειν, Luc, 22, 25 et Romains 6, 9 ; ὀπτασία, Luc., Actes et 2 Corinthiens 12, 1 ; πανουργία, Luc. 20, 23 et 2 Corinthiens 4, 2, 11, 3 ; ὑπωπιάζειν, Luc. 18, 5 et 1 Corinthiens 9, 27, etc. cf. aussi Luc. 4, 22 et Colossiens 4, 6 ; Luc. 4, 36 et 1 Corinthiens 2, 4 ; Luc. 6, 36 et 2 Corinthiens 1, 3 ; Luc. 6, 48 et 1 Corinthiens 3, 10 ; Luc. 8, 15 et Colossiens 1,10, 11 ; Luc. 10, 8 et 1 Corinthiens 10, 27 ; Luc. 11, 36 et Éphésiens 5, 13 ; Luc. 11, 41 et Tite 1, 15, etc. On le voit, «l’esprit de l'évangéliste était tout imprégné des vues et de la phraséologie de S. Paul (Davidson, l. c., p. 19.).» Aussi les critiques même les plus sceptiques avouent-ils qu’il est impossible de méconnaître l'affinité qui existe entre l’Évangile selon S. Luc et les lettres de S. Paul (Voir Gilly, Précis d'introduction à l'Écriture Sainte, t. 3, p. 221. Il est vrai que quelques-uns d’entre eux, par exemple l'Anonyme saxon (cf. l'excellent ouvrage de M. Vigouroux, la Bible et les découvertes modernes, t. 1, p. 21 et ss. de la 2e édit.) et l'école de Tubinguen (ibid. p. 79 et ss.), ont conclu de là que notre Évangile est « un écrit de tendance » destiné à opérer une conciliation entre le Paulinisme et le Pétrinisme ; mais nous avons vu ailleurs (Commentaire sur S. Matth.) le cas qu'il faut faire de pareilles assertions.).
2. De même que S. Pierre (Voyez l'Évangile selon S. Marc, p. 11 et 12), S. Paul a donc aussi d’une certaine manière son Évangile. Néanmoins, s’il exerça sur la rédaction de S. Luc une influence incontestable, il ne l'exerça pas d’une manière exclusive. La tradition est de nouveau très explicite sur ce point. S. Irénée. Contre les Hérésies 3, 10, 1, appelle S. Luc le disciple et l'adepte de Paul (cf. 3, 14, 1 et 2). S. Jérôme dit de lui, d’après des témoignages antérieurs, qu’il n’avait pas seulement appris l'Évangile de la bouche de l’Apôtre S. Paul, «mais aussi des autres apôtres.» (De viris illustr. l. c.). Suivant Eusèbe (Hist. eccl. 3, 4), Λουϰᾶς... τὰ πλεῖστα συγγεγονὼς τῷ Παύλῳ, ϰαὶ τοῖς λοιποῖς δὲ οὐ παρέργως τῶν ἀποστόλων ὡμιληϰὼς, ἧς ἀπὸ τούτων προσέϰτήσατο ψυχῶν θεραπευτιϰῆς, ἐν δυσιν ἡμῖν ὑποδείγματα θεοπνεύστοις ϰαταλέλοιπε βιϐλίοις .
Mais S. Luc est lui-même encore plus affirmatif dans son Prologue, 1, 1 et ss. : « 1Plusieurs ayant entrepris d'écrire l'histoire des faits accomplis parmi nous, 2 conformément à ce que nous ont transmis ceux qui ont été dès le commencement, témoins oculaires et ministres de la parole, 3 j'ai résolu moi aussi, après m'être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l'origine, de t'en écrire le récit suivi, excellent Théophile, 4 afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. » (Voyez le Commentaire.).
L'évangéliste S. Luc n’ayant pas eu le bonheur de contempler de ses propres yeux les événement divins qu’il voulait raconter, fait ainsi connaître à ses lecteurs à quelles sources il recourut pour se procurer des matériaux bien authentiques. Avant tout, il s’adressa à des témoins oculaires de la vie de Jésus (S. Paul ne l’avait pas été), et il recueillit de leur bouche les traditions qu’ils avaient fidèlement conservées. Or, « si nous cherchons, dans le cercle des Apôtres, quels hommes peuvent lui avoir fourni des renseignements, l’histoire nous montrera d’abord S. Barnabé, fondateur de l'Église d’Antioche..., ensuite S. Pierre, avec lequel S. Luc fit certainement connaissance à Antioche..., puis S. Jacques de Jérusalem, frère du Seigneur, avec lequel notre évangéliste entra en relation (Actes 21, 18), et qui, étant membre de la sainte Famille, pouvait lui donner les renseignements les plus sûrs au sujet des premiers temps de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » (De Valroger, Introduction hist. et critique aux livres du N. T., t. 2, p. 77 et sv. Petrus Cantor (vers la fin du 12ème siècle) pensait déjà que S. Luc avait recueilli de la bouche même de la Très-Sainte Vierge la plupart des détails qui remplissent les deux premiers chapitres de son Évangile. Cette opinion est très vraisemblable ; aussi a-t-elle été adoptée même par des exégètes protestants, cf. entre autres Grotius, Annotat. in Luc. 2, 5). Dans le cercle moins intime, il est vrai, mais plus nombreux des disciples, il fut plus facile encore à S. Luc de recueillir de précieuses informations sur le ministère du Sauveur. Ses longs voyages, ses séjours à Jérusalem, à Antioche, à Césarée de Palestine, en Grèce, à Rome, durent le mettre en rapport avec cent personnes dignes de foi, qui lui apprirent sur Notre-Seigneur Jésus-Christ les détails qu’il nous a seul conservés.
La tradition orale, telle fut donc la principale source à laquelle il puisa. Mais il eut aussi à sa disposition les documents écrits dont il parle dans son Prologue. C’étaient, comme nous dirions aujourd’hui, des «Essais » plus ou moins considérables, s’occupant, les uns peut-être de la vie entière de Jésus, les autres, la plupart sans doute, du compte-rendu fragmentaire de telle ou telle partie de son ministère public, par exemple, de ses discours, de ses miracles, d’autres encore de son Enfance, de sa Passion, etc. S. Luc puisa dans une pièce de ce genre sa généalogie de Jésus, 3, 23 et ss., probablement aussi le « Benedictus », le « Magnificat », le « Nunc dimittis », sinon tout le récit des premières années du Précurseur et de Jésus. — A-t-il également mis à profit les Évangiles de S. Matthieu et de S. Marc, composés, selon toute vraisemblance, avant le sien ? Les critiques se sont prononcés en sens contradictoires sur cette question, qui a été vivement débattue. On trouvera dans notre Introduction générale aux Évangiles http://jesusmarie.free.fr/bible_fillion_intro_evangiles.pdf les éléments de cette controverse, qui ne forme qu’une partie accessoire dans la vaste discussion relative aux rapports réciproques des trois synoptiques.
C’est d'une façon arbitraire que divers rationalistes allemands ont essayé de reconstituer exactement, dans le détail, les sources dont S. Luc fit usage pour composer l’Évangile qui porte son nom. Schleiermacher s’est cru assez perspicace pour distinguer dans le troisième Évangile quatre séries de documents antérieurs à S. Luc, et compilés, cousus ensemble, par le narrateur. Kœstlin constate de son côté des sources de provenance judaïque, d’autres sources d’origine Samaritaine. Il n’y a rien de solide dans cette critique exagérée (Voir Maier. l. c., p. 106. note 2.).
Ici encore, l’auteur lui-même nous fournit de précieux renseignements. Nous n’avons donc pas à insister beaucoup sur ces deux points, grâce au Prologue que nous avons cité plus haut en grande partie.
l. Chose nouvelle et même unique dans la littérature évangélique, la biographie de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon S. Luc commence par une dédicace : Ἔδοξε ϰάμοὶ... σοι γράψαι, ϰράτιστε Θεόφιλε, 1, 3. Nous indiquerons dans le commentaire les principales opinions qui se sont formées dès l'antiquité la plus reculée sur ce mystérieux personnage, auquel est dédié le troisième Évangile. Il suffira de dire actuellement que ce devait être un homme d’une certaine importance, païen d’origine et converti au Christianisme. S. Luc, se conformant à une coutume alors en vogue dans l'empire romain, le prit, suivant l'expression consacrée, pour son « le protecteur ou le défenseur du livre ». Mais, quoiqu’il s’adresse directement à Théophile, cela ne veut pas dire qu’il n’ait écrit en réalité que pour lui. Un livre de ce genre n’avait pas été composé pour une destination si restreinte. Par l’intermédiaire de son illustre ami, l'évangéliste présentait donc son œuvre, ainsi que les Pères l'affirmaient déjà, soit d’une manière plus spéciale aux Églises grecques (« Luc, donc, qui, parmi tous les évangélistes, fut le plus versé dans la langue grecque, qui fut aussi médecin, et qui écrivit un évangile en grec ». S. Jérôme, lettre 20. ad Damas. Μάρϰος δʹ Ἰταλίν ἔγραψε θαύματα Χριστοῦ, Λουϰᾶς Αχαΐδι. S. Greg. Naz. Carmen de veris: S. Script. Libris, 12, 31. Λουϰᾶς δʹ Ἕλλαδι σεπτὰ Θεοῦ τάδε θαύματα ἔγραψεν. Id. Carm. 22, 5, 1.), soit à tous les convertis issus du paganisme (Orig. ap. Euseb. Hist. Eccl. 3, 4 : τοῖς ἀπὸ τῶν ἐθνῶν), soit même en général à tous les chrétiens (S. Jean Chrysost., Hom. in Matth. 1 : ὁ δὲ Λουϰᾶς ᾅτε ϰοινῆ πᾶσι διαλεγόμε νος). Un examen attentif du troisième évangile corrobore ces données de la tradition, et montre que S. Luc n’avait pas en vue, comme S. Matthieu, des lecteurs issus, au moins pour la plupart, du Judaïsme. En effet, un grand nombre de ses explications auraient été parfaitement inutiles pour des Juifs, tandis qu’elles étaient indispensables pour des païens. Par exemple, 4, 31, « Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée » ; 8, 26, « Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. » ; 21, 37, « Pendant le jour, Jésus enseignait dans le temple et il en sortait pour aller passer la nuit sur la montagne qu'on appelle des Oliviers.» ; 22, 1, « La fête des Azymes, qu'on appelle la Pâque »; 23, 51, « il était d'Arimathie, ville de Judée »; 24, 13, « en route vers un village nommé Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades », etc. cf. 2, 1 et 3, 1, où l'évangéliste désigne par le règne et par le nom de deux empereurs romains la date de la naissance de Jésus et du ministère de S. Jean-Baptiste.
2. Le but du troisième évangile n’est pas moins clair que sa destination. C’est avant tout un but historique. Composer une biographie du Sauveur plus complète et mieux coordonnée que toutes celles qui avaient paru jusque-là (cf. 1, 1-3), fournir par conséquent à ses lecteurs un nouveau moyen d’affermir leur foi (« afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. », 1, 4), telle fut la double fin que se proposa S. Luc.
C’est ce qu'exprime fort bien l'historien Eusèbe (Hist. Eccl. 3, 24.) : Ὁ δὲ Λουϰᾶς ἀρχόμενος ϰαὶ αὐτὸς τοῦ ϰατʹ αὐτὸν συγγράμματος τὴν αἰτίαν προύθηϰε, δἰ ἣν πεποίηται τὴν σύνταξιν· δηλῶν, ὡς ᾄρα πολλῶν ϰαὶ ᾄλλων προπετέστερον ἐπιτετηδευϰότων διήγησιν ποιήσασθαι ὧν αὐτὸς πεπληροφορητο λόγων, ἀναγϰαίως ἀπαλλάτων ἡμᾶς περὶ τοὺς ᾄλλους ἀμφηρίστου ὑπολήψεως, τὸν ἀσφαλῆ λόγον, ὧν αὐτὸς ἱϰανῶς τὴν ἀλήθειαν ϰατειλήφει, ἐϰ τῆς ᾅμα Παύλω συνουσίας τε ϰαὶ διατριϐῆς ϰαὶ τῆς τῶν λοιπῶν ἀποστόλων ὁμιλίας ὠφελημένος, διὰ τοῦ ἰδίου παρέδωϰεν εὐαγγελίου. Durant l’ère apostolique, les discours et les actions de N.-S. Jésus-Christ formaient la base de l'enseignement chrétien ; la catéchèse des premiers prédicateurs s’appuyait toute entière sur la vie du Maître. En écrivant à son tour un abrégé de cette vie divine, S. Luc contribuait donc éminemment à la diffusion du christianisme. Des siècles après leur première apparition, ses pages inspirées contribuent encore à fortifier dans les cœurs les convictions chrétiennes. C’est seulement en ce sens qu’elles ont un but dogmatique.
1. Comme nous l’avons indiqué plus haut, en parlant des rapports de ressemblance qui existent entre le troisième évangile et les lettres de S. Paul, ce qui frappe surtout quand on étudie l'œuvre de S. Luc en tant qu'évangéliste, c’est son universalité. Les limites du christianisme y sont aussi vastes que le monde. Jésus y apparaît comme le Sauveur de tous les hommes sans exception, même des païens. Aucune distinction n’y est établie, sous le rapport du salut, entre les Juifs et les païens, les Grecs et les barbares, les justes et les pécheurs : on dirait plutôt que si, d'après S. Luc, il y a quelque privilège à ce point de vue, ce sont les païens, les barbares et les pécheurs qui en jouissent (nous ne voulons pas dire, assurément, que les autres récits évangéliques n'enseignent pas la même doctrine mais nous essayons de mettre en lumière le côté spécifique et caractéristique du troisième Évangile. Voyez Bougaud, Jésus-Christ, 2ème éd., pp. 89 et ss).
Citons quelques exemples à l’appui de cette théorie. S. Luc, 3, 23 et ss., communiquant à ses lecteurs la généalogie de Jésus, ne remonte pas seulement jusqu’à Abraham, ainsi qu’avait fait S. Matthieu ; d’anneau en anneau, il va jusqu’au père de toute l’humanité : « fils d'Adam, fils de Dieu. » A la naissance du Rédempteur, les anges, après avoir annoncé d’abord ce grand évènement à des pasteurs juifs, se hâtent d’en indiquer les heureuses conséquences pour tous les hommes : aux hommes de bonne volonté, 2, 14 (cf. 2, 1 et ss., où Jésus nous est montré comme un sujet de César, comme un citoyen de l'empire romain.). Quarante jours plus tard, c’est la bouche d’un fils de Jacob qui profère ces mots sublimes : «lumière qui doit dissiper les ténèbres des Nations et gloire d'Israël, votre peuple » 2, 32. Au début de sa vie publique, Jésus lui-même, à propos d’un passage d’Isaïe, rappelle clairement à ses compatriotes que, dès les jours d’Élie et d’Élisée, des païens avaient reçu les bénédictions divines de préférence aux Israélites. cf. 4, 25-27. Ailleurs, 9, 52-56, 17, 11-16, nous le voyons accorder ses bienfaits même aux samaritains maudits. La parabole du festin, 14, 16-24, annonce de même que les païens auront part au salut messianique.
Par combien de détails analogues S. Luc ne relève-t-il pas la prédilection accordée par le bon Pasteur aux âmes les plus pauvres, les plus égarées. Qu’il suffise de mentionner ceux de la pécheresse, 7, 37 et ss., et de l’enfant prodigue, 15, 11 et ss., comme deux des types les plus célèbres (« A peine est-il une anecdote, une parabole propre à Luc qui ne respire cet esprit de miséricorde et d'appel aux pécheurs... L'Évangile de Luc est par excellence l'Évangile du pardon ». E. Renan, les Évangiles, p. 266 et ss. Il est vrai que Renan ajoute aussitôt : « Toutes les détorses lui sont bonnes (à S. Luc !) pour faire de chaque histoire évangélique une histoire de pécheurs réhabilités ». De quel côté sont vraiment les « détorses » ?).
Tandis qu’il met ainsi constamment en relief les dispositions bienveillantes que Dieu nourrit, non-seulement à l'égard des Juifs, mais encore à l'égard des païens et des pécheurs, S. Luc passe sous silence les détails qui auraient pu blesser les convertis du paganisme, ou du moins qui présentaient moins d’intérêt pour eux (Davidson, Introduction, t. 2, p. 44 et suiv.).
2. Nous indiquerons mieux encore le caractère du troisième évangile en faisant voir la manière dont S. Luc a tracé le portrait de Jésus.
Fidèle à sa promesse, il a donné à l’Église la plus complète de toutes les biographies du divin Maître (« On a calculé qu’un tiers du texte de Luc ne se trouve ni dans Marc ni dans Matthieu ». E. Renan, les Évangiles, p. 266. cf. Bougaud, Jésus-Christ, 2° éd., p. 92 et suiv.; S. Irénée, 3, 14). Prenant le mystère de l’Incarnation pour point de départ, il conduit le lecteur jusqu’à l’Ascension de Jésus, à travers tous les faits principaux qui constituent notre rédemption. Sans lui, nous n’eussions connu que d’une manière très imparfaite l'enfance et la vie cachée de Notre-Seigneur : grâce aux détails qui remplissent ses deux premiers chapitres, nous pouvons nous faire une juste idée de cette importante période. Sa description de la vie publique abonde en détails nouveaux, qui comblent de nombreuses lacunes. Un passage considérable, 9, 51 - 18, 14, lui appartient presque totalement en propre : il est de même seul à raconter les épisodes de Nazareth, 4, 16 et ss., et de Zachée, 19, 2-10. On compte, durant cette époque de la vie de Jésus, jusqu’à douze paraboles :
1° Les deux débiteurs, 7, 40-43 ;
2° le bon Samaritain, 10, 30-37 ;
3° les deux amis, 11, 5-10 ;
4° le riche insensé, 12, 16-21 ;
5° le figuier stérile, 13, 6-9 ;
6° la drachme perdue et retrouvée, 15, 8-10 ; 7° l'enfant prodigue. 15, 11-32 ;
8° l'économe infidèle, 16, 1-8 ;
9° le riche et Lazare, 16, 19-31 ;
10° le juge inique, 18, 1-8 ;
11° le Pharisien et le publicain, 18, 9-14 ;
12° les mines, 19, 11-27)
et cinq miracles :
1° La première pêche miraculeuse, 5, 5-9;
2° la résurrection du fils de la veuve, 7, 11-17; 3° la guérison d’une femme infirme, 13, 11-17; 4° la guérison d’un hydropique, 14, 1-6;
5° les dix lépreux, 17, 12-19) qu’on ne trouve pas en dehors du troisième évangile.
Son récit de la passion n’est pas moins riche en particularités du plus grand prix, telles que la sueur de sang et l’apparition de l'ange consolateur à Gethsémani, 22, 43-44, l'interrogatoire chez Hérode, 23, 6-12, les paroles de Jésus aux saintes femmes, 23, 27-31, l'épisode du bon larron, 23, 39-43 (cf. encore 22, 61 : « Le Seigneur, s'étant retourné, regarda Pierre ; 23, 34, etc.). On voit par ces détails nombreux que les recherches de S. Luc n’avaient pas été vaines. Nous en signalerons beaucoup d’autres dans le commentaire.
Il a pourtant omis plusieurs incidents remarquables, rapportés par les deux premiers synoptiques : par exemple, la guérison de la fille de la Cananéenne, la marche de Jésus sur les eaux, la seconde multiplication des pains, la malédiction du figuier, et divers autres miracles (Voici ses principales omissions : Matth. 14, 22-16, 12 (cf. Marc. 6, 45 - 8, 26) ; Matth. 19, 2-12 ; 20, 1-16, 20-28 (cf. Marc. 10, 35-15) ; Matth. 26, 6-13 (cf. Marc. 14, 3-9) ; Matth. 17, 23-26, etc.).
L’image de Jésus qui se dégage du récit de S. Luc a un caractère tout-à-fait spécial. Ce n’est pas celle du Messie promis aux Juifs, comme dans S. Matthieu ; ce n’est pas celle du fils de Dieu, comme dans S. Marc et dans S. Jean : c’est celle du fils de l’homme, vivant parmi nous, semblable à l’un de nous. Les premières pages du troisième évangile sont très significatives à ce point de vue, car elles nous montrent, par une série de rapides gradations, le développement humain de Jésus. D’abord ϰαρπὸς τῆς ϰοιλίας (« le fruit de ton sein »), 1, 42, le Sauveur devient successivement βρέφος (« le nouveau-né »), 2, 16, puis παιδίον (« le petit enfant »), 2, 27, puis παῖς : (« enfant »), 2, 40, enfin ἀνήρ, homme parfait, 3, 22. Quoique hypostatiquement uni à la Divinité, ce fils de l’homme est pauvre, il s’humilie, il s’agenouille à chaque instant pour prier (Cf. 3, 21 ; 9, 29 ; 11, 1 ; 22, 32, etc.) (« Comme un vrai pontife (Jésus) offrit des prières, car, dans les évangiles, surtout dans celui de Luc, on lit qu'il a prié. » S. Anselme, In lettre ad Hebr. cap. 5.), il souffre, et nous le voyons même pleurer (19, 41). Mais, d’un autre côté, c’est le plus aimable des enfants des hommes : nous le disions dans la première partie de ce paragraphe, la miséricorde déborde de son cœur sacré, il s’apitoie sur toutes les misères, physiques ou morales, il met du baume sur toutes les plaies. Tel est le Jésus de S. Luc.
3. Ajoutons encore quelques points dignes d’observation touchant le caractère du troisième évangile.
1° On l’a parfois appelé « l’Évangile des contrastes. » C’est par un contraste qu’il débute, les doutes de Zacharie mis en opposition avec la foi de Marie. Bientôt après, 2, 34, il nous montre Jésus comme une occasion de ruine pour les uns, comme une cause de salut pour les autres. Plus tard, dans la reproduction abrégée du sermon sur la montagne, il place les malédictions à côté des béatitudes. L'orgueilleux Simon et l’humble pécheresse, Marthe et Marie, le bon pauvre et le mauvais riche, le Pharisien et le publicain, les deux larrons : ce sont là quelques autres frappants contrastes du troisième évangile.
2° La part laissée aux femmes est aussi un détail caractéristique de cette œuvre admirable. En aucune autre des rédactions évangéliques il n’est si longuement question de la Sainte Vierge. Ste Élisabeth, Anne la prophétesse, la veuve de Naïm, Marie-Madeleine et ses compagnes (8, 2-3), les sœurs de Lazare, les « filles de Jérusalem » (23, 28), et bien d’autres, apparaissent tour à tour dans le récit de S. Luc comme des preuves vivantes de l'intérêt que portait Jésus à cette partie alors si humiliée, si maltraitée de l'humanité.
3° S. Luc est le poète, l'hymnologue du Nouveau Testament. A lui seul il nous a conservé quatre cantiques sublimes, le Magnificat de Marie, le Benedictus de Zacharie, le Nunc dimittis du vieillard Siméon, enfin le Gloria in excelsis chanté par les anges. — Il est aussi l’évangéliste psychologue. Il parsème son récit de réflexions délicates et profondes, qui jettent un grand jour sur les faits dont elles sont rapprochées. cf. 2, 50-51 ; 3, 15 ; 6, 11 ; 7, 25, 30, 39 ; 16, 14 ; 20, 20 ; 22, 3 ; 23, 12, etc.
4° Au fond, la composition de S. Luc surpasse certainement en beauté celles de S. Matthieu et de S. Marc. Elle ravit l’esprit et le cœur, et contribue puissamment à faire connaître Notre-Seigneur Jésus-Christ. S. Marc l'emporte cependant sur S. Luc pour le pittoresque et le dramatique des récits : ce qui n’empêche pas le troisième évangile de contenir une foule de détails graphiques, par exemple 3, 21-22 ; 4, 1 ; 7, 14 ; 9, 29, etc.
C'est en grec que S. Luc composa son évangile ; il n’y a jamais eu le moindre doute à ce sujet.
L'antiquité jugeait déjà très favorablement son style. « L’Évangile de Luc est le plus littéraire des Évangiles... Luc... montre une vraie intelligence de la composition. Son livre est un beau récit bien suivi,... joignant l’émotion du drame à la sérénité de l'idylle. » Latin : « Evangelistam Lucam, écrivait S. Jérôme (Comment. in Isaïe 6, 9. cf. De viris illustr., l. c., lettre 20 ad Damas), tradunt veteres Ecclesiœ tractatores...magis Græcas litteras scisse quam Hebræas. Unde sermo ejus, tam in Evangelio quam in Actibus Apostolorum..., comptior est et sæcularem redolet eloquentiam » (E. Renan, Les Évangiles, p. 282 et suiv. : « Notre ignorance est telle aujourd’hui, qu'il y a peut-être des gens de lettres qui seront étonnés d’apprendre que S. Luc est un très grand écrivain. » Chateaubriand, Génie du Christianisme, liv. 5, c. 2. »). En effet, aucun des autres évangélistes ne l’égale sous ce rapport. Sa diction est facile, généralement pure, parfois même d’une exquise élégance. Le prologue en particulier est tout-à-fait classique.
Mais des détails et des exemples feront mieux ressortir la culture littéraire de S. Luc. Signe de la plus haute importance quand il s’agit de démontrer la connaissance d’une langue, notre évangéliste emploie un nombre considérable d’expressions. A lui seul, il fait usage de plus de mots grecs que S. Matthieu, S. Marc et S. Jean réunis. Les mots composés, qui marquent si délicatement les nuances variées de la pensée, reviennent à chaque instant sous sa plume. Il a une prédilection pour ceux dans la composition desquels entrent les prépositions ἐπὶ et διὰ (e. g. διαϐαλλειν, διαγινώσϰειν, διαγρηγορεῖν, διάδοχος, διαϰούειν, διαμάχεσθαι, διαπορεῖν, διασπείρειν, ἐπιϐιϐάζειν, ἐπιβουλὴ, ἐπιγίνεσθαι, ἐπιδεῖν, ἐπίεναι, έπιϰουρία, ἐπιρίνειν, ἐπιμελῶς). Ses phrases sont pour la plupart bien formées (quelle différence, par exemple, entre la lourde phrase de S. Marc, 12, 38 et suiv., βλέπετε ἀπὸ τῶν γραμματέων τῶν θελόντων ἐν στολαῖς περιπατεῖν ϰαὶ ἀσπασμοὺς ἐν ταῖς ἀγοραῖς, et celle de S. Luc, 20, 46, προσέχετε ἀπό... τῶν θελόντων..., ϰαὶ φιλούντων ἀσπασμούς.); il les varie avec aisance. Les constructions les plus compliquées ne sont pas un embarras pour lui.
Il prend soin d’éviter les expressions ou les idées trop hébraïques qui auraient pu présenter de l'obscurité à ses lecteurs. C’est ainsi qu’il emploie ἐπιστάτης au lieu de ῥαϐϐί (six fois), ναὶ, ἀληθῶς ou ἐπʹ ἀληθείας au lieu de ἀμήν (On rencontre pourtant sept fois cet adverbe dans le troisième Évangile ; mais S. Matthieu l’a employé trente fois, S. Marc quatorze fois), νομιϰοί au lieu de γραμματεῖς (six fois), ἄπτειν λύχνον au lieu de ϰαίειν λύχνον, φόρος au lieu de ϰῆνσος, etc. Il appelle le lac de Gennésareth λίμνη et non θάλασσα. Parfois néanmoins, surtout dans les deux premiers chapitres, ainsi qu’il a été dit précédemment, quelques hébraïsmes se sont glissés dans ses phrases. Les principaux sont : 1° ἐγένετο ἐν τῷ..., ’ויהיב (vingt-trois fois, deux fois seulement dans S. Marc, jamais dans S. Matthieu) ;
2° ἐγένετο ὡς,
ױהיכ’; 3° οἶϰος dans le sens de « famille » à la façon de בית ; et
4° le nom de Ὕψιστος ( עליזן ), appliqué à Dieu (cinq fois, une seulement dans S. Marc) ;
5° ἀπὸ τοῦ νῦν, כוצתה (quatre fois, jamais dans les autres évangiles);
6° προσέθετο πέμψαι 20, 11, 12
(Voyez Davidson, Introduction, p. 57).
Parmi les particularités de construction les plus remarquables du troisième évangile on peut signaler les suivantes : 1° Le participe mis au neutre et accompagné de l’article, pour remplacer un substantif; v. g. : 4, 16, ϰατὰ τὸ εἰωθος αὐτῷ; 8, 34, ἰδόντες τὸ γεγεννημένον; 22, 22; 24, 14, etc. 2° L'auxiliaire « être » construit avec le participe, au lieu du verbe au « tempus finitum » [parfait] Cf. 4, 31 ; 5, 10 ; 6, 12 ; 7, 8, etc. (Quarante-huit fois.) 3° L’article τὸ placé en avant d’une phrase interrogative, v. g. : 1, 63, ἐνένευον δὲ τῷ πατρί αὐτοῦ, τὸ τί ἄν θέλοι ϰαλεῖσθαι αὐτόν ; 7, 11 ; 9, 46, etc. 4° L’infinitif précédé de l’article au génitif, pour marquer un résultat ou un dessein ; Cf. 2, 27 ; 5, 7 ; 21, 22, etc. (En tout, vingt-sept fois : une fois seulement dans S. Marc, six dans S. Matthieu.) 5° L’emploi fréquent de certains verbes au participe, pour donner plus de vie et de couleur au récit ; par exemple, ἀναστάς (dix-sept fois), στραφείς (sept fois), πεσών, etc. 6° εἰπεῖν πρός (soixante-sept fois) (Une fois seulement dans le premier Évangile.), λαλεῖν πρὸς (quatre fois), λέγειν πρὸς (dix fois).
Voici maintenant quelques-unes des expressions propres à l’auteur du troisième évangile, ou qui du moins reviennent le plus souvent dans son récit (On en trouvera la liste à peu près complète dans Davidson, l. c., pp. 58-67 : Κύριος au lieu de Ἰνσοῦς (quatorze fois), σωτέρ et σωτηρία, χάρις (huit fois), εὐαγγελίζομαι (dix fois), ὑποστρέφω (vingt-et-une fois), ὑπάρχω (sept fois), ᾅπας (vingt fois), πλῆθος (huit fois), ἐνώπιον (vingt-deux fois, jamais dans les deux premiers évangiles), ἀτενίζω, ᾄτοπος, βουλή, βρέφος, δεόμαι, δοχή, ἐφιστάναι, ἐξαίφνης, θάμϐος, θεμέλιον, ϰλάσις, λεῖος, ὀνόματι, ὀδυνᾶσθαι, ὁμοθυμαδόν, ὁμιλεῖν, οιϰόνομος, παιδεύω, παύω, πλέω, πλὴν, παραχρῆμα, πράσσω, σιγάω, σϰιρτάω, τυρϐάζομαι, χήρα, etc.
S. Luc emploie quelques mots latins grécisés ; ἀσσάριον , 12, 6 ; δηνάριον, 7, 41 ; λεγέων, 8, 30 ; μόδιον, 11, 33 ; σουδάριον, 19, 20.
A défaut de renseignements certains sur ces deux points, nous pouvons du moins apporter des conjectures probables.
1. Le livre des Actes, ainsi qu’on l’admet généralement, fut écrit vers l’an 63 (Voyez Gilly, Précis d'Introduction générale et particulière à l'Écriture Sainte, t. 3, p. 256 ; P. de Valroger, Introduction histor. et critiq., t. 2, p. 158.). Or, dès ses premières lignes, ce livre s’annonce comme une suite et un complément du troisième Évangile (1, 1 : Τὸν μὲν πρῶτον λόγον ἔποιησάμην περὶ πάντων, ᾦ Θεόφιλε, ᾧν ἡρξατο ὁ Ἰησοῦς ποιεῖν τε ϰαὶ διδάσϰειν. Les mots Τὸν πρῶτον λόγον désignent certainement l'Évangile selon s. Luc). L’auteur indique par là même qu’il avait composé depuis un certain temps la biographie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, quand il se mit à écrire l'histoire du Christianisme naissant. L’an 60 de l’ère chrétienne, telle est donc la date approximative de l’Évangile selon S. Luc. C’est celle que la plupart des exégètes ont adoptée, d’après un raisonnement analogue à celui que nous venons de faire. Il est vrai que divers manuscrits et auteurs grecs mentionnent expressément la quinzième année qui suivit l’Ascension comme celle où S. Luc publia le premier de ses écrits (Μετά ιέ χρόνους τῆς τοῦ Σωτῆρος ἡμῶν ἀναλήψεως.Théophylacte et Euthymius) ; mais ces données paraissent tout-à-fait exagérées (Voyez de Valroger, l. c., p. 86.). L'exagération est pire encore de la part des critiques, presque tous rationalistes, qui reculent la composition de notre Évangile jusqu'à une période plus ou moins avancée du second siècle (Volkmar, l’an 100 ; Hilgenfeld, de 100 à 110 ; Davidson, vers l’année 115 ; Baur, en 130, etc.). En effet, des arguments par lesquels nous avons démontré plus haut (§. 2) l’authenticité du troisième Évangile, il résulte qu’une pareille opinion est tout-à-fait insoutenable au point de vue historique (voici encore quelques autres sentiments particuliers sur la date de l’Évangile selon S. Luc : Alford, de 50 à 58 ; MM. Vilmain et Gilly. 53 ; Bisping et Olshausen, 64 ; Maier, entre 67 et 70 ; von Burger, vers 70 ; Credner, de Wette, Bleek, Reuss, etc., après 70 ; Holtzmann, entre 70 et 80 ; Keim, en 90. On voit, par ces variantes, qu'il y a nécessairement quelque chose de subjectif dans la fixation des dates de ce genre, quand la tradition n’a pas clairement parlé. Ernest Renan montre qu'il ne connaît pas tous les auteurs, lorsqu’il écrit : «Tout le monde admet que le livre est postérieur à l'an 70. » Les Évangiles, p. 252 et 253. Il ajoute pourtant : « Mais d’un autre côté il ne peut être de beaucoup postérieur à cette année ».
2. S. Jérôme, dans la Préface de son commentaire sur S. Matthieu, parlant de l'Évangile selon S. Luc, dit qu’il fut composé en Achaïe et Béotie. S. Grégoire de Nazianze place également l'origine du troisième Évangile ἐν Ἀχαΐαδι. Mais l’antique version syrienne nommée Peschito affirme au contraire, dans un titre, que S. Luc publia et prêcha son Évangile à Alexandrie-la-Grande. Ne sachant auquel de ces deux renseignements contradictoires il valait mieux se ranger, les exégètes ont compliqué la question en fixant d’autres berceaux à l'œuvre évangélique de S. Luc, par exemple Éphèse (Kœstlin. Cette opinion est complètement invraisemblable), Rome (Ewald, Keim, Olshausen, Maier, Bisping, etc.) et Césarée de Palestine (Bertholdt, Kuinœl, Humphrey, Ayre, Thiersch, Thomson, etc). Lardner, Hilgenfeld et Wordsworth se rapprochent toutefois du sentiment de S. Jérôme quand ils font écrire S. Luc, le premier en Grèce, les deux autres en Macédoine. Rome ou Césarée conviendraient très bien au point de vue historique, S. Luc ayant eu tout le temps de composer son Évangile durant les loisirs forcés que lui donna la longue captivité de S. Paul dans ces deux villes (cf. Actes 23, 33 ; 24, 27 ; 28, 14 et ss., et les commentaires). Mais l’autorité de S. Jérôme fait impression sur nous, et nous ne croyons pas qu’on ait des motifs suffisants pour rejeter son témoignage.
1. Le plan de S. Luc est contenu tout entier dans ces lignes du Prologue, 1, 3 : « j'ai résolu moi aussi, après m'être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l'origine, de t'en écrire le récit suivi ». ᾌνωθεν et ϰατεξῆς, tels sont les mots les plus importants de cette déclaration. Notre évangéliste voulait donc remonter aussi haut que possible dans l’histoire de Jésus ; d’un autre côté, il se proposait de coordonner de son mieux les évènements d’après leur suite naturelle et chronologique. Il a tenu fidèlement sa promesse. En premier lieu, personne, pas même S. Matthieu, ne reprend les choses d’aussi loin que lui pour ce qui concerne la vie humaine de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Commencer son récit par la naissance du Sauveur ne lui paraissait pas suffisant ; il a donc exposé d'abord l’étonnant mystère de l’Incarnation. Mais, comme si cela même n’eût pas encore été assez, il a placé avant ce divin épisode l'annonciation faite à Zacharie et la nativité du Précurseur.
En second lieu, S. Luc est, plus qu’aucun autre évangéliste, attentif aux dates et à l'ordre historique des faits. Le plus souvent, dans ses pages lucides, les incidents se suivent à la manière même dont ils se sont passés : les enchaînements factices y sont plus rares que dans les deux autres synoptiques. Tantôt il fixe clairement les époques, v. g.,1, 5 ; 2, 1, 2, 42 ; 2, 23 ; 9, 28, etc., ayant même parfois recours au synchronisme pour les mieux indiquer (cf. 3, 1 et 2) ; tantôt, il unit entre eux les divers incidents par des formules de transition qui en démontrent la connexion réelle. cf. 4, 14, 16, 31, 38, 42, 44 ; 5, 1, 12, 17, 27 ; 6, 1, 6, 12 ; 7, 1, 11 ; 8, 1, etc. Cela ne veut pas dire, néanmoins, qu’il se soit toujours rigoureusement astreint à l’ordre chronologique : le commentaire et l'Harmonie évangélique placée à la suite de notre Introduction générale aux Évangiles montrent des exceptions sous ce rapport : mais ces cas sont peu nombreux, et n'empêchent pas le plan de S. Luc d’être en somme très régulier.
L’exactitude chronologique de notre écrivain sacré se manifeste encore avec un caractère assez frappant par le soin qu’il prend d’entourer les conversations du Seigneur Jésus des circonstances secondaires qui leur avaient servi de cadre (Voyez surtout 9, 51 — 18, 14).
2. On a divisé de bien des manières l'Évangile selon S. Luc, au moyen de combinaisons plus ou moins ingénieuses, c'est-à-dire plus ou moins artificielles. Behrmann le partage en quatre sections : l’histoire préliminaire, 1, 5-4, 13, le ministère de Jésus en Galilée, 4, 14-9, 50, le récit du dernier voyage à Jérusalem, 9, 51-18, 30, la Passion, la Résurrection et l’Ascension, 18, 31-24, 53. Davidson (Introduction, p. 25) admet cinq divisions : 1° l'enfance de Jean-Baptiste et de Jésus, 1 et 2 ; 2° les préliminaires du ministère public de Jésus, 3, 1-4, 13 ; 3° la Vie publique en Galilée, 4, 14 - 9, 50 ; 4° ce qu’on nomme parfois la « gnomologie », avec l’entrée à Jérusalem, 9, 51-21, 38 ; 5° les derniers incidents jusqu’à l’Ascension, 22-24. Plus communément, quoique avec différentes nuances, on se borne à trois parties, qui correspondant à la Vie cachée, à la Vie publique, à la Vie souffrante et ressuscitée de Notre-Seigneur Jésus-Christ (M. Gilly, Précis d'introduction, l. c. : 1, 1-4, 13 ; 4, 14-21, 38 ; 22-24. M. Langen : 1 et 2 ; 3-21; 22-24. Le Dr van Oosterzee : 1 et 2 ; 3, 1-19, 27 ; 19, 28- 24, 53). Telle sera aussi notre division, dont on trouvera plus bas les détails.
S. Ambroise a composé sur le troisième Évangile un commentaire complet, que l’on peut ranger parmi ses meilleures œuvres exégétiques (Expositio Evangelii secundum Lucam libris decem comprehensa. Traduction française publiée dans la collection Sources Chrétiennes, des éditions du Cerf, à Paris, France). Le saint Docteur appartient, comme l'on sait, à l’école allégorique et mystique : souvent il ne fait qu’indiquer le sens littéral, pour s’étendre sur ses sujets de prédilection. S. Jérôme lui reproche de trop jouer sur les mots.
Antérieurement, Origène avait écrit cinq livres de commentaires sur S. Luc : on n’en possède qu’un très petit nombre de fragments (Ap. Migne, Patrol. græca, t. 13, col. 1901 et ss.). En revanche, il nous reste du « Doctor Adamantinus » trente-neuf Homiliae in Lucam traduites par S. Jérôme (Ibid., col. 1801-1900. Le texte grec a été perdu).
Les explications de Bède le Vénérable (In Lucæ EvangeIium expositio, ap. Migne, Patrol. lat. t. 92, col. 301 et ss.), de Théophylacte (Enarratio in Evang. Lucæ, ap. Migne, Patr. græc., t. 123, col. 691 et ss.), d’Euthymlus Zigabenus (Interpretatio Evangelii Lucae, ibid., t. 129, col. 857 et ss.), sont, pour le troisième Évangile, ce qu’elles avaient été pour les deux précédents, c'est-à-dire pleines d’excellentes choses malgré leur brièveté.
Nicétas Serron, diacre de l’Église de Constantinople, puis évêque d’Héraclée (11ème siècle), a réuni dans une sorte de Chaîne (Συναγωγὴ ἐξηγὴσεων εἰς τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν ἀγιον εὐαγγελίον... παρἀ Νιϰῆτα διαϰόνου), naguère publiée par le Card. A. Mai (Scriptor. vet. nova Collectio, t. 9, pp. 626 et ss.), un grand nombre d’explications patristiques relatives à notre Évangile. Cordier a rendu un service analogue aux exégètes dans les premières années du 17ème siècle (Corderii Catea græcor. Patrum in Lucam, Anvers 1627).
Dans les temps modernes, outre les œuvres d’Érasme, de Maldonat, de Cornélius à Lapide, de Cornélius Jansénius, de Luc de Bruges et de Noël Alexandre, qui embrassent les quatre Évangiles, nous n’avons à signaler, parmi les catholiques, que deux commentaires spéciaux sur S. Luc, celui de Stella, publié en 1575 et fréquemment réédité depuis, et celui de Tolet, qui parut en 1612 (Commentarii in sacrosanctum J. C. D. N. Evangelium sec. Lucam).
DIVISION SYNOPTIQUE DE L'ÉVANGILE SELON S. LUC
PROLOGUE. 1, 1-4.
PREMIÈRE PARTIE
VIE CACHÉE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 1-2.
1. — Annonciation de Zacharie et conception miraculeuse de Jean-Baptiste. 1, 5-25.
2. — L'Annonciation de Marie et l’Incarnation du Verbe. 1, 26-38.
3. — La Visitation et le Magnificat. 1, 39-56.
4. — Les premières années de Jean-Baptiste. 1, 57-80.
1° Nativité du Précurseur. 1, 57-58.
2° La circoncision de Jean-Baptiste et le Benedictus. 1, 59-79.
3° Éducation et développement de S. Jean. 1, 80.
5. — Noël. 2, 1-20.
1° Jésus naît à Bethléem. 2, 1-7.
2° Les premiers adorateurs de Jésus. 2, 8-20.
6. — La circoncision de Jésus. 2, 21.
7. — La présentation de Jésus au temple et la purification de Marie. 2, 22-38.
1° Les deux préceptes. 2, 22-24.
2° Le saint vieillard Siméon. 2, 25-35.
3° Sainte Anne. 2, 36-38.
8. — Vie cachée de Jésus à Nazareth. 2, 39-52.
1° Abrégé de l'enfance de Jésus. 2,39 et 40.
2° Jésus parmi les Docteurs. 2, 41-50.
3° De douze à trente ans. 2, 51-52.
DEUXIÈME PARTIE
VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 3, 1-19, 28.
1ère SECTION. —PÉRIODE DE TRANSITION ET D'INAUGURATION : LE PRÉCURSEUR ET LE MESSIE. 3, 1-4, 13.
1. — Ministère de S. Jean-Baptiste 3, 1-20.
1° L'apparition du Précurseur. 3, 1-6.
2° Prédication de Jean-Baptiste. 3, 7-18.
3° S. Jean est mis en prison. 3, 19-20.
2. —Les préliminaires du ministère de Notre-Seigneur. 3, 21-4, 13.
1° Le baptême de Jésus. 3, 21-22.
2° La généalogie de Jésus. 3, 23-38.
3° La tentation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 4, 1-13.
2ème SECTION. —MINISTÈRE DE JÉSUS EN GALILÉE. 4, 14-9, 50
1. — Retour de Jésus en Galilée, et coup d’œil général sur les débuts de son ministère. 4, 14-15.
2. — Jésus à Nazareth. 4, 16-30.
3. — Jésus à Capharnaüm. 4, 31-44.
a. Aperçu général de l'activité du Sauveur à Capharnaüm. 4, 31-32.
b. Guérison d’un démoniaque. 4, 33-37.
c. Guérison de la belle-mère de S. Pierre et d’autres malades. 4, 38-41.
d. Retraite de Jésus sur les bords du lac. Il évangélise la Galilée. 4, 42-44
4. — La pêche miraculeuse et les premiers disciples de Jésus. 5, 1-11.
5. — Guérison d'un lépreux. 5, 12-16.
6. — Guérison d’un paralytique. 5, 17-26.
7. — Vocation de S. Matthieu et faits qui s’y rattachent. 5, 27-39.
8. — Les épis et le jour du sabbat. 6, 1-5.
9. — Guérison d'une main desséchée. 6, 6-11.
10. — Choix des Apôtres et discours sur la montagne. 6, 12-49.
a. Jésus choisit les douze Apôtres. 6, 12-16.
b. Discours de Jésus sur la Montagne. 6, 17-19.
1) La mise en scène. 6, 17-20a
2) Première partie du discours : Le vrai bonheur. 6, 20b-26.
3) Deuxième partie du discours : La vraie charité. 6, 27-38.
4) Troisième partie du discours : Règles de vraie sagesse. 6, 39-49.
11. — Le serviteur du centurion. 7, 1-10.
12. — Résurrection du fils de la veuve de Naïm. 7, 11-17.
13. — Jésus, Jean-Baptiste, et la génération présente. 7, 18-35.
1° L'ambassade du Précurseur. 7, 18-23.
2° Discours à propos de l'ambassade. 7, 24-35.
14. — Simon le Pharisien et la pécheresse. 7, 36-50.
15. — Un voyage apostolique de Jésus. 8, 1-3.
16. — Deux journées consécutives de Jésus. 8. 4-56.
1° La parabole du semeur et son explication. 8, 4-15.
2° Nécessité d'écouter attentivement la divine parole. 8, 16-18.
3° La vraie famille de Jésus. 8, 19-21.
4° La tempête miraculeusement apaisée. , 8, 22-25.
5° Le possédé de Gadara. 8, 26-39.
6° L'hémorrhoïsse et la fille de Jaïre. 8, 40-56.
17. — L’envoi des Douze. 9, 1-6.
18. — Opinion d’Hérode au sujet de Jésus. 9, 7-9.
19. — Retour des Douze et multiplication des pains. 9, 10-17.
20. — Confession de S. Pierre et première annonce de la Passion. 9, 18-27.
21. — La Transfiguration. 9, 28-36.
22. — Guérison d’un paralytique. 9, 37-43.
23. — Seconde prédiction officielle de la Passion. 9, 44-45.
24. — Leçon d’humilité et de tolérance. 9, 46-50.
3° SECTION. — RÉCIT DU DERNIER VOYAGE DE JÉSUS À JÉRUSALEM. 9, 51-19, 28.
1. — Les Samaritains inhospitaliers. 9, 51-56.
2. — Ce qu’il faut pour suivre Jésus. 9, 57-62.
3. — Les soixante-douze disciples. 10, 1-24.
4. —La parabole du bon Samaritain. 10, 25-37.
5. — Marthe et Marie. 10, 38-42.
6. — Entretien sur la prière. 11, 1-13.
7. — Le blasphème des Pharisiens et le signe du ciel. 11, 14-36.
8. — Première malédiction contre les Pharisiens et les Scribes. 11, 37-54.
9. — Divers enseignements à l'adresse des disciples et du peuple. 12, 1-59.
1° Première série d'avertissements aux disciples. 12, 1-12.
2° Étrange interruption, et parabole du riche insensé. 12, 13-21.
3° Seconde série d’avertissements aux disciples. 12, 22-53.
4° Importante leçon pour le peuple. 12, 54-59.
10. — Nécessité de la pénitence. 13, 1-9.
1° Deux faits historiques qui prouvent cette nécessité. 13, 1-5.
2° Parabole du figuier stérile. 13, 6-9.
11. — Guérison d’une femme infirme. 13, 10-17.
12. — Paraboles du grain de sénevé et du levain. 13, 18-21.
13. — Le Petit nombre des sauvés. 13, 22-30.
14. — Hérode, ce renard. 13, 31-35.
15. — Jésus dans la maison d’un Pharisien en un jour de sabbat. 14, 1-24.
1° Guérison d’un hydropique. 14, 1-6.
2° Le repas, accompagné des instructions du Sauveur. 14, 7-24.
16. — Ce qu’il en coûte pour suivre Jésus. 14, 25-35.
17. — La miséricorde de Dieu à l'égard des pécheurs. 14, 1-32.
1° Occasion du discours. 15, 1-3.
2° La parabole de la brebis égarée. 15, 4-7.
3° La parabole de la drachme perdue. 15, 8-10.
4° La parabole de l’Enfant prodigue. 15, 11-32.
18. — Le bon usage des richesses. 16, 1-31.
1° L’économe infidèle. 16, 1-12.
2° L'avarice des Pharisiens réprouvée par la parabole du pauvre Lazare. 16, 14-31.
19. — Quatre avis importants. 17, 1-10.
20. — Guérison des dix lépreux. 17, 11-19.
21. — L’avènement du royaume de Dieu. 17, 20-37.
22.— Parabole de la veuve et du juge inique. 18, 1-8.
23. — Parabole du Pharisien et du publicain. 18, 9-11.
21. — Jésus et les petits enfants. 18, 15-17.
25. — Le jeune homme riche. 18, 18-30.
26. — Jésus prédit de nouveau sa Passion. 18, 31-34.
27. — L’aveugle de Jéricho. 18, 35-43.
28. — Zachée. 19, 1-10.
29. — La parabole des mines. 19, 11-28.
TROISIÈME PARTIE
VIE SOUFFRANTE ET GLORIEUSE DE JÉSUS. 19, 29-24, 53.
1. — Entrée solennelle du Messie dans sa capitale. 19, 29-44.
1° Préparatifs du triomphe. 19, 29-35.
2° La marche triomphale. 19, 36-44.
2. — Jésus règne en Messie dans le temple. 19, 45—21, 4.
1° Expulsion des vendeurs. 19, 45 et 46.
2° Description générale du ministère de Jésus dans le temple. 9, 47-48.
3° Le Sanhédrin et l'origine des pouvoirs de Jésus. 20, 1-8.
4° Parabole des vignerons homicides. 20, 9-19.
5° Question relative à l’impôt. 20, 20-26.
6° Les Sadducéens défaits à leur tour. 20, 27-40.
7° David et le Messie. 20, 41-44.
8° Jésus dénonce les vices des scribes. 20, 45-47.
9° L’obole de la veuve. 21, 1-4.
3. — Discours sur la ruine de Jérusalem et la fin des temps. 21, 5-36.
a. Occasion du discours. 21, 5-7.
b. Partie prophétique du discours. 21, 8-33.
c. Partie morale du discours. 21, 34-36
4. — Coup d’œil d’ensemble sur les derniers jours du Sauveur. 21, 37-38.
5. — Trahison de Judas. 22, 1-6.
1° Le Sanhédrin cherche le moyen d’assassiner Jésus. 22, 1-2.
2° Judas et le Sanhédrin. 22, 3-6.
6. — La dernière cène. 22, 7-30.
1° Préparatifs de la Pâque. 22, 7-13.
2° Les deux cènes. 22, 14-23.
7. — Conversation intime rattachée à la cène. 22, 24-38.
8. — L'agonie de Jésus à Gethsémani. 22, 39-46.
9. — L'arrestation de Jésus. 22, 47-53.
10. — Reniement de S. Pierre. 22, 54-62.
11. — Jésus insulté par les gardes du Sanhédrin. 22, 63-65.
12. — Jésus devant le Sanhédrin. 22, 66-71.
13. — Jésus comparaît devant Pilate et devant Hérode. 23, 1-25.
1° Première phase du jugement devant Pilate. 23, 1-7.
2° Jésus devant Hérode. 23, 8-12.
3° Seconde phase du jugement devant Pilate. 23, 13-25.
14. — Le chemin de croix. 23, 26-32.
15. — Jésus meurt sur la croix. 23, 33-46.
1° Le crucifiement. 23, 33-34.
2° Les insulteurs et le bon larron. 23, 35-43.
3° Les derniers moments de Jésus. 22, 44-46.
16. — Témoignages rendus au Sauveur aussitôt après sa mort. 23, 47-49.
17. — Sépulture de Jésus et préparatifs de son embaumement. 23, 50-56.
18. La Résurrection de Jésus et ses preuves. 24, 1-43.
1° Les saintes femmes trouvent le tombeau vide. 24, 1-8.
2° Elles avertissent les disciples qui refusent de croire. 24, 9-11.
3° S. Pierre au tombeau. 24, 12.
4° Jésus apparaît aux disciples d'Emmaüs. 24, 13-35.
5° Jésus apparaît aux disciples réunis dans le cénacle. 24, 36-43.
19. — Les dernières instructions de Jésus. 24, 44-49.
20. — L’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ au Ciel. 24, 50-53.
Luc 1.1 Plusieurs ayant entrepris d'écrire l'histoire des faits accomplis parmi nous, Plusieurs. Quels sont ces hommes nombreux qui, dès les premières années du Christianisme, avaient entrepris d'écrire la vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et quelle idée doit‑on se faire de leurs tentatives ? Les anciens commentateurs ont souvent pris en mauvaise part les expressions plusieurs et entrepris. Ils ont vu, dans la première, la désignation des Évangiles apocryphes, ou même hérétiques, qui ne tardèrent pas à envahir d'une manière étrange l'Église primitive, et par suite, dans la seconde, un blâme vigoureux adressé par S. Luc aux auteurs des « Essais » en question. « En disant ils ont essayé, il porte une accusation latente contre ceux qui, sans la grâce du Saint‑Esprit, ont tenté d’écrire des évangiles. Matthieu, Luc, Marc et Jean n’ont pas essayé d’écrire, mais ont écrit ». Origène, Hom. 1 in Lucam. cf. S. Ambr. Expositio in Luc. l. 1 , 4, Salmeron, Tolet, etc., h. l. Mais tous les exégètes modernes sont d'accord pour reconnaître, comme le faisaient déjà Maldonat et Luc de Bruges, que ces deux expressions n'ont ni par elles‑mêmes, ni dans le contexte, une signification aussi sévère. « Plusieurs » ne saurait s'appliquer aux écrits apocryphes et hérétiques qui se parèrent du nom d'Évangiles, attendu que ces écrits n'existaient pas encore quand S. Luc publia sa biographie du Sauveur : ce mot désigne donc des auteurs inconnus, dont les écrits furent peu à peu relégués dans l'oubli, quand Dieu eût donné à l'Église, et que celle‑ci eût marqué du sceau de son autorité, les quatre Évangiles canoniques. Le verbe entrepris est un choix assez heureux, parce qu'il suppose assez souvent, et c'est ici le cas, une entreprise délicate, importante, qui n'est pas sans difficulté. Aussi, sans blâmer précisément ces essayistes, puisqu'il se place, au v. 3, sur la même ligne qu'eux, S. Luc fait peut‑être une allusion indirecte à l'imperfection, au caractère insuffisant de leurs œuvres. Il montre du moins qu'ils n'ont pas épuisé le sujet, et, s'il prend la plume à son tour, c'est assurément pour le traiter dans des conditions plus avantageuses. - L'histoire des choses qui se sont accomplies. On devine sans peine de quelles choses S. Luc veut parler. Il s'agit évidemment des faits admirables qui composent la vie de Notre‑Seigneur. « Parmi nous » peut désigner soit, d'une manière générale, le monde entier, c'est‑à‑dire le monde contemporain de Jésus, soit le cercle beaucoup plus restreint, mais chaque jour grandissant, des amis et disciples du Sauveur. Ce second sens paraît le plus probable, puisque c'est un chrétien qui s'adresse ici à un chrétien ; c'est aussi le plus communément admis. - Accomplies. Peut‑être, en employant cette expression, l'écrivain sacré voulait‑il faire une allusion aux anciennes prophéties, que Jésus avait si parfaitement réalisées. Il est vrai que des auteurs anciens et modernes, en assez grand nombre et faisant autorité (spécialement le traducteur syrien Origène, Théophylacte, Euthymius, Érasme, Grotius, Hug, Olshausen, etc.) donnent à ce participe le sens de « tout à fait accréditées », « su avec certitude » ; mais ce sens n'est possible que lorsqu'on l'applique aux personnes (v.g. Romains 4, 21 ; 14, 5), il ne l'a pas quand il s'agit des choses.
Luc 1.2 conformément à ce que nous ont transmis ceux qui ont été dès le commencement, témoins oculaires et ministres de la parole, - Dans le verset qui précède, l'évangéliste a signalé un fait : « plusieurs ayant entrepris... » ; il indique dans celui‑ci la source à laquelle avaient puisé les nombreux écrivains qu'il se propose d'imiter en les perfectionnant. Transmis désigne la tradition orale, dont le rôle était si considérable dans l'Église naissante. - Témoins oculaires et ministres de la parole... S. Luc avait‑il en vue deux catégories distinctes d'individus, ou tout à fait les mêmes, désignés sous un double caractère ? La seconde est certainement plus conforme à la construction du texte grec primitif, qui place les deux substantifs sur une même ligne, rattachés aux mêmes mots, et paraît ainsi représenter une catégorie unique de personnages, ceux qui furent tout ensemble témoins et auxiliaires, c'est‑à‑dire les disciples de Jésus dans le sens strict. D'après cela, l'expression « dès le commencement » ne désignerait pas les premières années du Sauveur (Kuinoel, Olshausen, Bisping, etc.) mais seulement le début de sa Vie publique ; elle aurait une signification relative et non absolue. Cette interprétation nous est suggérée par Jésus‑Christ lui‑même , qui disait un jour à ses apôtres : « vous aussi, vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi DÈS LE COMMENCEMENT », Jean 15, 27 ; cf. Actes 1, 21-22 et Luc. 3, 23. Il nous reste à préciser le sens de la parole. D'anciens exégètes, tels qu'Origène, S. Irénée, S. Athanase, Euthymius, voient sous ce terme le Logos personnel ou Verbe divin ; mais il est difficile de croire qu'ils aient voulu donner ici une interprétation stricte, attendu que le substantif parole n'est employé de la sorte que dans le quatrième Évangile. S. Luc a voulu parler seulement de la prédication évangélique, qui est le langage, le discours par excellence ; ou, mieux encore, des actions de Jésus en général, ce qui correspondrait aux « choses » du v.1. - La tradition apostolique, voilà donc la base sur laquelle s'étaient appuyés les écrivains mentionnés par S. Luc : base excellente, qui sera également la sienne. Il suit de là que S. Matthieu n'est pas compris dans les « plusieurs », puisqu'il avait été personnellement témoin et ministre de la parole. S. Marc en faisait‑il partie d'après la pensée de S. Luc ? C'est possible en soi mais si peu vraisemblable, que la plupart des exégètes se décident pour la négative, à quelque école du reste qu'ils appartiennent.
Luc 1.3 j'ai résolu moi aussi, après m'être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l'origine, de t'en écrire le récit suivi, excellent Théophile, - L'évangéliste fait part maintenant au lecteur de sa méthode, des principes directeurs qu'il suivra en tant qu'historien de Jésus. - j'ai résolu moi aussi. S. Luc s'autorise en quelque sorte de l'exemple des écrivains qui l'ont précédé. Ce qu'ils ont fait, il est pareillement en droit de l'entreprendre. Mais il insinue ensuite délicatement en quoi il essaiera de les surpasser. Quatre expressions choisies indiquent les qualités qu'il s'efforcera de donner à sa narration. 1°. Il sera aussi complet que possible, après m'être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l'origine. Dans la version grecque, le verbe signifie littéralement « suivre pas à pas » ; les meilleurs auteurs grecs l'appliquent comme S. Luc aux investigations intellectuelles. cf. Polyh. 1, 12 ; Démosth. Pro corona, c. 53, etc. 2°. S. Luc remontera jusqu'à l'origine la plus reculée de l'histoire du Sauveur, car « il se propose d'introduire dans son tableau même l'aurore du jour » qui en forme le fond (Bisping). Les vv. 5 et ss. Nous montreront ce que S. Luc a entendu par le « commencement de toutes les choses. ». 3° Il racontera avec toute l'exactitude dont il sera capable ; la méthode suivie par lui dans son récit comme dans ses recherches sera « critique », selon l'expression qui est à la mode aujourd'hui. 4° Il organisera les événements d'après un ordre régulier, qui sera généralement celui de la chronologie, dans l'ordre. Nous avons vu en divers endroits de la Préface, §§ 5 et 8, que S. Luc a été fidèle à toutes ses promesses. Il est plus complet qu'aucun autre évangéliste (cf. S. Ambr. Exp. in Luc. 1, 11) ; il remonte non‑seulement jusqu'à l'Incarnation du Verbe, mais jusqu'à la conception du Précurseur ; il est un narrateur très exact ; enfin un ordre lumineux règne à peu près partout dans ses pages. - De t'en écrire le récit suivi, excellent Théophile. Ces mots renferment la dédicace de l'ouvrage. Voyez la Préface, § 4. Mais qu'était ce « très excellent Théophile » auquel S. Luc adressait ainsi premièrement et directement son Évangile ? Les avis ont été de tout temps très partagés sur ce point. De la signification mystique de son nom (ami de Dieu), on a parfois conclu (Hammond, Leclerc, E. Renan, etc.), à la suite d'Origène, Hom. 1 in Luc., de S. Épiphane, Haer. l. 51, et de Salvianus, lettre 9 ad Salonium, que c'était un personnage purement idéal et supposé, destiné à représenter tout lecteur chrétien, de la façon de la Philothée de S. François de Sales. Mais c'est à bon droit que les exégètes rejettent pour la plupart ce sentiment : car, d'un côté, il est contraire à l'ensemble de la tradition, laquelle a vu très généralement dans Théophile un personnage historique et réel, vivant en même temps que S . Luc ; d'un autre côté, il est suffisamment réfuté par l'épithète excellent associé au nom de Théophile. En effet, on ne donne pas de titres honorifiques à un être imaginaire ; or cet adjectif, équivalent au « splendidus » des Latins, apparaît soit dans les écrits du Nouveau Testament (cf. Actes 23, 26 ; 24, 3 ; 26, 25), soit sur les monuments antiques devant le nom de personnages officiels et distingués. On a inféré de là, sans doute avec raison, que le Théophile auquel est dédié le troisième Évangile était selon toute apparence un homme d'un rang assez élevé, par exemple un magistrat supérieur. Tout prouve aussi qu'il était chrétien, et d'origine païenne. Toutefois on n'a pas voulu se borner à ces idées générales : toutes sortes d'hypothèses furent faites pour déterminer sa personne et sa patrie. C'est ainsi qu'on l'a identifié tantôt avec le grand‑prêtre juif du même nom, fils d'Anne, ant. 18, 5, 3 ; 19, 6, 2), tantôt avec un autre Théophile, habitant d'Athènes, mentionné par Tacite, annal. 2, 55, 2, tantôt avec le célèbre Philon d’Alexandrie, tantôt avec deux autres homonymes dont l'un, d'après les Recognit. Clementinae, l. 10, c. 7, aurait été l'un des premiers citoyens de la ville d’Antioche, dont l'autre, d'après les Constit. Apostol. 7, 46, serait devenu le troisième évêque de Césarée de Palestine. Tout cela est bien hasardé. On a pourtant conjecturé d'une manière assez ingénieuse que Théophile habitait probablement l'Italie quand S. Luc lui dédia son Évangile ou du moins le livre des Actes. Tandis que partout ailleurs les éclaircissements géographiques abondent, ils cessent tout à coup dans le dernier chapitre des Actes ; dès qu'il est question de l'Italie, l'écrivain sacré se borne à mentionner les localités, supposant que son illustre ami est suffisamment renseigné sur leur compte. Et cependant plusieurs de ces localités sont sans importance, comme « Forum Appii, Tres Tabernae » : c'est donc que Théophile les connaissait, et il ne pouvait guère les connaître qu'à la condition d'être domicilié dans le pays.
Luc 1.4 afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. - S. Luc consacre la dernière partie de cet intéressant Prologue à exposer le dessein qui lui avait fait prendre la plume. Il veut que son lecteur principal, et tous les autres avec lui, soient confirmés dans la foi chrétienne par une connaissance plus approfondie de l'Évangile. - Des enseignements que tu as reçus. Ici, de même qu'au v. 2, paroles désigne l'enseignement évangélique, ou les événements qui lui servaient de base. Du verbe grec correspondant à enseigner, nous avons fait « catéchiser, catéchèse, catéchisme, catéchumène ». Dans cette entrée en matière digne d'Hérodote ou de Thucydide, le rationaliste Baur se complaît à voir l’œuvre d'un faussaire. Ewald, autre rationaliste, en admire au contraire la modestie délicate, l'aimable candeur ; caractère qui est en effet très frappant. Au point de vue théologique, cette pièce a une grande importance, car elle est d'un précieux secours pour déterminer la nature de l'inspiration. S. Luc « parle comme aurait fait un auteur ordinaire, qui relève sa fidélité, son exactitude et la parfaite connaissance qu'il a des choses qu'il raconte. L'inspiration du Saint Esprit n'exclut pas la science, la diligence, la fidélité de l'écrivain. Plus sa dignité est relevée, et plus les choses qu'il raconte sont divines et surnaturelles, plus il doit apporter d'exactitude et de fidélité à s'instruire et à s'éclaircir de tout ». D. Calmet, Comment. Litt. sur S. Luc, p. 267 et suiv. Si Dieu est le principal auteur des saintes lettres, il laisse pourtant quelque chose à faire aux hommes qu'il inspire.
Luc 1.5 Aux jours d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre, nommé Zacharie, de la classe d'Abia et sa femme, qui était une des filles d'Aaron, s'appelait Élisabeth. - Le style de S. Luc, si classique dans les vv. 1-4, se transforme tout à coup au début du cinquième. Au lieu de belles périodes admirablement cadencées, nous ne trouvons plus, pendant quelque temps, que les phrases courtes et simples de la prose hébraïque, rattachées sans art les unes aux autres par des conjonctions, et chargées d'aramaïsmes. Ce contraste provient sans nul doute des documents hébreux dont S. Luc se servit pour cette partie de sa narration, et qu'il y inséra même dans une large mesure, se contentant de les traduire et de les abréger. - Aux jours d'Hérode… Voilà déjà de l'hébreu très pur. Les récits orientaux commencement ordinairement par c'était au temps de, nous en avons plusieurs exemples dans la Bible. cf. Ruth, 1, 1 ; Esther 1, 1, etc. Quant au mot jours, il indique la date de l'incident que l'évangéliste se propose d'exposer tout d'abord. Sur cette date assez vague (714-750 de la fondation de Rome) et sur Hérode‑le‑Grand, voyez l'Évangile selon S. Matth. - Roi de Judée. Il s'agit ici de la Judée dans le sens large, c'est‑à‑dire de la Palestine entière, puisque tel était le territoire gouverné par Hérode. Plus loin, 3, 1, il ne sera question que d'une Judée notablement restreinte. - Un prêtre nommé Zacharie. L'Évangile, le livre le plus universel, le plus catholique qui ait jamais existé, débute par un épisode dont une simple famille juive est le théâtre. Voici d'abord, dans les vv. 5-7, quelques détails intéressants sur les deux héros de l'épisode, Zacharie et Élisabeth. Le premier, dont le nom signifie « Dieu se souvient », n'était pas le grand‑prêtre d'alors, comme on l'a souvent redit à la suite de S. Augustin, mais un simple prêtre, ainsi qu'il ressort de plusieurs circonstances du récit. L'expression « un prêtre » ne saurait désigner qu'un prêtre ordinaire. De plus, le souverain Pontife du judaïsme n'appartenait à aucune classe spéciale, tandis que Zacharie, nous allons le voir, faisait partie de celle d'Abia. Enfin le grand‑prêtre n'était jamais « de semaine », et n'avait pas besoin de tirer au sort pour savoir quelles seraient ses fonctions. Tout au plus pourrait‑on dire que Zacharie était grand‑prêtre par alternance, et encore n'est‑ce là qu'une simple hypothèse qui présente peu de garanties. - De la classe d'Abia. C'est‑à‑dire l'une des familles sacerdotales telles qu'elles se trouvaient organisées soit à l'époque de David, soit après le retour de la captivité Babylonienne. S. Luc lui donne ici la même signification. Sous David, les descendants d'Aaron formaient vingt‑quatre familles, qui portaient le nom de leurs chefs respectifs ; celle d'Abia était la huitième, 1 Chroniques 24, 10. Le saint roi décida qu'elles serviraient dans le temple à tour de rôle pendant une semaine, du samedi au samedi : ce qui faisait deux semaines seulement chaque année (indépendamment des grandes solennités, pour lesquelles les besoins du culte exigeaient le concours de la plupart des prêtres). Après l'exil, il ne revint en Palestine que quatre familles sacerdotales (cf. Esdr. 2, 37-39) ; mais on les partagea en vingt‑quatre classes, auxquelles on donna les anciens noms pour garder le souvenir du passé. Voyez Josèphe, Antiq. 7, 15, 7. C'est donc à la huitième de ces classes qu'appartenait Zacharie. - Et sa femme était d'entre les filles d'Aaron. Les prêtres avaient le droit de se marier dans n'importe quelle tribu d'Israël (cf. Lévitique 21, 7 ; Ézéchiel 44, 22) ; mais la femme que Zacharie s'était choisie faisait partie comme lui de la race sacerdotale. L'évangéliste n'a pas relevé ce détail sans une intention particulière : il voulait évidemment mettre en relief la noble origine de Jean‑Baptiste, en montrant qu'il se rattachait et par son père et par sa mère à l'illustre famille d'Aaron, la plus glorieuse qui existât alors après celle de David, dont devait naître le Messie. Voyez dans Josèphe, Vita, 1, combien l'origine sacerdotale passait alors pour glorieuse. - Élisabeth : en hébreu, « le serment de Dieu », nom qui n'est pas moins significatif que celui de Zacharie. La femme d'Aaron l'avait déjà porté, Exode 6, 23, et l'on conçoit qu'il ait été souvent donné aux filles des prêtres en l'honneur et en souvenir de leur aïeule.
Luc 1.6 Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur, d'une manière irréprochable. - Zacharie et Élisabeth avaient encore une autre noblesse plus précieuse que celle du sang ; c'était la noblesse de la vertu. L'Évangéliste se hâte de nous l'apprendre en traçant leur portrait moral. - Ils étaient tous deux justes. « Juste » représente toute la perfection dont on était capable sous le régime de l'ancienne Alliance. Éloge bien significatif durant ce triste règne d'Hérode, où il régnait, soit dans le peuple juif en général, soit en particulier dans le corps des prêtres, une si profonde corruption. S. Joseph, Matth. 1, 19, et le vieillard Siméon, Luc, 2, 25, ont également mérité de le recevoir dans l'Évangile. Les mots « devant Dieu » indiquent, ainsi que l'ont noté fréquemment les saints Pères, la sincérité, la vérité de cette justice qui brillait dans les deux saints époux. « La vie d’un grand nombre qui, vue de l’extérieur, plaît au monde déplaît souvent à Dieu. Allez‑y prudemment avec les louanges. L’évangéliste dit au sujet de Zacharie et d’Elizabeth : ils étaient justes tous les deux devant Dieu. Apparaître juste aux yeux des hommes ne mérite pas de vraie louange. » St. Grégoire, Moral. l. 35, c. 5. La suite de la phrase, marchant sans reproche…, explique encore, en la paraphrasant, cette belle épithète de « justes ». D'après cette manière de parler, les commandements divins sont pour ainsi dire une voie royale sur laquelle s'avancent les justes et les saints. - Dans tous les commandements… est emphatique : tous les préceptes de Dieu sans exception. Faut‑il, avec la plupart des exégètes modernes, voir dans les commandements l'indication des préceptes moraux, et dans les préceptes celle des préceptes cérémoniaux ? On le peut ; mais nos deux substantifs n'indiquent pas par eux‑mêmes cette différence. Au fond ils sont à peu près synonymes. D'après l'étymologie, le premier désigne les lois divines en tant qu'elles sont l'expression d'un ordre imposé par le Souverain Maître, le second ces mêmes lois en tant que leur accomplissement parfait est pour l'homme une source de justification. - Sans reproche... complète l'éloge. Aussi pouvons‑nous dire avec Maldonat : « L’évangéliste ne pouvait pas déclarer leur sainteté avec des mots plus louangeurs, plus glorieux et plus honorables ».
Luc 1.7 Ils n'avaient pas d'enfants, parce qu’Élisabeth était stérile et ils étaient l'un et l'autre avancés en âge. - Malgré le bonheur qu'ils trouvaient dans l'accomplissement de la loi de Dieu, Zacharie et Élisabeth avaient cependant un grand chagrin : ils n'avaient pas d'enfant. L'évangéliste fait connaître le motif de cette douloureuse privation : Élisabeth était stérile ; et, si tel avait été le passé, l'avenir n'offrait plus aucune espérance au point de vue humain, attendu qu'ils étaient tous deux avancés en âge. Ces détails donnés par S. Luc ont pour but manifeste de mieux faire ressortir l'étendu du miracle qu'il va bientôt raconter. Comme l'a dit le poète Juvencus :
« Ce ne fut pas pour eux un fils,
car avec le déclin des années,
c’était plutôt un don fait à des parents qui avaient perdu l’espoir d’avoir un rejeton ».
Jean‑Baptiste sera un enfant de miracle, comme autrefois Isaac et Samuel. « Quand Dieu ferme l’utérus de quelqu’un, il le fait dans le but de l’ouvrir de nouveau d’une façon plus admirable; et pour qu’on sache que ce qui naît ne vient pas de la concupiscence mais est un don divin. » Évangile apocryphe de la Nativité de Marie, ap. Thilo, Cod. apocryph. t. 1, p. 332. Ce fut certainement le cas pour Élisabeth.
Luc 1.8 Or, pendant que Zacharie s'acquittait devant Dieu des fonctions sacerdotales, dans l'ordre de sa classe, - Après cette courte entrée en matière (vv. 5-7), nous arrivons au fait qu'elle devait préparer : un fils est miraculeusement promis à Zacharie et à Élisabeth, vv. 8-22 ; puis il est bientôt miraculeusement conçu, vv. 23-25. - Lorsqu'il accomplissait… les fonctions du sacerdoce. Zacharie est donc de service dans le temple avec la classe d'Abia. C'est là, dans le lieu saint qui était comme le palais royal habité par Dieu, que l'attendent les bienfaits célestes. Sur la note simplement accidentelle « selon le rang de sa classe », divers exégètes, en particulier Scaliger, Limbrun, van Till, Bengel, et Wieseler, ont échafaudé tout un système chronologique. D'une part le premier livre des Maccabées, 4, 38 et ss., raconte que Judas Maccabée restaura et réorganisa le culte du temple ; d'autre part, le talmud mentionne expressément que c'était la première des classes sacerdotales qui était en fonction au mois de Ab (août) quand le temple fut détruit par les Romains. Partant de là, ces auteurs ont essayé de fixer la date exacte de la nativité du Précurseur, tantôt en redescendant, tantôt en remontant le cours des années, jusqu'à ce qu'ils rencontrassent le tour de la classe d'Abia six mois avant la naissance de Jésus‑Christ. Mais leurs calculs sont plus ingénieux que solides, comme le montre la variété de leurs appréciations.
Luc 1.9 il fut désigné par le sort, selon la coutume observée par les prêtres, pour entrer dans le sanctuaire du Seigneur et y offrir l'encens. - Le sort jouait un très grand rôle chez tous les peuples anciens, qui lui attribuaient généralement un caractère religieux, parce qu'ils voyaient en lui l'expression d'une volonté supérieure, des indications toutes providentielles. cf. Jonas 1, 7 ; Actes 1, 24 et ss. C'est pourquoi, à Jérusalem, lorsque les prêtres de semaine avaient à se partager les différentes fonctions qu'ils devaient remplir dans le temple, au lieu de faire cette distribution d'une manière arbitraire, ils l'opéraient en recourant au sort. Les Rabbins nous ont conservé sur ce point des détails que le lecteur verra sans doute avec intérêt. Voici d'abord les cérémonies quotidiennes qui étaient réservées aux prêtres, et l'ordre d'après lequel il fallait les accomplir : « L’autel majeur (celui du sacrifice) l’emporte sur l’autel mineur. L’autel mineur l’emporte sur les deux morceaux de bois fixés sur l’autel majeur. Ces deux morceaux de bois l’emportent sur l’enlèvement des cendres de l’autel intérieur. L’enlèvement des cendres de l’autel intérieur l’emporte sur l’entretien des cinq lampes. L’entretien des cinq lampes l’emporte sur l’aspersion du sang du sacrifice perpétuel. L’aspersion du sang du sacrifice perpétuel l’emporte sur l’entretien des deux lampes restantes. L’entretien des deux lampes restantes l’emporte sur brûler de l’encens ou des victimes. Brûler des victimes l’emporte sur placer les parties du sacrifice sur l’autel. Placer les parties du sacrifice sur l’autel l’emporte le sacrifice non sanglant. Le sacrifice non sanglant l’emporte sur les deux pains du souverain pontife. Les deux pains du souverain pontife l’emportent sur la libation. La libation l’emporte sur les sacrifices ajoutés. ». Gloss. In Tamid, c. 6. Au moment de faire le partage, les prêtres se réunissaient dans le Gazzith ou salle des pierres taillées, qui était située dans les dépendances du temple, et où devaient régulièrement se tenir les séances de ce genre. L'expression latine « atrium » désigne tantôt une grande pièce rectangulaire communiquant immédiatement avec le vestibule et pouvant servir de lieu de réunion, tantôt une cour intérieure entouré de galeries et de portiques, tantôt enfin par synecdoque la maison même dont l'atrium faisait partie. Le Talmud nous montre le maître des cérémonies convoquant ses collègues pour cette opération : « Le préfet leur dit : Venez et tirez au sort pour choisir celui qui immolera la victime, qui répandra le sang, qui enlèvera les cendres de l’autel intérieur, qui nettoiera le cierge, qui apportera à l’autel élevé les parties, la tête, une patte, les deux épaules, la queue de l’épine dorsale, l’autre patte, la poitrine, le cou, les deux côtés, les viscères, la farine, les deux pains, et le vin. Voilà quelle est la tâche de celui qui a été choisi par le sort. ». Tamid, cap. 3, hal. 1. Ailleurs, Ioma, fol. 25, 1, on nous apprend la manière dont se faisait le tirage au sort. « Les prêtres l’entourèrent en cercle, et le préfet s’approchant enleva le chapeau de la tête de l’un ou de l’autre. Ils connurent par là qu’il leur avait enlevé le sort. » La glose ajoute, f. 22, 1 : « Les prêtres se tinrent debout en cercle. S’approchant, le préfet enleva un chapeau de la tête de l’un d’entre eux, et il commença par lui les tirages au sort. Chacun élève son doigt à l’énoncé du chiffre. Le préfet dit : « Là où se termine le chiffre, à celui‑là est assignée une fonction par le sort. Il compte de la même façon, par exemple cent ou soixante, selon le nombre des prêtres présents. Il commence à compter par celui à qui il a enlevé le chapeau, et il fait le tour jusqu’à ce qu’il ait atteint le chiffre fixé. A chaque personne où il arrête de compter, c’est à elle qu’est communiqué le pouvoir d’où vient le sort. Il en est ainsi pour tous les tirages au sort. ». - Pour y offrir l'encens. Tel fut le rôle qui échut à Zacharie : il était regardé comme le plus honorable de tous ceux qui étaient exercés par les simples prêtres. Celui auquel il incombait entrait deux fois chaque jour, le matin et le soir, dans la partie du temple nommée le Saint et y encensait l'autel des parfums. Ici encore, grâce au Talmud, nous pouvons fournir d'intéressant détails sur cette fonction, telle qu'elle se pratiquait au temps de Notre‑Seigneur. Le prêtre qui en était chargé était accompagné de trois auxiliaires : le premier nettoyait l'autel, adorait et sortait ; le second apportait sur l'autel quelques charbons ardents extraits du brasier des holocaustes, adorait et sortait ; le troisième recueillait les grains d'encens tombés à terre, et ne cessait de rappeler à l'officiant qu'il devait user d'une grande vigilance, puis il adorait et sortait. Enfin le célébrant, demeuré seul dans le Saint, versait sur les charbons de l'autel une quantité déterminée d'encens, et, à son tour, il adorait et se retirait.
Luc 1.10 Et toute la multitude du peuple était dehors en prière à l'heure de l'encens. - Les heures de l'encensement coïncidaient avec celles du sacrifice perpétuel immolé le matin et le soir, et ces deux cérémonies étaient les plus solennelles du culte quotidien : aussi les personnes pieuses y accouraient‑elles en grand nombre. De là cette multitude mentionnée par l'Évangile. Il n'est donc pas besoin, pour expliquer une pareille affluence, de supposer avec divers auteurs que l'annonciation de Zacharie eut lieu en un jour de fête ou de Sabbat. La foule n'entrait pas dans le temple proprement dit ; elle restait dans les cours qui l'entouraient, unissant ses prières à celles du prêtre, de sorte que les deux parfums, le parfum matériel et le parfum mystique, s'élevaient ensemble, l'un comme une figure, l'autre comme une réalité, vers le trône de Dieu. Une clochette indiquait aux assistants le moment précis où le prêtre répandait l'encens sur l'autel, car le voile qui séparait le Saint du parvis les empêchait de voir cette cérémonie.
Luc 1.11 Mais un ange du Seigneur lui apparut, debout à droite de l'autel de l'encens. - Après ces détails préliminaires, vv. 8-10, l'historien sacré arrive à l'apparition de l'ange Gabriel, et il note en passant l'impression qu'elle produisit sur Zacharie, vv. 11 et 12. Le phénomène décrit au v. 11 ne consista pas en une vision extatique ; ce fut une apparition extérieure, réelle, qui tomba sous les sens du saint prêtre. L'autel de l'encensement ou des parfums, qu'il ne faut pas confondre avec celui des holocaustes, était en bois de sittim (sorte d'acacia) recouvert d'or. Il se dressait vers le milieu du Saint, un peu du côté de l'Orient. Au nord se trouvait la table des pains de proposition, au sud le chandelier à sept branches : c'est donc auprès de ce candélabre, situé à droite de l'autel, que se tenait l'Archange lorsque Zacharie l'aperçut tout à coup. Des renseignements aussi positifs prouvent le caractère tout à fait historique de l'incident. Telle fut la première des apparitions angéliques qui se rattachent à l'Enfance de Jésus. Les Évangiles en racontent plusieurs autres : v. 26 ; 2, 9 ; Matth. 1, 20 ; 2, 13 et 19. Remarquons que c'est dans le sanctuaire de Dieu que la naissance prochaine du Précurseur sera prophétisée. Il convenait que ce lieu, si souvent témoin des manifestations divines, fût en ce moment le centre d'où s'échapperaient les premiers rayons lumineux qui devaient former bientôt le soleil évangélique.
Luc 1.12 Zacharie, en le voyant, fut troublé et la crainte le saisit. - L'homme est toujours saisi d'effroi à la vue du surnaturel quand il se présente sous cette forme. La Bible nous en fournit de nombreuses preuves. cf. Exode 15, 16 ; Judith, 15, 2 ; Daniel 8, 17 et 18 ; 10, 7-9 ; Actes 10, 4 ; 19, 17 etc. - Et la frayeur le saisit. Répétition emphatique de la même idée avec des expressions plus fortes, à la manière du style hébraïque (Cf. Genèse 15, 12) pour mieux décrire la terreur de Zacharie.
Luc 1.13 Mais l'ange lui dit : "Ne crains pas, Zacharie, car ta prière a été exaucée, ta femme Élisabeth te donnera un fils que tu appelleras Jean. - C'est la parole amie, rassurante, adressée habituellement par les anges en pareil cas. cf. v. 30 ; 2, 10 ; Apocalypse 1, 17. « Comme c’est le propre de la fragilité humaine d’être troublé par la vision d’une créature spirituelle, c’est le propre de la courtoisie angélique de consoler par des gentillesses les mortels qui tremblent à la vue des anges. » Bède le Vénérable, h. l. La première parole céleste qui retentit dans le Nouveau Testament est ainsi une parole d'encouragement et de consolation. Elle est immédiatement suivie de la grande nouvelle qui était le motif de l'apparition. - Ta prière a été exaucée… Mais quelle était cette prière à laquelle l'ange fait tout d'abord allusion ? Il s'est formé sur ce point deux sentiments contradictoires. Maldonat, Bengel, Olshausen, Meyer, MM. Bisping, Schegg, Godet, etc. pensent que Zacharie, en offrant l'encens au Seigneur, venait de formuler avec une ardeur nouvelle la prière que pendant longtemps il avait adressée à Dieu chaque jour : Donnez‑nous un fils. Et, au premier regard, le contexte paraît favoriser cette opinion, puisque l'ange ajoute aussitôt : « Tu auras un fils », semblant établir ainsi une connexion très étroite entre la prière de Zacharie et la promesse qui va suivre. Néanmoins, en étudiant le texte de plus près, on est frappé de plusieurs difficultés sérieuses qui vont à l'encontre de cette interprétation. L'évangéliste n'a‑t‑il pas dit , v. 7, que Zacharie et Élisabeth avaient perdu moralement tout espoir d'avoir un fils ? Bien plus, dans un instant, quand l'ange aura achevé son message, Zacharie ne sera‑t‑il pas saisi d'étonnement, et n'objectera‑t‑il pas sa vieillesse et celle d’Élisabeth ? Aussi les SS. Pères (notamment S. Augustin, S. Jean Chrysostome, Bède le Vénérable), et après eux la plupart des exégètes, ont‑ils cru que la prière de Zacharie avait un autre objet, plus relevé, plus général, plus sacerdotal : Il avait prié pour l'avènement du Messie. « Il faut ici un peu de perspicacité. Car il n’est pas vraisemblable que celui qui offre un sacrifice pour les péchés du peuple, pour le salut et la rédemption du genre humain, ait pu prier pour avoir des enfants, après avoir mis de côté les besoins et les aspirations de tous, lui, un homme âgé ayant une épouse également âgée. Surtout qu’aucune personne ne désespère obtenir ce qu’il demandait instamment dans ses prières. En conséquence, ce qui lui a été dit : ta prière a été exaucée, se rapporte à la prière qu’il adressait à Dieu pour le peuple, à savoir que le salut, la rédemption du peuple et l’abolition des péchés se feraient par le Christ. On annonce en plus à Zacharie qu’un fils lui naîtrait, qui serait le précurseur du Christ. » St Augustin, De quaestion. Evangel., l. 2, q. 1. Cette dernière réflexion du saint Docteur montre la liaison qui existe entre les premières paroles de l'ange, ta prière a été exaucée, et les suivantes : Élisabeth t'enfantera un fils. A la joyeuse promesse, l'ange associe un ordre : tu donneras le nom de Jean… Comme Isaac dans l'Ancien Testament, comme Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans le Nouveau, S. Jean reçoit son nom directement du ciel ; et quel beau nom. Jean signifie « Dieu est propice, Dieu a fait grâce », et exprime de la façon la plus claire les intentions bienveillantes du Seigneur à l'égard de son peuple. L'idée de la Rédemption y est contenue toute entière. Il est vrai qu'il avait été souvent porté à des époques antérieures (cf. 2 Rois 25, 23 ; 2 Chroniques 17, 15 ; 23, 1 ; 28, 23 ; Néhém. 6, 18 ; 12, 13) ; mais alors c'étaient des hommes qui l'avaient imposé, et jamais sa signification n'avait été réalisée.
Luc 1.14 Il sera pour toi un sujet de joie et d'allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance, - Un sujet de joie et d'allégresse. Deux substantifs pour mieux indiquer la vivacité de la joie des parents du Précurseur. Mais ce n'est pas seulement dans le cercle intime d'une famille juive que cette merveilleuse naissance répandra le bonheur : elle réjouira un grand nombre d'hommes, pour les motifs qui seront développés dans les vv. 16 et 17. Et en effet, l'Église entière ne célèbre‑t‑elle pas chaque année joyeusement la Nativité de S. Jean Baptiste ? Des païens mêmes, au dire des anciens, n'ont‑ils pas fêté régulièrement cet anniversaire par des réjouissances publiques ? Voyez D. Calmet, Comment. Littér. sur S. Luc, p. 174.
Luc 1.15 car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni rien qui enivre, car il sera rempli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère. - Comme le montre la particule car, l'ange va maintenant indiquer les causes de cette joie universelle. Il le fait à trois points de vue : 1° par rapport à la nature intime, au caractère moral de l'enfant de bénédiction qui vient d'être promis à Zacharie, 2° par rapport à l'influence qu'il exercera sur les autres hommes, 3° par rapport à son emploi en tant que Précurseur du Messie. 1° Nature morale de l'enfant, v. 15. S. Jean sera grand ; mais, ce qui vaut mieux, il sera grand devant le Seigneur, c'est‑à‑dire qu'il possédera la véritable grandeur. « Est ici signifiée la singularité de la grandeur : que le Seigneur le rendra grand » Luc de Bruges. En effet, être grand devant Dieu, ce n'est pas jouir des honneurs terrestres, mais c'est posséder la vertu, la sainteté à un degré éminent, et nous savons combien Jean‑Baptiste a été grand sous ce rapport. L'accomplissement de cette prédiction de l'ange peut se résumer dans les paroles prononcées plus tard par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, Matth. 11, 11 : « parmi ceux qui sont nés de femmes, il n'en a pas paru de plus grand que Jean‑Baptiste ». La grandeur spirituelle de l'enfant sera manifestée par deux signes, l'un extérieur, l'autre intérieur. Extérieurement, il mènera la vie parfaite, qui consiste toujours, chez tous les peuples et à toutes les époques, dans la mortification des sens, dans un régime austère ; il sera donc jusqu'à un certain point un Nazir perpétuel (par opposition au Nazaréat temporaire), à la façon de Samson, Jud. 13, 4, de Samuel, 1 Samuel 1, 11, et des Réchabites, Jérémie 35, 6 et ss. Ni rien qui enivre désigne toutes les liqueurs enivrantes autres que le vin, la bière par exemple, l'hydromel et plusieurs espèces de cidre ou de boissons fermentées dont les Orientaux ont toujours fait leurs délices. cf. Pline, Hist. Nat. 14, 19. S. Jérôme, lettre ad Nepot., donne aussi d'intéressants détails à ce sujet : « Sicera, dans la langue hébraïque, signifie toute potion qui peut enivrer, qu’elle soit faite avec du blé, avec du sucre de pomme, des rayons de miel cuit, une potion barbare, ou les fruits des palmiers réduits en liqueur, ou formant un liquide épais et coloré après cuisson. ». - Intérieurement, S. Jean aura une marque bien plus excellente encore de sa grandeur : il recevra dans leur plénitude les dons de l'Esprit divin, car telle est la force de cette formule toutes les fois qu'elle est employée dans les écrits bibliques. Les mots suivants, « dès le sein de sa mère », indiquent le moment auquel commencera cette effusion merveilleuse de l'Esprit Saint : elle aura lieu dès avant la naissance du Précurseur, dans la circonstance racontée plus bas, v. 41, et se continuera durant toute sa vie. Cf. S. Ambr. Expos. in Luc. 1, 33 ; Orig. Hom. 4 in Luc.
Luc 1.16 Il convertira beaucoup d'enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu, - 2° L'enfant annoncé à Zacharie exercera sur ses semblables une puissante influence religieuse. Il les détournera du mal, il les conduira vers Dieu, en un mot il les convertira. Toutefois cette influence sera bornée dans ses limites : elle s'étendra aux seuls Juifs, et encore, hélas. Ne les atteindra‑t‑elle pas tous ; un grand nombre du moins consentiront à la subir. Nous verrons le Précurseur accomplir admirablement ce rôle durant son ministère public, prêchant la fuite du péché, la connaissance du Christ, et ramenant ainsi les fils d'Israël à Dieu qui, en vertu de l'alliance du Sinaï, est justement appelé par l'évangéliste leur Dieu spécial. Ramener les âmes au Seigneur, c'est aussi la fonction principale du prêtre.
Luc 1.17 et lui-même marchera devant lui, dans l'esprit et la puissance d'Élie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants et les indociles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple parfait." - 3° Au point de vue de sa vocation proprement dite, Jean‑Baptiste sera le Précurseur du Messie. - Et il marchera devant lui… « lui » ne peut se rapporter qu'à Dieu, cf. v. 16, et pourtant, d'après l'idée, il est certain qu'il s'agit ici du Messie. La conclusion est manifeste : Donc le Messie est Dieu, le Messie est le Dieu de l'ancienne Alliance. Cf. Patrizi, de Evang. Lib. 3, Dissert. 4, 7 et 8. Du reste, ce n'est pas là une notion nouvelle, puisque les Prophètes décrivaient déjà l'avènement du royaume messianique sous la figure d'une entrée solennelle de Dieu parmi son peuple. cf. Isss 40, 3 ; Malachie 3, 1. L'ange fait tout à coup un rapprochement des plus élogieux pour Jean‑Baptiste, quand il dit qu'il viendra dans l'esprit et la vertu d’Élie, car Élie est un des plus saints, un des plus grands personnages de l'Ancien Testament. Le Précurseur héritera donc, plus encore qu’Élisée, de l'esprit de ce réformateur célèbre ; il agira avec une vigueur et une autorité semblables à la vigueur et à l'autorité d’Élie. Plus tard, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ fera lui‑même un rapprochement identique, et il dira publiquement que Jean‑Baptiste était une copie parfaite du prophète Élie. cf. Matth. 11, 14 et le commentaire ; 17, 10-12. - Pour ramener les cœurs des pères vers les enfants. Les paroles qui précèdent étaient une allusion évidente de l'oracle de Malachie, 3, 1, et 4, 5 ; mais voici que l'ange Gabriel cite maintenant d'une manière littérale, pour les appliquer à Jean‑Baptiste, les dernières lignes de cette prophétie, 4, 6 : « Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères ». La locution « ramener le cœur » signifie rendre favorable, bien disposer, concilier. La difficulté porte sur « les pères » et sur « les fils » dont S. Jean, le nouvel Élie, devait unir et pacifier les cœurs séparés. D'après Théophylacte, les pères représenteraient la nation juive, les fils seraient au contraire les apôtres de Jésus. Suivant Théodoret les pères sont également la figure des Juifs, mais les fils symbolisent les païens. D'autres exégètes assez nombreux (Maldonat, Meyer, Bleek, etc.) prennent ces deux expressions à la lettre : l'ange annoncerait simplement que les liens de famille, alors brisés dans un grand nombre de maisons par les discordes politiques et religieuses qui avaient envahi la nation théocratique seraient renoués heureusement par le Christ et par son précurseur. A ces interprétations, nous préférons celle qu'admettent communément les anciens auteurs et la plupart de modernes. Les « pères » ne sont autres que les Abraham, les Isaac, les Jacob, et les autres patriarches, glorieux ancêtres du peuple choisi. Les « fils » représentent les Juifs contemporains de Notre‑Seigneur et de S. Jean. Autant ceux‑là étaient pleins de foi au Messie, autant ceux‑ci étaient incrédules, malgré leur attente superstitieuse : de là une sorte d'animosité bien naturelle des premiers à l'égard de leurs descendants. Or, en amenant les fils à la vraie croyance messianique, le Précurseur leur rendra les Patriarches propices ; il réunira ces cœurs longtemps séparés. On trouve une pensée analogue dans Isaïe, 29, 22 et ss. : « Jacob n'aura plus désormais à rougir, et son front désormais ne pâlira plus. Car, lorsqu'il verra, lui et ses enfants, l’œuvre de mes mains au milieu d'eux, ils sanctifieront mon nom, ils sanctifieront le Saint de Jacob, et ils révéreront le Dieu d'Israël. ». cf. Ibid. 63, 16 et ss. - Et les indociles à la sagesse des justes. Littéralement, il ramènera les rebelles au sentiment des justes. Les justes sont identiques aux pères, les rebelles identiques aux fils. - De manière à préparer au Seigneur… : But final de la sainte activité du Précurseur : ses exemples et sa prédication prépareront au Messie, parmi les Israélites, un noyau parfaitement disposé à le recevoir et à profiter des grâces qu'il apportera au monde. Ces paroles de l'ange, qu'on a trouvées « vagues et décolorées » (Reuss, Hist. Évangél. p. 123), ne pouvaient être au contraire ni plus nettes, ni plus précises. Elles expriment admirablement le caractère et la vie de Jean‑Baptiste. Elles ouvrent de splendides horizons messianiques, dont nous constaterons bientôt la réalité.
Luc 1.18 Zacharie dit à l'ange : "A quoi reconnaîtrai-je que cela sera ? Car je suis vieux et ma femme est avancée en âge." - Ce verset raconte l'accueil fait par Zacharie aux promesses de l'ange. A quel indice reconnaîtrai‑je la vérité de votre prédiction ? Ainsi Zacharie demande un signe dont la réalisation immédiate lui prouvera que son interlocuteur est sincère et véridique. Il rappelle ensuite l'obstacle qui s'oppose à ce qu'il devienne père, comme on le luit promet : « car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge » : les lois de la nature ne le permettraient pas. Les fonctions religieuses des Lévites cessant quand ils avaient atteint leur cinquantième année (cf. Nombres 4, 3 ; 8, 24 et ss.), on a parfois prétendu que Zacharie n'avait pas encore cinquante ans lorsque l'ange Gabriel lui apparut, de sorte que le mot « vieux » ne désignerait pas ici un âge bien avancé. Mais cette observation manque tout à fait de justesse, attendu que l'ordonnance en question ne concernait pas les prêtres : le Talmud le dit formellement.
Luc 1.19 L'ange lui répondit : "Je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu, j'ai été envoyé pour te parler et t'annoncer cette heureuse nouvelle. - Au doute de Zacharie, le messager céleste répond de deux manières : il lui présente d'abord ses lettres de créance, v. 19, puis il lui accorde le signe qu'il désirait, v. 20. Ses lettres de créance consistent dans l'indication de son nom, de son titre, de sa mission. Son nom est Gabriel, nom célèbre qui rappela aussitôt à Zacharie deux des passages les plus importants de la prophétie de Daniel, 8, 16 ; 9, 21. Son titre est celui d'assistant au trône de Dieu : Gabriel était donc l'un des sept anges supérieurs (Daniel 10, 13 ; Tobie 12, 15) qui, à la manière des esclaves de l'Orient (cf. 1 Rois 10, 8 ; 17, 1 ; 18, 15 ; Psaume 133, 1 ; 134, 2, etc.) se tiennent constamment debout devant leur auguste Maître, toujours prêts à exécuter ses ordres. Sa mission actuelle consistait précisément à porter la bonne nouvelle contenue dans les vv. 13-17, et il venait de s'en acquitter fidèlement. - Annoncer cette bonne nouvelle est une des expressions favorites de S. Luc, et qui a fait justement donner à l'archange Gabriel le surnom d'Évangéliste céleste. Comme tout se suit admirablement dans les plans divins. Il y a environ cinq siècles, ce même ange annonçait à Daniel, au sein de la profane Babylone, le futur établissement du royaume du Messie, non sans fixer une date fameuse ; et voici qu'il annonce maintenant à Zacharie, dans l'enceinte du temple de Jérusalem, que les temps sont accomplis et que ses anciennes promesses vont enfin se réaliser.
Luc 1.20 Et voici que tu seras muet et ne pourras parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront en leur temps." - Le signe accordé à Zacharie est en même temps une punition sévère : et voici que tu sera muet… L'ange ajoute aussitôt : et tu ne pourras plus parler. Zacharie ne demeurera silencieux que parce qu'il lui sera impossible de parler. Ces derniers mots ne sont donc pas une tautologie, comme on l'a prétendu sans raison. Le mutisme miraculeux de Zacharie durera jusqu'au jour où ces choses arriveront, c'est‑à‑dire, jusque vers l'époque de la naissance de l'enfant, plus exactement jusqu'au jour de sa circoncision. La cause du châtiment est ensuite clairement indiquée ; Zacharie n'est pas puni pour avoir demandé un signe : d'autres l'avaient fait avant lui, presque dans les mêmes termes (cf. Genèse 15, 8 ; Jud. 6, 47) sans que le Seigneur leur adressât le moindre reproche. Il est châtié, l'ange le dit, parce que sa foi a un moment défailli, parce que lui, prêtre du Très‑Haut, a mis en doute la vérité des paroles d'un messager divin. Les premiers exégètes chrétiens aimaient déjà à montrer le rapport parfait qui existe entre la faute de Zacharie et sa punition : « Pour que celui qui a exprimé son incrédulité en parlant, apprenne à croire en se taisant. », Bède le Vénérable, h. l. - Gabriel, avant de se retirer, affirme que toutes ses paroles se réaliseront en leur temps, au temps d'ailleurs prochain, que la Providence de Dieu avait fixé de toute éternité.
Luc 1.21 Cependant le peuple attendait Zacharie et il s'étonnait qu'il demeurât si longtemps dans le sanctuaire. - Pendant que cette scène avait lieu dans l'intérieur du Saint, le peuple se demandait avec étonnement pourquoi la cérémonie de l'encensement durait si longtemps ce jour là. D'ordinaire, en effet, quelques instants suffisaient pour l'accomplir, et voici qu'on ne voyait pas sortir Zacharie. Lui serait‑il arrivé quelque malheur ? Un détail raconté par le Talmud montre combien facilement ces Juifs religieux s'inquiétaient en pareilles circonstances : « Le souverain pontife exprima une prière dans le saint des saints…Il ne prolongea pas sa prière pour ne pas susciter de crainte dans le peuple. L’histoire rapporte le cas d’un grand prêtre qui avait prié très longtemps. On était même prêt à entrer derrière lui. On dit que c’était Siméon le juste. Ils lui demandèrent : « Pourquoi t’est‑tu si longtemps attardé ? » Il répondit : « J’ai prié pour le temple de votre Dieu, pour qu’il ne soit pas détruit. » Ils lui répondirent. « C’est bien. Mais tu ne dois quand même pas t’attarder si longtemps ». Babyl. Ioma, f. 43.
Luc 1.22 Mais étant sorti, il ne pouvait leur parler et ils comprirent qu'il avait eu une vision dans le sanctuaire, ce qu'il leur faisait comprendre par signes et il resta muet. - L'apparition de Zacharie fut loin de mettre fin à l'étonnement de la foule. A l'émotion qui se trahissait sur sa physionomie, on reconnut immédiatement qu'il avait été témoin de quelque événement extraordinaire ; en découvrant aussitôt après que l'usage de la parole lui était enlevé, on conjectura que cet événement avait dû être surnaturel, tant on était accoutumé, par la lecture de l'histoire nationale et sacrée, aux interventions divines, surtout dans le temple. Ainsi donc, concluant de l'effet à la cause, les assistants comprirent « qu'il avait eu une vision ». Vision désigne ici une apparition extérieure. Zacharie, par des gestes répétés, leur apprit que leur hypothèse était exacte ; mais il ne donna sans doute à personne la clé du mystère qui lui avait été révélé. - Il resta muet. Dans ce prêtre juif, devenu muet tandis qu'il exerçait ses fonctions sacerdotales au cœur même du temple, les Pères ont vu un profond symbole. Par là, disent‑ils, était figuré le silence auquel la religion mosaïque allait être prochainement réduite par la propagation de l'Évangile. Voir en particulier Origène, Hom. 5 in Luc ; S. Ambroise, Enarr. in Luc, l. 1, 41 et 42.
Luc 1.23 Quand les jours de son ministère furent accomplis, il s'en alla en sa maison. - Ce verset et les deux suivants racontent la conception miraculeuse de S. Jean Baptiste. Lorsque les jours… C'est‑à‑dire, d'après les explications données plus haut, à la fin de la semaine. Il s'en alla. Durant leur semaine de service, les prêtres ne sortaient pas du temple et il leur était interdit d'aller dans leurs habitations privées. Du reste, ils étaient pour la plupart domiciliés hors de Jérusalem, et tel était le cas pour Zacharie, ainsi que nous le verrons en expliquant le v. 39.
Luc 1.24 Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, conçut et elle se tint cachée pendant cinq mois, disant : - L'accomplissement des divines promesses ne se fit pas longtemps attendre : « quelque temps après » ne peut indiquer ici qu'un intervalle de temps assez court. - Elle se tenait cachée… Dans la pensée d’Élisabeth, cet isolement devait durer jusqu'au jour de la naissance de son enfant ; mais, comme l'écrivain sacré le dira bientôt (cf. Les vv. 26 et 39), Marie vint y mettre un terme au sixième mois. De là ce « cinq mois » mentionné d'une façon expresse : c'est une date qui en prépare une autre. Mais pourquoi Élisabeth se cachait‑elle ainsi ? On a expliqué sa conduite par les raisons les plus variées, parfois même les plus invraisemblables. « Parce qu'elle n'était pas assez certaine, aux premiers mois, d'être enceinte », dit Rosenmüller (Scholia in Luc. p. 21) à la suite de Paulus. C'était, suivant de Wette, une simple précaution hygiénique, destinée à écarter d’Élisabeth et du fruit de son sein tout accident fâcheux. Plusieurs Pères et divers exégètes (Origène, S. Ambroise, Théophylacte, Euthymius, etc.) pensent que cette retraite avait pour mobile la délicatesse de la pudeur : « Son enfantement faisait rougir l’âge », écrit S. Ambroise. Bleek croit qu'elle était dictée par un besoin profondément senti de reconnaissance, de recueillement et de prière. Nous préférons admettre, avec un assez grand nombre d'auteurs (entre autres MM. Von Burger, Bisping, van Oosterzee), qu’Élisabeth, de même que la Très Sainte Vierge d'après le premier Évangile (Matth. 1, 18-20 ; voyez le commentaire), se cachait par respect pour le secret du ciel. Le Seigneur lui avait tout à coup accordé une grâce inespérée ; mais elle ne croyait pas qu'il lui appartînt à elle‑même de la révéler aux hommes. Elle voulut donc attendre dans la solitude qu'il manifestât par le cours ordinaire des événements l'immense faveur qu'il avait daigné lui faire.
Luc 1.25 "C'est une grâce que le Seigneur m'a faite, au jour où il m'a regardée pour ôter mon opprobre parmi les hommes." - Voilà ce que le Seigneur a fait pour moi. Parole toute hébraïque ; nous ne croyons pas que la phrase introduite par elle ait aucun rapport avec les raisons pour lesquelles Élisabeth entrait dans sa pieuse retraite. Les mots sont emphatiques. C'est à Dieu, et à Dieu seul que la sainte épouse de Zacharie rapporte la gloire de sa maternité. Comme Eve, elle s'écrie : « J'ai formé un homme avec l'aide de l'Éternel ». - Aux jours où il m'a regardée… Le Seigneur, d'après une pensée qui revient à chaque instant dans la Bible, est censé avoir jeté du haut du ciel un regard favorable sur Élisabeth, en vue de faire cesser la longue épreuve qu'elle avait endurée. - Mon opprobre parmi les hommes. Rachel, devenue mère après plusieurs années de stérilité, s'écriait aussi avec bonheur : « Dieu a enlevé mon opprobre. » Genèse 30, 23. Chez les Juifs en effet, et en générale dans tout l'Orient, la privation d'enfants a toujours été considérée comme un indice du mécontentement divin et par suite, comme une grande humiliation. cf. 1 Samuel 1, 6, 11 ; Isaïe 4, 1 ; 47, 9 ; 54, 4, etc.
Luc 1.26 Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, 27 auprès d'une vierge qui était fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph et le nom de la vierge était Marie. - L'évangéliste commence par donner quelques précieuses indications de temps, de lieu et de personnes. - 1° Le temps : au sixième mois. Non pas le sixième mois d'une manière absolue, c'est‑à‑dire le sixième mois de l'année juive, mais, comme il ressort clairement de tout le contexte, et spécialement du v. 24, le sixième mois de la grossesse d’Élisabeth. cf. le v. 36. S. Jean‑Baptiste aura donc six mois de plus que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. - 2° Le lieu : Une ville de Galilée appelée Nazareth. Sur cette ville privilégiée et sur la province de Galilée, voyez l'Évangile selon S. Matthieu, 2, 23. - 3° Les personnes sont Gabriel, Marie et Joseph. Les semaines prédites à Daniel sont maintenant écoulées, et Gabriel, après avoir préludé, vers la fin de l'Ancien Testament et sur le seuil du Nouveau, à sa belle mission d'aujourd'hui, est enfin d'une manière complète l'ange de la Rédemption. Marie est l'héroïne du récit. Sans donner aucun détail sur la vie antérieure de celle qui va devenir bientôt la mère du Christ, S. Luc se borne à dire qu'au moment où elle reçut le message de l'ange elle était vierge, bien qu'elle eût été fiancée quelque temps auparavant à S. Joseph. Sur cette signification du participe fiancée, voyez notre commentaire sur s. Matthieu, 1, 18 et ss. De l'homme qui devait jouer un rôle si important durant les premières années du Verbe incarné, notre évangéliste dit simplement qu'il était de la maison de David, par conséquent de race royale. S. Matthieu complète cet éloge en ajoutant au nom de Joseph l'épithète significative de « juste ». Les mots « de la maison de David » ne retombent pas sur Marie (S. Jean Chrysost.), ni tout à la fois sur Marie et Joseph (Théophylacte, Euthymius, Bengel, Patrizi, etc), mais seulement sur S. Joseph, comme l'admettent la plupart des exégètes d'après la construction même de la phrase. Il est certain néanmoins que Marie appartenait aussi à la famille de David. cf. les vv. 32 et 69.
Luc 1.28 L'ange étant entré où elle était, lui dit : "Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes." - L'ange « entra » : preuve qu'au moment où elle reçut la visite du célèbre paranymphe, Marie était dans l'intérieur de sa chambre, comme plusieurs Pères l'ont affirmé. Gabriel salue celle qui sera dans quelques instants sa Reine et la reine de tout l'univers. De même que les rois de la terre envoient solennellement leurs plus fidèles ministres proposer à quelque glorieuse princesse une union vivement désirée, de même Dieu l'a choisi pour porter à Marie des propositions toutes célestes, et pour contracter avec elle, au nom du ciel, un engagement incomparable : « Gabriel a été envoyé pour fiancer la créature au Créateur », S. Grég. le Thaumaturge . Dans les premières paroles de l'ange (v. 38), complétées par l'Église de manière à devenir l' « Ave Maria » cher à tous les cœurs catholiques, et commentées souvent d'une manière exquise par des compositeurs célèbres (Cherubini, Vittoria, Mozart, Mendelsohn, Niedermayer, Guilmant, Saint‑Saëns, etc.), plusieurs commentateurs distinguent à bon droit quatre parties : la salutation et les trois grâces de la Très Sainte Vierge. - 1. La salutation : Chez les anciens peuples, les formules de salutation étaient plus caractéristiques qu'aujourd'hui. Chaque nation employait un mot distinct, parfaitement approprié à ses mœurs et à sa vie. Le Romain belliqueux souhaitait la force et la santé ; le Grec ami du plaisir disait, le sourire sur les lèvres : sois heureux. Chez les vieilles tribus de l'Orient qui, dans le principe, menaient une vie nomade exposée à mille dangers imprévus, à mille rencontres fâcheuses, on se saluait par ces mots : « La paix soit avec vous. ». Et, tel était au temps de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ le mode de salutation usité dans toute la Palestine. C'est donc de la formule Schalôm lâk que l'ange dût se servir pour saluer la Vierge Marie. Serarius blesse grièvement la vérité étymologique lorsqu'il fait dériver le mot latin « Ave » de l'hébreu Havvah, « vive. », et que, partant de là, il met dans la pensée de l'ange une allusion au nom de la première femme et le raisonnement que voici : « Ève ne fut pas Mère de la vie, mais de la mort. Toi en vérité, o Marie, tu es vraiment l'Ève, Mère de la vie, de la gloire et de la grâce ». Toutefois, l'idée qui accompagne l'erreur de Serarius est assurément pleine d'à propos. On la retrouve souvent chez les Pères d'occident, auxquels elle a inspiré d'ingénieuses comparaisons entre Ève et Marie. Dès les premiers siècles, on avait découvert qu'en lisant au rebours les lettres du mot « Ave », on obtient « Eva », le nom de la première femme. Or, Jésus étant le second Adam, on fut amené à appeler Marie une seconde Ève, tout aussi différente de son type que Jésus le sera lui‑même du premier homme. C'est pour cela que l'Église chante dans l' « Ave Maris stella » la strophe suivante :
Recevant cette salutation
de la bouche de l’ange,
établis‑nous dans la paix
en changeant le nom d’Ève
-2. La triple grâce de la Très Sainte Vierge. -a. Pleine de grâce : c'est de la grâce considérée par rapport à Marie elle‑même. Le texte grec signifie proprement « qui a reçu la grâce, ornée de la grâce ». Depuis longtemps déjà Dieu s'était complu à enrichir des grâces les plus singulières celle qu'il destinait à être la Mère de son Fils, et, entre les mains de la Vierge fidèle, ces trésors s'étaient multipliés chaque jour. Marie était donc véritablement pleine de grâces au moment de la visite de l'Archange, comme le font remarquer à l'envi les saints Pères (voyez leurs paroles dans Luc de Bruges, Cornelius a Lapide, etc., et les théologiens. Aussi la bulle « Ineffabilis » (8 déc. 1854) a‑t‑elle tiré du mot grâce un argument en faveur de l'Immaculée conception de Marie. - b. La grâce de la Sainte Vierge par rapport à Dieu. Parfois, les anciens Juifs employaient cette même formule pour se saluer. cf. Ruth, 2, 4, etc. Mais alors elle avait seulement la valeur d'un souhait, d'une prière. Prononcée par l'ange Gabriel, elle exprima quelque chose de plus qu'un désir (Que le Seigneur soit avec vous!) ou qu'une promesse (le Seigneur sera avec vous) ; elle affirme un fait qui existait déjà depuis longtemps : Le Seigneur EST avec vous. - c. La grâce de Marie par rapport au genre humain : Tu es bénie entre les femmes. Ces mots, qui manquent dans plusieurs manuscrits importants (B, L, divers minuscules) et dans quelques versions anciennes (l'arménienne, la copte, la syrienne, etc.), sont rejetés par beaucoup de critiques, comme un emprunt fait au v. 42. Mais rien n'empêche qu'un tel éloge n'ait été adressé deux fois à Marie. Il place à bon droit la Sainte Vierge au‑dessus de toutes les femmes sans exception, puisqu'elle les dépasse toutes par sa sainteté incomparable et par ses glorieux privilèges. Elle est la femme idéale, de même que son divin fils est l'homme idéal.
Luc 1.29 Marie l'ayant aperçu, fut troublée de ses paroles et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. - L'ayant aperçu. Effet produit sur la vierge de Nazareth par l'apparition de l'ange et par son langage élogieux. Dans le texte grec, nous lisons ayant vu. Elle fut troublée par ses paroles, le premier motif du trouble qui s'empara de Marie fut donc la vue de l'ange, et il n'y a en cela rien que de très naturel. Mais ce trouble avait, dans les paroles mêmes du divin message, une cause encore plus sérieuse : elle était troublée par son discours. C'est pourquoi l'évangéliste, devenu psychologue, ajoute que l'humble et pure jeune fille cherchait en elle‑même quels pouvaient bien être le sens et le but d'une telle salutation.
Luc 1.30 L'ange lui dit : "Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. - L'archange se hâte de rassurer Marie, en lui exposant le rôle sublime qu'elle était appelée à jouer dans l’œuvre de la Rédemption, vv. 30-33. Les mots vous avez trouvé grâce devant Dieu servent d'introduction à la grande nouvelle. « Trouver grâce devant quelqu'un » est une phrase familière à la langue hébraïque, pour signifier qu'on possède la faveur de la personne en question. La dignité incomparable qui va être offerte à Marie montre jusqu'à quel point elle avait trouvé grâce devant Dieu.
Luc 1.31 Voici que vous concevrez en votre sein et vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus. 32 Il sera grand, on l'appellera le Fils du Très-Haut, le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, il régnera éternellement sur la maison de Jacob 33 et son règne n'aura pas de fin." - Pour une Juive familiarisée comme l'était Marie avec les prophéties de l'Ancien Testament, les paroles contenus dans ces trois versets étaient aussi claires que le jour, car elles contenaient une description populaire du Messie, un résumé des prophéties messianiques les plus célèbres. L'enfant que l'ange promet à Marie devait avoir tous les titres, remplir tous les ministères attribués par Dieu et par la voix publique au Libérateur impatiemment attendu. Ce portrait était d'une ressemblance trop frappante pour n'être pas aussitôt reconnu, et la Sainte Vierge n'eût certainement pas mieux compris si Gabriel se fût borné à lui dire : Vous êtes destinée par Dieu à devenir la mère du Messie. Dès les premiers mots, vous concevrez dans votre sein (pléonasme à la façon des Hébreux), l'ange fait une allusion évidente à la prédiction d'Isaïe, 7, 14 (cf. Matth. 1, 23 et le commentaire). A son Fils, Marie devra donner un nom, dans lequel sera exprimée en abrégé la grâce apportée par lui sur la terre. En effet, Jésus signifie Sauveur, ou plus complètement, Dieu sauve. Gabriel trace ensuite une description magnifique de l'avenir réservé à l'enfant de Marie. Il sera grand ; non seulement « grand devant Dieu », comme Jean‑Baptiste (cf. v. 15), mais grand par antonomase, le plus grand de tous les hommes. - Il sera appelé Fils du Très‑Haut. Voyez S. Marc, 5, 7, et le commentaire. Les titres de Fils du Très‑Haut, de Fils de Dieu (v. 35), ne désignent pas toujours nécessairement une filiation divine dans le sens strict. La Bible et les Rabbins les appliquent souvent aux Juifs en général, aux anges, aux hommes qui, par des fonctions élevées, représentent la divinité sur la terre, au Messie enfin, en tant qu'il devait être le juste par excellence et l'ami privilégié de Dieu. Mais le contexte prouve que nous devons les entendre ici d'une manière littérale et d'après toute leur valeur théologique. L'enfant de Marie sera véritablement Fils de Dieu, puisqu'il sera engendré par Dieu lui‑même. - Dieu lui donnera… Doué de deux natures, l'une divine, l'autre humaine, Jésus aura comme deux pères distincts, l'un au ciel, l'autre ici‑bas, dont Marie était la fille. Il héritera donc du trône de son père terrestre, et, le royaume juif étant théocratique, c'est le Seigneur lui‑même qui l'installera sur ce trône. Tous les mots de l'ange ont donc leur portée, et tous ils correspondent à quelque prophétie de l'Ancien Testament. cf. 2 Samuel 7, 12-16 ; Mich. 4, 7, etc. - Il régnera éternellement sur la maison de Jacob. La « maison de Jacob », c'est d'abord la nation juive, issue de ce grand patriarche selon la chair, et héritière directe des promesses du ciel. Mais c'est aussi, comme le prouvera la vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, la postérité spirituelle d'Israël, composée, sans distinction de race, de tous ceux qui croiront au Messie ; c'est, en un mot, la sainte Église du Christ. On comprend maintenant que le royaume de Jésus doive durer à tout jamais, puisque l'Église a des promesses de vie éternelle, et qu'elle ne cessera d'exister sur la terre que pour arriver à sa glorieuse consommation dans le ciel. La répétition emphatique et son règne n'aura pas de fin, a pour but d'insister sur cette perpétuité, qui d'ailleurs avait été si formellement annoncée par les Prophètes : « Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas, et son règne ne sera jamais détruit », Daniel 7, 14. cf. Isaïe 9, 7. Sur le royaume du Christ, voyez encore Jérémie 33, 15-26 ; Ézéchiel 34, 23 et ss.; Osée. 3, 5, etc.
Luc 1.34 Marie dit à l'ange : "Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ?" - D'après les idées juives de cette époque, être mère du Messie et devenir mère de Dieu n'était pas nécessairement une seule et même chose, car la divinité du Messie était à peine pressentie d'un petit nombre : la masse du peuple était dans le vague et l'incertitude touchant l'origine du Libérateur promis. Assurément Marie, si versée dans les Saintes Écritures, connaissait ce mystère, et elle avait compris, d'après les paroles de l'ange, que c'était la dignité de mère de Dieu qui lui était offerte. Pourquoi donc demande‑t‑elle : Comment cela se fera‑t‑il ? Hâtons nous de dire que cette question différait bien de celle de Zacharie (v. 18 ; voyez S. Ambroise, Expos. in Luc. 2, 15), et qu'elle n'était nullement le résultat d'un doute. « la Vierge Marie n’entra en aucune défiance de ce que l’ange lui annonçait, quand elle dit: «Comment cela se fera‑t‑il, car je ne connais pas d’homme ? » Elle ne doutait pas de la chose, mais elle s’informait de la manière », dit S. Augustin, De civit. Dei, lib. 16, c. 24. Et Marie avait une raison spéciale d'interroger l'ange sur ce point, comme elle l'indique en ajoutant : car je ne connais pas d'homme. Au premier regard, ces paroles peuvent sembler étonnantes, puisque S. Luc vient de dire, v. 27, que Marie était alors fiancée à S. Joseph. Mais il ne faut pas beaucoup de temps pour découvrir leur signification véritable. Pour quiconque les étudie sans idées préconçues, elles supposent de la manière la plus évidente qu'à une époque antérieure de sa vie Marie avait consacré à Dieu sa virginité par un engagement irrévocable. Autrement, elles n'auraient aucun sens. « Pourquoi demander avec étonnement comment elle deviendra mère, si elle entrait dans le mariage comme les autres, pour avoir des enfants ? » Dom. Calmet in h. l. Ainsi donc, de concert avec S. Joseph, Marie avait promis au Seigneur de rester vierge. Dans cet état de choses, c'était pour elle plus qu'un droit de demander à l'envoyé du ciel des éclaircissements sur le « comment » de sa maternité. Ainsi l'a compris la tradition toute entière (S. Aug. Lib. de Virg. c. 4 ; S. Greg. Nyss. Orat de Christi nativ. ; S. Anselm. Lib de excell. Virgin ; S. Bernard. Serm. 4 de Assumpt. ; voir Petavius, Dogm. Theol. t. 6 de Incarnat. 14, c. 3, § 9 et ss.) ; ainsi l'admettent à l'envi tous les théologiens du moyen âge et tous les exégètes catholiques des temps modernes. Cette interprétation est même si naturelle et si obvie, que plusieurs écrivains protestants ne peuvent s'empêcher de la trouver acceptable. Le temps présent « connais » désigne aussi par sa généralité le passé et l'avenir. Cet emploi, très fréquent dans les langues arabe et syriaque, n'était pas inconnu des classiques grecs et latins.
Luc 1.35 L'ange lui répondit : "L'Esprit-Saint viendra sur vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. - Gabriel s'empresse de répondre à la demande si légitime de Marie. Qu'elle se tranquillise au sujet de la dignité maternelle qui lui a été proposée, car la chair et le sang n'y auront aucune part : c'est l'Esprit Saint qui produira divinement en elle le corps du Verbe incarné. Telle est la substance des explications qu'il lui donne. - L'Esprit‑Saint viendra sur vous. Au commencement du monde, Genèse 1, l'Esprit de Dieu était descendu sur la nature encore informe, et l'avait prédisposée aux transformations admirables qu'elle devait ensuite subir : de même, le germe de vie déposé dans le sein de Marie devait être le fruit de son opération mystérieuse. - Et la vertu du Très‑Haut vous couvrira de son ombre. « Nous remarquons dans la réponse de l'ange le parallélisme qui est toujours, chez les Hébreux, l'expression de l'exaltation du sentiment et le caractère du style poétique. L'ange aborde le plus saint des mystères ; sa parole devient un chant », Godet, h. l. La phrase exprime donc tout à fait la même idée que la précédente, il n'y a de différence que dans les termes. La « vertu » (l'énergie créatrice et toute puissante du Seigneur) équivaut à l'Esprit‑Saint et représente la troisième personne de la Sainte Trinité. « Vous couvrira de son ombre » est synonyme de « surviendra en vous », mais avec une belle image en sus, pour fortifier la pensée. On a pourtant interprété de manières bien diverses cette ombre dont la Vertu du Très‑Haut devait couvrir Marie pour la rendre mère du Christ : peut être, en comptant bien, trouverait‑on plus de quinze explications différentes émises dans le cours des siècles. Voyez Cornelius à Lapide, hoc. Loco. Suivant l'opinion qui est très communément admise de nos jours, il y a dans la métaphore de l'ombre une allusion aux théophanies de l'Ancien Testament, c'est‑à‑dire aux manifestations de la substance divine sous la forme d'une nuée qui recouvrait l'arche d'alliance. En tout cas, le langage humain ne pouvait pas désigner en termes plus clairs et plus chastes le mystère admirable qui allait bientôt s'accomplir. Marie, comme le chante l'Église, réunira sur sa tête les deux plus belles couronnes de ce monde, la dignité d'une mère et la pureté d'une vierge. - C’est pourquoi l’être saint.. Conçu par l'opération du Saint Esprit, le fils de Marie sera nécessairement lui‑même une chose sainte ; il sera nécessairement aussi le Fils de Dieu, et le monde entier le reconnaître comme tel (voyez le v. 32 et l'explication). Rien n'est plus rigoureux que cette double déduction de l'ange.
Luc 1.36 Déjà Élisabeth, votre parente, a conçu elle aussi, un fils dans sa vieillesse et c'est actuellement son sixième mois, à elle que l'on appelle stérile : - Les Prophètes, quand ils prédisaient au nom du ciel un événement important, mais surhumain, annonçaient parfois un autre événement plus rapproché, dont la réalisation devait prouver la vérité de leurs paroles. Comme eux, le messager céleste donne à Marie un signe qui lui démontrera qu'elle n'a pas été trompée. La vierge de Nazareth obtient ainsi, sans le demander, ce que Zacharie n'avait reçu qu'en punition de son incrédulité. Ce signe miraculeux lui est notifié avec toutes ses circonstances : Et voici qu'Élisabeth… Quand on précise à ce point, on ne craint pas d'être démenti par les faits, et quiconque prophétise une chose si difficile, mérite qu'on lui ajoute foi, alors même qu'il en prédit une autre mille fois plus difficile encore. Si une femme stérile et âgée peut devenir mère, pourquoi une vierge n'enfanterait‑elle pas ? - A propos des mots « votre parente », on s'est souvent demandé comment Marie et Élisabeth pouvaient être parentes, puisque celle‑ci était de la tribu de Lévi, et celle‑là de la tribu de Juda. Mais il n'existe sur ce point aucune difficulté réelle. Pour créer entre elles des liens de parenté il suffisait d'un mariage entre leurs familles. Par exemple, la mère de la Sainte Vierge était peut‑être la fille d'Aaron, ou bien la mère de sainte Élisabeth pouvait appartenir à la race de David.
Luc 1.37 car rien n’est impossible à Dieu." - Par ces paroles, l'ange rattache à un principe commun, qui est la toute puissance de Dieu, les deux naissances miraculeuses qu'il a prophétisées. Sans doute les choses annoncées par Gabriel dépassent les forces de la nature ; mais le Créateur est‑il donc enchaîné par les lois qu'il a posées ? Plusieurs exégètes (Meyer, Olshausen, etc.) traduisent : Aucune parole divine ne saurait demeurer sans effet. Mais cette interprétation est peu naturelle.
Luc 1.38 Marie dit alors : "Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole." Et l'ange la quitta. - L'Archange a accompli sa mission. Il se tait, et attend respectueusement la réponse de Marie. Quel instant solennel. « O bienheureuse Marie, le siècle captif au complet demande ton consentement… Ne tarde pas, Vierge ! Donne vite une réponse à l’envoyé, et reçois le fils » S. Augustin, Serm. 17, de tempore). cf. S. Bernard, Serm 4 sup. Missus, et Faber, Bethlehem, p. 74 et 75. Marie, sûre désormais de conserver la virginité qui lui est si chère, n'a aucun motif de refuser ce que le Seigneur lui demande. Aussi répond‑elle, dans le double sentiment de son humilité et de son ardent désir : Voici la servante du Seigneur. Il y a là une foi sublime. Heureux de cet assentiment, l'ange s'éloigna, et aussitôt, selon l'opinion commune des théologiens, eut lieu le mystère de l'Incarnation. Du sang le plus pur de Marie l'Esprit Saint forma le corps de Jésus, et l'unit à une âme humaine qu'il créa au même instant : le Verbe prit possession de ce corps et de cette âme, et le mystère fut accompli. « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » - Après avoir adoré les anéantissements du Verbe, il faut admirer ici la beauté, la grandeur du caractère de Marie. Comme elle est bien, autant du moins que cela était compatible avec une nature créée, à la hauteur du rôle qui lui est offert. Quel « type idéal de pureté, d'humilité, de candeur, de foi naïve et forte. » Bougaud, Jésus‑Christ, 2è éd. p. 147. Vraiment, dit un autre écrivain, « Marie apparaît sur le vieux tronc du judaïsme comme la fleur sur l'arbre, pour annoncer la saison de maturité ». Admirons aussi la narration de S. Luc, si sobre, si exquise, si délicate, si simplement sublime. Ce n'est pas ainsi que l'Annonciation est racontée dans les Évangiles apocryphes. Voyez Thilo, Tischendorf et Brunet. Est‑il surprenant qu'un tel épisode, où l'humain et le divin s'associent de la manière la plus étonnante, ait été fréquemment reproduit par l'art chrétien, à l'aide du pinceau ou du ciseau ? Voyez Rohault de Fleury, l'Évangile, études iconograph. et archéolog. t. 1 p. 11 et ss. ; Grimouard de S. Laurent, Guide de l'art chrétien, t. 4 pp. 101 et ss. Parmi ces nombreux chefs‑d’œuvre nous préférons, à cause de leur grâce, de leur piété et de leur pureté, les tableaux de Fra Angelico, de Lorenzo di Credi, de Baroccio, du Guide, de Nic. Poussin, et les sculptures des cathédrales d'Amiens et de Reims. « La Anunciacion » a aussi inspiré un beau cantique à Moratin.
Luc 1.39 En ces jours-là, Marie se levant, s'en alla en hâte au pays des montagnes, en une ville de Juda. - La joie que lui avait apportée la maternité divine et ses délicieux entretiens avec le Verbe incarné dans son sein ne firent pas oublier à Marie les dernières paroles de l'ange : « Et voici qu'Élisabeth... ». En les entendant, elle avait senti un mouvement intérieur de l'Esprit Saint qui la pressait d'aller visiter sa parente. Docile à la voix de Dieu, elle se mit bientôt en chemin pour se rendre auprès d'Élisabeth. « Quand Marie entendit cela, elle ne manifesta pas d’incrédulité envers l’oracle, ni d’incertitude envers le messager, ni de doute au sujet de l’exemple donné. Avec grand empressement, elle se dirigea toute joyeuse vers la montagne », S. Ambroise, h. l. Le Messie allait d'ailleurs se servir de cette rencontre des deux mères pour sanctifier son Précurseur. - Se levant... s 'en alla … entra… salua… : on reconnaît, dans cette accumulation rapide des détails, le style pittoresque de l'Orient. En ces jours‑là, c'est‑à‑dire, très peu de temps après l'Annonciation. Cela ressort du participe se levant, employé ici à la façon hébraïque pour désigner une grande promptitude ; 2° d'un rapprochement entre les vv. 26, 56 et 57. Élisabeth est déjà au sixième mois de sa grossesse ; Marie demeure trois mois auprès d'elle et revient sinon avant, du moins peu de temps après la naissance de Jean‑Baptiste : ces dates supposent que la mère du Christ ne différa pas son voyage au‑delà de quelques jours. - Elle s'en alla vers les montagnes. Le nom de Juda, que nous trouvons à la ligne suivante, montre que, dans cette région montagneuse où se rendit Marie, il faut voir le massif de hauteurs qui forme au Sud de Jérusalem un plateau élevé dont l'altitude varie entre 450 et 750 mètres. Le lieu spécial vers lequel la Vierge de Nazareth se dirigeait avec un saint empressement est désigné par les mots dans une ville de Juda. La généralité de l'expression employée par l'évangéliste et, d'un autre côté, le désir bien naturel de connaître au juste la patrie de S. Jean‑Baptiste, a fait naître des hypothèses assez nombreuses. Plusieurs anciens (entre autres S. Ambroise et Bède le Vénérable) se sont déclarés en faveur de Jérusalem, quoiqu'il paraisse de prime abord bien difficile que la capitale juive ait été désignée par un nom aussi vague. D'autres ont pris parti pour Machéronte, ou pour Emmaüs. D'autres encore (en particulier le P. Patrizi, de Evang. Lib. 3, Dissert. 10, c. 1), identifient la ville de Zacharie et d'Élisabeth avec l'antique cité de Juta, mentionnée déjà dans le livre de Josué (15, 55 ; 21, 56) comme une ville sacerdotale. Mais aucun manuscrit ne favorise cette hypothèse. C'est Hébron qui a réuni de nos jours le plus grand nombre de suffrages. Le double caractère noté par S. Luc convient du reste parfaitement à cette localité célèbre, car elle s'élevait au milieu des montagnes les plus élevées de la Judée, et c'était un des séjours attribués par Josué aux descendants d'Aaron dans la tribu de Juda. cf. Josué 21, 11-13. Quoi qu'il en soit de toutes ces conjectures, la ville en question étant située au Sud et à quelque distance de Jérusalem, le voyage entrepris par Marie devait durer de quatre à cinq jours. Probablement assise sur une ânesse, d'après la coutume ancienne et moderne de la Palestine, couverte de l'habillement traditionnel et pittoresque de sa contrée (robe rouge et manteau bleu, ou robe bleue et manteau rouge, avec un grand voile blanc qui enveloppe tout le corps), accompagnée d'une servante ou jointe à quelques Galiléens qui se rendaient à Jérusalem, Marie franchit la plaine de Jesréel, les montagnes d'Éphraïm, la Samarie et une grande partie de la Judée avant d'arriver chez Élisabeth. Tout paraît prouver que S. Joseph ne vint pas avec elle. Il n'était alors que son fiancé ; l'évangéliste ne mentionne pas sa présence, et surtout, comment expliquer ses doutes ultérieurs relativement à la grossesse de Marie (Matth. 1, 19), s'il eût entendu les paroles que les deux mères prononcèrent en s'abordant (vv. 42 et ss.).
Luc 1.40 Et elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Or, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, l'enfant tressaillit dans son sein et elle fut remplie du Saint-Esprit. - Arrivée au terme de son voyage, Marie se fit indiquer la maison de Zacharie, et, étant entrée, elle salue Élisabeth. « Elle lui souhaita la paix », dit la version syriaque, faisant allusion aux paroles dont la Sainte Vierge se servit suivant la coutume pour saluer sa cousine. L'évangéliste signale cette salutation à cause des merveilleux effets qu'elle produisit sur‑le‑champ. C'était le signal attendu par la grâce. A l'instant même, l'enfant d'Élisabeth reconnut à sa manière la présence de son Messie et de son Dieu : l'enfant tressaillit en son sein. Quoique toutes les mères sentent parfois leurs enfants s'agiter en leur sein, il est évident que S. Luc a voulu relater ici un fait extraordinaire, un tressaillement surnaturel, qui eut pour cause la proximité du Verbe incarné (« Divinement dans l’enfant, non humainement par l’enfant », S. Ambr.). Le Précurseur saluait ainsi le Rédempteur. « Celui qu’il n’a pas pu saluer de la langue et de la voix, dans l’exultation de son âme, il l’a salué avec ses gestes ». Ludolph. Saxon. Vita J. C. p. 1, c. 6. cf. Bossuet, l. c. 3è élév. Au même instant, Élisabeth fut remplie du Saint‑Esprit, et ce divin Esprit lui révéla soudain tout ce qui s'était passé en Marie, comme nous allons le voir par les versets suivants.
Luc 1.42 Et élevant la voix, elle s'écria : "Vous êtes bénie entre les femmes et le fruit de vos entrailles est béni. - Elle s'écria d'une voix forte. Expressions pleines d'emphase pour introduire l'allocution inspirée de sainte Élisabeth. Elles attestent la vive émotion, le saisissement qui s'empara de la mère de S. Jean sous l'influence de l'Esprit de Dieu. Élisabeth commence par louer Marie dans les mêmes termes que l'ange : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, puis elle loue le fruit qu'elle porte dans son sein virginal : Le fruit de votre sein est béni. « Béni soit l’arbre, et béni soit le fruit de l’arbre. Bénie la tige de la racine de Jessé. Bénie aussi la fleur qui a poussé sur une telle racine ». Ludolph Saxon., ubi supra.
Luc 1.43 Et d'où m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? - On l'a vu par le verset précédent, Élisabeth sait tout. On comprend donc que tout à coup elle s'interrompe afin d'exprimer son étonnement, sa reconnaissance, au sujet d'une visite si honorable pour elle. Comment ai‑je mérité une pareille condescendance ? La mère de mon Seigneur chez moi. Du reste, la façon entrecoupée dont parle Élisabeth est vraiment remarquable. Elle passe d'une idée à l'autre à chaque verset ; ses phrases ne se suivent pas parfaitement. Mais que cela est naturel et vrai : Tel est bien le langage de l'émotion, de la surprise et de l'enthousiasme. - « Parmi les paroles d'Élisabeth, dit Olshause, Biblischer Commentar, h. l., il faut remarquer la mère de mon Seigneur. Nous ne pourrons jamais expliquer ce titre de Seigneur appliqué à un enfant qu n'est pas encore né, à moins de supposer qu'Élisabeth, éclairée par l'Esprit‑Saint, reconnut la nature divine du Messie, tandis qu'elle saluait Marie comme sa mère. Ce passage est donc parallèle au v. 17, et Seigneur y correspond à Dieu. » Plusieurs autres commentateurs protestants (Brown, Alford, etc.) raisonnent, et bien justement, de la même manière. Il n'y a pas à douter en effet que cette expression ne signifie en cet endroit Mère de mon Dieu.
Luc 1.44 Car votre voix, lorsque vous m'avez saluée, n'a pas plus tôt frappé mes oreilles, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. - Élisabeth raconte maintenant à sa cousine le miracle qui avait eu lieu au moment où celle‑ci lui disait en l'abordant : La paix soit avec vous. Elle explique en même temps la manière dont elle a connu les miracles opérés en Marie. Éclairée divinement par l'Esprit‑Saint, elle a compris que le tressaillement surnaturel de son enfant était produit par la présence du Verbe incarné. Aux mots l'enfant a tressailli, Élisabeth ajoute une observation importante : c'est d'un mouvement de joie que Jean a tressailli dans le sein maternel. De ce détail, presque tous les anciens écrivains ecclésiastiques ont conclu que le Précurseur avait été en cet instant même doué de raison. « Irénée dit que le Seigneur en prit connaissance, et qu’il le salua dans l’exultation. » Tertullien : « Il appelle l’enfant qui a reconnu son Dieu ». Et Origène enseigne la même chose en plus de mots. Saint Ambroise : « Il avait la capacité de comprendre celui qui avait la capacité d’exulter ». Jansenius, Comment in h. l. S. Augustin est à peu près seul à soutenir l'opinion contraire : « Cette exultation faite sans connaissance rationnelle ». Il est possible que cette illumination intérieure ait été pour Jean‑Baptiste aussi transitoire que brillante et soudaine : tel est du moins l'avis d'un certain nombre de Pères et de théologiens. Selon d'autres, elle aurait duré constamment depuis cette époque. En même temps qu'il jouissait de sa raison d'une manière anticipée, le future Précurseur était purifié de la tache originelle. Il n'existe pas le moindre doute à ce sujet, car telle a toujours été la croyance universelle de l'Église.
Luc 1.45 Heureuse celle qui a cru car elles seront accomplies les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur." - Élisabeth termine son allocution par un bel éloge de la foi si parfaite de Marie : Bienheureuse celle qui a cru. On voit encore par ce détail que la révélation faite à sainte Élisabeth n'avait pas moins été circonstanciée que rapide ; elle avait déroulé sous les yeux de la mère de S. Jean, comme un admirable panorama, tout ce qui s'était passé entre l'ange et Marie. D'après le texte grec, Élisabeth n'adresse pas directement à sa cousine les paroles de ce verset, mais elle parle à la troisième personne. Elle proclame par manière d'aphorisme une vérité générale (cf. Psaume 73, 13 ; 145, 7 ; Proverbes 16, 20) qu'elle applique néanmoins à Marie. Comme on l'a dit, sa pensée semble se perdre dans une sorte de contemplation, et sa parole, cessant d'être une apostrophe à sa cousine, devient un hymne à la foi. Bienheureuse celle qui a cru, CAR les paroles de Dieu s'accompliront.
Luc 1.46 Et Marie dit : "Mon âme glorifie le Seigneur. - Telles furent les félicitations que Marie reçut d'Élisabeth. Pour toute réponse, transformée par l'Esprit‑Saint en une lyre harmonieuse, elle entonne son admirable cantique : Mon âme glorifie le Seigneur. Elle répond aux louanges de sa cousine par la louange de Dieu. Les grandes merveilles accomplies par Dieu avaient inspiré plusieurs fois déjà des cantiques à des femmes d'Israël. Les plus célèbres étaient ceux de la sœur de Moïse, Exode 15, 21, de Débora, Judith 5, d'Anne, mère de Samuel, 1 Samuel 2. Il était réservé à Marie de chanter la merveille des merveilles, l’œuvre de la Rédemption, dans un hymne qui est le couronnement de tous les cantiques de l'ancienne Alliance, le prélude de tous les cantiques du Nouveau Testament. Hymne sublime en effet dans sa simplicité ; chant magnifique d'action de grâces, dont l'Église se sert chaque jour pour remercier Dieu de ses bienfaits. Au point de vue de la forme, le « Magnificat » a tous les caractères que la poésie revêtait chez les Hébreux : on y trouve le rythme, et surtout le parallélisme des membres. Il ressemble aux Psaumes eucharistiques de David. Ce beau poème s'échappa spontanément du cœur de Marie, sous l'inspiration divine, à l'occasion des paroles d'Élisabeth : c'est donc une véritable improvisation, l'effusion jusque‑là comprimée d'une âme profondément émue par les grâces du ciel, mais qui n'avait pas encore trouvé l'occasion de s'épancher au dehors. - Et Marie dit. Les exégètes, rapprochant ces simples mots « Marie dit » de la formule « Elle s'écria d'une voix forte » (v. 42) qui avait introduit l'allocution de la mère de S. Jean, aiment à faire ressortir la profonde quiétude qui règne dans le cantique de Marie. C'est là en réalité un caractère frappant du Magnificat, dont le lyrisme respire un calme vraiment divin. - Mon âme glorifie le Seigneur… La plupart des poèmes hébreux peuvent se diviser en strophes, qui sont plus ou moins bien marquées par la « direction »nouvelle donnée aux pensées. Les exégètes modernes, appliquant ce principe au cantique de Marie, ont essayé de le partager en stances à peu près égales, qui correspondent à autant d'idées nouvelles. Mais l'accord ne règne pas entre eux, les divisions de ce genre ayant toujours quelque chose de subjectif. Ewald, von Burger, Godet, etc., admettent quatre strophes : vv. 46-48a, 48b-50, 51-53, 54-55. Les Drs Schegg et Reischl n'en admettent que deux : vv. 46-49, louange à Dieu pour la part personnelle qu'il a faite à Marie dans le mystère de la Rédemption ; vv. 50-55, louange à Dieu pour les bienfaits qu'il n'a cessé d'accorder soit aux petits en général, soit spécialement à Israël. M. L. Abbott en distingue trois : vv. 46-49, 50-53, 54 et 55. Nous adoptons cette division qui nous semble la plus logique. - Première strophe. Marie témoigne au Seigneur la plus vive reconnaissance pour sa maternité divine. La pensée contenue dans les premiers mots du cantique, Mon âme glorifie le Seigneur, retentit à travers le Magnificat tout entier et « l'on pourrait, dit M. Schegg, la répéter comme un refrain après chaque verset ». Elle est pour ainsi dire le thème que Marie se propose de développer : toutes les idées qui suivent en seront de simples variations.
Luc 1.47 Et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon Sauveur, - Les paroles mon esprit a tressailli d'allégresse en Dieu mon Sauveur correspondent, en vertu du parallélisme, à Mon âme glorifie le Seigneur. Mon esprit tressaille d'allégresse, mon âme glorifie, sont des hébraïsmes bien connus pour : je tressaille, je glorifie. L'âme dont il est ici question tient comme le milieu entre l'esprit et le corps : elle est inférieure à l'esprit : celui‑ci au contraire comprend les puissances les plus relevées de notre être intérieur. Ce sont donc toutes les parties de l'âme de Marie qui sont doucement et saintement agitées. C'est le salut messianique, promis depuis si longtemps, et sur le point d'être accordé au monde par son intermédiaire, qui suscite la joie la plus vive dans le cœur de Marie.
Luc 1.48 parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Voici, en effet, que désormais toutes les générations me diront bienheureuse, - Si les paroles qui précèdent étaient un cri de reconnaissance jeté vers le ciel, celles‑ci expriment la plus parfaite humilité. De nouveau (cf. le v. 38) Marie se nomme l'humble servante du Très‑Haut. Elle parle de sa petitesse, de sa bassesse : elle est pourtant fille de rois, elle est même la plus pure et la plus sainte des créatures ; mais qu'est‑ce que tout cela devant la grandeur et la sainteté de Dieu : Aussi, pour représenter la bonté du Seigneur à son égard, emploie‑t‑elle encore le verbe pittoresque « a jeté les yeux », qui désigne un regard défavorable, mais jeté de haut en bas, par conséquent, un regard de grande condescendance. cf. Genèse 31, 42 ; 1 Samuel 1, 11 ; 2 Rois 14, 26, etc. De l'expression de son indignité, Marie, divinement éclairée, rapproche celle de sa gloire future : Car voici que …. Elle sait que son nom sera désormais inséparable du nom du Messie‑Dieu ; elle voit, dans la suite des siècles, les hommages publics et privés qu'elle recevra sur toute la terre, de la part de toutes les générations. Élisabeth vient d'être (vv. 42 et 45) le premier anneau ce cette chaîne glorieuse ; mais depuis lors les chants de louange et d'amour n'ont jamais cessé de retentir dans l'Église catholique en l'honneur de Marie. Les protestants nous accusent à tort d'adorer la Vierge de Nazareth ; nous n'adorons que Dieu. Mais nous vénérons d'un culte spécial la Mère de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ et aimons en elle notre propre mère. Ceux‑là seuls refusent de s'associer à nos hommages, qui ne comprennent pas le sens de ces deux titres.
Luc 1.49 parce qu'il a fait en moi de grandes choses, Celui qui est puissant et dont le nom est saint - Motif pour lequel chaque génération s'inclinera devant Marie et s'écriera : Bienheureuse. Dieu a fait en elle de grandes choses. Combien de merveilles le Seigneur n'avait pas opérées en la Très Sainte Vierge. Elles se résumaient toutes dans sa maternité divine. Mais seul le Tout‑Puissant avait pu réaliser de telles merveilles ; aussi Marie rappelle‑t‑elle le pouvoir infini de celui qu'elle loue. - Et son nom est saint. Marie vient de prononcer l'un des noms de Dieu. Or les Orientaux unissent presque toujours aux noms divins une épithète de louange (Dieu, qu'il soit béni, etc.) Les Hébreux, à qui le Seigneur avait donné tant de marques de sa sainteté, louaient de préférence cette perfection, et divers passages des saintes Lettres (cf. Isaïe 6, 3 ; 57, 15 ; Psaume 98, 3 ; 110, 9, etc.) prouvent qu'ils donnaient surtout à Dieu l'épithète de Saint quand ils avaient récemment parlé de sa puissance. Marie se conforme à ce pieux usage. Le signe et la chose signifiée se confondant en Dieu, dire que « son nom » est saint c'est affirmer la parfaite sainteté de son essence.
Luc 1.50 et dont la miséricorde s’étend d'âge en âge, sur ceux qui le craignent. - Deuxième strophe, vv. 50-53. La mère du Christ généralise maintenant sa pensée : elle loue la bonté divine s'exerçant d'une manière universelle envers les humbles et les petits. Elle ne parle donc plus directement d'elle‑même et des faveurs spéciales dont elle a été l'objet. Néanmoins, tout ce qu'elle va dire lui convient encore à un degré suréminent. Quelle pauvre a été plus enrichi ? Quelle âme humble plus élevée ? Le v. 50 émet l'idée principale, qui est ensuite développée par des exemples dans les trois suivants. - Sa miséricorde … sur ceux qui le craignent. La crainte de Dieu était, sous l'Ancien Testament, une vertu des plus étendues, qui comprenait, de même que la justice, des devoirs très multiples, et l'accomplissement parfait des volontés célestes. Voilà pourquoi on promet une si magnifique récompense à ceux qui la pratiquent. La locution d'âge en âge est empruntée à l'hébreu et signifie : constamment ; d'une génération à la suivante, sans qu'il y ait jamais de trêve.
Luc 1.51 Il a déployé la force de son bras, Il a dissipé ceux qui s'enorgueillissaient dans les pensées de leur cœur, - Les exégètes se demandent à propos des vv. 51-53 si, en les prononçant, Marie avait à l'esprit le passé, le présent ou l'avenir. Dans le premiers cas, elle aurait décrit à grands traits l'histoire juive, où l'on voit à chaque instant le bras tout‑puissant de Dieu délivrer et soutenir son peuple, renverser les trônes cananéens, etc. Dans le second cas, elle eût peint sous des couleurs poétiques la conduite habituelle de Dieu à l'égard des justes qui le craignent et des impies qui le méprisent. Dans la troisième hypothèse, elle tracerait un tableau prophétique du règne futur du Messie. « Maintenant, dit Meyer qui adopte cette dernière opinion (Comment. h. l. ; de même Jansénius, Kistemaker, de Wette, Olshausen, etc.), Marie contemple la catastrophe messianique que son Fils doit produire, et, à la façon des Prophètes, elle l'annonce comme un fait accompli, tant elle est sûre de sa réalisation ». Mais les paroles de Marie nous paraissent bien générales pour convenir d'une manière exclusive aux temps messianiques. Peut‑être sont‑elles bien générales aussi pour désigner des faits particuliers de l'histoire sainte, et nous serions tentés de dire avec Maldonat, h. l. : « Je suis, moi, Bède le vénérable qui pense qu’on ne peut noter ou désigner aucun exemple du passé ou du futur qui soit fait parce qu’il devait être fait, mais parce que Dieu peut et a coutume de le faire ». Les faits signalés par Marie ont lieu indistinctement à tous les âges et dans tous les pays : ce sont des actes habituels de la Providence. Toutefois, nous préférons adopter la première opinion (avec Luc de Bruges, Noël Alexandre, Sylveira, Massi, etc.), parce que l'aoriste n'a jamais le sens du présent dans les écrits du Nouveau Testament. - Il a déployé la force de son bras. Bel anthropomorphisme, qu'on rencontre plusieurs fois dans les livres poétiques de la Bible. cf. Psaume 88 , vv. 9-14, etc. Le bras étant le siège de la vigueur, cette expression signifie que Dieu a pour ainsi dire ramassé toutes ses forces, comme un guerrier qui se prépare à lutter contre ses ennemis. Et, de ce bras auquel rien ne peut résister, il a dispersé ceux qui s'enorgueillissaient dans les pensées de leur cœur. Le verbe grec correspondant à dispersé est un mot des plus énergiques : Dieu a dispersé, balayé devant lui les impies « rends‑les semblables au chaume qu'emporte le vent » (Psaume 82, 14). - Dans les pensées de leur cœur. L'expression est d'origine hébraïque pour le fond comme pour la forme. Nous l'expliquerons en rappelant au lecteur un principe de la psychologie des Hébreux. Dans les saints Livres, le cœur est habituellement envisagé comme le siège non‑seulement des désirs, mais encore des pensées. Les anciens Hébreux avaient vu, en se repliant sur eux‑mêmes, que le plus souvent les pensées dérivent du cœur comme de leur première source, et qu'elles ne passent dans l'intellect qu'après avoir pris naissance dans les inclinations de la volonté. C'est pour cela qu'ils parlaient d'hommes « orgueilleux dans les pensées, dans l'esprit de leur cœur ». L'orgueil affecte immédiatement l'esprit : mais cette estime déréglée de sa propre excellence provient toujours d'un amour immodéré de soi‑même.
Luc 1.52 Il a renversé de leur trône les puissants et il a élevé les petits, 53 Il a comblé de biens les affamés et les riches, il les a renvoyés les mains vides. - Deux antithèses frappantes, qui confirment l'exemple précédent. Les orgueilleux, ennemis de Dieu, sont d'ordinaire les favoris de la fortune, les puissants et les riches de ce monde. Leurs souvenir amène naturellement celui des petits et des pauvres, chez lesquels on trouve plus souvent la crainte du Seigneur et l'accomplissement de ses préceptes. Marie caractérise en termes pittoresques la conduite de Dieu à l'égard des uns et des autres. Les puissants, « les dynastes », comme le dit le texte grec, il les renverse de leurs trônes ; les riches, il les renvoie privés de tout. Au contraire, il exalte les humbles, il comble de biens les pauvres qui mouraient de faim. Les livres de l'Ancien Testament sont remplis de sentences analogues. cf. Ecclésiastique 10, 14 ; Psaume 17, 28 ; 34, 11, etc. Notons encore, avant de quitter cette strophe, le beau croisement des membres dans les antithèses qu'elle contient. « Dans le premier contraste (v. 51), les justes occupent la première place, les orgueilleux la seconde ; dans le second au contraire (v. 52), les puissants occupent la première, de manière à se rattacher immédiatement aux orgueilleux du v. 51, et les petits la seconde. Dans la troisième enfin (v. 53), les affamés viennent en premier lieu, se liant aux petits du v. 52, et les riches forment le second membre. L'esprit passe ainsi, comme par une sorte d'ondulation, du semblable au semblable, et le sentiment n'est pas heurté, comme il l'eût été par une symétrie qui eût présenté à chaque fois les membres homogènes du contraste dans le même ordre ». Godet.
Luc 1.54 Il a pris soin d'Israël son serviteur, se ressouvenant de sa miséricorde, 55 ainsi qu'il l'avait promis à nos pères, envers Abraham et sa race, pour toujours." - Ces deux versets forment la troisième strophe du Magnificat. Marie y exprime en termes emphatiques la part spéciale qu'aura le peuple juif au salut opéré par le Messie‑Dieu qu'elle porte dans son sein. - Il a relevé Israël son serviteur. Par le mystère de l'Incarnation, Dieu a donc soulevé de terre, en lui tendant une main secourable, la nation théocratique, désignée ici comme en tant d'autres passages de la Bible par le nom mystique du patriarche Jacob. - Se souvenant de sa miséricorde. Belle expression. Dieu avait semblé oublier sa miséricorde à l'égard du peuple juif, auquel il avait infligé depuis tant d'années de si profondes humiliations, de si rudes souffrances. Mais voici qu'il se ressouvient enfin de sa bonté. - Selon ce qu'il avait dit à nos pères. C'est une proposition incidente, une sorte de parenthèse, qui explique Dieu traitera maintenant Israël avec compassion. Ne s'y est‑il pas engagé depuis longtemps par des promesses solennelles, réitérées vingt fois aux premiers pères du peuple juif ? Les mots Abraham et sa race indiquent l'objet de la miséricorde divine. Sans doute il y avait des siècles qu'Abraham n'était plus : Marie peut néanmoins affirmer que Dieu, en traitant avec tendresse la postérité de ce grand patriarche, usera par là‑même de miséricorde envers lui, parce qu'un père est supposé, après sa mort comme de son vivant, prendre part au sort de ses enfants, se réjouir avec eux de leur bonheur. - Pour toujours. Cette formule, qui termine souvent les psaumes, sert aussi de conclusion au cantique de Marie. C'est un cri de vive confiance jeté à la fin du Magnificat. La lignée spirituelle du père des croyants durera jusqu'à la fin des temps. Pendant les siècles des siècles, Dieu se souviendra envers elle de ses miséricordes. « Et toi Israël, mon serviteur, Jacob que j’ai élu, semence de mon ami Abraham, dans lequel je t’ai saisi et t’ai appelé de loin, je t’ai dit : tu es mon serviteur. Je t’ai élu et ne t’ai pas rejeté. Ne crains pas, car je suis avec toi. Ne t’éloigne pas, car je suis moi ton Dieu. Je t’ai fortifié et je te suis venu en aide, et la droite de mon juste te reçoit ». Isaïe 41, 8-10. - Tel est le cantique de la Très Sainte Vierge. Mais nous n'avons pas dit encore que, si on l'examine attentivement, on ne tarde pas à découvrir qu'il paraît être en grande partie un écho, et même une reproduction de divers pages de l'Ancien Testament. Presque toutes ses expressions ramènent à la pensée soit le cantique d'Anne, 1 Samuel 2, 1-10, soit certains psaumes, etc., comme le prouvent les ressemblances suivantes : Que mon âme magnifie le Seigneur. Psaume33. 4 : « Magnifiez le Seigneur avec moi ». Et mon esprit a exulté en Dieu. 1Samuel 2, 1 : « Mon cœur a exulté dans le Seigneur ». Qui a regardé la bassesse de sa servante. 1Samuel 1, 11 : « Si, en regardant, tu vois l’affliction de ta servante. » Toutes les générations me diront bienheureuse. Genèse 30, 13 : « Bienheureuse me diront les femmes ». Il a fait pour moi de grandes choses. Psaume 70, 19 : « Tu as fait de grandes choses ». Saint est son nom. Psaume 110, 9 : « Saint et terrible est son nom. ». Sa miséricorde de génération en génération pour ceux qui le craignent. Psaume 102, 17 : « La miséricorde d’éternité en éternité sur ceux qui le craignent ». Il a montré de la puissance avec son bras. Psaume 117, 16 : « La droite du Seigneur produit de la puissance ». Il disperse les esprits au cœur superbe. Psaume 88 11 « Tu humilies les orgueilleux, et tu disperses tes ennemis. » Il a déposé les puissants de leur trône et a exalté les humbles. Ecclésiastique 10,14 Le Seigneur renverse le trône des princes et fait asseoir à leur place les hommes doux. Il a comblé de biens les affamés, et renvoyé les riches les mains vides. 1 Samuel 2, 5 : « Les repus chercheront un lieu où manger, et les affamés seront rassasiés ». Se souvenant de sa miséricorde, comme il a parlé à nos pères, Abraham. Michée 7, 20 : « Tu donneras la vérité à Jacob, la miséricorde à Abraham, que tu as juré à nos pères aux temps anciens ». De cette ressemblance manifeste, les rationalistes se sont hâtés de conclure que le Magnificat ne saurait être l’œuvre personnelle de Marie, qu'il est apocryphe par conséquent ; par conséquent aussi que les divers événements dont il est entouré dans le troisième Évangile sont de même l’œuvre d'un faussaire. Affirmations qu'une simple réflexion peut réduire à néant. Si ce principe était vrai, que toute œuvre littéraire doit avoir été contrefaite quand elle a une certaine analogie avec des écrits plus anciens, combien de livres cesseraient d'être authentiques. Virgile imite parfois les discours ou les descriptions d'Homère : donc l'Énéide a été composée deux ou trois siècles après Virgile. Le cantique de Jonas et la prière d'Habacuc sont des compilations des psaumes, etc. : donc les prophéties de Jonas et d'Habacuc sont apocryphes : Sont‑ce là des conclusions bien légitimes ? La vraie critique raisonne autrement. Elle se contentera de dire, mais en toute vérité : Donc Virgile connaissait les poèmes d'Homère, donc Jonas et Habacuc avaient lu les psaumes. En effet, une lecture sérieuse de la Bible prouve que les écrivains sacrés connaissaient à fond les parties de l'Écriture antérieures à leur époque et qu'ils aimaient, dans l'occasion, à en citer les paroles. Les réminiscences ou allusions que nous avons remarquées dans le Magnificat s'expliquent de la même manière. Marie avait lu et relu les saints Livres : au moment donc où elle ouvrait la bouche pour louer et remercier son Dieu, les textes inspirés se présentèrent en foule à sa mémoire. Se les appropriant, elle les employa parce qu'ils contenaient la parfaite expression de ses sentiments privés. Quoi de plus naturel ? Et en réalité tout, dans le Magnificat, est admirablement adapté à la situation de Marie, convient à merveille à la Vierge de Nazareth devenue Mère du Christ. Il est donc en ce sens une œuvre tout à fait originale. Ce n'est pas ainsi qu'on aurait inventé après coup, car on eût alors avidement recherché des idées et des formules neuves. - Il n'est peut‑être pas de compositeur célèbre qui n'ait annoté le beau cantique de Marie : les œuvres les plus renommées sont celles d'Orlando di Lasso, de Palestrina, de Bach, de Mendelsohn, de Moralès, de Sheppard. On a du peintre Botticelli un incomparable chef‑d’œuvre » (Rio) qui représente la Vierge écrivant le Magnificat.
Luc 1.56 Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois et s'en retourna chez elle. - En terminant le récit de la Visitation, S. Luc nous apprend que la Sainte Vierge demeura « environ trois mois »auprès d'Élisabeth, et qu'ensuite « elle revint dans sa maison », c'est‑à‑dire à Nazareth. Le départ de Marie eut‑il lieu avant ou après la naissance de Jean‑Baptiste ? Le texte sacré ne le dit pas expressément. Toutefois, en le mentionnant avant de raconter la nativité du Précurseur, il semble indiquer assez clairement que Marie avait repris le chemin de la Galilée quand le temps d'Élisabeth fut accompli ». D'ailleurs, le but du voyage de la Mère de Dieu n'avait pas été précisément de soigner sa cousine : aucun motif de charité ne la retenait donc dans la maison de Zacharie. Un certain nombre de commentateurs anciens et modernes croient néanmoins que Marie demeura plus longtemps auprès d'Élisabeth : suivant eux, le v. 56 serait placé par anticipation avant la naissance de S. Jean. - Le mystère de la Visitation a inspiré de beaux tableaux à Raphaël, au Pinturicchio, à Ghirlandaio, à Jouvenet, etc.
Luc 1.57 Cependant, le temps s'accomplit où Élisabeth devait enfanter et elle mit au monde un fils. - Construction toute hébraïque, que l'on croirait reproduite d'après la Genèse, 25, 24 : « Les jours où elle devait accoucher s'accomplirent ».
Luc 1.58 Ses voisins et ses parents, ayant appris que le Seigneur avait signalé en elle sa miséricorde, se réjouissaient avec elle. - L'heureuse mère est bientôt entourée d'un cercle intime, formé des voisins, des amis et des parents de la famille, venus pour la féliciter. Dans cette merveilleuse naissance, chacun reconnut un grand bienfait de Dieu. L'expression « le Seigneur avait signalé envers elle sa miséricorde » est un nouvel hébraïsme. cf. Genèse 19, 19 et 1 Samuel 12, 24. - se réjouissaient avec elle », de sorte que nous avons ici un premier accomplissement de la prophétie de l'ange, v. 14. - Belle peinture d'Andrea del Sarlo.
Luc 1.59 Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l'enfant et ils le nommaient Zacharie d'après le nom de son père. - Ils vinrent a sans doute pour sujet les « voisins et parents » du verset précédent, à moins qu'on ne préfère traduire d'une manière générale : On vint, c'est‑à‑dire, ceux‑là vinrent qui devaient circoncire l'enfant. Cette opération n'était nullement réservée aux prêtres : tout les israélites, même les femmes, pouvaient l'accomplir. Cependant, comme elle était assez délicate, on ne la confiait généralement qu'à des personnes expérimentées. Elle était accompagnée de vives réjouissances auxquelles prenaient part les parents et les amis de la maison : c'était en effet un saint événement, qui faisait entrer un nouvel être dans l'alliance de Dieu. La circoncision devait avoir lieu le huitième jour qui suivait la naissance ; telle avait été l'ordonnance expresse du Seigneur, Genèse 17, 12 ; Lév. 12, 13. Cette loi ne souffrait pas même d'exception quand le huitième jour tombait un samedi. cf. Jean 7, 23. Aucun local particulier n'avait été fixé pour la cérémonie : quoique les Juifs l'accomplissent aujourd'hui dans leurs synagogues, elle se passait alors le plus souvent au sein même des familles, et c'est ici le cas, puisque Élisabeth joue un rôle important dans la scène suivante , et qu'elle ne pouvait quitter sa maison avant quarante jours. Sur la circoncision dans le Judaïsme ancien et moderne, voyez Léon de Modène, Cérémonies et coutumes des Juifs, 4è partie, ch. 8 ; Coypel, Le judaïsme, esquisse des mœurs juives, pp. 96 et ss. - Ils l'appelaient du nom de son père : Littéralement conformément au nom, d'après le nom. Suivant un antique usage qui remontait jusqu'à l'époque d'Abraham (cf. Genèse 17, 5, 15 ; 21, 3 et 4), on associait très ordinairement à la cérémonie de la circoncision l'imposition du nom de l'enfant. Le choix de ce nom était le plus souvent réservé au père ; mais, dans la circonstance présente, les assistants, voulant sans doute faire à Zacharie une agréable surprise, et supposant d'ailleurs son consentement, se hâtèrent de donner son nom au fils de sa vieillesse. Voir au livre de Ruth, 4, 13-16, un détail analogue. Ils avaient même déjà prononcé le nom, lorsque Élisabeth les arrêta tout à coup par sa protestation énergique.
Luc 1.60 Mais sa mère, prenant la parole : "Non, dit-elle, mais il s'appellera Jean." - Il ne sera pas fait selon votre désir, mais l'enfant sera appelé Jean. On s'est souvent demandé par quelle voie Élisabeth avait appris le nom destiné divinement à son fils. La plupart des modernes pensent qu'elle le tenait de Zacharie, qui avait dû lui raconter par écrit tous les détails de l'apparition dont il avait été favorisé dans le temple. Les anciens (Théophylacte, Euthymius) au contraire affirment d'une voix unanime qu'elle le connut par révélation, au moment de la circoncision de l'enfant. Tel est aussi l'avis de plusieurs exégètes, même rationalistes ou protestants. « L'esprit de tout le récit, et l'étonnement exprimé au sujet de l'accord des deux époux, nous fait préférer la supposition que le désir de la mère lui venait également d'une inspiration subite ». Reuss, Hist. Évangélique, p. 33. Nous partageons complètement cette antique opinion.
Luc 1.61 Ils lui dirent : "Il n'y a personne dans votre famille qui soit appelé de ce nom." 62 Et ils demandaient par signe à son père comment il voulait qu'on le nommât. - L'objection des assistants suppose qu'alors, comme de nos jours, il était d'usage d'imposer aux enfants le nom de l'un de leurs propres parents. Rebutés du côté de la mère, les amis trop empressés s'adressent à Zacharie lui‑même, et le prient de leur indiquer le nom qu'il a choisi pour son fils. De ce qu'ils lui adressent leur demande par signes, beaucoup d'exégètes anciens et modernes, entre autres S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, Jansénius, Maldonat, Lightfoot, Grotius, Alford, Plumptre, Abbott, ont conclu qu'il n'avait pas été seulement frappé de mutisme depuis l'apparition de l'ange, mais aussi de surdité. Nous dirons à la suite de plusieurs autres commentateurs que cette conclusion ne nous paraît pas suffisamment justifiée. On parle très souvent par signes aux personnes simplement muettes. Dans le cas actuel, un signe pouvait suffire, Zacharie ayant assisté à la délibération précédente. Au reste, l'ange, au v. 20, n'avait parlé que du mutisme, et, au v. 64, il n'est question que de « sa bouche s'ouvrit, sa langue se délia ».
Luc 1.63 S'étant fait apporter une tablette, il écrivit : "Jean est son nom" et tous furent dans l'étonnement. - Les Latins usaient de petites tablettes enduites de cire, sur lesquelles on écrivait au moyen d'un stylet ou poinçon d'acier, d'os ou d'autre matière. Ces planchettes étant primitivement en bois de pin. - Son nom est Jean. L'emploi du temps présent a ici quelque chose d'emphatique, d'énergique. La question n'est pas à discuter, veut dire Zacharie ; mon fils s'appelle Jean : il n'y a pas à s'occuper d'un autre nom pour lui. « Ce premier écrit du nouveau testament commence par le mot grâce » (allusion à la signification du nom de Jean). « Il déclara sur des tablettes, exprimant avec ses mains ce qu'il pensait, et prononçant le nom de son fils, non de la bouche, qui était muette, mais avec un poinçon dont il grava sur la cire, selon l'usage de ces anciens temps, ce que la voix même n'aurait pas pu déclarer d'une manière si éclatante » (Tertullien). Quand ils lurent les deux mots hébreux écrits par Zacharie, les assistants furent vivement surpris. Il s'étonnaient de voir Zacharie et Élisabeth complètement d'accord pour introduire un nom étranger dans leur famille.
Luc 1.64 Au même instant sa bouche s'ouvrit et sa langue se délia et il parlait, bénissant Dieu. - L'admiration de l'assemblée dut être à son comble lorsque, tout à coup, sa bouche s'ouvrit et sa langue se délia. Cette bouche avait été fermée d'une manière miraculeuse ; elle s'ouvre aussi par l'effet d'un miracle, et au moment même que l'ange avait prédit, v. 20. L'incrédulité avait enlevé à Zacharie l'usage de la parole ; c'est un acte de foi et d'obéissance qui le lui rend, comme le fait remarquer S. Ambroise. Il cesse d'être muet aussitôt qu'il a donné à son fils le nom prescrit par Dieu. De ces deux organes du langage mentionnés à la façon hébraïque par S. Luc, le premier est plus général, le second plus spécial. - Il parlait en bénissant Dieu. Zacharie consacre à Dieu les prémices de la faculté qu'il venait de recouvrer merveilleusement après un silence de neuf ou dix mois. Les hommages ici mentionnés ne sont autres que le cantique « Benedictus », dont la vraie place serait à cet endroit ; mais l'évangéliste l'a renvoyé un peu plus bas pour insérer, par mode de parenthèse, une note relative à l'impression que produisirent dans toute la contrée les miracles qui avaient accompagné la naissance du futur Précurseur. Telle est du moins l'opinion la plus naturelle et la plus commune. On n'a aucun motif sérieux de penser que Zacharie composa plus tard seulement, et pour ainsi dire à tête reposée, son cantique d'action de grâces, qui est au contraire, dans le même sens que le « Magnificat », une vive improvisation.
Luc 1.65 La crainte s'empara de tous les habitants d'alentour et partout dans les montagnes de la Judée, on racontait toutes ces merveilles.66 Tous ceux qui en entendirent parler les recueillirent dans leur cœur et ils disaient : "Que sera donc cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui." - La crainte s'empara … Il s'agit de ce mystérieux effroi dont sont presque toujours saisies les personnes témoins de phénomènes surnaturels. cf. Marc. 4, 41. Après avoir rempli tout le voisinage d'une sainte frayeur, le bruit des merveilles racontées ci‑dessus envahit peu à peu la contrée entière, les montagnes de la Judée (voyez le commentaire du v. 39). On en faisait l'objet de mutuels entretiens. - Ils les conservèrent dans leur cœur : Locution hébraïque, qui signifie « peser attentivement, prendre pour objet de la considération la plus attentive ». L'évangéliste nous fait entendre l'écho de ces profondes réflexions : Que pensez‑vous que sera cet enfant ? Évidemment, un enfant venu au monde en de pareilles conditions devait être prédestiné par Dieu à de grandes choses. Les mots suivants, car la main du Seigneur…, ne sont pas, comme on l'a quelquefois affirmé (Ewald, Kuinoel, Paulus, etc.), la continuation des réflexions populaires ; c'est un jugement personnel de S. Luc, destiné à appuyer, à justifier ces réflexions. On avait raison de parler ainsi, puisque la main du Seigneur (belle métaphore pour dire : la protection toute‑puissante de Dieu) était visiblement avec l'enfant.
Luc 1.67 Et Zacharie, son père, fut rempli de l'Esprit-Saint et il prophétisa, en disant : - Ces mots nous ramènent au v. 64 auquel ils servent de développement. Nous allons apprendre en effet la manière dont Zacharie, après avoir recouvré l'usage de la parole, se mit à louer et à remercier le Seigneur. Mais, ajoute l’évangéliste pour caractériser d'avance le « Benedictus », ses remerciements, ses louanges furent bien plus l’œuvre de Dieu que la sienne propre : ils lui furent inspirés d'en haut, il fut rempli du Saint‑Esprit. De tous les membres de cette saint famille il est dit qu'ils furent tour à tour remplis de l'Esprit‑Saint. cf. Les vv. 15 et 41. - Il prophétisa. Ce verbe désigne ici tout à la fois un oracle prophétique et un chant lyrique, enflammé, jaillissant du cœur comme les sources jaillissent des montagnes. Et tel est bien le cantique de Zacharie. C'est d'une part une prédiction surnaturelle, relative au rôle du Christ et de son Précurseur, et dans laquelle, a‑t‑on dit justement, « le père s'efface derrière le prophète », derrière le prêtre. C'est d'autre part un bel hymne religieux, une poésie sacrée en tous points conforme, comme le « Magnificat », aux lois de la versification hébraïque. Son style est aussi complètement hébreu, même sous le manteau grec dont S. Luc l'a revêtu ; à tel point que le plus modeste hébraïsant pourrait sans peine le reconstituer à peu près tel qu'il dût être prononcé. La construction est donc naturellement peu élégante dans nos traductions grecque et latine ; elle paraît même au premier regard assez enchevêtrée, les propositions étant rattachées l'une à l'autre par des infinitifs et des cas d'apposition, de manière à former seulement deux longues phrases continues. Mais, avec un peu d'attention, la clarté ne tarde pas à se faire ; il n'y a qu'à bien suivre chaque anneau de la chaîne. Le « Benedictus » a deux parties nettement indiquées. Dans la première, vv. 68-75, Zacharie remercie Dieu de l'avènement du Christ ; dans la seconde, vv. 76-79, il expose le rôle de son fils à l'égard de ce divin Rédempteur. Chaque partie peut se subdiviser en deux strophes : vv. 68-70, 71-75 ; 76-77, 78-79.
Luc 1.68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et racheté son peuple. - Première strophe de la première partie : Béni soit le Seigneur qui daigne enfin nous envoyer le Libérateur promis depuis longtemps. vv. 68-70. A l'Epepheta divin Zacharie répond par un joyeux Alléluia. Et cet alléluia, qu'il emprunte aux doxologies par lesquelles se terminent plusieurs livres du Psautier (cf. Psaume 40 ; héb. 41, 14 ; 71, héb. 72, 18 ; 105, héb. 106, 48), il l'adresse à Dieu, le Dieu d'Israël. Rien de plus naturel qu'une telle dédicace, puisque c'est Dieu qui envoie le Messie, puisque Israël doit jouir en premier lieu de la délivrance opérée par le Christ, enfin puisque c'est un prêtre juif qui chante ce cantique. Du reste, dans le « Benedictus », le salut messianique est envisagé exclusivement au point de vue de la nation privilégiée : il n'y est qu'indirectement question de la rédemption des païens. - Motif pour lequel le Seigneur est béni : Il a visité son peuple : par cette expression les écrivains de l'Ancien Testament désignent souvent un gracieux et puissant secours venu du ciel. Il a délivré son peuple : littéralement d'après le grec, il a fait une rançon pour son peuple. cf. Matth. 20, 28, où Jésus dira lui‑même qu'il est venu pour donner sa vie en rançon pour plusieurs. Les prétérits « a visité », « a racheté », « a suscité » sont à remarquer. Il semble en effet que le futur ou le présent conviendrait mieux, puisque la naissance du Précurseur est bien loin d'avoir accompli le salut d'Israël. Mais, dans cette naissance, Zacharie voit d'une manière anticipée la réalisation de l’œuvre entière du Messie. Ce sont donc là des « prétérits prophétiques », comme les nomment les grammairiens. cf. le v. 54.
Luc 1.69 Et qu'il a suscité une Force pour nous sauver, Dans la maison de David, son serviteur, - Le poète inspiré expose comment a eu lieu la rédemption de la nation choisie : Dieu lui a envoyé un protecteur invincible dans la personne du Messie. Littéralement : Dieu nous a suscité une corne de délivrance. La force de plusieurs espèces d'animaux réside en effet dans leurs cornes : munis de ces armes offensives et défensives, ils ne craignent aucun ennemi et affrontent tous les dangers. Cette métaphore revient assez fréquemment dans les saints Livres. cf. 1 Samuel 2, 10 ; Psaume 17, 3 ; 88, 18 ; 148, 16 ; Ecclésiastique 47, 8, etc. - Dans la maison de David son serviteur. Comme au v. 54, cf. Actes 4, 25. Dans un psaume messianique, 131, 17, le Seigneur promet de susciter « une corne » à David. Zacharie annonce que Dieu a tenu sa promesse : il nous montre la corne de salut érigée dans la maison, en d'autres termes, parmi les descendants du saint roi. De part et d'autre la corne symbolise le Christ.
Luc 1.70 Ainsi qu'il l'a promis par la bouche de ses saints, de ses prophètes, dès les temps anciens. - Mais ce n'est pas seulement à David que le Seigneur avait promis la rédemption de la nation juive par le Messie ; tous les prophètes avaient successivement prédit cette merveille de la miséricorde divine, comme le rappelle le père de S. Jean. En réalité, l'Ancien Testament, et surtout sa partie prophétique, se résume dans l'idée du Messie.
Luc 1.71 Pour nous sauver de nos ennemis et du pouvoir de tous ceux qui nous haïssent. - Les vv. 71-75 qui forment la seconde strophe de la première partie du Bénédictus, décrivent l’œuvre du Messie d'après ses traits principaux. Le salut chanté par Zacharie vient donc du Christ, et c'est à la nation juive qu'il est accordé. Mais quels sont les ennemis dont le Sauveur par excellence délivrera les Juifs ? Notons bien que l'auteur du cantique est un prêtre et non un simple patriote. Il ne serait donc pas naturel de supposer qu'il avait spécialement en vue les ennemis extérieurs et politiques de son peuple, les Romains par exemple ; sa pensée se portait d'une manière directe sur les ennemis spirituels des Juifs, les démons, le péché sous toutes ses formes. Voyez Théophylacte, Maldonat, etc. Ce n'est d'ailleurs qu'en ce sens que la prophétie de Zacharie s'est accomplie. Les mots ceux qui nous haïssent sont synonymes de nos ennemis. Cette répétition, due au parallélisme poétique, est très fréquente dans les écrits de l'Ancien Testament. cf. Psss. 17, 18, 41 ; 20, 9 ; 43, 11 ; 54, 13 ; 67, 2 ; 88, 24 ; 105, 10, etc.
Luc 1.72 Afin d'exercer sa miséricorde envers nos pères. Et de se souvenir de son pacte saint, - Pour exercer sa miséricorde envers nos pères : Hébraïsme que nous avons déjà rencontré au v. 58. En envoyant son Christ sur la terre, Dieu manifestera sa bonté infinie à l'égard du peuple juif, et particulièrement à l'égard des saints patriarches qui avaient été les fondateurs de la nation théocratique, nos pères (cf. v. 55). Ceux‑ci en effet, du fond des limbes où ils vivaient, désiraient ardemment la venue du Messie, soit pour eux‑mêmes, afin de pouvoir jouir complètement de Dieu dans le ciel, soit pour leurs descendants, dont les intérêts n'avaient pas cessé de leur être chers. Le Seigneur exercera donc envers eux une miséricorde réelle et personnelle. Luc de Bruges nous paraît exprimer l'idée de Zacharie d'une manière incomplète, lorsqu'il dit : « Je ne crois pas qu’il s’agisse ici du salut propre des pères. Mais, en regardant les pères, il a voulu montrer sa bienveillance sur leurs descendants. » - Et se souvenir de son alliance sainte. Le testament dont Dieu veut bien se souvenir pour en exécuter les clauses n'est autre que l'alliance solennellement contractée par lui avec Abraham, Isaac et Jacob, ainsi qu'il est dit au verset suivant.
Luc 1.73 selon le serment qu'il fit à Abraham, notre père, De nous accorder que, - Zacharie fait ici allusion à la circonstance racontée dans la Genèse, 22, 16-18. cf. Hébreux 6, 13 et 14.
Luc 1.74 sans crainte, Affranchis du pouvoir de nos ennemis, nous le servions, 75 avec une sainteté et une justice dignes de ses regards, tous les jours de notre vie. - Ces deux versets expriment le but principal de la Rédemption, qui était la gloire de Dieu procurée par des hommes menant une vie sainte et parfaite. - Sans crainte, mis en avant d'une manière emphatique, est ensuite développé par les mots délivrés de la main... (voyez le v. 71 et l'explication). - Servions désigne le culte divin dans son ensemble, ainsi qu'il ressort de l'expression plus énergique du texte grec. Quand on est sous l'impression de la crainte, en butte aux attaques incessantes de dangereux ennemis, généralement on ne sert pas aussi bien le Seigneur qu'au milieu du calme et de la paix. Mais le Messie apportera précisément cette paix et ce calme, de sorte qu'on pourra se livrer en toute liberté aux choses de Dieu. - La première partie du v. 75 désigne la manière dont les Juifs délivrés par le Christ pourront servir Dieu. La seconde partie indique la durée de ce service. Les mots sainteté et justice sont à peu près synonymes, bien qu'ils représentent des nuances différentes. Ces nuances sont assez difficiles à déterminer. D'après les uns, il faudrait voir dans la sainteté une qualité purement négative, l'absence de souillure, et dans la justice une qualité positive, le culte proprement dit. Selon d'autres, le premier substantif correspondrait à une disposition intérieure, le second à la conduite extérieure. Ou bien encore, la sainteté se rapporterait aux relations des hommes avec Dieu, la justice aux relations des hommes entre eux.
Luc 1.76 Quant à toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant la face du Seigneur, pour lui préparer les voies, - Avec cette belle apostrophe commence la seconde partie du cantique. - Première strophe, vv. 76 et 77 : rôle de S. Jean. - Et toi, petit enfant. Zacharie a attendu jusqu'à ce moment pour parler de son fils ; c'est que, dans les événements qu'il décrit, Jean ne doit paraître qu'au second plan, n'avoir qu'un rôle secondaire. - Tu seras appelé le prophète du Très‑Haut. De Jésus il avait été dit « il sera appelé Fils du Très‑Haut », v. 32 ; à Jean on n'assigne que la fonction de prophète. Noble fonction pourtant, dont le fidèle accomplissement lui valut un magnifique éloge de Jésus, Matth. 11, 9, et la confiance de toute la nation juive. - Tu marcheras devant la face du Seigneur. Zacharie indique par ces paroles la manière spéciale dont son fils sera le prophète du Très‑Haut. Il sera prophète en tant qu'il sera le précurseur du Messie, en tant qu'il annoncera la prochaine manifestation du divin Rédempteur et que, à la façon de l'Orient, il marchera devant lui comme un héraut, lui préparant en tous lieux une voie royale. Comp Isaïe 40, 3 ; Matth. 3, 3 et le commentaire. Du titre « Seigneur » attribué ici au Christ, on a légitimement conclu à la divinité de Jésus.
Luc 1.77 pour apprendre à son peuple à reconnaître le salut dans la rémission de leurs péchés : - En préparant les voies du Messie selon ce qui vient d'être dit, Jean procurera aux Juifs, peuple privilégié du Seigneur, « la science du salut » ; il leur apprendra comment ils pourront être sauvés. - Pour la rémission de leurs péchés. Ici encore, l'on voit combien sont pures les idées messianiques de Zacharie. La rédemption qu'il annonce ne sera pas politique et sociale ; avant tout elle sera spirituelle et religieuse : elle aura pour fin la justification des pécheurs. Sur la réalisation de cette prédiction par S. Jean‑Baptiste, cf. 3, 3 ; Matth. 3, 6 ; Marc. 1 , 4, 5. La strophe comprise dans les vv. 76 et 77 répond donc à cette question : Pourquoi le Messie devait‑il avoir un Précurseur ? La nation théocratique avait été égarée ; mille préjugés régnaient parmi elle touchant la personne et l’œuvre du Christ ; le péché l'enlaçait de toutes parts. Il fallait donc qu'elle fût instruite et purifiée, afin de se trouver prête quand viendrait son Libérateur.
Luc 1.78 par l'effet de la tendre miséricorde de notre Dieu, grâce à laquelle nous a visités, d'en haut, le Soleil levant, 79 pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix." - Seconde strophe de la seconde partie : Effets produits par la venue du Messie. - Ici plus que jamais il est manifeste que le Christ est l'objet principal, le commencement et la fin du cantique de Zacharie. S. Jean n'apparaît que d'une manière accessoire : on dit deux mots de lui, puis on revient immédiatement au Messie. Ces dernières paroles de Zacharie sont les plus belles et les plus fortes de son chant inspiré. - Par la tendre miséricorde… se rattache à « la rémission de leurs péchés », et signale la cause efficiente de la rémission des péchés, la source d'où découlera la grâce qui sanctifiera tant de coupables. Le sens spécial du mot « entrailles » (car sa tendre miséricorde est aussi traduit par « ses entrailles de miséricorde ») dans ce passage se retrouve chez tous les peuples cf. Colossiens 3, 12 Ainsi donc, comme élus de Dieu, saints et bien-aimés, revêtez-vous d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité, de douceur, de patience. - Le soleil levant nous a visités d'en haut. Quel beau nom donné au Messie. Plus tard Jésus lui‑même s'appellera la lumière, Jean 8, 12 ; 9, 5 ; le quatrième Évangile (1, 9) dira de lui : « Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme ». Ici on nous montre le Sauveur à son début sous la noble et gracieuse figure d'un soleil levant, qui promet une radieuse journée. Cette métaphore remonte d'ailleurs à l'Ancien Testament, où le Messie est plusieurs fois comparé à une brillante lumière : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière ; Sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre de la mort une lumière resplendit » (Isaïe 9, 2). L'astre du jour semble sortir de régions souterraines, mais le soleil de justice viendra d'en haut, du sein de Dieu. - Ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort représente d'une manière figurée les Juifs, dont l'état moral était alors si misérable. « L'ombre de la mort » est un synonyme énergique des ténèbres : les régions où règne la mort sont censées couvertes des ombres les plus noires. - Pour diriger nos pas… Continuation de l'image. Grâce au soleil du Messie, les pauvres voyageurs qui cherchaient jusque‑là péniblement leur route la trouveront sans peine, et c'est une route qui les conduira à la paix, au bonheur. Zacharie termine son hymne sacerdotal par cette douce perspective du salut dans le Messie. Comme Marie, il a chanté un abrégé de l'Évangile ; comme Marie, il a résumé les idées les plus saillantes de l'Ancien Testament relatives au Christ. Pas un mot de son cantique n'est tombé à terre ; tout s'est passé ainsi qu'il le prédisait, et le prêtre chrétien peut dire chaque jour avec plus de vérité que le prêtre juif père du Précurseur : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël qui visite et rachète son peuple ». - On a un beau « Benedictus » de Haydn.
Luc 1.80 Or l'enfant croissait et se fortifiait en esprit et il demeura dans le désert jusqu'au jour de sa manifestation devant Israël. - Ce verset résume les trente premières années du Précurseur. Malgré leur grande concision, les renseignements qu'il renferme suffisent pour nous montrer la manière dont Jean‑Baptiste fut préparé à ses hautes fonctions. - L'enfant croissait. Ce verbe indique la croissance physique de l'enfant. Quoique issu de parents affaiblis par l'âge, Jean, grâce à une bénédiction spéciale du Seigneur, devenait tous les jours plus robuste et se développait dans d'excellentes conditions. Sa croissance morale, marquée par les mots « et se fortifiait en esprit », n'était pas moins rapide, car Dieu se plaisait à l'honorer de toute sorte de dons. Et il demeura dans le désert. La solitude a‑t‑on dit, est la patrie des grands hommes. Ce fut la patrie de l'austère Jean‑Baptiste. Son exemple, Élie, avait vécu assez longtemps dans le désert ; pour lui, il y passa la plus grande partie de sa vie, n'ayant sans doute que de rares communications avec les hommes, et plongé tout entier en Dieu et dans les choses divines. On ignore l'âge exact auquel il quitta sa famille pour se retirer dans le désert ; mais ce dut être d'assez bonne heure. Le désert semble supposer que Jean n'avait pas de résidence fixe, mais qu'il passait d'une solitude à l'autre. Le désert de Juda, où S. Matthieu nous le montre au début de son ministère, était précisément entouré de plusieurs autres districts presque inhabités où il put se fixer tour à tour. Voyez notre commentaire S. Matth. p. 66. - Jusqu'au jour de sa manifestation. La manifestation de S. Jean‑Baptiste eut lieu quand il commença à se manifester d'une manière officielle comme le héraut et l'avant‑coureur du Messie, 3, 1-3. - Les Esséniens ayant, d'après le témoignage de Pline, Hist. Nat. 5, 17, plusieurs établissements dans le désert de Juda, il a été de mode dans un temps de prétendre que Jean‑Baptiste était entré en relations avec eux et avait adopté en partie leurs doctrines. Mais l'Essénisme du Précurseur est aujourd'hui abandonné par tous les critiques sérieux, aussi bien que l'Essénisme de Jésus (voyez S. Matth.). Jean fut formé directement par l'Esprit‑Saint ; il n'avait donc pas besoin de leçons humaines, surtout de leçons provenant d'une source qui était hérétique et schismatique au point de vue de la religion juive. - Parmi les nombreuses peintures composées en vue de reproduire quelque scène de la vie de S. Jean au désert, on signale au premier rang celles de Murillo et du Guerchin.
Les vv. 1 et 2 contiennent une note historique destinées à expliquer pourquoi Jésus ne naquit pas à Nazareth où vivaient sa Mère et son père nourricier, mais à Bethléem, bien loin de la Galilée. Ces lignes ont été l'objet de discussions renouvelées, de systèmes nombreux et, dans le camp rationaliste, d'accusations passionnées contre l'authenticité ou la véracité de ce passage de S. Luc. cf. Strauss, Vie de Jésus, § 31, t. 1, p. 232 et ss. Il n'est pas possible, dans un commentaire, de traiter à fond une question aussi compliquée ; nous indiquerons du moins les meilleurs principes de solution, et nous renvoyons le lecteur à H. Wallon, De la croyance due à l'Évangile, Paris, 1858, pp. 296-339.
Luc 2.1 En ces jours-là fut publié un édit de César Auguste, pour le recensement de toute la terre. - 1. En ces jours là. Cette date, vague en elle‑même (cf. Matth. 3, 1 et l'explication), est précisée par le contexte, 1, 26, 36, 56 ; 2, 6 et 7 ; elle nous ramène au v. 79 du chap. 1, par conséquent aux jours qui suivirent la naissance de Jean‑Baptiste. L'édit émanait de César Auguste, neveu du célèbre Jules César et le premier des empereurs romains. Il avait pour objet de recenser toute la terre. Cette expression représente parfois dans la Bible la seule Palestine, mais il n'est pas possible de lui donner ici avec Paulus, Kuinoel, Hug, etc., cette signification restreinte : la manière dont elle est rattachée au nom d'Auguste s'oppose à une telle interprétation. Il s'agit donc vraiment de l'empire romain, que les Latins appelaient fièrement le « disque de la terre » ; l'hyperbole n'avait au reste rien de trop exagéré, puisque la plus grande partie du monde connu subissait alors les lois de Rome. Par « recensement » il faut entendre l'action d'inscrire sur les registres civils le nom, l'âge, la condition, la fortune, la patrie de tous les habitants d'une contrée. cf. Polyb. 10, 7. L'évangéliste n'a donc pas voulu parler d'une simple opération cadastrale, comme l'ont cru Kuinoel, Olshausen, Ebrard, Wieseler, etc. - Le fait si clairement énoncé par l'évangéliste dans ce premier verset soulève déjà de grosses difficultés, parce que, nous dit‑on, 1° les historiens latins et grecs de l'époque gardent un silence absolu sur cet édit d'Auguste ; 2° le décret eût‑il été porté, il ne pouvait s'appliquer à la Judée, qui n'était pas encore province romaine au moment de la naissance de Jésus‑Christ puisqu'elle était gouvernée par Hérode. Pesons tour à tour ces deux objections : 1°) L'histoire profane fût‑elle entièrement muette sur l'édit signalé par S. Luc, son silence ne constituerait qu'une preuve négative, qui ne saurait infirmer le témoignage si formel de l'évangéliste. Les annalistes contemporaines omettent de la même manière les recensements opérés antérieurement par Jules César, et pourtant leur existence ne crée par le moindre doute. De plus, comment se fait‑il que Celse et Porphyre, ces ennemis si acharnés du Christianisme, qui se sont fait un malin plaisir de relever les prétendues contradictions ou erreurs des Évangiles, n'aient rien objecté contre ce passage de S. Luc ? Mais nous avons des raisons plus positives à alléguer. Comme l'admettent aujourd'hui les archéologues, les juristes et les historiens les plus distingués (Savigny, Huschke, Ritschl, Peterson, Marquardt, etc.), la compilation de rapports et de documents statistiques forme un des traits distinctifs de la politique d'Auguste. Des pièces importantes, dont nous possédons au moins quelques fragments, prouvent jusqu'à l'évidence que le premier empereur romain dût faire pendant son règne plusieurs opérations analogues à celle que signale S. Luc. A sa mort, lisons‑nous dans Suétone, Aug. C. CI., on trouva trois protocoles réunis à son testament. « Des trois volumes, un est consacré aux dispositions pour ses funérailles ; l’autre à un exposé des choses qu’il a faites, à être gravé sur des tables d’airain placées devant le mausolée ; le troisième à un résumé de son règne ». De l' « index rerum gestarum », il existe une copie célèbre, gravée à l'entrée du temple d'Ancyre en Galatie, qui avait été élevé en l'honneur d'Auguste) : il y est expressément question de trois recensements dont l'un eut lieu l'an de Rome 746, c'est‑à‑dire peu de temps avant la naissance de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ (voyez Wallon, l. c. p. 300 et ss. ; Bougaud, Jésus‑Christ, 2è édit. p. 158 et ss.). Le « Breviarium imperii » a disparu. Nous savons par les résumés qu'en donnent Tacite et Suétone de quelles matières il traitait : « C'était le tableau de la puissance publique : on y voyait combien de citoyens et d'alliés étaient en armes, le nombre des flottes, des royaumes, des provinces, l'état des tributs et des péages, l'aperçu des dépenses nécessaires et des gratifications » (Tacite, Annales, 1, 11). N'est‑il pas évident que, pour réunir toutes ces notions, il avait fallu faire des dénombrements dans toute l'étendue de l'empire et même chez les peuples alliés ? Ajoutons enfin que les historiens postérieurs confirment de la façon la plus positive les données de S. Luc, et certainement d'après des sources indépendantes de l'Évangile, puisqu'ils ajoutent les plus minutieux détails. « César Auguste, écrit Suidas, ayant choisi vingt hommes d'entre les plus excellents, les envoya dans toutes les contrées des peuples soumis, et leur fit faire l'enregistrement des hommes et des biens. » De même S. Isidore de Séville, Cassiodore, etc. Voyez Wallon, l. c., p. 305 et ss. - 2°) Au moment de la naissance de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, la Judée, il est vrai, n'était pas encore province romaine, et Hérode‑le‑Grand, qui la gouvernait, avait le titre de « Rex socius » ; mais cette apparence de liberté n'empêchait pas le pays et son chef d'être d'humbles vassaux de l'empire, comme le prouve l'histoire juive de ces temps. L'indépendance de la nation théocratique était alors purement nominale, et l'on ne voit pas ce qui eût empêché Auguste de dénombrer le peuple d'Israël si cela entrait dans ses vues. Qui ne sait qu'en pratique Hérode ne cessa d'agir comme un serviteur très obéissant d'Auguste ? Un jour qu'il avait montré quelques velléités de s'affranchir de cette sujétion absolue, l'empereur ne craignit pas de lui écrire que si « jusque‑là il l'avait traité en ami, désormais il le traiterait en sujet. ». Flavius Joseph, Ant. 16, 9, 3. D'ailleurs, un exemple positif, celui des « Clitae », petit peuple de Cilicie (Tacit. Ann. 6, 41), nous apprend que les Romains forçaient parfois les nations alliées de subir le recensement.
Luc 2.2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius commandait la Syrie. - Ce recensement fut le premier de ceux qu'opéra Cyrinus : l'écrivain sacré distingue donc plusieurs dénombrements opérés par Cyrinus (cf. Actes 5, 37) , et il affirme que celui dont il parle présentement fut le premier. - Gouverneur de Syrie. La Syrie était alors une province romaine (bornée au N. par le Taurus, à l'O. par la Méditerranée, avec Antioche pour capitale) ; or ; être chef d'une province, c'était être « proconsul ». Tel était donc le titre officiel du personnage que la Vulgate nomme Cyrinus, et qu'il serait plus exact d'appeler « Quirinus » car tel était son vrai nom latin. cf. Sueton. Tib. 49 ; Tac. Ann. 3, 48. Publius Sulpicius Quirinus, né à Lanuvium de parents obscurs, sut s'élever par son ardeur guerrière et son habileté dans les affaires jusqu'aux premières fonctions de l’État. Il fut consul en 742 (U.C.), obtint quelque temps après les honneurs du triomphe pour avoir soumis les farouches montagnards d'Homona en Pisidie, accompagna en 755 le jeune Caius César en Arménie comme conseiller, et gouverna la Syrie de 759 à 764. Mais c'est précisément cette dernière date qui crée à l'exégète la plus grande des difficultés contenues dans ce passage, puisque, d'après S. Luc, Quirinus aurait été proconsul de Syrie l'année même de la naissance du Sauveur, tandis que, d'après les historiens romains, il ne le serait devenu six ans plus tard. Les rationalistes les plus modérés concluent de là que le récit de S. Luc est « évidemment erroné « . Les autres crient au mythe, à la légende, à la duperie même. Comment résoudre ce problème ? Parmi les nombreux systèmes proposés, il en est d'une grande faiblesse, par exemple celui de Venema, Valckenaer, Kuinoel, Olshausen, etc., qui voudraient supprimer le v. 2 comme une interpolation, et en général tous ceux qui consistent à introduire quelque modification dans le texte. L'authenticité parfaite du v. 2 est trop bien démontrée pour que l'on puisse recourir à des conjectures aussi arbitraires. Mais les hypothèses sérieuses ne manquent pas. 1° Herwart, Bynaeus, Périzonius, le P. Pétau, D. Calmet, Huschke, Wieseler, Ernesti, Ewald, Haneberg et d'autres critiques traduisent : Ce dénombrement eut lieu avant que Quirinus fût gouverneur de la Syrie. Ils croient pouvoir justifier leur opinion à l'aide d'exemples assez nombreux, pris dans les auteurs soit sacrés soit classiques. 2° D'après Lardner et Münter, le titre de gouverneur serait donné à Quirinus par anticipation (ce premier dénombrement eut lieu sous la direction de Quirinus qui fut plus tard proconsul de Syrie), ou bien 3° il ne désignerait pas le proconsulat proprement dit, mais des pouvoirs extraordinaires en vertu desquels Quirinus aurait présidé au recensement de 75° (Casaubon, Grotius, Deyling, Sanclemente, Neander, Hug, Sepp, Schegg, etc.). On explique ainsi comment Tertullien, Adv. Marcion. 4, 19, attribue à Sentius Saturninus, gouverneur de Syrie quelque temps avant la naissance de Jésus, le recensement signalé en cet endroit par S. Luc, tandis que S. Justin dit à plusieurs reprises qu'il fut dirigé par Quirinus (Apol. 1, 34, 46 ; Dial. c. Tryph. 78). Nos deux écrivains ecclésiastiques auraient raison, puisque, dans ce système, Saturninus et Quirinus avaient présidé de concert au dénombrement. 4° Le recensement aurait été commencé en réalité vers 750 sous les ordres du proconsul d'alors ; mais, interrompu bientôt après par la mort d'Hérode, il n'aurait été repris et achevé que sous le gouvernement de Quirinus, quand la Judée perdit entièrement le peu d'indépendance qui lui restait (Paulus, J.P. Lange, van Oosterzee, Hales, Wallon, etc.). Pour donner plus de force à cette opinion, plusieurs de ses défenseurs changent le texte qui devient, en réunissant les vv. 1 et 2 : En ce temps‑là César Auguste porta un édit pour que tout l'empire fût dénombré ; mais l'entière exécution de ce décret n'eut lieu en Judée que sous le proconsulat de Quirinus. 5° Des calculs aussi savants qu'ingénieux de M. Zumpt (l. c.) ont rendu entièrement vraisemblable l'hypothèse d'après laquelle Quirinus aurait été proconsul de Syrie à deux reprises, une première fois entre P. Quinctilius Varus et M. Lollius, précisément vers l'époque de la Nativité du Sauveur, et une seconde fois de 759-764. Le rationaliste E. de Bunsen admet lui‑même la possibilité de ce fait (Chronology of the Bible, 1874, p. 70). S. Justin affirme d'ailleurs très formellement dans un des passages cités plus haut (Apol. 1, 46) que Jésus est né « sous Quirinus », c'est‑à‑dire sous le gouvernement de Quirinus. - Assurément, aucun des systèmes qui précèdent ne fait disparaître d'une manière absolue la difficulté que nous avons signalée, attendu qu'aucun d'eux n'est complètement certain ; du moins ils en fournissent tous une solution très raisonnable, spécialement les trois derniers. Ils suffisent dans tous les cas, pour démontrer que S. Luc ne s'est pas trompé et qu'il n'a pas faussé l'histoire. Mais admirons les exigences inouïes, nous ne voulons pas dire la mauvaise foi, de MM. les rationalistes à l'égard des écrivains sacrés. « Si nous trouvions dans Zonaras, ou dans Malalas, ou dans quelque autre compilateur byzantin un renseignement analogue à celui que nous fournit ici le troisième Évangile, nous le regarderions simplement comme une richesse précieuse pour la science historique, comme un complément des sources anciennes si souvent incomplètes. Pourquoi donc S. Luc serait‑il moins bien traité ? » Aberle, l. c., p. 102. cf. Wallon, l. c., p. 298, et l'Évang. Selon S. Matth. Nous en avons dit assez pour montrer qu'entre S. Luc, contemporain des événements qu'il raconte, et les critiques qui jugent ces mêmes faits à tant de siècles de distance, un homme raisonnable n'a pas de peine à faire son choix.
Luc 2.3 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. - Après avoir mentionné l'édit de César Auguste, v. 1, et nommé le commissaire impérial qui fut chargé de l'exécuter, v. 2, S. Luc expose rapidement la manière dont le recensement eut lieu dans les pays juifs. En effet, c'est à la Palestine que nous devons restreindre, d'après le contexte, l'application du v. 3. - Chacun dans sa ville. Chez les Juifs, la cité propre d'un chacun n'était ni celle de sa naissance, ni celle de son domicile ; c'était celle où avait été fondée la famille à laquelle il appartenait (voyez le v. 4). Tout Israélite était donc censé faire partie de la ville ou de la bourgade habitée primitivement pas ses ancêtres. Là du reste se conservaient les registres de la famille, et là aussi, pour ce motif, chaque citoyen venait faire contrôler son identité lorsqu'il y avait un dénombrement. Il est vrai que, suivant le droit romain, les inscriptions officielles de ce genre avaient lieu soit à la ville d'origine, soit à la résidence actuelle, et les rationalistes n'ont pas manqué d'accuser ici encore notre évangéliste d'incohérence et d'inexactitude ; mais, pour renverser cette nouvelle objection, il suffit de rappeler que les Romains, par politique, se pliaient souvent pour les détails non essentiels aux usages particuliers des peuples qu'ils avaient soumis. C'est donc conformément aux anciennes coutumes d'Israël que fut exécuté le présent édit d'Auguste. Voyez Wallon, l. c., pp. 334 et ss.
Luc 2.4 Joseph monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, appelée Bethléem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David, - De l'empereur romain, du proconsul de Syrie, du recensement des Juifs, nous arrivons, par des cercles de plus en plus restreints, à S. Joseph et à Marie. « Monter » était, dans la littérature juive, l'expression consacrée pour désigner un voyage à Jérusalem et aux alentours, parce que, de quelque côté que l'on vînt, il fallait monter avant d'y arriver. Voyez Matth. 20, 17. Les mots suivants, de Galilée … Bethléem, indiquent le point de départ et le terme du voyage des saints époux. De la Galilée Joseph et Marie se rendirent en Judée ; de la cité de Nazareth ils vinrent dans la cité de David, appelée Bethléem. Le trajet était long et pénible : du reste il diffère à peine de celui que la Mère de Dieu avait accompli quelques mois auparavant (voir la note de 1, 39), pour aller visiter sa cousine Élisabeth. Sur Bethléem, voyez l'Évangile selon S. Matth. p. 49. On appelait Bethléem la « cité de David » parce que le fondateur de la plus célèbre des dynasties juives y était né et y avait passé les années de sa jeunesse. cf. 1 Samuel 16, 1 ; 17, 12. - Il était de la maison et de la famille de David. cf. 1, 27. Les mots maison et famille sont à peu près synonymes dans ce passage : néanmoins, il est possible d'établir entre eux une légère différence, si l'on se reporte à l'antique organisation du peuple juif. Famille paraît correspondre aux grandes branches entre lesquelles se partageaient les tribus ; maison désignerait par métonymie les subdivisions de ces branches, c'est à dire les familles. La signification du premier de ces noms (famille) serait ainsi plus étendue que celle du second (maison). S. Luc les associe évidemment pour montrer que S. Joseph se rattachait de la façon la plus stricte à la race de David.
Luc 2.5 pour être recensé avec Marie son épouse, qui était enceinte. - Pour se faire enregistrer avec Marie son épouse. Marie était‑elle donc tenue de comparaître personnellement à Bethléem ? Beaucoup d'exégètes l'ont pensé à la suite de plusieurs Pères. Elle était, disent‑ils, fille unique et héritière, et en cette qualité, il fallait qu'elle vînt elle‑même se faire enregistrer. Selon d'autres, elle avait accompagné librement S. Joseph à Bethléem. Comprenant que « la Providence disposait ainsi des événements et qu'elle voulait que Jésus‑Christ naquît à Bethléem pour accomplis les prophéties qui l'avaient ainsi marqué » (Dom A. Calmet, h. l.), elle s'était mise généreusement en route, s'abandonnant sans réserve à la conduite de Dieu. Les mots son épouse décrivent avec une exquise délicatesse la condition actuelle de Marie. Elle était maintenant l'épouse de Joseph, leur mariage ayant été célébré quelque temps après qu'elle fut revenue d'Hébron (cf. Matth) mais elle était demeurée vierge comme une fiancée : de là cette surprenante association d'idées.
Luc 2.6 Or, pendant qu'ils étaient en ce lieu, le temps où elle devait enfanter s'accomplit. - En apparence, les saints époux étaient venus à Bethléem pour un motif banal, comme d'humbles citoyens qui obéissaient à un décret de l'empereur ; mais Dieu se sert des actions libres des hommes pour accomplir ses grands desseins. Sans qu'il s'en doutât, Auguste servait les intérêts du Royaume des Cieux. Sa signature au bas d'un édit avait contribué à la réalisation d'un ancien oracle. cf. Bossuet, Élévations sur les Mystères, 16è semaine, 5è Élévation. - Les jours où elle devait enfanter. Voyez 1, 57 et le commentaire. Tout porte à croire, d'après l'ensemble du récit, que l'enfantement de Marie eut lieu durant la première nuit qui suivit son arrivée à Bethléem. Alors, selon la magnifique expression de S. Paul, Galates 4, 4, sonna la plénitude des temps. « Quand vint la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, sous la loi. »
Luc 2.7 Et elle mit au monde son fils premier-né, l'enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie. - L'antiquité est unanime à le dire, la naissance de Jésus fut prodigieuse et surnaturelle comme sa conception. Marie le mit au monde sans douleur et sans cesser d'être vierge. « Vierge avant l’enfantement, pendant l’enfantement et après l’enfantement. » St. Augustin Serm. 123. Sur le mot « premier‑né » cf. Matthieu. Ainsi que l'a remarqué S. Cyrille, Jésus est nommé premier‑né à deux points de vue, comme fils de Dieu et comme fils de Marie ; il est donc fils unique dans le second cas tout aussi bien que dans le premier. - Elle l'enveloppa de langes. Avant de quitter Nazareth, Marie s'était munie de tout ce qui devait lui être nécessaire pour le divin Enfant qu'elle attendait. - Et le coucha dans une crèche. Dans les soins que la Vierge‑Mère rendit elle‑même à son fils, avec un mélange inénarrable de respect et de tendresse, nous aimons à voir, à la suite des anciens exégètes catholiques, une preuve de son enfantement miraculeux. « On tire de ce texte un argument non de peu de poids pour confirmer l’enseignement de l’église catholique à savoir que Marie a enfanté sans pratiquer une ouverture et sans douleur ». Maldonat. Il résulte en toute hypothèse de ce passage que le Christ est né dans une étable. Quel lieu d'origine et quel berceau. Mais, remarque Bossuet, 6è Élévation de la 17è semaine, « digne retraite pour celui qui dans le progrès de son âge devait dire : Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel, qui sont les familles les plus vagabondes du monde, ont leurs nids, tandis que le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête… Et à la lettre, dès sa naissance, il n'eut pas où reposer sa tête. ». Digne berceau, ajouterons‑nous, pour Celui qui devait mourir sur une croix. Jésus entre au monde comme il en sortira, dans la pauvreté et dans l'humiliation. On a souvent pensé que Jésus était né dans une étable déterminée par le contexte, c'est‑à‑dire dans celle qui appartenait à l'hôtellerie mentionnée plus bas. Aujourd'hui, c'est dans une grotte (surmontée d'une riche basilique que Sainte Hélène construisit en 327) qu'on montre au pèlerin ému le lieu consacré par la naissance de l'Homme‑Dieu ; et les écrivains protestants, d'ordinaire si peu respectueux pour ce qu'ils appellent des « traditions monacales », sont obligés de reconnaître que la crypte dite de la Nativité a des titres réels à notre vénération. Cette grotte est mentionnée dès le second siècle par S. Justin Mart., adv. Tryph. 78. Origène la signale également, contr. Cels. 1, 51 ; de même Eusèbe, Demonstr. Evang. 7, 2, Vita Const. 3, 43 ; de même S. Jérôme, lettre 49 ad Paul., qui passa dans une grotte voisine les dernières années de sa vie ; de même le Protévangile de S. Jacques, ch. 18. La petite chapelle de la nativité est toute entière revêtue de marbres précieux. En avant de l'autel, on lit sur une dalle blanche, ornée d'une étoile d'argent et surmontée de lampes nombreuses qui brûlent constamment, ces paroles : « Ici est né Jésus Christ de la Vierge Marie ». Heureux ceux qui se sont agenouillés en cet endroit béni. Quant au bœuf et à l'âne si souvent représentés auprès de la crèche de Jésus, il est sans doute permis de ne voir en eux qu'une application allégorique de divers passages des prophètes, notamment d'Isaïe, 1, 3, et d'Habacuc, 3, 2 d'après les Septante et l'Itala : « Tu seras connu au milieu de deux animaux »), par conséquent une pieuse et naïve légende. Néanmoins il est remarquable 1° que plusieurs Pères, et des plus autorisés, affirment en termes formels la présence de ces deux animaux, par exemple S. Pierre Chrysolog., serm. 156, 159 ; s. Jérôme, Ep. ad Eustoch. 108, al. 27, 10 ; S. Paulin de Nole, Ep. 31, al. 11, ad Sever., etc. (cf. L'Evang. Apocr. de Nativ. Mariae, c. 14) ; 2° que le bœuf et l'âne apparaissent sur les monuments les plus antiques de l'art chrétien. cf. Bottari, Roma sotterran. 22, 85, 86, 143. « On n’a pas pu jusqu’à présent repérer aucune de ces effigies antérieures au deuxième siècle, de laquelle les deux animaux auraient été absents ». A coup sûr une tradition si ancienne et si constante n'est pas sans valeur. Rien n'était plus naturel que la présence d'un bœuf et d'un âne dans une étable. - Sur la crèche conservée à Rome dans l'église de sainte Marie‑Majeure, voyez Rohault de Fleury, Mémoire sur les Instruments de la Passion de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, pp. 278 et ss. - Parce qu'il n'y avait pas de place pour eux… L'évangéliste indique par cette réflexion, à la fois simple et pathétique, pourquoi Marie et Joseph durent se réfugier dans une étable. Pour des notables on se serait peut‑être gêné afin de leur faire de la place ; mais aucun des premiers occupants ne voulut sacrifier de ses aises en faveur d'étrangers d'aussi pauvre apparence, et c'est ainsi que Jésus ne trouva en naissant d'autre abri qu'une étable, même dans le pays de ses royaux ancêtres. Du reste, dans cette même contrée, Ruth et David n'avaient‑ils pas mené la vie la plus humble, celle‑là glanant son pain dans les champs de Booz, Ruth, 2, 2 et ss., celui‑ci faisant paître les troupeaux de sa famille, 1 Samuel 16, 11 ? - Dans l'hôtellerie. Sous cette expression, une imagination d'Occidental voit une hôtellerie proprement dite, avec le confort plus ou moins grand qu'on y peut obtenir pour son argent ; mais nous sommes en Orient, et l'Orient, surtout alors, ne connaissait guère ce genre d'établissement. Il s'agit donc ici du kahn ou caravansérail que le voyageur trouve presque toujours dans les bourgades orientales, et où on lui fournit gratuitement, non pas les vivres dont il doit lui‑même s'occuper, mais le couvert, c'est‑à‑dire un simple abri. Un caravansérail consiste d'ordinaire en un bâtiment assez vaste, peu élevé, sans étages, grossièrement construit, qui devient bientôt peu propre. Chaque voyageur s'y installe à son gré ; en cas d’affluence, les derniers venus s'arrangent comme ils peuvent, et l'on comprend sans peine qu'à la veille d'un recensement l'hôtellerie publique de Bethléem regorgeât d'étrangers. - Admirons, avant d'aller plus loin, la simplicité du récit de S. Luc. Quelques lignes seulement pour raconter la naissance du Messie. Est‑ce ainsi qu'on aurait écrit un mythe ou une légende ? Lisez les Évangiles apocryphes et vous verrez la différence. C'est comme si l'on comparait à une belle nuit d'été, doucement éclairée par la lune, une décoration théâtrale illuminée à la chinoise. Et pourtant, malgré cette extrême concision, quelle beauté, quelle fraîcheur, quel pittoresque, quel charme vraiment divin. Il y a là, on l'a dit bien souvent, une preuve évidente d'authenticité et de véracité.
Luc 2.8 Il y avait aux environs des bergers qui passaient la nuit aux champs, veillant à la garde de leur troupeau. - Les premiers témoins, les premiers adorateurs du Christ sont humbles et pauvres comme sa mère, comme son père adoptif, comme le triste local où il est né. Jésus n'appelle pas à sa crèche des membres du Sanhédrin, des prêtres, des scribes ou des docteurs, mais des bergers. « Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes… afin, comme il est écrit, Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur. » 1 Corinthiens 1, 27 et ss. cf. Matth. 11, 25 ; Luc. 10, 21. Les représentants du paganisme auprès du berceau de l'Enfant‑Dieu seront néanmoins plus nobles et plus illustres. Mais il y avait dans la nation juive, tant d'orgueilleux préjugés relativement au Messie, et le Seigneur voulait lutter contre eux dès l'abord. - On ne possède aucun détail sur les heureux bergers en faveur desquels eut lieu la première manifestation du Christ. Nul doute cependant qu'ils n'aient compté parmi ces âmes fidèles qui attendaient alors avec une sainte impatience « la consolation d'Israël ». Voyez le v. 38. La légende suppose qu'ils étaient au nombre de quatre et qu'ils s'appelaient Misaël, Achéel, Cyriacus et Stephanus. - Aux environs, c'est‑à‑dire aux alentours de Bethléem. D'après une tradition tout‑à‑fait vénérable, c'est sur le territoire du village actuel de Bet‑Sahour, dans une petite plaine riante, chaude et fertile, remplie d'excellents pâturages où l'on engraissait autrefois les troupeaux destinés aux sacrifices du temple, et située au pied et à l'est de la colline sur laquelle s'élève Bethléem, que se tenaient les pasteurs quand l'ange leur apparut. - Qui passaient la nuit aux champs. Il y avait quatre divisions de la nuit chez les anciens (de 6h du soir à 9h, de 9 à 12, de 12 à 3, de 3 à 6h. Du matin) : les pasteurs veillaient donc à tour de rôle et se remplaçaient probablement toutes les trois heures. Ce détail pittoresque de l'évangéliste, qui nous montre bergers et troupeaux dans les champs au cœur de la nuit de Noël, a souvent servi de point de départ à des attaques parfois assez violentes contre la date traditionnelle du 25 décembre. Nous avons dit ailleurs (Introduction générale, chronologie des Évangiles) ce qu'il faut penser de cette date : mais l'objection présente est sans aucune portée, car il résulte d'observations faites par de nombreux voyageurs qu'à la suite des premières pluies, on a fréquemment en Palestine, vers la fin de décembre et le commencement de janvier, une température douce et agréable. L'herbe commence à croître et, même la nuit, l'on rencontre beaucoup de troupeaux dans les champs.
Luc 2.9 Tout à coup un ange du Seigneur parut auprès d'eux et le rayonnement de la gloire du Seigneur les environna et ils furent saisis d'une grande crainte. - Un ange du Seigneur. Cet ange, comme l'ont cru plusieurs anciens, était probablement S. Gabriel, que nous avons vu plus haut constamment mêlé au mystère de l'Incarnation. Le verbe parut indique le caractère soudain, la rapidité de l'apparition. cf. 24, 4 ; Actes 12, 7. Une lumière divine resplendit : l'éclat vif et mystérieux qui accompagne presque toujours les théophanies formait autour de l'ange un nimbe éblouissant. - Ils furent saisis de crainte : l'impression si souvent mentionnée dans les Saints Livres quand ils nous montrent l'homme en contact immédiat avec le divin.
Luc 2.10 Mais l'ange leur dit : "Ne craignez pas, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple une grande joie. - Après avoir rassuré les bergers par la phrase usitée en pareil cas, l'ange leur annonce la bonne nouvelle par excellence. L'Évangile va vraiment retentir au monde pour la première fois, car si les Prophètes, parlant du Christ, ont crié fréquemment : Il naîtra. Désormais on peut dire : Il est né. Voilà pourquoi le messager céleste annonce aux bergers que la nouvelle dont il est le porteur sera le sujet d'une grande joie, non seulement pour eux, mais pour tout le peuple juif, dont ils faisaient partie, et auquel le Messie avait été spécialement promis. Ce sens restreint des mots à tout le peuple est exigé par le contexte.
Luc 2. 11 Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. - Il vous est né… Ce pronom est emphatique. Isaïe avait dit autrefois de la même manière par anticipation, 9, 6 : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné ». Jésus est né pour tous les hommes et pour chacun d'eux en particulier. Il était donc né pour les bergers de Bethléem. - Un Sauveur. L'ange n'indiqua pas aux bergers le nom du divin Enfant : il le leur désigna du moins par une expression équivalente, puisque Jésus signifie Sauveur. - Qui est le Christ Seigneur. « Nom magnifique », s'écrie à bon droit Bengel, Gnomon, h. l. Le Christ Seigneur, cela veut dire en effet « le Christ YHWH », par conséquent « le Christ Dieu ». cf. Actes 2, 36. On le voit, les paroles de l'ange aux pasteurs, comme précédemment celles de Gabriel à Marie, 1, 31-32, contiennent une définition populaire du Messie : elles annoncent le Sauveur et le Seigneur par antonomase, qui est né, ainsi que l'avaient annoncé les prophètes, dans la ville de David. Même des bergers pouvaient comprendre, et ils comprirent, ainsi que le dira la suite du récit.
Luc 2.12 Et voici ce qui vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche." - De même que Marie, les pasteurs reçoivent un signe sans l'avoir demandé. Les anciens exégètes ont souvent discuté sur la nature de ce signe. Était‑ce un moyen par lequel les bergers pourraient contrôler la véracité de l'ange (Euthymius, Maldonat, Schegg, etc.), ou une note qui servirait à faire reconnaître Jésus entre tous les autres enfants (Jansénius) ? C'étaient ces deux signes à la fois, répondrons‑nous avec Luc de Bruges : « L’ange donne ici un signe ambigu, mais quand même distinctif ». Mais quel contraste entre cet indice et la nouvelle donnée plus haut. - Vous trouverez un nouveau-né : cet enfant sera couché dans une crèche. De ses premiers adorateurs Jésus exige la foi, comme il l'exigera de tous les suivants. Le signe donné par l'ange suffisait d'ailleurs amplement pour distinguer le fils de Marie. Cette nuit‑là il n'était probablement pas né d'autre enfant dans la petite bourgade de Bethléem ; à coup sûr un seul était né dans une étable et reposait dans une crèche.
Luc 2.13 Au même instant, se joignit à l'ange une troupe de la milice céleste, louant Dieu et disant : - A peine l'ange avait‑il cessé de parler, qu'on entendit retentir dans les airs le « Gloire à Dieu », chanté par une multitude d'autres esprits célestes. Le premier messager ne disparut pas, une troupe de l'armée céleste se joignit à lui, formant un chœur dont il était le chef de chœur. - Louant Dieu. Les anges avaient chanté la première création, Job. 38, 7 ; il était bien juste qu'ils chantassent la seconde, d'autant mieux que le Seigneur leur en avait fait un commandement exprès, Hébreux 1, 6. D'ailleurs leurs Noël n'est pas moins la fête du ciel que celle de la terre ; c'est pour cela que les anges manifestent leur joie par un hymne de louanges.
Luc 2.14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur terre paix aux hommes de bonne volonté" - Le cantique de l'armée céleste est tout‑à‑fait expressif dans sa brièveté. C'est une doxologie sublime, qui résume admirablement les avantages de l'Incarnation du Verbe. Comme le chant des Séraphins devant le trône de Dieu, Isaïe 6, 3, il se compose de deux notes, dont l'une s'adresse au Seigneur, tandis que l'autre concerne la terre. - Première note : Gloire à Dieu au plus haut des cieux. A celui qui réside dans les régions supérieures du ciel, la naissance du Christ procurera la gloire, une gloire qui est en corrélation parfaite avec sa grandeur infinie. Seconde note : Et sur la terre paix aux hommes…. Aux hommes qui vivent sur la terre, la nativité de Jésus apporte la paix, c'est‑à‑dire le bonheur pour ce monde et pour l'autre. cf. 1, 79. Depuis longtemps il avait été prédit que le Messie donnerait la paix à notre pauvre terre si troublée (cf. Isaïe 2, 4 ; 9, 6-7 ; 11, 6-9, etc.) ; les écrits du Nouveau Testament disent en termes formels que ces divins oracles ont été accomplis (cf. Jean 14, 27 ; Éphésiens 2, 14, 17 ; Colossiens 1, 20 ; Romains 5, 1, etc.). Cependant, ce ne sont pas tous les hommes qui jouiront de la paix messianique ; elle ne sera vraiment accordée qu'aux hommes de bonne volonté, et il faut voir sous ces deux mots la bonne volonté divine, la bienveillance, l'amour du Seigneur envers nous, et non la bonne volonté humaine, les saintes dispositions des hommes envers Dieu. cf. Psaume 5, 13 ; 50, 20 ; Philippiens 2, 13. L'expression « hommes de bonne volonté » est donc opposée à « enfants de colère » (Éphésiens 2, 3) ; elle désigne, comme le dit Bossuet, les hommes chéris du ciel. - Il règne entre les deux parties de la symphonie angélique un parallélisme parfait : « paix » correspond à « gloire », « sur terre » à « haut des cieux », « hommes de bonne volonté » à « Dieu ». Maldonat a dans son commentaire une excellent explication du cantique des anges.
Luc 2.15 Lorsque les anges, remontant au ciel, les eurent quittés, les bergers se dirent les uns aux autres : "Passons jusqu'à Bethléem et voyons cet événement qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait savoir." - Après leur céleste concert, les anges disparurent aussi subitement qu'ils s'étaient montrés. Mais leur manifestation avait produit l'effet voulu par Dieu, et l'évangéliste, revenant aux pasteurs, nous les montre pleins de foi, admirablement dociles à la grâce, et se motivant les uns les autres à partir en toute hâte pour la ville afin de voir l'Enfant divin qui leur est né. De la plaine où demeuraient les pasteurs (voyez la note du v. 8) il fallait environ vingt minutes pour se rendre sur la colline que domine Bethléem.
Luc 2.16 Ils s'y rendirent en toute hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. - Sans tarder, ils exécutent leur projet : ils arrivent dans la ville, trouvent l'étable, et, dans l'étable, l'Enfant divin couché dans une crèche comme l'avait annoncé l'ange, et entouré de Marie et de Joseph. Selon d'autres (Olshausen, etc.), les bergers se seraient dirigés tout droit vers l'étable, guidés par une grâce secrète.
Luc 2.17 Après l'avoir vu, ils racontèrent la révélation qui leur avait été faite au sujet de cet Enfant. - Après avoir trouvé les choses telles qu'elles leur avaient été prédites, les bergers « découvrirent dans les faits qu’étaient vraies les choses que les anges leur avaient dites » (Maldonat), et reconnurent leur Sauveur dans le petit enfant de la crèche. Les bergers de Bethléem deviennent les premiers prédicateurs de l'Évangile. « Il fallait, dit Bossuet, 11è Elévat. de la 16è semaine, de tels témoins à celui qui devait choisir des pêcheurs pour être ses premiers disciples et les docteurs futurs de son Église. Tout est, pour ainsi parler, de même nature dans les mystères de Jésus‑Christ ».
Luc 2.18 Et tous ceux qui les entendirent furent dans l'admiration de ce que leur disaient les bergers. - L'humble cercle auquel les bergers firent part des merveilles que Dieu leur avait révélées fut naturellement saisi d'étonnement, d'admiration. Plusieurs crurent sans doute et allèrent à leur tour visiter l'Enfant‑Dieu. Tout porte à croire néanmoins que leur nombre fut très restreint, puisque le souvenir de Jésus semble s'être bientôt effacé à Bethléem, de même qu'il s'effaça plus tard à Jérusalem malgré les événements extraordinaires qui accompagnèrent la Présentation (vv. 25-38).
Luc 2.19 Or Marie conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son cœur. - S. Luc intercale ici, relativement à Marie, un détail précieux et ravissant, qui nous ouvre de vastes horizons sur cette âme admirable : Marie conservait toutes ces choses (tant de choses étonnantes dont elle était témoin, ou bien, les récits qu'elle tenait des bergers). C'est un splendide portrait en quelques mots. La Vierge bénie ne perdait pas sa tranquillité intérieure parmi les grands événements qui se passaient autour d'elle. Recueillie en Dieu, elle observait attentivement les miracles de tout genre qui avaient lieu au sujet de son Fils et en son Fils : aucun fait, aucune parole ne lui échappait, et, de ses souvenirs, elle composait un trésor sacré qu'elle transmit plus tard aux disciples, peut‑être directement à S. Luc (voyez la Préface § 3). Combinant entre elles les moindres circonstances, elle faisait en quelque sorte la philosophie de l'histoire de Jésus. Quelle profondeur sans ses sereines contemplations. Mais l'évangéliste ne dit pas qu'elle ait parlé, quoiqu'elle eût à révéler tant de miracles. Car « sa bouche était chaste comme son cœur » (S. Ambroise), et « les grandes choses que Dieu fait au‑dedans de ses créatures opèrent naturellement le silence, le saisissement, et je ne sais quoi de divin, qui supprime toute expression » (Bossuet, l. c., 12è Elévat.).
Luc 2.20 Et les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu de tout ce qu'ils avaient vu et entendu, selon ce qui leur avait été annoncé. - Après les vv. 17-19, qui forment une sorte de parenthèse, S. Luc reprend la suite du récit et expose quels furent les sentiments des bergers à leur sortie de l'étable. Glorifiant et louant Dieu : ces mots résument tout ce qui se passait dans leur cœur. Ils glorifient, c'est‑à‑dire qu'ils proclament la grandeur dont Dieu faisait preuve dans les mystères qu'ils avaient contemplés ; ils louent, c'est‑à‑dire qu'ils chantent sa bonté non moins éclatante. Leur reconnaissance avait pour objet et ce qu'ils avaient entendu de la part des anges (selon d'autres, de la part de Marie et de Joseph), et ce qu'ils avaient vu à Bethléem, vision si conforme à la prédiction angélique.
Autour des mystères de Noël racontés dans ces vingt versets, l'art plastique, la poésie et l'éloquence ont tressé une couronne impérissable. Signalons les principaux chefs d’œuvre. Ce sont, pour la peinture, les tableaux de Filippo Lippi, du Pérugin, de Lorenzo di Credi, d'Albert Durer, de Botticelli, d'Ercole Grandi, de Raphaël, et surtout du Corrège (la célèbre « Notte ») ; pour la poésie, les hymnes « A solis ortus cardine » de Sédulius, « Jesu, redemptor omnium » d'un auteur inconnu, « Quid est quod arctum circulum » de Prudence, « Agnoscet omne saeculum » de Fortunat, la gracieuse séquence « Adeste fideles », mille « Noëls » ou cantiques tantôt simples et naïfs, tantôt relevés et sublimes, les odes de Milton, de Pope, de Métastase, de Manzoni, etc. ; pour l'éloquence, les sermons de Bossuet, de Bourdaloue et de Massillon.
Luc 2.21 Les huit jours étant accomplis, pour la circoncision de l'Enfant, il fut appelé Jésus, nom que l'ange lui avait donné avant qu'il eût été conçu dans le sein maternel. A peine né de la femme, comme s'exprime S. Paul, Gal. 4, 4, Jésus est soumis à la loi. Cf. Romains 8, 3 ; Hebreux 2, 17. A peine son sang est‑il formé, qu'il en verse pour nous les premières gouttes en attendant qu'il le répande abondamment pendant sa Passion. - On lui donna le nom de Jésus. L'évangéliste ne mentionne pas directement le fait de la circoncision du Sauveur, auquel il n'attachait qu'une importance secondaire ; le principal pour lui était l'imposition du nom, ordinairement associée à cette sanglante cérémonie (voir 1 , 59 et l'explication), et c'est sur ce second point qu'il insiste surtout. Notre‑Seigneur reçut donc alors pour la première fois le nom sacré de Jésus, Yeshoua en Hébreux, nom de tout temps cher aux Juifs, parce qu'il leur rappelait Josué, l'illustre capitaine, qui avait conquis la terre promise, et le grand‑prêtre qui en avait repris possession après l'exil de Babylone (cf. Esdr. 2, 2 ; 3, 2 ; Zacharie 3, 1) ; nom plus cher encore aux chrétiens, pour lesquels il est, suivant le mot si juste de S. Bernard, « miel dans la bouche, mélodie dans les oreilles, joie dans le cœur ». Philon, de Mutat. Nom. § 21, en donne le véritable sens : salut du Seigneur. - Que l'ange lui avait donné… cf. 1, 31. - « Nous autres chrétiens, nous avons le baptême, rite plein de grâce et dégagé de toute souffrance. Nous devons néanmoins pratiquer la circoncision du cœur ». S. Bonavent. Vita Christi, 5. Tableaux de Guerchin, de Barbieri, du Parmesan.
Luc 2.22 Puis, lorsque les jours de leur purification furent accomplis, selon la loi de Moïse, Marie et Joseph portèrent l'Enfant à Jérusalem pour le présenter au Seigneur 23 suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur : "Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur," 24 et pour offrir en sacrifice, ainsi que le prescrit la loi du Seigneur, une paire de tourterelles, ou deux petites colombes. - Les trois versets par lesquels S. Luc ouvre ce nouvel épisode de l'Enfance du Sauveur résument, d'une manière un peu obscure à force d'être concise, deux lois et deux cérémonies bien distinctes du Judaïsme. La première regardait les mères et leur prescrivait, après chaque enfantement, une purification spéciale, qui devait les délivrer de la souillure légale qu'elles avaient contractée ; c'est d'elle qu'il s'agit au v. 24 et au commencement du v. 22. La seconde concernait les premiers‑nés, quand c'étaient des enfants mâles, et enjoignait à leurs parents de les présenter au Seigneur, et de les racheter moyennant une somme déterminée : c'est d'elle qu'il est question à la fin du v. 22 et au v. 23. - Lorsque les jours de leur purification furent accomplis. La purification s'applique à Marie puisque c'était aux mères, et non aux enfants, que la loi juive imposait une purification. Joseph n'était tenu à aucune purification cérémoniale, mais c'est lui que regardait, comme père adoptif, la présentation de l'Enfant : c'est pour cela que l'évangéliste applique collectivement aux saints époux ce qui les regardait isolément ; il les traite comme une personne morale. - Selon la loi de Moïse. Voyez le chap. 12 du Lévitique, qui est traite tout entier de cette matière. L'impureté légale des mères ne durait à proprement parler que sept ou quatorze jours, selon qu'elles avaient enfanté un fils ou une fille ; mais, ce temps écoulé, elles devaient encore attendre 33 ou 66 jours avant de se présenter au temple. Elles n'étaient donc complètement purifiées que le 40è ou le 80è jour, à la suite de la cérémonie religieuse. Ainsi, les « jours de la purification » mentionnés ici par S. Luc représentent les quarante premiers jours qui s'écoulèrent après Noël. - Ils le portèrent à Jérusalem. La distance qui sépare Bethléem de la capitale juive est d'environ neuf kilomètres). Nous passons ici à la seconde loi, qui regardait les premiers‑nés. D'après une disposition antérieure de Dieu, tout enfant mâle premier né devait, en sa qualité de prémices, appartenir au Seigneur et le servir toute sa vie comme prêtre. Mais, plus tard, Dieu modifia cette loi quand il confia exclusivement les soins du culte à la tribu de Lévi : il exigea seulement que les premiers‑nés lui fussent offerts dans le temple, en signe de son domaine sur tout leur être, et il permit aux parents de les racheter moyennant l'offrande de cinq sicles, qui étaient jetés dans le trésor des Lévites. La cérémonie de la présentation ne se renouvelait pas pour les autres fils ; elle n'avait même lieu à l'égard du premier‑né que lorsqu'il était propre à la fonction de prêtre. S'il venait au monde avec quelqu'une des difformités corporelles qui, d'après le rituel mosaïque, excluaient les Lévites eux‑mêmes des fonctions saintes, il n'avait pas à être présenté au Seigneur, non plus qu'à être racheté cf. Exode 3, 2, 12-15 ; Nombres 8, 16-18 ; 18, 15-16. La citation de la loi au v. 23 est faite d'une manière assez libre, comme il arrive parfois aux écrivains du Nouveau Testament. - Consacré au Seigneur : chose sainte pour le Seigneur. La signification primitive du mot Saint est : mettre en réserve, séparer. - Et pour offrir en sacrifice. Ici, l'évangéliste nous ramène à la purification de Marie et au sacrifice qui devait accompagner ce rite. « La mère apportera au tabernacle du témoignage un agneau d'un an pour l'holocauste et une jeune colombe ou une tourterelle pour le sacrifice expiatoire. Elle les donnera au prêtre, qui les offrira devant le Seigneur et qui priera pour elle : c'est ainsi qu'elle sera purifiée… Si une femme ne peut faire la dépense d'un agneau, elle prendra deux tourterelles ou deux petits de colombes, l'un pour l'holocauste et l'autre pour le sacrifice expiatoire. » Lévitique 12, 6-8. Tel est le texte complet de la loi. S. Luc n'en cite que la dernière partie, indiquant par là même que le sacrifice de Marie fut celui des pauvres. - Est‑il besoin d'ajouter ici, à la suite des Pères et des anciens exégètes, que les deux préceptes mentionnés par S. Luc n'obligeaient ni Jésus, ni Marie ? La mère du Christ avait enfanté en dehors de toutes les règles ordinaires de la nature ; aux termes mêmes de la loi mosaïque elle était exempte de la purification ordinaire. Quant au divin Enfant, puisqu'il n'était autre que Dieu, le législateur d'Israël, il est manifeste qu'il ne tombait pas sous ses propres décrets (cf. S. Hilaire, Hom. 17 in Evangel.) Ils n'hésitèrent pas néanmoins à se soumettre à ces prescriptions humiliantes. « O profondeur de la sagesse et de la science de Dieu ! Celui qui est l’auteur de la loi comme Dieu l’a observée comme homme » S. Cyrille (Cat. Graec.). L'humilité, l'obéissance, ont toujours été les vertus caractéristiques de Jésus et de Marie.
Luc 2.25 Or, il y avait à Jérusalem un homme nommé Siméon, c'était un homme juste et craignant Dieu, qui attendait la consolation d'Israël et l'Esprit-Saint était sur lui. - S. Luc ne donne aucun détail sur le fait même de la purification de la Sainte Vierge et de la présentation de Jésus ; mais, en revanche, il s'arrête avec amour sur deux incidents, non moins significatifs que pittoresques, qui arrivèrent en ce beau jour. Le premier incident place tout‑à‑coup S. Siméon au centre du tableau : Qu'était cet habitant pieux de Jérusalem ? On a parfois essayé de l'identifier avec divers personnages de l'histoire juive, qui portaient également le nom alors si commun de Schiméôn, en particulier avec Rabbi Siméon, président du Sanhédrin vers l'an 13 de l'ère chrétienne, fils du célèbre Hillel et père du non moins célèbre Gamaliel. D'autres en ont fait un grand‑prêtre, à la suite de l'Évangile apocryphe de Nicodème, ch. 16. Mais toutes ces conjectures sont dénuées de fondements historiques. Il est d'ailleurs invraisemblable que S. Luc eût simplement désigné un grand‑prêtre ou un grand président par le mot homme. Une tradition très légitime, appuyée sur le texte évangélique (cf. Les vv. 26 et 29), fait de Siméon un vieillard, non toutefois nécessairement un vieillard décrépit, comme le veut la littérature apocryphe. Du reste, si l'écrivain sacré ne nous dit rien de la situation extérieure de S. Siméon, il trace en quelques lignes un magnifique portrait moral de son héros. C'était un homme juste et craignant Dieu, un homme parfait au point de vue de la religion juive. C'était surtout un homme de foi qui, au milieu des humiliations de son peuple, n'avait oublié ni les promesses faites aux patriarches, ni les prophéties successifs des prophètes relativement au Messie : Il attendait la consolation d'Israël, c'est à dire le grand libérateur, consolateur par excellence, celui auquel Isaïe, 61, 1-3, prête ce langage : « L'esprit du Seigneur, l'Éternel, est sur moi...Il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé...Pour accorder aux affligés de Sion, pour leur donner un diadème au lieu de la cendre, une huile de joie au lieu du deuil, un vêtement de louange au lieu d'un esprit abattu ». La justice, la piété et la foi de Siméon avaient en quelque sorte fixé l'Esprit Saint dans son cœur : l'Esprit Saint était en lui. Cet imparfait, comme le font remarquer les commentateurs, désigne une habitation permanente de l'Esprit de Dieu, et pas un simple séjour transitoire.
Luc 2.26 L'Esprit-Saint lui avait révélé qu'il ne mourrait pas avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. - Dans un de ces moments d'intime et suave union qui accompagnent souvent la résidence du Saint‑Esprit dans une âme, il avait été clairement révélé à Siméon qu'il aurait le bonheur de voir le Christ avant de mourir. L'antithèse du divin oracle est à remarquer : Il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ. Dans le quatrième Évangile, 8, 51, il est aussi question de « voir la mort ». cf. Psaume 88, 48. - Le Christ du Seigneur : non plus le Christ Dieu, comme au v. 11, mais le Christ de Dieu, c'est‑à‑dire envoyé, donné par le Seigneur.
Luc 2.27 Il vint donc dans le temple, poussé par l'Esprit. Et comme les parents apportaient le petit Enfant Jésus, pour observer les coutumes légales à son égard, - Il vint au temple poussé par l'Esprit, par suite d'une impulsion irrésistible qui provenait du Saint Esprit. cf. Matth. 22, 43. La promesse céleste allait enfin se réaliser pour Siméon. - Comme les parents de l'enfant Jésus l'apportaient. Les rationalistes ont prétendu qu'il existe une contradiction entre le mot parents et la pensée antérieure du récit de S. Luc (1, 34 et ss.) ; mais les protestants eux‑mêmes se chargent de les réfuter. « Quelle critique. Le mot parents est employé tout simplement comme désignant la qualité en laquelle Joseph et Marie paraissaient en ce moment dans le temple et présentaient l'enfant » (Godet). Quand le vieillard Siméon rejoignit les saints époux, ceux‑ci franchissaient donc la porte du temple pour offrir Notre‑Seigneur Jésus‑Christ au Dieu d'Israël et payer sa rançon. Il suit de là que Marie avait été purifiée tout d'abord, car l'accès du temple lui était interdit tant qu'elle n'aurait pas été lavée de la tache légale dont elle était censée atteinte comme les mères ordinaires. Le prêtre de semaine était venu la trouver à la porte de Nicanor, ou de l'Est, réservée à cette sorte de cérémonie, et avait accompli sur elle les rites habituels. Rien n'empêchait désormais la mère du Christ d'offrir elle‑même son Fils au Père céleste.
Luc 2.28 lui aussi, il le reçut entre ses bras et bénit Dieu en disant : - Depuis son Incarnation, Jésus avait eu divers témoins, qui avaient proclamé son entrée dans le monde et chanté sa Rédemption : au ciel les anges, sur la terre Élisabeth, Jean‑Baptiste, Zacharie, les pasteurs de Bethléem. Il en complète aujourd'hui le nombre. « Tous les âges et tous les sexes ont foi dans les événements miraculeux : une vierge enfante, une stérile engendre, un muet parle, Elizabeth prophétise…celui qui est enfermé dans un utérus exulte, la veuve est secourue, le juste attend… ». S. Ambr., Expos. In Luc. h. l. Siméon, dans son extase, arracha donc doucement l'enfant des bras de Marie ou de Joseph pour le presser dans les siens. « Bienheureuses mains qui ont touché le Verbe de vie, et les bras préparés pour le recevoir ! » S. Greg. Nyss. in Cat. S. Thom. Quel tableau vraiment divin. S. Luc l'a si bien tracé que les artistes n'ont eu qu'à le copier, et c'est ce qu'on fait admirablement, parmi bien d'autres, van Eyck, le Guide, Rubens, fra Bartolomeo Phil. De Champaigne, Francia, Véronèse, fra Angelico, le Titien, Raphaël. Voyez dans la littérature apocryphe (Evang. de l'enfance, ch. 6, et Protévang. De S. Jacq. ch. 15) de curieuses légendes sur la manière dont Siméon reconnut le Messie. - Il bénit Dieu et dit. Inondé de consolations, éclairé plus que jamais par l'Esprit‑Saint, Siméon devenant tout à la fois prophète et poète, chante son sublime cantique, qui fut pour lui le chant du cygne, comme on l'a souvent répété.
Luc 2.29 Maintenant, ô Maître, vous laissez partir votre serviteur en paix, selon votre parole, - Maintenant. Rien désormais ne s'oppose à sa mort, puisqu'il a contemplé le Messie. Les exégètes font justement observer que l'emploi du présent, laissez, corrobore l'idée exprimée par l'adverbe maintenant. Siméon parle de sa mort comme d'une chose prochaine, dont le retard n'aurait aucune raison d'être, puisque la condition pour laquelle Dieu l'avait conservé sur la terre venait de s'accomplir. Le verbe du texte grec désigne la délivrance d'un prisonnier, l'action de licencier des troupes, de relever un soldat de son poste. Il marque toujours une libération heureuse. Les classiques l'emploient aussi pour désigner la mort. Le pieux vieillard parle donc comme un homme pour lequel la vie présente était désormais un fardeau et la vie future un doux repos, une émancipation vivement désirée. - En paix, non seulement tout à fait rassuré sur l'avenir de son peuple (Euthymius), mais ayant ses désirs personnels entièrement comblés.
Luc 2.30 puisque mes yeux ont vu votre salut, - Siméon nous fait connaître maintenant le motif de sa paix et de son bonheur : Puisque mes yeux ont vu…. L'heureux vieillard aurait pu dire aussi que ses bras avaient porté le Christ ; mais il mentionne de préférence la réalisation de la promesse divine, v. 26. - Le salut, salut messianique donné au monde par le Seigneur dans la personne de Jésus.
Luc 2.31 que vous avez préparé à la face de tous les peuples : - Voilà bien la catholicité, l'universalité du royaume du Christ clairement opposée par un Juif à l'étroit particularisme de ses contemporains. Les Israélites d'alors, oubliant les prophéties si nets (cf. Isaïe 46, 13 ; 49, 6 ; 52, 7-10, etc.) qui avaient annoncé un Messie destiné à sauver tous les peuples sans exception, n'attendaient pour la plupart qu'un Sauveur dont les bienfaits seraient restreints à la nation théocratique. Siméon sort de ce cercle mesquin : le Christ chanté par lui ne sera pas un Rédempteur partiel, il procurera le salut du monde entier.
Luc 2.32 lumière qui doit dissiper les ténèbres des Nations et gloire d'Israël, votre peuple. - Cependant, le Messie ne bénira pas tous les hommes de la même manière. Au point de vue de la vraie religion, l'humanité se partageait alors en deux catégories bien distinctes, Israël et les païens. Siméon termine son cantique par l'indication des faveurs spéciales que Jésus apportera à chacune d'elles. Pour les païens il sera lumière pour éclairer les nations, une lumière qui éclairera leurs ténèbres, qui leur révélera la vérité. Cette image est parfaitement appropriée à l'état dans lequel se trouvait alors l'univers païen. « Avant la venue du Christ, dit S. Athanase (ap. Cat. D. Thom.), les nations, privées de la connaissance de Dieu, étaient plongées dans les dernières ténèbres. Mais le Christ faisant son apparition, ajoute S. Cyrille (ibid.), fut la lumière de ceux qui étaient dans les ténèbres de l'erreur, et que la main du démon avait étreints ; ils furent appelés par Dieu le Père à la connaissance du Fils, qui est la véritable lumière ». cf. Isaïe 25, 7 ; 42, 6 ; 49, 6 ; Matth. 4, 16. - Aux Juifs, Jésus‑Christ procurera une gloire toute particulière, parce que c'est à eux surtout qu'il avait été promis et donné directement (cf. Matth. 1, 21 et le commentaire) ; gloire, parce qu'il est sorti de leurs rangs ; gloire aussi parce qu'il vivra et agira personnellement au milieu d'eux. Dans le temps et dans l'éternité leur titre de frères du Christ selon la chair sera pour eux un sujet de légitime fierté. Tel est le « Nunc dimittis », délicieux « joyau lyrique », poème d'une grande richesse malgré sa concision, puisqu'il résume l'histoire religieuse de tous les siècles à partir du Christ. Comme le « Magnificat », comme le « Benedictus », il a été conservé par S. Luc pour la consolation perpétuelle de l'Église ; aussi ces poèmes terminent‑ils chaque jour trois des principaux offices liturgiques. Le cantique du saint vieillard Siméon continue et complète ceux de Marie et de Zacharie. On peut dire qu'il ouvre de plus vastes horizons : ceux‑ci en effet étaient plus spécifiquement israélites, Marie n'ayant chanté l'Incarnation du Verbe qu'au point de vue d'elle‑même et de son peuple, Zacharie s'étant également borné à louer le Sauveur d'Israël, tandis que, nous venons de le voir, Siméon est allé plus loin puisqu'il a célébré dans Jésus le libérateur universel. - Le parallélisme du « Nunc dimittis » est moins parfait que celui des deux cantiques précédents ; il varie du reste presque à chaque verset. Synthétique au v. 29, antithétique au v. 32, il est simplement rythmique dans les vv. 30 et 31.
Luc 2.33 Le père et la mère de l'Enfant étaient dans l'admiration des choses que l'on disait de lui. - En entendant les paroles du saint vieillard, Marie et Joseph ne purent retenir leur admiration. Non qu'elles leur apprissent des choses nouvelles. A quel plus haut degré n'auraient‑ils pas eux‑mêmes excité l'étonnement de Siméon, s'ils lui eussent répété une faible partie des merveilles dont ils avaient été les auteurs et les témoins depuis quelques mois. Ce qu'ils admiraient, c'étaient les circonstances prodigieuses qui accompagnaient chaque mystère de la vie du divin Enfant. Surtout, la manière dont le Seigneur manifestait Jésus à des cœurs aussi humbles que le leur les remplissait d'une surprise toujours croissante. « A toutes les fois qu’est renouvelée la manifestation des choses surnaturelles, est renouvelée l’admiration dans notre esprit. » (ap. Caten. Graec.)
Luc 2.34 Et Siméon les bénit et dit à Marie, sa mère : "cet Enfant est au monde pour la chute et la résurrection d'un grand nombre en Israël et pour être un signe en butte à la contradiction, - Après avoir achevé son chant d'allégresse et d'amour, Siméon « bénit » Marie et Joseph. Assurément il ne s'agit pas d'une bénédiction proprement dite : « bénit » signifie en cet endroit qu’ il les félicita, il les proclama bienheureux. Mais voici qu'il reçoit tout à coup d'en haut de nouvelles révélations. La lumière qu'il avait si admirablement chantée, il la voit assombrie par de prochains nuages. Alors, se tournant vers Marie sa mère (la mère, dont l'affection est plus vive et plus tendre ; la mère, par opposition à Joseph, qui n'était que le gardien), il lui dit avec l'accent de la douleur : Cet enfant est au monde pour…. Ces paroles contiennent une prédiction très importante relativement à l'Enfant‑Dieu. Jésus n'était pas destiné dans le sens strict de cette expression à la ruine de personne au monde : au contraire, il est venu pour sauver et racheter tous les hommes. Il sera néanmoins une cause indirecte et involontaire de ruine pour un grand nombre. On comprend sans peine de quelle ruine Siméon veut parler : c'est d'une ruine spirituelle, d'une chute morale, soit en ce monde soit dans l'autre, pour tous ceux qui résisteront à Jésus. La résurrection mentionnée ensuite est de même nature : c'est, dès cette vie, l'élévation, la régénération des âmes qu'avait abaissées le péché, la gloire céleste après la mort. - Cause involontaire de ruine pour les uns, cause directe de résurrection pour les autres, le Sauveur sera par là‑même un signe de contradiction. Isaïe avait prédit avec non moins de clarté que Siméon ce caractère du Messie : « Et il sera un sanctuaire, mais aussi une pierre d'achoppement, un rocher de scandale pour les deux maisons d'Israël, un filet et un piège pour les habitants de Jérusalem. Plusieurs trébucheront; ils tomberont et se briseront, ils seront enlacés et pris. ». Isaïe. 8, 14 et 15. « Ouvrons l'Évangile, et surtout celui de S. Jean, où le mystère de Jésus‑Christ est découvert plus à fond : c'est le plus parfait commentaire de la parole de Siméon. Écoutons murmurer le peuple : Les uns disaient, C'est un homme de bien ; les autres disaient, Non, il trompe le peuple… Les uns disaient, C'est le Christ ; les autres disaient, Le Christ doit‑il venir de Galilée… ? Il y eut donc sur ce sujet une grande discussion… C'est un possédé, disaient les uns, c'est un fou ; pourquoi l'écouter davantage ? D'autres disaient, Ce ne sont pas là les paroles d'un possédé ? » Bossuet, 12è Élévat. de la 18è sem. (voir les Élévat. 13-18). Du reste, quelques jours seulement après sa naissance Jésus était déjà en butte à la contradiction : il était une occasion de ruine pour Hérode, une cause de résurrection pour les bergers, pour les Mages et les âmes fidèles. La lutte s'est continuée dans le cours des siècles (cf. Hébreux 12, 3) ; de nos jours elle est plus ardente que jamais, et elle durera jusqu'à la fin du monde. Toujours l'humanité sera divisée en deux camps au sujet de Jésus et de son Église : le camp des amis et celui des ennemis.
Luc 2.35 vous-même, un glaive transpercera votre âme, et ainsi seront révélées les pensées cachées dans le cœur d'un grand nombre." - Objet de la haine et des contradictions d'un grand nombre, Jésus sera donc abreuvé d'amertumes : cela ressort clairement du v. 34. Mais, à la « Passion » du Christ, correspondra naturellement la « Compassion » de sa Mère, comme l'ajoute maintenant le saint vieillard. Un glaive vous percera l'âme… L'âme est ici nommée pour le cœur, en tant qu'elle est le siège des affections, par conséquent de l'amour maternel. Le glaive symbolise ici les vives et poignantes douleurs qui transpercèrent plus d'une fois le cœur de Marie pendant la vie de son divin Fils, mais qui le déchirèrent surtout au Calvaire, comme le chante l'Église : « Le glaive a transpercé son âme gémissante, attristée et souffrante » Voyez Euthymius, h. l. Cette belle métaphore est tout à fait classique. C'est donc à tort que S. Épiphane dans l'antiquité, Lightfoot dans les temps modernes, et quelques autres exégètes à leur suite, on pris le mot glaive dans un sens littéral, et conclu des paroles de Siméon que Marie devait mourir de mort violente. Comme le dit fort bien Bède le Vénérable expliquant ce passage, « Aucun récit ne relate que la sainte Vierge à émigré de cette vie après avoir été transpercée par un glaive, surtout parce que ce n’est pas l’âme mais le corps que le glaive transperce habituellement. ». Mais il est une autre interprétation plus étrange encore : elle consiste à voir dans le glaive la désignation figurée d'un combat qui devait se livrer en Marie entre le doute et la foi au sujet de son Fils, comme si Jésus devait être momentanément un signe de contradiction même pour sa Mère. Que plusieurs protestants adoptent ce sentiment, nous n'en sommes pas surpris ; il est plus étonnant d'en rencontrer des traces chez d'anciens orthodoxes (voir des citations dans D. Calmet), et jusque dans les écrits de S. Augustin, car il ne peut s'appuyer ni sur le texte de S. Luc, ni sur le reste de l'histoire évangélique : aussi est‑il justement rejeté par la plupart des commentateurs, quelque soit du reste leur croyance. - Afin que les pensées de cœurs nombreux soient dévoilées… Ces dernières paroles de la prophétie sont claires par elles‑mêmes, mais les commentateurs ne sont pas d'accord pour déterminer leur enchaînement avec les propositions qui précèdent. Quelques‑uns les rattachent seulement à « signe de contradiction ». Jésus, disent‑ils, par cela même qu'il sera un signe de contradiction, forcera ses ennemis de dévoiler les plus secrètes pensées de leur cœur. La prédiction relative à Marie étant dès lors comme isolée entre deux membres de phrase auxquels elle ne se rattache pas directement, on la met entre parenthèses. Mais nous croyons, avec d'autres exégètes, qu'il est plus naturel et plus conforme à la liaison des pensées d'envisager cette proposition finale de Siméon comme la conclusion, la conséquence des trois précédentes prises ensemble. Les trois premiers membres constituent un tout inséparable : Marie aura beaucoup à souffrir à cause des contradictions dont son Fils sera l'objet ; ces contradictions proviendront du rôle même de Jésus par rapport à Israël. Toutes ces choses réunies auront pour conséquence la manifestation des cœurs. En prenant parti pour ou contre le Christ, les hommes dévoileront nécessairement ce qu'ils pensent et ce qu'ils veulent, leurs intentions et leurs affections les plus cachées.
Luc 2.36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser, elle était fort avancée en âge, ayant vécu, depuis sa virginité, sept ans avec son mari. 37 Restée veuve et parvenue à quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière. - Une ancienne légende fait expirer Siméon de bonheur en cet instant aux pieds de l'Enfant Jésus. Alors s'approche Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. L'évangéliste, s'écrie Théophylacte, s'arrête avec complaisance à représenter sainte Anne. ». S'il nous indique non‑seulement le nom de cette pieuse femme, mais encore celui de son père et celui de sa tribu, serait‑ce à cause de leur sens figuratif ? On l'a pensé : « Comme Anne signifie Grâce, Phanuel Visage de Dieu, et Aser l'Heureux, on pouvait trouver dans cette triple appellation une convenance merveilleuse. Tout cela s'était vérifié dans Anne : ces noms contenaient son histoire. » Mais le raisonnement nous paraît plus ingénieux que vrai. Le texte sacré ajoute qu'Anne était prophétesse. Elle avait reçu, elle aussi, des lumières surnaturelles qui, pour la plupart, concernaient sans doute le Messie : le v. 38 semble du moins l'indiquer. S. Luc insiste encore sur son âge avancé ; il précise le temps qu'elle avait vécu dans le mariage ; puis il relève sa qualité de veuve, et de sainte veuve. - Quatre‑vingt quatre ans. Certains exégètes pensent que cela désigne l'âge total de sainte Anne à cette époque de sa vie ; les autres, à la suite de S. Ambroise, l'appliquent seulement aux années de son veuvage. En supposant, d'après cette seconde hypothèse, qu'Anne se fût mariée à 15 ans, selon la coutume juive, elle aurait alors été âgée de 106 ans (15+7+84). Mais nous croyons le premier sentiment plus probable. - Dans l'antiquité le veuvage était beaucoup plus rare qu'aujourd'hui : les femmes se remariaient presque toujours, du moins, lorsqu'elles étaient encore jeunes à la mort de leur premier mari. Anne, comme Judith, fut une glorieuse exception à cette règle ; et elle usait de sa liberté pour servir Dieu avec une plus grande perfection. - Elle ne quittait pas le temple. Faut‑il prendre ces mots à la lettre, et supposer que sainte Anne avait réellement sa résidence dans quelqu'une des annexes du temple ? Ou bien, ne vaut‑il pas mieux croire que l'écrivain sacré les a employés par hyperbole, pour dire que la pieuse veuve passait une grande partie de ses journées dans les sacrés parvis (cf. 24, 53 ; Actes 2, 46) ? Nous inclinons davantage vers cette seconde interprétation. On voit par là, dans tous les cas, qu'Anne était morte au monde et qu'elle ne vivait que pour Dieu. Elle réalisait d'avance le portrait de la vraie veuve tracé par S. Paul, 1 Timothée 5, 5. Elle persévérait dans son incessante adoration la nuit aussi bien que le jour. Quoiqu'elle eût depuis bien longtemps dépassé l'âge où les pénitences corporelles forment un élément important de la sainteté, néanmoins sa vie était un jeûne continuel. Si la prière était l’œuvre de sa vie, la pénitence en était la récréation.
Luc 2.38 Elle aussi, survenant à cette heure, se mit à louer le Seigneur et à parler de l'Enfant à tous ceux qui, à Jérusalem, attendaient la rédemption. - Poussée, comme Siméon, par un vif mouvement du Saint Esprit qui résidait en elle, Anne survint à peu près au même moment que le saint vieillard, au moment où Marie et Joseph allaient accomplir la cérémonie du rachat de l'Enfant ; et, reconnaissant à son tour dans ce nouveau‑né le Libérateur d'Israël, le Messie, elle se met à glorifier publiquement le Seigneur. - se mit à louer le Seigneur. Depuis lors, sainte Anne mit toute sa joie à parler de Jésus à tous ceux qui attendaient le Messie. - L'épisode est clos brusquement par ce détail, et S. Luc nous ramène à Nazareth, à la suite de la sainte Famille.
Luc 2.39 Lorsqu'ils eurent tout accompli selon la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville. - Ce verset forme une transition entre le mystère de la présentation de Jésus au temple et celui de son obscure retraite à Nazareth. Nous avons vu plus haut, en expliquant les versets 22-24, ce que la loi mosaïque exigeait des mères et de leurs premiers‑nés. Avant de passer à un autre épisode, l'évangéliste a soin de dire que Marie et Joseph furent fidèles à toutes ses prescriptions. - Bethléem était la « cité de David », leur ancêtre, v. 4, et ils n'y étaient venus qu'en passant, pour obéir à un décret de César, ou plutôt aux vues de la divine Providence ; mais Nazareth était leur domicile, où ils étaient depuis longtemps fixés (cf. 1, 56) : ils y reviennent donc aussitôt qu'il n'y a plus rien pour les retenir en Judée. Expliquons l'accord entre le récit de S. Matthieu et celui de S. Luc touchant l'Enfance de Jésus : chacune des deux narrations peut se réduire à cinq faits distincts. D'après le premier Évangile, chap. 2, il y a 1° la naissance de Jésus à Bethléem, 2° l'adoration des Mages dans cette même bourgade, 3° la fuite en Égypte, 4° le massacre des SS. Innocents, 5° le retour d'Égypte et l'établissement de la Sainte Famille à Nazareth. D'après S. Luc, 2, 1-39, il y a 1° la naissance de Jésus à Bethléem, 2° l'adoration des bergers, 3° la circoncision, 4° la Purification de Marie et la Présentation de Jésus au temple, 5° le retour de la Sainte Famille en Galilée. Tandis que S. Matthieu conduit Jésus, Marie et Joseph de Bethléem en Égypte avant de les ramener à Nazareth, S. Luc semble affirmer que, partis de Bethléem, ils revinrent tout droit à Nazareth. A la suite de Celse et de Porphyre (cf. S. Épiph. Haer. 51, 8), les rationalistes ne manquent pas d'opposer ici S. Matthieu à S. Luc, tantôt pour rejeter l'un des récits aux dépens de l'autre (Schleiermacher, Schneckenburger, etc.), tantôt pour les rejeter l'un et l'autre (Strauss, Leben Jesu, 1835, § 34 et 35). Meyer lui‑même, quoique beaucoup moins avancé, assure que « la conciliation est impossible ». Alford, tout croyant qu'il fût, n'a pas craint de dire : « Dans l'état actuel des deux relations, il n'est pas du tout possible de suggérer une méthode satisfaisante pour les unir. Quiconque l'a essayé a violé, dans quelque partie de son hypothèse, la probabilité ou le sens commun ». Quoique nous suivions, comme exégète catholique, des règles de critique autrement sévères que celles auxquelles est astreint un ministre anglican, nous constatons que les deux récits sont compatibles. - 1. On conçoit d'abord sans peine que les écrivains sacrés n'aient pas raconté absolument les mêmes faits : S. Matthieu a choisi de préférence ceux qui rentraient davantage dans son plan (voyez notre commentaire de Matth. 2, 22) ; S. Luc a inséré dans sa narration ceux qu'il trouva dans les documents dont il se servait. 2. La concorde s'opère de la manière la plus simple pour les premiers événements : Jésus naît à Bethléem d'après les deux évangélistes ; il est adoré par les bergers, puis circoncis le huitième jour, d'après S. Luc. La concorde entre les deux existe aussi pour le séjour à Nazareth, que S. Matthieu et S. Luc relatent de concert. 3. Tout se passe d'abord comme le raconte S. Luc jusqu'à la Présentation inclusivement. Les Mages viennent ensuite adorer Jésus à Bethléem, où ses parents l'avaient rapporté au sortir de Jérusalem. Après cela, surviennent la fuite en Égypte, le massacre des SS. Innocents, le retour d'Égypte et l'établissement de la Sainte Famille à Nazareth. Ainsi les récits dans leur intégrité primitive sont respectés, il y a seulement l’insertion du récit de S. Matthieu après celui de S. Luc de la façon la plus naturelle. - Les deux évangélistes ne se contredisent pas, mais ils se complètent l'un l'autre. S. Luc, n'ayant pas l'intention de rapporter la visite des Mages et ses douloureuses conséquences, a très bien pu conduire directement la Sainte Famille de Jérusalem à Nazareth, sans exclure des voyages intermédiaires. Les historiens profanes usent fréquemment de cette liberté et personne ne songe à leur en faire un crime. - Voyez sur cette question S. August., De consensu Evangel. ; Dehaut, l'Évangile expliqué, défendu, 5è édit. t. 1, p. 343 et ss. ; Maldonat, Comment. in Matth. 2, 13, 22, 23.
Luc 2.40 Cependant l'Enfant croissait et se fortifiait, étant rempli de sagesse et la grâce de Dieu était sur lui. - L'évangéliste résume dans ces quelques lignes les douze premières années de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ : il les représente d'une manière générale comme un temps de croissance et de développement universel, ainsi que cela a lieu pour tous les hommes. cf. Justin M., Dial. c. Tryph. c. 88. - Rempli de sagesse. Sous les dehors d'un humble petit enfant, Jésus cachait une infinie sagesse, par suite de sa nature divine. Voyez l'explication du v. 52. Dans le grec, la forme verbale semblerait indiquer une effusion perpétuelle et constamment réitérée de la Sagesse divine sur l'âme de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. cf. Schegg, h. l. - La grâce de Dieu était en lui. La faveur de Dieu reposait donc, ou plutôt, descendait visiblement sur le Fils de Marie : le Seigneur mettait dès lors toutes ses complaisances en cet Enfant béni. Combien la pensée deviendrait fade si l'on voyait là, à la suite de quelques exégètes, l'indication des bonnes grâces corporelles de Jésus. - S. Luc avait fait précédemment une remarque analogue à propos du Précurseur, 1, 66 et 80. Mais quelle différence entre la croissance de S. Jean et celle du Christ : Là du reste on disait seulement que la main de Dieu était avec le fils de Zacharie, tandis qu'ici c'est la grâce même de Dieu qui réside en Jésus.
« L'évangéliste montre maintenant la vérité de ce qu'il vient de dire ». S. Cyrille ap. Cat. D. Thomae. S. Luc relève en effet par une touchante anecdote la sagesse toute divine de Jésus. Cet épisode a d'autant plus de prix pour nous qu'il contient la première manifestation personnelle du Sauveur, qu'il nous permet de jeter un regard au plus profond de son âme et de sa vie d'enfant, et qu'il est unique dans les saints Évangiles. Il est vrai que la littérature apocryphe a essayé de tirer le voile qui recouvre les premières années de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et qu'elle abonde en informations sur la vie cachée de Nazareth. Mais, à part quelques détails que l'on peut comparer avec S. Jérôme, lettre Ad Laetam, à un peu d'or dans beaucoup de boue, quelle pauvre idée ne nous donne‑t‑elle pas de l'Enfant‑Dieu. Un étalage théâtral de miracles inutiles, des fables choquantes, un Jésus qui n'est ni humble, ni obéissant, ni simple, qui pose devant tout le monde, voilà ce qu'on y trouve. La Providence a permis que ces livres étranges arrivassent jusqu'à nous, pour qu'on vît mieux la différence qu'il y a entre les Évangiles du ciel et les Évangiles de la terre. Voyez l’ouvrage déjà cité de Brunet.
Luc 2.41 Or ses parents allaient tous les ans à Jérusalem, à la fête de Pâque. - Ce verset et le suivant contiennent les détails préliminaires du récit. - Ses parents allaient tous les ans… Premier détail, d'une nature plus générale. Chaque année est une ellipse pour « à l'occasion de la fête de Pâque », les parents de Jésus faisaient donc un pèlerinage à Jérusalem. Mais il est à croire que l'évangéliste abrège en cet endroit, et que, s'il se borne à mentionner la Pâque, c'est parce que l'incident qu'il raconte eut lieu pendant cette solennité. En effet, d'après la loi juive c'était trois fois par an, à Pâque, à la Pentecôte et pour la fête des Tabernacles, que les Israélites devaient visiter le sanctuaire et resserrer ainsi les liens qui les attachaient à la théocratie. cf. Exode 2, 14 et ss.; 34, 23 ; Deutéronome 16, 16. Il n'y avait d'exception que pour les malades, les vieillards, les petits enfants et les femmes. Mais celles‑ci, par esprit de piété, allaient souvent célébrer au moins la fête de Pâque à Jérusalem. cf. 1 Samuel 1, 7 ; Matth. 27, 55 ; Marc. 15, 4 ; Luc. 23, 55. Hillel avait même prétendu rendre cette assistance obligatoire pour elles. Dans tous les cas, nous ne sommes nullement surpris de voir que Marie accompagnait son saint époux à Jérusalem.
Luc 2.42 Quand il eut atteint sa douzième année, ils y montèrent, selon la coutume de cette fête, - Cet âge avait chez les Juifs, par suite d'un antique usage qu'on rattachait à divers détails de la vie de Moïse, de Salomon, etc., une importance capitale. Enfant avant de l'atteindre, on devenait homme après l'avoir franchi ; mais surtout, l'on devenait vers cette époque « fils de la loi », c'est‑à‑dire qu'on était soumis à toutes les prescriptions de la loi mosaïque, parce qu'on était censé désormais assez fort pour les observer même dans ce qu'elles avaient de plus difficile. Par conséquent, à douze ans révolus, le jeune Israélite était tenu aux jeûnes, et aux pèlerinages dont nous avons parlé. Suit‑il de là que le voyage décrit en cet endroit par S. Luc serait le premier de ceux que Jésus fit à Jérusalem après sa Présentation au temple ? Divers exégètes l'on admis (von Burger, Abbott, etc.). Mais il nous paraît plus naturel de croire avec S. Augustin, Maldonat, Luc de Bruges, Jansénius, etc., que ses parents ne s'étaient pas séparés de lui à leurs pèlerinages antérieurs. La circonstance d'âge est tout à fait accessoire dans le récit de l'évangéliste.
Luc 2.43 et lorsqu'ils s'en retournèrent, les jours de la fête étant passés, l'enfant Jésus resta dans la ville, sans que ses parents s'en fussent aperçus. 44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de voyage, ils marchèrent tout un jour, puis ils le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances. - Jésus perdu à Jérusalem. Les fêtes pascales duraient toute une octave, c’est-à-dire 8 jours de suite (cf. Exode 12, 15 ; Lévitique 23, 3 et ss.; Deutéronome 16, 3), et il est fort probable, d'après l'expression de S. Luc, que Marie et Joseph demeurèrent huit jours entiers à Jérusalem avant de songer au départ. Néanmoins on pouvait aussi se mettre en route dès le troisième jour, quand la partie la plus importante de la solennité était passée. - L'enfant Jésus resta à Jérusalem. Il resta, comme il l'explique lui‑même un peu plus bas, v. 49, parce que « les affaires de son Père » l'exigeaient : il n'avertit ni sa Mère ni S. Joseph, parce qu'il entrait dans les desseins secrets de Dieu qu'ils fussent éprouvés par sa perte momentanée. - Ses parents ne s'en aperçurent pas. Voyez le v. 33 et l'explication. Il semble d'abord bien étrange que Marie et Joseph aient été ainsi séparés de Jésus, et qu'ils aient ensuite quitté Jérusalem sans l'avoir retrouvé. Mais tout s'explique aisément si l'on se représente les circonstances parmi lesquelles eut lieu la disparition de l'Enfant. La sainte Famille ne voyageait pas en solitaire (cf. v. 44) ; elle revenait à Nazareth avec une caravane composée de nombreux pèlerins galiléens. Or, le départ d'une caravane orientale est aussi lent et confus qu'il est bruyant. Souvent, donc, la jeunesse impatiente prend les devants, et l'on se retrouve à la prochaine station ; les mères le savent et ne s'inquiètent pas. Ou encore, fût‑on parti ensemble, des groupes variés ne tardent pas à se former. Les femmes et les hommes âgés chevauchent habituellement sur des ânes ; les hommes et les jeunes gens vont à pied ; mille incidents ralentissent ou accélèrent la marche ; les enfants, qui couraient d'abord à côté de leur père, s'attachent bientôt à un groupe voisin. N'oublions pas, du reste, que nous sommes en Orient, où, à douze ans, on est déjà souvent traité comme un jeune homme. Enfin Marie et Joseph connaissaient Notre‑Seigneur, et, si sa sagesse avait éclaté à tous les yeux dès ses années les plus tendres, personne n'en avait autant de preuves que sa Mère et son gardien. Pour toutes ces raisons, auxquelles nous pouvons ajouter encore à la suite d'Euthymius, l'économie de la divine Providence, Marie et Joseph ne furent pas trop surpris de l'absence de Jésus, pensant à bon droit qu'il était avec ceux de leur entourage. Cependant, après une journée de marche (6 ou 7 heures) durant laquelle l'Enfant n'avait pas reparu, la caravane fit halte pour la nuit, et les membres de chaque famille se réunirent en vue d'un campement commun. C'est alors que Marie et Joseph, voyant que Jésus ne les rejoignait pas, se mirent à le rechercher parmi les différents groupes. « Le Sauveur reste secrètement, afin que ses parents ne pussent s’opposer à la discussion qu’il désirait avoir avec les docteurs de la loi ; ou bien peut-être voulait-il éviter de paraître mépriser l’autorité de ses parents, en refusant de leur obéir. Il reste donc secrètement, pour agir en toute liberté, ou pour ne pas s’exposer au reproche de désobéissance. » Chaîne des Pères Grecs.
Luc 2.45 Ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher. - Après de vaines démarches, ils reprirent le chemin de Jérusalem. Les saints époux continuent leurs recherches douloureuses dès l'endroit où ils s'étaient arrêtés et les continuent tout le long de la route jusqu'à Jérusalem. Ce jour‑là, le glaive de douleur prédit par Siméon dut se retourner cruellement dans l'âme de Marie.
Luc 2.46 Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. - Jésus retrouvé dans le temple, vv. 46-50. - Après trois jours. Ce n'est pas le retour des parents de Jésus à Jérusalem, comme le veulent de Wette, Baumgarten‑Crusius, etc. mais leur départ, qui sert de point de départ de la numération. Le premier jour, ils quittèrent la ville sainte et se dirigèrent vers le Nord ; le second jour, ils vinrent à Jérusalem ; le troisième, ils retrouvèrent le Sauveur. - Dans le temple. Jésus n'était pas dans le sanctuaire proprement dit, mais dans une des dépendances du temple. Parmi les nombreuses constructions désignées sous ce nom, se trouvaient des appartements qui servaient pour les cours académiques des Rabbins : c'est dans une de ces salles que fut retrouvé Jésus. - L'évangéliste décrit son attitude en termes pittoresques, qui font revivre la scène sous nos yeux. Il est assis parmi les docteurs, non toutefois comme l'un d'eux ainsi que le croient à tort les peintres (ceux qui ont le mieux représenté cette scène sont Giotto, Ferrari, Bernardino Luini, Pinturicchio, Jean d'Udine, Valentin), mais sur une natte, à la façon des écoliers orientaux. Il est vrai qu'il ne se bornait pas à écouter l'enseignement des Rabbins, puisque le texte sacré ajoute expressément qu'il prenait lui‑même la parole pour les interroger ; mais en cela encore il agissait plutôt comme un étudiant que un maître. En effet, la méthode rabbinique favorisait beaucoup les questions et les objections des élèves : on le voit à chaque page du Talmud. « J'ai beaucoup appris des Rabbins mes maîtres, disait un ancien professeur juif ; j'ai appris davantage encore des Rabbins mes collègues ; mais c'est auprès de mes élèves que j'ai le plus appris ». Du reste, notre opinion est celle des Pères (cf. Orig. h. l. ; S. Greg. Pastoral. 3, 26 ; Maldonat et D. Calmet), et l'idée contraire serait absolument opposée à l'esprit de Jésus enfant. - Quel était l'objet des interrogations de Jésus ? On peut le conjecturer par la suite de sa vie : « Que pensez‑vous du Christ ? Demandera‑t‑il plus tard aux Docteurs juifs. De qui est‑il fils ? ». Les questions de l'enfant étaient sans doute de même nature que celles de l'homme parfait. Un Évangile apocryphe suppose faussement que Jésus se mit à exposer aux Rabbins émerveillés le nombre des sphères et des corps célestes, leur nature et leurs opérations, à leur expliquer la physique, la métaphysique, l'hyperphysique et l'hypophysique. cf. Evang. Infantiae arabicum, ch. 48-52.
Luc 2.47 Et tous ceux qui l'entendaient étaient ravis de son intelligence et de ses réponses. - L'étonnement les mettait hors d'eux‑mêmes. L'historien Josèphe, toujours prompt à parler de lui‑même, raconte, Vita, c. 1, qu'à l'âge de 14 ans il étonnait tout le monde par la précocité et la profondeur de son intelligence, à tel point que les prêtres et les docteurs aimaient à lui poser des questions sur la loi mosaïque. Mais qu'était la sagesse d'un enfant des hommes comparée à celle de Jésus. La réponse de Notre‑Seigneur à sa Mère, v. 49, nous fera comprendre la profondeur de celles qu'il faisait aux Rabbins. Bède : Pour montrer qu’il était homme, il écoutait modestement des docteurs qui n’étaient que des hommes ; mais pour prouver qu’il était Dieu, il répondait à leurs questions d’une manière sublime. Ses paroles, en effet, révélaient une sagesse divine, mais son âge le couvrait des dehors de la faiblesse humaine ; aussi les Juifs, partagés entre les choses sublimes qu’ils entendaient et la faiblesse extérieure qui paraissait à leurs yeux éprouvaient un sentiment d’admiration mêlé de doute et d’incertitude. Mais pour nous rien ici de surprenant, car nous savons par le prophète Isaïe, que s’il a voulu naître petit enfant pour nous, il n’en reste pas moins le Dieu fort.
Luc 2.48 En le voyant, ils furent étonnés et sa mère lui dit : "Mon enfant, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? Votre père et moi, nous vous cherchions tout affligés." - A leur tour, Joseph et Marie s'étonnent. C'est Marie qui prend la parole et non Joseph : détail parfaitement naturel, car l'affection d'une mère est plus vive que celle d'un père, à plus forte raison que celle d'un père adoptif. Plusieurs anciens exégètes (Salmeron, Maldonat, etc.) supposent délicatement que la saint Vierge attendit, pour faire part à Jésus de ses angoisses maternelles, que l'assemblée au milieu de laquelle elle l'avait trouvé se fût dissoute. Dans cette hypothèse, la scène qui va suivre n'aurait eu pour témoins que les membres de la Sainte Famille. - Pourquoi as‑tu agi ainsi avec nous ? Jamais encore Jésus n'avait attristé ses parents. Dans l'exclamation qui s'échappe si spontanément du cœur de Marie, des écrivains protestants et rationalistes ont voulu trouver de la dureté. Nous avons beau chercher, nous n'y trouvons que l'expression d'un sentiment de tendre affection, uni au plus profond respect. Voyez Luc de Bruges, h. l. Marie ne se plaint pas directement ; elle se borne à laisser parler les faits, qui étaient si pleins d'éloquence : nous te cherchions tout affligés. Le mot grec qui correspond à « affligés » est d'une grande énergie : il désigne des douleurs aussi vives que celles de l'enfantement. L'imparfait indique de longues et pénibles recherches. Marie se nomme humblement après S. Joseph, et elle donne au gardien de Jésus la glorieuse appellation de père. C'était le titre qu'il portait au sein de la famille, comme devant l'opinion publique ; et il la méritait par la générosité de son amour à l'égard du divin Enfant. cf. Bossuet, 5è Élévat. De la 20è semaine.
Luc 2.49 Et il leur répondit : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois dans la maison de mon Père ?" - Marie avait parlé au nom de S. Joseph non moins qu'en son propre nom : c'est pourquoi Notre‑Seigneur leur adresse collectivement sa réponse. Cette réponse est pour nous d'un prix infini, non‑seulement à cause de son immense portée, de ses leçons pleines de sens, mais aussi parce qu'elle contient la première parole évangélique de Jésus, bien plus, la seule parole que les SS. Évangiles aient conservée de ses trente premières années. Le rationalisme, qui ne sait rien respecter, l'a également attaquée, prétendant que Jésus y fait preuve de raideur et même d'insubordination à l'égard de sa mère et de son père adoptif ; tandis qu'elle est au contraire admirable à tous égards et vraiment digne de Jésus. Noble et simple en même temps, alliant à un haut degré la majesté et l'humilité, elle ne convient pas moins au Fils de l'homme qu'au Fils de Dieu. Mais elle a des profondeurs insondables et l'on conçoit que des esprits étroits, superficiels, aveuglés par les préjugés religieux, aient été incapables de la comprendre. Aux deux questions de Marie, l'Enfant divin répond par deux contre‑questions. Jésus ne blâme nullement sa Mère et S. Joseph d'avoir cherché avec anxiété leur fils bien‑aimé ; il se contente de leur rappeler en termes respectueux, délicats, sa nature supérieure et les grands devoirs qu'elle lui impose. Voyez Bède le Vénérable, h. l. La locution aux choses de mon Père a reçu deux interprétations également autorisées par l'usage classique. Les versions syrienne et arménienne, plusieurs Pères (Origène, S. Épiphane, Théophylacte, Euthymius) et divers exégètes (Kuinoel, Meyer, etc.) l'ont envisagée comme synonyme de « dans la maison de mon Père » et par conséquent de « dans le temple ». Pourquoi n'avoir pas immédiatement supposé, telle serait la pensée de Jésus, que j'étais dans le palais de Dieu, mon Père céleste ? Vous vous seriez ainsi épargné de pénibles recherches. La plupart des commentateurs retiennent le sens de « affaires de mon Père », ce qui vaut beaucoup mieux, croyons‑nous, car la première manière de traduire limite inutilement l'idée cf. 1 Timothée 4, 15 et Genèse 41, 5 dans les Septante. Marie avait fait mention du « père » de Jésus : le Sauveur reprend ce titre, mais pour lui donner une signification infiniment plus élevée, la seule du reste qui correspondît à la réalité des faits. « Corrigeant, en quelque sorte, la parole de Marie au sujet de celui qu’on croyait être son père, il manifeste le vrai Père, en enseignant qu’il vient d’en haut » Graec. ap. Cat. D. Thom. h. l. - Jésus indique ainsi pourquoi il était resté à Jérusalem : les affaires de son Père céleste l'avaient retenu. Distinction sublime entre les droits de Dieu et de Marie sur lui. Jésus aime vivement sa mère et son père adoptif ; mais son amour pour eux ne peut l'emporter sur le devoir, sur la volonté du ciel. Il s'étonne donc pour ainsi dire qu'ils n'aient pas eu plus tôt cette pensée, de même que « l'aimant s'étonnerait si on voulait lui attribuer une autre direction que celle du pôle Nord ». On a justement trouvé dans cette parole le « programme » de toute la vie de Jésus, la clef de tous ses mystères. Être occupé des affaires de son Père, tel fut constamment son idéal. cf. Jean 4, 34 ; 8, 29 ; 9, 4 ; 14, 31, etc. Si jamais une expression d'enfant a été prophétique, c'est bien celle que nous venons de lire. Mais elle prédisait le renoncement et le sacrifice, généreusement acceptés toutes les fois que la gloire de Dieu serait en cause.
Luc 2.50 Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait. - Ce verset ne signifie pas que la parole de Jésus fut pour ses parents une énigme absolue, puisque, mieux que personne, ils savaient qu’il était le Christ annoncé par les prophètes. S. Luc a seulement voulu dire qu'ils ne saisirent pas alors toute l'étendue de la réponse de Jésus. Quelle relation y avait‑il entre le séjour actuel de l'Enfant dans le temple et les affaires de son Père céleste ? Allait‑il donc dès maintenant se manifester au monde ? Voulait-il demeurer de manière habituelle dans le Temple ? Y revenir très régulièrement ? Allait-il y commencer sa prédication et son Ministère ? Ces problèmes et d'autres semblables se pressaient dans leur esprit, et ils n'en pouvaient trouver la complète solution. Comme ils étaient dans l’attente de très grandes choses qu’il devait opérer dans le monde tout leur paraissait mystérieux et ils ne pouvaient deviner ni le temps ni les moyens de l’exécution de ses desseins. Leur immense humilité empêchait qu’ils soumettent Jésus à une batterie de questions. Ils avaient nettement en mémoire la manière choisie par Dieu pour l’Annonciation, l’Incarnation, et la levée des doute de saint Joseph au sujet de la conduite à tenir avec la Vierge Marie. Il y a dans les prophéties une infinité de choses fort claires qu’on n’a connues qu’après coup, cf. Dom Calmet. « Saint Jean (…) explique à diverses reprises, que les paroles du Maître, énigmatiques sur le moment même, étaient destinées à être comprises après coup cf. 12,16 ; 13, 7 ; 14, 25-26 ; 15, 26-27 ; 16, 12-15 » cf La Bible Chrétienne, Les Quatre Évangiles, Québec, éditions Anne Sigier, 1988, §18, p.120.
Luc 2.51 Alors il descendit avec eux et vint à Nazareth et il leur était soumis. Et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. - Jésus, rentre dans l'ombre après cet éclat momentané. La gracieuse fleur de Nazareth s'était entr'ouverte et avait laissé échapper quelques‑uns de ses parfums ; mais voici qu'elle se referme pour de longues années, pour dix‑huit années entières, que S. Luc a résumées en deux versets. Il est vrai que ce résumé est d'une richesse inépuisable. - Il leur était soumis. « Je suis saisi d'étonnement à cette parole, écrivait Bossuet, 8è Élévat. De la 20° semaine. Est‑ce donc là tout l'emploi d'un Jésus‑Christ, du Fils de Dieu ? Tout son exercice est d'obéir à deux de ses créatures ». cf. Philippiens 2, 7. Quel admirable tableau dans ces trois mots : « Il leur était soumis ». - Sa mère conservait toutes ces choses… Au v. 19, S. Luc avait déjà signalé cette perpétuelle contemplation de Marie en face des mystères de Jésus ; toutefois, il use ici d'une expression plus énergique. La Mère méditait donc jour et nuit les paroles et les actions de son Fils. Cette retraite de Nazareth fut pour elle une époque de joies douces, que rien ne vint troubler depuis l'épisode du temple, si ce n'est la mort de S. Joseph, arrivée, selon toute vraisemblance, quelque temps avant le ministère public de Notre‑Seigneur. cf. Jean 2, 12, où le saint patriarche n'est pas même mentionné dans un dénombrement très exact de la famille humaine du Sauveur.
Luc 2.52 Et Jésus progressait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes. - S. Luc avait signalé plus haut, v. 40, l'enfance de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ comme un temps de développement universel. Avant de quitter la Vie cachée pour passer à la Vie publique, il fait une réflexion identique à propos de l'adolescence du Messie. - Jésus progressait. Cette croissance avait un triple objet : l'esprit, le corps, et l'âme. - 1° L'esprit. Dès les premiers siècles de l'Église, on a soulevé sur ce point une grave discussion. Dans quel sens, s'est‑on demandé, peut‑on parler de développement intellectuel pour Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ? L'accord n'a pas toujours régné à ce sujet parmi les théologiens. Plusieurs Pères, et spécialement S. Athanase, Orat. 3 contr. Arian. c. 51 et ss., n'ont pas craint d'admettre un véritable progrès dans les connaissances du Christ. En tant que Dieu, disaient‑ils, Jésus savait toutes choses de toute éternité ; mais, en tant qu'homme, il croissait en sagesse, au fur et à mesure que son intelligence était illuminée par les splendeurs du Verbe. Il avait semblé à S. Athanase et à d'autres saints Docteurs que cette interprétation des paroles de S. Luc permettait de réfuter plus clairement et plus aisément les Ariens, qui en abusaient pour prétendre que Jésus‑Christ n'était pas Dieu, puisque son être avait été borné. Mais d'autres Pères affirmaient en même temps qu'en Jésus il n'y avait pas eu de développement intellectuel proprement dit. D'après S. Cyrille, Thesaur. Assert., l. 10, c. 7, s'il croissait, « ce n'est pas que son humanité, qui fut parfaite dès le début, pût s'accroître, mais elle se manifestait progressivement ». La croissance avait donc lieu seulement par rapport aux hommes. Au moyen âge, la question fut reprise et précisée de la façon la plus heureuse. Les théologiens scolastiques établirent une distinction entre la science divine ou incréée de Notre‑Seigneur, laquelle ne diffère pas de la science de la sainte Trinité, et la science humaine ou créée que le Christ possède en tant qu'homme. Ils divisèrent encore cette science humaine en trois branches, la science béatifique (ou de vision), la science infuse, et la science acquise (résultant de l'expérience). Par science de vison, ils entendent les connaissances que l'âme du Christ puisait, à la façon des anges et des bienheureux, dans la contemplation intuitive de la divine essence ; par science infuse, les lumières que Dieu lui transmettait sans cesse directement ; par science acquise, les notions qui lui provenaient du raisonnement, de l'expérience, etc. Or, d'après l'opinion commune, la science béatifique et la science infuse de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ont été parfaites dès le premier instant de sa conception ; elles n'ont donc pu recevoir aucun accroissement. Seulement, elles émettaient chaque jour de plus brillants rayons, « comme le soleil qui, de son lever à son zénith, devient de plus en plus lumineux est dit progresser, non parce qu’en lui il y a une croissance, mais dans l’effet seulement, parce qu’il répand sur nous progressivement une plus abondante lumière ». Corn. Jansénius, Comm. in Luc. 2, 52. Au contraire, sa science expérimentale grandissait constamment. Non toutefois qu'elle apprît à Jésus des choses entièrement nouvelles ; mais elle lui montrait sous un aspect nouveau des idées qu'il connaissait déjà en vertu de sa science infuse. C'est ainsi que, d'après la lettre aux Hébreux, 5, 8, « a appris, tout Fils qu'il est, par ses propres souffrances, ce que c'est qu'obéir ». Ces distinctions nous paraissent élucider parfaitement ce point délicat : elles rétablissent d'ailleurs l'harmonie entre les Pères, car elles expliquent comment les uns ont pu admettre un progrès dans la sagesse du Sauveur tandis que les autres le rejetaient. - 2° Le corps. Le terme grec est amphibologique, et peut signifier tout aussi bien « taille » que « âge ». Nous préférons, à la suite de nombreux exégètes, le premier de ces deux sens. D'ailleurs la différence n'est pas grande, puisque, durant une partie notable de la vie humaine, le développement de la taille et de la vigueur physique accompagne la croissance en âge. - 3° L'âme, ou le développement moral. Nous retrouvons ici la même difficulté que pour le progrès intellectuel de Jésus. Elle se résout d'une manière analogue. Nous distinguons encore, à la suite des théologiens, « les habitudes et les actes surnaturels, les principes et les effets. Les œuvres de grâce ou les actes de vertu croissaient et se multipliaient sans cesse ; mais les habitudes infuses, les dispositions vertueuses, la grâce sanctifiante, tout ce qu'exigeait en son âme sa qualité d'Homme‑dieu, ne pouvait croître. Le Sauveur a toujours possédé ces dons au degré le plus élevé ». Bacuez, Manuel biblique, t. 3, Nouveau Testament, Paris 1878, p. 171. Telle est bien la doctrine de S. Thomas, tertia pars, questions 7 à 12 : « Dans le Christ, il ne pouvait pas y avoir d’augmentation de la grâce comme dans les bienheureux…si ce n’est selon l’effet, c’est‑à‑dire, dans la mesure où quelqu’un opère des œuvres plus vertueuses ». On conçoit, d'après cela, comment la croissance de Jésus, soit en sagesse, soit en grâce, avait lieu non‑seulement parmi les hommes, mais aussi auprès de Dieu. cf. 1 Samuel 2, 26, où une réflexion semblable est faite à propos du jeune Samuel. Désormais le silence le plus complet se fait autour de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Les premiers événements de sa vie paraissaient annoncer une série non‑interrompue de miracles ; mais voici que la chronique sacrée nous le montre vivant dans une profonde obscurité, comme un pauvre artisan (cf. Marc. 6, 3) qui gagne sa pain à la sueur de son front. Toutefois, dit S. Bonaventure, Vita Christi, c. 15, « en ne faisant rien de merveilleux il accomplissait précisément une sorte de miracle ».
Si l'on voulait maintenant comparer entre eux les récits de la Sainte Enfance d'après S. Matthieu et d'après S. Luc, on pourrait dire que, tout en s'harmonisant fort bien, ainsi qu'il a été démontré plus haut (voir la note du v. 39), ils diffèrent néanmoins beaucoup l'un de l'autre. Dans l'Évangile selon S. Matthieu, S. Joseph paraît être le personnage principal ; dans le récit de S. Luc, c'est au contraire Marie qui est généralement à l'avant‑scène. S. Luc raconte un plus grand nombre d'événements ; sa narration nous fait mieux connaître les trente premières années de Jésus. On dirait, suivant une gracieuse fiction du P. Faber, Bethléem, p. 239 et ss., qu'il était auprès de la crèche parmi les premiers adorateurs de Jésus, qu'il assista de même aux mystères de la Présentation, de Nazareth, etc., tant ses peintures sont détaillées et vivantes. Il est par excellence l'évangéliste de la Sainte Enfance, de même que S. Jean est l'évangéliste de la divinité du Verbe.
Luc 3.1 La quinzième année du règne de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, Philippe, son frère, tétrarque de l'Iturée et du pays de la Trachonite et Lysanias, tétrarque de l'Abilène, - Ce paragraphe commence par une période solennelle, magnifiquement agencée, qui a pour but de fixer l'époque vers laquelle s'ouvrit le ministère de S. Jean. Au moyen d'une date synchronique qui est du plus haut intérêt pour la chronologie de la vie du Sauveur (voyez La Sainte Bible, Introduction Générale aux Évangiles par Monsieur l’Abbé Louis-Claude Fillion, pdf de 141 pages sur JesusMarie.com), S. Luc rattache l'histoire sacrée à l'histoire profane, et attribue aux événements qu'il va raconter leur vraie place sur le grand théâtre de l'activité des peuples. « Le temps de la naissance du Christ n’est pas défini avec précision, ni celui de sa mort, ni celui de sa résurrection, ni celui de son ascension ». (Bengel). Mais l'apparition du Précurseur avait une importance particulière : c'était « le début de l'Évangile », Marc. 1, 1 (cf. Thom. Aq. Somme Théologique, p. 3, q. 38, a.1), et par conséquent le début de l'Église. Cette date, unique en son genre dans le Nouveau Testament, est une nouvelle preuve de l'exactitude avec laquelle S. Luc procède en tant que narrateur évangélique. cf. 1, 3. Elle a pour ainsi dire six faces distinctes, qui se complètent l'une l'autre : ou bien, ce sont comme six sphères concentriques, se rapprochant successivement de leur centre, et consacrées à chacune des autorités civiles et religieuses qui administraient alors, sous un titre ou sous un autre, le pays où Jean‑Baptiste allait se manifester. - 1° La quinzième année du règne de Tibère César. En tête de la liste, nous trouvons naturellement le nom de l'empereur romain, car à cette époque la Judée dépendait directement de Rome. C'était Tibère (Claudius Tiberius Nero), fils de Tibère Néron et de la fameuse Livia Drusilla. Sa mère étant devenue plus tard l'épouse d'Auguste, il parvint rapidement aux plus hautes dignités : il fut enfin associé à l'empire deux ou trois ans avant la mort de son beau‑père. Cette association crée précisément ici une petite difficulté. Faut‑il la regarder comme le point de départ de la date fixée par S. Luc ? Ou bien l'évangéliste a‑t‑il supputé les années du gouvernement de Tibère seulement depuis la mort d'Auguste, arrivée le 7 août 767 U.C., c'est à dire en l'an 14 ou 15 de l'ère chrétienne ? La plupart des exégètes modernes adoptent le premier sentiment, qui est plus conforme à la donnée chronologique du v. 23. En effet, si l'on comptait la quinzième année à partir du moment où Tibère régna seul, il faudrait descendre jusqu'à l'an de Rome 781 ou 782, et Jésus, né vers la fin de 749 ou au commencement de 750, aurait eu de 32 à 33 ans à l'époque de son baptême, tandis que S. Luc ne lui en donne alors que « trente environ ». Au contraire, en prenant l'association de Tibère à l'empire pour point de départ, nous obtenons l'année 779 ou 780, qui coïncide assez exactement avec la trentième de Notre‑Seigneur. Wieseler a démontré, à l'aide d'inscriptions et de médailles, que cette manière de calculer le temps du règne des empereurs était usitée dans les provinces de l'Orient. Au reste, l'autre sentiment se concilie sans beaucoup de peine avec la date élastique du v. 23. Quoiqu'il en soit, nous trouvons la quinzième année de Tibère entre 779 et 782, ce qui ne fait pas un bien grand écart. Cette première date est la plus importante des six, parce qu'elle est la plus limitée, par conséquent la plus précise. - 2° Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée. Du chef suprême de l'empire, S. Luc passe au magistrat romain qui le représentait en Judée. Un changement radical s'était opéré dans la constitution politique de cette province depuis d'assez longues années. Elle n'était plus gouvernée par les princes de la famille d'Hérode, mais elle était sous la juridiction immédiate de Rome, et, à ce titre, c'était un gouverneur qui l'administrait. Sur Ponce‑Pilate, qui était le sixième gouverneur de la Judée, voyez Matth. 27, 2 et le commentaire. Son gouvernement dura dix ans, de 779 à 789. - 3° Hérode, tétrarque de Galilée. cf. L'Évangile selon S. Matthieu, p. 287. C'est le second des Hérodes du Nouveau Testament. Devenu tétrarque en 750, à la mort de son père Hérode‑le‑Grand, il conserva le pouvoir pendant 42 ans : il fut destitué par Caligula en 792 et banni à Lyon. La Pérée faisait également partie de sa tétrarchie. - 4° Philippe, son frère… C'est aussi en 750 que Philippe, frère ou plutôt demi‑frère d'Hérode Antipas, car ils n'avaient pas la même mère, hérita des provinces mentionnées par S. Luc. Il les conserva jusqu'à sa mort, qui eut lieu vers 786. Il ne faut pas le confondre avec le prince du même nom, époux légitime d'Hérodiade, dont il est question dans S. Marc, 6, 17 (voir le commentaire). L'Iturée, dont on rattache généralement le nom à Jethur, fils d'Ismaël, Genèse 25, 15, qui fut sans doute un de ses anciens possesseurs, ne devait pas beaucoup différer du Djédour actuel, contrée située à l'E. du Jourdain et de l'Hermon, au S. O. de Damas, près des limites septentrionales de la Palestine. C'est un plateau à surface ondulée, muni par intervalles de monticules à forme conique. La partie méridionale est bien arrosée et très fertile ; le Nord au contraire est rocailleux, dénué de sol et à peu près stérile. La nature du terrain et des rochers annonce partout une formation volcanique. La Trachonite est identifiée avec le district d'El‑Ledscha, qui forme une sorte de triangle dont les pointes sont tournées au N. vers Damas, à l'E. vers la Batanée, à l'O. vers l'Auranite. Flavius Josèphe en a tracé une description : « Les habitants n'ont ni villes, ni champs ; ils demeurent dans des cavernes, qui leurs servent de refuges ainsi qu'à leurs troupeaux… Les portes de ces cavernes sont tellement étroites que deux hommes n'y sauraient passer de front ; mais l'intérieur est immensément large. La contrée forme une plaine, ou peu s'en faut : seulement, elle est couverte de roches raboteuses et elle est d'un accès difficile. On a besoin d'un guide pour trouver les sentiers, qui font mille détours et circuits ». Ant. 15, 10, 1. D'après Josèphe, la domination du tétrarque Philippe s'étendait aussi sur la Batanée, l'Auranite et le pays de Gaulon : le Nord‑Est de la Palestine lui appartenait donc en entier. - 5° Lysanias, tétrarque de l'Abilène. Pendant un certain temps, il a été de mode, dans le camp rationaliste, d'accuser S. Luc d'ignorance ou d'erreur à propos de cette cinquième date. Le Lysanias qu'il mentionne ici comme un contemporain de la Vie publique de Jésus serait, disait‑on, ce roi de Chalcis qui fut mis à mort par Marc‑Antoine vers l'an 34 avant l'ère chrétienne (Dio Cass. 49, 32 ; Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 1, 13, 1. Mais des découvertes providentielles ont donné complètement gain de cause au récit inspiré, si bien que des rationalistes sont les premiers à défendre notre évangéliste. cf. Renan, Mission de Phénicie, pp. 316 et ss. ; Id., Mémoire sur la dynastie des Lysanias d'Abilène (dans les Mém. de l'Académie des Inscrip. et Belles Lettres, t. 26, 2è part., 1870, pp. 49-84). On a donc reconnu qu'il exista plusieurs Lysanias, et que l'un d'eux était certainement tétrarque d'Abilène à l'époque de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Cela résulte de divers passages de l'historien Josèphe, dans lesquels le tétrarque d'Abila apparaît comme un prince entièrement distinct du roi de Chalcis mentionné plus haut. Celui‑ci est rattaché à Marc‑Antoine, celui‑là aux règnes de Claude et de Caligula. cf. Flavius Josèphe Ant. 14, 3, 3 ; 15, 4, 1 ; 18, 6, 10 ; 19, 5, 1, etc. Voir aussi Wallon, De la croyance due à l'Évangile, pp. 393 et ss.. Qu'était la tétrarchie d'Abilène ? On n'en saurait fixer les limites exactes, les provinces d'Orient ayant subi de fréquents changements à cette époque orageuse ; mais son emplacement n'est pas douteux. Les ruines de sa capitale, Abila (aujourd'hui Suq Wadi Barada), se voient encore sur le versant oriental de l'Antiliban, à quelques lieues au N. O. de Damas, dans une région aussi fertile que gracieuse, arrosée par le Barada.
Luc 3.2 au temps des grands prêtres Anne et Caïphe, la parole du Seigneur se fit entendre à Jean, fils de Zacharie, dans le désert. - 6° Sous les grands prêtres… Après avoir signalé les hommes qui exerçaient l'autorité civile en Palestine quand S. Jean inaugura son ministère public, S. Luc mentionne aussi ceux qui, dans le même temps, étaient maîtres du pouvoir religieux à Jérusalem. Mais la manière dont il le fait a créé une difficulté d'exégèse assez sérieuse. 1° Personne n'ignore que, dans la religion mosaïque, il n'y avait jamais deux grands prêtres à la fois. 2° De plus, à l'époque dont parle notre évangéliste, Anne avait cessé depuis de nombreuses années d'être le pontife suprême des Juifs, puisque, élevé à cette dignité l'an de Rome 759, il avait été déposé en 767 par le procureur Valérius Gratus. On a imaginé différentes hypothèses pour expliquer ce semblant d'inexactitude. 1° Anne et Caïphe auraient géré alternativement, d'année en année, le souverain Pontificat. cf. Jean 11, 49, 51 ; 18, 13 et le commentaire ; 2° Anne aurait été le Sagan, c'est‑à‑dire le substitut du grand‑prêtre Caïphe : ou bien 3° il aurait rempli les fonctions de Naci ou de président du Sanhédrin, ce qui lui eût conféré une grande autorité au point de vue religieux. Mais ces conjectures sont bien peu fondées. Nous aimons mieux supposer avec plusieurs commentateurs 4° que S. Luc, peut‑être avec une légère pointe d'ironie, a voulu décrire ainsi le véritable état des choses, c'est‑à‑dire montrer que l'exercice du sacerdoce suprême était alors beaucoup plus entre les mains d'Anne qu'entre celles de Caïphe ; ou 5° que l'on continuait à donner à Anne le titre honorifique de grand‑prêtre, bien que Caïphe fût le vrai titulaire ; ou enfin 6° que, dans l'opinion générale, Anne était regardé malgré sa destitution comme le pontife de droit, puisque, d'après la loi juive, le souverain pontificat était à vie : Caïphe n'eût été alors que le grand‑prêtre de fait. Voyez Actes 4, 6 et le commentaire. Josèphe, Ant. 20, 20, applique aussi à Anne le titre de Pontife ; S. Luc ne saurait donc être taxé d'erreur pour avoir employé cette même expression. Sur Caïphe, voyez S. Matth. - A tous les noms que l'évangéliste vient de citer se rattachaient pour le peuple juif, sous le double rapport moral et politique, les misères les plus profondes. Comme Israël avait alors besoin de pénitence et de rédemption. - La parole du Seigneur se fit entendre. Formule majestueuse, pour exprimer les communications divines faites aux prophètes. cf. 1 Rois 17, 1 ; Isaïe 38, 4, 5 ; Jérémie 1, 2 ; Ézéchiel 1, 3 ; Osée 1, 1 ; Jean. 1, 1, etc. Elle désigne ici le moment solennel où Dieu fit entendre à Jean‑Baptiste qu'il était temps de quitter son désert (cf. 1, 80), et d'aller préparer les voies au Messie. - A Jean. Les noms de Tibère, de Pilate, des tétrarques et des grands‑prêtres n'avaient donc pour but que d'introduire celui du fils de Zacharie.
Luc 3.3 Et il vint dans toute la contrée du Jourdain, prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés, - Docile aux ordres de Dieu, Jean abandonne sa retraite et s'en vient dans la profonde vallée du Jourdain, et aussitôt il commence à prêcher. S. Luc indique dans les mêmes termes que le second des synoptiques, 1, 4, l'objet principal de la prédication de Jean‑Baptiste : le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. Cf. S. Marc. Il nous montrera plus bas, v. 7, quoique d'une manière incidente, le Précurseur administrant lui‑même ce baptême de pénitence.
Luc 3.4 ainsi qu'il est écrit au livre des oracles du prophète Isaïe : "Une voix a retenti au désert : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers. - Comme ses deux devanciers, S. Luc applique au ministère de S. Jean‑Baptiste la belle prophétie d'Isaïe qui, plusieurs siècles à l'avance, en avait si bien déterminé la nature. Seulement il la cite d'une manière beaucoup plus complète : S. Matthieu et S. Marc s'étaient bornés à en rapporter les premières paroles. Il nomme la collection du grand prophète un livre des discours, conformément à l'usage hébreu. - Une voix a retenti ou une voix clame. « C’est bien d’appeler Jean la voix, le héraut du Verbe, parce que la voix qui est inférieure précède, et parce que le Verbe, qui lui est supérieur, suit ». St. Ambroise. La voix du Précurseur criera aux Juifs : Préparez le chemin du Seigneur… ; Jean sera ainsi le pionnier mystique de Jésus.
Luc 3.5 Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées, les chemins tortueux deviendront droits et les raboteux unis. - La sublime métaphore continue, le prophète décrivant par quelques détails comment il faut préparer la voie du Seigneur, redresser les routes sur lesquelles il doit bientôt passer. 1° Toute vallée sera comblée. Opération qui consiste à combler, au moyen de remblais, les dépressions de terrain qui rendraient la route dangereuse ou impraticable. 2° Toute montagne et toute colline seront abaissées, pour éviter les montées trop raides. 3° Ce qui est tortueux sera redressé. 4° Ce qui est raboteux sera aplani. Les endroits scabreux, raboteux, devront être également travaillés de manière à fournir une voie plane et aisée. Quatre belles figures des obstacles moraux qui s'opposent à la prédication de l'Évangile, et que chacun doit renverser s'il veut posséder pleinement Jésus‑Christ. Voyez la Chaîne d'or de S. Thomas d'Aquin sur ce verset.
Luc 3.6 Et toute chair verra le salut de Dieu." - On lit dans le texte primitif : « Et toute chair verra également que la bouche du Seigneur a parlé ». Quand tout obstacle aura disparu, le Roi‑Messie fera dans les cœurs son entrée triomphale, et personne, sauf les hommes volontairement rebelles à la grâce, ne sera exclu de sa visite. Cette idée est bien conforme au caractère universel du troisième Évangile. Voyez la Préface, § 5.
Luc 3, 7-9 = Matth. 3, 7-10.
Dans ce passage, la narration de S. Luc coïncide presque mot pour mot avec celle de S. Matthieu (voyez le commentaire) : on y rencontre néanmoins plusieurs détails caractéristiques.
Luc 3.7 Il disait à ceux qui accouraient en foule, pour être baptisés par lui : "Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? - Il disait. L'imparfait montre que S. Jean‑Baptiste adressait fréquemment à la foule les terribles objurgations qui vont suivre. - Ceux qui accouraient en foule : les multitudes sortaient des lieux habités, pour venir dans les contrées sauvages et désertes où prêchait et baptisait S. Jean. - Race de vipères. S. Matthieu, 3, 7, a pris soin de dire, pour expliquer cette apostrophe sévère, qu'un grand nombre des Juifs sur lesquels elle retombait étaient des Pharisiens hypocrites ou des Sadducéens dépravés. Ces chefs de la nation l'avaient formée tout entière à leur image. - Qui vous a appris à fuir… Le verbe grec est plein d'énergie, il signifie proprement : « mettre quelque chose devant les yeux de quelqu’un pour qu’il voie ». Qui avait donc pu faire croire à ces pécheurs endurcis qu'ils pourraient, sans changer de sentiments ou de conduite, et en vertu d'une pure cérémonie échapper aux châtiments divins ? Par colère à venir il faut entendre principalement la colère que le souverain Juge manifestera dans l'autre vie contre les pécheurs impénitents, comme l'indique cette parole analogue de Jésus, Matth. 23, 33.
Luc 3.8 Faites donc de dignes fruits de repentir et n'essayez pas de dire en vous-mêmes : Abraham est notre père, car je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des enfants à Abraham. - Faites donc : puisque vous n'avez pas d'autre moyen de vous sauver. Les fruits de pénitence, c'est‑à‑dire les actes de pénitence, montreront la réalité de leur conversion. Le précurseur en signalera quelques‑uns dans les versets suivants. - N’essayez pas de dire : N'essayez pas même de tenir ce langage : c'est tout‑à‑fait inutile. - Abraham est notre père. Les Juifs, et avec raison, étaient fiers d'avoir Abraham pour père ; mais ils auraient dû se souvenir que cette filiation, toute glorieuse qu'elle fût, ne suffisait pas pour les délivrer au jour de la colère divine. cf. 16, 24-31 ; Romains 2, 17-29. « Si vous étiez enfants d'Abraham, vous feriez les œuvres d'Abraham », leur répondra justement Jésus quand ils se vanteront d'être les fils d'Abraham, Jean 8, 39 et ss. - Car je vous dis… S. Jean, opposant la descendance spirituelle à la paternité charnelle, continue de renverser sans pitié les orgueilleuses et sottes prétentions de ses auditeurs. Abraham est l'ami de Dieu et c'est là un grand avantage pour ses enfants, soit. Mais quels sont les véritables enfants ? « Ceux qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu », Jean 1, 13. Or celui qui a fait naître miraculeusement Isaac pourra bien, s'il le veut, susciter à Abraham d'autres enfants de miracle, qu'il tirera, non plus seulement d'un sein stérile, mais des pierres mêmes du désert. S. Jean désignait ainsi les païens, qui allaient bientôt remplacer, par droit d'adoption, les Juifs déshérités.
Luc 3.9 Déjà la cognée est à la racine des arbres. Tout arbre donc qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu." - Prenez garde, continue Jean‑Baptiste, la « colère à venir » pourrait bien ne pas tarder à atteindre ceux qui refuseraient de se convertir. La hache gît déjà auprès des mauvais arbres, ou plutôt elle est même appuyée contre leurs racines. Il n'y a plus qu'à la saisir, à frapper un coup décisif, et les pervers seront à tout jamais perdus. - Sera coupé… jeté au feu. Dans le texte primitif, le verbe est au présent, pour exprimer plus énergiquement l’exécution rapide des célestes menaces.
Luc 3.10 Et le peuple lui demanda : "Que faut-il donc faire ?" - Le peuple lui demanda : Cette demande se renouvelait souvent. - Que faut-il donc faire ? « Donc », puisqu'il résulte de vos paroles, vv. 7-10, que nous avons quelques chose à faire pour opérer notre salut. En quoi doit consister pour nous l'activité morale que vous nous recommandez d'une manière si pressante ? Question bien naturelle, que posent aussitôt les âmes décidées à se convertir sincèrement. cf. Actes 2, 37 ; 16, 30 ; 22, 10. Elle prouve donc les bonnes dispositions de ceux qui l'adressaient à S. Jean.
Luc 3.11 Il leur répondit : "Que celui qui a deux tuniques en donne une à qui n'en a pas et que celui qui a de quoi manger fasse de même." - Le Précurseur acquiesce avec bonté au pieux désir de la foule. Mais que penser de sa première réponse ? Maldonat faisait déjà remarquer, avec toute la finesse de sa critique, qu'elle semble, au premier abord, assez éloignée de la question. Et pourtant comme le conseil, si on l'examine de près, correspond bien aux intentions et aux besoins des interrogateurs. Les Orientaux, à la vive imagination, s'expriment rarement en termes purement spéculatifs. Chez eux, les préceptes se traduisent volontiers par des exemples concrets et pratiques. Aussi, sous ce morceau de pain, sous cette tunique, que S. Jean recommande de donner aux pauvres, devons‑nous voir le précepte de l'amour du prochain dans toute son étendue, sans nous borner à la lettre du conseil. Notre‑Seigneur Jésus‑Christ use de formules analogues dans le Discours sur la montagne pour inculquer le même commandement. Ainsi du reste avaient fait les prophètes. « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement », Isaïe 58, 7. « Rachète tes péchés par tes aumônes, et tes iniquités par ta compassion pour les pauvres », Daniel 4, 24. Ce dernier texte nous montre à quel point l'avis de Jean‑Baptiste était judicieux, et comment, sans sortir des idées de l'ancienne Alliance, le Précurseur pouvait conseiller la miséricorde, la charité fraternelle, comme œuvre de pénitence et comme moyen de conversion. - Deux tuniques. Il s'agit de la tunique intérieure (sorte de chemise), le plus souvent munie de manches, et descendant parfois jusqu'aux chevilles. - de quoi manger. - Voilà donc la charité décrite d'une façon populaire par deux de ses œuvres principales. Le vêtement et la nourriture, tels sont bien les deux besoins les plus pressants des pauvres.
Luc 3.12 Il vint aussi des publicains pour être baptisés et ils lui dirent : "Maître, que devons-nous faire ?" - Des publicains. Sur cette classe alors si décriée, cf. Matth. 3, 47 et le commentaire. Après l'allocution pratique adressée à toute la foule vv. 10 et 11, nous en trouvons deux autres ayant pour objectifs des catégories spéciales, les publicains et les soldats. - Maître. Ils disaient en hébreu : rabbi. Voyez Matth. 23, 7 et le commentaire. Les publicains donnent seuls à S. Jean ce titre honorable. cf. Les vv. 10 et 14.
Luc 3.13 Il leur dit : "N'exigez rien au-delà de ce qui vous est ordonné." - A ce qu'on appelait par euphémisme le dérèglement des publicains, quelle digue opposera l'austère Précurseur. Uniquement, et nous en sommes presque surpris, celle de la justice et du devoir. Au lieu des vifs reproches que nous attendions, nous trouvons simplement ces mots, qu'on traiterait peut‑être de relâchés s'ils tombaient d'une autre bouche : N'exigez rien de plus que la taxe légitime. C'est qu'il existe certaines carrières, certaines fonctions, dans lesquelles la justice et la vérité se touchent en quelque sorte, carrières et fonctions où il faut une vertu énergique pour se tenir dans les limites de ce qui est « juste ». Tel était l'office des publicains d'après le système de perception alors en usage. Il facilitait en effet les exactions les plus odieuses, et les collecteurs d'impôts profitaient largement de leur situation pour s'enrichir aux dépens du public. cf. 19, 8 ; Tacite, Annal. 13, 50.
Luc 3.14 Des soldats l'interrogèrent aussi, disant : "Et nous, que devons-nous faire ? " Il leur répondit : "Abstenez-vous de toute violence et de toute fraude et contentez-vous de votre solde." - « Luc montre quelle fut la puissance de cette prédication de Jean qui a amolli même des soldats, féroces pour la plupart. » (Maldonat). Le terme grec employé pour désigner ces soldats indique qu'ils étaient des hommes actuellement sous les armes et en service actif. Ces soldats faisaient‑ils partie de l'armée d'Hérode Antipas ? Ou bien étaient‑ce des légionnaires romains ? Il serait assez difficile de le dire. Il paraît certain du moins qu'ils étaient juifs d'origine, car on trouvait des mercenaires israélites dans toutes les armées d'alors. Voyez Grotius, in h. l. La réputation des soldats de cette époque agitée était, s'il est possible, pire encore que celle des publicains. Ce que nous avons vu durant les guerres contemporaines ne saurait suffire pour nous donner une idée de leurs déprédations, de leur férocité. La manière dont les armées étaient formées entrait déjà pour beaucoup dans la barbarie des mœurs militaires. Elles se composaient en grande partie d'aventuriers venus de tous les coins du globe et surtout des contrées réputées les plus rudes (la Thrace, la Dalmatie, la Germanie), de débiteurs insolvables, d'enfants prodigues qui, après avoir mangé leur fonds avec leur revenu avaient cherché un asile dans la milice, de bandits, de paresseux, etc. Les nombreuses guerres qui avaient eu lieu récemment et la liberté que Rome donnait à ses légions dans les pays envahis ou conquis avaient développé à un degré formidable ces mauvaises dispositions : aussi, les troupes réputées les meilleures et les plus exemplaires étaient‑elles fort à redouter elles‑mêmes. Toute l'histoire ancienne, comme celle du moyen-âge, est remplie de gémissements à ce sujet. Et pourtant, voilà que la prédication de Jean‑Baptiste a touché quelques‑uns de ces rudes cœurs. Et nous, demandent‑ils avec emphase à la suite des publicains, que devons‑nous faire ? A eux aussi le précurseur se borne à tracer des règles de perfection qui ne dépassent pas les limites du strict devoir. 1° Abstenez-vous de toute violence… le verbe grec signifie vexer, tourmenter. Par cette première recommandation, S. Jean interdisait donc aux soldats qui le consultaient la rapine, le maraudage, les réquisitions violentes et injustes. 2° De toute fraude. Le verbe grec a ici le sens d'accuser à faux. Pour obtenir plus facilement le pillage d'une maison, d'un village, les soldats inventaient des dénonciations mensongères contre les habitants. C'est ce mode d'extorsion que S. Jean leur interdit. 3° Contentez‑vous de votre solde. Ce troisième avis était pratique alors, car à chaque instant les troupes se mutinaient à propose de solde et de nourriture. Plusieurs fois les empereurs romains furent obligés d'augmenter considérablement la paie et les vivres des légionnaires. Le salaire quotidien, après avoir été de dix as (le 1/3 d'un denier) sous Jules César, fut porté par Auguste à deux deniers par jour. cf. Tacite, Ann. 5, 17
Luc 3, 15-18 = Matth. 3, 11-12 = Marc 1, 7-8.
Luc 3.15 Comme le peuple était dans l'attente et que tous se demandaient dans leurs cœurs, à l'égard de Jean, s'il ne serait pas le Christ, - Comme les deux premiers synoptiques, S. Luc associe à la prédication de Jean‑Baptiste le témoignage que le héraut rendit à son Maître en face de tout le peuple ; mais il en a seul noté l'occasion, ce qui n'est pas sans importance. - Le peuple était dans l’attente. Le verbe grec indique une attente anxieuse, une vive tension des esprits. Cette attente, cette tension, sont exprimées plus fortement encore par les mots « dans leurs cœurs », littéralement pesaient le pour et le contre. Ils ne durent pas tarder à se communiquer mutuellement leurs pensées, qui avaient S. Jean et sa mission pour objet. Cette réflexion de l'évangéliste nous permet d'entrevoir l'influence énorme que le Baptiste avait conquise, l'étonnante impression qu'il avait produite. « Émerveillé de tout ce qu'il voit et de tout ce qu'il entend, frappé de la sainteté manifeste du nouveau prophète, ému de sa brûlante éloquence, voilà donc le peuple qui se demande s'il ne se trouverait pas en face du Messie attendu. Un peu de science ou de réflexion le détournerait de cette conjecture, puisque le Messie doit naître de la race de David et que Jean‑Baptiste n'en descend pas. L'imagination et la spontanéité populaires ne s'arrêtent pas à ce genre d'obstacle ». M. L'abbé Planus, S. Jean‑Baptiste, Étude sur le Précurseur, Paris 1879, p. 180. Quelle ardente surexcitation des esprits apparaît dans la simple réflexion de S. Luc. Mais on y voit en même temps combien S. Jean avait réussi à rendre vivante la pensée du Messie. cf. Jean 1, 19-28.
Luc 3.16 Jean leur dit à tous : "Moi, je vous baptise dans l'eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi et dont je ne suis pas digne de délier la courroie de la sandale, lui, il vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu. 17 Sa main tient le van et il nettoiera son aire et il amassera le froment dans son grenier et il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas." - Jean répond de façon aussi solennelle que possible. « Au premier indice des sentiments qui se dessinent, Jean‑Baptiste prend l'offensive. Il va au‑devant de l'estime exagérée qu'on s'apprête à faire de lui, il se dérobe aux acclamations qui se préparent, il s'efface devant Celui qu'il est chargé d'annoncer au monde : en quels termes, avec quelle énergie et quelle soudaineté ». M. Planus, ibid., p. 181. « Il ne montre pas de zèle pour lui‑même, mais pour l’époux ; il déteste être aimé pour lui‑même ». St Augustin. - Dans les circonstances solennelles, les Orientaux donnent volontiers à leurs paroles une forme poétique, non‑seulement par le choix d'expressions plus relevées, plus imagées, mais aussi par la coupe et la structure des phrases. Le présent témoignage du Précurseur en est un frappant exemple. Nous y découvrons sans peine un véritable rythme, qui s'est conservé même dans le texte grec, et qui consiste en trois périodes ou strophes bien marquées les deux premières à trois membres et corrélatives, la troisième à deux membres seulement. 1° Le baptême de S. Jean et celui du Christ sont comparés l'un à l'autre au moyen d'une forte antithèse. Moi… est opposé à il…, baptise dans l'eau à baptisera dans l'Esprit‑Saint et le feu. Ce que le feu est à l'eau, le baptême du Christ le sera à l'égard du baptême de S. Jean. L'eau ne lave qu'au dehors, le feu purifie au dedans, lavant pour ainsi dire jusqu'à la moelle, et cela est vrai surtout au moral, à propos du feu de l'Esprit‑Saint dont il est ici question. Voir, pour l'explication détaillée des versets parallèles dans S. Matth. 2° La dignité de S. Jean et celle du Christ : autre antithèse. La figure si pittoresque et si modeste par laquelle Jean‑Baptiste exprime son infériorité personnelle relativement au Messie est vraiment admirable. Le Précurseur ne se croit pas même digne de rendre au Christ le plus humble service. Au contraire, continue‑t‑il en employant une autre image toute majestueuse (cf. 22, 11 et Jérémie 15, 7), le Messie se manifestera comme un juge souverain, auquel personne ne pourra résister. Pour les détails nous renvoyons encore le lecteur à S. Matth. - 3° le verset 17 décrit le sort opposé qui attend dans l'autre vie les justes et les pécheurs. - C'est en ces termes que S. Jean au faîte de sa popularité, rejeta énergiquement l'honneur indu qu'on voulait lui attribuer. Rien ne put le faire sortir de son rôle de Précurseur et de témoin du Messie.
Luc 3.18 Par ces exhortations et beaucoup d'autres semblables, il annonçait donc au peuple la bonne nouvelle. - L'évangéliste termine par cet abrégé sommaire, qui lui appartient en propre, son exposé de la prédication de Jean‑Baptiste. Sur les lèvres du Précurseur, l'annonce de la bonne nouvelle, c'est‑à‑dire de l'avènement prochain du Messie, s'associait à de pressantes exhortations, qui avaient pour but de préparer les cœurs à cet avènement. S. Jean était donc tout ensemble un prédicateur de l'Ancien Testament et un évangéliste du Nouveau.
Luc 3, 19-20 = Matth. 14, 3-4 = Marc 6, 17-18
Tandis que les deux premiers synoptiques ne racontent l'incarcération du Précurseur que d'une manière tardive, à l'occasion de son martyre, S. Luc la place par anticipation à la suite du ministère de Jean‑Baptiste.
Luc 3.19 Mais Hérode le tétrarque, étant repris par lui au sujet d'Hérodiade, femme de son frère et de tout le mal qu'il avait fait, - Sur le tétrarque Hérode, voyez la note du v. 1. - Il reprenait Hérode … au sujet d'Hérodiade : c'est la raison pour laquelle Antipas avait osé faire arrêter S. Jean. Celui‑ci, avec son noble courage, avait repris le tétrarque au sujet de l'union criminelle qu'il avait contractée avec Hérodiade, la femme de son frère. Cf. S. Matth. 14, 3-4 notes. S. Jean avait également reproché à Hérode tous ses autres scandales, et toutes ses mauvaises actions.
Luc 3.20 il ajouta ce crime à tous les autres et enferma Jean en prison. - Il mit le comble à toutes ses iniquités antérieures par un nouveau forfait, qui joignait la malice du sacrilège à celle d'une arrestation injuste. Cette tournure énergique est spéciale à S. Luc. C'est du reste notre évangéliste qui accuse le plus formellement Hérode dans cette circonstance. S. Marc, 6, 20, a quelques détails à la décharge du tétrarque. - Il enferma Jean en prison : probablement dans la forteresse de Machéronte au Nord de la mer Morte.
Luc 3, 21-22 = Matth. 3, 13-17 Marc. 1, 8-11. Nous n'avons que peu de choses à ajouter aux détails écrits, à propos de ce fait important, dans nos commentaires sur les deux premiers Évangiles. Le récit de S. Luc est en effet le plus court et le moins complet des trois. On dirait que le narrateur a moins voulu relater le baptême de Jésus que les manifestations divines auxquelles cette cérémonie donna lieu. Néanmoins il nous a conservé plusieurs détails nouveaux et caractéristiques. S. Ambroise : « Luc fait un beau résumé des choses qui ont été dites par d’autres »
Luc 3.21 Or, dans le temps que tout le peuple venait de recevoir le baptême, Jésus fut aussi baptisé et pendant qu'il priait, le ciel s'ouvrit, - Or,… rattache ce verset au v18. - Tout le peuple venait de recevoir le baptême… est un premier détail propre à S. Luc. Il n'est pas nécessaire d'admettre que le baptême de Notre‑Seigneur eut lieu en même temps que celui de la foule, par conséquent en présence de nombreux témoins. Cette locution paraîtrait plutôt supposer que Jésus se trouvait seul alors avec le Baptiste. cf. Matth. 3, 13-15. Au reste, telle qu'elle a été traduite par la Vulgate, elle peut simplement signifier : à l'époque où le peuple se faisait baptiser. « Tout le peuple » est une hyperbole destinée à montrer le grand concours qui avait lieu auprès de S. Jean. - Jésus fut aussi baptisé et pendant qu'il priait… Second détail spécial à peine baptisé, Jésus se met en prière sur la rive du Jourdain. Nous avons déjà fait observer dans la Préface, § 5, 2, que S. Luc note avec un intérêt particulier quelques‑unes des oraisons de l'Homme‑Dieu, par exemple celles qui précédèrent le baptême, le choix des Apôtres, la Transfiguration, etc. cf. 5, 16 ; 6, 12 ; 9, 18, 29 ; 10, 21 ; 11, 1 ; 21, 37 ; 22, 31, 32 ; 23, 34 ; 24, 33. - Le ciel s'ouvrit. C'est la première des manifestations divines, qui contiennent en quelque sorte la réponse de Dieu à la prière de Jésus. Elle rappelle, par sa nature, le mot du poète : « Je vois le ciel médian s’ouvrir » (Virgile).
Luc 3.22 et l'Esprit-Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe et du ciel une voix se fit entendre, disant : "Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection." - Seconde manifestation : l'Esprit‑Saint descendit… S. Luc mentionne à cette occasion un troisième détail spécial : l'apparition de l'Esprit‑Saint fut donc un phénomène extérieur et réel. - La troisième manifestation consiste dans la voix céleste qui, adressant à Jésus (« Tu es ») des paroles tout à fait expressives, le reconnut pour le Fils bien‑aimé du Père éternel. C'est la première des voix mystérieuses qui retentirent durant la Vie publique de Jésus pour lui rendre témoignage. cf. Matth. 17, 5 ; Jean 12, 28. L'emplacement traditionnel du baptême de Jésus est à peu de distance des ruines d'un monastère bâti en l'honneur de S. Jean‑Baptiste par sainte Hélène et nommé aujourd'hui Qasr al-Yahoud (château des Juifs). Voyez Gratz, Théâtre des événements racontés dans les divines Écritures, t. 1, pp. 307 et s. de la traduct. française. « Comme un homme, tu es venu dans le fleuve, Christ roi, recevoir le baptême servile. Hâte‑toi, oh bon, par la main du précurseur, pour nos péchés, toi qui aimes les êtres humains ! …C’était une chose étonnante de voir le Seigneur du ciel et de la terre, dénudé, recevoir le baptême comme un serviteur, par un serviteur, pour notre salut. Et l’étonnement des anges allait de la crainte à la joie. Avec eux nous t’adorons. Sauve‑nous ! ». Extrait des Ménées de l'Église grecque (ap. D. Guéranger, Année liturgiq. t. 2, pp. 204 et ss.
Luc 3, 23-38. = Matth. 1, 1-16.
Dans le troisième Évangile comme dans le premier nous trouvons une généalogie du Sauveur ; mais, tandis que cette pièce sert d'introduction au récit de S. Matthieu, elle n'a été placée par S. Luc qu'au début de la Vie publique de Notre‑Seigneur. Chacun des deux évangélistes s'est laissé diriger en cela par son plan général. Aux Juifs pour lesquels écrivait S. Matthieu il convenait de fournir immédiatement une démonstration officielle, irrécusable, du caractère messianique de Jésus : S. Luc pouvait attendre, et il semble s'être complu à rapprocher de la voix céleste qui venait de proclamer Jésus fils de Dieu, v. 22, un document par lequel la filiation humaine du Christ était prouvée de la façon la plus authentique. Dans l'Exode (6, 14) on n'établit de même la généalogie de Moïse qu'au moment où il se présente muni de pleins pouvoirs devant le Pharaon.
Nous allons d'abord parcourir rapidement la liste généalogique de Jésus d'après S. Luc ; nous la comparerons ensuite à celle de S. Matthieu et nous résoudrons les difficultés que soulèvera cette comparaison.
Luc 3.23 Jésus avait environ trente ans lorsqu'il commença son ministère, il était, comme on le croyait, fils de Joseph, fils d'Héli, 24 fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi, fils de Janné, fils de Joseph, 25 fils de Mattathias, fils d'Amos, fils de Nahum, fils d'Hesli, fils de Naggé, 26 fils de Maath, fils de Mattathias, fils de Séméï, fils de Josech, fils de Juda, 27 fils de Joanan, fils de Résa, fils de Zorobabel, fils de Salathiel, fils de Néri, - Ces mots ne signifient pas, comme le pensait Érasme, que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ « commençait à avoir trente ans », c'est‑à‑dire qu'il entrait dans sa trentième année, quand il fut baptisé par S. Jean : Jésus avait, quand il commença (son ministère), environ trente ans. Ainsi traduisaient déjà Origène et Eusèbe. « A trente ans, Jésus se présente au baptême de Jean, et commence, à partir de ce moment, à enseigner et à faire des miracles » Eusèbe, Ad Stephan. qu. 1, ap. Mai, Script. vet. nova collect., t. 1, p. 1. - Il est bien conforme aux habitudes de précision chronologique du troisième évangéliste de fixer une date ; or, une indication de ce genre ne pouvait être mieux placée qu'au moment où Jésus recevait l'inauguration messianique dans le mystère de son baptême. Environ montre toutefois que S. Luc n'a pas voulu parler avec une exactitude rigoureuse. Le Sauveur avait donc alors « environ » trente ans, c'est‑à‑dire qu'il n'était ni beaucoup au‑delà ni beaucoup au‑dessous de cet âge. Notons que c'est l'âge réputé parfait. S. Jean‑Baptiste avait pareillement trente ans lorsqu'il quitta son désert pour prêcher. Joseph, ce gracieux type du Messie, avait aussi trente ans quand il fut créé vice‑roi d'Égypte. - Comme on le croyait, fils de Joseph. Il y a dans cette locution une allusion manifeste à la conception miraculeuse de Jésus. La foule, non initiée au mystère raconté par S. Luc dès sa première page, 1, 26-38, supposait que Notre‑Seigneur était le fils de Joseph et de Marie (cf. 4, 22) ; mais c'était là une grossière erreur, que la Providence ne devait pas tarder à détruire. Voyez des indications semblables dans S. Matthieu, 1, 16, 18, 25. L'Esprit‑Saint sauvegarde délicatement, toutes les fois que l'occasion s'en présente, l'honneur virginal de Jésus et de Marie. - fils d'Héli. A partir d'ici et jusqu'au v. 27 inclusivement, nous lisons les noms des ancêtres du Sauveur qui vécurent après la captivité de Babylone. Ils sont généralement écrits avec de grandes variantes dans les manuscrits et versions : ce sont en effet des mots hébreux, difficiles à transcrire, que les copistes ne pouvaient manquer de défigurer. Tous les personnages qu'ils représentent sont inconnus, à part Salathiel et Zorobabel (v. 27), que nous avons trouvés dans la liste de S. Matthieu. Quelques exégètes, il est vrai (Paulus, Wieseler, etc.), ont prétendu qu'il y a ici une simple ressemblance de noms ; mais leur opinion est très communément rejetée, et à bon droit, puisque ces noms se rencontrent dans les deux nomenclatures vers la même époque et qu'ils expriment les mêmes relations de père à fils.
Luc 3.28 fils de Melchi, fils d'Addi, fils de Cosam, fils d'Elmadam, fils de Her, 29 fils de Jésus, fils d'Eliézer, fils de Jorim, fils de Matthat, fils de Lévi, 30 fils de Siméon, fils de Juda, fils de Joseph, fils de Jonan, fils d'Eliakim, 31 fils de Méléa, fils de Menna, fils de Mattatha, fils de Nathan, fils de David, - Ces quatre versets correspondent au temps qui s'écoula entre la captivité de Babylone et le règne de David. Même observation que précédemment à propose de l'orthographe de presque tous ces noms propres. Avec Nathan, la liste généalogique de S. Luc entre en contact avec celles que nous trouvons dans l'Ancien Testament ; elle suivra désormais pas à pas l'histoire juive. Nathan était, comme Salomon, fils de David par Bethsabé. cf. 2 Samuel 5, 14.
Luc 3.32 fils de Jessé, fils d'obed, fils de Booz, fils de Salmon, fils de Naasson, 33 fils d'Aminadab, fils d'Aram, fils d'Esron, fils de Pharès, fils de Juda, 34a fils de Jacob, fils d'Isaac, - C'est la troisième phase de la généalogie : elle nous conduit de David à Abraham.
Luc 3.34b fils d'Abraham, fils de Tharé, fils de Nachor, 35 fils de Sarug, fils de Réü, fils de Phaleg, fils d'Héber, fils de Salé, 36 fils de Caïnan, fils d'Arphaxad, fils de Sem, fils de Noé, fils de Lamech, 37 fils de Mathusalé, fils d'Enoch, fils de Jared, fils de Malaléel, fils de Caïnan, 38 fils d'Enos, fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu. - Quatrième phase : d'Abraham à Adam. Le premier Caïnan (v. 36) occasionne une difficulté, car aucun patriarche de ce nom n'est mentionné dans le texte hébreu entre Arphaxad et Sale (cf. Genèse 11, 12-15), non plus que dans le Pentateuque samaritain, le Targum chaldéen, la version syriaque et la Vulgate. D'un autre côté, il doit avoir fait partie très anciennement de la nomenclature de S. Luc, car on le trouve dans tous les manuscrits du Nouveau Testament (à part un seul, le Cod. D), dans les meilleures versions (Vulg., Ital., syr., éthiop.) et dans les Pères. Tout s'explique si l'on consulte le texte des Septante au passage de la Genèse cité plus haut ; on y lit en effet en termes exprès le nom de Caïnan. Il est donc vraisemblable que, de la version d'Alexandrie, ce nom aura passé de bonne heure, par le fait d'un copiste, dans la liste de S. Luc. Voyez du reste les commentaires sur la Genèse, l. c. - Mathusalé du v. 37 est la forme hébraïque du nom de Mathusalem (Méthouschélach). - fils d’Adam, fils de Dieu. Les Juifs appliquaient volontiers à Adam le titre de fils de Dieu, qui lui convenait si bien, puisqu'il était sorti directement des mains du Créateur. Titre en outre si glorieux pour toute l'humanité. cf. Actes 17, 28. « Qu’est‑ce qui a pu se produire de plus beau qu’une génération sainte qui commence par le Fils de Dieu, et qui conduit jusqu’au Fils de Dieu ? » Saint Ambroise. Voici donc l'histoire abrégée de quarante siècles.
[2023 : J. Masson, Jésus, fils de David dans les généalogies de Saint-Matthieu et de Saint-Luc (Paris, Téqui 1982, 589 p.) a étudié à fond la valeur historique de ces deux généalogies et leurs rapports. Le Père René Laurentin, Les Évangiles de l'Enfance du Christ. Vérité de Noël au-delà des mythes, exégèse et sémiotique - historicité et théologie, Paris-Tournai, Desclée et Desclée de Brouwer, 1982, p. 309-311, en propose une synthèse en trois pages, cf. La Bible Chrétienne, Les Quatre Évangiles, II* Commentaires, Anne Sigier, 1990, §26, p.154].
Nous avons maintenant à étudier la liste généalogique de S. Luc dans ses rapports avec celle de S. Matthieu. Il y a longtemps que les incrédules de toute nuance profitent de l'obscurité qui l'environne pour essayer de miner la véracité, l'authenticité des SS. Évangiles. Le païen Celse et le manichéen Faustus (cf. August. contr. Faust. 3, 1) furent des premiers à lancer cette objection. Mais il y a longtemps aussi que les apologistes et les exégètes croyants l'éclaircissent. Voyez la lettre de Jules l'Africain ap. Euseb. Hist. Eccl. 1, 7 (cf. A. Mai, Script. vet. nov. Collect. t. 1, p. 21 et ss.) ; S. Augustin, de Consensu Evangel. 2, 2 et 3 (cf. Sermo 51 ; Quaest. Evang. 2, 5). Voyez : D. Calmet, Dissertation pour concilier S. Matth avec S. Luc sur la généalogie de Jésus‑Christ ; H. Wallon, De la croyance due à l'Évangile, Paris 1858, pp. 160 et ss. ; Glaire, Les Livres saints vengés, Paris 1845, t. 2, pp. 273 et ss. ; Dehaut, l'Évangile expliqué, défendu, t. 1, pp. 248 et s. de la 5è édit. ; Le Camus, Préparation exégétique à la Vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, Paris 1869, pp. 318 et ss., etc. Assurément, on ne saurait affirmer sans exagération que les différentes solutions données au problème sont de nature à satisfaire l'esprit d'une manière complète. « Le dernier mot de la difficulté n'a pas été dit, et probablement ne le sera jamais » (Le Camus, l. c., p. 342) ; les données nous manquent pour cela. Aussi bien n'est‑il pas nécessaire que nous en arrivions à ce degré de clarté. « Notre position est de beaucoup meilleure que celle de nos adversaires. Ils s'efforcent de mettre en relief les contradictions des deux arbres généalogiques ; mais tant qu'ils n'ont pas établi une impossibilité absolue de les concilier, ils n'ont rien avancé contre nous. Une simple hypothèse que l'apologiste démontre possible et acceptable renverse toutes leurs argumentations. Ils se brisent, comme disait Théodore de Bèze, contre une enclume qui a usé d'autres marteaux ». Ibid. p. 333.
Ainsi que nous le faisions observer dans notre commentaire sur S. Matthieu, p. 40, la généalogie de Notre‑Seigneur d'après S. Luc diffère et quant à la forme et quant au fond de celle qu'on lit dans le premier Évangile. Voici les principales divergences de forme : 1° S. Matthieu suit une marche descendante : il part de la souche et va de branche en branche jusqu'à Jésus, le dernier rejeton. S. Luc remonte au contraire le cours des générations. L'ordre suivi par S. Matthieu est le plus naturel : c'est celui des registres publics. L'ordre qu'a suivi S. Luc semble avoir été préféré par les Grecs. Du reste, nul doute que les deux évangélistes ne se soient conformés aux documents qu'ils avaient sous les yeux. 2° S. Matthieu a partagé les ancêtres du Christ en trois groupes symétriques qui correspondent à trois époques distinctes de l'histoire juive ; aussi, pour obtenir cette division régulière, a‑t‑il omis plusieurs noms moins célèbres. Il entremêle en outre à sa nomenclature des détails historiques et chronologiques. S. Luc se contente, à la façon d'un strict rapporteur, de mentionner les personnages les uns à la suite des autres : sa liste n'a donc rien de subjectif, mais elle est très complète. 3° Le premier arbre généalogique n'établit la filiation de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qu'à partir d'Abraham, tandis que le second la poursuit jusqu'à Adam, jusqu'à Dieu. Cette différence a pour cause la diversité des buts que se proposaient les deux évangélistes. S. Matthieu écrivait pour des Juifs ; or, à des Juifs, il suffisait de prouver que Jésus descendait de David et d'Abraham. S. Luc s'adressait à des païens convertis ; il lui importait donc de montrer que Jésus était le Rédempteur de tous les hommes, et qu'il n'appartenait pas seulement à une race spéciale, mais à la grande race humaine, issue toute entière d'Adam.
Les noms des personnages communs aux deux listes sont : Jésus, Joseph, Zorobabel, Salathiel, David, Jessé, obed, Booz, Salmon, Naasson, Aminadab, Aram, Esron, Pharès, Juda, Jacob, Isaac, Abraham.
Il résulte de la comparaison entre les deux listes : 1° que les ancêtres de Notre‑Seigneur sont notablement plus nombreux dans la seconde liste que dans la première, 2° qu'entre David et S. Joseph nous ne trouvons que des noms différents, à part ceux de Salathiel et de Zorobabel.
La difficulté qui provient de la divergence des nombres se résout encore assez aisément. Quoi d'étonnant d'abord qu'il n'y ait d'une part que 41 noms, tandis qu'il y en a de l'autre jusqu'à 77 (onze fois 7, le nombre sacré, observent les auteurs mystiques ; S. Irénée, qui réduit ce chiffre à 72, on ignore par quel procédé, fait un rapprochement entre les 72 aïeux du Christ et les 72 subdivisions de la Table des peuples, Genèse 10), puisque le point de départ n'est pas le même. Si nous comparons les époques partielles nous arrivons au résultat suivant : d'Abraham à David, 14 générations de part et d'autre ; de David à la captivité, 14 générations d'après S. Matthieu, 20 d'après S. Luc ; de la captivité à Jésus‑Christ, 14 et 21 générations. Ou encore : de David à S. Joseph, 41 noms dans S. Luc, 27 seulement dans S. Matthieu ; ce qui fait en moyenne 25 ans d'un coté et 40 de l'autre pour une génération. Mais il faut se souvenir que S. Matthieu a éliminé plusieurs noms. De plus, des phénomènes analogues se présentent fréquemment dans les branches diverses d'une même famille. Le vrai nœud de la difficulté consiste dans la différence des noms cités par les évangélistes. S. Matthieu et S. Luc prétendent nous livrer l'un et l'autre l'arbre généalogique authentique de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et voici que celui‑là rattache Jésus à David par Salomon, tandis que celui‑ci l'en fait descendre par Nathan. Celui‑ci donne Néri, celui‑là Jéchonias pour père à Salathiel. D'après celui‑là S. Joseph est fils de Jacob ; d'après celui‑ci il est fils d'Héli. Comment tout cela peut‑il être vrai en même temps ? Les solutions des exégètes pour établir l'harmonie entre les deux écrivains sacrés peuvent se ramener à quatre systèmes.
1. Le premier système a pour base ce qu'on nommait chez les Juifs la loi du Lévirat. D'après cette loi, quand un homme, après avoir été marié, mourait sans laisser de postérité, son frère, ou même son plus proche parent, était tenu d'épouser la veuve, si elle était encore en âge de devenir mère. Les enfants qui naissaient de ces secondes noces étaient censés appartenir au défunt, dont ils étaient comme la descendance légale. cf. Deutéronome 25, 6. Or, on suppose que Jacob et Héli étaient frères utérins, c'est‑à‑dire qu'ils provenaient de la même mère quoique de pères distincts (Mathan et Mathat). De plus, Héli serait mort sans enfants. Jacob, ayant alors épousé la veuve de son frère, en aurait eu un fils, nommé Joseph. Même hypothèse à propos de Jéchonais (père réel), de Néri son frère utérin (père légal), et de son fils Salathiel. Cela posé, on conçoit que les généalogies soient si dissemblables, puisque l'une d'elles, celle de S. Matthieu, cite les pères naturels, tandis que l'autre, celle de S. Luc, mentionne les pères selon la Loi. Les séries devaient nécessairement diverger d'une manière notable, quoiqu'elles se rencontrent à deux reprises. Il n'y a rien d'impossible à ce que la loi du Lévirat ait été ainsi appliquée deux fois dans une même famille durant un intervalle de mille ans (entre David et S. Joseph). - Telle est l'opinion adoptée en substance par la plupart des Pères et des commentateurs, depuis Jules l'Africain qui en donna le premier la formule, jusque vers la fin du 15ème siècle (« Cette sentence est commune. Elle tire son autorité de la tradition de l’Église, du consentement unanime des pères, et de l’approbation des plus graves théologiens ». Sylveira). S. Ambroise, S. Jérôme, S. Augustin (il parle, il est vrai, d'une adoption et non d'un mariage de lévirat ; mais cela revient à peu près au même), S. Grégoire de Nazianze, S. Thomas d’Aquin, Salméron, Maldonat, le Dr Hug comptent parmi ses plus illustres défenseurs.
2. Les deux généalogies sont encore celles de S. Joseph, mais on en explique les divergences par un autre procédé. Le premier Évangile indiquerait le droit de succession au trône, le troisième la descendance réelle. Voici quelques détails. La branche aînée, issue de David par Salomon, s'étant éteinte après Jéchonias, une branche collatérale, celle de Nathan, hérita (peut‑être par adoption) de la succession royale dans la personne de Salathiel. Plus tard encore, nouvelle extinction de la branche aînée (ou d'Abiud) dans la personne de Jacob, et nouvelle transmission des droits royaux à la branche cadette (ou de Résa) sur la tête de Joseph, fils d'Héli.
D'après ce sentiment, dont les principaux défenseurs sont Grotius, Possinus, le Dr Mill, Lord Hervey, M. Schegg, etc. nous aurions donc dans S. Luc la généalogie privée de S. Joseph, la série de ses aïeux naturels et réels, dans S. Matthieu sa généalogie en tant qu'héritier légal et officiel du trône, c'est‑à‑dire la série des rois légitimes de la théocratie. Par exemple, dit avec esprit M. Trollope, The Gospel according to S. Luke, Cambridge 1877, p. 144, si l'on voulait tracer la généalogie complète de la reine d'Angleterre, il faudrait, 1° pour établir ses droits au trône du Royaume uni, passer par Georges Ier, les Stuarts, les Tudors et remonter jusqu'à Guillaume le Conquérant, 2° pour donner sa descendance naturelle, passer encore par Georges Ier mais quitter aussitôt la ligne des monarques anglais et suivre celle des ducs de Brunswick.
3. D'après Corneille de Lapierre, nos deux listes contiendraient l'arbre généalogique non de S. Joseph, comme dans les systèmes qui précèdent, mais de la Très Sainte Vierge. Seulement, les ancêtres de Marie seraient cités du côté maternel dans la nomenclature de S. Matthieu, du côté paternel dans celle de S. Luc. Les choses se seraient passées de la manière suivante : Sainte Anne, épouse d'Héli, et mère de Marie, était la sœur de Jacob, la fille de Mathan ; de la sorte, Joseph, fils de Jacob, se trouve avoir été neveu de sainte Anne, et par conséquent le cousin germain de la Sainte Vierge en même temps que son époux.
Fr. Luc de Bruges admet également cette hypothèse avec quelques modifications. Peut‑être se demandera‑t‑on comment on peut la concilier avec la croyance de l'Église, d'après laquelle le père de Marie se serait appelé Joachim et non Héli. Mais il existe une très grande analogie entre ces deux noms, et on les trouve employés l'un pour l'autre dans la Bible, par exemple au livre de Judith, où le même grand‑prêtre, appelé d'abord Éliachim 4, 5, 11, apparaît ensuite, 15, 9 sous la dénomination de Joachim. Éli est en effet une abréviation de Éliachim ; or, Éliachim et Joachim ont une signification presque identique (« Dieu soutient »). D'ailleurs, même d'après la tradition juive, Marie aurait eu un Héli pour père. « Miriam fille d'Héli », lisons‑nous dans le Talmud, Hieros. Chagigah, fol. 77, 4.
4. Des deux listes généalogiques, l'une (S. Matth.) se rapporte à S. Joseph, l'autre (S. Luc) à la Sainte Vierge. Ce système s'appuie, de même que le premier, sur la loi mosaïque, mais d'une autre manière. Il suppose que Marie était fille unique, et par suite fille héritière, ce qui l'obligeait, d'après Nombres 36, 5-8, à se marier dans sa propre tribu. Or dans ce cas le mari, ne faisant qu'une seule personne morale avec sa femme, recueillait tous les titres de celle‑ci : il avait en quelque sorte deux pères, son père naturel et son père légal (son beau‑père). C'est pour cela que S. Joseph est appelé d'une part fils de Jacob, de l'autre fils d'Héli. Sans doute il eût été plus clair de nommer directement Marie ; mais il était contraire à l'usage antique d'établir en termes exprès la généalogie d'une femme (« La lignée du père est appelé lignée ; la lignée de la mère n’est pas appelé lignée », Baba bathra, fol. 110, 1) ; S. Luc l'a donc établie d'une manière indirecte, en substituant S. Joseph à la Sainte Vierge. On prouve que Marie était fille héritière soit par la tradition, qui l'a fréquemment affirmé, soit à l'aide du récit même de S. Luc, 2, 4 et ss. Pourquoi la Mère de Jésus va‑t‑elle à Bethléem avec S. Joseph, à l'occasion du recensement ordonné par Auguste, sinon parce qu'elle était tenue de se présenter en personne devant les officiers impériaux ? Or, elle ne pouvait être astreinte à cette obligation que parce qu'elle représentait une branche de la famille de David. En elle se terminait la branche de Nathan, de même que celle de Salomon aboutissait à S. Joseph. Cette hypothèse est adoptée par la plupart des exégètes (Surenhusius, Ligthfoot, Bengel, Rosenmüller, Wieseler, MM. Von Burger, Behrmann, Arnoldi, Godet, Bisping, van Oosterzee, Le Camus, Arnoldi, Plumptre, Ewald, J. P. Lange, Riggenbach, etc.) : elle est aussi populaire que la première l'était dans l'antiquité, et nous inclinons à lui donner aussi nos préférences, parce qu'elle nous semble résoudre de la manière la plus simple et la plus naturelle le problème des généalogies évangéliques. En effet, 1° si les deux listes se rapportent à S. Joseph, c'est‑à‑dire à un père putatif, Jésus n'a été l'héritier de David que par adoption, en d'autres termes par une sorte de fiction légale. Supposé que cela ait suffi aux lecteurs juifs de S. Matthieu, puisque c'était conforme aux principes théocratiques, les lecteurs païens de S. Luc auraient bien pu ne pas s'en contenter : il fallait pour eux la preuve d'une descendance réelle, et la généalogie de Jésus par Marie contenait seule cette démonstration d'une manière absolue. - 2° Depuis le commencement de son récit, S. Luc a toujours mis S. Joseph à l'arrière‑plan : Marie a été constamment pour lui le personnage principal. Il ne s'est pas lassé de montrer que, si Jésus avait daigné prendre une mère ici‑bas, aucun homme ne pouvait le revendiquer comme fils dans le sens propre de cette expression. Bien plus, au début même de sa nomenclature, il oppose la réalité historique à l'opinion commune (« comme on le croyait, fils de Joseph »). Serait‑il conséquent avec lui‑même s'il identifiait, immédiatement après cette réflexion, les ancêtres de Jésus avec ceux de Joseph ? - 3° Le texte grec de S. Luc (v. 23) se ramène sans trop de peine à notre interprétation ; car, en premier lieu, si les mots « qui le fut de Dieu » désignent une filiation improprement dite, pourquoi n'en serait‑il pas de même quand il s'agit des rapports de S. Joseph et d'Héli ? En second lieu, d'assez nombreux exégètes croient pouvoir traduire le v. 23 de la manière suivant : « Jésus était fils d'Héli, Mathat, etc. », c'est‑à‑dire qu'ils rattachent à Jésus tous les génitifs de la liste, de manière à mettre S. Joseph tout à fait en dehors de l'arbre généalogique. - 4° Plusieurs Pères, sans affirmer directement que la généalogie donnée par S. Luc est celle de Marie, semblent le supposer d'une manière indirecte, par exemple S. Irénée, Contre les Hérésies, 3, 29, Tertullien, de Carne Christi, c. 21 et 22, S. Athanase, contr. Apollin. 1, 4.
Le premier système a également une grande valeur, soit à cause de son antiquité et des autorités sérieuses sur lesquelles il s'appuie, soit parce que les évangélistes, si on prend toutes leurs expressions à la lettre, semblent dire qu'ils se proposent de donner l'un et l'autre la généalogie de S. Joseph. Mais il multiplie les hypothèses, et on peut lui reprocher d'être assez compliqué. Le second et le troisième présentent, à notre avis, moins de garanties ; celui‑là parce qu'il prend le verbe « engendra » dans un sens figuré qui ne saurait lui convenir, celui‑ci parce que l'une des deux listes, celle de S. Matthieu, se rapporte évidemment à S. Joseph. Au reste, comme Marie, aussi bien que son saint époux, appartenait à la famille de David (voyez S. Matth.), en toute hypothèse sa généalogie est au moins implicitement contenue dans celle de Joseph.
Résumons et concluons. Deux évangélistes ont conservé la généalogie du Sauveur, et il se trouve que leurs listes varient. Toutefois, même abstraction faite de l'inspiration, il n'est pas croyable qu'ils se soient trompés ou qu'ils aient voulu tromper. Les documents généalogiques abondaient chez les Juifs, comme on le voit par les livres des Chroniques, d'Esdras, de Néhémie et de l'écrivain Flavius Josèphe (cf. Vita, c. 1 ; contr. App. 1, 7), et il était aisé de les consulter. Des écrivains sensés auraient‑ils bien inséré dans leurs narrations des pièces erronées, qu'il eût été facile d'attaquer et de réfuter ? Puisqu'ils nous ont laissé des catalogues si distincts, S. Matthieu et S. Luc avaient donc quelques raisons de s'écarter l'un de l'autre. Nous en avons suggéré plusieurs, qui sont parfaitement plausibles ; cela suffit. Vraisemblablement, c'est une table de rois que nous trouvons dans le premier Évangile, et une table d'ancêtres dans le troisième : ici Jésus nous apparaît comme descendance de la femme, là nous le saluons comme héritier du trône théocratique. Quoi qu'il en soit, les deux listes aboutissent glorieusement au Messie, en qui revit à jamais la race de David, ainsi que le Seigneur l'avait promis. Voyez dans Derenbourg, Essai sur l'histoire et la géographie de la Palestine, Paris 1867, p. 349, une importante confirmation de la descendance royale du Sauveur par le Talmud.
L'art chrétien s'est occupé de « l'arbre de Jessé » ou de la généalogie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. On le trouve partout représenté, surtout au moyen-âge : les vitraux des églises, les vignettes des manuscrits, les tapisseries, les tableaux, les sculptures le reproduisent avec un grand mélange de grâce et d'originalité. Voyez aussi un beau poème de Lowth, inséré dans la traduction française de ses Leçons sur la poésie sacrée des Hébreux.
Luc 4, 1-13 ( = Matth. 4, 1-11) ; Marc. 1, 12-13.
Le premier acte de Jésus après sa consécration messianique consiste à réparer la chute du premier homme, en triomphant du démon et de ses suggestions perfides. cf. S. Hilaire, in Matth. 3, 5 ; S. Ambr. Exposit. in Luc. 4, 7. Le chef de l'humanité nouvelle et régénérée passe comme Adam, le chef de l'humanité déçue, par l'épreuve de la tentation.
Luc 4.1 Jésus, rempli de l'Esprit-Saint, revint du Jourdain et il fut poussé par l'Esprit dans le désert, - Les vv. 1 et 2 contiennent les détails préliminaires du récit. Le premier nous montre d'abord Jésus quittant le Jourdain dans lequel il avait été baptisé, et gagnant, sous une vive impulsion de l'Esprit‑Saint, la solitude du désert. Sur le lieu de la tentation, cf. notes sous Matth. 4, 1-11. - Rempli de l'Esprit‑Saint est spécial à notre évangéliste et désigne la plénitude de l'onction divine reçue par Jésus, en tant qu’homme, à son baptême, 3, 22. En tant que Dieu, Jésus est parfait et sa divinité n’est l’objet d’aucune amélioration ou changement. Jésus, Dieu est homme est parfait, depuis toujours et pour toujours, sans aucun changement. A son Christ « Dieu ne lui donne pas l'Esprit avec mesure », Jean 3, 34. Aussi bien, Satan ne trouvera‑t‑il en Jésus que l'esprit de Dieu. Voyez Maldonat et Fr. Luc.
Luc 4.2 pendant quarante jours, en butte aux tentations du diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là et quand ils furent passés, il eut faim. - S. Luc paraîtrait au premier abord combiner les récits divers de S. Matthieu et de S. Marc, et dire, comme le second, que Jésus fut tenté pendant quarante jours ; comme le premier, que, ce temps écoulé, le Sauveur subit encore trois tentations distinctes. Mais nous avons vu, dans notre explication de l'Évangile selon S. Marc, que la vague locution « il fut tenté par Satan » est une formule abrégée, qui doit être interprétée d'après la narration plus précise et plus détaillée de S. Matthieu. De même ici. Au reste, il est peu croyable en soi que Notre‑Seigneur ait subi pendant quarante jours les assauts de l'esprit mauvais. cf. les Homélies Clémentines 19, 2. Le prince des démons apparut en personne et visiblement à Jésus pour le porter au mal. La mention du jeûne absolu du Sauveur pendant quarante jours est spéciale à S. Luc sous cette forme. Le verbe « jeûner » qu'emploie S. Matthieu, eût été moins clair pour les lecteurs de S. Luc.
Luc 4.3 Alors le diable lui dit : "Si vous êtes Fils de Dieu, commandez à cette pierre de se changer en pain." 4 Jésus lui répondit : "Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu." - Nous passons à l'histoire proprement dite de la tentation de Jésus. Elle consiste en trois assauts consécutifs du démon et en trois victoires du Messie. La première suggestion mauvaise de l'esprit tentateur est habilement rattachée à la faim dont souffrait le divin Maître. Les anciens peintres, se conformant à ce détail du troisième Évangile, mettaient une pierre à la main de Satan au moment où il tentait Jésus pour la première fois. Notez aussi l'entrée en matière Si vous êtes le Fils de Dieu. Le démon avait plus d'une raison de supposer que Jésus était le Christ ; néanmoins il pouvait lui rester quelques doutes, et c'est pour cela que « Il l’a tenté pour savoir s'il était le Christ » St. Augustin, de Civit. Dei, 11, 21. Il pensait l'obliger ainsi à se révéler lui‑même. - Jésus lui répondit. On a invité Notre‑Seigneur à faire usage de ses pouvoirs surnaturels pour satisfaire le besoin qui le presse. Il répond d'une manière aussi forte que simple, en s'appropriant un texte biblique (cf. Deutéronome 8, 3), qu'il se gardera bien de se secourir lui‑même de la sorte : ce n'est pas pour un motif personnel qu'il fera des miracles. Après tout, Dieu connaît les nécessités humaines et, d'une seule parole, il peut procurer à ses amis, l'histoire sainte est là pour le démontrer, une abondante nourriture. Les mots non seulement de pain désignent le pain ordinaire et en général tout ce qui peut servir d'aliment à l'homme. A ce pain Jésus oppose des nourritures fournies miraculeusement par Dieu : de toute parole de Dieu. S. Matthieu cite plus complètement le texte d'après les Septante ; S. Luc n'en donne qu'un sommaire.
Luc 4.5 Et le diable l'ayant emmené sur une haute montagne, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre, - Seconde tentation vv. 5-8. Après avoir essayé de rendre Jésus simplement infidèle à Dieu, Satan le pousse à une apostasie complète. C'est ici qu'il existe, entre nos deux narrations parallèles, une divergence au point de vue de l'arrangement extérieur. S. Matthieu en effet ne place qu'en troisième lieu la tentation qui aurait été la seconde d'après S. Luc, et réciproquement. De quel côté se trouve la vraie suite des faits ? Tout porte à croire que c'est le premier évangéliste qui a le plus exactement suivi l'ordre historique, comme le pensaient déjà S. Ambroise et d'autres Pères. On le prouve par deux raisons principales, l'une intrinsèque, l'autre extrinsèque. 1° La tentation racontée au second rang par S. Luc a été justement appelée « la plus séduisante des trois » : c'est la plus forte de toutes manières ; c'est aussi celle que Jésus a repoussée avec le plus d'horreur (« retire‑toi, Satan. »). Il convenait donc qu'elle fût la dernière. 2° S. Luc se contente en cet endroit de juxtaposer les divers incidents, sans employer aucune des formules qui indiquent une succession strictement chronologique. S. Matthieu au contraire en emploi plusieurs, ce qui paraît montrer qu'il a l'intention de marquer un ordre réel. - En un instant est un détail pittoresque, propre à S. Luc. Il prouve que la perspective en question ne fut pas déroulée peu à peu et successivement sous les yeux de Jésus, mais qu'elle lui fut présentée d'une manière instantanée, par une sorte de fantasmagorie diabolique.
Luc 4.6 et lui dit : "Je vous donnerai toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes, car elle m'a été livrée et je la donne à qui je veux. - Satan offre à Notre‑Seigneur la possession de ces royaumes qu'il vient de lui montrer. Avec quel art il relève la valeur d'une telle royauté au moyens d'expressions emphatiques. Toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes... S. Matthieu lui fait dire seulement : « Je te donnerai tout cela ». Tite de Bostra : Satan faisait un double mensonge, car il ne possédait pas cette puissance, et il ne pouvait pas donner ce qu’il n’avait pas. En effet, la puissance du démon est nulle, et Dieu n’a laissé à cet ennemi que le triste pouvoir de nous faire la guerre. Dieu seul dirige le monde : Proverbes, 8, 15 Par moi les rois règnent et les princes ordonnent ce qui est juste. 16 Par moi gouvernent les chefs et les grands, tous les juges de la terre. — S. Ambroise : Il est dit ailleurs : "Toute puissance vient de Dieu" c’est donc à Dieu qu’il appartient de donner, de régler la puissance, mais c’est du démon que vient l’ambition du pouvoir ; ce n’est pas le pouvoir qui est mauvais, c’est l’usage condamnable qu’on en fait. La Glose : dans son arrogance et dans son orgueil, Satan se vante de faire ce qui dépasse son pouvoir, car il ne peut disposer de tous les royaumes, puisque nous savons qu’un grand nombre de Saints ont reçu la royauté des mains de Dieu lui-même. Bien que Jésus l'appelle le Prince de ce monde (Jean 12, 31 ; 14, 30 ; cf. 2 Corinthiens 4, 4 ; Éphésiens 2, 2 ; 6, 12) il est surtout le père du Mensonge car Dieu seul dirige le monde, et donne le pouvoir à qui Il veut. Même pour rentrer dans un troupeau de cochons, Satan est obligé de demander la permission à Dieu (cf. Matthieu, 5, 11-12). Le livre de Job, chapitres 1 et 2, nous montre que pour pouvoir faire le mal, Satan doit obtenir la permission de Dieu. S. Thomas d’Aquin enseigne que Dieu ne permet le mal que parce ce que sa bonté sait en tirer un bien plus grand.
Luc 4.7 Si donc vous vous prosternez devant moi, elle sera toute à vous." - Ce n'est pas gratuitement que le démon concédera au Messie le pouvoir de gouverner le monde. A son offre il se hâte de mettre une condition : Si vous vous prosternez devant moi, geste par lequel, dans les contrées de l'Orient, un inférieur rend communément hommage à son supérieur. Satan proposait donc à Jésus de le reconnaître pour son Seigneur et maître. Il y a encore de l'emphase dans elle sera toute à vous.
Luc 4.8 Jésus lui répondit : "Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul." - Par cette citation (cf. Deutéronome 6, 43) Jésus oppose aux séductions diaboliques le grand principe monothéiste. Et pourtant il sera roi, mais son royaume n'aura rien de terrestre, et il ne se rapportera qu'à Dieu, et à lui seul.
Luc 4. 9 Le démon le conduisit encore à Jérusalem et l'ayant placé sur le pinacle du temple, il lui dit : "Si vous êtes Fils de Dieu, jetez-vous d'ici en bas - Troisième tentation, vv. 9-12. Le premier assaut du tentateur avait eu pour but d'inciter Jésus à s'aider lui‑même sans raison suffisante, et le second l'avait engagé à s'appuyer sur le concours de Satan : par le troisième il est poussé à exiger sans nécessité les secours divins. - Il le conduisit à Jérusalem. Ce nom propre était plus clair pour des lecteurs non‑juifs que la désignation toute hébraïque de S. Matthieu « dans la cité sainte ». - Sur le pinacle du temple. C'est de ce même endroit, d'après Hégésippe (ap. Euseb. Hist. eccl. 2, 23), que S. Jacques le Juste fut précipité par les Juifs. - A propos du pouvoir dont le démon semble avoir joui dans les deux dernières tentations sur le corps sacré de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, St Grégoire le Grand écrit fort justement : « Il n’y a pas à s’étonner que le Christ ait permis à Satan de le transporter dans les airs, lui qui a permis à ses membres de le crucifier ». Il ne faut pas admirer en cela la puissance du démon, mais plutôt la patience du Sauveur.
Luc 4 10 car il est écrit : Il a été donné pour vous l'ordre à ses anges de vous garder 11 et ils vous prendront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre." - Pour donner plus de poids à sa perfide suggestion, l'esprit mauvais, imitant Jésus, se met à citer l'Écriture, « Il cache son mensonge par le moyen de l’Écriture, comme tous les hérétiques », écrit S. Irénée, Haer. 5, 31. Il allègue donc un admirable passage des Psaumes (11, 11-12), duquel il prétendait conclure que Jésus pouvait sans aucun danger se précipiter du haut du temple, Dieu ayant promis de prendre un soin tout spécial de ses amis. S. Bernard (in Psalm. Qui habitat. , Serm. 15) réfute avec vigueur l'application faite par Satan : « Il est écrit, dit‑il, qu’il a ordonné à ses anges à ton sujet…Prêtez attention, et voyez comment il a passé sous silence, avec méchanceté et fourberie, ce qui réduirait à rien l’interprétation que donne du texte sa propre malice…Car, pour qu’ils te gardent dans toutes tes voies. Dans des précipices ? Quelle voie est‑ce de se jeter en bas du haut du temple ? Cela n’est pas une voie, mais une ruine ». - Cette fois, c'est S. Luc qui rapporte le texte biblique de la manière la plus complète.
Luc 4.12 Jésus lui répondit : "Il a été écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu." - Tu ne tenteras pas… Notre‑Seigneur indique très nettement par ces mots le vrai caractère de la dernière suggestion de Satan. Faire ce qu'on demandait de lui, ce serait tenter Dieu : « employer la puissance divine au service d'un caprice » ; or il ne s'y résoudra jamais.
Luc 4.13 Après l'avoir ainsi tenté de toutes manières, le diable se retira de lui pour un temps. - Épilogue de tout le récit. S. Luc, il est vrai, ne mentionne pas les anges qui s'approchèrent de Jésus pour le servir dès que le démon se fut retiré ; mais en revanche il nous fournit deux renseignements particuliers tout à fait instructifs. - Premier détail : Après avoir achevé toutes ces tentations (la plupart des exégètes traduisent : toutes formes de tentations). Les trois tentations spéciales auxquelles Satan avait eu recours pour porter Jésus au péché embrassent, en effet, comme le font remarquer les moralistes, le germe et l'abrégé de toutes les autres. « Elles sont au nombre de trois ; et tu ne trouveras rien qui tente la cupidité humaine en dehors du désir de la chair, du désir des yeux, et de l’ambition du monde. C’est par ces trois choses que le Seigneur est tenté par le diable ». St Augustin. cf. S. Greg. Hom. 16 in Evang. ; S. Thomas d'Aquin, Somme Théologique, 3a, q. 41, a. 4- Second détail : Il se retira de lui pour un temps. L'expression est significative : Satan ne se retire que pour un temps. Quand il aura trouvé une occasion favorable ou, selon d'autres, quand Dieu le lui permettra, il reviendra certainement à la charge, car, quoique battu, il est loin de renoncer à la lutte. Une parole de Jésus, Jean 14, 80, nous montre que sous ce « temps opportun » nous devons voir en particulier celui de sa douloureuse Passion. cf. S. Bonav. , de Vita Christi, 14. Puissions‑nous, dans nos tentations, vaincre toujours comme notre Maître. « La raison pour laquelle l’empereur combat, c’est pour que les soldats apprennent ». St Augustin Serm. 122, 2.
Luc 4, 14 et 15. = Matth. 4, 12-17 ; Marc. 1, 14-15 ; Jean 4, 43-45.
Luc 4.14 Alors Jésus retourna en Galilée, dans la puissance de l'Esprit et sa renommée se répandit dans tout le pays d'alentour. - Avant d'entrer dans les détails du ministère galiléen de Jésus, S. Luc décrit rapidement ici, et d'une manière tout à fait neuve, l'aspect général qu'il eut durant sa première phase. Voyez, 8, 1-3, quelque chose d'analogue. - Jésus retourna en Galilée. Le Sauveur avait quitté sa chère Galilée pour aller se faire baptiser par le Précurseur : il y rentre maintenant après une absence d'environ six mois (voyez S. Matth.). L'arrestation de Jean‑Baptiste fut l'occasion de ce retour (cf. Matth. 4, 12 et Marc. 1, 14) ; mais c'est dans la puissance de l'Esprit qu'il faut chercher sa cause déterminante. cf. Le v. 1. L'évangéliste, en réitérant cette réflexion, nous donne à entendre que, dans tout ce qu'il racontera désormais touchant Notre‑Seigneur, nous devrons voir la conduite secrète de l'Esprit divin. - Sa renommée se répandit… Les débuts de l'activité messianique de Jésus en Galilée furent magnifiques. A peine arrivait‑il que sa renommée remplissait déjà tout le pays. Il est possible que ce détail soit une anticipation sur le v. 15 ; mais le prompt enthousiasme des Galiléens peut très bien s'expliquer aussi par le bruit des miracles que Jésus avait opérés, d'après le quatrième Évangile, soit à Cana, soit à Jérusalem. cf. Jean 2, 1-11, 23.
Luc 4.15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous faisaient ses louanges. - Quand Jésus se présentait en personne dans les lieux où sa réputation l'avait précédé, son enseignement tout divin confirmait la bonne opinion qu'on s'était formée de lui, et lui gagnait même de nouveaux suffrages. Il n'y avait qu'une voix pour chanter ses louanges : tous faisaient ses louanges. Il est vrai qu'il se contentait alors d'annoncer la bonne nouvelle d'une manière générale, c'est‑à‑dire le prochain avènement du Messie (cf. Matth. 4, 17 ; Marc. 1, 15) ; rien encore, dans sa prédication, ne choquait les préjugés du peuple : il n'avait donc que des amis en commençant. Mais l'épisode de Nazareth va bientôt nous montrer le levain d'antagonisme se remuant dès cette époque contre Jésus.
Récit que S. Luc tenait sans doute de quelque témoin oculaire. Malgré la similitude des faits, nous croyons à l'existence d'une double visite faite par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ à ses concitoyens de Nazareth. S. Luc relate la première ; S. Matthieu et S. Marc racontent la seconde. De part et d'autre la chronologie est trop marquée pour qu'on puisse identifier les faits.
Luc 4.16 Étant venu à Nazareth, où il avait été élevé, il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat dans la synagogue et se leva pour faire la lecture. - Venu à Nazareth. Sur cette localité non moins gracieuse que célèbre, voyez S. Matth. C'est là que Jésus avait été élevé ; nous avons vu en effet (2, 39-52 ; cf. Matth. 2, 23) que la plus grande partie de son enfance et toute sa jeunesse s'étaient passées à Nazareth. - Il entra, selon sa coutume,… Précieux détail sur la vie religieuse de l'Homme‑Dieu durant sa longue retraite de trente ans. Car nous ne pensons pas que la coutume mentionnée par l'évangéliste se rapporte seulement aux débuts du ministère public de Jésus (v. 15). Le contexte exige un temps plus considérable. Les enfants étaient du reste astreints à la fréquentation des synagogues à partir de leur treizième année. - Le jour du sabbat. Sur ce jour et sur ce local spécialement consacrés au culte juif, cf. Matthieu 4, 12-17 et commentaires. Dans l'humble bourg de Nazareth il n'y avait qu'une synagogue, comme l'indique l'article du texte grec. - Il se leva pour lire. Non seulement tout est graphique dans la description de S. Luc, mais tout y est aussi de la plus parfaite exactitude, comme nous le prouvent les renseignements archéologiques parvenus jusqu'à nous. Assis tout d'abord parmi les assistants, Jésus se lève pour faire la lecture de la Bible, qui a toujours formé le fond du culte des synagogues. On se tenait en effet debout pendant cette lecture, par respect pour la parole inspirée. cf. Néhémie 8, 4 et 5. Le président de la synagogue l'avait‑il invité ce jour‑là d'une manière expresse à remplir les fonctions de lecteur, selon la pratique habituelle ? Ou bien s'offrait‑il de lui‑même, ainsi que le pouvait tout Israélite honorable ? Cette seconde hypothèse nous paraît plus conforme aux expressions de S. Luc. Dans l'un ou l'autre cas, voilà que Notre‑Seigneur gravit les degrés de la tribune située auprès du petit sanctuaire de la synagogue.
Luc 4.17 On lui remit le livre du prophète Isaïe et l'ayant déroulé, il trouva l'endroit où il était écrit : - Chaque samedi on lisait, et on lit encore chez les Juifs, deux passages de la Bible : le premier se nommait Paraschah ; le second, extrait des Prophètes, était appelé Haphtarah. Puisqu'on présente à Jésus le livre des prophéties d'Isaïe, c'est donc que la Paraschah avait été lue, et qu'on était alors arrivé à la dernière partie de la cérémonie, qui se concluait en effet par l'Haphtarah (littér. acte de congédier). Ayant reçu le livre des mains du sacristain de la synagogue, Jésus l'ouvrit, ou mieux il le déroula, car les livres liturgiques chez les Juifs ont toujours consisté en membranes de parchemin cousues bout à bout et roulées autour d'un ou deux bâtons plus ou moins ornés. C'est pour cela qu'on les appelait Meghillah, rouleau. Telle est d'ailleurs la forme primitive des livres, quoique les « livres » proprement dits, composés de feuilles carrées ou rectangulaires placées l'une sur l'autre (codex) fussent connus dès avant l'époque de Notre‑Seigneur. Les rouleaux bibliques sont parfois énormes, et par conséquent très incommodes. Pour obvier aux inconvénients d'un tel poids et de telles dimensions, on divisait souvent les « volumes » en plusieurs tomes, qui contenaient chacun une partie distincte. C'est ainsi que Jésus reçut une Meghillah spécialement réservée à Isaïe : d'où il suit que l'Haphtarah de ce jour devait être prise dans les prophéties du fils d'Amos. - Il trouva l'endroit… Le divin Maître choisit‑il de lui‑même ce passage ? Ou bien était‑il fixé pour la lecture du jour ? Comme les Juifs le lisent actuellement pour la fête du « Iôm Kippour » ou de l'expiation, divers auteurs ont supposé qu'on célébrait alors cette solennité. Mais il est aisé de leur démontrer que l'ordre actuel des Haphtarah est loin de remonter au temps de Jésus. Revenant à la question proposée, il nous semble plus naturel de conclure que l'expression employée par S. Luc, « il trouva », que Jésus, en déroulant le volume, tomba providentiellement sur une colonne consacrée au chapitre 61ème, et s'y arrêta pour en lire les premières lignes. Rien ne pouvait être mieux approprié à la circonstance, car si un passage relatif à la descente royale du Messie, à ses prérogatives judiciaires, à sa puissance irrésistible, eût été peu en rapport avec les préjugés de l'assemblée, un texte qui développe son rôle pacifique et humble, sa condescendance et sa douceur, convenait au contraire admirablement ; or, dans celui que trouva Jésus, le Christ consolateur est peint au vif avec toutes ses divines amabilités, avec sa prédilection pour les petits et les affligés, en même temps qu'avec les grâces qu'il a reçues du ciel pour apporter le bonheur à tous. S. Luc cite ces paroles d'Isaïe d'après la traduction des Septante, mais avec quelques variantes remarquables, ainsi qu'il arrive presque toujours quand un fragment de l'Ancien Testament est inséré dans les écrits du Nouveau. Jésus les lut en hébreu, et l'interprète en donna probablement la traduction en araméen, l’idiome parlé alors dans toute la Palestine.
Luc 4.18 "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par son onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres et il m'a envoyé guérir ceux qui ont le cœur brisé, 19 annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles le retour à la vue, pour rendre libres les opprimés, publier l'année favorable du Seigneur." - Dès ces premiers mots nous trouvons, comme aimaient à le dire les anciens auteurs, l'indication des trois personnes divines : le Père, marqué par Seigneur, le Fils « sur moi », qui ne diffère pas du Messie, et l'Esprit‑Saint. Qui, mieux que Jésus, pouvait s'appliquer de telles choses ? cf. Isaïe 11, 2 ; 42, 2. Voilà la quatrième fois, depuis le commencement de ce chapitre, qu'on nous le montre possédant la plénitude de l'Esprit de Dieu. - C'est pourquoi… C'est au moral qu'il faut entendre cette onction du Messie : elle désigne une destination sainte, une consécration. Jésus venait de la recevoir au baptême. cf. Actes 4, 27. La suite de la citation caractérise d'une manière sublime l’œuvre miséricordieuse du Christ, au moyen d'expressions à peu près synonymes, dont la répétition emphatique est du plus bel effet. Dieu a donc envoyé son Messie sur la terre pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, généralement si délaissés ; pour guérir ceux qui ontle cœur brisé, et il y en a tant en ce monde, proposition authentique quoiqu'elle manque dans plusieurs documents importants, tels que les manuscrits B, D, L, Z, Sin. et les versions copte, armén., éthio., ital. ; pour crier aux captifs qu'ils sont libres, aux aveugles qu'ils voient (littéral., d'après l'hébreu, « aux enchaînés une ouverture » : les prisonniers longtemps plongés dans d'obscurs cachots, et enfin délivrés, sont assimilés par la traduction Alexandrine à des aveugles qui recouvrent subitement la vue) ; enfin pour prêcher une année favorable, l'année toute aimable de Dieu. Isaïe, par ces derniers mots, faisait allusion à l'année jubilaire, qui, en remettant toutes les dettes, et en rendant la liberté à tous les esclaves, faisait cesser tant de douleurs. Voyez Lévitique 25, 8 et ss. Le jubilé de l'Évangile est mille fois plus aimable, car il remet des dettes autrement écrasantes, il brise des chaînes autrement lourdes, les dettes et les chaînes du péché. - Pour avoir pris trop à la lettre cette « douce année du Seigneur », divers écrivains ecclésiastiques de l'antiquité, tels que Clément d'Alexandrie, Strom. 1 ; Origène, de Princip. 4, 5 ; Tertullien, contr. Jud. 8 ; Lactance, Instit. Div. 4, 10 (cf. S. August. De Civ. Dei, 18, 54), et plusieurs sectes hérétiques (les Valentiniens et les Alogi ; ont cru à tort que le ministère public de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ n'avait pas duré au‑delà d’un an. On réfute aisément cette opinion à l'aide de la tradition et des textes évangéliques. Voir le chapitre de notre Introduction générale relatif à la Chronologie des Saints Évangiles. La ligne mettre en liberté ceux qui sont brisés sous les fers ne fait pas partie du chap. 61è d'Isaïe ; mais on la trouve un peu plus haut, 58, 6. S. Luc, citant de mémoire, l'aura insérée ici à cause de la ressemblance des pensées. - Habituellement, le maphtir lisait 21 versets des prophètes ; mais il arrivait aussi qu'on se contentât d'en lire trois, cinq ou sept. Jésus profita de cette latitude.
Luc 4.20 Ayant roulé le livre, il le rendit au servant et s'assit et tous, dans la synagogue, avaient les yeux attachés sur lui. - Les détails de ce verset sont tous extrêmement pittoresques ; c'est un tableau vivant du peintre S. Luc. En avant, nous contemplons le héros de la scène, et tout autour les spectateurs. Chacun des gestes de Jésus est décrit : sa lecture achevée, 1° il roula la Meghillah ; 2° il la rendit au ministre qui la replaça aussitôt dans l'arche sainte située au fond du sanctuaire ; 3° il s'assit dans la chaire du lecteur, montrant ainsi qu'il allait prendre la parole pour expliquer le texte qu'il venait de lire. - L'auditoire est vivement impressionné, tous les regards sont fixés sur Jésus. Chacun des assistants se demande ce que pourra bien dire, sur un texte aussi remarquable, ce jeune homme qui n'a paru jusqu'alors dans le pays que comme un humble charpentier, mais qui s'est distingué aux alentours par sa prédication et par ses miracles.
Luc 4.21 Alors, il commença à leur dire : "Aujourd'hui vos oreilles ont entendu l'accomplissement de ce passage de l’Écriture." - Quel commentaire tout divin Jésus ne dût‑il pas faire des paroles d'Isaïe. Toutefois il n'a pas plu à l'Esprit‑Saint de nous le conserver. S. Luc n'en donne que l'exorde, qui dut être en même temps le thème du discours de Notre‑Seigneur : Aujourd'hui cette parole … est accomplie. Au moment même où Jésus lisait aux habitants de Nazareth la prophétie d'Isaïe, elle trouvait sa réalisation ; l'Évangile était prêché par le Messie.
Luc 4.22 Et tous lui rendaient témoignage et admirant les paroles de grâce qui sortaient de sa bouche, ils disaient : "N'est-ce pas là le fils de Joseph ?" - L'écrivain sacré décrit avec force l'effet produit par le discours de Jésus. Tous louaient le céleste orateur ; Eût‑il été possible de ne pas admirer, de ne pas louer ? Les paroles qui sortaient de la bouche de Notre‑Seigneur n'étaient-elles pas remplies, et pour le fond et pour la forme, d'une grâce surnaturelle que rien n'avait égalé jusqu'alors ? « La grâce est répandue sur tes lèvres », prophétisait de lui le Psalmiste, Psaume 44, 3, et ses ennemis eux‑mêmes reconnaîtront, Jean 7, 46, que personne ne savait parler comme lui. Voir sur l'éloquence de Jésus‑Christ S. Matth. A la suite du discours qu'ils avaient entendu et justement admiré, les assistants auraient dû acclamer d'une seule voix Jésus comme le Messie. Mais voici qu'une réflexion toute humaine transforme soudain leurs sentiments : N'est‑ce pas là le fils de Joseph ? Ils se rappellent que celui qui vient de leur parler n'est que le fils du pauvre charpentier Joseph, qu'il n'a reçu aucune éducation, et aussitôt leur foi naissante fait place à la plus complète incrédulité. Ils refusent de reconnaître à Jésus une mission venue d'en haut parce qu'il était de condition humble et qu’ils le connaissent depuis toujours.
Luc 4.23 Et il leur dit : "Sans doute, vous m'alléguerez cet adage : Médecin, guéris-toi toi-même et vous me direz : Les grandes choses que nous avons ouï dire que vous avez faites à Capharnaüm, faites-les ici dans votre patrie." - Jésus a remarqué le changement qui s'est opéré dans l'assistance : peut‑être même a‑t‑il entendu les expressions dédaigneuses qui circulaient à son égard, les Juifs ne se gênant guère pour manifester, même au sein des assemblées religieuses, leurs dispositions hostiles ou bienveillantes. Il prend de nouveau la parole pour y répondre. Notre‑Seigneur suppose que ses auditeurs mécontents lui citent, par mode d'objection, le proverbe Médecin, guéris‑toi toi‑même, que l'on ne rencontre pas sans un intérêt spécial dans l'Évangile du « très cher médecin ». Il est d'ailleurs fréquemment employé non‑seulement par les rabbins, mais aussi par les classiques romains et grecs, car la vérité naïve et mordante qu'il exprime appartient à la sagesse populaire de tous les temps et de tous les pays. « Au lieu d'aller combattre, défendez‑nous », Virgile. Ce mot du grand poète latin indique très bien la signification que pouvait avoir notre proverbe placé sur les lèvres des rudes habitants de Nazareth. « Fais d'abord pour les tiens, si tu veux qu'ils croient en ta mission, ce que tu opères si bien pour d'autres ». Au reste, Jésus ajoute lui‑même l'explication, en continuant de parler au nom de ses concitoyens : les grandes choses faites à Capharnaüm… S. Luc n'a mentionné nulle part encore les miracles que Jésus avait accomplis à Capharnaüm : mais cette réflexion suppose qu'ils existaient, éclatants et nombreux.
Luc 4.24 Et il ajouta : "En vérité, je vous le dis, aucun prophète n'est bien reçu dans sa patrie. - En vérité. S. Luc, comme parfois S. Marc, emploie cette formule au milieu des discours de Jésus. cf. 6, 39 ; 12, 16 ; 13, 20 ; 15, 11, etc. Elle indique une pause rapide, en même temps qu'elle sert à mettre en relief une parole du divin Maître. Ici elle introduit en outre la réponse faite par Notre‑Seigneur à l'objection tacite de ses compatriotes. - Aucun prophète n'est bien reçu… C'est la première partie de la réponse. Au proverbe « soigne‑toi toi‑même », Jésus répond par un autre proverbe. Celui qu'il choisit ne pouvait être cité plus à propos, puisque les habitants de Nazareth refusaient précisément de croire à la mission céleste du prophète qui daignait se mettre en communication avec eux. Le Sauveur expliquait ainsi pourquoi il n'avait pas fait de miracles dans sa patrie. Quiconque refuse de recevoir un prophète est‑il en droit de se plaindre que celui‑ci ne lui accorde aucun bienfait extraordinaire ? Donc à vous la faute, et pas à moi. « Patrie ingrate », dit une sentence semblable des Latins. L'exemple de Jérémie à Anathoth (cf. Jérémie 11, 21 ; 12, 6) ne l'avait que trop bien montré. Bien reçu signifie en cet endroit « honoré, estimé ». cf. Matth. 13, 57 et ss. ; Jean 4, 44 ; Actes 10, 35.
Luc 4.25 Je vous le dis, en vérité, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Élie, lorsque le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois et qu'il y eut une grande famine dans toute la terre, - Dans les vv. 25-27 le Sauveur justifie encore sa conduite par des faits empruntés à l'histoire des deux plus célèbres prophètes d'Israël. Élie et Élisée, parmi des circonstances analogues à celle où il se trouvait, n'avaient opéré aucun miracle en faveur de leurs concitoyens, tandis qu'ils en avaient accompli pour des étrangers, bien plus, pour des païens. Premier exemple, vv. 25 et 26. - En vérité, je vous le dis, est une locution aimée de S. Luc cf. 20, 21 ; 22, 59 ; Actes 4, 27 ; 10, 30 (S. Marc l'emploie aussi à deux reprises, 12, 14 et 32). Lorsque le ciel fut fermé : Quelle belle métaphore pour désigner un long manque de pluie. cf. Genèse 7, 2 ; 2 Chroniques 6, 26 ; 7, 13. La sécheresse à laquelle Notre‑Seigneur fait allusion est mentionnée d'une manière expresse au 1er livre des Rois, ch. 17 et 18. Seulement, Jésus en fixe la durée à trois ans et demi, tandis que l'Ancien Testament (l.c., 18, 1), semble dire qu'elle ne fut pas même de trois années complètes : « La parole de Dieu a été adressée à Élie la troisième année en disant : Va, montre‑toi à Achab pour que tu donnes de la pluie sur la surface de la terre ». Mais (des rationalistes eux‑mêmes l'admettent) il n'y a pas là une véritable antilogie ; car il put s'écouler un certain temps encore avant qu'Élie allât trouver Achab et fit cesser la sécheresse. Il nous reste donc assez de latitude pour trouver six ou huit mois. S. Jacques, 5, 17, cite d'ailleurs tout à fait les mêmes chiffres que le Sauveur, preuve que la tradition juive les avait depuis longtemps déterminés. Dans tout la terre est une hyperbole populaire pour désigner la Palestine.
Luc 4.26 et pourtant Élie ne fut envoyé à aucune d'elles, mais à une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon. - Détail intéressant, que nous aurions ignoré sans Jésus ; en effet, si l'histoire sainte parle tout au long de la veuve de Sarepta, elle n'ajoute pas que seule elle fut l'objet de l'intervention miraculeuse du prophète Élie. Sarepta était une bourgade phénicienne bâtie sur les bords de la Méditerranée, à peu près à égale distance de Tyr et de Sidon. Son nom hébreu était Zarpat. Non loin de son antique emplacement s'élève aujourd'hui le petit village de Sarafend.
Luc 4.27 Il y avait de même beaucoup de lépreux en Israël au jours du prophète Élisée et pourtant aucun d'eux ne fut guéri, mais bien Naaman le Syrien." - Second exemple, tiré de la vie d'Élisée. Voyez les détails au 2d livre des Rois, ch. 5. - Sur la multiplicité des lépreux à cette époque, cf. Ibid. 7, 3 et ss. - Au temps du prophète Élisée : cf. 3, 2 ; Marc. 2, 26 ; Actes 11, 28, etc. Les prophètes célèbres, de même que les prêtres et les rois, servaient à marquer les principales périodes de l'histoire juive. - Guéri : terme théocratique pour désigner la guérison de la lèpre, cette maladie rendant impurs au point de vue légal les malheureux qu'elle atteignait. - De ce second fait, ainsi que du premier, il résultait d'une façon très évidente que les faveurs célestes ne sont nullement restreintes à telle ou telle zone géographique : elles accompagnent la foi et non la nationalité. Que les habitants de Nazareth croient donc en Jésus, et il fera des miracles chez eux comme il en a fait à Capharnaüm.
Luc 4.28 En entendant cela, ils furent tous remplis de colère dans la synagogue. - Ce verset signale, comme le v. 22, l'effet produit par les paroles de Jésus ; mais quel contraste. Ils furent tous remplis de colère. C'est que, en tous lieux, « La vérité enfante la haine ». Quoique Jésus n'eût pas fait directement à ses auditeurs l'application des exemples qu'il avait signalés, ils comprirent sans peine le rapprochement. Vaudrions‑nous donc moins, se dirent‑ils, que la païenne de Sarepta, que l'impur Naaman ? Cette pensée les remplit aussitôt de rage. On sait que les Galiléens étaient des hommes violents, passionnés. Leurs cœurs étaient soulevés par des tempêtes aussi soudaines que celles qui, en un moment, mettent en furie la surface, calme comme un miroir, de leur beau lac.
Luc 4.29 Et s'étant levés, ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie pour le précipiter en bas. - Admirons, en passant, la rapidité du récit : elle reproduit le caractère tragique des faits. La synagogue de Nazareth fut donc témoin d'une scène affreuse. Deux ou trois voix poussent un cri de mort contre Jésus : toute l'assemblée se rallie aussitôt à ce projet sanguinaire ; des mains brutales saisissent Notre‑Seigneur. On a pourtant assez de sang‑froid pour ne pas exécuter sur place l'affreux attentat. Ces forcenés traînent leur victime hors de l'enceinte sacrée, puis hors de la ville. Les voilà bientôt au sommet de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie. Le genre de supplice qu'ils veulent infliger à Jésus est maintenant manifeste : il était assez usité chez tous les peuples d'alors, et l'histoire juive en contenait un terrible exemple. cf. 2 Chroniques 25, 12. Les belles montagnes qui entourent Nazareth, en particulier le Djébel es‑Sîch sur le versant duquel s'appuie et s'étage la cité de Jésus, renferment plus d'un rocher à pic parfaitement approprié aux intentions homicides de la foule. Celui que l'on désigne au moins depuis l'époque des croisades sous le nom de « Mont de la chute » présente un aspect grandiose et terrible. Sur la route qui y conduit, le pèlerin contemple avec émotion les ruines de l'église « del Tremore » bâtie autrefois à l'endroit ou Marie serait accourue désolée en apprenant le sort qu'on réservait à son divin Fils. Il est vrai que le « Mont du Précipice » est situé à 2000 mètres de la ville, distance qui semble un peu longue vu les circonstances. C'est pourquoi beaucoup de voyageurs lui substituent un rocher perpendiculaire, haut de 15 mètres, qu'on voit auprès de l’Église des Maronites, tout à fait sur les limites de Nazareth. A propos de ces exécutions sommaires que le fanatisme judaïque était si prompt à décréter et qu'un faux zèle servait à justifier, cf. Actes 7, 56 et ss. 22, 22. C'était l'équivalent du lynchage et de la loi de Charles Lynch (1736-1796) des Américains.
Luc 4.30 Mais lui, passant au milieu d'eux, s'en alla. - On venait d'arriver, et le cruel dessein était sur le point de recevoir son accomplissement ; mais voici que Jésus se dégage tout à coup des mains de ses bourreaux et, passant au milieu d'eux, s'en alla. Quelle scène, et comme elle est admirablement décrite. Ce s'en alla, rejeté à la fin de la phrase, n'est pas moins majestueux que la démarche du Sauveur s'en allant avec calme, sans presser le pas, comme s'il eût traversé les rangs pressés d'une foule inoffensive. Que s'est‑il donc passé ? Jésus, usant de sa puissance surnaturelle, a‑t‑il aveuglé ces barbares ? A‑t‑il raidi subitement leurs membres ? S'est‑il rendu lui‑même invisible ? Bède : Jésus change tout à coup leurs dispositions, ou les frappe de stupeur et d’aveuglement, et descend de la montagne, parce qu’il veut leur laisser encore l’occasion de se repentir. — S. Chrys. (hom. 47 sur S. Jean.) Notre-Seigneur fait paraître ici tout à la fois les attributs de la divinité et les signes de son humanité. En effet, en passant au milieu de ceux qui le poursuivaient, sans qu’ils puissent se saisir de lui, il montre la supériorité de sa nature divine ; et en s’éloignant d’eux, il prouve le mystère de son humanité ou de son incarnation. — S. Ambroise : « Comprenez encore ici que sa passion a été non un acte forcé, mais complètement volontaire. Ainsi, on se saisit de sa personne quand il le veut, il échappe à ses ennemis quand il le veut ; car comment un petit nombre de personnes aurait-il pu le retenir captif, puisqu’il ne pouvait être arrêté par un peuple tout entier ? Mais il ne voulut pas qu’un si grand sacrilège fût commis par la multitude ; et il devait être crucifié par un petit nombre, lui qui mourait pour le monde entier. D’ailleurs, son désir était de guérir les Juifs plutôt que de les perdre, et il voulait que le résultat de leur impuissante fureur leur fit renoncer à des desseins qu’ils ne pouvaient accomplir. » L'hypothèse d'après laquelle Notre‑Seigneur aurait profité, pour s'échapper, des rues étroites et tortueuses de la ville, est tout simplement absurde. Théophylacte : si Jésus fit alors un miracle pour éviter la mort, « ce n'est pas qu'il redoutât de souffrir, mais il attendait son heure ».
Luc 4, 31 et 32 ( = Marc. 1, 21 et 22).
Luc 4.31 Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée et là il les enseignait les jours de sabbat. - Cette locution, propre à S. Luc, est d'une parfaite exactitude au point de vue topographique, car la différence de niveau entre les villes de Capharnaüm et de Nazareth occasionne une descente quand on se rend de l’une à l’autre. Nazareth est bâtie sur le plateau élevé de Galilée, Capharnaüm dans le profond bassin qui contient le beau lac au sujet duquel un rabbin faisait prononcer par Dieu ces paroles significatives : « J'ai créé plusieurs lacs dans la terre de Canaan ; mais je n'en ai choisi qu'un seul, celui de Gennésareth ». Jésus venait‑il alors à Capharnaüm pour y établir son séjour définitif (cf. commentaire Matth. 4, 13), ou s'y était‑il déjà fixé quelque temps auparavant ? La seconde hypothèse nous paraît plus probable. Quoi qu'il en soit, Capharnaüm servira désormais de centre au Sauveur : cette ville de Galilée, comme l'appelle S. Luc pour la mieux désigner à ses lecteurs qui ne connaissaient pas la géographie de la Terre Sainte, était adaptée au plan actuel de Notre‑Seigneur. Voyez S. Matth. - Il les enseignait. Cette phrase semble indiquer une coutume générale de Jésus ; mais on peut l'appliquer aussi au fait spécial qui va bientôt être raconté, v. 33 et ss.
Luc 4.32 Et sa doctrine les frappait d'étonnement, parce qu'il parlait avec autorité. - cf. Matth. 7, 29. Jésus parlait donc comme un Législateur tout puissant, non comme un légiste dénué d'autorité ; son langage était esprit et vérité, il ne consistait pas en formules arides conventionnelles.
Luc 4, 33-37. = Marc. 1, 23-28
Ce miracle, omis par S. Matthieu, est raconté en termes presque identiques par S. Marc et S. Luc. Pour l'explication détaillée nous renvoyons à notre comment. sous. S. Marc.
Luc 4.33 Il y avait dans la synagogue un homme possédé d'un démon impur, lequel jeta un grand cri, - Un homme possédé d'un démon impur : locution extraordinaire dont il n'existe pas d'autre exemple dans le N. Testament. Sur la nature et la réalité des possessions, voyez commentaire S. Matth. - Un grand cri : Ce cri violent fut arraché au démon par l'instinct du danger dont le menaçait la sainte présence de Jésus.
Luc 4.34 disant : "Laissez-moi, qu'avons-nous à faire avec vous, Jésus de Nazareth ? Êtes-vous venu pour nous perdre ? Je sais qui vous êtes : le Saint de Dieu." - Exclamation de terreur. Le démon parle au pluriel, au nom de tous les esprits mauvais (« Un pour tous, comme pour indiquer que le Christ a livré la guerre pour tous ». Maldonat). - Le Saint de Dieu , c'est‑à‑dire le Messie , cf. Jean 6, 69 : L'enfer, malgré lui, rend témoignage à Notre‑Seigneur.
Luc 4.35 Mais Jésus lui dit d'un ton sévère : "Tais-toi et sors de cet homme." Et le démon l'ayant jeté par terre au milieu de l'assemblée, sortit de lui sans lui avoir fait aucun mal. - Mais Jésus ne veut pas de ce témoignage. Prenant un ton sévère et parlant comme un maître à qui tout doit obéir, il donne coup sur coup au démon deux ordres exprimés en termes brefs mais énergiques : Tais‑toi, puis Sors de cet homme. Ces dernières paroles sont remarquables à cause du dualisme qu'elles supposent d'une manière si évidente dans le phénomène de la possession : il y a l'esprit possesseur auquel Jésus prescrit un prompt départ, et le malheureux possédé que le Sauveur va délivrer.
Luc 4.36 Et tous, saisis de stupeur, se disaient entre eux : "Quelle est cette parole ? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent." 37 Et sa renommée se répandait de tous côtés dans le pays. - Ces versets racontent les effets du miracle. Les témoins oculaires de cette cure merveilleuse furent saisis d'une vive frayeur. Les réflexions qu'ils échangeaient au sortir de la synagogue montrent ce qui les avait surtout frappés : il commande avec autorité et puissance… Ce n'était pas ainsi que les exorcistes juifs expulsaient les démons : il leur fallait de longues adjurations, un anneau, je ne sais quelle racine, un vase plein d'eau (voyez Flavius Josèphe Ant. 8, 2, 5 ; La Guerre des Juifs, 7, 6, 3), et encore ne réussissaient‑ils pas toujours. Un mot de commandement suffisait à Jésus. - Sa renommée se répandit… La sensation produite par la guérison du démoniaque ne fut pas seulement locale ; elle se reproduisit au loin dans toute la contrée.
Luc 4, 38-41. = Matth. 8, 14-17 ; Marc. 1, 29-34.
Ici encore les narrations de S. Marc et de S. Luc se ressemblent beaucoup. Celle de S. Matthieu est un simple sommaire.
Luc 4.38 S'étant alors levé, Jésus quitta la synagogue et entra dans la maison de Simon. Or, la belle-mère de Simon était atteinte d'une grosse fièvre et ils le prièrent pour elle. - Le nouveau miracle suivit donc de très près celui qui avait eu lieu dans la synagogue. - Dans la maison de Simon. S. Pierre est ici mentionné pour la première fois dans le troisième Évangile. S. Luc, en ne donnant sur le prince des Apôtres aucun détail préliminaire, suppose que ses lecteurs le connaissaient depuis longtemps. - Une grosse fièvre : les deux autres synoptiques se contentent de dire que la belle‑mère de Simon était fiévreuse. S. Luc emploie naturellement une expression médicale, qu'on retrouve dans les écrits pathologiques des temps anciens. Les fièvres sont assez fréquentes auprès du lac de Tibériade : produites par un simple refroidissement, elles deviennent rapidement malignes et mettent la vie en danger.
Luc 4.39 Se penchant sur la malade, il commanda à la fièvre et la fièvre la quitta et s'étant levée aussitôt, elle se mit à les servir. - Se penchant sur la malade : expression pittoresque et spéciale à notre évangéliste (du reste, chacun des trois narrateurs ajoute ici quelque détail particulier). La malade est étendue sur son lit ; Jésus, debout auprès d'elle, se penche pour la toucher et la guérir. - Il commanda à la fièvre. Cette belle personnification faisait dire à S. Basile : « S. Luc parle d'une manière figurée, comme d'un commandement adressé à un être intelligent » (Ct. D. Thom.). cf. 8, 24. - Elle les servait. Le pronom au pluriel indique que Jésus n'était pas seul : nous savons par S. Marc que ses quatre premiers disciples, Pierre et André, Jacques et Jean, l'accompagnaient.
Luc 4.40 Lorsque le soleil fut couché, tous ceux qui avaient chez eux des malades, quel que fût leur mal, les lui amenèrent et Jésus, imposant la main à chacun d'eux, les guérit. - Les deux miracles opérés isolément dans le courant de la journée, c'est‑à‑dire, la guérison d'un démoniaque et d'une malade, se renouvelèrent par masses le soir, après le coucher du soleil, ainsi que nous l'apprennent les vv. 40 et 41. - 1° Guérison des malades. Imposant la main exprime la grande facilité avec laquelle Jésus opérait les guérisons. les guérit marque des actes fréquemment répétés durant cette soirée célèbre.
Luc 4.41 Des démons aussi sortaient de plusieurs, criant et disant : "Tu es le Fils de Dieu" et il les réprimandait pour leur imposer silence, parce qu'ils savaient qu'il était le Christ. - 2° Guérison des démoniaques. Les démons sortaient, dit S. Matthieu, sur un commandement exprès de Jésus. En se retirant, les démons proclamaient, comme le matin dans la synagogue, le caractère messianique de Jésus. Comme le matin, Jésus leur imposait silence. Les détails « Tu es le Fils de Dieu » sont particuliers au troisième Évangile : ils ajoutent de la clarté ou de la vie au récit.
Luc 4, 42-44 = Marc. 1, 35-39.
Luc 4.42 Dès que le jour parut, il sortit et s'en alla en un lieu désert. Une foule de gens se mirent à sa recherche et étant arrivés jusqu'à lui, ils voulaient le retenir, pour qu'il ne les quittât pas. - Le lendemain matin, Jésus quitta donc de très bonne heure la maison de S. Pierre, où il avait passé la nuit, et il gagna, pour s'y livrer en paix à la prière, l'une des nombreuses solitudes qu'on trouve auprès du lac de Tibériade. Chose étonnante, cette fois ce n'est pas S. Luc, mais S. Marc, qui mentionne la prière spéciale du Sauveur. La foule continua ses recherches jusqu'à ce qu 'elle eût trouvé Jésus. La fin du verset, spéciale à S. Luc, contient aussi un détail touchant, qui montre jusqu'à quel point Notre‑Seigneur était alors aimé. Il est vrai que les sentiments de ce bon peuple n'étaient pas complètement purs d'égoïsme.
Luc 4.43 Mais il leur dit : "Il faut que j'annonce aussi aux autres villes le royaume de Dieu, car je suis envoyé pour cela." - C'est ce que Jésus leur montre dans sa réponse : Il est venu pour tous, et pas seulement pour une zone privilégiée : il ne saurait donc demeurer toujours aux environs de Capharnaüm, ainsi qu'on l'y convie. Sur le royaume de Dieu, cf. commentaire sur S. Matth. - C'est pour cela : parole propre à S. Luc sous cette forme. Nous lisions dans S. Marc « c'est pour cela que je suis sorti ». Mais, de part et d'autre, c'est bien la même idée, celle de l'Incarnation du Verbe et de son avènement au milieu de nous pour nous sauver. Le Christ, en tant qu’homme, a reçu de sa divinité sa mission et il veut y être fidèle.
Luc 4.44 Et Jésus prêchait dans les synagogues de la Galilée. - La construction de la phrase indique un fait constant, par conséquent des prédications réitérées. La Galilée entière eut sans doute le bonheur d'entendre Jésus.
Luc 5, 1-11 = Matth. 4, 18-22 ; Marc. 1, 16-20.
Sur l'identité des événements racontés ici par les trois synoptiques, cf. commentaire Matth. S. Matthieu et S. Marc ne donnent qu'une esquisse rapide de cet épisode ; S. Luc est au contraire très complet : de là les différences notables de sa narration. Relativement à la suite des faits nous préférons l'ordre adopté par S. Marc d'après lequel la vocation définitive des premiers disciples aurait précédé les guérisons exposées dans le paragraphe précédent. Voir notre Harmonie évangélique.
Luc 5.1 Or, un jour que pressé par la foule qui voulait entendre la parole de Dieu, il se tenait sur le bord du lac de Génésareth, - Pressé par la foule. Touchant détail, qui peint au vif l'amour et l'enthousiasme du peuple pour le Sauveur. Les mots suivants montrent l'esprit de foi avec lequel les foules recherchaient Jésus : elles ne lui demandaient pas seulement des miracles, mais aussi le pain de la divine parole, qu'il rompait à tous si abondamment, si suavement. - Il se tenait sur le bord du lac. Le texte paraît supposer que Notre‑Seigneur s'était déjà tenu debout pendant quelque temps sur la grève de sable blanc durci, telle qu'elle existe aux alentours de Capharnaüm, quand il monta dans la barque de Simon‑Pierre pour être moins pressé par la foule. Voyez la description du lac de Génésareth dans S. Matth. Tandis que les deux autres synoptiques le nomment « mer de Galilée », S. Luc se sert habituellement de cette expression, moins ambiguë pour ses lecteurs non‑juifs, et employée du reste par les Septante, par Josèphe et par les géographes Strabon et Ptolémée.
Luc 5.2 il vit deux barques qui stationnaient près du rivage, les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. - Autre tableau du peintre S. Luc. Après la foule qui se presse de tous côtés autour de Jésus, avide de recueillir sa parole, nous voyons des pêcheurs lavant leurs filets tout auprès de leurs barques qu'ils avaient eu soin de tirer à demi sur le rivage. Les pêcheurs nettoient leurs filets une fois leur travail accompli. Ils en enlèvent la vase, les pierres, les herbes qui s'y sont accumulées, puis ils les suspendent pour les faire sécher. Notre évangéliste suppose que les futurs disciples de Jésus étaient tous en dehors des barques, occupés à laver leurs filets ; d'après S. Matthieu et S. Marc deux d'entre eux seulement, Jacques et Jean, étaient dans la barque réparant leurs filets, tandis que Pierre et André jetaient leurs filets dans le lac. Mais ces contradictions ne sont qu'apparentes ; elles s'expliquent aisément par le motif allégué plus haut. Les deux premiers synoptiques abrègent le récit pour transporter immédiatement le lecteur à la parole « Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes ». Les faits, ainsi condensés, se sont trouvés légèrement modifiés.
Luc 5.3 Il monta donc dans une de ces barques, qui était à Simon et le pria de s'éloigner un peu de terre, puis, s'étant assis, il enseigna le peuple, à partir de la barque. - Troisième scène admirablement retracée : Jésus monte dans la barque de Pierre, et de cette chaire d'un nouveau genre, il enseigne la foule qui se tenait sur le rivage. Plus tard encore, quand il exposera les paraboles du royaume des cieux, Notre‑Seigneur aura recours à cette solution. Matth 13, 2. Mc 4, 1.
Luc 5.4 Lorsqu'il eut cessé de parler, il dit à Simon : "Avance en pleine mer et vous jetterez vos filets pour pêcher." - Après ce préambule, nous arrivons aux parties les plus importantes de tout ce récit, la pêche miraculeuse et la pêche des âmes. - Avance en pleine mer. Nouvelle expression technique. Jésus donne cet ordre au singulier parce qu'il s'adressait plus spécialement à Pierre, le patron de la barque ; mais il parle ensuite au pluriel, la pêche devant être exécutée par tous ceux qui étaient présents.
Luc 5.5 Simon lui répondit : "Maître, toute la nuit nous avons travaillé sans rien prendre, mais, sur votre parole, je jetterai le filet." - Dans sa réponse, Simon nous apparaît déjà sous les traits de l'homme de foi, du partisan dévoué de Jésus, que nous révélera de plus en plus la suite de l'histoire évangélique. Le titre de maître qu'il donne à Notre‑Seigneur remplace habituellement dans le troisième Évangile l'expression hébraïque Rabbi. - Nous avons travaillé toute la nuit. La nuit a toujours été regardée comme plus propice que le jour aux travaux des pêcheurs. - Sans rien prendre. S. Pierre insinuait délicatement par là qu'il était peu probable qu'une nouvelle tentative réussît mieux en plein jour. Néanmoins, ajouta‑t‑il d'un ton décidé, la parole de Jésus serait pour lui un ordre auquel il voulait immédiatement obéir, persuadé que cette fois il ne travaillerait pas en vain. Remarquez l'emploi du pronom Je : Simon parle comme le chef de l'expédition.
Luc 5.6 L'ayant jeté, ils prirent une si grande quantité de poissons, que leur filet se rompait. 7 Et ils firent signe à leurs compagnons, qui étaient dans l'autre barque, de venir à leur aide. Ils y vinrent et ils remplirent les deux barques, au point qu'elles enfonçaient. - Le filet, en vertu de la divine prescience de Jésus, était tombé au milieu d'un de ces énormes bancs de poissons qu'on trouve dans toutes les mers et particulièrement dans le lac de Gennésareth. La fin du v. 6 et le v. 7 tout entier renferment des détails destinés à rehausser l'éclat du miracle : 1° Leur filet se rompait : il y eut en réalité un commencement de rupture : le secours apporté à temps (v. 7) empêcha seul le filet de se déchirer complètement. 2° Ils firent signe … D'après Théophylacte et Euthymius, Pierre et ceux qui étaient dans sa barque auraient été obligés de recourir au langage des signes. Mais cette explication nous semble un peu forcée. Il est plus simple de dire avec la plupart des exégètes qu'on employa les signaux parce que l'autre nacelle était trop loin pour que la parole articulée fût facilement entendue. 3° Ils remplirent les deux barques ; 4° Non‑seulement les deux canots furent remplis de poissons, mais ils le furent à tel point qu'ils étaient presque submergés, tant la charge était pesante.
Luc 5.8 Ce que voyant Simon Pierre, il tomba aux pieds de Jésus en disant : "Éloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur." - D'un bout à l'autre de la narration, Simon‑Pierre nous apparaît comme le héros principal. C'est lui qui a présidé aux opérations de la pêche, de même qu'il dirigera un jour la grande pêche mystique dans l'Église de Jésus ; c'est lui qui éprouve et manifeste la plus forte émotion ; c'est lui qui parle au nom de tous ; c'est à lui que Notre‑Seigneur s'adressera d'une manière plus spéciale. - Il tomba aux pieds de Jésus… détail graphique, qui dénote l'âme ardente de Simon. A cette génuflexion il ajouta une exclamation plein de foi et d'humilité. Isaïe, quand il fut admis dans son extase à contempler le céleste séjour, les anges et Dieu, s'écria, pénétré de sa profonde indignité : Malheur à moi, je suis perdu, parce que je suis un homme impur de lèvres, etc. (Isaïe 6, 5-9). C'est un sentiment semblable qui fait dire à S. Pierre : Éloignez‑vous de moi. Non qu'il désirât réellement éloigner de lui Notre‑Seigneur ; mais le grand miracle dont il vient d'être témoin lui a révélé de plus en plus la puissance et la sainteté de Jésus ; or, il sent qu'il n'est pas digne de la proximité d'un homme uni à Dieu par des liens si étroits. Au fond, sa parole revient donc à celle du centurion : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit ». Aussi Jésus, bien loin de la prendre à la lettre comme il fit plus tard pour les avares Gadaréniens (8, 37), resserra‑t‑il au contraire les liens qui déjà l'unissaient à Simon‑Pierre.
Luc 5.9 Car l'effroi l'avait saisi, lui et tous ceux qui l'accompagnaient à cause de la capture de poissons qu'ils avaient faite, 10 il en était de même de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. - L'effroi l'avait saisi… L'évangéliste explique, par cette réflexion, ce qui pouvait sembler extraordinaire dans la conduite de S. Pierre. Il avait agi et parlé sous l'impression de la frayeur religieuse suscitée en lui et dans tous ses compagnons par la pêche miraculeuse.
Luc 5.10b Et Jésus dit à Simon : "Ne crains pas, car désormais ce sont des hommes que tu prendras." - Quelle douce et aimable réponse va s'échapper des lèvres divines du Messie. Après avoir rassuré Simon par un mot que nous lui entendrons souvent prononcer en semblable occasion, ne crains pas, il l'élève tout à coup à une dignité sublime, en transformant l'humble pêcheur de Bethsaïda en un pêcheur d'hommes. La tournure tu prendras désigne la permanence de l'action, et l'action, suivant toute la force du texte grec. Quelle sublime métaphore et quel beau rôle attribué à S. Pierre. « Les instruments apostoliques sont bien les filets des pêcheurs, qui ne détruisent pas les captures mais les conservent. Ils les retirent des profondeurs océaniques pour les amener à la lumière ; et ils conduisent dans les hauteurs ceux qui flottaient dans les enfers ». St Ambroise. « Nouvelle méthode de pêcher assurément, écrit S. Jean Chrysost., Hom. In Matth. 4, 19, car les pêcheurs tirent les poissons hors de l'eau pour leur donner la mort ; mais nous lançons nos filets dans l'eau et ceux que nous prenons sont vivifiés ». S. Augustin établit à ce sujet un parallèle intéressant entre la chasse et la pêche : « Pourquoi les apôtres n'ont‑ils importuné, n'ont‑ils contraint personne? Parce que le pêcheur lance son filet dans la mer et en retire ce qui se présente (tout se passe donc avec douceur). Quant au chasseur, il parcourt les forêts, scrute tous les buissons et ne précipite le gibier dans les rêts qu'en jetant partout la terreur et l'épouvante. Qu'il n'aille pas de ce côté, qu'il n'aille pas de cet autre ; pour cela venez ici, frappez là, jetez l'alarme plus loin ; qu'il ne s'échappe pas, qu'il ne prenne pas la fuite (tout se passe avec violence). ». De l'utilité du Jeûne, ch. 9. Après la seconde pêche miraculeuse, Jean 21, 16, Jésus, faisant usage d'une autre figure pour exprimer le même rôle, dira au prince des Apôtres : Pais mes brebis, pais mes agneaux. Quoique la promesse ce sont des hommes que tu prendras fût adressée directement à Simon‑Pierre, elle retombait d'une manière implicite sur ses compagnons, comme on le voit par les deux autres récits : « Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes ».
Luc 5.11 Aussitôt, ramenant leurs barques à terre, ils quittèrent tout et le suivirent. - Ils renoncent généreusement à tout pour se faire les disciples de Jésus. Sans doute leurs richesses ne devaient pas être bien considérables ; mais, comme le dit S. Augustin, Enarrat. 3 in Psaume 103, 17 « il renonce à beaucoup celui qui non seulement renonce à ce qu'il avait, mais aussi à ce qu'il désirait avoir ». Par conséquent, ajoute S. Grégoire, Hom. 5 in Evang., « Ils ont beaucoup quitté, puisqu'ils ont renoncé à tout, si peu que soit ce tout. Nous, au contraire, nous nous attachons à ce que nous avons, et nous recherchons avidement ce que nous n'avons pas. Pierre et André ont donc beaucoup abandonné lorsqu'ils ont tous deux renoncé au simple désir de posséder ; ils ont beaucoup abandonné, puisqu'en renonçant à leurs biens, ils ont aussi renoncé à leurs convoitises ». - Ils le suivirent, d'une manière habituelle et définitive, car si S. Jean a raconté, 1, 37 et ss., l'appel des premiers disciples, les synoptiques exposent ici la vocation à l'apostolat. - Un ancien hymne de l'Église, composé en l'honneur de S. Pierre, résume admirablement en quelques vers le miracle de la pêche miraculeuse et ses résultats : « La grâce t’a attrapé, toi, pêcheur de pêcheur, pour que tu emploies ton métier à une meilleure capture. Tu abandonnes tout, tu rejettes le navire pour que tu estimes à sa juste valeur le monde entier ». Mais le grand pêcheur d'hommes par excellence, c'est Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. On a sur la pêche miraculeuse un admirable tableau de Raphaël.
Luc 5, 12-16 = Matth. 8, 2-4 = Marc. 1, 40-45
Luc 5.12 Comme il était dans une ville, voici qu'un homme tout couvert de lèpre, apercevant Jésus, se prosterna la face contre terre et le pria en disant : "Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir." - Dans une ville est un détail propre à S. Luc. La ville témoin du miracle était située, d'après le contexte (cf. 4, 43), dans la province de Galilée, où Jésus faisait alors une sorte de tournée pastorale. Notre évangéliste a seul noté que le suppliant était plein de lèpre : tout le corps était donc affecté de cette affreuse maladie, que nous avons décrite ailleurs (cf. commentaire S. Matth. 8, 2), et qui, à un tel degré, était complètement incurable. - Il se prosterna. S. Matthieu : il adorait ; S. Marc : il se jeta à genoux. Trois expressions diverses pour décrire un même fait, la prostration du lépreux aux pieds de Jésus. - Si vous le voulez, vous pouvez me guérir. Les trois synoptiques citent dans les mêmes termes cette prière pleine de foi.
Luc 5.13 Jésus, étendant la main, le toucha et lui dit : "Je le veux, sois guéri" et à l'instant sa lèpre disparut. - D'après S. Marc, c'était le cœur compatissant de Jésus qui dirigeait sa main toute‑puissante. - Je le veux, sois guéri. « Réponse répondant bellement à la demande » (Fr Luc). A peine le Sauveur avait‑il prononcé cette parole que la lèpre abandonnait pour toujours le malade. En effet, « rien ne s'interpose entre l’œuvre de Dieu et le commandement, parce que le commandement est œuvre », S. Ambroise. S. Matthieu envisage la guérison au point de vue cérémonial ; voilà pourquoi il la désigne par le verbe « a été guérie ». S. Luc s'exprime en médecin : « la lèpre le quitta ». S. Marc combine les deux manières de voir : « La lèpre le quitta, et il fut guéri ».
Luc 5.14 Et il lui défendit d'en parler à personne, mais : "Va, dit-il, te montrer au prêtre et offre pour ta guérison ce qu'a prescrit Moïse, pour l'attester au peuple." - Les trois narrations synoptiques exposent en des termes presque identiques les deux ordres que contient ce verset : 1° n'en parler à personne (voyez dans S. Matth., les motifs de cette interdiction qui paraît tout d'abord surprenante) ; 2° Va, montre‑toi… En passant ainsi brusquement du langage indirect au discours direct, S. Luc a donné une grande vie au récit. Les auteurs classiques ont souvent recours à ce procédé.
Luc 5.15 Sa renommée se répandait de plus en plus et l'on venait par foules nombreuses pour l'entendre et pour être guéri de ses maladies. - Un mot de S. Marc explique pourquoi la réputation de Jésus se propagea ainsi avec une nouvelle rapidité : « sa renommée se répandait ». - Foules nombreuses … pour l'entendre. On est heureux de lire que les foules n'accouraient pas seulement auprès de Jésus dans un but égoïste, pour se faire guérir, mais aussi pour recueillir de sa bouche la parole divine, dont elles étaient saintement avides.
Luc 5.16 Pour lui, il se retirait dans les déserts et priait. - Il se retirait : la tournure grecque correspondrait à il était en retraite, et désigne mieux les habitudes de retraite adoptées par Notre‑Seigneur tant que dura l'effervescence populaire qu'avait excitée la guérison du lépreux. - Et priait. Voyez, sur ce détail caractéristique du troisième Évangile, 3, 21 et l'explication. Quand Jésus était empêché de se livrer à la prédication, qui était alors son œuvre par excellence, il se retirait dans les solitudes qui avoisinent le lac, et il y passait de longues heures à prier.
Luc 5, 17-26. = Matth. 9, 5-8. = Marc. 2, 1-12.
Sur la vraie place de cet incident : voir le commentaire sur S. Matth. La narration de S. Luc a ici une très grande ressemblance avec celle de S. Marc : S. Matthieu ne donne qu'un sommaire.
Luc 5.17 Un jour qu'il enseignait, il y avait là, assis autour de lui, des Pharisiens et des docteurs de la Loi, venus de tous les villages de la Galilée, ainsi que de la Judée et de Jérusalem et la puissance du Seigneur se manifestait par des guérisons. - Un jour (détail spécial) est une date bien vague, dont la formule est empruntée à la langue hébraïque. - assis autour de lui. Détail pittoresque, encore propre à S. Luc. Nous savons par les deux autres synoptiques que la scène se passait à Capharnaüm, la nouvelle patrie de Jésus, dans une maison qui était probablement celle de S. Pierre. En face de Jésus l'évangéliste‑peintre nous montre, également assis, des Pharisiens et des docteurs de la loi (S. Matthieu et S. Marc ne mentionnent que ces derniers), accourus, ajoute‑t‑il, de tous les villages de Galilée et de Judée, et même de la cité sainte. La présence de ces personnages influents prouve que le Sauveur jouissait déjà d'une immense considération : ce n'est pas pour un Rabbi ordinaire que ce monde officiel, qui dirigeait le Judaïsme d'alors, aurait daigné se déranger. Toutefois ces nouveaux auditeurs n'ont rien de bienveillant pour Jésus : ils sont venus au contraire dans le but exprès de surveiller ses actes, de voir si sa doctrine est conforme à leurs traditions ; voilà pourquoi nous les trouvons au premier rang parmi l'assistance énorme qui s'était groupée ce jour‑là autour de Notre‑Seigneur. cf. Marc. 2, 2. Ceux d'entre eux qui avaient fait à cette intention le voyage de Jérusalem à Capharnaüm étaient selon toute vraisemblance des délégués du Sanhédrin. - La puissance du Seigneur se manifestait … « Seigneur » désigne ici Dieu, dont la toute‑puissance, communiquée à son Christ, l'aidait à accomplir en cet instant des guérisons aussi nombreuses qu'étonnantes.
5.18 Et voilà que des gens, portant sur un lit un homme paralysé, cherchaient à le faire entrer et à le mettre devant lui. 19 Et n'en trouvant pas le moyen à cause de la foule, ils montèrent sur le toit et, à travers les tuiles, descendirent le malade avec sa civière au milieu de tous, devant Jésus. - cf. commentaire sur S. Matth. Quand le malade et les quatre amis qui le portaient virent qu'il leur était absolument impossible de pénétrer par les moyens ordinaires dans la maison qui contenait pour eux le salut, ils durent éprouver un mouvement pénible ; mais leur foi était plus forte que les obstacles naturels, et elle leur apprit à les surmonter. - Ils montèrent sur le toit : tel fut le premier acte. Il était d'une exécution facile, grâce à l'escalier extérieur dont sont généralement munies les habitations de l'Orient. cf. Matth. 24, 17. Le second acte des porteurs est contenu en abrégé dans les mots par les tuiles. Quelques tuiles enlevées au toit plat de la maison eurent bientôt laissé une ouverture assez large pour le passage du malade. Alors, ils le descendirent avec la civière, au moyen de cordes qu'ils purent aisément se procurer. Le texte grec évoque une pauvre civière, ou, comme dit S. Marc, le grabat du malade.
Luc 5.20 Voyant leur foi, il dit : "Homme, tes péchés te sont remis." - L'incrédulité seule déplaisait à Jésus : la foi des suppliants ne trouva jamais son cœur insensible ; or, l'histoire évangélique renferme peu d'exemples d'une foi aussi vive que celle du paralytique et de ses humbles amis. Bien loin donc de se plaindre d'avoir été interrompu au milieu d'un discours auquel les circonstances (cf. v. 17) prêtaient une gravité exceptionnelle, le bon Maître oublia tout le reste pour ne s'occuper que du malade. Sans même lui laisser le temps de proférer sa demande, il lui dit avec un ton d'inexprimable mansuétude : tes péchés te sont remis. L'apostrophe plus douce encore qu'on lit dans S. Matthieu, confiance, fils, fut probablement celle dont Jésus se servit. Le Sauveur remet tout d'abord les péchés du paralytique, parce qu'il y avait entre eux et la maladie extérieure une connexion intime, que pénétrait son divin regard, cf. commentaire sur S. Matth.
Luc 5.21 Alors les Scribes et les Pharisiens se mirent à raisonner et à dire : "Qui est celui-ci qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, si ce n'est Dieu seul ?" - Cette formule d'absolution, qui arrivait d'une manière si inattendue, frappa vivement toute l'assistance : mais elle produisit aussitôt sur les Pharisiens et les Scribes mentionnés plus haut l'impression particulière d'un grand scandale. Le récit sacré nous fait lire ce sentiment au fond de leurs cœurs. Qu'est donc, se disaient‑ils, cet homme qui s'attribue un pouvoir réservé à Dieu seul ? Peut‑être quelques‑uns d'entre eux se souvinrent‑ils du texte 2 Samuel 12, 13, où Nathan, ce célèbre prophète, annonce simplement à David que le Seigneur lui avait remis sa faute. Et voici que les paroles de Jésus revenaient à dire : Je te remets tes péchés.
Luc 5.22 Jésus, connaissant leurs pensées, prit la parole et leur dit : "Quelles pensées avez-vous en vos cœurs ? - Jésus ne laissa pas à ses adversaires le temps de développer contre lui leurs accusations intérieures de blasphème. Les prenant directement à partie, il maintint victorieusement, d'abord à l'aide du raisonnement, puis par un éclatant miracle, son droit de parler comme il venait de le faire. - Que pensez‑vous dans vos cœurs ? D'après la psychologie hébraïque, c'est le cœur, non la tête, qui est le laboratoire principal des pensées.
Luc 5.23 Lequel est le plus facile de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? - Sur cette argumentation vigoureuse, soyez S. Matth. Dire, deux fois répété, en est le mot capital. Un imposteur pourrait aisément se dire capable d'accorder la rémission des péchés ; mais qui oserait prétendre, à moins de se sentir investi d'un pouvoir divin, qu'il peut guérir les maladies du corps ?
Luc 5.24 Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés : Je te le commande, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton brancard et va dans ta maison." - A la question que leur adressait Notre‑Seigneur, les Pharisiens et les Scribes n'eurent rien à répondre. Il reprit donc après une courte pause : Afin que vous sachiez… Comme on l'a dit, un miracle ainsi annoncé prend la valeur d'une importante démonstration. « Il montrait assez par ce fait même et par ces paroles, que s'il accomplissait ces œuvres sur les corps, c'était afin d'amener les hommes à croire qu'il délivrait les âmes par la rémission des péchés ; en d'autres termes, il voulait par sa puissance visible inspirer la foi à sa puissance invisible », S. Aug., Exp ad Rom, §23. Sur le titre Fils de l'homme, cf. commentaire sur S. Matth. - Dit-il au paralytique… Le récit devient aussi vivant que la scène même. Du reste, en cet endroit il varie à peine dans les trois synoptiques, preuve que la tradition avait conservé parfaitement le souvenir du miracle et de toutes ses circonstances.
Luc 5.25 A l'instant, celui-ci se leva devant eux, prit le lit sur lequel il était couché et s'en alla dans sa maison en glorifiant Dieu. - La guérison fut immédiate et toute l'assistance put la constater. - Détail touchant non moins que pittoresque : celui qui avait été l'objet du miracle, obéissant d'ailleurs à l'ordre de Jésus (v. 24), prit le lit sur lequel il était couché et s'en alla… Le grabat avait pris l’homme; maintenant, c’est l’homme qui portait le grabat. La civière qui avait été autrefois le signe de son infirmité devenait tout à coup une preuve évidente de sa guérison. On est heureux d'apprendre que le paralytique à qui Jésus avait ainsi merveilleusement rendu la santé ne fut pas un ingrat, et qu'il s'en retourna chez lui glorifiant Dieu. Nous devons ce détail à S. Luc.
Luc 5.26 Et tous étaient frappés de stupeur, ils glorifiaient Dieu et, remplis de crainte, ils disaient : "Nous avons vu aujourd'hui des choses merveilleuses." - L'impression produite sur les témoins du miracle fut immense. Elle consista en un mélange bien naturel d'admiration et de sainte frayeur, mentionné de concert par les trois synoptiques. 1° L'admiration est exprimée en termes énergiques (le grec parle d'extase). Elle eut pour résultat de mettre la louange de Dieu sur toutes les lèvres. 2° La frayeur fut grande aussi, et chacun la motivait en disant à ceux qui l'entouraient : nous avons vu aujourd'hui des choses prodigieuses. Le texte grec emploie ici un adjectif qui pris à la lettre signifierait « des choses étranges, paradoxales ». Mais les classiques s'en servent aussi pour désigner des événements merveilleux.
Vocation de S. Matthieu et faits qui s'y rattachent 5, 27-39
Ici encore, il existe une très grande ressemblance entre les récits de S. Marc et de S. Luc. Nous nous bornerons donc, le plus souvent, à noter les particularités de notre évangéliste. Pour l'explication détaillée, nous renvoyons le lecteur à nos commentaires des deux premiers synoptiques.
Luc 5, 27-28. = Matth. 9, 9 ; Marc. 2, 13-14.
Luc 5.27 Après cela, Jésus sortit et ayant vu un publicain nommé Lévi, assis au bureau du péage, il lui dit : "Suis-moi." - Dans les trois narrations, l'appel du publicain Lévi à l'apostolat est rattaché à la guérison du paralytique. Jésus, étant sorti de la maison où avait eu lieu cette guérison miraculeuse, vint aussitôt auprès du lac qu'il aimait (Marc. 2, 13), et c'est là qu'il vit un publicain nommé Lévi. Le verbe grec suppose un regard attentif et prolongé. Sur l'identité de S. Matthieu et de Lévi, cf. commentaire sur S. Matth. Lévi avait été le nom du publicain ; Matthieu (don du Seigneur) devint celui de l'Apôtre de Jésus. Le nouvel élu était dans le plein exercice de ses fonctions abhorrées des Juifs, quand le Messie daigna l'attacher à sa personne divine. Jésus montrait ainsi combien peu il redoutait les préjugés de ses compatriotes. cf. Les vv. 30 et ss.
Luc 5.28 Et lui, quittant tout, se leva et le suivit. - quittant tout est un détail touchant, propre à S. Luc. Il prouve que Lévi était digne d'être associé à Pierre et à André, à Jacques et à Jean, qui, sur un mot du Sauveur, avaient de même tout abandonné pour le suivre. S. Matthieu renonce donc à ses espérances de fortune, et s'attache avec bonheur à celui qui n'avait pas une pierre où reposer sa tête.
Luc 5, 29-32. = Matth. 9, 10-13 Marc 2, 15-17
Luc 5.29 Lévi lui donna un grand festin dans sa maison et une foule nombreuse de publicains et d'autres personnes étaient à table avec eux. - Le banquet somptueux (S. Luc seul relève ce détail) donné par S. Matthieu en l'honneur de son nouveau Maître n'eut lieu vraisemblablement que plusieurs jours après l'appel : telle était déjà l'opinion de Tatien dans son Diatessaron ; mais on conçoit que les synoptiques aient voulu l'en rapprocher dans leurs narrations. - Il y avait une foule nombreuse de publicains… « Les publicains s’étaient réunis à lui comme à un collègue et à un homme exerçant le même métier. Mais lui, tout fier qu’il était de la présence du Christ, les convoqua tous », S. Jean Chrysost. Hom. 31 in Matth. Petite circonstance à noter : les deux premiers synoptiques ajoutent qu'à la table de Lévi des « pécheurs » étaient assis en compagnie de Jésus et du publicain ; mais S. Luc ne désigne tout d'abord cette autre catégorie de convives que par la vague expression « et d'autres personnes ». Dans son récit, c'est sur les Pharisiens que retombe tout l'odieux de l'épithète « pécheurs ». Voyez le v. 30. Le pronom eux désigne directement Jésus et Lévi, indirectement les quatre premiers disciples de Notre‑Seigneur, d'après les deux autres narrations.
Luc 5.30 Les Pharisiens et leurs Scribes murmuraient et disaient à ses disciples : "Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ?" - Ils murmuraient (détail propre à S. Luc) : les Pharisiens, et les Scribes qui les accompagnaient comme légistes officiels pour épier la conduite de Jésus. cf. 5, 17. En s'adressant aux disciples, ils se proposaient, selon la judicieuse remarque de S. Jean Chrysostome, de susciter en eux des soupçons contre leur Maître.
Luc 5 31 Jésus leur répondit : "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. 32 Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs." - Peut‑être les amis de Jésus eussent‑ils été embarrassés pour répondre à l'insidieuse question des Pharisiens ; aussi se hâte‑t‑il de défendre lui‑même leur conduite et la sienne. Des deux phrases dont est composée son apologie dans notre Évangile, la première, v. 31, consiste en une sentence populaire, la seconde, v. 32, en un résumé caractéristique du rôle de Notre‑Seigneur. S. Luc cite le proverbe avec une nuance qui rappelle sa condition de médecin : il remplace par un terme technique, malades, le mot plus général de S. Matthieu et de S. Marc, ceux qui se portent mal.
Luc 5.33 Alors ils lui dirent : "Pourquoi, tandis que les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeûnent et prient souvent, les vôtres mangent-ils et boivent-ils ?" - D'après la narration de S. Marc, qui est ici la plus complète et par conséquent la plus exacte, ce ne furent pas tout à fait les mêmes interlocuteurs qui adressèrent à Jésus cette seconde question : elle lui fut posée conjointement par les Pharisiens et par les disciples du Précurseur. - Pourquoi est omis par les témoins les plus autorisés. Dans ce cas, il n'y aurait pas eu d'interrogation proprement dite : les adversaires de Notre‑Seigneur se seraient contentés de signaler le fait. Cette leçon rendrait peut‑être plus frappant encore le contraste établi entre les jeûnes austères des Joannites (disciples de saint Jean Baptiste) et les bons repas reprochés à Jésus. - Des prières : ces mots, qu'on trouve seulement dans le troisième Évangile, représentent des prières spéciales et prolongées, qui ont toujours été associées au jeûne pour le rendre plus méritoire.
Luc 5.34 Il leur répondit : "Pouvez-vous faire jeûner les amis de l'Époux, pendant que l'Époux est avec eux ? 35 Viendront des jours où l'Époux leur sera enlevé : ils jeûneront ces jours-là." - La réplique faite par le divin Maître à cette nouvelle objection est divisée en deux parties dans la rédaction de S. Luc. La première partie, vv. 34 et 35, tend simplement à prouver qu'il ne conviendrait pas de faire jeûner pour le moment les disciples de Jésus ; la seconde, vv. 36-39, démontre qu'ils ne sont pas capables de jeûner. Auriez‑vous bien le cœur de condamner au jeûne ceux qui célèbrent joyeusement une fête nuptiale ? De la sorte, l'inconvenance du jeûne est mise en relief. - Les amis de l'époux, ou, plutôt, d'après le grec, les fils de l'appartement nuptial : expression hébraïque pour indiquer les amis les plus intimes du fiancé. Par cette charmante métaphore, empruntée du reste au langage même de Jean‑Baptiste (cf. Jean 3, 29), Jésus compare sa présence au milieu de ses disciples aux joyeuses cérémonies qui accompagnaient, huit jours durant, les noces juives. Toutefois, ajoute‑t‑il d'un ton empreint d'une gravité solennelle, je ne resterai pas toujours parmi les miens, et alors ils pourront jeûner sans inconvénient.
Luc 5.36 Il leur proposa encore cette comparaison : "Personne ne met à un vieux vêtement un morceau pris à un vêtement neuf : autrement on déchire le neuf et le morceau du neuf convient mal au vêtement vieux. - Il leur proposa encore… Cette formule sert d'introduction à la seconde partie de la réplique. Les deux nouvelles images employées par N. S. montrent fort bien l'incompatibilité qui existait entre les prescriptions sévères du Pharisaïsme et la formation encore imparfaite des disciples de Jésus, ou mieux, pour prendre les choses de plus haut, l'incompatibilité de la Loi ancienne et de la religion du Christ. - Personne ne met … En rapprochant la rédaction de S. Luc de celle des autres synoptiques, le lecteur remarquera ici une nuance d'expressions qui n'est pas sans intérêt. S. Matthieu et S. Marc parlent d'un vieil habit raccommodé simplement à l'aide d'une pièce neuve : le troisième Évangile suppose deux vêtements dont l'un, entièrement neuf, duquel est pris le morceaux par le tailleur incompétent pour rapiéceter l'autre, déjà vieilli, ce qui fait deux habits gâtés. La figure acquiert ainsi une plus grande force, car un habit neuf a plus de valeur qu'une pièce d'étoffe neuve.
Luc 5.37 Personne non plus ne met du vin nouveau dans de vieilles outres : autrement, le vin nouveau rompant les outres, il se répandra et les outres seront perdues. 38 Mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves et tous les deux se conservent. - Autre figure, pour dire qu'au point de vue moral et religieux, de même que sous le rapport matériel, le vieux et le neuf ne vont pas ensemble, et qu'on les gâterait l'un et l'autre en voulant les joindre d'une manière inconsidérée. Le vin jeune et généreux de l'Évangile ferait éclater, par sa force d'expansion, les vieilles outres pharisaïques.
Luc 5.39 Et personne après avoir bu du vin vieux, ne veut aussitôt du nouveau, car on dit : Le vieux vin est meilleur." - Cette nouvelle comparaison, qui n'est pas moins pittoresque que les précédentes, est une particularité de S. Luc. Elle semble également empruntée à la situation : on était à la fin du repas et le vin circulait dans les coupes. Rien de plus clair que son sens direct. Quel est l'homme qui, après avoir bu du vin vieux pendant un certain temps, aura la pensée d'en demander tout à coup du nouveau ? Il se dit au contraire, et habituellement avec raison : le vieux est meilleur, car le vin vieux est en général plus doux et plus savoureux au palais. Au moral cela signifie que tous les changements sont pénibles, que l'on ne s'accoutume pas en un instant à un genre de vie ou d'idées totalement nouveau, notre esprit prenant peu à peu, sous l'influence des vieilles habitudes, un pli qu'il lui est ensuite bien difficile d'abandonner. Or, voilà précisément ce que Jésus voulait indiquer par cette image. Le vin vieux dont il parle représente en effet l'antique religion mosaïque sous la forme rigide que lui avaient donnée les Pharisiens ; le vin nouveau symbolise la religion chrétienne. Eût‑il été naturel que les Juifs renonçassent tout à coup à des idées, à des préjugés, dont ils étaient depuis longtemps imbus, pour faire un parfait accueil à l'enseignement du Sauveur ? C'est donc, on le voit, une excuse aimable de leur conduite et de leur incrédulité qui est contenue dans ce verset. Laissez faire nos accusateurs, semblait dire Jésus à ses disciples : leur résistance est naturelle. Mais ils finiront par s'habituer au vin nouveau de l'Évangile, qui, du reste, ne manquera pas lui‑même de vieillir. - Les Rabbins emploient aussi quelquefois au figuré cette comparaison du vin vieux et du vin nouveau. Par exemple, Pirké Aboth, 4, 20 : « Celui qui a des hommes âgés pour professeurs, à quoi ressemble‑t‑il ? Il ressemble à un homme qui mange des grappes mûres et qui boit du vin vieux. Et celui qui a des jeunes gens pour instructeurs, à quoi ressemble‑t‑il ? A un homme qui mange des raisins verts et qui boit du verjus (jus acide de raisins n’ayant pas mûri)».
Luc 6, 1-5. = Matth. 12, 1-8 ; Marc. 2, 23-28.
Luc 6.1 Un jour de sabbat, comme Jésus traversait des champs de blé, ses disciples cueillaient des épis et, les froissant dans leurs mains, les mangeaient. - Les froissant dans leurs mains est un détail pittoresque, spécial au troisième Évangile. Les Apôtres usèrent en cette occasion du privilège accordé aux indigents par la loi mosaïque, Deutéronome 23, 25.
Luc 6.2 Quelques Pharisiens leur dirent : "Pourquoi faites-vous ce qui n'est pas permis le jour du sabbat ?" - Quelques Pharisiens : expression plus précise que le « les Pharisiens » des deux autres évangélistes. Le frugal repas des disciples fut donc bientôt interrompu par la malignité pharisaïque. Vous violez le sabbat, leur crièrent rudement ces puritains du Judaïsme. Les amis de Jésus arrachaient des épis, puis ils les frottaient entre leurs mains : c'étaient là deux violations énormes du repos sabbatique, le premier acte étant, au dire des Rabbins, analogue à celui des moissonneurs, le second identique au battage du blé. Voyez S. Matth. Il est à noter que, d'après S. Luc, les Pharisiens s'adressent directement aux disciples, tandis que, suivant S. Matthieu et S. Marc, ils auraient interpellé le Sauveur lui‑même. Bède le Vénérable indiquait déjà le vrai moyen de concilier les récits. « Les uns (Matthieu et Marc) disent que c’est au Seigneur lui‑même que ces objections ont été faites, mais par des personnes différentes. C’est autant au Seigneur qu’aux disciples que des objections ont pu être faites ».
Luc 6.3 Jésus leur répondit : "Vous n'avez donc pas lu ce que fit David, lorsqu'il eut faim, lui et ceux qui l'accompagnaient : 4 comment il entra dans la maison de Dieu et prit les pains de proposition, en mangea et en donna à ceux qui étaient avec lui, bien qu'il ne soit permis d'en manger qu'aux prêtres seuls ?" - Ces deux versets contiennent la première partie de l'apologie du Sauveur. L'exemple de David est admirablement allégué pour prouver qu'il est des cas, et tel était celui des apôtres, où la loi positive doit le céder à la loi naturelle. Voyez, 13, 11 et ss., un raisonnement du même genre, mais plus pressant encore car tendant à mettre l'adversaire face à une contradiction entre ses actes et ses paroles. Les trois narrations diffèrent à peine ici l'une de l'autre par quelques nuances insignifiantes.
Luc 6.5 Et il ajouta : "Le Fils de l'homme est maître même du sabbat." - Seconde partie de l'apologie. Non seulement la conduite des disciples pouvait être justifiée au moyen d'exemples célèbres, mais le Fils de l'homme, c'est‑à‑dire le Messie, leur Maître, avait eu le droit de l'autoriser, en sa qualité de Législateur souverain. Si le service du temple, comme l'admettaient les Rabbins eux‑mêmes, l'emportait de beaucoup sur le repos du sabbat, à plus forte raison la volonté du Messie.
Luc 6, 6-11. = Matth. 12, 9-14 ; Marc. 3, 1-6
Voyez l'explication détaillée dans S. Matth.
Luc 6.6 Un autre jour de sabbat, Jésus entra dans la synagogue et il enseignait. Et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. - Un autre jour de sabbat. S. Luc a seul mentionné cette date. La prédication de Jésus dans la synagogue et l'épithète droite, digne du médecin, sont également des détails qui lui appartiennent en propre. Les Saints Pères, s'appuyant sur la tradition qui fait de l'homme à la main aride un ancien maçon, aiment à voir dans ce pauvre infirme une figure du Judaïsme qui, à l'époque de Notre‑Seigneur, était tout à fait incapable de bâtir un temple à la gloire de Dieu.
Luc 6.7 Or, les Scribes et les Pharisiens l'observaient, pour voir s'il faisait des guérisons le jour du sabbat, afin d'avoir un prétexte pour l'accuser. - Ici comme en plusieurs autres passages, la mention des Scribes est spéciale à S. Luc. Notre évangéliste met très fortement en relief les intentions hostiles de ceux qui observaient ainsi Notre‑Seigneur. D'après ces Pharisiens sans cœur, guérir un malade en un jour de sabbat était donc un crime énorme, à moins de circonstances extraordinaires. Quelques Rabbins n'allaient‑ils pas jusqu'à regarder comme une violation du repos sabbatique l'action de consoler les personnes malades. cf. Schabbat, 12, 1.
Luc 6.8 Mais lui, pénétrant leurs pensées, dit à l'homme qui avait la main desséchée : "Lève-toi et tiens-toi au milieu" et lui, s'étant levé, se tint debout. - pénétrant leurs pensées : nouveau détail propre à notre évangéliste, comme aussi, dans la scène vraiment dramatique qui termine le verset, les mots tiens‑toi au milieu, puis l'exécution de l'ordre du Sauveur. Jésus voulut donner un grand éclat à la guérison.
Luc 6.9 Alors Jésus leur dit : "Je vous le demande, est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver la vie ou de l'ôter ?" - Je vous demande est une expression emphatique, spéciale à S. Luc. La question , ainsi posée, était toute résolue : le Sauveur avait montré par son dilemme irréfutable que le bien omis équivaut souvent à un mal commis.
Luc 6.10 Puis, promenant son regard sur eux tous, il dit à cet homme : "Étends ta main." Il l'étendit et sa main redevint saine. - Jésus a beau regarder tout autour de lui : il ne voit personne qui ose lui répondre. « Ils gardèrent le silence » (Marc. 3, 4). Il opère alors victorieusement la guérison.
Luc 6.11 Mais eux, remplis de fureur, se consultaient sur ce qu'ils feraient à Jésus. - Détail propre à S. Luc. Le triomphe public de leur adversaire et leur propre humiliation redoublèrent, on le conçoit, l'exaspération des Pharisiens ; mais leur fureur même, ainsi qu'il arrive souvent, les remplit d'aveuglement et de folie. Les mots ce qu'ils feraient à Jésus caractérisent moins nettement que l'expression parallèle de S. Matthieu et de S. Marc (« ils se consultèrent avec les hérodiens sur les moyens de le faire périr ») les noirs projets des Pharisiens et des Scribes. S. Luc a voulu indiquer par cette nuance qu'il régnait encore une certaine indécision dans l'esprit des ennemis du Sauveur.
Choix des Apôtres et discours sur la montagne. 6, 12-49. Deux faits de la plus grande importance, entre lesquels il existe une étroite connexion. Le choix des Douze et le discours sur la montagne sont, à vrai dire, les premières démarches décisives que Jésus entreprit en vue de constituer son Église. Par l'une il se donnait des aides et des assesseurs, par l'autre il promulguait la « grande charte » du royaume des cieux. Aussi est‑il tout à fait probable que S. Luc a conservé ici l'ordre historique des événements. D'ailleurs S. Marc raconte comme lui le choix des Douze immédiatement après la guérison de la main desséchée.
Luc 6, 12-16. = Matth. 10, 2-4 ; Marc. 3, 13-19.
Luc 6.12 En ces jours-là, il se retira sur la montagne pour prier et il passa toute la nuit à prier Dieu. - En ces jours‑là. Date assez vague en soi ; elle suppose néanmoins qu'il ne devait pas s'être écoulé un temps notable entre cet événement et celui qui précède. - Jésus prosterné aux pieds de son Père céleste au sommet du Kouroun‑Hattîn, et passant toute la nuit à prier, quel spectacle grandiose. Que demanda‑t‑il durant sa longue oraison ? Le contexte l'indique. Il pria instamment pour ses futurs Apôtres, afin qu'ils fussent dignes de leur sublime vocation. S. Jean nous fera entendre, 17, 6-9, un écho de cette fervente prière. Cf. S. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Tertia Pars, question 21 : la Prière du Christ.
Luc 6.13 Quand il fut jour, il appela ses disciples et choisit douze d'entre eux, qu'il nomma apôtres : - Plusieurs des détails renfermés dans ce verset sont propres à S. Luc, notamment la circonstance de temps, quand il fut jour, puis le nom d'apôtres, c'est‑à‑dire d'envoyés, donné par le Sauveur à ses douze élus. Des mots il appela on peut induire qu'un certain nombre de disciples avaient accompagné Jésus jusque sur la montagne des béatitudes, et qu'ils y étaient demeurés avec lui pendant la nuit.
Luc 6 14 Simon, auquel il donna le nom de Pierre et André son frère, Jacques et Jean, Philippe et Barthélemy, 15 Matthieu et Thomas, Jacques, fils d'Alphée et Simon, appelé le Zélé, 16 Jude, frère de Jacques et Judas Iscariote, qui devint traître. - Sur les listes des douze Apôtres, cf. commentaire sur S. Matth. Celle de S. Luc se distingue par deux particularités : 1° le second Simon (v. 15) y est appelé le Zélote, nom plus clair que cananéen dont il est vraisemblablement la traduction grecque ; 2° la phrase qui le livra par laquelle S. Matthieu et S. Marc stigmatisent la conduite de Judas Iscariote est ici remplacée par l'épithète plus énergique de traître, qui n'existe qu'en cet endroit des Évangiles.
Luc 6, 17-49. = Matth. 5, 1-7, 29.
C'est bien un seul et même discours de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qui a été relaté par S. Matthieu et par S. Luc. Il y a trop d'analogies dans les deux rédactions, soit entre les principales circonstances extérieures, soit entre les idées émises, pour qu'on puisse raisonnablement admettre que les évangélistes ont eu en vue deux faits distincts. Les différences proviennent surtout de ce que S. Luc a notablement abrégé le Discours sur la montagne, tandis que S. Matthieu l'a transcrite au complet, d'après son admirable organisme. Et S. Luc abrège en vertu de son plan. Il retranche les détails plus strictement judaïques, qui n'auraient eu qu'une utilité médiocre pour ses lecteurs d'origine païenne, ou encore ceux qu'il se proposait de mentionner plus loin parce que Notre‑Seigneur les avait répétés plusieurs fois. Voilà pourquoi sa rédaction a ici un cachet fragmentaire, qui contraste avec la belle unité que présente celle de S. Matthieu. Quelques phrases seulement lui appartiennent en propre : les malédictions opposées aux Béatitudes, vv. 24-26, et les sentences contenues dans les vv. 39 et 40. Au contraire il n'a pas, ou du moins il n'a pas en cet endroit, les passages suivants du premier Évangile : Matth. 5, 13-38, le chap. 6 tout entier, 7, 6-11, 13-15, 22-23. Quant aux portions communes aux deux écrivains sacrés, elles apparaissent souvent avec ces variantes de forme que nous aimons à noter comme une preuve de l'indépendance des biographes de Jésus, et comme une marque palpable de leur véracité. Ajoutons enfin que, dans le premier Évangile, le discours sur la montagne ressemble davantage à une promulgation judiciaire, officielle, tandis que dans le troisième il a plutôt l'aspect d'une exhortation adressée sur un ton paternel et familier : là, c'est un code de lois ; ici, une douce homélie.
Luc 6, 17-20a. = Matth. 5, 1-2.
Luc 6.17 Étant descendu avec eux, il s'arrêta sur un plateau, où se trouvaient une foule de ses disciples et une grande multitude de peuple de toute la Judée, de Jérusalem et de toute la région maritime de Tyr et de Sidon. - Avec les apôtres qu'il venait de se choisir, Jésus descend du sommet mentionné au v. 12 et il rejoint la foule pour lui donner la grande charte du royaume des cieux. C'est ainsi que Moïse était autrefois descendu de la cime du Sinaï, portant les tables de la loi. Exode 34, 29. - Il s'arrêta sur un plateau. Il n'y a rien, dans ces expressions, qui contredise le récit de S. Matthieu. Plateau peut fort bien s'entendre d'un plateau situé, il est vrai, au‑dessous du sommet élevé sur lequel Jésus avait passé la nuit, mais faisant encore partie de la montagne. Telle était déjà la pensée de S. Augustin, Accord des Évangélistes 2, 47 : « on pourrait admettre encore que d'abord le Seigneur était seul avec ses disciples sur la partie la plus élevée de la montagne, quand parmi eux il choisit les douze Apôtres; qu'ensuite il descendit, non jusqu'au bas, mais dans un lieu qui est spacieux, c'est‑à‑dire une espèce de plaine qui se trouvait au flanc de cette montagne et qui pouvait contenir une foule nombreuse ; qu'il s'arrêta là, y resta debout attendant que la multitude fût rassemblée autour de lui ; qu'enfin s'étant assis et les disciples s'étant approchés, il leur fit à eux et à toute la foule un seul et même discours : discours que saint Matthieu et saint Luc auront rapporté, non de la même manière, mais sans varier pour le fond des choses et des pensées reproduites par tous deux ». Voir dans l'explication S. Matth. 5, 2, comment cette heureuse conjecture se trouve justifiée par la configuration du Kouroun‑Hattîn, ou montagne des Béatitudes. - La troupe de ses disciples et une grande multitude… Autour de Jésus se forme donc comme une triple couronne d'auditeurs : les Douze, puis la foule déjà nombreuse des disciples, puis la masse du peuple. Les détails géographiques ajoutés par l'évangéliste montrent jusqu'où s'étendait alors la renommée du Sauveur. Au cœur de la Galilée, où se passe la présente scène, Jésus voyait à ses côtés des habitants de Jérusalem et de la Judée, de Tyr et de Sidon, même de l'Idumée et de la Pérée, ajoute S. Marc. , 3, 7 et 8 (voyez le commentaire). La région maritime représente tout le littoral palestinien de la Méditerranée. Le texte ne désigne directement ici que les côtes de la Phénicie.
Luc 6 18 Ils étaient venus pour l'entendre et pour être guéris de leurs maladies. Ceux qui étaient tourmentés par des esprits impurs étaient guéris. 19 Et toute cette foule cherchait à le toucher, parce qu'il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. - Deux motifs avaient déterminé cette population à accourir ainsi auprès de Jésus. Elles étaient venues d'abord pour l'entendre, puis pour être guéris. Ces deux désirs vont être satisfaits ; le premier, placé en tête comme le principal, par le grand discours de Jésus ; le second par des guérisons immédiates, opérées en faveur de tous ceux qui en avaient besoin, quel que fût du reste le genre de leurs infirmités. - Remarquez les cinq formes verbales à l'imparfait, qui marquent des actes constamment réitérés. Jésus était, suivant la belle parole de Théophylacte, une source intarissable de miracles. La phrase toute cette foule cherchait à le toucher forme à elle seule un vivant tableau. Quelle sainte agitation autour du Thaumaturge. Tout à l'heure, au contraire, le plus profond silence régnera autour de l'Orateur. Sur l'expression une vertu sortait de lui, voyez Marc. 5, 30, et le commentaire. La chair sacrée du Sauveur, de même que la matière dans les sacrements, servait à transmettre les grâces.
Luc 6, 20-26, = Matth. 5, 3-12.
Luc 6.20 Alors, levant les yeux vers ses disciples, il leur dit : "Heureux, vous qui êtes pauvres, car le royaume des cieux est à vous. - Après avoir appuyé d'avance sur ces nombreux miracles l'autorité de sa parole, Jésus s'assoit à la façon des docteurs, Matth. 5, 1, et commence son discours. Toutefois, comme le note S. Luc (cf. 22, 61) d'une manière non moins délicate que pittoresque, avant d'ouvrir la bouche il embrassa d'abord d'un regard plein d'amour le cercle intime des disciples rangés auprès de lui. C'est à eux en effet qu'il s'adressait plus immédiatement ; c'était par eux que ses mémorables paroles devaient être portées dans peu d'années à l'univers entier. Son auditoire mystique était donc aussi vaste que le monde. - De nos observations antérieures il résulte que, dans l'édition abrégée du discours sur la montagne, telle que nous l'offre le troisième Évangile, il n'existe pas un plan parfaitement accentué. On y découvre pourtant quelques points d'arrêt, quelques directions nouvelles données à la pensée, qui peuvent servir de divisions pour classer les préceptes de Jésus. Les Béatitudes et les malédictions qui leur correspondent, vv. 20-26, forment une première partie que nous intitulerons avec M van Oosterzee « la salutation de l'amour », ou, avec Bleek, « la doctrine du bonheur ». Les vv. 27-38 exposent ensuite le grand précepte de la charité, qui est par excellence le commandement de la Loi nouvelle : c'est la seconde partie. Dans la troisième, vv. 39-49, introduite comme la seconde par une formule de transition, S. Luc a groupé diverses recommandations que l'on pourrait appeler « la doctrine de la sagesse », parce qu'elles fournissent à quiconque les pratiquerait fidèlement un moyen prompt et sûr de parvenir à la vraie sagesse. - « Saint Luc n’a présenté que quatre béatitudes du Seigneur ; huit, saint Matthieu ». St Ambroise. C'est là un fait qui frappe tout d'abord dès que l'on compare les deux rédactions du Discours sur la montagne. Mais le docte Père avait raison d'ajouter : « Dans ces huit, les quatre sont ; et dans ces quatre, les huit ». S. Luc donne vraiment « le précis, la quintessence » (D. Calmet) de l'octave des Béatitudes. Comme ce début de la charte messianique est sage et parfait. « C’est un début qui convient parfaitement au docteur de la sagesse de nous montrer en quoi consiste la béatitude. Car tous la désirent comme la fin de toutes choses. Mais en quoi elle consiste, et par quels moyens l’obtenir, ils n’en ont pas la moindre idée, pour leur plus grand malheur ». Corn. Jansénius. Le Docteur suprême de la sagesse a soin de mettre aussitôt, comme le dit d'une manière pleine de charme Théophylacte, le rythme et l'harmonie dans l'âme de ses disciples au moyen des Béatitudes. Sur la forme extérieure et l'aspect paradoxal des Béatitudes, cf. commentaire sur S. Matth. - Heureux vous qui êtes pauvres… Cette Béatitude est la première dans l'exposé de S. Luc comme dans celui de S. Matthieu. Seulement, notre évangéliste a supprimé le mot « en esprit », ce qui donne de prime abord plus de clarté à la pensée, mais qui lui enlève peut‑être de sa profondeur. Toutefois, comme il s'agit évidemment ici ou des pauvres qui supportent avec courage, dans un sentiment chrétien, la privation des biens de ce monde, ou des riches qui vivent détachés de leurs richesses, la pensée est au fond la même de part et d'autre. En effet, d'après S. Luc, les Béatitudes sont adressées directement par Jésus à ses disciples (cf. les vv. 21-23 ; de même les malédictions, vv. 24-26), tandis qu'elles apparaissent dans le récit de S. Matthieu sous la forme d'aphorismes généraux. C'est précisément en cela qu'apparaît le caractère familier, en quelque sorte homilétique (édification ou enseignement par la prédication de la Parole), du discours sur la montagne tel que le relate S. Luc. cf. encore 6, 46 et Matth. 7, 21 ; 6, 47 et Matth. 7, 24, etc.
Luc 6.21 Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. - C'est la quatrième Béatitude dans S. Matthieu. Ici encore nous avons à noter une omission caractéristique, celle de « la justice », le mot hébreu correspondant désigne la sainteté en général. La vie où abondent le confort, le luxe, les délices matérielles, est souvent incompatible avec le goût de la perfection et des choses du ciel : ce qui fait que les deux rédactions reviennent à peu près au même. - Vous qui pleurez. Cette Béatitude est la troisième chez nos deux évangélistes. Maintenant est une particularité de S. Luc (de même dans la Béatitude précédente) : cet adverbe oppose avec emphase les misères présentes aux joies inénarrables que l'on goûtera dans le royaume messianique parvenu à sa consommation glorieuse. Le pittoresque vous rirez (Matth. ils seront consolés) est également spécial à S. Luc. Employé au v. 25 et par S. Jacques, 4, 9, pour désigner la joie profane et coupable des mondains, ce mot n'apparaît qu'en cet endroit comme emblème du bonheur sacré des élus.
Luc 6.22 Heureux serez-vous, lorsque les hommes vous haïront, vous repousseront de leur société, vous chargeront d'opprobre et rejetteront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme. 23 Réjouissez-vous en ce jour-là et tressaillez de joie, car voici que votre récompense est grande dans le ciel : c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. - Ces versets contiennent la quatrième Béatitude de S. Luc, qui est parallèle à la huitième de S. Matthieu, 5, 10-12. - Heureux serez-vous. Il est question d'un bonheur à venir mais l'acquisition de ce bonheur est sûr pour ceux auxquels s'adresse le divin Maître. - Si S. Luc omet l'énoncé général de la Béatitude, tel qu'on le trouve dans le premier Évangile, 5, 10, en revanche il accentue avec plus de force la gradation des outrages. S. Matthieu ne distinguait que trois sortes de persécutions, représentées par les locutions « maudiront », « persécuteront », « diront toute sorte de mal ». S. Luc en mentionne quatre qu'il exprime, à part la troisième, au moyen de mots nouveaux. Haïront indique les sentiments du cœur. Repousseront nous montre la haine, d'abord latente, passant à l'action. Les disciples du Christ seront « excommuniés » de la société religieuse et civile. Viendront ensuite les injures grossières (chargeront d'opprobre), puis, comme conclusion, on finira par maudire, par exécrer avec un mépris souverain, le nom pourtant si noble de Chrétien. Mais cela aura lieu à cause du Fils de l'homme, c'est‑à‑dire qu'on n'aura commis d'autre crime que celui d'être le disciple de Jésus : et c'est précisément pour cela qu'on devra se croire bienheureux et se réjouir, comme l'explique le v. 23. « Car il n’y a rien d’avantageux, pour eux, à les supporter. Mais ils ont profit à les tolérer pour le nom du Christ ». St Augustin Serm. Dom. in monte. - Réjouissez‑vous… cf. Matth. 5, 12. En ce jour‑là est emphatique et spécial à S. Luc : au jour où l'on vous traitera d'une manière si ignominieuse. - Tressaillez de joie : le verbe grec signifie littéralement « bondir de joie ». Quelle énergie d'expressions. Excommuniés, bafoués, persécutés, les disciples de Jésus non seulement ne devront pas s'attrister et se décourager, mais ils pourront s'abandonner à la joie. Bien plus, la simple joie serait insuffisante : il faudra qu'ils tressaillent d'allégresse. - Votre récompense est grande… Motif de cette recommandation en apparence si extraordinaire. « Après avoir promis des récompenses, l’organisateur d'une compétition exhorte les siens à un combat acharné ». Luc de Bruges. L'homme naturel se désole quand on lui enlève son bien, son honneur ; le chrétien dépouillé de tout pour Jésus se réjouit, parce qu'il se souvient de la récompense qui l'attend au ciel. Les prophètes, ces augustes personnages de la théocratie, n'ont pas été mieux traités de leur temps. Or, qui ne serait heureux et fier de ressembler aux prophètes ? - Leurs pères : les ancêtres des hommes mentionnés au v. 22, par conséquent, les Juifs des siècles antérieurs. Jésus s'exprime plus clairement dans le premier Évangile : « C’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes qui étaient avant vous ».
Luc 6.24 Mais malheur à vous, riches, car vous avez votre consolation. - Laissant de côté les autres Béatitudes (la seconde : Heureux les doux, la cinquième : Heureux les miséricordieux, la sixième : Heureux ceux qui ont le cœur pur, et la septième : Heureux les pacifiques), S. Luc oppose à celles qu'il vient de citer quatre terribles malédictions de Jésus, vv. 24-26. - Dans Jérémie, 17, 5-8, le mot maudit contrastait déjà tristement avec béni : mais les malédictions précédaient les bénédictions ; tandis qu'ici, conformément à la délicatesse de l'esprit évangélique, les malédictions n'apparaissent qu'après les bénédictions. Le Messie ne maudit que ceux qui auront refusé, rejeté ses bénédictions. - Mais malheur… introduit fort bien les quatre propositions antithétiques destinées à ramener à l'esprit chrétien par la terreur ceux que les récompenses promises plus haut n'auraient pas suffisamment gagnés. - Malheur à vous, riches. Le monde dit au contraire : Bienheureux les riches, malheur aux pauvres. Mais les idées de Jésus ne sont pas celles du monde. Cependant, si le roi messianique maudit les riches, ce n'est pas directement parce qu'ils sont riches, mais en tant qu'ils mettent leur complaisance entière, toute leur âme, dans leurs richesses. « Ce n’est pas dans le jugement porté sur la valeur des biens qu’est le crime, mais dans leur désir », St Ambroise. Il est en effet des riches qui sont pauvres d'esprit. - Car vous avez votre consolation. Jésus avait motivé les Béatitudes ; il motive de la même manière les malédictions. Le verbe grec correspondant à avez est d'une grande énergie : « vous possédez complètement, vous avez totalement reçu ». Ils auront joui sur cette terre des consolations profanes de Mammon, ce sera tout : ils n'auront aucune part aux saintes consolations d'Israël, dont au reste ils ne s'inquiètent guère. Nous trouverons plus loin, 16, 19 et ss., le développement dramatique de cette première malédiction, dans la parabole de Lazare et du mauvais riche.
Luc 6.25 Malheur à vous, qui êtes rassasiés, car vous aurez faim. Malheur à vous, qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et dans les larmes. - Ici encore l'antithèse est parfaite. Les idées sont opposées aux idées, les mots aux mots. Mais le rassasiement de la chair (cf. Colossiens 2, 23) sera suivi d'une faim affreuse, qui demeurera à tout jamais inassouvie. - Vous qui riez maintenant… Malheur, car ces rires terrestres, qui n'auront duré que peu de jours, feront place à d'éternelles et poignantes tristesses, figurées emphatiquement par deux verbes synonymes, vous serez dans le deuil et vous serez dans les larmes. cf. Jacques 4, 4-9.
Luc 6.26 Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous, car c'est ce que leurs pères faisaient à l'égard des faux prophètes. - Le monde n'accorde sa faveur et ses bonnes grâces qu'à ceux qui lui plaisent, et, pour plaire à ce monde corrompu, il est rare qu'il ne faille pas flatter ses passions mauvaises, se mettre de connivence avec ses coupables caprices. Souvent donc la popularité d'un homme est de fâcheux augure relativement à son caractère et à sa conduite. Est‑il étonnant après cela que Jésus maudisse ceux qui recherchent et reçoivent les caresses du monde ? Ne vaut‑il pas mieux être, comme S. Athanase, seul contre le monde ? Telle était aussi, main axiome antique en fait foi, la conviction de la sagesse païenne. « Car comment peut‑il plaire au peuple celui à qui plaît la vertu ? » Sénèque. Phocion (général et homme d’état), interrompu contre l'ordinaire dans un de ses discours par de vifs applaudissements de la foule athénienne, demanda finement à ses amis s'il ne lui pas échappé quelque sottise. - C'est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes. C'est‑à‑dire qu'on les comblait d'honneurs ; mais à quel prix pour leur conscience. Ces faux prophètes accommodaient criminellement leur prétendus oracles aux désirs dépravés des princes et du peuple : il leur était aisé de gagner ainsi tous les suffrages. « Les prophètes prophétisent avec fausseté, les sacrificateurs dominent sous leur conduite, et mon peuple prend plaisir à cela », Jérémie 5, 31. - Leurs pères a le même sens qu'au v. 23.
Luc 6, 27-38, = Matth. 5, 39-48.
Luc 6.27 Mais je vous le dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. 28 Bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous maltraitent. - La transition Mais à vous qui m'écoutez est d'une grande délicatesse. Jésus semble supposer que les terribles apostrophes des vv. 24-26 ne s'appliquaient à aucun des ses auditeurs actuels. Il revient donc à eux comme au sortir d'une digression qui n'aurait concerné que des misérables vivant bien loin du Kouroun‑Hattîn. Ce qu'il leur dit dans cette seconde partie est un commentaire saisissant de ce qu'il nommera plus tard (Jean 13, 34 ; 15, 12) « son » commandement, le commandement « nouveau ». Entrant dans des détails pratiques, pittoresques, il montre en quoi doit consister la charité fraternelle pour les sujets du royaume messianique. Il place en premier lieu ce qu'il y a de plus difficile, et recommande d'abord aux siens l'amour des ennemis, amour sincère et réel, qui, du cœur où il a sa source, passe dans les mains par les actes, et sur les lèvres soit par de bonnes paroles, soit même par de ferventes prières. A chaque manifestation de la haine il faut donc, comme l'indique cette série de sublimes antithèses, répondre par une manifestation de charité, rendant toujours le bien pour le mal. cf. Romains 12, 21.
Luc 6.29 Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui encore l'autre et si quelqu'un t'enlève ton manteau, ne l'empêche pas de prendre aussi ta tunique. - Après la charité active vient la charité patiente, qui tolère, qui sacrifie volontiers, dans l'occasion, ses droits les plus stricts, si elle espère pouvoir gagner le prochain par cette condescendance généreuse. Sur le véritable esprit de ces deux recommandations, cf. commentaire sur S. Matth. La pensée est généralisée par S. Luc : le premier Évangile, 5, 40, supposait un procès sur le point d'être intenté devant les tribunaux. Notre évangéliste renverse en outre l'ordre des vêtements : donnez même votre tunique à quiconque veut vous ravir violemment votre manteau ; dans S. Matthieu Jésus désire au contraire que ses disciples abandonnent leur manteau à l'homme injuste qui voudrait les dépouiller de leur tunique. Mais c'est la même idée exprimée avec une nuance. Chez les Juifs, et S. Matthieu écrivait primitivement pour des Juifs, le manteau du pauvre était regardé comme son vêtement le plus indispensable, Exode 22, 25 ; d'autre part, en soi le manteau est l'habit le plus extérieur, que la main du voleur saisit naturellement en premier lieu. Des deux côtés il y a donc gradation, quoique en un sens différent, et S. Luc a choisi l'arrangement qui devait être le plus clair pour ses lecteurs non juifs. - Ne l'empêche pas… La recommandation est positive dans S. Matthieu : « remets lui ».
Luc 6.30 Donne à quiconque te demande et si l'on te ravit ton bien, ne le réclame pas. - C'est encore la charité sous une autre de ses faces multiples. Jésus inculque, dans la première moitié de ce verset, l'esprit de libéralité qui vient généreusement au secours de tous, sans faire de différences entre les personnes, quoique selon les mesures de la prudence ; puis, dans la seconde moitié, il revient d'une manière générale sur le support chrétien des injustices. Voir une variante dans S. Matthieu, 5, 42. - Ne le réclame pas … ne doit évidemment pas se prendre d'une manière absolue, pas plus que la plupart des conseils évangéliques énoncés ici par le divin Maître : du moins ne doit‑on réclamer son bien avec une rigueur trop grande, qui blesserait la charité.
Luc 6.31 Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux. - S. Luc a placé dès cet endroit la belle « règle d'or » de la charité, qui n'apparaît dans le premier Évangile que beaucoup plus loin, 7, 12, et d'après un autre enchaînement. Mais ce grand principe de l'amour fraternel vient très bien ici au milieu d'injonctions pratiques (vv. 27-35) qu'il relie à la façon d'un nœud gracieux et fort.
Luc 6.32 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance en recevrez-vous ? Les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment. - Ce verset et les deux suivants contiennent trois raisonnements parallèles, destinés à prouver qu'une charité simplement humaine, c'est‑à‑dire égoïste, est tout à fait nulle devant Dieu. Il y a, dans cette argumentation pressante, une fine critique de la bonté purement naturelle, et, par suite, une forte motivation à la charité surnaturelle. - 1° Quand nous nous bornons à aimer ceux qui nous aiment, quel est notre mérite ? La réponse n'est pas directement donnée, mais la phrase finale, les pécheurs aussi…, qui retentit trois fois comme un triste refrain, l'indique suffisamment. - Nous lisons dans S. Matthieu : « Les publicains aussi n'agissent‑ils pas de même? ». Le premier évangéliste conserve aux paroles de Jésus la couleur juive qu'elles avaient eue d'abord ; S. Luc remplace les idées particularistes de publicains et de païens (cette dernière avec une touchante sollicitude pour les sentiments de ses lecteurs) par la notion générale de pécheurs.
Luc 6.33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous font du bien, quelle reconnaissance en recevrez-vous ? Les pécheurs aussi en font autant. - Par une gradation manifeste (cf. v. 27), Jésus passe des sentiments du cœur aux actes qu'inspire l'affection, et il raisonne sur eux de la même manière. Ce détail est propre à S. Luc ; de même celui du v. 34. S. Matthieu, 5, 47, a un autre exemple tiré des salutations entre amis.
Luc 6.34 Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quelle reconnaissance en recevrez-vous ? Des pécheurs aussi prêtent à des pécheurs, afin qu'on leur rende l'équivalent. - Nouvelle gradation : après les bienfaits en général, un bienfait d'une nature particulière, qui coûte toujours, même dans l'hypothèse faite par Notre‑Seigneur, tant l'homme est attaché aux richesses matérielles. D'ailleurs, ceux qui prêtent courent toujours quelque risque, et les services désintéressés sont rares. - Afin de recevoir la pareille, c'est‑à‑dire le même service à l'occasion, ou bien le remboursement exact de la somme prêtée, de sorte qu'ils ne perdent absolument rien.
Luc 6.35 Pour vous, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour et votre récompense sera grande et vous serez les fils du Très-Haut, qui est bon aux ingrats et aux méchants. - A la conduite égoïste qu'il vient d'exposer et de blâmer dans les vv. 32-34, Jésus oppose maintenant celle que devront tenir ses disciples. Il emploie les mêmes termes que précédemment et suit la même gradation : Aimez vos ennemis, et pas seulement ceux qui vous aiment, v. 32 ; faites du bien… sans rien espérer, et pas seulement quand vous espérerez quelque autre bienfait en retour des vôtres ; prêtez sans espoir de gain ou de recouvrement. Voilà la conduite du vrai chrétien. - Et votre récompense sera grande : dès ici‑bas cette conduite généreuse des chrétiens sera récompensée ; mais elle le sera davantage encore dans le ciel. - Vous serez les fils du Très‑Haut. Autre précieux motif d'encouragement. cf. Matthieu 5, 45. Agir ainsi, c'est montrer, par un de ces traits de ressemblance qui trompent rarement, qu'on est fils du Très‑Haut, car lui aussi il est bon à l'égard soit des ingrats qui ne lui savent aucun gré de ses bienfaits, soit des pécheurs qui en abusent ouvertement. Dans le premier Évangile, la description de la bonté divine est exprimée d'une façon plus concrète : « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Matth., 5, 45). Le nom de Très‑Haut pour désigner le Seigneur est propre à S. Luc. cf. 1, 32, 35, 76. Les autres évangélistes ne s'en servent jamais, et c'est ici le seul endroit où Notre‑Seigneur le donne lui‑même à son Père.
Luc 6.36 Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. - Grand principe de charité, analogue à celui du v. 31, mais d'une perfection notablement plus haute. S. Matthieu, 5, 48, élargit l'idée en disant « parfait » au lieu de « miséricordieux ». Les Orientaux ont toujours aimé à rattacher au nom de Dieu l'épithète de miséricordieux.
Luc 6.37 Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, remettez et il vous sera remis. 38 Donnez et il vous sera donné : on versera dans votre sein une bonne mesure, pressée, secouée et débordante, car on se servira, pour vous rendre, de la même mesure avec laquelle vous aurez mesuré." - Ces versets correspondent à Matth. 7, 1 et 2 ; mais S. Luc l'emporte de beaucoup par la richesse des détails. Deux choses sont d'abord interdites par Notre‑Seigneur, puis deux autres choses sont vivement recommandées. A chacun de ses ordres, soit négatifs, soit positifs, il rattache une sanction, tirée de leur nature même et bien capable d'en obtenir le parfait accomplissement. - Ne jugez pas : c'est la première des injonctions négatives. A ceux qui s'y montreront fidèles, Jésus promet que le souverain Juge les traitera avec une telle miséricorde, qu'ils échapperont en quelque sorte à ses redoutables jugements. - Seconde injonction négative : Ne condamnez pas… Condamner, c'est plus que juger, puisque c'est prononcer une sentence qui déclare l'accusé coupable. En évitant de condamner injustement nos frères, nous nous préparons donc un arrêt favorable de la part de Dieu. Grand encouragement. - Première recommandation positive : Pardonnez. Dans le grec, littéralement : déliez et vous serez déliés. Belle métaphore pour exprimer le pardon. - Donnez. Seconde recommandation positive, qui est ensuite fortement développée dans une description pittoresque : une bonne mesure… Quelle accumulation emphatique d'épithètes. Mais l'idée de la libéralité infinie du Seigneur est admirablement inculquée au moyen de ces redondances. La première épithète est employée dans la locution populaire « faire la bonne mesure » ; les trois suivantes font image ; elles sont empruntées au mesurage des céréales ou autres graines analogues, tel qu'il se pratique de nos jours encore sur certains marchés. Pressée : avec ses mains, au besoin avec ses pieds, celui qui mesure presse fortement les grains pour qu'il en tienne une plus grande quantité. Secouée : on agite dans le même but l’objet qui sert à mesurer. Enfin débordante : on comble si bien la mesure, qu'elle déborde de tous côtés. - On versera dans votre sein. L'image est encore plus orientale que précédemment. Le sein désigne par métonymie la partie du vêtement qui recouvre la poitrine et l'estomac, on pourrait dans votre tablier. La robe large et flottante des Orientaux forme au‑dessus de la ceinture de vastes plis dont on se sert en guise de poches, et qui peuvent contenir des objets d'un volume assez considérable. Le sujet de donnera n'est pas déterminé, l'idée est claire néanmoins. C'est Dieu qui, par ses ministres célestes, mesurera ses bienfaits aux élus avec une munificence digne de lui. - La même mesure… Jésus clôt ses quatre exhortations des vv. 37 et 38 par le principe dominateur qui leur avait servi de base : vous serez traités comme vous aurez traité les autres.
Luc 6, 39-49 = Matth. 7, 3-27.
Dans cette dernière partie, les pensées ne se suivent pas avec un enchaînement aussi visible que dans les autres ; la liaison est même parfois obscure. Nous n'en serons pas étonnés, puisque S. Luc abrège et résume. Il s'est donc contenté en plusieurs endroits de placer simplement les unes à côté des autres des idées qui s'enchaînent d'après un ordre parfait dans la rédaction de S. Matthieu.
Luc 6.39 Il leur fit encore cette comparaison : "Un aveugle peut-il conduire un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans la fosse ? - Il leur fit… formule de transition, comme au v. 27. Le pronom leur représente la masse des auditeurs et plus spécialement les disciples. cf. v. 20. - Cette comparaison. Ce proverbe n'apparaît pas dans le premier Évangile ; mais S. Matthieu le cite plus tard, 15, 14, à propos des Pharisiens, que Jésus compare à des aveugles conduisant d'autres aveugles. Preuve que Notre‑Seigneur le proféra en différentes circonstances. Il exprime d'une manière pittoresque cette vérité générale, que quiconque se charge de diriger autrui doit commencer par être lui‑même très éclairé : c'est donc une excellente règle de sagesse.
Luc 6.40 Le disciple n'est pas au-dessus du maître, mais tout disciple, son instruction achevée, sera comme son maître. - Nouveau proverbe, destiné à fortifier le précédent. S. Matthieu le mentionne aussi en un autre endroit, 10, 24-25, légèrement modifié, pour annoncer les oppositions et les persécutions qui attendaient les chrétiens dans le monde. Ici, il signifie que le disciple, reconnaissant la supériorité de son maître, le prend naturellement pour modèle ; mais, si le maître est aveugle, que deviendra le pauvre disciple ? Le disciple mettra toute son âme, tous ses efforts, à devenir bien semblable à son maître.
Luc 6.41 Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? 42 Ou comment peux-tu dire à ton frère : "Mon frère, laisse-moi ôter cette paille de ton œil, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil et tu verras ensuite à ôter la paille qui est dans l'œil de ton frère. - cf. Matth. 7, 3-5 et le commentaire. Les deux rédactions coïncident presque littéralement en cet endroit. - Pourquoi regardes‑tu... ? Suppose un regard attentif et prolongé ; ne remarques-tu... : s'emploie surtout au moral pour désigner un retour de l'âme sur elle‑même ; voir clairement, distinguer nettement d'un bout à l'autre, complètement. Ces verbes font image et sont d'un bel effet dans ce petit drame ironique, admirablement décrit. Jésus ne pouvait inculquer avec plus de force la règle de sagesse pratique qui se dégage si clairement des vv. 41 et 42.
Luc 6.43 En effet, il n'y a pas de bon arbre qui porte de mauvais fruits, ni de mauvais arbre qui porte de bons fruits, 44 chaque arbre se reconnaît à son fruit. On ne cueille pas de figues sur les épines, on ne coupe pas de raisin sur les ronces. 45 L'homme bon tire le bien du bon trésor de son cœur et, de son mauvais trésor, l'homme méchant tire le mal, car la bouche parle de l'abondance du cœur. - cf. Matth. 7, 15-20, et 12, 33-35. Il y a, dit ici le divin Orateur, une frappante analogie entre les lois qui gouvernent le règne végétal et celles qui dirigent le royaume des âmes. La nature ou la valeur de l'arbre se reconnaît à son fruit. Bon fruit, bon arbre ; mauvais fruit, mauvais arbre : la figue sur le figuier et pas ailleurs, le raisin seulement sur la vigne. De même au moral pour les hommes. L'homme bon a au fond de son cœur un bon trésor, duquel ne s'échappent que de bonnes choses ; au contraire, le trésor du mauvais homme est mauvais, et il en sort naturellement des choses mauvaises. Comparez ce détail rabbinique : « Rabbi Jochanan dit à ses disciples : allez et voyez quelle est la droite ligne de conduite à laquelle l'homme doit adhérer. R. Éliézer dit : C'est un bon œil (la libéralité). R. Josua dit : c'est d'être un bon compagnon. R. José dit : c'est d'être un bon voisin. R. Siméon dit : c'est de pourvoir à l'avenir. R. Éléazar dit : c'est un bon cœur. Il leur dit : Je préfère à vos paroles celle d'Éléazar fils d'Aruch, car vos paroles sont contenus dans la sienne. Il leur dit encore : Allez et voyez quelle est la voie mauvaise dont l'homme doit se garder. R. Éliézer dit : c'est un mauvais œil (l'avarice). R. Josua dit : c'est d'être un mauvais compagnon. R. José dit : c'est d'emprunter et de ne pas rendre. R. Éléazar dit : c'est un mauvais cœur. Il leur dit : Je préfère à vos paroles celle d'Éléazar, car vos paroles sont contenues dans la sienne. » Pirké Aboth, 2, 9. Or, ajoute Notre‑Seigneur, c'est par la bouche que se manifeste l'état du cœur de l'homme. - Le raisin sur des ronces… S. Luc mentionne la ronce à la place des chardons ou herbes épineuses du premier Évangile.
Luc 6.46 Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur et ne faites-vous pas ce que je dis ? - La péroraison du discours commence en cet endroit. Le Sauveur proteste d'abord énergiquement contre ces hommes qui, à en croire les paroles pleines de dévouement qu'on entend à tout occasion sortir de leur bouches (Seigneur répété deux fois d'une manière emphatique), seraient ses disciples les plus fervents, mais qui démentent leurs belles paroles par leur conduite antichrétienne. « Le chemin du royaume de Dieu est l’obéissance et non la prononciation solennelle des vœux », Glose ordinaire, ou, comme le dit S. Hilaire, « Soyez des exécuteurs de la parole et non des auditeurs seulement ». Jacques 1, 22. cf. Matth. 7, 21 et le commentaire.
Luc 6.47 Tout homme qui vient à moi, qui écoute mes paroles et les met en pratique, je vous montrerai à qui il est semblable. - Après la protestation indignée qui précède, Jésus montre par deux tableaux pittoresques, vv. 47-49, à quoi ressemblent les deux catégories de personnes qui viennent écouter la prédication évangélique. Voyez commentaire S. Matthieu, 7, 24-27. L'introduction, formée par le v. 47, est plus complète et plus solennelle que dans le premier Évangile. Qui vient à moi et je vous montrerai à qui il ressemble sont des détails propres à S. Luc.
Luc 6.48 Il est semblable à un homme qui, bâtissant une maison, a creusé bien avant et en a posé les fondements sur le roc. Une inondation étant survenue, le torrent s'est jeté contre cette maison et il n'a pu l'ébranler, parce qu'elle était fondée sur le roc. - Premier tableau, qui représente ceux qui observent la parole. L'auditeur sérieux de la divine parole bâtit sur des fondements inébranlables l'édifice de sa perfection : aussi n'a‑t‑il pas à redouter les orages que suscitent contre lui l'enfer, le monde et ses propres passions. S. Luc relève admirablement, par cette description dramatique qui lui est spéciale, le soin pris par le constructeur pour appuyer sa maison sur une base solide. Sans redouter sa peine, il a creusé dans le roc, puis il a creusé encore plus profond. Tel était du reste l'usage en Palestine : certaines fondations allaient chercher la roche dure jusqu'à un mètre au‑dessous du sol. - Une inondation étant survenue… S. Matthieu donne ici à son tour une peinture plus vivante. S. Luc emploie néanmoins plusieurs expressions particulières, qui sont tout ensemble élégantes et fortes, pour désigner l'inondation et le choc terrible des flots contre la maison. « N'a pu l'ébranler » montre peut‑être mieux que le simple « n'a pas cédé » de S. Matthieu l'impuissance des vagues irritées. La conjecture d'après laquelle un orage survenu tout à coup vers la fin du Discours sur la montagne aurait suggéré à Notre‑Seigneur les images de sa péroraison, est fausse.
Luc 6.49 Mais celui qui écoute et ne met pas en pratique, est semblable à un homme qui a bâti sa maison sur la terre, sans fondations, le torrent est venu se heurter contre elle et elle est tombée aussitôt et grande a été la ruine de cette maison." - Second tableau, pour représenter les auditeurs purement passifs, qui ne se donnent aucune peine pour pratiquer la parole divine. Eux aussi ils bâtissent un édifice ; mais leur paresse est cause qu'ils en assoient simplement les bases sur le sol : sans fondations, ajoute emphatiquement S. Luc afin de mieux marquer le contraste qui existe entre eux et les constructeurs du v. 48. Aussi, lorsque les eaux que la tempête a versées comme une trombe sur le pays se sont précipitées à la façon d'un fleuve irrésistible contre la pauvre maison, elle s'est écroulée au premier choc. - Aussitôt est une particularité de S. Luc. - « C'est en agissant, dit S. Augustin, que l'on confirme et consolide ce qu'on a entendu ».
Luc 7, 1-10. = Matth. 8, 5-13.
Nous avons ici un des plus grands miracles de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Mais il acquiert une importance toute nouvelle dans le troisième Évangile, quand on se souvient qu'il fut accompli en faveur d'un païen. Aussi S. Luc l'a‑t‑il raconté avec plus de détails que S. Matthieu.
Luc 7.1 Après qu'il eut achevé de faire entendre au peuple tous ses discours, Jésus entra dans Capharnaüm. - Ce verset précise l'époque et le théâtre du miracle. La guérison eut lieu peu de temps après le Discours sur la montagne. Elle fut opérée dans la cité de Capharnaüm, qui servait de résidence habituelle à Jésus.
Luc 7.2 Or, un centurion avait un serviteur malade, qui allait mourir et il l'aimait beaucoup. - Les deux héros du miracle nous sont ici présentés. C'étaient un centurion païen cf. commentaire sur S. Matth, préposé à une partie de la garnison de Capharnaüm, et son esclave gravement malade. Avec sa précision toute médicale, S. Luc affirme que ce dernier était sur le point de mourir. Il ajoute encore, pour expliquer l'intérêt particulier que le serviteur moribond inspirait à son maître : il l'aimait beaucoup. C'était pourtant un proverbe du paganisme que « autant vous avez d'esclaves, autant vous avez d'ennemis ». Mais le centurion, à demi converti à la religion du vrai Dieu, pratiquait plutôt ce conseil des Saints Livres : « Que le serviteur qui a du sens te soit cher comme ton âme ; ne lui refuse pas la liberté, et ne le laisse pas dans la pauvreté ». (Ecclésiastique, 7, 23).
Luc 7.3 Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya des notables juifs, pour le prier de venir guérir son serviteur. - Ayant entendu parler de Jésus : « Non seulement avec l’oreille du corps, mais aussi avec celle du cœur », St. Bonaventure. Il a entendu parler de Jésus, de sa sainteté, de ses miracles, et il a conçu pour lui une haute estime : il croit en ses pouvoirs surnaturels, et voici qu'il se dispose à y recourir dans la pressante nécessité où il se trouve. - Il lui envoya des notables juifs. On a vu parfois dans ces notables juifs qui servirent d'ambassadeurs au centurion, les officiers de la synagogue ; mais cette opinion n'est pas fondée. Il s'agit simplement de quelques‑uns des notables de Capharnaüm. - Le priant de venir… et pourtant, un peu plus loin, v. 6, le centurion fera prier Jésus de ne pas venir, se reconnaissant indigne de recevoir chez lui un si saint personnage. Pour concilier ces deux données en apparence contradictoires, Maldonat écrit « On peut facilement répondre que les Anciens des Juifs ont ajouté qu’il viendrait de leur propre chef. ». Nous préférons admettre que le centurion, après avoir d'abord demandé la visite du Thaumaturge, revint ensuite humblement sur sa requête, pour la retirer comme trop présomptueuse. - Il est, à propos de cet épisode, une autre conciliation, qui concerne les écarts qui existent entre les récits de S. Matthieu et de S. Luc, cf. commentaire sur S. Matth. Le conflit n'est qu'apparent, et tout observateur attentif reconnaît sans peine qu'il n'y a pas ici antilogie proprement dite, mais simplement diversité. S. Matthieu, qui condense les faits, néglige les personnages intermédiaires, et ne met en scène que le centurion ; S. Luc expose les choses telles qu'elles se sont passées objectivement.
Luc 7.4 Ceux-ci étant arrivés vers Jésus, le prièrent avec grande instance, en disant : "Il mérite que vous fassiez cela pour lui, 5 car il aime notre nation et il a même bâti notre synagogue." - Les délégués s'acquittèrent fidèlement de la commission qui leur avait été confiée. Oubliant leurs préjugés judaïques, ils plaidèrent avec chaleur la cause de l'officier païen. Il mérite, s'écrièrent‑ils, tandis qu'il dira bientôt lui même « je ne suis pas digne ». - L'évangéliste nous a conservé quelques particularités intéressantes alléguées par les notables en faveur du centurion. - Il aime notre nation : beaucoup de païens détestaient alors la nation juive ; plusieurs néanmoins se sentaient attirés vers elle par ses dogmes si élevés, sa morale si pure, et le centurion était de ces derniers. Or, sa situation lui fournissait des occasions quotidiennes de témoigner sa bienveillance par des actes aux Juifs de Capharnaüm. Parmi ces actes, les notables en mentionnent un d'une nature vraiment extraordinaire : il a même bâti notre synagogue. Le centurion n'était donc pas seulement l'ami des Juifs ; c'était pour eux un bienfaiteur, et un bienfaiteur au point de vue de la religion. Il leur avait bâti à ses frais une synagogue, dirent les délégués en s'appuyant sur l'article. Ils désignaient sans doute ainsi la synagogue de leur quartier, ou du moins l'édifice bien connu qui provenait de la générosité du centurion ; car une ville aussi considérable que Capharnaüm possédait nécessairement plusieurs synagogues. L'empereur Auguste avait publié naguère un édit très louangeur sur les synagogues juives, qu'il représentait comme des écoles de science et de vertu : le centurion de Capharnaüm avait tiré la conclusion pratique de cet édit. Peut‑être sa maison de prière était‑elle celle dont on voit aujourd'hui à Tell‑Houm (voyez S. Matth.) les restes, qui attestent une grande magnificence.
Luc 7.6 Jésus s'en alla donc avec eux. Il n'était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya quelques-uns de ses amis lui dire : "Seigneur, ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, 7 aussi ne me suis-je pas même jugé digne de venir auprès de vous, mais dites un mot et mon serviteur sera guéri. 8 Car moi, qui suis soumis à des supérieurs, j'ai des soldats sous mes ordres et je dis à l'un : Va et il va, à un autre : Viens et il vient et à mon serviteur : Fais cela et il le fait." - S. Matthieu a conservé la réponse préalable du Sauveur, toute empreinte de sa divine amabilité : « J'irai et je le guérirai ». Averti de l'approche de Jésus, ou ayant aperçu lui‑même le cortège du seuil de sa maison, le centurion se hâte d'envoyer une seconde ambassade, composée de plusieurs amis, que son malheur avait réunis à ses côtés. La suite des paroles du centurion est mentionnée d'une manière à peu près identique par les deux écrivains sacrés. S. Luc a néanmoins en propre la première moitié du v. 7, si pleine de foi et d'humilité. Cet homme comprenait très bien son infériorité vis à vis de Jésus ; mais comme il comprenait bien aussi la puissance de Notre‑Seigneur. Il exprime ces deux idées avec force au moyen d'une saisissante analogie, empruntée aux faits journaliers dont il était l'acteur et le témoin. Il sait par expérience ce que peut obtenir une parole de commandement. Sur un mot de ses chefs, il obéit ; un de ses mots à lui, simple officier subalterne, suffit pour faire aller et venir ses inférieurs. Donc, dis une parole, et le mal disparaîtra soudain. « Si donc moi, dit‑il, qui suis un homme aux ordres d’un autre, j’ai le pouvoir de commander, que ne peux‑tu, toi, de qui tous les puissants sont les serviteurs ? », S. Augustin, Enarr. in Ps 96, 9.
Luc 7.9 Ce qu'ayant entendu, Jésus admira cet homme et, se tournant vers la foule qui le suivait, il dit : "Je vous le dis, en vérité, en Israël même je n'ai pas trouvé une si grande foi." - Sur cet étonnement de Jésus, cf. commentaire sur S. Matth. Le détail pittoresque se tournant vers est propre à S. Luc ; de même l'addition du mot foule. - Même en Israël… Pas même en Israël, le peuple de l'alliance : C'est un païen qui fournissait à Jésus l'exemple de la foi la plus vive qu'il eût rencontrée jusque là. S. Thomas d'Aquin ne craint pas d'affirmer à la suite d'Origène, de S. Jean Chrysostome, de S. Ambroise, qu'en tenant ce langage Notre‑Seigneur n'exceptait ni les apôtres, ni plusieurs autres saints du Nouveau Testament, bien dévouées pourtant à sa personne sacrée : « Il est question des apôtres, de Marthe et de Madeleine. Et il faut dire que la foi du centurion était plus grande que la leur ». - D'après S. Matthieu, 7, 11-12, Jésus unit à l'éloge du centurion une prophétie relative à l'adoption des Païens et au rejet prochain des Juifs. On est d'abord surpris de voir que S. Luc n'a pas inséré dans sa rédaction ce passage significatif ; mais on s'explique cette omission en rencontrant plus loin, 13, 28, la grave prédiction de Jésus. Notre évangéliste n'aura pas cru nécessaire de la répéter deux fois.
Luc 7.10 A leur retour dans la maison du centurion, les envoyés trouvèrent guéri le serviteur qui était malade. - Le premier Évangile mentionne simplement le miracle : « Et, à l’heure même, le serviteur fut guéri ». S. Luc le fait constater par les délégués du centurion. - Il est plus que probable que le centurion devint dès lors l'ami et le fervent disciple de Jésus, comme l'insinue délicatement S. Augustin : « En se disant indigne, il se rendit digne de recevoir le Christ, non dans sa demeure, mais dans son cœur ; il n’eût même pas parlé avec tant d'humilité et de foi, s'il n'eût porté dans son âme Celui qu'il redoutait devoir entrer dans son habitation ». Serm. 62, 1. Et ailleurs, Serm. 77, 12 : « Je ne suis pas digne de vous recevoir dans ma demeure, et déjà il l'avait reçu dans son cœur. Plus il était humble, plus aussi il avait de capacité et plus il était rempli. L'eau tombe des collines et remplit les vallées. »
Résurrection du fils de la veuve de Naïm. 7, 11-17
Cette narration appartient en propre à S. Luc. Il est seul du reste à attribuer plusieurs miracles de résurrection à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. S. Matthieu et S. Marc ne parlent que de la fille de Jaïre ; S. Jean ne parle que de Lazare.
Luc 7.11 Quelques temps après, Jésus se rendait à une ville appelée Naïm, de nombreux disciples et une grande foule faisaient route avec lui. - Cette formule générale fait passer le lecteur d'un miracle éclatant à un autre miracle plus éclatant encore. De nouveau, la date et la localité sont indiquées. cf. v. 1. La date est un peu vague, peut‑être faut‑il lire « le jour d'après ». - Une ville appelée Naïm. Le nom grec correspond identiquement à l'appellation arabe encore en usage de nos jours, Naïn ou Néïn. Ce nom signifie en hébreu « la belle », et il était justifié à merveille par la situation gracieuse de la cité. Celle‑ci s'étalait en effet sur le versant septentrional du petit Hermon, et, de l'éminence qui lui servait de trône, elle contemplait, à ses pieds, la vaste et fertile plaine d'Esdrelon ; en face, les belles collines boisées de Galilée, que surmontent les pics neigeux du Liban et du grand Hermon. Il n'est pas fait d'autre mention de Naïm dans la Bible. La distance qui la sépare de Capharnaüm est d'environ une journée de marche. - une grande foule. A cette heureuse période de sa vie publique, Notre‑Seigneur, partout où il allait, était habituellement accompagné de foules amies, avides de le voir et de l'entendre. A côté de cette multitude qui suivait Jésus, nous allons bientôt avoir une autre foule, également nombreuse, qui formait le convoi funèbre. Dieu permit qu'il en fut ainsi dans la circonstance présente, afin de multiplier les témoins, du miracle, selon la remarque judicieuse de Bède le Vénérable.
Luc 7.12 Comme il arrivait près de la porte de la ville, il se trouva qu'on emportait un mort, fils unique de sa mère et celle-ci était veuve et beaucoup de gens de la ville l'accompagnaient. - Les villes anciennes étaient presque toujours fortifiées. D'ailleurs, les localités de l'Orient ont habituellement des portes, alors même qu'elles ne possèdent aucune enceinte de remparts. Au moment donc où le Prince de la vie allait franchir avec son escorte le portail massif par où l'on pénétrait dans Naïm, tout à coup une victime de la mort le franchit en sens contraire, avec le cortège accoutumé qui la conduisait au tombeau. Les Juifs avaient coutume d'enterrer toujours les morts en dehors des villes. - Par quelques détails fort simples, mais délicatement choisis, l'évangéliste dépeint de la façon la plus touchante la désolation particulière qui s'attachait à cette scène commune en soi. La mort n'avait pas seulement frappé un jeune homme à la fleur de l'âge ; ce jeune homme était fils unique, et la pauvre mère était veuve. Elle restait donc seule, sans espoir, sans appui, sans joie. Ces deux afflictions incomparables, celle du veuvage, et plus encore celle que cause la perte d'un fils unique, étaient devenues proverbiales chez les Juifs. cf. Jérémie 6, 26 ; Zacharie 12, 10 ; Amos 8, 10 ; Ruth, 1, 20 et 21 ; Job. 24, 3, etc. Par sympathie pour une douleur aussi navrante, un grand nombre des habitants de la ville avaient voulu assister aux funérailles du jeune homme.
Luc 7.13 Le Seigneur l'ayant vue, fut touché de compassion pour elle et lui dit : "Ne pleurez pas." - Le titre de Seigneur, que S. Luc applique d'ailleurs fréquemment à Jésus (cf. 7, 31 ; 11, 39 ; 12, 42 ; 17, 5-6 ; 18, 6 ; 22, 31, 61, etc.) a ici une emphase spéciale, car le divin Maître va vraiment se manifester comme le Seigneur par excellence. - Touché de compassion. Le cœur si compatissant de Jésus nous est révélé tout entier dans cette ligne. A la vue de cette veuve désolée qui conduisait son fils au tombeau, il fut violemment « déchiré ». L'écrivain sacré montre que le désir de consoler la mère du défunt fut le mobile du miracle. Au moment où elle passait auprès de lui, Ne pleurez pas, lui dit‑il avec bonté. Les hommes aussi adressent cette parole à ceux qui pleurent. Mais qu'elle a peu de force sur leurs lèvres. Car la plupart du temps ils sont incapables de fournir la consolation qui étanche les larmes. Mais celui qui la prononce actuellement est Dieu, assez puissant pour faire cesser à tout jamais les pleurs dans le ciel (Apocalypse 21, 4).
Luc 7.14 Et s'approchant, il toucha le cercueil, les porteurs s'étant arrêtés, puis il dit : "Jeune homme, je te le commande, lève-toi." - Scène toute graphique, non moins bien racontée que la précédente. Le « cercueil » des Hébreux ne désigne pas un cercueil fermé à la façon des nôtres, mais une de ces bières ouvertes dans lesquelles les morts, recouverts de leur linceul et d'un drap mortuaire, sont portés au tombeau. - Lorsque, sans prononcer une seule parole, Jésus eût touché l'extrémité de la civière, les porteurs, comprenant sa pensée, ou plutôt frappés de la majesté qui brillait sur son visage, s'arrêtèrent soudain. Quelque remarquable que soit ce s'étant arrêtés, nous ne nous croyons pas autorisé à voir en lui, à la suite de plusieurs exégètes, le résultat d'un premier miracle. La voix qui avait dit précédemment avec émotion ne pleure pas, s'écrie maintenant sur un ton d'irrésistible autorité, au milieu du silence et de l'attention universels : Jeune homme, je te le commande, lève‑toi. Les deux autres résurrections que raconte l'Évangile furent produites par des paroles de puissance analogue à celles‑ci. cf. 8, 54 et Jean 11, 43. Que c'est grand. Mais que c'est simple. « Nul n'éveille aussi facilement un homme dans son lit, que le Christ ne tire un mort du tombeau. », S. August. Serm. 98, 2. « Élie ressuscite des morts, il est vrai ; mais il est obligé de se coucher plusieurs fois sur le corps de l'enfant qu'il ressuscite : il souffle, il se rétrécit, il s'agite ; on voit bien qu'il invoque une puissance étrangère, qu'il rappelle de l'empire de la mort une âme qui n'est pas soumise à sa voix, et qu'il n'est pas lui‑même le maître de la mort et de la vie. Jésus‑Christ ressuscite les morts comme il fait les actions les plus communes ; il parle en maître à ceux qui dorment d'un sommeil éternel, et l'on sent bien qu'il est le Dieu des morts comme des vivants, jamais plus tranquille que lorsqu'il opère les plus grandes choses ». Massillon, Disc. sur la divinité de Jésus‑Christ.
Luc 7.15 Aussitôt le mort s’assit et se mit à parler et Jésus le rendit à sa mère. - Deux indices immédiats d'un complet retour à la vie : le mort se dresse sur son séant et se met à parler. Un récit légendaire se serait complu à signaler les premières paroles du ressuscité ; le récit inspiré les laisse dans l'oubli comme une chose tout à fait accessoire. - Il le rendit à sa mère. Il y a dans ce détail final « quelque chose d'ineffablement doux », Wiseman, Mélanges religieux, t. 2, Les Miracles du N.T., p. 127. C'était en vue de la mère affligée que Jésus avait opéré le miracle : il lui offre maintenant comme un don précieux son fils ressuscité. « Un vrai don fait à Jésus était celui qui ne pouvait être récupéré que par Jésus », Fr. Luc de Bruges.
Luc 7.16 Tous furent saisis de crainte et ils glorifiaient Dieu en disant : "Un grand prophète a paru parmi nous et Dieu a visité son peuple." - Ce verset le le suivant décrivent l'effet produit par le miracle, d'abord à Naïm, puis dans toute la Palestine. Partout la sensation fut immense. Les témoins oculaires furent d'abord saisis d'une crainte religieuse fort naturelle en pareil cas ; mais il ne tardèrent pas à s'élever à un sentiment plus noble, celui d'une grande reconnaissance envers Dieu, excité par les magnifiques espérances qu'un miracle aussi éclatant avait fait naître dans leurs cœurs. Un grand prophète s'est levé parmi nous, se disaient‑ils. En effet dans l'antiquité sacrée des Juifs, les prophètes seuls, et même uniquement les plus grands d'entre eux (cf. 1 Rois 17, 17-24 ; 2 Rois 4, 11-27), avaient reçu de Dieu le pouvoir de ressusciter les morts. - La foule ajoutait encore : Dieu a visité son peuple.
Luc 7.17 Et cette parole prononcée à son sujet se répandit dans toute la Judée et dans tout le pays d'alentour. - De Naïm et de ses alentours le bruit du miracle, franchissant la Samarie, gagna bientôt toute la province de Judée ; il se répandit ensuite dans tous les pays circonvoisins, tels que l'Idumée, la Décapole, la Phénicie, spécialement la Pérée où était emprisonné S. Jean. cf. v. 18. - Pour admettre l’explication rationaliste selon laquelle les morts rendus à la vie par Jésus et ses apôtres étaient simplement plongés dans un sommeil léthargique, il faut trouver croyable que, durant la courte période de l'histoire évangélique et apostolique, on a vu se renouveler à cinq reprises consécutives, c'est‑à‑dire trois fois dans les Évangiles et deux fois dans les Actes, cette circonstance identique, ce même remarquable hasard d'une léthargie qui, restée inaperçue de toutes les personnes qui s'étaient occupées du mort, cède à la première parole de l'envoyé divin et donne lieu de penser à une résurrection véritable.
Luc 7, 18-35. = Matth. 11, 1-19
S. Luc et S. Matthieu se rencontrent de nouveau pour cet épisode ; mais ils ne le placent pas à la même époque. On préfère généralement l'ordre adopté par notre évangéliste. S. Luc a en outre le mérite d'être le plus complet.
Luc 7.18 Les disciples de Jean lui ayant rapporté toutes ces choses, - Ce détail est propre au troisième Évangile. Quand ses disciples lui apportèrent la nouvelle des miracles et de la réputation croissante de Jésus, Jean‑Baptiste était prisonnier du tétrarque Antipas, dans les cachots de Machéronte. cf. 3, 19-20. Comme le fait observer M. Planus à la suite de Bède le Vénérable, de Théophylacte, de Fr. Luc, etc., on voit percer à travers cette ligne de S. Luc les préjugés et l'antipathie que les disciples de Jean‑Baptiste nourrissaient à l'égard de Notre‑Seigneur. « La brièveté, le laconisme de ce verset ne laissent aucun doute sur les dispositions d'esprit et de cœur de ces amis trop jaloux de la gloire de leur maître. Évidemment, il y a dans leur empressement… une arrière‑pensée contre Jésus ». S. Jean‑Baptiste, Étude sur le Précurseur, p. 249.
Luc 7.19 il en appela deux et les envoya vers Jésus pour lui dire : "Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?" - Deux disciples quelconques : S. Luc n'avait aucun détail à fournir sur la personne des messagers. cf. Actes 23, 23. Sur les fausses interprétations qu'on a données, spécialement dans les temps modernes, de l'ambassade et de la question du Précurseur, cf. commentaire sur S. Matth. La vérité est que la conduite actuelle de S. Jean n'eut pour mobile ni un accès d'impatience qu'aurait excité dans l'âme du prisonnier de Machéronte la lenteur de Jésus à établir son royaume, ni un doute proprement dit sur le caractère messianique du Sauveur. Pour quiconque étudie à fond le S. Jean des Évangiles, ces deux choses sont psychologiquement impossibles : elles sont bien plus impossibles encore au point de vue du rôle divin de Jean‑Baptiste. Ainsi donc, par son message, « Jean n’a pas consulté pour son propre profit mais pour celui de ses disciples », S. Hilaire, Can. 9 in Matth. Il voit que, dans les dispositions où ils se trouvent, ses disciples ne seront complètement convaincus que par Jésus lui‑même : c'est pour cela qu'il les adresse à Jésus. - Celui qui doit venir : dénomination du Messie chez les Juifs. Suivant une opinion très ancienne et assez étrange, qu'on est surpris de voir adopter par S. Jérôme et par S. Grégoire‑le‑Grand, le Précurseur, en tenant ce langage à son Maître, se serait proposé de lui demander s'il fallait annoncer sa venue prochaine aux patriarches retenus dans les limbes, car Jean prévoyait qu'Hérode le ferait bientôt mourir. « Demande‑moi si je dois t’annoncer dans les enfers, moi qui t’ai annoncé sur la terre. Convient‑il vraiment que le Fils goûte la mort, et n’enverras‑tu pas un autre vers ces mystères (sacrements) ? » St. Jérôme, in cap. 11 Matth. cf. S. Greg. Hom. 6 in Evang., et Hom. 1 in Ézéchiel « Cette opinion doit être absolument rejetée. Nous ne trouvons nulle part dans la sainte Écriture que saint Jean Baptiste ait eu à annoncer d’avance dans les enfers la venue du Sauveur », S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs.
Luc 7.20 Étant donc venus à lui : "Jean-Baptiste, lui dirent-ils, nous a envoyés vers vous pour vous demander : Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?" - S. Luc nous montre, et ce détail est encore spécial à sa narration, les disciples de S. Jean s'acquittant de leur mission avec fidélité.
Luc 7.21 A ce moment même, Jésus guérit un grand nombre de personnes affligées par la maladie, les infirmités, ou les esprits malins et accorda la vue à plusieurs aveugles. - A la question de son Précurseur Jésus répondit de deux manières : en actes, v. 21, et en paroles, vv. 22 et 23. La réponse des faits, qui vient au premier rang, n'est mentionnée en termes exprès que dans notre Évangile ; mais S. Matthieu la suppose implicitement (9, 4). - A ce moment même. Au moment où les délégués se présentèrent, Jésus était donc en plein exercice de sa puissance miraculeuse : coïncidence assurément toute providentielle. Sous leurs yeux, il continua d'opérer de nombreux miracles de guérison que l'évangéliste a groupés sous quatre chefs : la cure des maladies de langueur, celles des souffrances aiguës, l'expulsion des démons, la vue rendue aux aveugles. - Les exégètes modernes font à bon droit remarquer contre les rationalistes que S. Luc, l'évangéliste médecin, établit aussi bien que les autres biographes du Sauveur une distinction entre les possessions et les maladies ordinaires.
Luc 7.22 Puis il répondit aux envoyés : "Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. 23 Heureux celui qui ne se scandalise pas en moi." - C'est la réponse proprement dite : brève, mais décisive. Elle est identiquement la même dans les deux Évangiles (voyez Matth. 11, 5-6 et le commentaire). Comme le fait remarquer un exégète, sa force démonstrative ne ressort pas seulement des miracles opérés par Notre‑Seigneur, mais plus encore du rapport étroit qui existait entre eux et le portrait du Messie tracé par les prophètes (cf. Isaïe 35, 4 et 5 ; 51, 1 et s.). Jésus semblait dire aux messagers de S. Jean : Voyez vous‑mêmes. La prophétie, sous vos propres yeux, s'est transformée en histoire, en réalité. Celui que vous cherchez est donc devant vous. Mes œuvres ont occasionné votre question : pour vous répondre, je n'ai qu'à vous renvoyer à mes œuvres, car leur langage est manifeste.
Luc 7.24 Lorsque les envoyés de Jean furent partis, Jésus se mit à dire au peuple, au sujet de Jean : "Qu'êtes-vous allés voir au désert ? Un roseau agité par le vent ? - Jésus rappelle à ses auditeurs l'enthousiasme qui avait autrefois poussé toutes les classes de la nation juive vers le désert de Juda. Qu'allait‑on contempler dans ces lieux sauvages ? Était‑ce un roseau mobile, c'est‑à‑dire un homme sans fermeté de caractère, qui affirmait un jour la mission divine de Jésus et la mettait en doute le lendemain, comme semblait le démontrer son ambassade ? Un roseau, cette colonne de bronze qui résistait aux prêtres, aux Pharisiens et au tétrarque. Un roseau, ce noble cèdre que l'orage de la persécution n'avait pas déraciné (S. Cyrille). Aussi Notre‑Seigneur laisse‑t‑il sans réponse cette première interrogation.
Luc 7.25 Qu'êtes-vous allés voir au désert ? Un homme vêtu d'habits moelleux ? Mais ceux qui portent des vêtements précieux et vivent dans les délices sont dans les palais royaux. - Répétition emphatique, d'un bel effet ; de même au v. 26. La description du luxe effréné des cours orientales est plus complète, plus brillante dans S. Luc que dans S. Matthieu. D'après celui‑ci, Jésus se borne à dire « un homme vêtu d'habits précieux » ; notre évangéliste mentionne en termes exprès et les vêtements précieux et les délices corruptrices de la cour royale.
Luc 7.26 Enfin qu'êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le dis et plus qu'un prophète. - Si Jean‑Baptiste n'est ni un roseau flexible, ni un courtisan voluptueux : serait‑il bien un prophète, comme le répétait alors la voix publique ? cf. Matth. 21, 26. A cette troisième question, Notre‑Seigneur répond d'abord d'une manière affirmative ; puis il surenchérit encore, en disant sans hésiter que le fils de Zacharie était plus qu'un prophète. « Plus grand que les prophètes parce que la fin des prophètes », S. Ambroise.
Luc 7.27 C'est de lui qu'il est écrit : j'envoie mon messager devant votre face, pour vous précéder et vous préparer la voie. - Plus qu'un prophète, dit mieux encore le Sauveur Jésus, parce qu'il est mon Précurseur prédit par les SS. Livres, l'ange, c'est‑à‑dire l'envoyé glorieux qu'annonçait Malachie, 3, 1.
Luc 7.28 Je vous le dis en effet, parmi les enfants des femmes, il n'y a pas de prophète plus grand que Jean-Baptiste, mais le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. - Jésus réitère solennellement son assertion relative à S. Jean : c'est un prophète, plus qu'un prophète. Les temps anciens avaient vu de bien grands prophètes, les Samuel, les Élie, les Élisée, les Isaïe, les Jérémie, les Ézéchiel, et tant d'autres ; mais aucun de ces hommes inspirés n'était à la hauteur de Jean‑Baptiste, le Précurseur du Messie. - Dans le premier Évangile, la pensée est exprimée en termes plus généraux, car S. Jean est mis non seulement au‑dessus des prophètes, mais de tous les « fils de la femme » sans exception. - Mais le plus petit... Jésus veut dire que même les membres inférieurs de son Église, en d’autres termes, que les plus petits d’entre les chrétiens l’emportent sur S. Jean Baptiste, quelle que soit d’ailleurs la grandeur du Précurseur. C’est là une vérité facile à démontrer. Sans doute Jean‑Baptiste est le premier des hommes ; mais les chrétiens appartiennent, en tant que chrétiens, à une espèce transfigurée, divinisée. Sans doute Jean‑Baptiste est l’ami intime du roi ; mais il ne lui a pas été donné de franchir l’entrée du royaume, tandis que le moindre des chrétiens a reçu cette faveur. Sans doute Jean‑Baptiste est le paranymphe (personne qui conduisait la mariée à la maison nuptiale le jour de ses noces), mais l’Église dont les chrétiens font partie est l’épouse même du Christ. Le Christianisme nous a placés sur un plan beaucoup plus élevé que celui du Judaïsme : les membres du Nouveau Testament l’emportent autant sur les membres de l’Ancien que la nouvelle Alliance elle‑même l’emporte sur l’ancienne. On peut donc appliquer ici l’axiome célèbre : « Le plus petit du plus grand est plus grand que le plus grand du plus petit ». Saint Jean Baptiste n’est donc pas considéré personnellement du point de vue de l’excellence de sa vie et de ses mœurs, mais ce qui est envisagé c’est sa condition en tant qu’il représente l’ancienne loi, dont il fut le dernier représentant. Il suit de là que si, dans la première partie de ce verset, Jean‑Baptiste est appelé le plus grand des hommes, ce ne saurait être d’une manière absolue ; c’est seulement pour ce qui concerne l’Ancien Testament, puisque Jésus le met ensuite au‑dessous des sujets du royaume messianique. Après avoir élevé S. Jean plus haut que tous les hommes qui avaient vécu jusqu'alors, Jésus fait maintenant une restriction, sous la forme d'une antithèse frappante. Mon précurseur, avait‑il dit, est, en vertu de son titre même, le premier personnage de l'Ancien Testament ; et pourtant il est inférieur en dignité au plus petit des membres de mon Église (le royaume de Dieu). Notre‑Seigneur, dans cette conclusion si consolante pour les chrétiens, laisse complètement de côté la sainteté personnelle : c'est sur les privilèges et la dignité de deux sphères distinctes qu'il raisonne. Il y a la sphère de l'ancienne Alliance, à laquelle appartenait S. Jean ; il y a la sphère de la nouvelle Alliance ou du royaume de Dieu. Or, cette seconde sphère étant placée beaucoup au‑dessus de la première, le moins élevé des objets qu'elle renferme domine évidemment encore le plus élevé de ceux qui sont contenus dans l'autre. « Quoique nous puissions être dépassés en mérites par quelques‑uns des hommes qui vivaient sous la Loi et que Jean représente, actuellement, après la Passion, la Résurrection, l'Ascension et la Pentecôte, nous possédons de plus grandes bénédictions en Jésus‑Christ, étant devenus, grâce à lui, participants à la nature divine. ». S. Cyrille de Jérusalem.
Luc 7.29 Tout le peuple qui l'a entendu et les publicains eux-mêmes, ont justifié Dieu, en se faisant baptiser du baptême de Jean, - 1° Conduite du simple peuple à l'égard de Jean‑Baptiste. Ce fut une conduite dictée par la foi : en entendant la voix du Précurseur, la foule, et jusqu'aux publicains que nous avons vus en effet accourir à sa prédication, 3, 12, crurent entendre la voix de Dieu lui‑même, et ils agirent en conséquence, embrassant avec zèle moyen extérieur qui leur était offert pour arriver plus aisément à la vraie conversion. Et, par là, ils rendirent gloire au Seigneur, profitèrent des offres de sa miséricorde, approuvèrent sa conduite et entrèrent dans les desseins de sa miséricorde. La multitude déclara donc, d'une manière toute pratique, par sa façon d'agir à l'égard de S. Jean, que Dieu avait bien fait d'envoyer au monde un si saint homme.
Luc 7.30 tandis que les Pharisiens et les Docteurs de la Loi ont annulé le dessein de Dieu à leur égard, en ne se faisant pas baptiser par lui." - 2° Conduite des Pharisiens et des Docteurs. Tout, dans ce verset, contraste avec ce que nous lisions au précédent. Les Pharisiens et les Docteurs de la Loi, c'est‑à‑dire les prétendus saints et les savants de la société juive, sont opposés au peuple et aux publicains, qui représentent les ignorants et les pécheurs. Tandis que ceux‑ci avaient reçu le baptême de S. Jean, et proclamé par là‑même l'excellence et facilité la réalisation du plan divin, ceux‑là, en rejetant le Précurseur et son baptême, avaient fait échouer complètement, du moins pour ce qui concernait leurs propres personnes, les desseins miséricordieux du ciel. Le dessein de Dieu dont parle ici Notre‑Seigneur était le désir nourri par Dieu que chacun se préparât de toutes ses forces, spécialement au moyen du baptême de S. Jean, à la prochaine venue du Messie. - Annuler le dessein de Dieu sur eux, relativement à eux. En effet, les décrets divins demeurent, et personne ne saurait vraiment les rendre vains d'une manière absolue. Ce n'est que par rapport à soi que chacun peut les anéantir.
Luc 7.31 "A qui donc, dit encore le Seigneur, comparerai-je les hommes de cette génération ? A qui sont-ils semblables ? - A qui comparerai‑je… Cette répétition emphatique est spéciale à S. Luc. On a très bien observé qu'elle donne quelque chose de poignant à la question du Sauveur. Jésus semble chercher à quoi il pourra bien comparer une conduite aussi insensée, aussi triste que celle dont il est le témoin. Il trouve une image qui exprime délicatement sa pensée, et il la signale comme une réponse parfaite à la double question qu'il venait de poser.
Luc 7.32 Ils sont semblables à des enfants assis dans la place publique, qui s'interpellent entre eux et se disent les uns aux autres : Nous vous avons joué de la flûte et vous n'avez pas dansé, nous vous avons chanté des complaintes et vous n'avez pas pleuré. - cf. commentaire sur S. Matth. Les deux rédactions diffèrent à peine l'une de l'autre. - Il s'agit donc de deux groupes d'enfants réunis sur la place publique à l'heure de la récréation. Avec l'esprit d'imitation qui caractérise cet âge, ils essaient de mimer dans leurs jeux d'abord une scène de mariage, puis des funérailles. Du moins c'est ce que voudrait le premier groupe, qui s'est mis alternativement à chanter des airs gais et des airs lugubres : mais le second groupe, auquel on offrait ainsi le choix entre les jeux tristes ou joyeux, a refusé obstinément son concours, ce qui lui attire les reproches des autres enfants. Avec quelle dignité Notre‑Seigneur expose, et avec quelle grâce il relève ces détails empruntés à ce que la vie humaine a de plus familier.
Luc 7.33 Car Jean-Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin et vous dites : Il est possédé du démon. 34 Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant et vous dites : C'est un homme de bonne chère et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. - « Saint Luc, par des additions spéciales, jeta une nouvelle lumière sur certains points généraux que Matthieu avait comme laissés dans l’ombre », S. Ambroise. Les mots pain et vin comptent en première ligne parmi ces heureuses additions : ils rectifient ce que la rédaction de S. Matthieu, « il ne mange pas, il ne boit pas » paraissait avoir d'exagéré et d'inexact. - Jésus applique maintenant sa comparaison, en prouvant par des faits incontestables que la génération juive contemporaine ressemblait au premier groupe des enfants mentionnés plus haut (voir dans S. Matth., la manière dont on justifie cette application). C'est en vain que la Sagesse divine a recouru à tous les moyens pour convertir ces Juifs endurcis, essayant de les gagner tantôt par la prédication sévère et la vie mortifiée du Précurseur, tantôt par les doux appels et les exemples plus accessibles de Jésus. Ces âmes rebelles à la grâce n'ont jamais été satisfaites. Jean‑Baptiste leur a paru trop austère, et Jésus trop semblable aux autres hommes. Elles se sont plaintes du premier parce qu'il n'a pas voulu mêler sa voix à leurs joyeuses mélodies, du second parce qu'il a refusé de prendre comme elles un ton lamentable et lugubre. Après tout, c'est à elles seules qu'elles devront s'en prendre lorsque viendront les châtiments divins, puisqu'elles ont rejeté successivement, sous les plus futiles prétextes, les divers ambassadeurs de Dieu.
Luc 7.35 Mais la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants." - « La sagesse de saint Jean Baptiste et la mienne ont été justifiées par tous les hommes sages. Toutes les personnes équitables, éclairées, pieuses, conviendront que nous avons bien agi. Les évènements démontrent que nous avions raison l’un et l’autre dans la conduite que nous avons tenue envers le peuple. Le Précurseur a trouvé des disciples, qui ont reçu son baptême et ont imité sa vie pénitente ; et j’ai tiré du désordre plusieurs pécheurs par ma conduite pleine de bonté et de clémence. Nous prouvons notre sagesse par le succès qu’il a plu à Dieu de nous donner (Jésus parle ici en tant qu’homme : sa divinité a approuvé sa conduite en tant qu’homme et l’a couronnée de succès). Les enfants de la Sagesse, les hommes calmes et pieux nous ont écouté et ont suivi nos conseils. Les autres les ont abandonnés, s’en sont moqués mais leur incrédulité et leur perte même font notre apologie. Dom Calmet cite en note : (Ieronym. (S. Jérôme ) Natal. Alex. Hamm. Grot. (Grotius) Vat. Le Clerc.). Il n’y a que les enfants de la folie et de l’erreur, qui n’aient pas voulu nous suivre, et qui soient capables de nous condamner » (cf. Dom Augustin Calmet, Commentaire Littéral sur tous les Livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, L’Évangile de S. Matthieu, imprimé à Paris, Quai des Augustins, en 1725, sur 11, 19 et Luc 7, 35). Sur les liens entre Jésus et la Sagesse cf. Luc 2, 40 et 52 ; 11, 31 et 49 ; 21, 15. (A propos des liens entre Jésus et la Sagesse, plusieurs Pères, S. Cyprien, S. Ambroise, S. Augustin, S. Athanase, S. Hilaire de Poitiers, enseignent que Baruch, 3,38, en parlant de la Sagesse de Dieu, annonce l’Incarnation (cf. la Bible Allioli et la Bible Calmet).
Simon le Pharisien et la pécheresse. 7, 36-50.
Nous croyons que S. Luc raconte seul cette scène de la vie du Sauveur. Pourtant, quelques exégètes (Hug, Ewald, Bleek, etc.), s'appuyant sur des analogies extérieures, ont essayé de la confondre avec l'onction de Béthanie (cf. Matth. 26, 6-13 ; Marc. 14, 3-9 ; Jean 12, 1-11). De part et d'autre, disent‑ils, l'hôte s'appelle Simon ; en outre, durant les deux repas, une femme vient pieusement parfumer les pieds de Jésus et les essuyer avec ses cheveux ; enfin, chaque fois, quelqu'un des assistants se scandalise à la vue de cet hommage extraordinaire. Trois objections auxquelles il est aisé de répondre. 1° Les deux amphitryons portent, il est vrai, le nom de Simon ; mais ce nom était alors très commun en Palestine, de sorte qu'il serait déraisonnable d'attacher de l'importance à sa réapparition. Il désigne, dans les écrits du Nouveau Testament, neuf personnages distincts, jusqu'à vingt dans ceux de l'historien Josèphe. Du reste, des épithètes soigneusement notées par les narrateurs prouvent qu'il est bien question de deux individus distincts : ici nous avons Simon le Pharisien, là au contraire Simon le Lépreux (Matth. 26, 6). 2° Pourquoi un fait qui est en parfaite conformité avec les usages anciens et modernes de l'orient ne se serait‑il pas renouvelé deux fois à l'égard de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans des circonstances différentes ? L'hommage qu'un profond sentiment de foi et de charité avait inspiré à une pieuse femme pouvait très bien se reproduire sous l'impulsion d'un sentiment identique. Or les circonstances sont réellement différentes. Ici nous sommes en Galilée, dans la première période du ministère public de Jésus ; là c'est la dernière semaine de sa vie, et la scène se passe en Judée, près de Jérusalem. Ici l'héroïne de l'épisode se présente le cœur brisé par le repentir ; là elle vient poussée par la reconnaissance. 3° Si, à deux reprises, la conduite des saintes amies de Jésus est critiquée, ce n'est pas de la même manière : la plainte de l'avare Judas est loin de ressembler à celle du Pharisien Simon. Et puis, quelles nombreuses divergences dans le fond et la forme des récits, dans la leçon qui s'en dégage, etc.. Aussi est‑on surpris de voir des hommes de talent (par exemple, Hengstenberg) faire de prodigieuses dépenses d'esprit et d'arguments en faveur d'une thèse aussi peu soutenable que celle de l'identité des deux onctions.
Luc 7.36 Un Pharisien ayant prié Jésus de manger avec lui, il entra dans sa maison et se mit à table. - Ni le temps, ni le lieu ne sont marqués, et il n'est pas possible de les déterminer avec certitude. On peut dire toutefois, pour ce qui concerne le premier point, que le repas chez Simon dût suivre d'assez près le grand miracle de Naïm et le message de S. Jean‑Baptiste. C'est du moins ce qui ressort de l'ensemble du récit. Quant au second, les exégètes ont nommé tour à tour Béthanie, Jérusalem, Magdala, Naïm et Capharnaüm. - Cette invitation paraît d'abord surprenante, car les Pharisiens, S. Luc nous l'a suffisamment démontré, étaient déjà en lutte ouverte avec Notre‑Seigneur. Cependant Jésus n'avait pas encore complètement rompu avec eux, et l'on ne voit pas pourquoi il n'y aurait pas eu, même dans leurs rangs, quelques particuliers bien disposés en sa faveur. Du reste, la suite des faits nous prouvera que la réception de Simon fut pleine de réserve et de froideur. On dirait que cet homme était hésitant au sujet de Jésus, et qu'il l'invitait précisément pour avoir l'occasion de l'observer de près. - Le divin Maître accepta de dîner chez Simon le Pharisien comme il avait accepté de dîner chez le publicain Lévi. Il ne recherchait pas ces sortes de fête, mais il ne les évitait pas non plus, car il y accomplissait tout aussi bien qu'ailleurs l’œuvre de son Père céleste. - Pour la suite de la narration, le lecteur doit se souvenir que le festin avait lieu à l'orientale. La posture des convives « tenait le milieu entre se coucher tout à fait et s'asseoir : les jambes et la partie inférieur du corps étaient étendues de toute leur longueur sur un sofa, pendant que la partie supérieure du corps était légèrement élevée et supportée sur le coude gauche, qui reposait sur un oreiller ou un coussin ; le bras droit et la main droite étaient ainsi laissés libres pour qu'ils pussent s'étendre et prendre de la nourriture ». La table, vers laquelle se trouvait tournée la tête des convives, était au centre de l'hémicycle formé par les divans : chacun avait par conséquent les pieds en dehors (« derrière », v. 38), du côté de l'espace réservé aux serviteurs.
Luc 7.37 Et voici qu'une femme qui menait dans la ville une vie déréglée, ayant su qu'il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d'albâtre plein de parfum, - Et voici… ce « voici » marque très bien le caractère imprévu, inopiné de l'apparition. - Elle menait une vie déréglée : elle était pécheresse. Ce qui désigne une vie de luxure. C'est en vain que divers auteurs ont essayé de réduire la culpabilité à une vie simplement mondaine : ils ont contre eux « la constante opinion de tous les anciens auteurs » (Maldonat), et l'usage analogue du mot pécheresse dans toutes les langues classiques. S. Augustin, Serm. 99 : « elle s'approcha du Seigneur, afin de revenir purifiée de ses souillures, guérie de sa maladie ». Simon ne se serait pas autant formalisé de l'accueil charitable qu'elle reçut de Jésus, si elle eût fait oublier son ancienne condition par une longue pénitence, sa vie de péché était sa vie actuelle et non une vie passée dont elle se serait détournée. Quel serait d'ailleurs, dans ce cas, le sens de l'absolution que lui donne Jésus ? C'est donc tout récemment qu'elle s'était décidée à changer de vie, et elle venait, en ce moment même, demander son pardon au Sauveur. Peut‑être avait‑elle été vivement impressionnée par quelqu'une des dernières paroles de Jésus, notamment par le « Venez à moi, vous tous... », Matth. 11, 28 et ss. - Les habitudes si rigides de l'Occident nous font trouver étrange, de prime‑abord, une démarche empreinte de tant de liberté. Mais elle s'accorde fort bien avec les usages plus familiers de l'Orient. On ne saurait nier pourtant qu'il n'y eut une sainte audace et un noble courage dans l'acte de la pécheresse. « Vous avez vu aussi une femme fameuse ou plutôt diffamée pour ses désordres dans toute la ville, entrant hardiment dans la salle à manger où était son médecin et cherchant la santé avec une sainte impudeur. Si son entrée importunait les convives, elle venait pourtant fort à propos réclamer un bienfait ». S. Augustin, l. c. « Parce qu’elle regarda les taches de sa turpitude, elle courut les laver à la fontaine de la miséricorde, sans éprouver de honte devant ses amis, car, rougissant de se voir elle‑même dans cet état, elle ne pensa pas avoir à rougir du jugement d’autrui ». S. Grégoire le Grand, Hom. 33 in Evang. - Un vase d'albâtre. Cf. S. Matth 26, 7, le commentaire.
Luc 7.38 et se tenant derrière lui, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à les arroser de ses larmes et à les essuyer avec les cheveux de sa tête et elle les baisait et les oignait de parfum. La description est pittoresque. A peine entrée dans la salle du festin, la pécheresse eut bientôt reconnu la place du Sauveur. La voilà debout à l'extrémité inférieure du divan, auprès des pieds sacrés de Jésus, que le narrateur mentionne trois fois de suite, comme pour mieux faire ressortir l'humilité de son héroïne. Sans doute, le dessein de celle‑ci avait été de procéder immédiatement à l'onction ; mais tout à coup, vaincue par le sentiment de son vif repentir, elle se met à fondre en larmes. « Elle répandit des larmes, le sang du cœur », S. Aug. Toutefois, quel heureux parti elle tirera de cette circonstance même. S'agenouillant, elle commença par arroser de larmes ses pieds (les pieds de Jésus étaient nus, à la façon orientale) ; elle les essuya avec les cheveux de sa tête ; elle baisait ses pieds ; enfin, elle put accomplir l'onction pieuse qu'elle avait surtout projetée. Elle ne prononça pas une seule parole ; mais quelle éloquence dans toute sa conduite. Ses divers actes n'ont rien que de naturel : tout autre cœur contrit et aimant les eût facilement inventés. D'ailleurs, on peut rapprocher de chacun d'eux des détails analogues, empruntés aux coutumes de l'antiquité, qui les rendent plus naturels encore. « Après avoir enlevé les sandales, on parfume les pieds », écrit Quinte‑Curce (8, 9) des monarques indiens. Tite‑Live, 3, 7, nous montre, en un temps de grande détresse, les femmes « balayant les temples avec des cheveux » dans l'espoir de calmer ainsi les dieux irrités. Toutes les marques de respect témoignées à Jésus par la pécheresse avaient lieu quelquefois à l'égard des Rabbins célèbres.
Luc 7.39 A cette vue, le Pharisien qui l'avait invité, dit en lui-même : "Si cet homme était prophète, il saurait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche et que c'est une pécheresse." - Frappant contraste psychologique. Nous disions plus haut que ce Pharisien semble n'avoir pas eu alors d'opinion bien arrêtée au sujet de Jésus. Sa foi naissante, supposé qu'elle existât, fut soumise en ce moment à une rude épreuve. Il avait assisté à la scène précédente avec la plus profonde stupéfaction. Sa réflexion prouve qu'il n'avait absolument rien compris à un spectacle dont les anges du ciel avaient été ravis. Il discute le cas en vrai disciple de ces Pharisiens pour lesquels la question du pur et de l'impur tout extérieurs, primait toutes les autres. - La femme qui le touche : cette expression technique ne pouvait manquer d'apparaître ici. Après tout, à la demande « A quelle distance d'une courtisane faut‑il s'éloigner ? » le pieux et docte Rabbi Chasada n'avait‑il pas nettement répondu : « A quatre coudées » ? Et voilà que Jésus ne craignait pas de se laisser toucher par une femme de ce genre. « Ah! si une semblable s'était approchée des pieds de ce Pharisien, il aurait dit sans aucun doute ce qu'Isaïe prête à ces orgueilleux: « Éloigne‑toi de moi, garde‑toi de me toucher, car je suis pur. » S. Augustin, Serm. 99. Simon conclut donc que Jésus ne méritait pas le titre glorieux que l'opinion publique se plaisait alors à lui décerner (cf. 7, 16). Le raisonnement qui traversa son esprit consista dans le dilemme suivant : Ou bien Jésus ignore le vrai caractère de cette femme, et alors il ne possède pas le don de discerner les esprits qui est habituellement la marque des envoyés de Dieu ; ou bien il sait quelle est celle qui le touche, et alors il n'est pas saint, autrement il frémirait à son contact profane. Ce raisonnement avait pour base la croyance, appuyée sur divers faits bibliques (cf. Isaïe 11, 3, 4 ; 1 Rois 14, 6 ; 2 Rois 1, 3 ; 5, 6 ; etc.) et à peu près générale chez les Juifs contemporains de Jésus (cf. Jean 1, 47-49 ; 2, 25 ; 4, 29, etc.) que tout vrai prophète pouvait lire au fond des cœurs.
Luc 7.40 Alors prenant la parole, Jésus lui dit : "Simon, j'ai quelque chose à te dire." "Maître, parlez", dit-il. - Jésus a discerné les pensées les plus intimes de son hôte (« le Seigneur entendit la pensée du Pharisien », S. Aug., Serm. 99), et c'est à elles qu'il répond. Il démontrera ainsi au Pharisien sceptique qu'il est capable, comme les plus grands prophètes, de scruter le secret des âmes. - Simon… Quelle suavité dans cette réprimande. Du reste, la bonté éclatera jusqu'à la fin du récit. Jésus dut parler néanmoins d'un ton grave et pénétrant. - Maître, parlez… Simon ne pouvait pas adresser à Jésus une réponse plus polie. L'appellation de Rabbi, qu'il lui adresse sans hésiter, est pleine de respect.
Luc 7.41 Un créancier avait deux débiteurs, l'un devait cinq cents deniers et l'autre cinquante. 42 Comme ils n'avaient pas de quoi payer leur dette, il en fit grâce à tous deux. Lequel donc d'entre eux l'aimera davantage ?" - Ce que Jésus avait à dire à son hôte, c'était d'abord une parabole, vv. 41 et 42, sous le voile de laquelle il lui présentera délicatement une profonde vérité ; c'était ensuite, vv. 44-47, l'application de cette même vérité en un langage claire et direct. - La parabole des deux débiteurs n'est pas sans analogie avec celle que cite S. Matthieu, 18, 23-35 ; mais, outre que cette dernière est beaucoup plus développée, la morale des deux pièces n'est pas du tout la même, et la plupart des détails diffèrent entièrement. - Deux débiteurs. Les dettes variaient dans la proportion de dix à un. Elles étaient l'une et l'autre peu considérables, car la pièce d'argent que les Romains nommaient denier valait le salaire d’une journée de travail. Les deux débiteurs sont également insolvables. ils n'avaient pas de quoi payer leur dette. Idée parfaitement juste, car les pécheurs, dont ils sont la figure, ne pourront jamais par eux‑mêmes, quoi qu'ils fassent, s'acquitter à l'égard de Dieu. Mais le créancier est d'une miséricorde infinie : il remet à chacun ses dettes. - Conclusion : de quel côté sera la plus grande reconnaissance ?
Luc 7.43 Simon répondit : "Celui, je pense, auquel il a fait grâce de la plus forte somme." Jésus lui dit : "Tu as bien jugé." - Ainsi interpellé, Simon décide le cas que Notre‑Seigneur lui proposait. Se doutait‑il qu'il était, dans la pensée de l'interrogateur, l'un des débiteurs de la parabole, et qu'on allait tirer de sa réponse un argument contre lui ?
Luc 7.44 Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : "Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison et tu n'as pas versé d'eau sur mes pieds, mais elle, elle les a mouillés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. - Jésus passe à l'application de la parabole. - Se tournant vers la femme est pittoresque. La pécheresse était toujours derrière Jésus (v. 38), et le Sauveur ne l'avait pas encore regardée : il se tourne maintenant vers elle ; puis il commence par une parole expressive (tu vois cette femme), et poursuit par un contraste frappant, établi entre la conduite de Simon à son égard et celle de l'humble femme. - Premier élément : Tu ne m'as pas donné d'eau pour mes pieds… L’hôte s'était dispensé envers Jésus de ce premier devoir de l'hospitalité orientale, auquel on attachait une certaine importance dans cette contrée poudreuse où l'on n'a généralement que des sandales pour toute chaussure (cf. Genèse 18, 4 ; 19, 1 ; Juges 19, 21 ; 1 Samuel 25, 41 ; 2 Thessaloniciens 5, 10). - Elle a arrosé mes pieds de ses larmes… La pécheresse a lavé les pieds de Jésus avec ses larmes, et elle les a essuyés avec ses cheveux.
Luc 7.45 Tu ne m'as pas donné de baiser, mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a cessé de me baiser les pieds. - Second élément : Tu ne m'as pas donné de baiser. Telle a toujours été, même entre hommes, la salutation habituelle de l'Orient. Ce baiser devenait, suivant les circonstances, un signe d'affection ou de respect. Simon l'avait également supprimé à l'égard de Jésus. Mais, par contre, elle… n'a pas cessé de baiser mes pieds.
Luc 7.46 Tu n'as pas oint ma tête d'huile, mais elle a oint mes pieds de parfum. - Troisième élément : Tu n'as pas oint ma tête… Autre pratique ancienne et moderne de l'Orient. cf. Psaume 22, 5 ; 44, 7 ; 65, 5, etc. Les quelques gouttes d'huile d'olive qu'on avait refusé de répandre sur la tête de Jésus avaient été largement compensées par le parfum précieux qu'une main amie et généreuse venait de verser sur ses pieds. Comme ce rapprochement tout entier est réussi. Il n'était pas possible de mieux montrer, dans la réserve calculée de Simon, le manque complet d'affection, et, dans les attentions délicates de l'étrangère, les signes d'une brûlante charité.
Luc 7.47 C'est pourquoi, je te le déclare, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu'elle a beaucoup aimé, mais celui à qui l'on pardonne peu, aime peu." - Ce verset est célèbre dans l'histoire de l'exégèse, à cause de la controverse ardente qu'il a suscitée entre les catholiques et les protestants. Pour ces derniers, qui prétendent que la foi seule justifie, il contient une parole extrêmement embarrassante, beaucoup de péchés lui sont remis parce qu'elle a beaucoup aimé : aussi ont‑ils tout fait pour lui enlever sa signification naturelle ; mais en vain, car elle est de la plus grande clarté. Jésus ne pouvait dire en termes plus évidents que la pécheresse avait mérité son pardon par la perfection de son amour. cf. Bellarmin, de Poenit. Lib. 1, c. 19. Du reste la même doctrine est exprimée ailleurs tout aussi nettement. cf. 1 Pierre 4, 8. Aujourd'hui, la discussion s'est notablement calmée, et plusieurs commentateurs protestants interprètent ce passage tout à fait comme nous. Voir dans Maldonat, in h. l., la manière dont se l'appropriaient autrefois les deux partis. Il est vrai que la conclusion, « Ses nombreux péchés lui sont remis parce qu'elle a beaucoup aimé », cause d'abord une certaine surprise, parce qu'elle n'est pas tout à fait celle que l'on attend. D'après le v. 42, la manifestation d'une charité plus vive semblerait devoir être la conséquence et non le motif d'un pardon plus intégral. Pour échapper à cette difficulté, on a parfois proposé le sens suivant : Elle a reçu la remise d'une dette considérable, c'est pourquoi elle a témoigné beaucoup d'amour. Mais cette interprétation, qui est peu conciliable avec les lois de la grammaire, a été généralement abandonnée. Au fond la difficulté est plus apparente que réelle, et, comme le dit fort bien M. Schegg, ce sont les exégètes eux‑mêmes qui l'ont créée, en supposant d'une façon toute gratuite que Notre‑Seigneur voulait suivre ici pas à pas la parabole qu'il avait exposée précédemment, rattacher d'une manière rigoureuse, anxieuse, l'application à l'exemple, tandis qu'il procède, comme toujours, avec l'ampleur et la liberté de l'Orient. Au surplus, il suffit d'un peu de réflexion pour se convaincre que l'enchaînement des pensées est parfait. Jésus vient de décrire les actes touchants qu'une vive charité unie à un repentir profond avait suggérés à l'humble femme agenouillée à ses pieds : n'était‑il pas naturel et logique qu'au moment de notifier la rémission des péchés il indiquât quelle en avait été la cause la plus méritoire ? Il l'a fait pour nous consoler et nous instruire. Ainsi donc, l'amour précède le pardon comme un motif qui agit puissamment sur le cœur de Dieu ; d'un autre côté l'amour suit le pardon comme une conséquence toute légitime, étant excité dans notre cœur par la contemplation des divines miséricordes. On conçoit par là que les ardeurs de la charité, environnant le péché de toutes parts, finissent par en consumer la malice ; mais on ne voit pas de quelle manière les simples rayons de la foi réussiraient à produire cet heureux résultat. - Celui auquel on remet le moins… Grave « Nota bene » qui retombe en plein sur Simon, quoique Jésus, dans sa bonté, l'ai revêtu d'une forme générale. « Le Sauveur, en énonçant cette maxime, avait en vue ce Pharisien qui s'imaginait n'avoir que peu ou même pas de péchés… Si tu aimes si peu, ô Pharisien, c'est que tu te figures qu'on te remet peu ; ce n'est pas que réellement on te remette peu, c'est que tu te le figures ». S. August., Serm. 99. En passant du fait concret à l’axiome, Notre‑Seigneur renverse en outre sa pensée, pour lui donner plus de force sous ce nouvel aspect. Mais la vérité exprimée est bien la même, car la phrase : Celui à qui l'on pardonne peu, aime peu, ne diffère pas essentiellement de cette autre phrase : à celui qui aime peu, l'on pardonne peu. On trouve fréquemment dans les Livres sapientiaux de la Bible (Job, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des Cantiques, Sagesse, Ecclésiastique) des interversions analogues, destinées à mieux mettre une idée en relief.
Luc 7.48 Puis il dit à la femme : "Tes péchés te sont pardonnés." - Pour la première fois depuis le début de cette scène, Jésus adresse directement la parole à la pécheresse. Ce sera pour lui donner l'assurance solennel de son entier pardon. - Tes péchés te sont remis. Plus haut, Jésus avait ajouté à « péchés » l'épithète « nombreux » ; il la supprime délicatement dans sa formule directe d'absolution.
Luc 7.49 Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : "Qui est celui-ci qui remet même les péchés ?" - En eux‑mêmes : chacun au fond de son cœur. Il n'y eut pas, du moins immédiatement, échange de réflexions entre les invités. - Qui est celui‑ci, qui remet les péchés… « On peut donner deux sens à ces paroles, l'un bon et l'autre mauvais. Le bon est de dire que les assistants… admirent ici la plénitude du pouvoir de Jésus‑Christ, qui peut aussi remettre les péchés. Il faut que cet homme ne soit pas un simple prophète, parce que non‑seulement il ressuscite les morts, mais aussi il pardonne les péchés (Grotius et d'autres). Le mauvais sens est de dire dans un esprit de critique : Cet homme est un blasphémateur. Qui peut remettre les péchés si ce n'est Dieu ? ». Calmet, h. l. Tout porte à croire que ce second sens est le vrai. cf. 5, 21 ; Marc. 2, 7.
Luc 7.50 Mais Jésus dit à la femme : "Ta foi t'a sauvée, va en paix." - Sans s'inquiéter de ces protestations injustes qu'il lisait au plus profond des consciences, et qui se manifestaient d'ailleurs probablement sur la physionomie des convives, Jésus adresse à la convertie une seconde parole, pour la congédier doucement. En lui disant que c'est sa foi qui l'a sauvée, il ne détruit pas son assertion du v. 47 ; car ce n'est pas la foi seule, mais la foi active dans la charité, qui avait accompli l’œuvre de régénération. L'union de la foi et de l'amour avait été nécessaire pour cela. « C’est la foi qui avait conduit la femme au Christ, et sans la foi personne n’aimerait le Christ au point de lui laver les pieds avec ses larmes, les essuyer avec ses cheveux, les oindre avec du parfum. La foi commença le salut ; la charité le consomma. », Maldonat. - Tel est ce beau récit, qu'on a justement appelé un « Évangile dans l'Évangile ». On voit maintenant qu'il avait sa place toute marquée dans les pages de S. Luc, où l'universalité du salut est si clairement annoncée. Voyez la Préface, § 5. Bien des peintres ont essayé de le retracer après notre évangéliste (en particulier Jouvenet, Paul Véronèse, le Tintoret, Nicolas Poussin, Rubens, Lebrun). S. Grégoire, dans la belle homélie 33 qu'il lui consacre, et où il commence par dire d'une manière si pathétique qu'au souvenir d'une pareille scène il lui serait plus facile de pleurer que de prêcher, en fait une excellente application morale. Le Pharisien figure ceux qui présument de leur fausse justice. Et la femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur en pleurant, figure les païens convertis. « Elle est venue avec son vase d’albâtre, elle a répandu le parfum, elle s’est tenue derrière le Seigneur, à ses pieds, les a arrosés de ses larmes et essuyés de ses cheveux, et ces mêmes pieds qu’elle arrosait et essuyait, elle n’a cessé de les baiser. C’est donc bien nous que cette femme représente, pour autant que nous revenions de tout notre cœur au Seigneur après avoir péché et que nous imitions les pleurs de sa pénitence. ». - Mais quelle était cette femme ? Il nous reste à le chercher rapidement. Depuis l'époque et grâce à l'autorité de S. Grégoire‑le‑Grand, qui le premier soutint cette opinion en termes clairs et formels, on a toujours généralement supposé dans l'Église latine que la pécheresse de S. Luc, Marie‑Madeleine, et Marie sœur de Lazare se confondent en une seule et même personne. L'office de saint Marie‑Madeleine, tel qu'il existe depuis des siècles dans la liturgie romaine (voyez le Bréviaire et le Missel romains, au 22 juillet), exprime nettement l'identité, et, quoique l'Église ne veuille pas se faire garant infaillible de tous les détails historiques contenus dans ses prières officielles, on ne saurait nier que ce fait constituer un argument digne de tout notre respect. Il est vrai que la tradition des premiers siècles est souvent douteuse, embarrassée, parfois même contraire à la croyance actuelle. Origène, et plus tard Théophylacte, Euthymius, admettent trois saintes femmes distinctes, et tel est encore le sentiment de l'Église grecque, qui célèbre séparément la fête de la pécheresse pénitente, de Marie‑Madeleine et de Marie sœur de Lazare. Si S. Jean Chrysostome identifie la première et la seconde, il distingue clairement celle‑ci de la troisième. S. Ambroise est hésitant : « elle peut ne pas être la même », dit‑il. S. Jérôme est tantôt favorable, tantôt opposé à l'identité. D'autre part, il est certain que le texte évangélique semble de prime abord plus conforme à la distinction. « S. Luc, 7, 37 (nous citons les réflexions de Bossuet, Sur les trois Magdeleines, Œuvres, édit. De Versailles, t. 43, p. 3 et ss.) parle de la femme pécheresse qui vint chez Simon le Pharisien laver de ses larmes les pieds de Jésus, les essuyer de ses cheveux, et les parfumer. Il ne la nomme pas. 8, 3, deux versets après la fin de l'histoire précédente, il nomme, entre les femmes qui suivaient Jésus, Marie‑Madeleine, dont il avait chassé sept démons. 10, 39, il dit que Marthe, qui reçut Jésus chez elle, avait une sœur nommée Marie. Ces trois passages semblent marquer plus aisément trois personnes différentes que la même. Car il est bien difficile de croire que si la pécheresse était Magdeleine, il ne l'eût pas nommée d'abord, plutôt que deux versets après, où non seulement il la nomme, mais la désigne par ce qui la faisait le plus connaître, d'avoir été délivrée de sept démons. Et il semble nous parler de Marie, sœur de Marthe, comme d'une nouvelle personne dont il n'a pas encore parlé. S. Jean parle de Marie, sœur de Marthe et de Lazare, 11, et 12. Dans ces deux chapitres, il ne la nomme jamais que Marie, comme S. Luc ; et toutefois dans les chapitres 19 et 20, où il parle de Marie‑Madeleine, il répète souvent ce surnom… Il est donc plus conforme à la lettre de l'Évangile de distinguer ces trois saintes : la pécheresse qui vint chez Simon le Pharisien ; Marie, sœur de Marthe et de Lazare ; et Marie‑Magdeleine ». Cette difficulté exégétique est très réelle, comme s'accordent à le reconnaître les meilleurs exégètes (voyez en particulier MM. Bisping, Schegg, Curci, Patrizi). Aussi a‑t‑elle suscité en France, pendant le 16è et le 17è siècle, contre l'identité des trois saintes femmes, un mouvement assez accentué, auquel prirent part non seulement des hommes ardents et inconsidérés comme Launoy et Dupin, mais des savants de la trempe de Tillemont, d'Estius, de D. Calmet, et notre grand Bossuet lui‑même, ainsi qu'on l'a vu plus haut. Nous n'avons pas la prétention de la résoudre, et nous avouons même que nous avons été très fortement influencé par elle. Néanmoins, il nous semble qu'on peut lui opposer avec assez de succès la considération suivante.
Entre la pécheresse que nous venons de contempler aux pieds de Jésus, et Marie‑Madeleine telle que la représentent les récits de la Passion et de la Résurrection, il existe certainement une frappante ressemblance de caractère. C'est, de part et d'autre, le même dévouement sans bornes pour la personne sacrée du Sauveur, la même nature d'âme et d'activité : aussi l'identification est‑elle plus aisée pour ce qui les concerne. Mais il n'est pas moins remarquable de voir, quand on étudie l'histoire évangélique de Marie, sœur de Lazare, qu'en elle aussi se manifeste un caractère analogue à celui de la pécheresse et de Madeleine. Son âme est pareillement aimante et généreuse, contemplative, calme et saintement enthousiaste ; il n'y a pas jusqu'à son attitude aux pieds de Notre‑Seigneur qui ne rappelle celle de la femme pénitente chez Simon le Pharisien, celle de Marie‑Madeleine auprès du tombeau et du divin ressuscité. - Nous aurons plus tard l'occasion de signaler d'autres arguments exégétiques qui ont aussi leur force.
Luc 8.1 Ensuite Jésus cheminait par les villes et par les villages, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les Douze étaient avec lui, Nouvelle période de la vie de Jésus, période de grande activité, de succès et de joies. - Il allait de ci de là à travers la contrée, évangélisant tour à tour les grandes et les petites localités, selon qu'elles se présentaient sur son passage. L'imparfait marque un fait habituel, constamment renouvelé durant la période dont S. Luc nous donne ici un résumé rapide. - Prêchant, exprime une notion plus générale. - Les douze… De Jésus, l'évangéliste passe à son entourage. Les Douze en composaient naturellement la partie principale : le sacré collège, constitué depuis un certain temps d'une manière définitive, accompagne désormais Jésus en tous lieux, à part de rares exceptions, se formant à sa divine école.
Luc 8.2 ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits malins et de maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons, 3 Jeanne, femme de Chusa, intendant d'Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui l'assistaient de leurs biens. - détail complètement nouveau, qui a bien lieu de nous frapper. Il y a quelques mots à peine (cf. Jean 4, 27), les disciples s'étonnaient de voir leur Maître s'entretenir en public avec une femme, et voici maintenant que plusieurs femmes l'accompagnent fréquemment dans ses voyages. S. Jérôme rapporte, il est vrai (in Matth. 27, 56), que, d'après une coutume appuyée sur une ancienne tradition, les femmes juives aimaient à fournir aux Rabbins des vêtements et tout ce qui était nécessaire à leur entretien ; et, en réalité, le Talmud encourage fort ces pieuses pratiques : « Quiconque, dit‑il, reçoit chez lui un disciple des sages, le nourrit, l'abreuve, et lui donne de son bien, fait la même chose que s'il offrait un sacrifice quotidien », Neveh Schalom, f. 156. Mais on ne voit nulle part que des femmes les aient suivis dans leurs prédications itinérantes. Notre‑Seigneur Jésus‑Christ innove donc sous ce rapport, et lui seul pouvait le faire en un point si délicat. Il rompt de sa main divine le cercle étroit que l'Orient avait tracé autour de la femme ; il l'émancipe d'après le sens le plus noble de cette expression, et lui ouvre le large champ des bonne œuvres dans l'Église chrétienne. - Qui avaient été guéries… Ces mots nous révèlent le motif principal qui avait attaché ces saintes femmes à la personne du Sauveur : elles le suivaient par reconnaissance, car elles avaient reçu de lui de grandes faveurs, soit qu'il les eût délivrées de possession démoniaque, soit qu'il leur eût accordé la guérison de quelque grave maladie ou infirmité. Trois d'entre elles sont mentionnées à part : 1° Marie, appelée Madeleine. Ce surnom de Madeleine a été différemment interprété. Origène, Tract. in Matth. 35, y voit une allusion prophétique à la grandeur morale dont Marie devait jouir en servant Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. D’autres cherchent l'étymologie de Magdeleine dans Magdala, nom d'une petite ville située sur le rivage occidental du lac de Tibériade (voyez S. Matth.). Marie aurait donc été surnommée Magdeleine parce qu'elle était originaire de Magdala. S. Jérôme, jouant sur ce nom de Magdala ou Migdol, qui signifie tour, écrivait : « Elle a été appelée correctement Madeleine, mot qui signifie munie d’une tour, à cause de la constance de sa foi et de son amour ». - Le détail qui suit, de laquelle sept démons étaient sortis, a semblablement divisé les exégètes. Deux explications existent à son sujet, l'une littérale, l'autre symbolique. S. Ambroise, et beaucoup d'autres à sa suite, croient que Marie avait été réellement possédée par plusieurs esprits mauvais (sept est un nombre rond pour désigner la pluralité, selon la mode hébraïque), en châtiment de sa conduite immorale ; S. Grégoire (Hom. 33 in Evang.), Bède le Vénérable et un grand nombre d'auteurs voient dans ces mots un symbole de la conversion de Marie. Il est en effet assez conforme au langage figuré des Juifs de traiter les vices comme des démons incarnés dans les âmes. « Le mal a été disposé par Satan », disaient‑ils ; ou encore : « l'ébriété… est un démon ». Mais, d'un autre côté, l'évangéliste a dit expressément que plusieurs des femmes qui accompagnaient Jésus avaient été guéries « d'esprits immondes », circonstance qui nous paraît rendre la première interprétation plus vraisemblable. Le fait que signale S. Luc est aussi mentionné dans le second Évangile, 16, 9, où l'action directe du Sauveur est mieux mise en relief : « dont il avait expulsé sept démons ». - 2° Jeanne. Le mari de cette sainte femme, Chusa, intendant d'Hérode, est identifié par quelques commentateurs avec l'officier royal dont Jésus avait guéri le fils d'après S. Jean, 4, 46 et ss. C'est là toutefois une simple conjoncture. Nous retrouverons plus tard saint Jeanne avec Marie Madeleine auprès du tombeau de Jésus ressuscité, 24, 10. 3° Suzanne. Nom célèbre dans l'Ancien Testament : il signifie lis ; mais la sainte amie de Jésus qui le portait nous est tout à fait inconnue. - Et plusieurs autres. La suite de la vie de Notre‑Seigneur nous apprendra à en connaître quelques autres, par exemple, Salomé. L'évangéliste ne veut pas dire qu'elles aient constamment et toutes ensemble accompagné le Sauveur : les circonstances ne l'auraient pas toujours permis. C'étaient du moins tantôt celles‑ci, tantôt celles‑là, qui se joignaient à lui, et qui pourvoyaient pieusement à tous ses besoins et à ceux de ses disciples : elles l'assistaient de leurs biens. Sur ce sens spécial de assistaient, voyez Romains 15, 25 ; 2 Corinthiens 8, 19-20. Le Fils de Dieu, qui daigne manger le pain de la charité. - Arrêtons‑nous un instant pour voir passer devant nous la troupe sacrée dont nous venons de signaler les membres principaux. Jésus est au milieu des Douze, qui l'entourent avec affection et respect. Les uns sont en avant, les autres à ses côtés, le reste par derrière, mais tous aussi près de lui que possible, afin de ne rien perdre de ses célestes leçons. Le plus souvent c'est lui qui parle ; toutefois, il permet volontiers à ses apôtres de l'interroger familièrement. A quelque distance, marchent plusieurs femmes voilées. Elles sont munies de paniers à provisions, et conversent entre elles. Jésus est le centre ; sa physionomie est d'une grande beauté. Sa tête n'est pas nue, l'usage ne le permettait pas ; contrairement aux représentations habituelles des peintres, elle est couverte d'un soudar (le koufieh des Arabes), c'est‑à‑dire d'un mouchoir attaché sous le menton et flottant sur le cou et sur les épaules. Son vêtement principal consiste en une longue tunique, qui recouvre tout le corps, ne laissant à découvert que les mains et les pieds. Elle est de couleur grisâtre striée de rouge. Par‑dessus cette tunique Jésus porte un tallith (manteau) bleu, dont les amples replis permettent à peine d'entrevoir par instants la kouttoneth (tunique), et la ceinture qui la relève vers la taille. Enfin ses pieds nus sont chaussés de sandales. Telle était la figure humaine du Verbe divin.
Luc 8, 4-15 = Matth. 13, 1-23 ; Marc, 4, 1-20.
S. Luc est encore moins complet que S. Marc relativement aux paraboles dites du royaume des cieux. Il se borne à en rapporter trois, celle du semeur, celle du grain de sénevé et celle du levain. Ces deux dernières ne viendront même que beaucoup plus loin dans sa narration, 13, 18-21. C'est donc au premier évangéliste qu'appartient le mérite d'avoir le mieux exposé le premier groupe des paraboles de Jésus.
Luc 8.4 Une grande foule s'étant amassée et des gens étant venus à lui de diverses villes, Jésus dit en parabole : - Comme les deux autres synoptiques, S. Luc relève d'abord le prodigieux concours de peuple en face duquel fut prononcée la première parabole du royaume des cieux. De chacune des villes traversées par Jésus on se précipitait sur ses pas, afin de le voir et de l'entendre encore : c'était un contingent qui grossissait toujours, jusqu'à ce qu'on arrivât aux bords du lac de Tibériade ; car tel fut, d'après S. Matthieu et S. Marc, le théâtre du présent épisode. - Jésus dit en parabole : Sur cette forme d'enseignement qui dissimule à demi les choses célestes sous un vêtement humain, et qui correspond par conséquent si bien à l'Incarnation du Verbe, voyez S. Matth.
Luc 8.5 "Le semeur sortit pour semer et pendant qu'il semait, une partie tomba le long du chemin et elle fut foulée aux pieds et les oiseaux du ciel la mangèrent. 6 Une autre partie tomba sur la pierre et, aussitôt levée, elle sécha, parce qu'elle n'avait pas d'humidité. 7 Une autre partie tomba parmi les épines et les épines croissant avec elle l'étouffèrent. 8 Une autre partie tomba dans la bonne terre et ayant levé, elle donna du fruit au centuple." Parlant ainsi, il disait à haute voix : "Que celui qui a des oreilles entende." - Assis sur une barque, et ayant en face de lui son nombreux auditoire rassemblé sur le rivage (Matth. 13, 2 ; Marc. 4, 1), Jésus donne à son Église un enseignement d’une très grande importance. Il indique quels sont les principaux obstacles que rencontre dans chaque âme la prédication de la parole divine, ces graines jetées en terre par l'agriculteur en sont le parfait emblème. Le grain matériel tombe sur quatre sortes de terrains et a, par suite, quatre destinées très distinctes. 1° Il y a le terrain durci par les pieds des passants, v. 5 ; la semence n'y pénètre même pas, mais elle est perdue toute entière lorsqu'elle y tombe, soit qu'elle soit bientôt écrasée (détail propre à S. Luc), soit qu'elle serve de pâture aux oiseaux du ciel. Pour elle il ne saurait donc être question de germination ; aussi le verbe lever, répété dans les vv. 6, et 8, ne paraît‑il pas au v. 5. 2° Il y a le terrain sans profondeur, à base de rocher, car tel est le sens de « sur la pierre » : la graine y germe d'abord promptement, mais elle périt ensuite faute d'humidité (nouveau détail spécial ; toutefois S. Matthieu et S. Marc distinguent mieux les deux causes de ruine, l'aridité d'en bas et la chaleur d'en haut). 3° Il y a le terrain déjà occupé par d'autres semences envahissantes (parmi les épines : les grains bons et mauvais croissent ensemble ; mais les bonnes herbes ne tardent pas à être étouffées par les mauvaises. Ovide, Métam., 5, 483 et ss., énumérant les divers obstacles qui désappointent les espérances du semeur, a plus d'un détail commun avec notre parabole : « Les semences périssent en naissant, brûlées par les feux du soleil, ou inondées par des torrents de pluie. Les astres et les vents exercent de funestes influences. D'avides oiseaux dévorent les grains que l'on confie à la terre ; et l'ivraie, le chardon, et l'herbe parasite, détruisent les moissons. »
4° Il y a enfin le terrain bien préparé, dans lequel la graine ne trouve aucun obstacle : elle croît donc à merveille et produit cent pour un. S. Luc est ici moins complet que S. Matthieu et que S. Marc, car il signale seulement un degré de production : il est vrai qu'il a choisi le plus favorable. - La formule que celui qui a des oreilles entende … qui termine la parabole dans les trois rédactions, est introduite de façon emphatique : Le divin prédicateur attirait ainsi l'attention de la foule sur les paroles importantes qu'il venait de prononcer.
Luc 8.9 Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole : - Nous sommes surpris d'abord de voir que les disciples n'aient pas immédiatement compris les mystères cachés sous le voile de la semence et de ses différentes destinées.
Luc 8.10 "A vous, leur dit-il, il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, tandis qu'aux autres, il est annoncé en paraboles, de sorte qu'en voyant ils ne voient pas et qu'en entendant ils ne comprennent pas. - A la question particulière des disciples, Jésus rattache une explication générale, dont l'objet est d'indiquer le motif pour lequel le divin enseignement retentira désormais aux oreilles du peuple sous la forme obscure des paraboles. Notre‑Seigneur distingue deux catégories d'hommes relativement à lui : les amis fidèles pour lesquels il n'y a pas de secret, puis « les autres », les ennemis ou les indifférents. A ceux‑ci, ajoute‑t‑il, je parlerai en paraboles, et ce sera un châtiment : pour que regardant, ils ne voient pas… Voyez dans S. Matthieu, 13, 11-17, la pensée complète du Sauveur. S. Luc la donne, comme S. Marc, en termes très condensés.
Luc 8.11 Voici ce que signifie cette parabole : La semence, c'est la parole de Dieu. 12 Ceux qui sont le long du chemin, ce sont ceux qui entendent la parole, mais ensuite le démon vient et l'enlève de leur cœur, de peur qu'ils ne croient et ne soient sauvés. 13 Ceux en qui on sème sur la pierre, ce sont ceux qui, entendant la parole, la reçoivent avec joie, mais ils n'ont pas de racine : ils croient pour un temps et ils succombent à l'heure de la tentation. 14 Ce qui est tombé sur les épines, représente ceux qui, ayant entendu la parole, se laissent peu à peu étouffer par les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie et ils n'arrivent pas à maturité. 15 Enfin, ce qui est tombé dans la bonne terre, représente ceux qui, ayant entendu la parole avec un cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la constance. - S. Matthieu cite d’une manière beaucoup plus complète les paroles de Notre‑Seigneur. Mth.13.13 : C'est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu'en voyant, ils ne voient pas, et qu'en entendant, ils n'entendent ni ne comprennent. » ; voyez Matth. 13, 12‑15 et le commentaire . Nous copions ici le commentaire des versets correspondant dans l’Évangile selon S. Marc : « S. Marc en donne du moins un bon résumé ; sous une forme saisissante. — Afin que. — Bien que S. Marc ne mentionne pas le nom du prophète Isaïe, dont Jésus citait ici les paroles (Voyez S. Matthieu l. c. et Isaïe 6, 8‑10 : 9 Il dit : "Va et dis à ce peuple : Entendez et ne comprenez pas, voyez et n'ayez pas l'intelligence. 10 Appesantis le cœur de ce peuple et rends dures ses oreilles et bouche-lui les yeux, en sorte qu'il ne voie pas de ses yeux et n'entende pas de ses oreilles et qu'il ne se convertisse pas et ne soit pas guéri.", il est aisé de reconnaître le passage prophétique sous cette forme condensée. « Quand Dieu dit à Isaïe : aveuglez le cœur de ce peuple, ce n’est pas que celui qui est la bonté et la sainteté même puisse avoir aucune part à la malice de l’homme : mais il prédit l’effet que la prédication de sa parole doit produire dans le cœur des juifs, comme s’il lui disait : éclairez ce peuple, faites-lui entendre ma volonté ; mais la lumière que vous lui présenterez ne servira qu’à l’aveugler davantage. Il se bouchera les oreilles et il fermera les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, et que son cœur ne se convertisse. C’est pourquoi l’on peut dire dans ces rencontres, que toute la gloire est due à Dieu et la confusion à l’homme ; parce que Dieu ne tend qu’à éclairer l’homme et à le guérir et que l’homme au contraire s’endurcit le cœur par les mêmes choses qui auraient dû le porter à se convertir. Ainsi lorsque l’œil qui est gâté par une mauvaise humeur, s’expose au soleil, il en devient encore plus malade. Et alors on n’accuse pas le soleil de cet effet si mauvais ; mais on l’attribue à l’indisposition de l’œil. » Cf. Isaïe traduit en françois avec une explication tirée des saints Pères et des Auteurs Ecclésiastiques, par Mr Le Maistre de Sacy prêtre, Bruxelles, p.49, édité par Eugène Henry Fricx, imprimeur de sa Majesté Impériale et Catholique, vis à vis de l’Église de la Madeleine, MDCCXXIV [1724]. Avec Approbations [catholiques] et Privilège de sa Majesté. « Marc s’inspire ici d’Isaïe 6, 9-10, d’après le texte araméen (Targum), qui annonçait l’échec du prophète dont la prédication devait aggraver le péché du peuple endurci. Ce texte a été repris dans l’Église primitive à propos de l’échec de la mission chrétienne auprès du peuple juif, dont l’endurcissement apparaissait ainsi annoncé par les prophètes et compris dans le dessein de Dieu (Jean 12,39-41 ; Actes 28, 26-28). La phrase inspirée d’Isaïe est ici introduite par un pour que qui exprime non pas quelque volonté de Jésus de cacher son message et d’empêcher ceux du dehors de se convertir, mais la conformité de son échec avec l’Écriture et le plan mystérieux de Dieu. La raison dernière de ce plan n’est pas donnée (voir Romains 11, 7-16.29-32) et l’idée du dessein de Dieu ne veut en rien atténuer la responsabilité de l’homme (…) » ; cf. La Bible Notes Intégrales Traduction Œcuménique, notes sur Marc 4, 12, p.2177, Paris, co-édition : Cerf - Biblio, 12ème édition, 2012. Sur la remarquable variante de S. Matthieu, voyez le commentaire de Matth. 13, 11. — N'obtiennent le pardon de leurs péchés. Voilà donc une partie du peuple qui est exclue du salut, parce qu’elle l’a elle‑même rejeté. S. Chrysostome : Ils voient donc, et ne voient pas ; ils entendent et ne comprennent pas. C’est à la grâce de Dieu qu’ils doivent de voir et d’entendre ; mais ce qu’ils voient ils ne le comprennent pas, parce qu’ils repoussent cette grâce, ils ferment leurs yeux, ils feignent de ne pas voir, ils résistent à la parole sainte ; ainsi, bien loin que le spectacle qu’ils ont sous les yeux et la prédication qu’ils entendent leur obtienne le changement de leur vie coupable, ils n’en deviennent au contraire que plus mauvais. Théophile : Dieu accorde la lumière et l’intelligence à ceux qui les demandent, mais il laisse les autres dans leur aveuglement, pour ne pas avoir à châtier plus rigoureusement des hommes qui, comprenant leurs devoirs, ont refusé de les accomplir . S. Augustin (quest. sur l’Evang.) (Quest. 14 sur St. Matth.) : ce sont leurs péchés qui les ont privés du don de l’intelligence. »
Relevons les particularités de S. Luc. 1° Les expressions ceux qui sont le long du chemin, v. 12, et ceux en qui on sème sur la pierre, v. 13, sont au premier regard étranges et hardies ; mais elles sont très exactes, surtout au moral, la parole divine et le cœur qui doit la faire fructifier ne faisant qu'un. 2° Les noms divers donnés au démon par nos trois évangélistes, le démon (S. Luc), le Malin (S. Matth.), Satan (S. Marc) sont une variante intéressante à noter. De peur qu'ils ne croient et ne soient sauvés (v. 12), les plaisirs de la vie (v. 14), avec un cœur bon et excellent et par la constance (v. 15), sont des détails spéciaux à S. Luc. Sa rédaction contient en outre plusieurs locutions originales ; sans être importants en eux‑mêmes, ces détails montrent l'indépendance des écrivains sacrés ; ils servent du reste à établir la vraie doctrine relativement à la composition des SS. Évangiles. Voyez l'Introduction générale. - S. Augustin, Serm. 73, 3, tire en très beaux termes la conclusion morale de la parabole du semeur : « Changez puisque vous le pouvez, retournez avec la charrue ce terrain durci, jetez les pierres de ce champ, arrachez‑en les épines. N'ayez pas ce cœur endurci où meurt aussitôt la parole de Dieu. Ne soyez pas cette terre légère où la charité ne saurait enfoncer ses racines. Gardez‑vous, d'étouffer par les soins et les passions du siècle, la bonne semence ... Soyez une bonne terre ».
Luc 8, 16-18 = Marc. 4, 21-25.
Voir notre explication du passage parallèle chez S. Marc. L'idée dominante est qu’il faut que les disciples de Jésus écoutent avec attention sa parole, vu qu'ils seront chargés de la manifester au monde.
Luc 8.16 Il n'est personne qui, après avoir allumé une lampe, la couvre d'un vase, ou la mette sous un lit, mais on la met sur un chandelier, afin que ceux qui entrent voient la lumière. - Ces petites lampes à poignée, faites d'argile ou d'airain, ont été de tout temps utilisées en Orient. Quand on veut se passer momentanément de leur lumière, on peut aisément les placer sous un vase de quelque dimension, ou sous les divans, hauts d'un ou de deux pieds, qui servent pour les repas. Certains classiques font allusion à cette coutume : « Il a caché le poignard dans le coussin, et dissimulé la lampe sous le boisseau », Fulgentius, Myth. 3, c. 6. « Si la lumière a été couverte par quelque chose », Servius in Ǽn. 6, 724 ; etc. Au lieu de vase, S. Marc a boisseau, comme Fulgence. - Afin que ceux qui entrent voient la lumière est une particularité de notre évangéliste. La rédaction de ce verset a d'ailleurs le mérite d'être la plus vivante.
Luc 8.17 Car il n'y a rien de caché qui ne se découvre, rien de secret qui ne finisse par être connu et ne vienne au grand jour. - C'est la même pensée, avec les images en moins, et une petite explication en plus, ainsi qu'il ressort de la particule « car ». Les disciples de Jésus devront placer sur le chandelier la lumière des vérités évangéliques, car elle est faite pour éclairer le monde. Actuellement, il est vrai, l'Évangile est un secret que beaucoup ignorent ; mais ce secret est fait pour être révélé, connu de tous, mis au grand jour, selon que le dit Notre‑Seigneur dans une belle gradation.
Luc 8.18 Prenez donc garde à la manière dont vous écoutez, car on donnera à celui qui a et à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il croit avoir." - La conclusion de tout cela c'est, pour les futurs missionnaires du Christ, de prendre garde à la manière dont vous écoutez. Savoir bien écouter la parole de Dieu, quel précieux et rare talent. - Car à celui qui a… Jésus motive d'une manière pressante la recommandation qui précède. Écoutez comme il faut, car, en écoutant, vous grossirez le trésor de vos connaissances spirituelles, et, plus vous serez riches, plus Dieu vous donnera, tandis que, dans le cas contraire, il vous enlèverait le peu que vous croiriez avoir. - Ce qu'il croit avoir. Dans S. Marc et Luc. 19, 26, nous lisons « qui a ». Ces mots sont d'une profonde vérité psychologique, puisque en réalité le ministre infidèle dont il s'agit ne possède absolument rien : sa prétendue richesse morale n'est qu'une affaire d'imagination, les jugements divins le lui montreront bien. On a justement affirmé de ces paroles qu'elles sont la formule d'une des lois les plus profondes du monde moral.
Luc 8, 19-21 = Matth 12, 46-50 Marc 3, 31-35.
Voyez l'explication des passages parallèles en S. Matthieu et S. Marc, qui sont plus complets.
Luc 8.19 La mère et les frères de Jésus vinrent le trouver, mais ils ne purent pénétrer jusqu'à lui à cause de la foule. - S. Luc paraît supposer que cet incident ne vint qu'à la suite des paraboles du royaume des cieux, les deux autres synoptiques le placent auparavant, et d'assez nombreux exégètes préfèrent leur chronologie. - La mère et les frères. « Ceux que l’on dit frères de Jésus selon la chair ne sont pas les fils de la bienheureuse Marie mère de Dieu selon Helvide, ni fils de Joseph d’une autre épouse, mais plutôt des parents (cousins). », Bède le Vénérable. cf. le commentaire de S. Matthieu, 12, 46-50. Le mot cousin n’existe pas en araméen, la seule manière de désigner un cousin est de dire « frère ». - Et ils ne purent pénétrer jusqu’à lui. Un détail pittoresque de S. Marc, 3, 20, montre jusqu'à quel point Jésus était alors entouré par la foule.
Luc 8.20 On vint lui dire : "Votre mère et vos frères sont là dehors et ils désirent vous voir." 21 Il leur répondit : "Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique." - Les deux autres évangélistes ont ici des détails graphiques et vivants. « Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit... » (S. Matth.), « Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit... » (S. Marc). En revanche S. Luc présente la réponse de Jésus sous un aspect nouveau. D'après sa rédaction, la mère et les frères mystiques du Sauveur sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la pratiquent. (S. Matth. et S. Marc. : « Quiconque fera la volonté de mon Père », ou « de Dieu »). Il y a dans ces paroles une allusion évidente à la parabole du semeur, racontée par S. Luc immédiatement avant cet épisode. Combien nous devons nous estimer heureux de pouvoir ainsi devenir les frères de Jésus.
Luc 8, 22-25 = Matth 8, 23-27 Marc 4, 35-40.
Luc 8.22 Un jour, il arriva que Jésus monta dans une barque avec ses disciples et leur dit : "Passons de l'autre côté du lac." Et ils se mirent en mer. - La date donnée par S. Luc, un jour, est bien vague. S. Marc la précise en disant que l'apaisement miraculeux de la tempête eut lieu le soir du jour où avaient été prononcées les paraboles du royaume des cieux. Ce verset contient des expressions nautiques (ils monta sur une barque, ils partirent, ils naviguaient). Du reste, au chap. 27 des Actes, S. Luc reprend de telles expressions.
Luc 8.23 Pendant qu'ils naviguaient, il s'endormit et un tourbillon de vent s'étant abattu sur le lac, leur barque s'emplissait d'eau et ils étaient en péril. - Le verbe grec correspondant à s'endormit est d'une grande énergie et signifie : s'endormir de fatigue. - Un tourbillon de vent. D'anciens voyageurs avaient déjà remarqué la fréquence des ouragans de ce genre dans le bassin du lac de Gennésareth. - S’étant abattu sur le lac : du ciel, ou mieux encore, des montagnes environnantes. S’emplissait … ils étaient… : Deux imparfaits, pour mieux faire ressortir la gravité de la situation. Peu à peu la barque s'emplissait d'eau, et bientôt on courut un danger réel de couler à fond. Remarquez la manière toute nautique dont la narration applique aux passagers ce qui arrivait au bateau.
Luc 8.24 S'approchant donc, ils le réveillèrent en disant : "Maître, Maître, nous périssons." S'étant levé, il réprimanda le vent et les flots agités et ils s'apaisèrent et le calme se fit. - Dans le grec, la répétition du mot Maître (détail spécial à S. Luc) dépeint bien l'angoisse des disciples. A propos des paroles légèrement différentes que les trois évangélistes placent ici sur les lèvres de Notre‑Seigneur, S. Augustin fait cette réflexion judicieuse : « Dans le langage de qui que ce soit, il faut considérer seulement l'intention, que les mots sont destinés à exprimer, et qu'on n'est pas menteur pour rendre en d'autres termes ce qu'a voulu dire quelqu'un dont on n'emploie pas les expressions. Il est certain que, non‑seulement dans les paroles, mais dans tous les autres signes des pensées, on ne doit chercher que la pensée elle‑même; et c'est être misérable que de tendre pour ainsi dire aux mots et de se représenter la vérité comme enchaînée à des accents ». Accord des Évangélistes 2, 28. - S'étant levé. Les trois synoptiques mentionnent de concert cette attitude du Maître ; tous aussi ils distinguent deux commandements de Jésus, adressés l'un au vent, l'autre aux eaux du lac. - L'expression les flots agités est propre à notre évangéliste.
Luc 8.25 Puis il leur dit : "Où est votre foi ?" Saisis de crainte et d'étonnement, ils se disaient les uns aux autres : "Quel est donc celui-ci, qui commande au vent et à la mer et ils lui obéissent ?" - Les Apôtres auraient dû se souvenir qu'ils étaient avec Jésus, et qu'ils ne couraient aucun risque auprès de lui. - L'étonnement des spectateurs est exprimé à peu près dans les mêmes termes par les divers écrivains sacrés. L'idée d'un ordre énergique intimé aux forces de la nature (il commande aux vents) ne se trouve toutefois que dans le troisième Évangile.
Luc 8, 26-39 = Matth. 8, 28-34 ; Marc. 5, 1-20.
La narration de S. Luc a ici de nombreuses analogies avec celle de S. Marc (voyez le commentaire).
Luc 8.26 Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. - Ils abordèrent : terme nautique, qu'on ne rencontre pas ailleurs dans les récits de la vie de Jésus. - Le pays des Géraséniens. Relativement à cette contrée, il règne dans le troisième Évangile les mêmes divergences que dans les deux autres (cf. commentaire sur S. Matth). Le champ des ruines de Gadara n'a pas moins de cinq kilomètres de circonférence : mais c'est à peine si Oum‑Kéis, le village qui remplace aujourd'hui la « remarquable ville » de la Décapole, comme l'appelle S. Jérôme, est habité par deux cents fellahs. Le territoire de la ville antique allait sans aucun doute jusqu'à l'extrémité S.E. du lac. La petite note géographique qui est vis-à-vis de la Galilée, est spéciale à S. Luc. Elle prouve que sa narration était écrite pour des lecteurs non‑juifs.
Luc 8.27 Lorsque Jésus fut descendu à terre, il vint au-devant de lui un homme de la ville, qui était depuis longtemps possédé des démons, il ne portait aucun vêtement et n'avait pas d'autre habitation que les tombeaux. - Le démoniaque ne venait pas de la ville, qu'il avait cessé de fréquenter, mais des tombes qui lui servaient de résidence. cf. Matth. 8, 28 ; Marc. 5, 2. - Possédé des démons. Depuis longtemps, ici et au v. 29, est un détail propre à S. Luc, destiné à rehausser la grandeur du miracle. - Qui ne portait aucun vêtement (autre particularité de notre évangéliste) doit se prendre à la lettre. De ce détail et du suivant, il demeurait… dans les tombeaux, il est intéressant de rapprocher un incident raconté par le voyageur anglais Warburton, the Crescent and the Cross,t. 2, p. 352. « En descendant des cimes du Liban, je me trouvai dans un cimetière, dont les turbans sculptés (sur les tombes) m'annoncèrent que j'étais dans le voisinage d'un village musulman. Le silence de la nuit fut tout à coup interrompu par des cris et des hurlements farouches que poussait, ainsi que je le reconnus bientôt, un fou complètement nu qui disputait un os à quelques chiens sauvages. Dès qu'il m'aperçut, s'élançant par bonds rapides, il saisit la bride de mon cheval et le força presque de reculer par dessus le rocher ». D'après la croyance juive, les tombeaux servaient de résidence habituelle aux démons. cf. Nidda, fol. 17, Chagigah, f. 3, 6. « Quand un homme passe la nuit dans un cimetière, un esprit mauvais descend sur lui ».
Luc 8.28 Aussitôt qu'il eut aperçu Jésus, il poussa des cris et vint se prosterner à ses pieds, disant à haute voix : "Qu'avez-vous à faire avec moi, Jésus, Fils de Dieu, Très-Haut ? De grâce, ne me tourmentez pas." - Ce verset décrit fort bien deux sentiments distincts qui agitaient le démoniaque. Il était tout ensemble attiré et effrayé par Jésus. Attiré, car il accourt et se prosterne en signe de vénération ; effrayé, comme l'expriment son cri de détresse et sa supplication. Le dualisme qui régnait en lui est aussi très nettement marqué. L'homme vient au‑devant de son Libérateur, mais les démons sont en proie à l'effroi. S. Cyrille de Jérusalem : Il errait sans vêtements dans les tombes des morts, preuve de la fureur des démons qui le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer ce qu’ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur empire tyrannique, et par le triste spectacle d’un seul homme, victime de leur méchanceté, donner à tous une leçon salutaire. S. Chrys. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu’un homme, les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : "Aussitôt qu’il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s’écria, " etc. — S. Cyr. Considérez quel mélange à la fois de crainte, d’audace et de désespoir extrêmes ; c’est le désespoir, en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d’audace: "Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c’est sous l’impression de la crainte qu’il lui fait cette prière : "Je vous en conjure, ne me tourmentez pas." (Extraits de la Chaîne d’Or de S. Thomas d’Aquin sur S. Luc).
Luc 8.29 En effet, Jésus commandait à l'esprit impur de sortir de cet homme. Bien des fois en effet l'esprit s'en était emparé et quoiqu'on le gardât lié de chaînes et de fers aux pieds, il rompait ses liens et le démon le chassait dans les lieux déserts. - Cette réflexion de l'évangéliste explique pourquoi le démon priait Jésus avec tant d'insistance de ne pas l'expulser du corps qu'il possédait. Jésus a forcé le démon de se retirer. - Depuis longtemps… La description précédente du démoniaque, v. 27, avait rapport à son état présent, tel qu'il frappa les regards du Sauveur et des disciples ; celle‑ci est relative au passé, et décrit l'histoire antérieure du malheureux possédé. - Entraîné… dans les déserts : encore une particularité de S. Luc. Les déserts n'ont jamais manqué dans les régions situées à l'E. et au S. E. du lac de Tibériade.
Luc 8.30 Jésus lui demanda : "Quel est ton nom ?" Il lui dit : "Je m'appelle Légion", car beaucoup de démons étaient entrés en lui. - Les saints Livres attribuent en divers endroits des noms spéciaux à certains démons ; par exemple, il est question d'Asmodée au livre de Tobie, 3, 8, de Béelzebub dans les Évangiles, Matth. 10, 25, etc., de Bélial dans la seconde Lettre aux Corinthiens, 6, 15. Les Rabbins mentionnent d'autres dénominations des esprits mauvais, telles que Nachasch, Azazel, Sammaël. La demande de Jésus n'a donc rien de surprenant. - Légion. L'antique ville de Mageddo portait alors le nom de Legio, à cause de la milice romaine qui y tenait garnison. Le démon avait peut‑être l'espoir d'intimider Jésus quand il s'arrogeait ce titre prétentieux. - De nombreux démons. Sylveira signale ici une opinion bizarre : « Quelques‑uns affirment qu’il y eut au moins deux mille démons, puisque il y a eu deux mille pourceaux à se jeter dans la mer de Galilée, chaque démon entrant dans un cochon différent. ». Mais il la réfute ensuite à bon droit. « Cette explication n’est pas très convaincante, car un seul esprit suffisait pour les projeter tous dans la mer. La seule chose qui demeure certaine c’est que par le mot légion un grand nombre de démons est représenté. ». Il est inutile d'en vouloir préciser exactement le nombre.
Luc 8.31 Et ces démons priaient Jésus de ne pas leur commander d'aller dans l'abîme. - A la façon des hommes, les démons ont leurs désirs et leurs craintes. Ceux qui étaient alors en présence de Jésus comprennent qu'ils vont être obligés d'abandonner leur proie ; ils voudraient du moins rester dans le district de Gadara, et ils conjurent Notre‑Seigneur en termes pressants de le leur permettre (noter l'imparfait ; S. Marc dit plus fortement encore : « les esprits impurs supplièrent Jésus »). - Ne pas leur commander… dans l'abîme. Leur prière sous cette forme est spéciale à S. Luc. Par l'abîme, il ne faut pas entendre les eaux profondes du lac, ainsi que l'ont voulu quelques commentateurs, mais le monde inférieur où vivent d'ordinaire les démons, c'est‑à‑dire l'enfer. cf. Apocalypse 9, 1 ; 20, 3. Pour les mauvais esprits, quitter les contrées où Dieu leur a permis d'habiter et d'agir équivaut à rentrer dans l'enfer. Voilà pourquoi nous disions en expliquant le passage parallèle, mais un peu différent, de S. Marc (v. 10), que les deux rédactions expriment en réalité une seule et même pensée.
Luc 8.32 Or, il y avait là un nombreux troupeau de porcs qui paissaient sur la montagne, ils le prièrent de leur permettre d'y entrer et il le leur permit. - cf. commentaire sur S. Matth. Les démons ont adressé déjà deux prières à Jésus. Ils lui ont demandé, v. 28, mais en vain, de conserver leur résidence actuelle, le corps du possédé. Ils viennent de lui demander encore, v. 31, de pouvoir au moins rester dans le pays. Voici qu'ils confirment et développent maintenant cette seconde supplique, en exprimant le désir d'entrer dans les pourceaux. Il est bien évident qu'ils ne s'attendaient pas au résultat qui va suivre. — S. Athan. (Vie de saint Ant.) Si les démons n’ont pas de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte raison n’en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l’image de Dieu ; c’est donc Dieu seul qu’il faut craindre et n’avoir que du mépris pour eux. —
Luc 8.33 Sortant donc de cet homme ils entrèrent dans les porcs et le troupeau, prenant sa course, se précipita par les pentes escarpées dans le lac et s'y noya. - Description vivante de ce fait remarquable. « On a demandé si Jésus avait le droit de disposer ainsi d'une propriété étrangère. C'est comme si l'on demandait si Pierre avait le droit de disposer de la vie d'Ananias et de Saphira. Il est des cas où le pouvoir, par sa nature même, garantit le droit ». (Godet).
Luc 8.34 A cette vue, les gardiens s'enfuirent et en portèrent la nouvelle dans la ville et dans la campagne. - Nous passons aux effets immédiats du miracle sur les porchers, sur les habitants de la contrée et sur le démoniaque. Les pâtres allèrent en courant porter la nouvelle à Gadara et dans les métairies ou hameaux isolés qui étaient sur leur passage.
Luc 8.35 Les habitants sortirent pour voir ce qui était arrivé : ils vinrent à Jésus et trouvèrent l'homme de qui les démons étaient sortis, assis à ses pieds, vêtu et sain d'esprit et ils furent remplis de frayeur. - Un grand concours se dit aussitôt vers le théâtre du miracle. - L'effet produit sur le possédé est décrit par S. Luc à peu près dans les mêmes termes que par S. Marc : le troisième évangéliste ajoute seulement les mots pittoresques assis à ses pieds, qui nous montrent assis aux pieds du Sauveur, comme un disciple docile aux pieds de son maître, celui qui, plus haut, nous avait été représenté dans les plus affreux paroxysmes.
Luc 8.36 Ceux qui en avaient été témoins leur racontèrent aussi comment le démoniaque avait été délivré. - Les porchers n'avaient d'abord répandu qu'en gros le bruit de ce qui s'était passé : les Gadaréniens reçoivent maintenant des détails complets sur le miracle.
Luc 8.37 Alors tous les habitants du pays des Géraséniens le prièrent de s'éloigner d'eux, parce qu'ils étaient saisis d'une grande crainte. Jésus monta donc dans la barque pour s'en retourner. - Triste demande, qui révèle l'esprit mercantile et vulgaire de cette population. Il est vrai qu'elle était à demi païenne, comme nous l'apprend l'historien Josèphe. Méléagre et Philodémus, deux poètes de l'Anthologie grecque, naquirent à Gadara vers l'an 50. La répétition emphatique saisis d'une grande crainte est une particularité de S. Luc.
Luc 8.38 Or, l'homme de qui les démons étaient sortis le priait de l'admettre à sa suite, mais Jésus le renvoya en disant : 39 "Retourne dans ta maison et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi." Et il s'en alla et publia par toute la ville, ce que Jésus avait fait pour lui. - Ce beau récit est rempli de prières adressées au Sauveur. cf. Les vv. 28, 31, 32, 37. Mais ici seulement nous avons une prière digne de ce nom. Toutefois elle ne fut pas exaucée, tandis que deux des précédentes (vv. 32 et 37) l'avaient été. En effet, Jésus le renvoya, (dans le grec, il le délia, il le laissa libre), ou, comme dit S. Marc, il n'y consentit pas. Et pourtant ce nouvel ami de Jésus devint plus qu'un disciple, puisqu'il fut aussitôt investi du rôle d'apôtre et d'évangéliste, raconte tout ce que Dieu a fait pour toi : rôle dont il s'acquitta avec le plus grand zèle, il s'en alla… publia. Notons ici, comme dans le second Évangile, que Jésus évoque son l’exorcisme qu’il vient de faire avec l’expression : « les grandes choses que Dieu a faites ». La puissance de Jésus sur la nature comme sur les démons prouve sa divinité.
Le récit de S. Luc tient le milieu entre celui de S. Matthieu et celui de S. Marc : il se rapproche néanmoins davantage de ce dernier, qui est le plus complet des trois.
Luc 8.40 Jésus, à son retour, fut accueilli par le peuple, car tous l'attendaient. - Des environs de Gadara, Jésus revint à Capharnaüm, d'où il était parti le soir précédent. - Il fut accueilli par le peuple. Le verbe grec désigne un accueil aimable, empressé. Le contexte, car tous l'attendaient (détail propre au troisième Évangile), fortifie encore cette idée. Le peuple que Notre‑Seigneur avait charmé la veille par ses paraboles divines, et qui l'avait vu partir avec peine, l'attendait donc impatiemment sur la plage. Peut‑être régnait‑il une certaine inquiétude au sujet du bon Maître, car on savait qu'il avait couru de grands dangers sur le lac. Quel contraste avec la conduite égoïste des Gadaréniens.
Luc 8.41 Et voilà qu'un homme appelé Jaïre, lequel était chef de la synagogue, vint se jeter aux pieds de Jésus, le priant d'entrer dans sa maison, - Après cette mise en scène, l'évangéliste aborde la narration du double miracle opéré par Jésus aussitôt après son débarquement. - Jaïre, chef de la synagogue. Sur ce nom, et sur cette fonction qui était regardée comme très honorable, cf. commentaire sur S. Matth. - se jeter aux pieds de Jésus. C'est là un acte significatif de la part d'un personnage officiel, d'autant mieux que le monde ecclésiastique d'alors était loin d'être sympathique à Jésus ; mais le malheur fait courber même les têtes les plus altières. Les miracles accomplis par Notre‑Seigneur à Capharnaüm (cf. 4, 31 et ss. ; 5, 12 et ss. ; 7, 1 et ss.) avaient sans doute vivement impressionné Jaïre, et il se souvint du Thaumaturge dès qu'il se trouva lui‑même dans le besoin.
Luc 8.42 parce qu'il avait une fille unique, d'environ douze ans, qui se mourait. - Les deux autres synoptiques emploient le langage direct, qui donne plus de vie au récit. - Unique est une particularité de S. Luc. Ce détail fait bien ressortir la douleur du suppliant. S. Marc mentionne aussi l'âge de la jeune fille (elle avait douze ans), mais seulement après avoir raconté la résurrection. L'évangéliste‑médecin place ce détail dès le début de sa narration. D'après le v. 43, la fille de Jaïre était donc née vers l'époque où l'hémorrhoïsse ressentait les premières atteintes de son mal. - Qui se mourait. La jeune fille n'était pas morte quand son père vint trouver Jésus (cf. v. 49), quoiqu'elle fut alors à l'agonie.
Luc 8.43 Comme Jésus y allait et qu'il était pressé par la foule, une femme affligée d'un flux de sang depuis douze ans et qui avait dépensé tout son bien en médecins, sans qu'aucun eût pu la guérir, - Il était pressé par la foule. Sénèque, lettre 91, emploie la même image, « étouffé par la foule ».- A partir de cet endroit jusqu'au v. 48, S. Luc passe à la guérison de l'hémorrhoïsse, qu'il enclave, conformément à la réalité des faits, dans l'épisode relatif à Jaïre. Il expose avec des couleurs moins vives que S. Marc, mais d'une manière plus complète que S. Matthieu, l'état de la malade. - Sans qu'aucun eût pu la guérir : L'évangéliste‑médecin ne craint pas de faire cet aveu ; il reconnaîtra de même plus bas la réalité du miracle de Jésus, tandis qu'un si grand nombre de médecins actuels se refusent à admettre le surnaturel dans les guérisons.
Luc 8.44 s'approcha de lui par derrière et toucha la frange de son manteau. A l'instant son flux de sang s'arrêta. - A bout de ressources, l'hémorrhoïsse pense, elle aussi, à Jésus. Mais espérant obtenir, sans avoir à faire une confession pénible, la faveur qu'elle ambitionnait, elle profite à merveille de l'occasion, et réussit à toucher la frange de son vêtement (voyez, sur cette expression, S. Matth.). Sa confiance n'avait pas été vaine, car, ainsi que l'expose S. Luc avec une précision toute médicale, A l'instant son flux de sang s'arrêta (comparez la vague formule de S. Matthieu et la phrase élégante de S. Marc).
Luc 8.45 Et Jésus dit : "Qui m'a touché ?" Tous s'en défendant, Pierre et ceux qui étaient avec lui dirent : "Maître, la foule vous entoure et vous presse et vous demandez : qui m'a touché ?" - Qui m'a touché ? Dans S. Marc : « Qui a touché mes vêtements ? ». La première de ces deux questions est la plus naturelle. « Le Christ, dit Tertullien (contr. Marc. l. 4, c. 20), parle comme s'il l'ignorait, pour obtenir un aveu. C'est ainsi que Dieu avait interrogé Adam ». - Tous s'en défendaient (détail tout à fait graphique) est une particularité de S. Luc ; de même la mention expresse de S. Pierre ; de même l'emploi de deux verbes synonymes, vous entoure et vous presse, pour mieux marquer la pression qui se faisait alors autour de la personne sacrée du Sauveur. - Ne serait‑il pas plus juste, semblent dire les Apôtres, de demander qui ne vous a pas touché ?
Luc 8.46 Mais Jésus dit : "Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une force était sortie de moi." - Jésus insiste, mais en affirmant au lieu d'interroger : Quelqu'un m' a touché (détail spécial). Il indique par ces mots la nature particulière du contact dont il avait parlé ; ce n'a pas été un simple accident, mais un acte conscient et volontaire. - Notre‑Seigneur motive son assertion : il sait parfaitement de quoi il parle, car son intelligence divine lui a révélé qu'une « vertu » sortait de son corps sacré. Sur cette expression étonnante, dont les rationalistes ont abusé, cf. commentaire sur S. Marc. Seulement, S. Marc ne l'employait que comme narrateur, tandis que, d'après S. Luc, le Sauveur l'avait lui‑même prononcée.
Luc 8.47 Se voyant découverte, la femme vint toute tremblante se jeter à ses pieds et raconta devant tout le peuple pourquoi elle l'avait touché et comment elle avait été guérie à l'instant. - Beau tableau, qui ajoute plusieurs précisions à celui de S. Marc, notamment : se voyant … découverte... à ses pieds… devant tout le peuple. Ce dernier détail est emphatique et exprime fortement ce qu'il dut en coûter à l'humble femme de faire sa confession en présence d'une multitude si nombreuse.
Luc 8.48 Et Jésus lui dit : "Ma fille, ta foi t'a sauvée, va en paix." - Après avoir exaucé tacitement la demande tacite de l'hémorrhoïsse, Jésus lui octroie maintenant sa grâce d'une manière ouverte. Il lui indique en même temps quelle avait été la vraie cause de son succès : Ta foi t'a sauvée. Cette foi était remarquable en effet. Dans ce même récit, nous avons vu Jaïre s'approcher hardiment du Sauveur comme un homme animé de la confiance la plus ferme ; mais un réalité un certain doute serrait son cœur (cf. v. 50). L'hémorrhoïsse n'a pas osé se présenter directement à Jésus, mais au fond elle n'éprouvait pas la moindre hésitation, la plus légère défiance. Le divin Maître peut donc louer publiquement sa foi.
Luc 8.49 Comme il parlait encore, quelqu'un de chez le chef de la synagogue vint lui dire : "Ta fille est morte, ne fatigue pas le Maître." - Comme il parlait encore. Nous trouvons dans S. Marc la même formule de transition, preuve qu'il n'y eut réellement aucun intervalle notable entre les deux incidents racontés. - Ta fille est morte. Le présent dramatise les faits, la phrase est emphatique.
Luc 8.50 Jésus ayant entendu cette parole, répondit au père : "Ne crains pas, crois seulement et elle sera sauvée." - De cette parole d'encouragement adressée par Jésus au malheureux père, il résulte que la foi de ce dernier avait été ébranlée par le message qui venait de lui être communiqué. Peut‑être pensait‑il, lui aussi, qu'il était trop tard maintenant pour conserver quelque espoir. Le Sauveur le soutient par une joyeuse promesse, elle sera sauvée, que S. Luc a seul notée en termes explicites. Votre foi vous a sauvée, avait‑il été dit à l'hémorrhoïsse, v. 48 : votre foi sauvera votre enfant, est‑il dit à Jaïre. Il lui fut aisé de faire ce rapprochement et de se confier absolument en Jésus.
Luc 8.51 Arrivé à la maison, il ne laissa personne entrer avec lui, si ce n'est Pierre, Jacques et Jean, avec le père et la mère de l'enfant. - Il ne permit à personne d'entrer… est un détail anticipé, dont la place régulière serait à la suite du v. 53. Ces mots désignent en effet l'entrée dans la chambre mortuaire.
Luc 8.52 Or tous pleuraient et se lamentaient sur elle et Jésus dit : "Ne pleurez pas, elle n'est pas morte, mais elle dort." 53 Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu'elle était morte. - Sorte de parenthèse, aux détails pittoresques. Elle nous montre la maison de Jaïre remplie d'hommes et de femmes qui pleuraient et se lamentaient, à la façon tumultueuse et sauvage de l'Orient. Voyez S. Matth. Quand Jésus veut calmer ces pleureurs officiels en leur disant que la jeune fille n'est pas morte, ils se rient de lui, sachant qu'elle était morte. Ce détail du « très cher médecin » prouve la réalité de la mort et la signification métaphorique des paroles de Notre‑Seigneur.
Luc 8.54 Mais lui, la prenant par la main, dit à haute voix : "Enfant, lève-toi" - Les trois synoptiques ont relaté ce geste. S. Luc ne cite pas en araméen, comme S. Marc, les propres paroles du Sauveur. Il est du reste celui des évangélistes qui intercale le moins de mots hébreux dans son récit.
Luc 8.55 Et son esprit revint en elle et elle se leva à l'instant et Jésus ordonna de lui donner à manger. - Son esprit revint est une nouvelle particularité de S. Luc. Cette locution est fréquemment usitée dans les livres de l'Ancien Testament. cf. 1 Rois 9, 1 ; 17, 22 ; Psaume 75, 13 ; 77, 39 ; 102, 16 ; Ecclésiaste 12, 7, etc. - A propos de la résurrection de la fille de Jaïre et des autres faits analogues mentionnés soit dans la Bible soit par l'histoire, on s'est quelquefois demandé ce qu'était devenue l'âme pendant sa séparation momentanée du corps. Nous pensons, à la suite de divers théologiens, que ses opérations se trouvaient alors miraculeusement suspendues, de sorte qu'au moment de la résurrection elle n'avait pas plus conscience de ce qui s'était passé pour elle depuis la mort, qu'une personne éveillée d'un profond sommeil n'a conscience de ce qui l'a occupée tandis qu'elle dormait. - Jésus ordonna de lui donner à manger. On n'invente pas les petits détails de ce genre : aussi sont‑ils une forte preuve d'authenticité. Jésus, en donnant un pareil ordre, montrait que la jeune fille jouissait maintenant d'une parfaite santé.
Luc 8.56 Ses parents furent dans le ravissement, mais il leur recommanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. - On conçoit que les parents de la ressuscitée fussent hors d'eux‑mêmes ; mais, tout d'abord, on comprend moins l'injonction suivante du Sauveur, ne dire à personne… Elle devient néanmoins facilement explicable, de même que les précautions prises préalablement par Jésus pour écarter la foule, v. 51, si l'on se rappelle que l'enthousiasme des Galiléens était alors très surexcité, et que Notre‑Seigneur voulait autant que possible éviter tout éclat. Sans doute il ne pouvait empêcher le miracle d'être connu (cf. Matth. 8, 26). Du moins, en laissant s'écouler peu à peu la multitude qui s'était rassemblée à la porte de Jaïre, il échappa à une ovation populaire, et son but principal fut ainsi atteint. La présente narration porte presque sur chacun de ses détails le sceau de la vérité, de la simplicité, de la sublimité. Cette angoisse du père et cette timidité de la femme, cette agitation du peuple et ce calme de Notre‑Seigneur, cet étonnement des disciples et la réponse si précise du Maître : Quelqu'un m’a touché, ce rire de l'incrédulité à côté des transports de la douleur, cette majesté pour manifester sa puissance miraculeuse et cette sollicitude à la dissimuler : tout cela forme un ensemble tellement inimitable, qu'on peut y saisir en quelque sorte la vérité à pleines mains.
CHAPITRE 9
Luc 9, 1-6. = Matth. 10, 1-42 ; Marc. 6, 7-13.
S. Luc, après avoir signalé la mission confiée aux Apôtres par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, se borne, comme S. Marc, à citer quelques extraits de l'instruction remarquable que le divin Maître leur adressa en cette circonstance. Laissant de côté les détails relatifs aux grandes fonctions que les Douze et leurs successeurs devaient exercer dans l'avenir (cf. Matth. 10, 16-42), il n'envisage que leur rôle plus modeste et plus facile du moment présent.
Luc 9.1 Ayant assemblé les Douze, Jésus leur donna puissance et autorité sur tous les démons et le pouvoir de guérir les maladies. - Ayant assemblé les douze Apôtres. Les Douze, c'est ainsi que S. Luc désigne d'ordinaire les Apôtres. - Avant d'envoyer les Apôtres en mission, Jésus leur confère des pouvoirs extraordinaires analogues à ceux qu'il exerçait lui‑même. Le premier est la puissance, le second, l'autorité : la mise en œuvre de cette puissance. - Sur tous les démons. « Tous » est emphatique et propre à S. Luc. Et le pouvoir de guérir les maladies.
Luc 9.2 Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu et guérir les malades, - Prêcher le royaume de Dieu, tel était le but principal de l'envoi des Douze. Guérir les maladies était, ainsi qu'il vient d'être dit, un moyen d'atteindre plus aisément ce but. Toutefois, et cela ressort très nettement de la narration plus explicite de S. Matthieu, 10, 7, les Apôtres n'avaient pas à s'étendre alors sur la nature, les conditions, etc. du royaume de Dieu : ils devaient simplement en annoncer le prochain établissement par le Christ.
Luc 9.3 et il leur dit : "Ne prenez rien pour le voyage, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent et n'ayez pas deux tuniques. - Il était juste que Notre‑Seigneur donnât aux Douze avant leur départ quelques principes capables de diriger leur conduite dans ces circonstances toutes nouvelles pour eux. Il le fait dans les vv. 3-5. Le résumé de cette instruction est qu'ils seront toujours « si vertueux, si constants et modestes, en un mot, si célestes, que la doctrine évangélique ne sera pas moins propagée par leur manière de vivre que par leur parole ». S. Grég. de Nazianze, in Chaîne des Pères Grecs - Ne prenez rien pour le voyage est une injonction générale, que Jésus développe ensuite par cinq traits spéciaux. - Il est intéressant de signaler les nuances qui existent ici entre les synoptiques. D'après les trois récits, les Apôtres ne doivent emporter avec eux ni argent, ni sac de voyage, ni tunique de rechange ; S. Marc et S. Luc ajoutent ni pain, détail omis par S. Matthieu. Dans le premier et le troisième Évangile, Jésus interdit aux Douze d'avoir un bâton ; dans le second, il leur permet d'en emporter un. S. Luc ne dit rien des sandales ; S. Matthieu paraît indiquer qu'elles ne furent pas non plus autorisées par le Sauveur ; S. Marc nous montre les Apôtres munis de sandales, voir le commentaire sur S. Matth.
Luc 9.4 Dans quelque maison que vous entriez, demeurez-y jusqu'à ce que vous partiez de ce lieu. 5 Si l'on refuse de vous recevoir, sortez de cette ville et secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux." - La première recommandation concernait le départ ; elle inculquait aux Douze cette grave et belle pensée : « La simplicité est pour le chrétien le meilleur viatique » (Clément d'Alex., Paedag. 2). La seconde, comprise dans ces deux versets, regarde leur séjour dans les localités où ils pénétraient pour prêcher. - Dans quelque maison… Ces mots ne signifient pas que les envoyés de Jésus devaient demander l'hospitalité aux premiers venus (cf. Matth. 10, 11). Il faut entendre ici la première maison où la prudence leur permettrait de s'établir. - Faites de cette maison le centre de vos allées et venues dans la localité pour votre ministère, et ne changez pas trop légèrement de domicile. cf. 10, 7. Ce détail, ainsi arrangé, est une particularité de S. Luc. - Si l’on refuse de vous recevoir… L'hypothèse n'était nullement chimérique, Jésus ayant alors des ennemis déclarés qui refuseraient certainement d'accueillir ses disciples, malgré le caractère si hospitalier de l'Orient en général et des Juifs en particulier. - La poussière même de vos pieds. Sur cette action symbolique, voyez S. Matth.
Luc 9.6 Les disciples étant partis allèrent de village en village, prêchant l'Évangile et opérant partout des guérisons. - De concert avec S. Marc, notre évangéliste décrit en peu de mots l’œuvre et le succès des Apôtres durant cette mission. Le détail pittoresque ils allèrent de village en village lui est propre, comme aussi l'adverbe final partout, et l'emploi du verbe prêchant l'évangile. « En tant que docteurs, dit Eusèbe sur ce passage (ap. Cat. D. Thomae), les Douze annonçaient la bonne nouvelle ; en tant que médecins ils guérissaient, confirmant leur prédication par leurs miracles ».
Luc 9, 7-9 = Matth. 14, 1-2 ; Marc. 6, 14-16.
Luc 9.7 Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus et il ne savait que penser, car les uns disaient : "Jean est ressuscité des morts", 8 d'autres : "Élie a paru", d'autres : "Un des anciens prophètes est ressuscité." - Selon le texte des manuscrits B, C, D, L, Z, Sinait., il s'agirait tout à la fois des œuvres de Jésus et de celles de ses Apôtres, vv. 1-6. On conçoit que la mission donnée par ceux‑ci avec accompagnement de miracles ait produit autour du nom de Notre‑Seigneur une recrudescence d'enthousiasme. Sa renommée, qui pénètre aujourd'hui jusqu'à la cour, met le tétrarque dans l'embarras. Il ne sait d'abord à quel parti s'arrêter au sujet de la personnalité de Jésus. C'est que, continue S. Luc, il régnait sur ce point dans la société juive des bruits divers, dont l'écho arrivait aux oreilles d'Hérode, et qui l'empêchaient de parvenir à une conclusion certaine. Trois des conjectures populaires reçoivent une mention spéciale. 1° Jean est ressuscité… 2° Élie a paru, mot bien choisi, puisque Élie n'est pas mort ; de Jean‑Baptiste et des autres prophètes on disait « se leva ». 3° Un des anciens prophètes, quelqu'un de ces grands prophètes qui n'avaient pas eu leurs pareils depuis des siècles.
Luc 9.9 Hérode dit : "Quant à Jean, je l'ai fait décapiter. Quel est donc cet homme, de qui j'entends dire de telles choses ?" Et il cherchait à le voir. - Le langage du tétrarque indique une perplexité qui ne fait que s'accroître. Pourtant, le nom de sa victime semble avoir produit en lui une impression plus vive. Mais, se hâte‑t‑il d'ajouter comme pour rassurer ses craintes, j'ai décapité Jean ; par conséquent il n'est pas vraisemblable que ce soit Jean‑Baptiste. Qui sera‑ce donc ? Quel est donc celui ci, de qui j'entends dire de telles choses ? (« telles », des choses si surprenantes). - Et il cherchait à le voir : détail spécial, bien naturel du reste après ce qui précède. Hérode espérait pouvoir s'assurer « de visu » que Jésus n'était pas Jean‑Baptiste. Son désir ne fut réalisé qu'au temps de la Passion, comme nous l'apprendra S. Luc, 23, 8. D'après les deux autres synoptiques, le tétrarque Antipas, au lieu de demeurer ainsi en suspens dans savoir à quel parti s'arrêter, se prononce au contraire sans hésiter sur la nature de Jésus : « Celui‑là, c’est Jean le Baptiste, il est ressuscité d’entre les morts, et voilà pourquoi des miracles se réalisent par lui. » Matth. 14, 2 (cf. Marc. 11, 14). Est‑ce une contradiction ? Pas le moins du monde. Il est aisé de résoudre cette antilogie apparente en disant que le moment psychologique décrit par les narrateurs n'est pas le même. S. Luc nous représente les premières impressions d'Hérode ; S. Matthieu et S. Marc considèrent le tétrarque un peu plus tard, alors qu'il avait pris un parti définitif. « Hérode témoigna d'abord cette hésitation, puis, persuadé de ce qu'on disait autour de lui, il dit à son tour ce que nous lisons dans saint Matthieu » (S. August., Accord des Évangélistes l. 2, c. 43). - Notre évangéliste, qui avait mentionné plus haut, 3, 19 et 20, l'emprisonnement du Précurseur, ne donne aucun détail sur son martyre, se contentant du « J'ai fait décapiter Jean » d'Hérode, v. 8. En cela, M. Renan voit la preuve que S. Luc « cherche à diminuer les méfaits » du tétrarque, « et à présenter son intervention dans l'histoire évangélique comme bienveillante à quelques égard ». Les Évangiles, Paris 1877, p. 255. [Ces propos sont stupides et faux.]
Retour des Douze et multiplication des pains. Luc 9, 10-17 = Matth. 14, 13-21 ; Marc. 6, 1-13.
Luc 9.10 Les apôtres, étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu'ils avaient fait. Il les prit avec lui et se retira à l'écart dans un lieu désert, près d'une ville nommée Bethsaïde. - Combien de temps avait duré leur absence ? Un jour seulement, d'après une singulière hypothèse de Wieseler. Mais le récit antérieur de S. Luc (cf. en particulier les verset 4-6) suppose que la mission avait embrassé un nombre assez considérable de villes et de bourgades, et que les Apôtres avaient séjourné dans plusieurs d'entre elles, ce qui demande un intervalle d'au moins quelques semaines. - Les prit avec lui il se retira… Sur les deux motifs simultanés de cette retraite, cf. commentaire S. Matth. Nous apprenons dans les autres rédactions que la première partie du trajet fut faite en barque. En combinant ce passage de S. Luc avec une note subséquente de S. Marc (6, 45 ; voyez le commentaire), on est arrivé à la conclusion très légitime qu'il existait alors deux Bethsaïde dans la Palestine du Nord. Celle que notre évangéliste mentionne actuellement était bâtie sur une colline qui domine la plaine déserte d'El‑Batîheh : il n'en reste plus que des ruines sans nom.
Luc 9.11 Lorsque le peuple l'eut appris, il le suivit, Jésus les accueillit et il leur parla du royaume de Dieu et il rendit la santé à ceux qui en avaient besoin. - Cf. les détails pittoresques de S. Marc, 6, 33. C'est à pied, en longeant le rivage, que la foule rejoignit Notre‑Seigneur qu'elle avait vu partir avec peine. - Jésus les accueillit. détail spécial et bien touchant. Jésus cherchait un peu de repos pour les siens. S'il eût voulu, il lui était aisé d'échapper à la multitude ou de la congédier ; mais il préfère l'accueillir avec sa bonté habituelle. - Il leur parla… et rendit la santé. Jésus, comme toujours, associe étroitement sa prédication et ses miracles, confirmant la doctrine par les œuvres. S. Luc a seul signalé cette union dans la circonstance présente. S. Matthieu parle uniquement de la prédication.
Luc 9.12 Comme le jour commençait à baisser, les Douze vinrent lui dirent : "Renvoyez le peuple, afin que, se répandant dans les villages et les hameaux d'alentour, ils y trouvent un abri et de la nourriture, car nous sommes ici dans un lieu désert." 13 Il leur répondit : "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Ils lui dirent : "Nous n'avons que cinq pains et deux poissons, à moins peut-être que nous n'allions nous-mêmes acheter de quoi nourrir tout ce peuple." - Ces deux versets exposent les préliminaires du miracle. La locution le jour commençait à baisser, propre au troisième Évangile, est d'une grâce toute attique : elle désigne 4 heures de l'après‑midi. L'inquiétude gagne à ce moment les Apôtres. Voyant que la foule s'oublie, ils rappellent à leur maître le côté prosaïque de la situation et la nécessité de renvoyer promptement le peuple. - Se loger est une particularité de S. Luc, de même l'emploi du substantif vivre. - Donnez‑leur vous mêmes… Dans le texte primitif, les trois synoptiques reproduisent identiquement cette réflexion de Jésus. Les mots suivants, nous n'avons que… et deux poissons, sont communs à S. Matthieu et à S. Luc. La fin du v. 13 se retrouve avec une nuance dans Marc.
Luc 9.14 Car il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : "Faites-les asseoir par groupes de cinquante." 15 Ils lui obéirent et les firent asseoir. 16 Alors Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et levant les yeux au ciel, il prononça une bénédiction, les rompit et les donna à ses disciples pour les servir au peuple. 17 Tous mangèrent et furent rassasiés et des morceaux qui étaient de reste, on emporta douze corbeilles. - Récit du miracle. cf. commentaire S. Matth. - Quoique Jésus ait devant lui plus de cinq mille personnes à nourrir (Matth. 8, 21 ; Marc. 6, 44), les cinq pains et les deux poissons que les Apôtres ont mis à sa disposition lui suffisent amplement, car sa puissance n'a pas de bornes. Mais tout d'abord il procède au placement de ses convives, pour rendre la distribution des vivres plus facile. cf. Marc. 6, 39-40 et le commentaire. « D'après saint Luc on fit asseoir la foule par groupes de cinquante, et d'après saint Marc par groupes de cinquante et par groupes de cent. La difficulté ne peut venir ici de ce que l'un rapporte tout ce qui s'est fait et l'autre une partie seulement … l'on rencontre souvent dans les Évangélistes des passages semblables que le défaut de réflexion et la précipitation font regarder comme opposés, quand ils ne le sont aucunement » S. Augustin, Accord des Évangélistes l. 2, c. 46. - Les donna à ses disciples pour les servir au peuple : comme le dit S. Augustin, Enarrat. 2 in Psaume 110, 10, « Des fontaines de pain étaient dans les mains de Jésus ».
Confession de S. Pierre et première annonce de la Passion. Luc 9, 18-27 = Matth. 16, 13-28 ; Marc. 8, 27-39.
Il règne ici une lacune considérable dans le troisième Évangile. Tous les événements racontés par S. Matthieu, 14, 22- 16, 12, et par S. Marc, 6, 45-8, 26, c'est‑à‑dire la marche de Jésus sur les eaux, les miracles opérés dans la plaine de Gennésareth, la discussion avec les Pharisiens au sujet du pur et l'impur, le voyage de Notre‑Seigneur en Phénicie, la guérison de la jeune Cananéenne, le retour de Jésus dans la Décapole, la seconde multiplication des pains, la demande d'un signe par les juifs, etc., ont été passés sous silence par S. Luc. Mais à son tour il nous fournira bientôt de nombreux détails omis par les autres biographes de Jésus.
Luc 9.18 Un jour qu'il priait dans un lieu solitaire, ayant ses disciples avec lui, il leur fit cette question : "Qui suis-je, au dire des foules ?" - La localité n'est pas mentionnée, mais nous savons, grâce aux deux premiers synoptiques, que Notre‑Seigneur se trouvait alors aux alentours de Césarée de Philippe, à environ 40 kilomètres au N. de Bethsaïda‑Julias, cf. nos commentaires sur S. Matthieu, et sur S. Marc. - Il priait dans un lieu solitaire. Détails propres à notre évangéliste. La solitude de Jésus n'était pas absolue, puisqu'il avait ses disciples avec lui, mais seulement relative, par rapport à la foule qui suivait le divin Maître à quelque distance. - Qui suis-je, au dire des foules ? : le peuple en général, ces multitudes enthousiastes, mais ignorantes, qui me suivent. Assurément, Jésus n'interrogeait pas les Douze pour avoir sur ce point une information proprement dite ; mais il voulait obtenir d'eux un acte de foi formel au sujet de son tôle messianique et de sa nature divine.
Luc 9.19 Ils répondirent : "Jean le Baptiste, d'autres Élie, d'autres, qu'un des anciens prophètes est ressuscité. - Les Apôtres, dans leur réponse, mentionnent les trois hypothèses que nous avons entendu retentir précédemment (v. 8) dans le palais d'Hérode à propos de Jésus cf. commentaire S. Matth. La locution un des anciens prophètes est de nouveau une particularité de S. Luc.
Luc 9.20 Et vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ?" Pierre répondit : "Le Christ de Dieu." - « Ah. Que de grandeur dans ce Vous. Il les distingue de la foule, afin qu'ils en évitent les opinions ; comme s'il disait : Vous qui, par mon choix, avez été appelés à l'apostolat ; vous, les témoins de mes miracles, qui dites‑vous que je suis » ? S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs - « S. Pierre s'élance en avant poussé par l'ardeur de sa foi » (S. Jean Chrysostome). Les termes de la confession de S. Pierre varient dans les trois synoptiques. S. Matthieu a conservé la formule complète de ce bel acte de foi : « Vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant ». La rédaction de S. Marc est la plus condensée : « vous êtes le Christ ». Celle de S. Luc tient le milieu entre les deux autres. Au fond ils expriment tous clairement la même pensée. Le titre « Christ de Dieu » avait déjà fait une première apparition dans notre Évangile, 2, 26. - Voyez dans S. Matthieu, 16, 17-19, les magnifiques promesses que S. Pierre reçut de Jésus en échange de sa confession.
Luc 9.21 Mais il leur enjoignit d'un ton sévère de ne le dire à personne.- Le temps n'était pas encore venu de faire cette révélation au peuple. On eût tout compromis en manifestant trop tôt la nature supérieure de Jésus à des esprits mal préparés. Du reste, comme Notre‑Seigneur va l'indiquer au v. 22, combien, après avoir cru d'abord à son caractère messianique et à sa divinité, se seraient ensuite scandalisés de sa Passion et de sa mort. Ainsi, il se révèle et se voile en même temps.
Luc 9.22 "Il faut, ajouta-t-il, que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les Anciens, par les Princes des prêtres et par les Scribes, qu'il soit mis à mort et qu'il ressuscite le troisième jour." - Il règne, touchant cette douloureuse prophétie de Jésus, une coïncidence frappante dans les trois récits. On conçoit que des paroles aussi inattendues se soient gravées en traits ineffaçables dans le cœur des Douze et, par suite, dans la catéchèse chrétienne. La description est tellement précise, qu'on la croirait composée après coup par un historien. Voyez l'explication des passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc. Le verbe grec correspondant à rejeté a une grande énergie : sa traduction littérale serait « rejeté comme faux et nuisible ».
Le renoncement chrétien. vv. 23-27.
cf. commentaire S. Matth et S. Marc. La ressemblance est rarement aussi complète entre entre les trois synoptiques : c'est à peine si quelques expressions diffèrent.
Luc 9.23 Puis, s'adressant à tous, il dit : "Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix chaque jour et me suive. - S’adressant à tous : A ce moment, Jésus n'était donc plus seul avec ses disciples (cf. 18). « Appelant la foule avec ses disciples », lisons‑nous dans le second Évangile. - Qu'il porte sa croix : chacun sa croix personnelle, celle qui lui a été destinée par la divine Providence. - Tous les jours : mot important, qui appartient en propre à la rédaction de S. Luc. L'abnégation du chrétien ne doit pas se borner à quelques moments isolés de sa vie : il faut qu'elle soit quotidienne, perpétuelle. - Et qu'il me suive. Les chrétiens dignes de ce nom forment, à la suite de Jésus qui ouvre la marche, une longue procession de crucifiés.
Luc 9.24 Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie à cause de moi, la sauvera. - Notre‑Seigneur démontre maintenant la nécessité, pour le chrétien, de ce chemin de croix quotidien. Ses divers arguments, vv. 24-26, sont présentés sous la forme piquante des jeux de mots et des antithèses. Ici, nous avons l'image d'un homme qui se sauve en se perdant, ou qui se perd en voulant se sauver.
Luc 9.25 Que sert-il à un homme de gagner le monde entier, s'il se ruine ou se perd lui-même ? - Ce n'est qu'une nuance, mais en même temps c'est une confirmation de la pensée qui précède. La fin du verset, s'il se ruine ou se perd lui‑même, a reçu dans notre Évangile une forme spéciale, légèrement emphatique. cf. les passages parallèles.
Luc 9.26 Et si quelqu'un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme rougira de lui, lorsqu'il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges. - Il est honteux et lâche de rougir de lui et de sa doctrine après tout ce qu'il a daigné faire pour nous. - Ici encore nous avons une légère modification (cf. Matth. 16, 27 ; Marc. 8, 38). Notre‑Seigneur mentionne trois gloires distinctes dont il sera magnifiquement entouré quand il viendra juger les hommes à la fin des temps : sa gloire personnelle, la majesté de son Père céleste, et l'éclat brillant des anges qui composeront sa cour.
Luc 9.27 Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici présents ne goûteront pas la mort, qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu." - « Ici » est emphatique, « présents » pittoresque ; les disciples et la foule se tenaient donc alors debout autour du Sauveur. - Sur le sens de la promesse ne goûteront pas la mort avant…, cf. commentaire S. Matth. La Transfiguration, malgré toutes ses splendeurs, ne saurait mériter d'une manière adéquate le nom de règne de Dieu (« elle ne montrait pas le règne, mais l'image du futur règne », Maldonat) ; elle ne réalisa pas dans leur entier les paroles de Jésus.
Luc 9, 28-36. = Matth. 17, 1-13 ; Marc. 9, 1-12. Au point de vue de la forme extérieure, nous avons en cet endroit le contraire de ce qui a été remarqué à propos des versets précédents, car il règne dans les trois récits une grande variété d'expressions. Pour le fond, nous sommes redevables à S. Luc de plusieurs détails précieux, entre autres : v. 32, « ils étaient appesantis par le sommeil », « et s'éveillant… », « qui étaient avec lui »; v. 33, « au moment où ceux‑ci s'éloignaient de lui » ; v. 34, « une nuée apparut et les couvrit ». - Ce glorieux événement marque le faîte de l'existence humaine du Sauveur.
Luc 9.28 Environ huit jours après qu'il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean et monta sur la montagne pour prier. - Sur cette manière spéciale de compter les jours qui séparèrent la confession de S. Pierre de la Transfiguration, cf. commentaire S. Matth. - Monta sur la montagne. Cette montagne était le Thabor suivant les uns, l'Hermon suivant les autres. « Il est tout à fait vraisemblable, à moins que quelqu’un n’ait de meilleures raisons pour penser autrement, que ce qui est raconté aux versets 18 et suivants ait eu lieu quelque part dans la Césarée de Philippe », Luc de Bruges. Par conséquent sur l'Hermon ou l'un de ses contreforts. - Pour prier : tel fut le but direct que Jésus se proposait en gravissant la montagne avec ses trois disciples privilégiés.
Luc 9.29 Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea et ses vêtements devinrent éblouissants de blancheur. - Pendant qu'il priait : répétition pleine d'emphase pour relever le rapport qui exista entre le miracle et la prière de Jésus. Pendant que le Sauveur était plongé dans sa profonde et mystérieuse oraison, sa personne devint tout à coup l'objet d'un merveilleux phénomène. Pour décrire la particularité principale du miracle, S. Luc a recours à une circonlocution, l'aspect de son visage changea ; ce qu'il faut entendre de l'éclat surnaturel, de la beauté divine, qui firent resplendir la physionomie de Jésus. « La transformation ajoute de la splendeur, mais ne fait pas disparaître la face », S. Jérôme. - Ses vêtements devinrent éblouissants de blancheur, le dernier mot signifiant littéralement : lançant des éclairs. « Il est transfiguré dans une clarté éblouissante, convenable à Dieu ; et même son vêtement de lumière émettait des rayons, et ressemblait à la foudre », S. Cyrill. in Chaîne des Pères Grecs Le texte grec contient une préposition qui indique que la lumière éblouissante des vêtements provenait du corps transfiguré de Jésus.
Luc 9.30 Et voilà que deux hommes conversaient avec lui : c'étaient Moïse et Élie, - Cette manière de présenter au lecteur les deux témoins célestes du mystère de la Transfiguration est spéciale à S. Luc. Il se place au point de vue des trois apôtres, pour lesquels les interlocuteurs mystérieux de Jésus ne furent d'abord que des hommes inconnus. Mais bientôt il devint manifeste que c'étaient Moïse et Élie (cf. S. Matthieu et S. Marc). Quel spectacle sur la sainte montagne. « Voilà donc dans l'Église le royaume de Dieu. Là en effet nous apparaissent le Seigneur, la loi et les prophètes : le Seigneur dans la personne du Seigneur même, la loi dans la personne de Moïse et les prophètes dans celle d’Élie. Ces deux derniers figurent ici comme serviteurs et comme ministres. » S. August., Serm. 78.
Luc 9.31 apparaissant dans la gloire, ils s'entretenaient de sa mort qui devait s'accomplir dans Jérusalem. - Apparaissant dans la gloire : Moïse et Élie étaient, eux aussi, brillants et transfigurés. - Et ils parlaient de sa mort qui devait s’accomplir dans Jérusalem. - Quel thème de conversation entre Jésus, Moïse et Élie en ce moment glorieux : La mort du Christ était donc bien le point central de la Loi et des Prophètes. De la Loi, par les nombreuses victimes figuratives ; des Prophètes, par leurs oracles aussi nets que nombreux.
Luc 9.32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil, mais s'étant tenus éveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui étaient avec lui. - Du Sauveur transfiguré et de ses deux compagnons célestes, l'évangéliste nous ramène aux apôtres. Le premier détail, accablés de sommeil, semble indiquer que le miracle de la Transfiguration eut lieu pendant la nuit (cf. v. 37). Néanmoins il est possible, suivant l'excellente réflexion de S. Jean Chrysostome et de S. Ambroise, que S. Luc n'ait pas tant voulu signaler ici une somnolence naturelle que l'espèce de torpeur dans laquelle les sens humains sont quelquefois plongés par la vue des phénomènes divins. - S'étant tenus éveillés. Les apôtres auraient donc dominé à l'aide de vigoureux efforts le sommeil qui les envahissait. - Les deux hommes qui étaient avec lui : détail pittoresque, qui nous fait connaître l'attitude de Jésus, de Moïse et d'Élie.
Luc 9.33 Au moment où ceux-ci s'éloignaient de lui, Pierre dit à Jésus : "Maître, il nous est bon d'être ici, dressons trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie", il ne savait ce qu'il disait. - La conversation a pris fin, et voici que les représentants de la Loi et des Prophètes commencent à s'éloigner. S. Pierre s'en aperçoit et, désireux de prolonger le plus possible ces moments fortunés, il propose à son Maître de se mettre immédiatement à l’œuvre (« Pierre n’est pas seulement le plus grand par l’affection, mais par le zèle apostolique », S. Ambr.) avec Jacques et Jean, pour construire trois abris qui permettront aux trois augustes interlocuteurs de rester longtemps sur la montagne. Mais il parlait ainsi sans savoir ce qu'il disait ; il avait l'esprit tout troublé par sa vive émotion.
Luc 9.34 Comme il parlait ainsi, une nuée vint les couvrir de son ombre et les disciples furent saisis de frayeur tandis qu'ils entraient dans la nuée. - Une nuée : « lumineuse », ajoute S. Matthieu. - Vint les couvrir, c'est‑à‑dire Jésus, Moïse et Élie, comme il ressort du contexte : ils entrèrent dans la nuée, qui était précisément destinée, dit S. Ambroise, à leur permettre de supporter la présence de la divinité. Ce nuage brillant fut sans doute de même nature qui celui qui voila plus tard le Sauveur montant au ciel, Actes 1, 9. - Ils furent effrayés à la vue de cette nouvelle manifestation surnaturelle, plus mystérieuse que toutes les précédentes.
Luc 9.35 Et de la nuée sortit une voix qui disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le." - C'est ici le fait principal. Dieu le Père prend la parole pour redire clairement (cf. 3, 22) les relations qui l'unissent à Jésus : Celui‑ci est mon Fils. Au lieu de bien‑aimé, plusieurs traduisent « choisi », selon les manuscrits B, L, Z, Sinait., et la version copte.
Luc 9.36 Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul. Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu'ils avaient vu. - S. Luc abrège notablement la fin du récit ; voyez dans les passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc les détails qu'il a condensés en cet endroit. - Ils gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne. Répétition emphatique, pour mettre en relief le silence gardé par les trois témoins privilégiés du miracle. Jésus leur avait du reste fortement prescrit de garder le secret. - En ce temps‑là représente, d'après S. Marc. 9, 8, le temps qui s'écoula jusqu'à la Résurrection de Notre‑Seigneur.
Luc 9, 37-43 = Matth 17, 14-20 Marc 9, 17-28.
Luc 9.37 Le jour suivant, lorsqu'ils furent descendus de la montagne, une foule nombreuse vint au-devant de Jésus. - Le jour suivant. De ce petit détail chronologique, signalé par le seul S. Luc, il résulte que Jésus et les siens avaient passé la nuit sur la montagne de la transfiguration ; probablement même que le miracle avait eu lieu pendant la nuit. - Une foule nombreuse… Voyez dans la narration de S. Marc des particularités pleines d'intérêt.
Luc 9.38 Et un homme s'écria du milieu de la foule : "Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils, car c'est mon seul enfant. - Maître… Cette première partie de la demande du suppliant est exposée dans notre Évangile sous une forme très touchante. - Je vous en supplie… car c'est mon seul enfant…, sont des détails propres à S. Luc. Jetez un regard sur mon fils (S. Matth. « ayez pitié de mon fils ») est d'une grande délicatesse. « J'admire la sagesse de cet homme, s'écrie Tite de Bosra (Cat. D. Thom., h. l.). Il ne dit pas au Sauveur : Faites ceci ou cela, mais : Regardez. Car cela suffit pour le guérir. C'est ainsi que le Prophète disait : Regardez et prenez pitié de moi ».
Luc 9.39 Un esprit s'empare de lui et aussitôt il pousse des cris, l'esprit l'agite avec violence en le faisant écumer et à peine le quitte-t-il après l'avoir tout meurtri. - Le pauvre père essaie de susciter davantage encore la pitié de Jésus par une peinture énergique des terribles crises qui saisissaient fréquemment son fils. - Un esprit s’empare de lui. Les troubles dont souffrait l'enfant était donc la conséquence d'une possession démoniaque. - Aussitôt il pousse des cris (détail spécial). Remarquez le brusque changement des sujets, si conforme aux sentiments émus du suppliant. « Cris » retombe en effet sur le malade et non sur le démon. - l'esprit l'agite avec violence. Il n'y a qu'un verbe dans le texte grec, qui a le sens de tordre, tourmenter. - En le faisant écumer. Paulus Aegineta, l'un des derniers médecins illustres de l'antiquité, cite, dans sa description de l'épilepsie, plusieurs circonstances qui présentent une grande analogie avec le triste tableau tracé de concert par les trois synoptiques : « L’épilepsie est une convulsion de tout le corps, empêchant les actions normales. Cette maladie affecte surtout les enfants, mais aussi, et fortement, les adolescents. Quand apparaissent les symptômes de la maladie, l’épileptique tombe par terre, entre en convulsions, et il exprime parfois des paroles incohérentes. Le plus important de tous les signes est la bave qui sort de sa bouche. ». L'enfant était donc vraisemblablement épileptique ; mais l'évangéliste médecin n'hésite pas à reconnaître ici quelque chose de plus que le mal physique. - A peine le quitte‑il après l'avoir tout meurtri. Nouvelle particularité de S. Luc, pour clore le tableau.
Luc 9.40 J'ai prié vos disciples de le chasser et ils ne l'ont pu. - Dans les deux autres narrations, Jésus explique un peu plus bas aux disciples le motif de leur impuissance humiliante. Voyez S. Matth. Le v. 41 indique du moins implicitement ce motif.
Luc 9.41 O race incrédule et perverse, répondit Jésus, jusqu’à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? Amène ici ton fils." - Le Sauveur est vivement affecté de l'échec des siens. Ne leur avait‑il pas donné de pleins pouvoirs sur tous les démons ? Mais ni eux, ni le peuple, n'ont une foi suffisante, et c'est pour cela qu'ils sont vaincus. La pensée de cette incrédulité partielle chez les uns, totale pour les autres, fait souhaiter à Jésus de remonter bientôt vers son divin Père.
Luc 9.42 Et comme l'enfant s'approchait, le démon le jeta par terre et l'agita violemment. 43 Mais Jésus menaça l'esprit impur, guérit l'enfant et le rendit à son père. - Comme l’enfant s’approchait : détail pittoresque, qui nous montre l'enfant s'approchant du Thaumaturge, mais éloigné encore de quelques pas. - Le démon le jeta par terre et l'agita : la dernière et violente convulsion que l'esprit mauvais fit subir à sa victime. Mais, sur l'ordre formel de Jésus (il menaça), le démon fut bien obligé de se retirer. Le divin Maître remit alors entre les mains du père reconnaissant son fils complètement guéri. Ce détail touchant, le rendit à son père, propre à S. Luc, peut servir de pendant à 7, 15 : « Il le rendit à sa mère ».
Luc 9, 44-45 = Matth 17, 21-22 Marc 9, 29-31
Luc 9.44 Et tous furent frappés de la grandeur de Dieu. Tandis que chacun était dans l'admiration de ce que faisait Jésus, il dit à ses disciples : "Vous, écoutez bien ceci. Le Fils de l'homme doit être livré entre les mains des hommes." - Ils étaient vivement frappés : S. Luc relève seul, et comme on le voit, en termes énergiques, l'impression produite par la guérison du possédé. La divine puissance de Jésus s'était rarement déployée sous les yeux de la foule avec tant d'éclat. Mais ce miracle en rappela d'autres à ceux qui venaient de le contempler ; chacun se mit à les raconter avec admiration, comme l'ajoute notre évangéliste avec emphase : chacun était dans l'admiration de ce que faisait Jésus. Jésus, ce semble, craignait que l'enthousiasme universel ne fît oublier à ses apôtres les humiliations qu'il leur avait récemment annoncées ; c'est pourquoi il leur en renouvelle la sombre prophétie. - écoutez bien ceci... Cette solennelle formule d'introduction n'a été conservée que par S. Luc. « Vous » est emphatique : vous, mes disciples, par opposition à la foule superficielle et ignorante. - Ces paroles ne désigne pas, comme le veut Meyer, les paroles louangeuses du peuple, mais la prédiction suivante de Jésus. - Le Fils de l'homme… les mains des hommes : antithèse remarquable, qu'on trouve dans les trois synoptiques. S. Luc se borne à un rapide sommaire de la prophétie, qui paraît d'autant plus lugubre dans son récit, qu'il omet de mentionner la joyeuse espérance de la Résurrection. cf. Matth. 17, 22 ; Marc. 9, 30.
Luc 9.45 Mais ils ne comprenaient pas cette parole, elle était voilée pour eux, de sorte qu'ils n'en avaient pas l'intelligence et ils craignaient de l'interroger à ce sujet. - Nous avons eu l'impression de la foule à propos du miracle ; nous apprenons maintenant celle qu'éprouvèrent les disciples à l'occasion de la sombre nouvelle qui leur était ainsi réitérée par Jésus. S. Luc la décrit en psychologue. Le premier (ils ne comprenaient pas) et le dernier détail (et ils craignaient de l'interroger) lui sont, il est vrai, communs avec S. Marc. Mais la pensée intermédiaire, exprimée à l'aide d'une vivante image, et elle était voilée pour eux, lui appartient en propre. Tel était encore, après de longs mois passés en la compagnie de Jésus, l'état d'âme des apôtres. Mille préjugés les aveuglaient. Voir dans Bossuet, 1er sermon pour le Dim. de la Quinquagésime (édit. de Versailles, t. 12, pp. 27, 33, 36 et 37), un beau commentaire de tout ce passage.
Luc 9, 46-50 = Matth 17, 1-6 ; Marc 9, 32-39.
Luc 9.46 Or, une pensée se glissa dans leur esprit, savoir lequel d'entre eux était le plus grand. 47 Jésus, voyant les pensées de leur cœur, prit un petit enfant, le mit près de lui, 48 et leur dit : "Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant, me reçoit et quiconque me reçoit, reçoit Celui qui m'a envoyé. Car celui d'entre vous tous qui est le plus petit, c'est celui-là qui est grand." - Leçon d'humilité, motivée par l'étrange discussion qui s'était élevée naguère entre les Apôtres : ils s'étaient demandé lequel d'entre eux était le plus grand. Une question de préséance, de vanité, les occupait en un pareil moment, alors que la croix de Jésus était déjà dressée à l'horizon. Mais voici que leur Maître leur rappelle les austères pensées du Christianisme. - Il prit un petit enfant et le plaça auprès de lui. C'est l'un des détails les plus touchants de l'Évangile. Il dut rendre l'argumentation du Sauveur tout à fait saisissante. Voyez dans S. Matthieu les détails de cette argumentation. S. Luc l'abrège plus encore que S. Marc ; mais il en a bien conservé la substance dans le double axiome du v. 48. - Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant… Les petits enfants et ceux qui leur ressemblent, c'est‑à‑dire les humbles, sont ainsi élevés au rang le plus sublime. 2° Celui qui est le plus petit entre vous… Conséquence du premier axiome, exprimée sous une forme paradoxale : devenez petits pour être grands.
Luc 9.49 Jean, prenant la parole, dit : "Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en votre nom et nous l'en avons empêché, parce qu'il ne va pas avec nous." 50 Ne l'en empêchez pas, lui répondit Jésus, car celui qui n'est pas contre vous est pour vous." - Leçon de tolérance, occasionnée par un petit problème moral que le disciple bien‑aimé posa en cet instant même à Notre‑Seigneur. S. Luc et S. Marc ont seuls raconté, d'une façon presque identique, cet incident. Aussi aurons‑nous bien peu de chose à ajouter aux explications données dans notre commentaire sur le second Évangile. - Jean, prenant la parole. Il est vraisemblable que S. Jean avait joué le rôle principal dans la scène qu'il va brièvement exposer. Les mots en ton nom paraissent contenir la raison d'être de l'interrogation adressée à Jésus d'une manière si subite, au milieu de l'instruction qu'il avait commencée. Le divin Maître avait parlé de recevoir « en son nom » même les petits enfants, et voici que les apôtres s'étaient conduits avec sévérité envers un homme qui agissait en ce nom béni. - Nous l'en avons empêché parce qu'il ne va pas avec nous. Tel était le motif qui avait inspiré cette conduite des Douze. Les seuls disciples habituels du Christ, pensaient‑ils, devaient jouir du privilège en question ; il ne pouvait être permis au premier venu de se l'approprier. - Ne l'en empêchez pas, répond Jésus ; puis, à son tour, il motive sa décision en opposant au « il ne vous suit pas » cette profonde parole : Qui n'est pas contre vous est pour vous.
DERNIER VOYAGE DE JÉSUS À JÉRUSALEM Luc 9, 51-19, 28. Importante partie du troisième Évangile, avec une marche complètement indépendante de celle des autres synoptiques et des détails nouveaux pour la plupart. Il est vrai qu'elle s'est attirée, précisément par ses caractères distinctifs, la haine du camp rationaliste. Sabatier n'y voit qu'un récit qui « fourmille de contradictions et d'impossibilités » (Essai sur les sources de la vie de Jésus, p. 25) ; de Wette, h. l., qu'un « amalgame sans ordre chronologique » ; Reuss, Histoire évangélique, p. 436, que « des scènes détachées, dont la liaison se fait reconnaître comme purement arbitraire ». Divers exégètes protestants, qui n'hésitent pas à reconnaître l'inspiration des Saints Livres, se sont laissés influencer par ces jugements et ont pareillement affirmé, quoique en des termes plus respectueux, que S. Luc n'a pas tenu compte de la suite réelle des faits dans ce long passage, mais qu'il y a groupé les incidents à sa manière d'après un enchaînement tout pragmatique (Keil ; W. Stewart). Toutefois ce ne sont là que des voix discordantes dans un grand concert. En effet, la plupart des commentateurs appliquent à cette partie du troisième Évangile aussi bien qu'à toutes les autres la devise de S. Luc (« écrire de façon ordonnée », 1, 3), ne trouvant aucune raison suffisante de croire que l'écrivain sacré aurait oublié ici ses engagements antérieurs. Non sans doute qu'il faille presser outre mesure une telle promesse (voyez la Préface, § 8), car notre évangéliste peut bien avoir sacrifié dans quelques détails secondaires l'ordre des dates à celui des sujets ; mais l'ensemble est raconté d'après la vérité objective des événements, comme l'ont savamment démontré, parmi beaucoup d'autres : le Dr Wieseler ; Caspari ; Farrar. Pour les divers détails qui sont également racontés par le premier Évangile, mais à une autre place, il faut admettre ou que S. Matthieu ne s'est pas conformé à la suite historique des faits, ainsi qu'il lui arrive si souvent (cf. S. Matth.), ou qu'il y eut sur plusieurs points de doctrine des redites de Notre‑Seigneur en de nouvelles circonstances, ce qui ne pouvait guère manquer d'arriver, vu la nature et la forme de son enseignement. Or les conversations et les discours abondent précisément dans cette section ; les faits n'y apparaissent guère que pour indiquer l'occasion des paroles. L'idée qui prédomine dans le récit, servant de lien aux épisodes variés qui le composent, est celle d'un voyage, avec la Galilée pour point de départ, Jérusalem pour but, et la Pérée comme lieu de passage. Mais ce voyage, commencé peu de temps après la Transfiguration et terminé seulement quelques jours avant la Passion, s'accomplit lentement, en plusieurs mois. Plus semblable à un va‑et‑vient en des sens opposés qu'à une marche directe, souvent interrompu par des séjours en diverses localités, il ne fut du moins jamais abandonné : l'évangéliste en montre clairement la suite par des formules qui reviennent de temps à autre comme des points de repère. cf. 9, 57 ; 10, 38 ; 13, 22 ; 17, 11. Nous tirerons parti de ces jalons pour essayer de combiner le récit de S. Luc avec celui du quatrième Évangile.
Samaritains inhospitaliers. Luc 9, 51-56.
Luc 9.51 Quand les jours où il devait être enlevé du monde furent près de s'accomplir, il prit la résolution d'aller à Jérusalem. - La narration du voyage s'ouvre par une expression solennelle et mystérieuse : Lorsque les jours où il devait être enlevé du monde furent près de s'accomplir. Le verbe enlevé est employé à plusieurs reprises pour désigner l'Ascension glorieuse de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ (cf. Marc. 16, 19 ; Actes 1, 2 ; 11, 22 ; 1 Timothée 3, 16), de même qu'il l'avait été par les Septante pour représenter celle d'Élie (2 Rois 2, 11 ; 1 Maccabées 2, 58 ; Ecclésiastique 48, 9). Sans doute Jésus n'arrivera aux splendeurs du ciel que par les ignominies et les souffrances du Calvaire ; mais il contemplait toutes choses à travers sa sublime consommation, et l'évangéliste entre admirablement dans sa pensée. cf. Jean 13, 33. - Il prit la résolution… Nous rappelle d'une part le portrait du Serviteur souffrant tracé par Isaïe, 50, 7 : « j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu », de l'autre un détail frappant de S. Marc., 10, 32 : « Les disciples étaient en route pour monter à Jérusalem ; Jésus marchait devant eux ; ils étaient saisis de frayeur, et ceux qui suivaient étaient aussi dans la crainte » (voyez le commentaire). cf. Hébreux 12, 2. Jésus est en marche vers Jérusalem, sachant bien quels maux l'y attendent, et pourtant il s'y dirige avec un esprit noble et droit (S. Jérôme, lettre 51 ad. Algas., quaest. 5), prêt à affronter tous les dangers.
Luc 9.52 Il envoya devant lui des messagers, qui se mirent en route et entrèrent dans un bourg des Samaritains pour préparer sa réception, - Jésus était alors accompagné de nombreux disciples (cf. 10, 1) : par mesure de prudence il se faisait donc précéder, dans les localités où il devait séjourner, par des messagers qui préparaient les logements et les vivres pour lui et toute sa suite. - Ils entrèrent dans un bourg des Samaritains. Jésus arrivant de Galilée, on a conjecturé que la bourgade en question pouvait bien avoir été En‑Gannim, aujourd'hui Djénîn, située sur la frontière septentrionale de la Samarie, et renommée pour le fanatisme de ses habitants. Pour aller de Capharnaüm à Jérusalem, la route la plus courte et la plus naturelle traversait la Samarie entière, du Nord au Sud. - Pour préparer sa réception : son séjour et son logement.
Luc 9.53 mais les habitants refusèrent de le recevoir, parce qu'il se dirigeait vers Jérusalem. - Ce refus grossier ne fut pas exprimé directement à Jésus, mais à ses envoyés. Pourquoi les Samaritains ne voulurent‑ils pas accorder à Notre‑Seigneur l'hospitalité qu'il leur demandait ? La suite du verset le montre clairement : son aspect était celui d'un homme qui va à Jérusalem. Sur cette phrase à saveur hébraïque, voyez 2 Rois 17, 11, dans l'hébreu et les Septante. Les relations entre Juifs et Samaritains, déjà fort peu aimables en temps ordinaire (cf. Jean 4, 9 ; 8, 48), redoublaient encore d'animosité à l'approche des grandes fêtes nationales, qui conduisaient par foules les pèlerins juifs à Jérusalem. La haine des deux peuples avait en effet pour cause principale la différence de leurs cultes, et c'est en de tels moments que cette différence devenait plus saillante. Voir Jean 4, 20. Des insultes on en vint souvent aux voies de fait, comme le racontent Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, 2, 12, 3-7, Ant. 20, 6, 1, et S. Jérôme, in Osée, 5, 8-9. Or Jésus (ni lui ni ses messagers n'en faisaient un mystère) se rendait à Jérusalem. Ceux qui abhorraient la cité sainte comme une rivale de leur temple du mont Garizim refusèrent pour ce motif de lui rendre service. Autrefois pourtant (cf. Jean 4) les Samaritains de Sychar avaient fait à Jésus le plus aimable accueil ; mais il tournait le dos à Jérusalem, et les circonstances n'étaient plus les mêmes. - D'après Meyer, Alford, Reischl, etc., les envoyés de Notre‑Seigneur l'auraient ouvertement annoncé comme le Messie, et c'est pour cela que les Samaritains auraient agi avec tant de dureté. Mais rien dans le texte n'autorise une pareille conjecture.
Luc 9.54 Ce que voyant, ses disciples Jacques et Jean dirent : "Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume ?" - Divers commentateurs, entre autres Euthymius, Maldonat, Mgr Mac Evilly, le P. Curci, etc., interprétant à la lettre le verbe « voyant », ont supposé que les deux fils de Zébédée avaient été les messagers du Sauveur repoussés par les Samaritains, ce qui expliquerait la vivacité particulière de leur ressentiment. Mais cette opinion est rejetée par la grande majorité des exégètes, et à bon droit, le texte n'exige nullement la présence personnelle de S. Jacques et de S. Jean : ils furent d'ailleurs « témoins » de l'insulte quand les messagers racontèrent l'insuccès de leur mission. - Voulez vous que nous commandions… ? La Recepta, la plupart des manuscrits, des versions et des Pères, ajoutent « comme aussi fit Élie », et, quoique ces mots aient été omis par les manuscrits B, L, Z, Sinait., tout porte à croire qu'ils sont authentiques. Ils conviennent du moins fort bien à la situation, car les deux frères avaient vu naguère Élie sur la sainte montagne, et il était naturel qu'ils se ressouvinssent maintenant de l'acte de zèle qu'il avait précisément exercé dans la province de Samarie, en faisant tomber le feu du ciel sur les ministres d'un roi sacrilège, 2 Rois 1, 10-12. Ils demandent donc à Jésus la permission de venger son honneur messianique, méconnu et outragé. « Si, pour venger l'outrage fait à Élie, qui n'était que le serviteur de Dieu, le feu du ciel a dévoré non pas des Samaritains, mais des Juifs, par quelles flammes ne doit‑on pas punir le mépris que ces impies Samaritains font du fils de Dieu! ». S. Jérôme, ad Algas. 5. « Quoi d’étonnant, dit S. Ambroise, h. l., avec beaucoup d'à‑propos, que les fils du tonnerre aient voulu foudroyer ? ».
Luc 9.55 Jésus, s'étant retourné, les reprit en disant : "Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes." - Le désir des fils de Zébédée provenait certainement d'une foi profonde et d'un ardent amour à l'égard de Jésus. Il était néanmoins très imparfait ; aussi Notre‑Seigneur refusa‑t‑il avec force de le réaliser. - S’étant retourné. détail pittoresque. Jésus marchait, selon sa coutume, en tête du cortège : il se retourne pour réprimander les deux frères qui étaient derrière lui. Ce détail prouve que Jacques et Jean n'étaient pas les messagers envoyés chez les Samaritains, car alors ils eussent été en face du Sauveur. - Vous ne savez pas. Quelques exégètes donnent un tour interrogatif à la pensée : ne savez‑vous pas…?). Vous, les apôtres de la nouvelle Alliance, par opposition à Élie, le prophète terrible de l'Ancien Testament. Ce sont en effet les deux Alliances, et les deux esprits si distincts qui les dominaient, que Jésus met en regard par manière de contraste. Or, comme le dit magnifiquement S. Augustin, contr. Adim. 17, « La crainte et l'amour, tel est en effet, dans toute sa concision, la différence qui sépare les deux Testaments ». Mais voici que les fils du Tonnerre, par leur demande inconsidérée, voulaient ramener la « Loi enflammée » du Sinaï, oubliant la loi d'amour apportée par l'Évangile : n'était‑ce pas méconnaître l'esprit de l'institution à laquelle ils appartenaient ? Sans doute, Élie avait agi par un mouvement de l'Esprit de Dieu, et le Sauveur ne blâme nullement sa conduite ; mais le temps d’Élie était passé, et Dieu avait modifié ses voies envers les hommes, se faisant tout aimable et miséricordieux après avoir été un Dieu terrible. - Les deux frères montrèrent plus tard admirablement combien ils comprenaient l'esprit de l'Évangile : le premier, S. Jacques, en vérifiant le mot célèbre de Lactance, Institutions Divines, 5, 20, « Il faut défendre la religion non en tuant les autres, mais en mourant pour elle » ; le second, S. Jean, quand il vint avec S. Pierre dans ces mêmes contrées pour faire descendre sur elles un autre feu du ciel, en administrant le sacrement de confirmation à leurs habitants convertis au Messie. cf. Actes 8, 14.
Luc 9.56 Le Fils de l'homme est venu, non pour perdre les vies des hommes, mais pour les sauver." Et ils allèrent dans une autre bourgade. - Parole toute divine, qu'on a justement appelée la devise du Dieu rédempteur. Elle indique de la façon la plus noble en quoi consiste l'esprit de la nouvelle Alliance, conformément auquel Jésus souhaite que ses collaborateurs se conduisent. Voyez Jean 3, 17 ; 12, 47, des dires analogues du divin Maître. - Le « Fils de l'homme » est venu pour sauver les âmes, les vies « des hommes » : n'est‑ce‑pas juste et naturel ? - Ils allèrent… Plusieurs auteurs ont conclu que la nouvelle bourgade vers laquelle Jésus et les siens se dirigèrent n'était pas en Samarie, mais en Galilée. Il est assez vraisemblable en effet qu'après l'échec éprouvé sur la frontière de la région samaritaine, Jésus n'ait pas voulu pénétrer plus avant dans la province.
Luc 9, 57-62. = Matth. 8, 19-22.
Luc 9.57 Pendant qu'ils étaient en chemin, un homme lui dit : "Je vous suivrai partout où vous irez." 58 Jésus lui répondit : "Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête." - (Voyez les détails de l'explication dans S. Matth.). - Jésus s'est remis en marche, et c'est en chemin que le triple dialogue aura lieu : détail pittoresque, digne de S. Luc. - Un homme lui dit : c'était un Scribe, d'après S. Matthieu. - Je vous suivrai… Expression emphatique : partout où vous irez. cf. 2 Rois 15, 21. Cet homme demande donc à faire partie du cercle des disciples intimes qui, depuis quelque temps, ne quittaient guère la personne du Sauveur ; mais il comprend qu'il s'exposera par là‑même à certains inconvénients, peut‑être à des dangers réels. Toutefois, se faisant illusion sur ses forces, il se croit capable de tout braver pour Jésus. Le Maître au contraire le décourage par une description brève, mais significative, de sa vie pauvre et mortifiée, semblant dire : A mon service on ne trouve d'autre récompense que la croix ; voyez si vous pouvez vous contenter de ce salaire. L'événement antérieur avait prouvé jusqu'à quel point Jésus était en droit de dire : Il n'a pas où reposer sa tête.
Luc 9.59 Il dit à un autre : "Suis-moi." Celui-ci répondit : "Seigneur, permettez-moi d'aller auparavant ensevelir mon père." 60 Mais Jésus lui dit : "Laisse les morts ensevelir leurs morts, pour toi, va annoncer le royaume de Dieu." - (cf. comment. S. Matth). Après le disciple enthousiaste et précipité, le disciple temporisant et trop circonspect. Le premier s'était offert de lui‑même à Jésus ; celui‑ci a l'honneur d'être directement appelé par Notre‑Seigneur : Suis‑moi (détail propre à S. Luc). Il y consent moyennant une réserve qui semble de prime abord tout à fait légitime : Permettez‑moi… Il venait d'apprendre la mort de son père : que Jésus lui permette d'aller l'ensevelir. Bientôt, dans quelques jours au plus, il sera à son poste de disciple pour ne plus le quitter. - Le Sauveur n'accorde pas ce délai. Non. Maintenant ou jamais. Quiconque aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi (Matth. 10, 37). S Augustin, Serm. 62, 2, a très bien commenté le refus de Jésus et le jeu de mots à l'aide duquel il est exprimé : « Le futur disciple voulait faire une bonne œuvre ; mais le Maître lui montra ce qu'il y devait préférer ; car il prétendait faire de lui un prédicateur de la parole de vie pour ressusciter les morts ; et il ne manquait pas d'hommes pour accomplir cet autre devoir. Laisse donc, lui dit‑il, les morts ensevelir leurs morts. Quand des infidèles ensevelissent un cadavre, ce sont des morts qui ensevelissent un mort. Ce cadavre a perdu son âme et l'âme des autres a perdu son Dieu ». Ainsi raisonnait d'ailleurs la loi juive, qui interdisait parfois aux particuliers de rendre les devoirs funèbres à leurs proches. cf. Lévitique 21, 10-12 ; Nombres 6, 6-7 ; 19, 11-14. - Pour toi… S. Matthieu n'avait pas mentionné cette injonction formelle de Notre‑Seigneur, qui dut trancher la question d'une manière définitive.
Luc 9.61 Un autre lui dit : "Je vous suivrai, Seigneur, mais permettez-moi d'aller auparavant faire mes adieux à ceux de ma maison." 62 Jésus lui répondit : "Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n'est pas fait pour le royaume de Dieu." - Troisième cas, propre à S. Luc. Cet autre disciple se présente spontanément au Sauveur, comme le premier ; mais, comme le second, il demande un peu de répit avant de s'attacher à sa vocation d'une manière définitive. Il voudrait, dit‑il, faire ses adieux. S. Augustin adopte le premier sens : « Permets que je l’annonce aux miens, pour que, comme cela arrive souvent, ils ne me cherchent pas », Sermo 7 de Verbis Domini. De même S. Irénée (« aux gens de ma maison »), et Tertullien (adv. Marc. 1. 4. : « Et ce troisième est prêt à dire d’abord adieu aux siens. »). Le disciple voulait tout d'abord aller mettre ordre à ses affaires. - A lui aussi Jésus apprend qu'il n'y a pas de délai possible quand il s'agit d'une vocation céleste, et il le lui dit au moyen d'une image très expressive. « Mettre la main à la charrue » était une locution métaphorique en usage chez les Grecs pour signifier « entreprendre un travail ». Mais, quand un homme sérieux commence une entreprise, il doit la poursuivre avec vigueur, s'y adonner tout entier, sans se laisser distraire par aucun objet étranger, ainsi que l'indique la suite des paroles de Jésus. - Regarde en arrière. Un bon laboureur se courbe sur sa charrue nous dit Pline, et regarde à ses pieds ou devant lui, mais pas en arrière ; autrement, il tracera des sillons tortueux (« le laboureur, s'il n'est pas courbé, s'éloignera de la ligne droite », Hist. Nat. 18, 29). Le disciple qui s'adressait en ce moment au Sauveur était donc dans la fausse situation d'un homme qui met la main à la charrue et qui jette derrière lui des regards distraits. Aussi Jésus lui dit‑il qu'il ne pouvait compter sur le succès, spécialement dans le royaume de Dieu, car un cœur partagé nuit plus encore à l'ouvrier évangélique qu'à celui qui laboure un champ matériel. Qu'il mette donc fin à son irrésolution. Qu'il ne regarde pas du côté de l'occident quand c'est l'orient qui l'appelle (S. Aug., l. c.). Il y a là un précepte d'une profonde et perpétuelle vérité. Il est devenu proverbial à tout jamais. - Quel grand maître que Jésus pour la direction des âmes. Voilà trois hommes qui se présentent à lui dans des conditions extérieures à peu près identiques ; mais il emploie envers chacun d'eux des méthodes bien diverses, suivant leurs différentes dispositions. Il écarte le premier, qui est présomptueux ; il aiguillonne l'irrésolution de l'autre ; quant au troisième, qui semble avoir tenu le milieu entre les deux premiers, il ne le décourage pas, mais il ne le pousse pas non plus en avant : il se borne à lui faire entendre une réflexion importante, lui abandonnant le soin de prendre un parti. Dans ces trois disciples, les Gnostiques, au rapport de S. Irénée, 1, 8, 3, voyaient des personnes‑types ; quelques auteurs les regardent comme les types des tempéraments sanguins, mélancoliques et flegmatiques : le tempérament bilieux ou colérique aurait fait, d'après eux, son apparition un peu plus haut, v. 54, dans la personne des fils de Zébédée.
Les soixante‑douze disciples. Luc 10, 1-24.
Luc 10.1 Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze autres et les envoya devant lui, deux à deux, dans toutes les villes et tous les lieux où lui-même devait aller. - Le titre de Seigneur est plein d'emphase dans ce passage : c'est en effet comme Seigneur et Maître que Jésus procède à l'organisation d'un groupe spécial parmi ses nombreux disciples. A mesure qu'il approche du terme de sa vie terrestre, le Sauveur multiplie les institutions destinées à la propagation rapide de l'Évangile, à la prompte diffusion de son Église. Néanmoins le collège des soixante‑douze disciples ne devait pas être permanent comme celui des Douze : son existence ne fut que temporaire et transitoire. Il n'est plus question des Soixante‑douze dans la Bible après leur retour. Mais ils formèrent un noyau de missionnaires zélés, qui durent être plus tard d'utiles auxiliaires pour les Apôtres. - Soixante douze autres. « Autres », selon Schleiermacher et Meyer, par opposition aux messagers mentionnés naguère, 9, 52 ; plus probablement, de l'avis commun, par opposition aux apôtres (9, 2 et ss.). Ce nombre, qui équivaut à six fois celui des apôtres, est probablement symbolique. On l'a rapproché, suivant qu'on le lisait dans la Vulgate ou dans le Text. Receptus, tantôt des 72 membres qui composaient le Sanhédrin juif, tantôt des 70 vieillards que Dieu avait adjoints à Moïse comme assesseurs (Nombres 11, 16 et ss.), tantôt des 70 ou 72 peuples issus de Noé (Genèse 10). Les partisans de cette dernière opinion voient dans l'institution des 72 disciples un symbole de l'universalité de l'Évangile. Mais en tout cela il n'y a rien de bien certain. - Il les envoya deux à deux : de la même manière et pour le même motif qu'autrefois les apôtres, Marc. 6, 7 : « Des frères sont plus intraitables qu'une ville forte », Proverbes 18, 19. - Devant lui est un hébraïsme dont la signification se trouve expliquée par les mots dans toutes les villes et tous les lieux… Le Dr Sepp donne, dans sa Vie de Jésus, la liste des Soixante‑Douze : mais c'est une liste toute subjective et légendaire, car Eusèbe, Hist. Eccl. 1, 12, était déjà dans l'impossibilité de la reconstituer.
Luc 10.2 Il leur dit : "La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson. - Avant de jeter ce filet d'amour sur les provinces méridionales de la Palestine, avant de faire un vif et dernier appel aux intelligences et aux consciences par ces nombreux prédicateurs qu'il répandait à travers toute la contrée, et dont il venait ensuite en personne confirmer l'enseignement, Jésus adressa naturellement à ses envoyés quelques instructions relatives à leur ministère, vv. 2-12. Il était dans l'ordre même des choses qu'elles eussent une grande analogie avec les recommandations faites aux Douze avant leur première mission (voyez Matth. 9, 37-10, 16 et parall., car c'est avec la rédaction de S. Matthieu, la plus complète des trois, qu'il faut surtout établir la comparaison). Elles débutent également par une réflexion qui a trait au manque d'ouvriers évangéliques, v. 2. Puis, après une rapide allusion (v. 3) aux dangers qui menacent les missionnaires du Christ, elles interdisent à ceux‑ci tout ce qui pourrait ressembler à un sentiment de défiance envers la Providence de Dieu, v. 4. Elles indiquent ensuite aux disciples ce qu'ils auront à faire soit au début (vv. 5 et 6), soit durant le cours (vv. 7-9), soit à la fin (vv. 10 et 11) de leur ministère dans chaque localité. Elles se terminent par l'annonce du châtiment terrible que Dieu réserve aux cités incrédules, vv. 12-16. - La moisson est grande… cf. Matth. 9, 37 38 et le commentaire. Jésus avait dit, dès le commencement de sa vie publique : « Voici, je vous le dis, levez les yeux, et regardez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson » (Jean 4, 35). Et, depuis cette époque déjà lointaine, la moisson évangélique avait couvert des milliers de champs nouveaux. - Mais les ouvriers sont peu nombreux. Voici pourtant que Notre‑Seigneur a douze apôtres et soixante douze disciples pour l'aider à rentrer sa récolte. Mais, qu'étaient ces quatre‑vingt‑quatre moissonneurs, suivant la juste réflexion d'Euthymius ? Aujourd'hui l’on peut dire encore à un autre point de vue que « les ouvriers sont peu nombreux ». Sans doute, « Voici que le monde est rempli de prêtres, mais pour la moisson du Seigneur on trouve difficilement un moissonneur. Nous acceptons le travail sacerdotal, mais nous en remplissons rarement la charge. », S. Grég., Hom. 17 in Evang. - Priez donc le maître de la moisson... Le corrélatif grec de « envoyer » est très énergique, et exprime fort bien qu'il y a urgence dans l'envoi.
Luc 10.3 Partez : voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. - L'image change subitement : les moissonneurs spirituels du royaume messianique nous apparaissent comme de timides agneaux entourés de loups dévorants. Jésus ne pouvait insinuer avec plus de clarté ni avec plus de force que ses missionnaires devaient être prêts à mourir pour lui, voyez Matth. 10, 16 et le commentaire. Il avait alors des ennemis très nombreux et très acharnés à sa perte, et il prévoyait que la haine portée au Maître rejaillirait bientôt sur les disciples. - Comme des agneaux. Parlant aux Douze, Matth., l. c., Notre‑Seigneur avait dit « comme des brebis ». L'expression grecque employée ici par S. Luc ne se trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament. - « Ce fut le signe manifeste d’un triomphe éclatant le fait que, entourés d’ennemis comme des agneaux par des loups, les disciples les aient quand même convertis », S. Jean Chrysost., Hom. 14 in Matth. Voyez une belle réflexion du même genre dans S. Augustin, Serm. 64, c. 1.
Luc 10.4 Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales et ne saluez personne en chemin. - Jésus interdit aux soixante‑douze, comme autrefois aux apôtres, 9, 3, tout préparatif humain : il veut que le prédicateur de l'Évangile soit pauvre, désintéressé, « De peur que, accaparée par les choses temporelles, l’âme ne se soucie moins des éternelles », S. Grég., l. c. - Ne saluez personne en chemin. Autre détail propre à ce passage. Il faut se souvenir, pour le bien comprendre, que les Orientaux ont toujours été de grands formalistes. En Orient, saluer quelqu'un ne consiste pas simplement, comme chez nous, à faire un geste rapide, ou à échanger quelques brèves paroles : quand cette opération est faite selon toutes les règles, elle devient très complexe et peut facilement consumer deux ou trois heures. De même qu'Élisée à Giézi, 2 Rois 4, 29, Notre‑Seigneur interdit aux messagers de l'Évangile ces détails inutiles et encombrants. Hâtez‑vous, leur dit‑il, allez droit au but. Votre temps est trop précieux pour que vous le perdiez à débiter ou à entendre de vaines formules. S. Ambroise a très bien exposé le sens de cette injonction : « Ce n’est pas l’empressement à faire des gestes de civilité qui est blâmé, mais est supprimé un obstacle qui freine la dévotion, pour que quand Dieu commande, les choses humaines se retirent. La salutation est une belle chose, mais plus belle encore est la mise en exécution immédiate des ordres divins. Ce sont des choses honnêtes qui sont prohibées, pour ne pas empêcher le ministère qu’on ne peut remettre à plus tard sans faute », Expos., h. l. cf. Euthymius.
Luc 10.5 Dans quelque maison que vous entriez, dites d'abord : "Paix à cette maison." 6 Et s'il s'y trouve un enfant de paix, votre paix reposera sur lui, sinon, elle reviendra à vous. - Ce que les disciples devront faire en entrant dans une localité pour y prêcher la bonne nouvelle. Voyez Matth. 10, 12, 13 et le commentaire. - Un enfant de paix est un hébraïsme propre à ce passage de S. Luc (S. Matth., l. c., a « digne ») ; mais les locutions analogues ne manquent pas dans les écrits du Nouveau Testament. cf. Matth. 9, 15 ; 23, 15 ; Luc. 16, 8 ; 20, 36 ; Jean 12, 36 ; 16 ; 12 ; Éphésiens 2, 2 ; 5, 6 ; 1 Thessaloniciens 5, 5 ; 2 Pierre 2, 14 etc. - Reposera sur lui : belle image (S. Matth. : « vienne sur »). - Reviendra à vous est une manière hébraïque de dire que l'effet souhaité ne sera pas produit. Voyez Sylveira et Luc de Bruges, h. l.
Luc 10 7 Demeurez dans la même maison, mangeant et buvant de ce qu'il y aura chez eux, car l'ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas d'une maison dans une autre. 8 Dans quelque ville que vous entriez, si l'on vous reçoit, mangez ce qu'on vous présentera, 9 guérissez les malades qui s'y trouveront et dites-leur : Le royaume de Dieu est proche de vous. - Conduite que les envoyés de Jésus devront tenir tant qu'ils séjourneront dans une localité. Aux apôtres aussi le Seigneur avait recommandé de ne pas changer de résidence, à la manière d'hommes difficiles ou inconstants ; mais actuellement il ajoute un détail nouveau : mangeant et buvant … car l'ouvrier est digne… Cette seconde proposition (S. Paul, 1 Timothée 5, 18, la cite comme une parole scripturaire) contient le motif de la première. Asseyez‑vous sans scrupule à la table de vos hôtes, car, en leur donnant les biens éternels, vous méritez largement l'humble compensation qu'ils vous offrent sur cette terre. Voyez le beau développement écrit sur ce thème par l'Apôtre des Païens, 1 Corinthiens 9, 3 et ss. - Ne passez pas de maison en maison est un commentaire de demeurez dans la même maison, de même que la phrase mangez ce qui vous sera présenté développe et explique mangeant et buvant : Jésus ne saurait tolérer, dans ses ministres, des exigences indignes de l'Évangile : il veut qu'ils sachent se contenter du logis et de la nourriture qui leur sont offerts. On peut aussi, à la suite de Noël Alexandre, h. l., et de plusieurs exégètes (Sepp, Schegg, etc.), voir dans les paroles « mangez ce qu'on vous servira » une recommandation destinée à mettre les disciples à l'aise relativement aux lois pharisaïques qui interdisaient certains aliments. Voir 1 Corinthiens 10, 27, un conseil identique de S. Paul. - Guérissez les malades… Comme les apôtres, les soixante‑douze avaient par conséquent reçu le don de guérir les malades. - Dites‑leur : Le pronom, qui retombe en apparence sur « malades », désigne en réalité tous les habitants de la maison (figure de style fréquente dans les saints Livres). - Le royaume de Dieu est proche de vous : tel devait être le thème général de la prédication des nouveaux missionnaires.
Luc 1010 Mais dans toute ville où vous entrerez, si l'on ne vous reçoit pas, allez sur les places publiques et dites : 11 La poussière même de votre ville, qui s'est attachée à nous, nous l'essuyons contre vous, sachez cependant ceci, c'est que le royaume de Dieu est proche. - Règles à suivre pour le cas, nullement chimérique, où toute une population ferait aux disciples un accueil défavorable. Voyez Matth. 10, 14 et le commentaire. - Dites. Cette union du langage à l'action n'existe pas dans le discours adressé aux apôtres. Les paroles dont les missionnaires insultés devront accompagner leur geste symbolique sont d'une grande énergie : Nous ne voulons pas même emporter d'auprès de vous un seul grain de poussière. - Sachez cependant… Les disciples, quoique rejetés, annonceront quand même la grande nouvelle. Il est vrai qu'elle revêtira dans cette circonstance un caractère terrible. Prenez garde. L'heure de votre châtiment est proche.
Luc 10.12 Je vous le dis, il y aura, en ce jour-là, moins de rigueur pour Sodome que pour cette ville. - Voyez Matth. 10, 15 et le commentaire. - Je vous le dis est solennel. - En ce jour là désigne le jour formidable du jugement messianique. - Il y aura moins de rigueur pour Sodome… Sodome, en effet, malgré ses vices épouvantables, n'aura pas abusé d'autant de grâces, n'ayant pas reçu d'aussi vives lumières que les cités au milieu desquelles a retenti la prédication de l'Évangile.
Luc 1013 Malheur à toi, Corozaïn. Malheur à toi, Bethsaïde. Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l'avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles auraient depuis longtemps fait pénitence, assises sous le cilice et la cendre. 14 C'est pourquoi, il y aura, au jugement, moins de rigueur pour Tyr et pour Sidon que pour vous. 15 Et toi, Capharnaüm, qui t'élèves au ciel, tu seras abaissée jusqu'aux enfers. - Jésus vient de parler en général des villes qui se refuseront à recevoir ses envoyés, vv. 10-12. Cette pensée lui rappelle de tristes souvenirs personnels. Trois localités importantes des bords du lac, honorées entre toutes par sa présence, par son enseignement, par ses miracles, n'étaient‑elles pas demeurées incrédules ? Au moment où il va quitter la Galilée pour n'y plus revenir, il lance contre elles un adieu terrible, qui consiste en un triple anathème, vv. 13-15. S. Matthieu, 11, 20-24 (voyez le commentaire), nous a déjà présenté ces malédictions de Jésus, et d'une manière un peu plus complète, mais avec un autre enchaînement. D'après sa chronologie elles se rattacheraient à Luc 7, 35 par conséquent elles appartiendraient à une époque beaucoup moins avancée. Elles nous paraissent mieux convenir à la date que leur assigne notre évangéliste, car elles étaient alors plus justifiées. Divers auteurs admettent néanmoins qu'elles purent bien être répétées deux fois. - Corozaïn, Bethsaïda : deux cités juives, opposées à deux villes païennes, Tyr et Sidon, et menacées de châtiments beaucoup plus grands que ces dernières, qui eussent fait pénitence de leurs crimes, et renoncé à leurs trafics sordides, à leur luxe coupable, si elles avaient été témoins des miracles de Jésus. - Assises sous le cilice et la cendre (détail propre à S. Luc) est une belle personnification : Tyr et Sidon nous apparaissent comme deux pénitentes humblement assises à terre, revêtues d'un cilice, la tête couverte de cendre. - Et toi, Capharnaüm… Des trois villes maudites, Capharnaüm était la plus ingrate, ayant été la plus privilégiée, puisqu'elle avait eu le bonheur de servir de résidence habituelle à Jésus. Aussi l'anathème qui la concerne a‑t‑il un caractère plus grave, plus emphatique. - Pour l'accomplissement intégral de cette prophétie, cf. commentaire S. Matth. L'historien Josèphe, La Guerre des Juifs, 3, 10, 8, immédiatement après avoir décrit, dans un passage célèbre, les splendeurs du lac et de la plaine de Gennésareth, raconte les maux affreux que les légions romaines firent subir à toute la contrée. Quelques pages plus haut, 3, 7, 31, il confessait que « c'était Dieu, à n'en pas douter, qui avait amené les Romains pour punir les Galiléens et pour faire détruire les villes par leurs ennemis avides de sang ». Cela se passait trente ans à peine après la mort de Jésus.
Luc 10.16 Celui qui vous écoute, m'écoute et celui qui vous méprise, me méprise, or celui qui me méprise, méprise celui qui m'a envoyé." - Conclusion de l'instruction pastorale adressée aux soixante‑douze disciples. L'idée qu'elle renferme est des plus consolantes pour eux, puisqu'elle identifie en quelque sorte les envoyés messianiques, passés, présents et à venir, au Christ lui‑même et à son Père. Du reste l'ambassadeur, dans tous les temps et dans tous les pays, est censé ne former qu'une seule personne morale avec celui qu'il représente. Voyez des pensées analogues dans Matth. 10, 40 et Jean 13, 20. - Méprise. Le verbe grec du texte primitif est encore plus fort, car il exprime l'idée d'un renversement, d'une destruction.
Luc 10.17 Les soixante-douze revinrent avec joie, disant : "Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en votre nom." - En juxtaposant ainsi le départ et le retour des soixante‑douze disciples, S. Luc nous donne à penser 1° qu'il ne s'était passé dans l'intervalle aucun fait notable, 2° que leur absence ne fut pas de longue durée. Le ministère que Jésus leur avait confié pouvait au besoin s'accomplir en quelques jours. Il est possible aussi que l'évangéliste, omettant quelques événements intermédiaires, ait réuni les deux incidents d'après une connexion logique, pour achever d'un seul coup ce qu'il avait à dire des soixante‑douze et de leur œuvre. - Le récit paraît supposer que les disciples revinrent tous ensemble auprès de leur Maître. Rien n'empêche d'ailleurs que Jésus ne leur eût fixé un jour et un lieu précis de rendez‑vous. - Avec joie. La joie qui remplissait leurs cœurs se lisait sur leurs visages : elle va se manifester dans leurs paroles. - Les démons même nous sont soumis. Il y a une emphase visible dans ce « même ». On voit que les disciples ne s'attendaient pas au fait qu'ils exposent à Jésus avec une simplicité naïve, semblant mettre à l'arrière‑scène tous les autres actes de leur ministère. En réalité, si nous nous reportons à l'allocution du Sauveur, nous ne voyons pas qu'il leur eût conféré en termes exprès le pouvoir de chasser les démons (cf. v. 9). Et voici néanmoins que les possédés avaient été guéris quand on avait invoqué sur eux le nom du divin Maître. De là l'étonnement et la joie des disciples (le présent « sont soumis » indique une expérience récente).
Luc 10.18 Il leur répondit : "Je voyais Satan tombant du ciel comme la foudre. - Au retour des soixante‑douze disciples S. Luc rattache trois admirables paroles de Jésus. cf. v. 21 et 23. Les vv. 18-20 renferment la première. - Je voyais Satan… Assez généralement, les Pères (S. Cyprien, S. Ambroise, S. Jean Chrysostome, etc.), aiment à supposer que Jésus fait appel en ce passage à ses souvenirs et que, pour donner une leçon tacite d'humilité aux Soixante‑douze, trop humainement affectés de leur succès sur les démons, il leur propose le terrible châtiment de Lucifer, comme s'il leur eût dit : Défiez‑vous de l'orgueil, car c'est lui qui a précipité Satan de son trône glorieux. De mes propres yeux je l'ai vu autrefois tomber du ciel. Mais de grands exégètes catholiques, entre autres Maldonat, Corneille de Lapierre, Dom Augustin Calmet, s'accordent à penser, d'un côté que rien n'autorise à prendre en mauvaise part la joie et les paroles des disciples, de l'autre que l'intuition à laquelle Notre‑Seigneur fait allusion est loin de remonter si haut. Elle avait eu lieu, disent‑ils, pendant la mission même des Soixante‑douze. Ceux‑ci venaient de raconter joyeusement à leur Maître leurs glorieux triomphes sur les puissances infernales. Vous ne m'apprenez rien, répondit le Sauveur, car, vous suivant d'un regard prophétique, je voyais Satan dépossédé partout, sur votre parcours, de son pouvoir usurpé. Nous trouvons, comme Calmet, ce second sentiment « plus simple et plus littéral ». Dans tous les cas, quelle majesté dans cette courte description de Jésus. Pouvait‑il mieux dépeindre les effets merveilleux de son Incarnation, les victoires remportées par le royaume de Dieu sur le royaume de l'esprit mauvais ? « Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors » (Jean 12, 31). Et la parole de Jésus est toujours vraie. Le « je voyais » dure encore, puisque les bons prêtres continuent chaque jour l’œuvre des premiers disciples. - Tomber du ciel comme la foudre : magnifique métaphore, probablement empruntée à Isaïe, 14, 9-15. Ces mots expriment une chute rapide en même temps que la perte d'un grand pouvoir. cf. les figures analogues de Cicéron : « tomber des astres », ad Attic. Ep. 3, 21 ; « retrancher du ciel », Philippiens 2, 42.
Luc 10.19 Voilà que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions et toute la puissance de l'ennemi et elle ne pourra vous nuire en rien. - Selon le Textus receptus, Jésus confirmerait ici d'une manière formelle à ses disciples les pouvoirs dont ils avaient usé sans les avoir officiellement reçus ; selon les manuscrits Sin., B, C, L, X, etc., et la Vulgate, il leur explique les récents triomphes qui leur ont mis au cœur une joie si vive : Ne vous étonnez pas ; en réalité je vous avais armé d'une puissance irrésistible contre les démons. Les expressions employées par Notre‑Seigneur sont d'une vigueur remarquable. Elles représentent les envoyés évangéliques sous les traits de fiers conquérants qui foulent aux pieds, selon l'antique usage de l'orient (cf. Psaume 109, 1) et en signe d'une victoire totale, leurs ennemis vaincus. L'ennemi qu'elles désignent surtout, c'est Satan ; mais c'est aussi, d'une manière générale, toute l'armée de ce chef terrible, c'est‑à‑dire tous ses suppôts. Or, parmi les auxiliaires de Satan, Jésus mentionne en particulier (peut être par allusion au psaume 90, v. 13) les serpents et les scorpions, animaux redoutés, choisis à bon droit comme des spécimens frappants de tous les éléments naturels hostiles à notre espèce que les démons peuvent utiliser contre nous. La manière dont le Sauveur rattache à Satan tout ce qui, dans le monde présent, est capable de nous nuire, a quelque chose de très profond et de très instructif. Aussi la pensée du v. 19 nous semble‑t‑elle avoir été affaiblie par les exégètes qui ne voient dans les serpents et les scorpions que des emblèmes des esprits mauvais. - Rien ne pourra vous nuire. Les ambassadeurs du Christ demeureront inviolables parmi tant d'adversaires ; leur Maître le leur répétera quelque temps après sa résurrection, Marc. 16, 10.
Luc 10.20 Seulement ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux." - Seulement sert de transition à une nouvelle idée, qui nous ramène au v. 17, et met fin à la première parole de Jésus. - Ne vous réjouissez pas… Sous cette tournure hébraïque, il est aisé de reconnaître la vraie pensée du Sauveur. « Il ne reproche pas, mais il enseigne et conduit à la perfection. Il ne leur interdit pas de se réjouir de ce que les démons leur soient soumis, mais il les avertit de se réjouir davantage de ce que leurs noms sont inscrits dans le ciel », Maldonat, Comment. in Luc. 10, 17. Jésus suggère donc aux disciples un motif de joie supérieure et beaucoup plus parfaite. Chasser les démons n'est, comme disent les théologiens, qu'une grâce donnée gratuitement, qui ne prouve pas absolument l'amitié de Dieu (cf. Matth. 7, 22-23 ; 1 Corinthiens 13, 2). On peut la posséder et se damner quand même. Elle ne saurait constituer le vrai bonheur. Mais savoir qu'on est prédestiné, qu'on jouira sans fin de la vue de Dieu, voilà une source de joies solides auxquelles on peut se livrer sans réserve. - La belle figure vos noms sont écrits dans les cieux revient fréquemment dans la Bible. cf. Exode 32, 32 et ss. ; Ézéchiel 13, 9 ; Daniel 12, 1 ; Malachie 3, 16 ; Philippiens 4, 3 ; Apocalypse 3, 5 ; 13, 8, etc. Elle provient de la coutume immémoriale et universelle d'inscrire les citoyens d'une ville ou d'un état sur des registres spéciaux. Dieu est censé avoir pareillement son grand livre qui contient la liste de tous les élus. « Ce livre est la connaissance de Dieu par laquelle il a prédestiné ceux qu’il a d’avance élus », S. Augustin, in Psalm. 68, 29. Ainsi donc, sans image, « Il ne voulait pas que les disciples se réjouissent de l’avoir emporté sur les démons, mais du salut remporté de haute lutte », Tertull. adv. Marc., l. 4. cf. Jérémie 17, 13, où les impies sont menacés d'avoir leurs noms écrits sur la terre, sur le sable mouvant d'où ils disparaîtront bientôt.
Luc 10.21 Au même moment, il tressaillit de joie sous l'action de l'Esprit-Saint et il dit : "Je vous bénis, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et les avez révélées aux petits enfants. Oui, je vous bénis, ô Père, de ce qu'il vous a plu ainsi. 22 Toutes choses m'ont été données par mon Père et personne ne sait ce qu'est le Fils, si ce n'est le Père et ce qu'est le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler." - Seconde parole rattachée par Jésus au retour des Soixante‑douze. Elle consiste en une louange qu'il adresse à son Père, v. 21, et en une révélation sur les liens étroits qui l'unissent au Père céleste, v. 22. Nous la retrouvons textuellement dans S. Matth. 11, 25-27. Pour l'enchaînement nous donnons ici encore la préférence à S. Luc qui fixe une date plus précise : en cette heure même, au lieu du vague en ce même temps de S. Matthieu. - Il tressaillit : précieux détail, propre à notre évangéliste. Le verbe grec désigne, comme son corrélatif latin, un sentiment de vive jouissance qui inonda toute l'âme de Jésus, et occasionna ce divin épanchement. « L’évangéliste a eu tout a fait raison de dire il tressaillit. L’exultation, le tressaillement de joie, signifie une sorte de saut hors de soi, quand, par exemple, à cause de la surabondance de la joie intérieure, les signes de la joie font éclater les portes », Stella. Cette allégresse de Jésus ne fut pas le résultat d'un mouvement purement humain : elle fut produite en son cœur par l'Esprit Saint lui‑même, ajoute S. Luc. - Je vous bénis… cf. commentaire S. Matth. Notre‑Seigneur Jésus‑Christ loue Dieu, son Père bien‑aimé, pour deux détails spéciaux de sa conduite providentielle. 1° Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents (sages et prudents selon la chair) ; 2° vous les avez révélées aux petits (moraux, c'est‑à‑dire aux humbles). Voyez 1 Cor 1, 23 et ss., le motif de ces étonnantes « faiblesses de Dieu », comme les appelle Tertullien dans son langage énergique (contr. Marc., l. 2, c. 27). Ainsi donc, « à l'orgueil de l'intelligence il est répondu par l'aveuglement ; à la simplicité du cœur qui veut la vérité, par la révélation » Gess (Lire Bossuet, Panégyrique de S. François d'Assise). - Oui, je vous bénis, Père. Jésus s'arrête un moment, afin de se réjouir à la pensée qu'il a plu au Seigneur d'agir ainsi plutôt que de toute autre manière. - Les lignes suivantes (v. 22), sont du plus grand prix pour le dogme catholique, car elles affirment aussi nettement que possible la nature divine de Jésus. Mais elles jettent les rationalistes dans un embarras facile à comprendre. Pour s'en défaire, ils ont recours à leurs moyens accoutumés, rien moins que scientifiques. C'est une « intercalation tardive » s'écrie M. Renan. M. Réville, Histoire du dogme de la divinité de Jésus‑Christ, p. 17, les attribue de même « à l'influence d'une théologie ultérieure ». Mais ce n'est pas par des assertions fantaisistes qu'on renversera les textes de l'Évangile. - Le Christ Jésus a reçu de Dieu son Père la toute‑puissance ; il n'est connu que par son Père d'une manière adéquate ; seul il connaît à fond la nature de son Père : telles sont les trois vérités que Notre‑Seigneur daigne nous dévoiler dans ce passage. Les mots et celui à qui le Fils aura voulu le révéler sont bien consolants pour nous. Prions‑le de nous faire dans le temps et dans l'éternité cette précieuse révélation.
Luc 10.23 Et se tournant vers ses disciples, il leur dit en particulier : "Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez. 24 Car, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu." - Troisième parole de Jésus. S. Matthieu, qui la cite également, 13, 16-17 (voyez le commentaire), la rattache aux paraboles du royaume des cieux, lesquelles demeuraient cachées pour la foule, mais que le Sauveur expliquait à ses disciples. - Se tournant vers ses disciples : détail pittoresque. Tandis qu'il parlait à son divin Père, Jésus avait sans doute tenu ses yeux élevés vers le ciel. Maintenant il se retourne vers les siens, pour les féliciter de ce qu'ils comptaient parmi les privilégiés à qui Dieu avait fait de bienheureuses révélations (v. 21). - Ce que vous voyez… Le prénom vous, répété à deux reprises devant voyez, est plein d'emphase. Vous, mes disciples si favorisés. Quelles merveilles leurs yeux ne purent‑ils pas contempler en Jésus. « Nous avons vu sa gloire », s'écriera S. Jean avec un enthousiasme bien légitime. - Beaucoup de prophètes et de rois. Dans le passage parallèle de S. Matthieu, on lit : « Beaucoup de prophètes et de justes ». Parmi les rois juifs qui avaient ardemment souhaité voir la personne sacrée du Messie, nous pouvons nommer David, Salomon à ses beaux jours, Ézéchias. Maïmonide (in Sanhedr. 11, 1) disait aussi que « les prophètes et les hommes saints avaient vivement souhaité de voir les jours du Messie ».
Luc 10, 25-27. Ce n'est pas sans surprise qu'on voit des critiques intelligents, tels qu'Ewald, de Wette, Baumgarten‑Crusius, Sepp, etc., identifier l'épisode du bon Samaritain avec le fait raconté plus tard par S. Matthieu, 22, 34-40, et par S. Marc, 12, 28-34. Le début seul présente quelques analogies ; mais soit pour la date, soit pour la suite du récit, les dissemblances sont aussi frappantes que possible. - Dans ce passage, le style de S. Luc est d'une pureté qu'on a souvent admirée. D'assez nombreuses expressions y sont employées qui n'apparaissent pas ailleurs dans le Nouveau Testament.
Luc 10.25 Et voici qu'un docteur de la Loi, s'étant levé, lui dit pour l'éprouver : "Maître, que ferai-je pour posséder la vie éternelle ?" - Et voici… Formule pittoresque. L'évangéliste ne précise ni le lieu ni l'époque de l'incident, il se contente de l'aligner à la suite du retour des Soixante‑douze, qu'il suivit probablement de près. - Un docteur de la loi. « Docteur de la loi » et « scribe » sont équivalents, nous avons vu déjà que S. Luc use plus volontiers du premier de ces deux titres. - S’étant levé : autre détail pittoresque, duquel on a conclu, et ce semble à bon droit, que la scène se passa dans une maison. Jésus parlait sans doute, et ceux qui l'écoutaient étaient assis autour de lui. Tout à coup le scribe se lève pour proposer une question ; mais son mobile n'était pas pur, ainsi qu'il résulte de la remarque pour l’éprouver. Il avait donc une arrière‑pensée insidieuse, espérant, par exemple, que Jésus rehausserait un divin précepte aux dépens des autres, ou qu'il dirait quelque chose de contraire aux traditions reçues, ce qui fournirait aussitôt la matière d'une accusation. - Que dois‑je faire pour posséder la vie éternelle ? Le jeune homme riche adressera bientôt, 18, 18 et parall., une demande identique à Notre‑Seigneur, mais dans un but pratique et sérieux. Posséder : mieux, hériter, la vie éternelle étant comparée à un magnifique héritage que le Seigneur donnera aux élus. cf. Matth. 5, 5 et le commentaire.
Luc 10.26 Jésus lui dit : "Qu'y a-t-il d'écrit dans la Loi ? Qu'y lis-tu ?" - Jésus, ainsi interrogé, aimait à poser au questionneur une contre‑question « Car il n’était pas digne de la moindre réponse celui qui n’interrogeait pas en toute sincérité », Maldonat. C'est d'ailleurs une méthode très naturelle, que les professeurs emploient souvent pour répondre aux objections de leurs disciples. - Qu’y a‑t‑il d’écrit dans la loi ? « Dans la loi » est mis en avant par emphase. Docteur de la loi, que vous dit la loi sur ce point ? Chargé par vos fonctions d'enseigner la Thora, vous devez savoir mieux que personne ce qu'elle enseigne. Qu'y lis‑tu ? répète le Sauveur, usant d'une locution souvent employée par les Rabbins quand, dans une discussion, ils demandent à leurs adversaires une citation de l'Écriture.
Luc 10.27 Il répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur, de toute ton âme, de toute tes forces et de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même." - La réponse du légiste est exacte, car nous verrons dans un instant qu'il n'avait pas compris le sens complet des paroles qu'il cite. C'est la réponse donnée par Jésus lui‑même à un autre Docteur en des circonstances analogues, Marc. 12, 29-31. Elle se compose de deux textes bibliques réunis, Deutéronome 6, 5 et Lévitique 19, 18. Voyez‑en l'explication détaillée dans S. Matth. et S. Marc.
Luc 10.28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu, fais cela et tu vivras." - Tu as bien répondu, lui réplique Jésus ; en effet, il avait donné un excellent sommaire de la loi juive, unissant comme deux parties inséparables le précepte de l'amour du prochain et le précepte de l'amour de Dieu. Toutefois, bien répondre ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle ; voilà pourquoi le Sauveur ajoute : fais cela, et tu vivras. Pratiquez les commandements que vous avez mentionnés avec tant d'à‑propos, et vous vivrez de cette vie éternelle au sujet de laquelle vous m'interrogiez. cf. Romains 12, 10 ; 13, 8 ; Galates 5, 13. - Excellente réflexion morale de Bède le Vénérable : « En répondant au docteur de la loi, le Sauveur nous montre le chemin parfait de la vie céleste ».
Luc 10.29 Mais cet homme, voulant se justifier, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?" - Le légiste, mis dans l'embarras par la direction inattendue que Jésus venait de donner à l'entretien, avait réellement à s'excuser, à se justifier devant toute l'assistance d'avoir voulu entamer une controverse sur une prétendue difficulté qu'il avait ensuite lui‑même si promptement et si aisément résolue. Essayant donc de montrer que sa première question n'était pas aussi vaine qu'elle pouvait le paraître, les termes de la Loi manquant parfois de clarté et ayant besoin d'un commentaire, il ajoute : Et qui est mon prochain ? Relativement à Dieu mes obligations sont claires : je le reconnais ; mais il n'en est pas de même concernant le prochain. Tout d'abord, quel est‑il, ce prochain que je dois aimer comme moi‑même ? Voilà bien le Juif d'alors, aux sentiments étroits et particularistes, ne voulant pas admettre, les Talmuds en font foi, que tous les hommes sont ses frères en Dieu, établissant au contraire de vastes catégories d'exceptions. Par exemple, Ioma, 1, 7, il est permis à un Juif d'enlever, en un jour de sabbat, les décombres qui sont tombées sur un autre Juif ; la même opération est expressément interdite s'il s'agit d'un païen. Un passage du livre Aruch va jusqu'à dire que les païens ne sont pas compris dans le mot « prochain ». Mais ne nous irritons pas trop contre cette question étrange, puisqu'elle nous a valu « l'une des plus belles pierre précieuse de l'Évangile » (Curci). cf. Wiseman, Mélanges religieux, etc., 1, les Paraboles du N. T., p. 52 et ss.
Luc 10.30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba entre les mains des brigands, qui le dépouillèrent et l'ayant chargé de coups, se retirèrent, le laissant à demi-mort. - Jésus reprit : expression solennelle pour introduire la parabole. Notre‑Seigneur, cette fois encore, ne fera pas au scribe une réponse directe ; mais il saura lui démontrer, par un exemple dramatique, plus clair et plus saisissant que les plus belles théories, quelle est l'extension du précepte de l'amour du prochain. - Un homme. La nationalité de cet homme est laissée à dessein dans le vague.« Jésus a bien fait d’utiliser un terme générique, car son discours s’appliquait à toute l’humanité », Chaîne des Pères Grecs La morale de l'histoire n'en sera que plus évidente. Néanmoins, il ressort du contexte (il descendait de Jérusalem à Jéricho) et les exégètes admettent généralement qu'il était juif. Seul, et sans raison aucune, Olshausen en fait un païen. - Il descendait de Jérusalem à Jéricho. Le verbe descendait est ici d'une parfait exactitude, car l'on sait que la ville de Jéricho, bien qu'elle ne soit séparée de Jérusalem que par une distance de 7 heures de marche, est située à moins 274 mètres par rapport au niveau de la mer alors que la capitale juive est à une altitude de 754 mètres : le dénivelé est donc de 1028 mètres. La route qui unit les deux cités a toujours joui d'une réputation tristement célèbre. Elle traverse un affreux désert, où les collines calcaires dénudées, d'une blancheur éblouissante quand le soleil les éclaire, alternent avec des vallées sans eaux, et également dénudées. Voyez Lamartine, Voyage en Orient. Mais elle est encore plus dangereuse que pénible. S. Jérôme, De locis hebraicis (s.v. Adummim), assure qu'elle portait le nom d'Adummim (cf. Josué 15, 7 ; 18, 17) par allusion au sang humain répandu par les bandits. Ailleurs (In Jerem. 3, 2) il ajoute : « Les Arabes, gens adonnés à la piraterie, envahissent aujourd’hui encore la Palestine, et bloquent les routes de Jérusalem à Jéricho ». Et elle demeura longtemps autant infestée de brigands qu'à l'époque de Jésus et de S. Jérôme. On courrait le risque, à quelque détour de chemin, ou derrière une anfractuosité de rocher, ou dans un étroit défilé, d'avoir le sort du malheureux Juif dont parle la parabole. - La conduite cruelle de ces bandits est décrite en termes pittoresques. 1° Ils le dépouillèrent de tout, même de ses vêtements, ainsi que faisaient encore les Bédouins de cette région. 2° Comme il résistait, ils le frappèrent sans pitié. 3° Enfin ils le laissent étendu sans connaissance, exposé à une mort certaine s'il ne lui arrivait un prompt secours.
Luc 10.31 Or, il arriva qu'un prêtre descendait par le même chemin, il vit cet homme et passa outre. - A côté du blessé le divin narrateur amène coup sur coup trois hommes, un prêtre juif, un lévite et un Samaritain, dont il dépeint la conduite de la manière la plus graphique. - Or il arriva… : hasard tout providentiel assurément. - Un prêtre descendait… Ce prêtre va donc, lui aussi, de Jérusalem à Jéricho. Tout porte à croire qu'il avait son domicile dans cette dernière cité, car, bien qu'elle ne fût pas une ville sacerdotale, nous savons que des milliers de prêtres et de lévites y résidaient alors. Il y retournait tranquillement, après avoir passé au temple sa semaine d'office. Voyez Luc. 1, 8, 23 et le commentaire. - L'ayant vu il passa outre. Le verbe grec choisi pour exprimer ce départ inhumain est d'une grande rigueur : il passa outre vis‑à‑vis de lui. Ce prêtre avait de nobles sentiments. Il aperçoit un homme étendu sur la route et il passe.
Luc 10.32 De même un lévite, étant venu dans ce lieu, s'approcha, le vit et passa outre. - La conduite du lévite sera pire encore. Parvenu sur le théâtre du crime, il fait un mouvement de plus que le prêtre : il s'approche du blessé pour mieux voir, tandis que le premier passant était resté de l'autre côté du chemin. Sa curiosité a donc été éveillée ; mais son cœur demeure glacé. Et pourtant la loi juive contenait ce texte formel : « Si tu vois l’âne ou le bœuf de ton frère tomber en chemin, tu ne le mépriseras pas, mais aideras ton frère à le relever », Deutéronome 22, 4 (cf. Exode 23, 5). Que ne devait‑on pas faire pour un frère malheureux.
Luc 10.33 Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui et, le voyant, fut touché de compassion. - Quel contraste. Tacite a beau vanter la miséricorde que les Juifs se témoignaient entre eux (Hist. 5, 5 : Ils s'empressent de s'entre‑aider) : un prêtre et un lévite ont laissé, sans lui porter secours, un de leurs coreligionnaires mourant sur le grand chemin. Mais voici qu'un Samaritain va faire avec amour ce qu'ils ont négligé honteusement. Un Samaritain. Ce nom signifiait pour les Juifs un ennemi national, un excommunié, un homme pire qu'un païen. Nous lisons en effet au livre de l'Ecclésiastique, 50, 27-28 : « Il est deux nations que mon âme déteste, et il en est une troisième que je ne puis souffrir : ceux qui habitent les montagnes de Séir, les Philistins et le peuple insensé qui réside à Sichem ». Ce héros de notre touchante histoire ne vient pas de la capitale juive, que les Samaritains ne fréquentaient guère ; le texte sacré nous le représente simplement sous les traits d'un voyageur ordinaire. Comme le prêtre, il aperçoit le blessé ; comme le lévite, il s'en approche : mais il éprouve un sentiment qui n'avait pénétré dans le cœur ni du prêtre ni du lévite, sentiment qui va lui dicter les actes généreux décrits dans les deux versets suivants. « Celui qui fait don de choses matérielles, communique une chose qui est extérieure à lui‑même. Celui qui donne au prochain des pleurs et de la compassion lui donne quelque chose qui vient de lui‑même », S. Grégoire (Moral. 20, 36). Le Samaritain commença donc par donner ce qu'il avait de mieux, la pitié de son cœur. Et pourtant il avait dû reconnaître que le blessé était un Juif, un ennemi de sa nation.
Luc 10.34 Il s'approcha, pansa ses plaies, après y avoir versé de l'huile et du vin, puis il le mit sur sa propre monture, le mena dans une hôtellerie et prit soin de lui. - Sans s'arrêter à la pensée que les brigands ne sont peut‑être pas loin et qu'il court lui‑même un grand danger, il se met à panser de son mieux les plaies du malheureux. Les bander était bien la première opération à faire, pour arrêter l'hémorragie. Tout en s'y livrant, le Samaritain versait le mélange de vin et d'huile qui a depuis porté son nom (baume du Samaritain). C'est là du reste un grand remède de l'antiquité, et il convenait à merveille dans le cas actuel, le vin étant un abstersif qui devait purifier les plaies, l'huile un linitif qui en pouvait calmer l'irritation. « Les fractures d’os d’animaux domestiques ne se soignaient pas autrement que celles des jambes humaines. On les entourent de lainages imbibés d’huile et de vin. », Columelle, 7, 5, 18. « Des laines engraissées avec de l’huile et du vin fournissent plusieurs remèdes », Pline, Hist. Nat. 29, 9. Les Orientaux voyagent rarement sans emporter avec eux une petite provision de ces deux liquides. Cf. Genèse 28, 18. - Il le mit sur sa propre monture… Il allait donc lui‑même à pied, soutenant doucement le malade. - Il le mena dans une hôtellerie. Le mot grec désigne une auberge proprement dite, où l'on peut se procurer des vivres en même temps que le couvert, et pas seulement un caravansérail oriental, qui ne fournit que le simple gîte. C'est au Khan Hadrour, dont les ruines sont situées à mi‑chemin entre Jérusalem et Jéricho, que la tradition conduit les deux héros de la parabole.
Luc 10.35 Le lendemain, tirant deux deniers, il les donna à l'hôte et lui dit : Aie soin de cet homme et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. - Compatissant pour le passé, tendrement serviable dans le présent, le bon Samaritain songe aussi à l'avenir du pauvre blessé. Le lendemain donc, obligé de se remettre en route, il tira de sa bourse deux deniers. La somme remise à l'hôtelier correspondait alors à la solde de deux journées de travail ; elle devait suffire pour défrayer les dépenses du malade deux jours durant, et le Samaritain supposait que, ce délai passé, il n'aurait plus besoin d'aucun secours. Au reste, le généreux bienfaiteur est prêt à compléter au besoin son œuvre de miséricorde : tout ce que tu dépenseras de plus... Quel beau type de la charité chrétienne : Mais aussi, quel saisissant portrait de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même. En effet, « les Pères unanimes ont reconnu dans cette parabole un sens mystique. Le Juif qui descend de Jérusalem à Jéricho, et qui est dépouillé et laissé pour mort, est Adam notre premier père qui, par son péché, est déchu de son innocence, et a perdu toutes les grâces que Dieu lui avait données en le créant (ou, mieux encore, « Cet homme….désigne le genre humain qui, désertant la cité céleste dans nos premiers parents, s’est affaissé dans la misère de ce siècle et de l’exil, a été, par la fraude de l’ennemi antique, spolié de sa robe d’innocence et d’immortalité, et grièvement blessé par les vices émanant du péché originel », Hugo de S. Victor, Annotat. in Luc., h. l.). Les voleurs qui le blessent et le dépouillent sont les démons. Le prêtre et le lévite qui passent sans secourir ce misérable représentent la loi de Moïse, avec tous ses sacrifices et ses cérémonies, incapables de guérir nos blessures. Le charitable Samaritain est Jésus‑Christ. L'hôtellerie où il porte son malade est l'Église. L'huile et le vin sont les sacrements… Ceux à qui il recommande le blessé sont les pasteurs de l'Église ». D. Calmet, Comment. littéral sur S. Luc, 10, 30 (voyez les textes des SS. Pères dans la Chaîne d'or de S. Thomas, dans Cornelius a Lapide). La parabole du bon Samaritain a également attiré l'attention des peintres. J. Fr. Gigoux et Vanloo en ont représenté d'une manière assez heureuse la scène principale.
Luc 10.36 Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de l'homme qui tomba entre les mains des brigands ? - Pour la seconde fois (cf. vv. 25, 26, 29) Jésus répond à une question du Légiste par une contre‑question. Jusqu'au bout cet homme est condamné à résoudre lui‑même le problème qu'il avait soulevé avec des intentions si peu avouables. Il semble néanmoins, à première vue, que Notre‑Seigneur n'emploie pas le mot prochain dans le sens qu'exigerait la parabole. Duquel de ces trois hommes le blessé a‑t‑il été le prochain ? Qui d'entre eux l'a traité comme son prochain ? Tel ne devrait‑il pas être le tour donné à l'interrogation ? Peut‑être, si Jésus eût voulu suivre sa pensée en toute rigueur. Mais, comme le disait S. Augustin, de Doctrina christ., l. 1, c. 30, « le nom même suppose le rapport mutuel de deux êtres ; nous ne pouvons être le prochain de quelqu'un, qu'il ne soit le nôtre ». Le nom de prochain impliquant la notion de réciprocité, il n'y avait pas le moindre inconvénient à renverser les termes, et, de la sorte, le Sauveur montrait avec plus de force à son antagoniste que la différence de religion, les préjugés de race, les haines invétérées, etc., toutes choses qui séparaient les Juifs des Samaritains, n'empêchent pas les hommes d'être vraiment « prochain » les uns à l'égard des autres.
Luc 10.37 Le docteur répondit : "Celui qui a pratiqué la miséricorde envers lui." Et Jésus lui dit : "Toi aussi, va et fais de même." - Il eût été plus simple de répondre : « le Samaritain ». Mais le Scribe ne peut se résoudre à prononcer ce mot abhorré ; il fait donc usage d'une circonlocution. Tant mieux d'ailleurs, car, en parlant ainsi, il entrait plus intimement dans la pensée de Jésus ; il énonçait un principe, au lieu de s'arrêter à un fait isolé. - Vas et fais de même. De nouveau (cf. v. 28), le divin Maître invite le Scribe à l'action, conformément du reste à la première demande de celui‑ci (v. 25). Allez et imitez ce modèle. La difficulté qu'il avait proposée est en effet une de celles dont a dit avec tant de justesse que « le problème est résolu si l'on aime ». - Le temps n'a rien enlevé de sa vérité, de sa beauté, à la pressante injonction de Jésus. Les païens pouvaient bien affirmer brutalement qu'un homme est comme un loup pour un autre homme qui ne le connaît pas. La religion instituée par Jésus ne voit dans les hommes que des frères auxquels elle prescrit de s'entr'aimer toujours.
Marthe et Marie. Luc 10, 38-42.
Nous avons ici, en quelques lignes, une belle étude psychologique de S. Luc. Le caractère des deux sœurs est tracé de main de maître. C'est aussi d'une manière magistrale que S. Augustin, de Verbis Domini, Serm. 27, et S. Bernard, In Cantic. Serm. 7, ont commenté ce récit, et que Jouvenet, Lesueur, Ary Scheffer, l'ont reproduit avec leur pinceau.
Luc 10.38 Pendant qu'ils étaient en chemin, Jésus entra dans un village et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison.- Pendant qu'ils étaient en chemin : Cette date générale nous fait souvenir que Jésus est en route pour Jérusalem. cf. 9, 51, 57 ; 10, 1. - Il entra dans un village. « S. Luc ne nomme pas ce bourg, mais S. Jean dit son nom et l'appelle Béthanie. » Origène. cf. Jean 11, 1 et 12, 1. Notre‑Seigneur s'était donc bien rapproché à cette époque de la capitale juive, aux portes de laquelle était situé le tranquille village habité par Marthe et Marie. Il y était venu à l'occasion d'une des fêtes mentionnées par S. Jean, 7, 2, 10 ; 10, 22. - Une femme nommée Marthe. Ce nom, qui n'apparaît nulle part dans l'Ancien Testament, est mentionné par Plutarque (Marius, 17) comme celui d'une prophétesse juive qui accompagne le fameux général romain dans plusieurs de ses campagnes. Sa forme n'est pas hébraïque, mais araméenne. Il est probable que ce n'était pas la première fois que Jésus faisait à Marthe l'honneur de séjourner dans sa maison : la scène entière suppose au contraire des relations antérieures familières.
Luc 10.39 Elle avait une sœur, nommée Marie, qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole, - Sur l'identité de Marie, sœur de Marthe, avec Marie Madeleine, voyez 7, 50 et le commentaire. Le frère de Marthe et de Marie, S. Lazare, n'apparaît pas plus dans le troisième Évangile que dans les narrations de S. Matthieu et de S. Marc. Il était réservé à S. Jean de décrire les liens étroits qui l'unissaient à Jésus et le glorieux miracle de sa résurrection. - Assise aux pieds de Jésus. Le texte latin insinue que plusieurs personnes étaient alors assises auprès de Jésus. L'attitude de Marie est désignée d'une manière pittoresque par les mots aux pieds de Jésus. Les anciens auteurs juifs (cf. Actes 22, 3) disent que les disciples se tenaient ainsi accroupis à la façon orientale aux pieds de leurs maîtres, par humilité et par respect. - Écoutait sa parole. Elle écoutait Jésus dans une sainte quiétude, recueillant avidement chacun des paroles du Maître bien‑aimé. Marie, sœur de Marthe et de Lazare, aura bien le même caractère dans le quatrième Évangile : nous l'y retrouverons avec sa nature calme, son âme contemplative, et son cœur livré tout entier à Jésus.
Luc 10.40 tandis que Marthe s'empressait aux divers soins du service. S'étant donc arrêtée : "Seigneur, dit-elle, cela ne vous fait rien que ma sœur me laisse seule pour faire le service ? Dites-lui donc de m'aider." - Marthe aussi reviendra dans le récit de S. Jean avec le caractère bien tranché que nous lui voyons ici, et qui forme un contraste si frappant avec celui de Marie. Quelle différence en effet entre ces deux sœurs, et dans les manifestations de leur amitié pour Jésus. Pour mieux opposer au repos de l'une la fiévreuse activité de l'autre, S. Luc emploie une expression des plus énergiques, quoique très élégante : elle était tirée en divers sens, allant, venant, s'inquiétant, s'agitant, comme le font les maîtresses de maison aux jours où elles reçoivent de grands et de nombreux personnages. Jésus était sans doute accompagné de ses disciples, ce qui ne devait pas diminuer la sollicitude hospitalière de sainte Marthe. Voilà donc les deux sœurs, profondément dévouées l'une et l'autre au Sauveur, mais l'honorant par des procédés si divers. « Pour préparer un repas au Sauveur, Marthe s'occupait de soins nombreux ; Marie sa sœur aima mieux être nourrie par lui ; elle laissa donc Marthe aux occupations multipliées du service, et pour elle, elle s'assit aux pieds du Seigneur et écoutait tranquillement sa parole… L'une des deux sœurs s'agitait, et l'autre était à table ; l'une préparait beaucoup et l'autre n'envisageait qu'une chose ». - S'étant donc arrêtée. Le verbe grec semble indiquer d'abord un mouvement de Marthe pour s'approcher de Jésus, puis un brusque arrêt auprès de l'hôte auguste. Son langage, respectueux et familier tout ensemble, exprime alternativement une plainte et un désir. Elle se plaint du Seigneur lui‑même : cela ne vous fait rien… ; mes soucis ne vous inquiètent guère. Des mots suivants, ma sœur me laisse seule…, nous pouvons induire que Marie, après avoir aidé sa sœur pendant quelque temps, l'avait ensuite laissée, pour venir prendre aux pieds du Maître la position dans laquelle nous l'a montrée l'évangéliste. Elle avait compris qu'elle honorait ainsi beaucoup mieux Notre‑Seigneur, et qu'elle mettrait plus parfaitement à profit le temps précieux de sa visite. - Dites‑lui donc… demande Marthe comme conclusion de son observation plaintive. Elle n'ose ordonner elle‑même à Marie de quitter sa place d'honneur, craignant, ou de recevoir un refus, ou plutôt de manquer de respect au divin Maître qui conversait avec elle ; mais elle pense tout concilier en priant Jésus d'interposer son autorité.
Luc 10.41 Le Seigneur lui répondit : "Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous agitez pour beaucoup de choses. - Marthe, Marthe… Répétition pleine de gravité, comme plus loin Simon, Simon (22, 31), pour introduire un affectueux reproche. - Vous vous inquiétez et vous agitez… « Le Seigneur répondit à Marthe pour Marie ; et il devint son avocat celui‑là même qui avait été interpellé », S. Aug. de Verb. Dom. Le Seigneur blâme doucement la sœur mécontente, de ce qu'elle est en ce moment trop préoccupée, trop troublée. Les deux verbes qui décrivent cette surexcitation de Marthe dans le texte grec sont très expressifs. Le premier représente la sollicitude intérieure poussée à un degré extrême ; le second se dit de l'agitation extérieure (les classiques l'emploient pour désigner l'eau trouble).
Luc 10.42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée." - Belle et riche paroles. Mais les exégètes ne sont d'accord ni sur sa forme primitive, ni sur sa signification réelle. Nous ne notons que comme une curiosité d'exégèse l'opinion de Nachtigall et de Stolz, selon laquelle Jésus aurait voulu dire à Marthe : Une seule d'entre vous suffit pour le service ; laissez donc votre sœur auprès de moi ! La pensée du Sauveur doit être plus profonde. Toutefois, des auteurs importants, anciens et modernes (S. Basile, S. Cyrille, Théophylacte, Corneille de Lapierre ; Wetstein, etc.) la rendent encore moins profonde : « A quoi bon tant de choses ? Un seul plat ne suffirait‑il pas ? » Il y a, dans cette interprétation littérale, je ne sais quoi de trivial, qui ressemble à un manque de goût et qui paraît peu digne de Jésus. Aussi vaut‑il mieux, avec la plupart des exégètes, prendre cette « chose » au sens figuré : Une seule chose est nécessaire, la vie de l'âme, le divin amour, la pensée du ciel et du salut ; le reste n'est qu'accessoire et on doit le rejeter au second rang. Et pourtant ce sens, quoique plus relevé, n'est pas encore le plus exact parce qu'il est trop général. La vraie pensée de Jésus se trouve mieux indiquée par la suite de ses paroles. Dans l'éloge qu'il fait de Marie, le Sauveur commente en effet lui même, en affirmant implicitement que la sœur de Marthe pratiquait alors « l'unique nécessaire », qui consiste par conséquent à se livrer sans réserve à l'amour de Jésus, à oublier pour lui les choses extérieures. - Marthe a choisi la meilleure part. « La meilleure » : donc celle de Marthe n'était pas mauvaise en elle‑même, comme l'observaient déjà les SS. Pères, quoiqu'elle fût d'une nature inférieure. « Le Seigneur ne blâma pas l’œuvre, mais établit une distinction entre les devoirs », S. August. Serm. 27 de Verbis Domini. « Le bon travail de Marthe n’a pas été blâmé, mais il a été enlevé à Marie parce qu’elle avait choisi une part meilleure », S. Ambr. h. l. - Qui ne lui sera pas retirée. En effet, dit encore S. Augustin, « Elle a choisi ce qui demeurera toujours. Elle s’assoyait aux pieds de notre Tête. Plus elle s’humiliait en s’assoyant, plus elle comprenait. L’eau se retire dans l’humilité d’une vallée encaissée ». En effet, les doux entretiens avec Jésus peuvent durer toujours ici‑bas, et ils ne cesseront jamais au ciel. - Dans Marthe et dans Marie, telles que nous les présente cet épisode, nos grands mystiques ont vu, et à bon droit, les types de la vie active et de la vie contemplative. Marie la Carmélite, Marthe la sœur de charité ; Marie qui a plus trait de ressemblance avec l'apôtre S. Jean, Marthe l'émule de Pierre ; Marthe qui veut donner beaucoup, Marie qui ouvre son âme pour recevoir beaucoup de Jésus. Rôles beaux, quoique divers. C'est la Providence de Dieu qui les départit à chacun. Ils se complètent l'un l'autre, et la main active de Marthe, associée au cœur aimant et calme de Marie, a produit des merveilles dans l'Église et dans la société. Quoique la part de Marie ait quelque chose de plus céleste, le mieux, dans les situations ordinaires, est d'unir les natures de Marthe et de Marie.
Luc 11.1 Un jour que Jésus était en prière en un certain lieu, lorsqu'il eut achevé, un de ses disciples lui dit : "Seigneur, apprenez-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples." - C'est là une des courtes introductions historiques dont S. Luc accompagne fréquemment les discours de Jésus. Le temps et le lieu sont laissés dans le vague, comme des circonstances secondaires, ou plutôt ils sont déterminés d'une manière générale par le contexte. La scène se passe aux environs de Béthanie (cf. 10, 38 et le commentaire), probablement sur le versant occidental de la montagne des Oliviers, non loin du sommet, au S. O. de Kefr‑el‑Tour, comme l'enseigne la tradition. L'époque est celle du grand voyage de Jésus à Jérusalem peu de temps avant sa Passion, 9, 51 et ss. - Il priait. Nouvelle prière du Dieu fait homme mentionnée seulement dans le troisième Évangile. Elle servit d'occasion à l'entretien qui va suivre. Rien ne prouve que Jésus la fit à haute voix, comme l'ont pensé divers exégètes (Stier, Plumptre, etc.). - Lorsqu'il eut achevé : détail pittoresque. Au moment même où Jésus, ayant achevé sa prière, se rapprochait de ses disciples, l'un d'eux (ce devait être un des Soixante‑Douze, car les Apôtres connaissaient déjà le Notre Père) lui fit cette demande touchante : Apprenez‑nous à prier, c'est‑à‑dire, comme il ressort des mots suivants : Enseignez‑nous une formule spéciale de prière, que nous réciterons en souvenir de vous, et qui renfermera le meilleur abrégé des supplications que nous puissions adresser à Dieu. - Comme Jean l'a appris… Allusion précieuse à un détail de la vie du Précurseur. On ne sait pas quelle était cette forme de prières que S. Jean‑Baptiste avait donnée à ses disciples ; mais il y a lieu de croire qu'elle portait principalement sur la manifestation du Messie, qui était le principal objet de la prédication et de la mission du Précurseur, et sur les dispositions du cœur et de l'esprit nécessaires pour le recevoir. « Plaise à Dieu qu'il vienne. » dirons‑nous avec Maldonat. Au reste, cela a toujours été la coutume des Saints, comme autrefois celle des Rabbins célèbres, de laisser quelque prière caractéristique à leurs amis.
Luc 11.2 Il leur dit : "Lorsque vous priez, dites : Père, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive. - Jésus accueille la requête des siens avec sa bonté ordinaire, et, lentement, pieusement, il se met à réciter devant eux la formule divine à laquelle on a donné son nom (l' « oraison dominicale », ou prière du Seigneur). C'était la seconde fois qu'il la prononçait, comme l'admettent la plupart des exégètes. Déjà elle avait fait partie intégrante du Discours sur la montagne, Matth. 6, 9-13 ; il la répète aujourd'hui, soit pour la mieux graver dans le cœur de ses disciples et de son Église, soit pour montrer qu'on n'en saurait composer de plus belle. Mais, en la répétant, il l'abrège et la modifie légèrement :
Mth. Notre Père, Luc. Père.
Mth. qui êtes aux cieux : omis par S. Luc
Mth. que votre nom soit sanctifié.
Luc. que votre nom soit sanctifié.
Mth. Que votre règne arrive.
Luc. que votre règne arrive.
Mth. que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel : omis par S. Luc
Mth. Donnez-nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance.
Luc. Donnez-nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance.
Mth. Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à ceux qui nous doivent. Luc. et remettez-nous nos offenses, car nous remettons nous-mêmes à tous ceux qui nous doivent.
Mth. Et ne laisse pas entrer en tentation.
Luc. et ne nous induisez pas en tentation.
Mth. mais délivrez-nous du mal : omis par S. Luc .
Le second Notre Père n'a donc que cinq demandes au lieu de sept : mais la troisième et la septième, qu'il omet, ne sont‑elles pas comprises dans « Que votre règne arrive » et « ne nous induisez pas en tentation », comme le faisait déjà remarquer S. Augustin (Enchirid. c. 116) ? Aussi, quand l'exégète protestant H.W. Meyer a voulu conclure de ces variantes que l'Église primitive ne récitait pas l'Oraison dominicale, et que, pour ce motif, la tradition oublieuse avait communiqué aux évangélistes deux textes différents du Notre Père, un autre protestant, Alford, lui la fermé la bouche par cette question habile : « Si l'Église apostolique n'employait pas la Prière du Seigneur comme formule, quand donc a commencé l'usage du Notre Père, puisque nous le trouvons dans toutes les liturgies connues ? ». C'est de Notre‑Seigneur lui‑même que proviennent les dissemblances signalées plus haut. - Pour l'explication détaillée, nous renvoyons le lecteur à notre commentaire du premier Évangile. Nous nous bornerons ici à quelques notes rapides. Rappelons d'abord que le Notre Père se divise en deux parties, les souhaits, et les supplications. Les souhaits correspondent, dans la formule de S. Luc, aux deux premières demandes, les supplications aux trois dernières. La première partie concerne donc les intérêts de Dieu, mis en avant d'une manière aussi juste que naturelle, conformément à l'art de la prière dont nous avons de si beaux modèles dans les Psaumes ; la seconde se rapporte à nos propres intérêts, car nous y conjurons le Seigneur, ou plutôt notre Père, de subvenir à nos besoins matériels et spirituels. Ou encore : la pensée fondamentale du Pater peut se ramener à un désir ardent du royaume de Dieu. La première demande (toujours d'après S. Luc) expose le but de ce règne divin ; la seconde se rapporte à son accomplissement ; les trois autres pressent le Seigneur d'enlever les obstacles qui empêchent le royaume des cieux de se développer ici‑bas. - Notre Père. « Dès les premières paroles, combien de grâces. Tu n’osais pas lever ton visage vers le ciel, et, tout d’un coup, tu as reçu la grâce du Christ. D’un mauvais serviteur, tu es devenu un bon fils. Ne mets donc pas ta confiance dans tes œuvres, mais dans la grâce du Christ... Lève maintenant tes yeux vers le Père… Dis Père, comme le fait un fils », S. Augustin, de Verbis Dom. Serm. 27. S. Bonaventure commente admirablement aussi cette première parole : « O douceur incroyable, o joie inestimable, o jubilation ineffable, miel et sucre dans ma bouche, quand je t’appelle Père toi, mon Dieu ! O exultation, o admiration, o chant qui pénètre jusque la moelle des os : que tu sois, toi mon père. Que chercher d’autre, que dire d’autre, qu’entendre d’autre ? Tu es mon père ! », Stim. amoris, p. 3, c. 14. cf. Jean 3, 1. Nous devons donc tout d'abord nous adresser à Dieu avec un esprit filial, par conséquent avec le sentiment de la plus vive confiance. « Que ne donnera‑t‑il pas à ses fils qui lui font des demandes, puisqu’il leur a déjà donné d’être fils ? », S. Aug. - Que votre nom soit sanctifié. Tel est le premier souhait que nous formons en l'honneur de notre Père bien‑aimé. Il signifie, sous son vêtement oriental : Soyez glorifié par tous les hommes. - Notre second souhait, que votre règne arrive, appelle la diffusion du royaume de Dieu, c'est‑à‑dire de l'Église, dans l'univers entier. Qu'il n'y ait qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur.
Luc 11.3 Donnez-nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance, - « Il y a deux sortes de prières, dit S. Basile (Constit. Monast., c. 1), l'une de louange, l'autre de demande, qui est moins parfaite. Lors donc que vous priez, ne vous hâtez pas de demander, autrement vous profanez votre intention, paraissant supplier Dieu par nécessité ; mais, au commencement de votre prière, oubliez toute créature visible ou invisible, et louez d'abord celui qui a tout créé. » Toutefois, la louange terminée, nous pouvons bien penser à nos besoins même matériels, comme nous l'a indiqué le Seigneur Jésus par cette autre demande de son Oraison. C'est d'ailleurs la seule requête temporelle du Pater : toutes les autres sont spirituelles. « Il n’y a qu’une seule demande sensée à faire : que les choses présentes ne nous tourmentent pas », S. Jean Chrysostome Hom. 24 in Matth. - Aujourd’hui. littéralement : jour par jour. Voir notre commentaire de S. Matthieu, 6, 11.
Luc 11.4 et remettez-nous nos offenses, car nous remettons nous-mêmes à tous ceux qui nous doivent et ne nous induisez pas en tentation." - Le « Pater » du premier Évangile dit avec une métaphore : « nos dettes ». La formule de prière que nous a laissée Jésus ne pouvait manquer, malgré sa brièveté, de traiter ce point malheureusement si important de notre vie. Tous nous avons péché ; par le péché nos relations filiales avec Dieu ont été rompues et, pour qu'elles soient rétablies, il nous faut son miséricordieux pardon. Afin d'obtenir cette faveur, nous lui suggérons, instruits par le divin Maître, un motif bien capable de toucher son cœur : puisque nous remettons nous aussi… et nous pardonnons sans exception à quiconque nous doit. Dans ces quelques paroles, quel admirable principe de charité fraternelle. S. Jean Chrysostome s'écriait, en les lisant : « Si nous prenons cela au sérieux, nous devons rendre grâce à Dieu pour nos débiteurs. Ils sont pour nous, si nous y réfléchissons bien, la cause d’une grande indulgence ; et nous trouvons beaucoup après avoir peu perdu, car nous aussi nous sommes pour Dieu de grands débiteurs », Chaîne des Pères Grecs cf. S. Bonavent., Stim. Amor. p. 3 c. 17. Ce motif de pardon, qui constituerait à lui seul une philosophie supérieure à toutes celles de la terre, est exprimé avec plus de force et d'une manière plus directe dans la rédaction de S. Luc que dans celle de S. Matthieu. - Ne nous induisez pas en tentation, « c'est‑à‑dire, dans la tentation qui nous ferait succomber, car nous sommes comme l'athlète qui ne refuse pas la lutte que les forces humaines peuvent soutenir. ». S. August. de Verb. Dom. Serm. 28. « Celui qu’on doit chercher à fléchir par des prières t’a remis à toi la norme de la supplication », S. Jean Chrysost. C'est là pour nous une grande consolation, car notre céleste instructeur savait mieux que nous par quel art, par quelles requêtes, par quelles expressions nous toucherions le mieux son cœur. Mais voici qu'il nous enseigne maintenant, chose non moins précieuse, les conditions d'une bonne prière, qui sont 1° une sainte hardiesse produisant la persévérance, v. 5-10, 2° une entière confiance, vv. 11-13.
Luc 11.5 il leur dit encore : "Si l'un de vous, ayant un ami, va le trouver au milieu de la nuit, disant : Mon ami, prête-moi trois pains, 6 car un de mes ami qui voyage est arrivé chez moi et je n'ai rien à lui offrir, - La première condition est exprimée d'abord au moyen d'une petite parabole familière, vv. 5-8, qui est d'un pittoresque achevé. - Si l'un de vous a …. Cette interrogation au début du récit l'anime, et pique l'attention. Mais la construction devient bientôt tout à fait irrégulière, car la phrase s'achève autrement qu'elle avait commencé, le tour interrogatif disparaissant à la fin du v. 6 pour se transformer en une proposition conditionnelle. Voir au v. 11, et Matth. 7, 9 et ss., d'autres exemples de ces ruptures syntaxiques (anacoluthes). - Au milieu de la nuit. Jésus mentionne cette heure à dessein, comme la moins opportune pour obtenir une faveur de la part des hommes. Le suppliant propose du moins sa requête aussi bien que possible. Il met en tête un « mon ami » plein d'emphase, qui servira à capter sa bienveillance. Ensuite il va droit au but : prête‑moi trois pains. Après tout, n'était‑ce pas demander un bien petit service ? Ce n'est d'ailleurs pas pour lui‑même, ajoute‑t‑il par manière d'excuse, qu'il vient importuner son ami à un pareil moment ; mais un hôte lui est arrivé à l'improviste, fatigué, affamé, et il se trouve n'avoir rien à lui offrir, toutes ses provisions étant épuisées depuis le repas du soir. N'est‑ce pas là une raison suffisante pour venir frapper, même à minuit, à la porte d'un ami ? D'autant mieux que l'hôte est également un ami du demandeur, et que « les amis de nos amis sont nos amis ». - Le nombre trois ne sert qu'à rendre l'image plus concrète. Le lecteur sait que les pains de l'orient consistent des galettes peu épaisses, dont la dimension ne dépasse pas celle de nos assiettes. Notons encore que les Orientaux, pour éviter la brûlante chaleur du jour, voyagent d'ordinaire la nuit durant la belle saison : c'est pour cela que l'hôte de la parabole arrive si tard et occasionne de si grands dérangements.
Luc 11.7 et que de l'intérieur de la maison, l'autre réponde : Ne m'importune pas, la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne peux pas me lever pour t’en donner : - De son lit où il reposait confortablement, l'ami interpellé répond par un refus péremptoire, signifié en termes très durs. On voit, à travers son langage, l'homme éveillé en sursaut au beau milieu de son premier sommeil, et plein de mauvaise humeur contre celui qui est venu le troubler. Ainsi, pas de réponse polie en retour du titre aimable qu'on lui avait tout d'abord adressé ; mais, immédiatement, ces mots si rudes, ne m'importune pas. Cependant, il croit devoir légitimer son refus. En premier lieu sa maison était dûment fermée ; or les lourdes pièces de bois ou de fer qui servaient à barricader les portes des anciens ne s'enlevaient pas en un instant. De plus, et ce détail si délicat contenait une raison en apparence parfaitement plausible, ses petits‑enfants dormaient à ses côtés ; et ne les éveillerait‑il pas en remuant les barres de la porte, en ouvrant les placards pour rendre le service demandé ? Donc, comme conclusion, je ne puis me lever pour t’en donner. Tâchez de vous procurer vos pains ailleurs. - Plusieurs commentateurs, à la suite de S. Augustin, lettre 130, 8, donnent à enfants le sens de serviteurs. Alors l'idée serait : Tout le monde est couché, il n'y a personne pour m'aider à ouvrir, ou bien, pour chercher les objets demandés. Mais le texte grec emploie le diminutif de enfants, qui ne s'applique qu'au fils de la maison. - Il n'est pas nécessaire de prendre trop à la lettre les mots mes enfants et moi sommes au lit : ils demeurent vrais quand même chacun des enfants eût reposé sur son propre couchage, étendu à terre dans la chambre commune, auprès du divan du père. Cette interprétation semble plus conforme aux mœurs de l'Orient.
Luc 11.8 je vous le dis, quand même il ne se lèverait pas pour lui donner, parce qu'il est son ami, il se lèvera à cause de son sans-gêne et lui donnera autant de pains qu'il en a besoin. - On suppose donc que le demandeur, malgré le refus de son ami, aura continué de frapper à la porte sans se décourager. Jésus se sert, pour caractériser cette conduite finalement couronnée d'un plein succès, d'une expression énergique, littéralement : impudence, indélicatesse. « Il n'est rien que l'effronterie ne parvienne à arracher », écrivait Pétrone dans le même sens. Les Grecs disaient aussi d'une manière proverbiale : l'impudence est un dieu. Et les Juifs : « l'impudence obtient même des résultats en présence de Dieu ».
Luc 11.9 Et moi je vous dis : Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira. 10 Car quiconque demande, reçoit et qui cherche, trouve et l'on ouvrira à celui qui frappe. - Dans ces deux versets, Notre‑Seigneur tire la conclusion de son récit. « Il montre que la pusillanimité dans les prières est condamnable », Cyrille (Chaîne des Pères Grecs). - Et moi je vous dis. Il y a une grande force dans ce et moi. S. Cyrille a raison d'ajouter que « un serment a de la force ». Il y a également une grande force dans les trois verbes demandez, cherchez, frappez, rangés par gradation ascendante, pour représenter l'énergie du suppliant, sa persévérance infatigable, croissant avec les obstacles et réussissant à les surmonter. En effet, on vous donnera, vous trouverez, on vous ouvrira, disent trois autres verbes qui correspondent aux premiers. « Parce que nous apportons à la prière de la lenteur et de la paresse, et que nous nous faisons une piètre estimation de la bienveillance de notre Père et en attendons peu, il répète avec insistance la même chose de trois façons différentes », Luc de Bruges. cf. Matth. 7, 7 et ss., où l'on trouve la reproduction de la même pensée. - Donc, ne craignons pas d'agir envers Dieu avec une sainte hardiesse quand nous lui demandons ses grâces. Si la persistance dans la demande triomphe de la dureté des hommes, combien plus triomphera‑t‑elle de la bonté de Dieu. En effet, dans l'application de la parabole, la comparaison a lieu à fortiori : « … si un homme endormi est forcé de donner ce qu'on lui demande après qu'on l'a éveillé malgré lui, avec quelle bonté donnera celui qui ne dort jamais et qui nous éveille pour que nous lui demandions. ». S. August. Lettre 130, 8.
Luc 11 11 Quel est parmi vous le père qui, si son fils lui demande du pain, lui donne une pierre ? Ou, si c'est un poisson, lui donnera-t-il, au lieu de poisson, un serpent ? 12 Ou, s'il lui demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? - Jésus développe maintenant, vv. 11-13, une seconde condition de la prière, qui est la confiance. Quand nous prions Dieu, c'est à un père que nous nous adressons, et ce père ne saurait manquer de nous écouter favorablement. Ainsi donc, après nous avoir montré ce que l'on peut attendre d'un ami, Notre‑Seigneur nous indique ce que nous sommes en droit d'attendre d'un père, mais d'un père céleste. Voyez Matth. 7, 9-11, cette idée exposée antérieurement par Jésus. - Quel est parmi vous le père qui, si son fils lui demande du pain. Jésus choisit ses comparaisons dans le monde de la famille, afin de mieux frapper ses auditeurs et d'inculquer plus profondément ses leçons. Les trois rapprochements qu'il établit sont des plus naturels, à cause de la ressemblance qui existe entre les objets mentionnés : le pain et la pierre, le serpent et le poisson, l’œuf et le scorpion. En effet, quand le scorpion s'enroule sur lui‑même, il a bien la forme d'un œuf quoiqu'il n'en ait pas la couleur. Le rapprochement devient encore plus saisissant dans le cas où Jésus aurait eu en vue non le scorpion ordinaire, mais, comme tout porte à le croire, le gros scorpion blanc qu'on trouve fréquemment en Palestine et en Syrie. Voyez Pline, Hist. Nat. 11, 25. Le lecteur sait que cet animal, qui appartient à la classe Arachnida et à l'ordre Pulmonaria, est une des pestes de l'orient biblique. Il porte à l'extrémité de sa queue un dard chargé de venin, et sa piqûre, toujours douloureuse, occasionne parfois la mort. Quel père serait donc assez inhumain pour mettre un scorpion au lieu d'un œuf dans la main de son enfant ?
Luc 11.13 Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l'Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent." - Dans l'épithète sévère, mais malheureusement trop juste, que le Sauveur adresse à l'humanité, un ancien commentateur trouve à bon droit une « illustre preuve du péché originel ». - Votre Père qui est dans le ciel : le père par excellence, « de qui tout procède dans le ciel et sur la terre » (Éphésiens 3, 15). - Il vous donnera l'Esprit-Saint car c'est bien de lui qu'il est question. L'opposition ne saurait être plus forte : les hommes donnent à leurs enfants de bonnes choses, autant qu'ils le peuvent ; Dieu accorde aux siens son Esprit, ce qu'il a et ce qu'il y a de plus parfait. Comment ne le supplierions‑nous pas avec confiance ?
Luc 14-16 = Matth. 12, 22-24
Luc 11.14 Jésus chassait un démon et ce démon était muet. Lorsque le démon fut sorti, le muet parla et le peuple était dans l'admiration. - Jésus chassait un démon est une périphrase pittoresque, aimée de S. Luc. - Ce démon était muet : expression qui peut désigner la surdité aussi bien que le mutisme, ou même ces deux infirmités réunies. Le contexte montre que l'évangéliste voulait surtout parler de la seconde. D'après S. Matthieu, le démoniaque était en outre aveugle. La locution « et ce démon était muet », qui paraît d'abord surprenante, est d'une grande exactitude psychologique, car elle identifie le démon et le possédé, ne faisant d'eux qu'une seule personne morale, ce qui correspondait tout à fait à la réalité. S. Luc indique ainsi que l'infirmité guérie par Notre‑Seigneur dans la circonstance présente ne provenait pas d'un défaut d'organisme, mais qu'elle était un résultat de la possession diabolique. - Le muet parla. Ce changement de genre atteste de nouveau la précision toute médicale de l'écrivain sacré. Le démon chassé, l'homme seul restait, et reprenait tous ses droits personnels : ce qu'indique le masculin le. - Le peuple était dans l'admiration, « et disaient : Cet homme ne serait‑il pas le fils de David ? » Matthieu, 12, 23. Mais quand est‑ce qu'eut lieu ce miracle, et, par suite, quand fut prononcé le discours auquel il servit d'occasion ? S. Matthieu (cf. Marc. 3, 20 et ss.) et S. Luc lui attribuent en effet une date très différente. Nous n'osons recourir pour cette fois, comme le font plusieurs exégètes, à l'hypothèse d'une répétition, car la ressemblance des deux récits, qui va souvent jusqu'à l'identité, semble renverser d'avance une pareille opinion. Au reste, aucun des évangélistes ne détermine ici le temps d'une manière précise, ce qui nous laisse une plus complète liberté d'appréciation. Nous croyons donc l'arrangement de S. Matthieu, que corrobore en partie celui de S. Marc, plus conforme à l'ordre chronologique, et nous plaçons l'incident à une époque moins tardive dans la vie de Jésus.
Luc 11.15 Mais quelques-uns d'entre eux dirent : "C'est par Béelzéboul, prince des démons, qu'il chasse les démons." - C'étaient, d'après les deux autres synoptiques, des Pharisiens et des Scribes. - C'est par Béelzéboul… chasse les démons. Sur ce dieu des Philistins, dont le nom était devenu chez les Juifs un synonyme de Satan, voyez S. Matth. Voilà Jésus accusé de complicité avec le prince des démons : par une calomnie si hardie et si grossière, ses ennemis espéraient ruiner son autorité auprès du peuple. Les Talmudistes l'ont équivalemment reproduite, quand ils ont prétendu que Notre‑Seigneur opérait ses miracles à l'aide de formules magiques, dont il avait puisé la connaissance en Égypte. Bab. Schab. f. 104, 2 ; 43, 1. Un ancien répliquait : « Quand arrive la cécité complète, vient l’impiété. Il n’y a pas d’œuvre de Dieu si évidente que l’impie ne pervertisse ».
Luc 11.16 D'autres, pour l'éprouver, lui demandèrent un signe dans le ciel. - Cette demande ne fut adressée à Notre‑Seigneur, suivant la narration plus précise de S. Matthieu (12, 38), qu'après qu'il eût réfuté l'accusation des Pharisiens. S. Luc unit logiquement les deux réflexions, parce que chacune d'elles provoqua une partie de la réponse de Jésus. « Les Juifs réclament des signes miraculeux », disait S. Paul, 1 Corinthiens 1, 22, pour caractériser ses anciens coreligionnaires. Abusant de la bonté de Dieu, qui avait prodigué les miracles en leur faveur, ils s'étaient peu à peu livrés à cette fâcheuse tendance.
Luc 17-26=Math 12, 25-37, 43-45 Mc3, 22-30.
Luc 11.17 Connaissant leurs pensées, Jésus leur dit : "Tout royaume divisé contre lui-même, se détruit, les maisons tombent l'une sur l'autre. 18 Si donc Satan est divisé contre lui-même, comment son royaume subsistera-t-il ? Car vous dites que c'est par Béelzéboul que je chasse les démons. - L'apologie du Sauveur se subdivise en deux parties, dont l'une est négative, vv. 17-19, et l'autre positive, vv. 20-26. Dans la première, Jésus se content de démontrer qu'il n'est nullement l'associé de Béelzéboul ; dans la seconde, il indique la vraie cause de sa puissance sur les démons. La première contient deux raisonnements, qui sont deux appels à des expériences diverses. - 1° (vv. 17 et 18). C'est une loi de l'histoire que tout royaume divisé contre lui‑même sera dévasté. Le royaume infernal n'échappe pas à cette loi. Si Jésus ne chasse les démons que par le concours de Satan leur chef, il faudra donc dire que Satan travaille à se ruiner lui‑même. Quelle absurdité. - On a interprété en deux sens différents les mots les maisons tombent l'une sur l'autre. Quelques commentateurs, s'appuyant sur les passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc, sous‑entendent « divisée en elle‑même » après « maison », et supposent que Jésus joint à l'exemple tiré de la politique un autre exemple pris dans la vie de famille. Mais, la phrase de S. Luc paraissant ne se prêter qu'avec peine à cette interprétation, la plupart des auteurs la regardent comme un développement de « sera dévastée ». Les guerres intestines des empires amènent bientôt la séparation, et, par suite, la ruine des familles, qui tombent tristement les unes après les autres. Ce dernier sens nous paraît être le plus vraisemblable. - Car vous dites… S. Luc a seul conservé cette réflexion finale du premier raisonnement.
Luc 11.19 Et si, moi, je chasse les démons par Béelzéboul, vos fils, par qui les chassent-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. - Si vous prétendez que je ne réussis à expulser les démons qu'en vertu d'un pacte fait avec Béelzéboul, j'accuserai semblablement vos disciples (vos fils) de tenir de Satan leurs pouvoirs d'exorcistes. Et que pourrez‑vous me répondre ? Eux‑mêmes, ils démontreront que vous m'avez calomnié.
Luc 11.20 Mais si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous. - Les preuves négatives de Jésus étaient irréfutables ; mais ses arguments positifs seront encore plus forts pour anéantir le hideux sophisme de ses adversaires. Nous trouvons le premier dans ce verset. - Mais si… Cette tournure hypothétique est bien modeste, à la suite des raisonnements victorieux qui précèdent. Jésus n'en affirme pas moins un fait très évident. - Par le doigt de Dieu : belle figure, qui rappelle l'exclamation des sorciers égyptiens à la vue des miracles opérés par Moïse : « C'est le doigt de Dieu! » Exode, 8, 19. Jésus utilise l'expression "le doigt de Dieu" pour affirmer que ses actions sont accomplies par le pouvoir divin de Dieu lui-même. La rédaction de S. Matthieu porte « si c’est par l’Esprit de Dieu ». C'est la même pensée, moins l'image. - Le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous : le royaume messianique est fondé. Notre‑Seigneur démontre donc, par cet argument, qu'il est le Messie promis.
Luc 11.21 Lorsqu'un homme fort et bien armé garde l'entrée de sa maison, ce qu'il possède est en sûreté. 22 Mais qu'il en survienne un plus fort qui le vainque, il lui enlève toutes les armes dans lesquelles il se confiait et il partage ses dépouilles. - Seconde preuve positive, qui consiste en une belle allégorie, exposée par S. Luc d'une manière plus complète et plus vivante que par les deux autres narrateurs. Peut‑être était‑ce en partie une réminiscence d'Isaïe, 99, 24 et 25 : « Peut‑on reprendre au guerrier sa prise, le captif d’un tyran peut‑il s’échapper ? Ainsi parle le Seigneur : Oui, même le captif du guerrier lui sera repris, la prise du tyran lui échappera. Tes adversaires, moi, je m’en ferai l’adversaire, tes fils, moi, je les sauverai. ». - Lorsqu’un homme fort… cet homme est un personnage déterminé, qui n'est autre ici que Satan. - Sa maison, c'est‑à‑dire, au figuré, le monde où le démon régnait avec plus de liberté avant la venue de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ? - En paix : hébraïsme pour dire : en sûreté. - Mais si un plus fort. Or « le plus fort » par opposition au prince des démons n'est autre que Jésus. - Survient : le verbe grec correspondant se dit surtout d'une irruption hostile. - qui le vainque : prompt résultat du duel déclaré à Satan par Jésus. - Il enlève toutes les armes... ses dépouilles. Ces mots, qui terminent l'allégorie, figurent les possédés guéris par le Sauveur.
Luc 11.23 Qui n'est pas avec moi est contre moi et qui n'amasse pas avec moi dissipe. - Troisième preuve positive, donnée comme une déduction de toute l'argumentation qui précède, et montrant qu'il n'est pas possible de demeurer neutre à l'égard de Jésus dans la lutte à outrance qui se livre entre lui et les démons. Le second hémistiche, qui n’amasse pas…, ne diffère du premier que par la métaphore saisissante dont il revêt la pensée.
Luc 11 24 Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos. N'en trouvant pas, il dit : Je retournerai dans ma maison, d'où je suis sorti. 25 Et quand il arrive, il la trouve nettoyée et ornée. 26 Alors il s'en va, prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, puis ils entrent et s'y établissent : et le dernier état de cet homme devient pire que le premier." - Quatrième argument positif, dans lequel Jésus rétorque l'accusation de ses ennemis et leur prouve qu'ils sont eux‑mêmes possédés du démon. Cette nouvelle allégorie contient un résumé parfait de l'histoire juive, depuis la fin de la captivité babylonienne jusqu'à l'époque de Notre‑Seigneur. L'homme dont le démon est sorti n'est autre en effet que la nation théocratique, purifiée, par les souffrances de l'exil, des superstitions païennes qui l'avaient livrée au pouvoir de Satan. Malheureusement, elle s'était laissée ressaisir, et plus fortement que jamais, par le prince des ténèbres. Aussi son état actuel, nous en avons la preuve dans les sentiments d'hostilité qu'elle manifestait envers son Messie, était‑il pire que sa situation antérieure. Mais elle se préparait par là un châtiment plus terrible encore que l'exil de Babylone. Voyez S. Matth. A part quelques expressions omises ou légèrement modifiées, la rédaction de S. Luc est ici complètement identique à celle de S. Matthieu : toutefois nos trois versets n'occupent pas la même place dans les deux récits. Le premier Évangile les rejette, peut‑être avec plus de précision, à la fin de l'apologie du Sauveur.
Luc 11.27 Comme il parlait ainsi, une femme élevant la voix du milieu de la foule, lui dit : "Heureux le ventre qui vous a porté et les seins que vous avez tétés." - Jésus fut donc tout à coup interrompu dans son discours ; ou du moins l'héroïne de cet épisode profita, pour donner un libre cours à l'enthousiasme qui la pressait, d'une courte pause que le divin orateur fit sans doute avant de passer au second point qu'il avait à traiter. - Élevant la voix. « Les paroles ont beaucoup d’emphase. Elle manifeste, cette emphase, une grande émotion et une grande foi dans la proclamation. Elle parle aux sens intérieurs de l’âme en criant, pour ainsi dire, à tue‑tête », Maldonat. cf. Euthymius, h. l. Par leur atroce calomnie, les Pharisiens n'avaient pas réussi à tromper cette âme candide. Mais ne dirait‑on pas qu'ils ont transmis leurs sentiments de haine à ces exégètes protestants, malheureusement trop nombreux, qui ne voient, dans l'exclamation naïve et touchante de l'humble femme, qu'une « admiration inintelligente du merveilleux Thaumaturge et prédicateur », que « le premier exemple de cet esprit de Mariolatrie (qu'on nous pardonne de copier ces lignes) qui a plus tard pénétré dans l'Église pour la corrompre, et qui aujourd'hui, dans la ville de Rome comme en de nombreuses contrées catholiques, place la Vierge Marie au‑dessus du Fils qu'elle a porté dans son sein. ». - Une femme... du milieu de la foule. C'était probablement une mère, comme il ressort de son langage. - Ses paroles, dépouillées de leur vêtement figuré, reviennent à dire : Que votre mère est heureuse. Le Talmud et les ouvrages classiques abondent en félicitations semblables. « O femme heureuse, ta mère qui t'a engendré », Pétrone, 94. cf. Ovide, Métam. 4, 231.
Luc 11.28 Jésus répondit : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent." - C'est ici la réponse de Jésus. Le Sauveur ne conteste pas la vérité de l'éloge adressé à sa sainte Mère. Marie elle‑même, divinement inspirée, s'était écriée dans son cantique, 1, 48 : « désormais tous les âges me diront bienheureuse », et tous les jours les prières liturgiques nous font redire : Heureux le sein qui vous a porté. Heureuses les seins qui vous ont allaité. Mais Notre‑Seigneur aimait à élever toujours ceux qui l'écoutaient vers des sphères supérieures. C'est ainsi que, déjà à propos de sa Mère, 8, 20 et 21, il avait prononcé ce mot sublime : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la pratiquent ». De même actuellement, opposant un fait à un autre fait, il affirme que mieux vaut lui être uni intimement par l'obéissance que par des relations purement extérieures. C'était dire en termes indirects que Marie était deux fois bienheureuse. « La mère de Dieu qui a été bienheureuse, parce qu’elle a été faite ministre temporelle du Verbe incarné, est encore plus heureuse parce qu’elle demeure la gardienne éternelle de celui qui doit être toujours aimé », Bède le Vénérable, h. l. Ou, comme s'exprime S. Augustin, « La proximité maternelle ne lui fut pas d’autre profit que d’avoir engendré plus fructueusement le Christ dans son cœur que dans son corps. Marie est plus heureuse pour avoir accepté la foi du Christ que pour l’avoir conçu dans sa chair. ».
Le signe du ciel. Luc 11,29-36=Matth 12, 35-42
Luc 11.29 Le peuple s'amassant en foules, il se mit à dire : "Cette génération est une génération méchante, elle demande un signe et il ne lui en sera pas donné d'autre que celui du prophète Jonas. 30 Car, de même que Jonas fut un signe pour les Ninivites, ainsi le Fils de l'homme sera un signe pour cette génération. - Le peuple s'amassant en foules est un détail dramatique, propre à S. Luc. Le verbe grec désigne un immense concours de peuple et n'est employé qu'en cet endroit du Nouveau Testament. - Il se mit à dire. « On a posé à Jésus deux questions. Quelques‑uns le calomniaient en l’accusant de chasser les démons par Belzébuth. Il leur répond maintenant. D’autres, pour le tenter, lui demandaient un signe venant du ciel. Il commence à répondre à ceux‑là ». Il se mit est pittoresque : souvent nous avons vu S. Luc mettre en relief par cette expression le début des discours de Jésus. - Génération méchante : dans le premier Évangile, le Sauveur ajoute « et adultère ». Par ce jugement terrible, mais trop bien mérité, Notre‑Seigneur motive d'avance son refus. Pourquoi aurait‑il égard aux désirs de gens si pervers, qui ne tiennent aucun compte des nombreux miracles qu'il a opérés en signe de sa mission divine ? Néanmoins, il renvoie solennellement les Pharisiens, comme dans une circonstance antérieure de sa vie publique (Jean 2, 18 et ss.), à l'éclatant miracle de sa résurrection. Tel est le signe du prophète Jonas qu'il leur promet en ce moment cf. commentaire S. Matth. Jonas fut un signe pour les Ninivites ; Jésus fut un signe pour les Juifs ses contemporains. cf. Matth. 12, 40, où la pensée du divin Maître est plus pleinement exprimée.
Luc 11.31 La reine du Midi se lèvera, au jour du jugement, avec les hommes de cette génération et les condamnera, parce qu'elle est venue des extrémités de la terre entendre la sagesse de Salomon : et il y a ici plus que Salomon. 32 Les hommes de Ninive se lèveront, au jour du jugement, avec cette génération et la condamneront, parce qu'ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas et il y a ici plus que Jonas. - Deux exemples pour légitimer l'assertion du v. 29 : « Cette génération est méchante ». Ils sont présentés par S. Matthieu dans un ordre inverse, les Ninivites passant avant la reine de Saba, peut‑être parce qu'il avait été question de Jonas immédiatement avant. Il est impossible de dire avec certitude quel fut l'agencement primitif. - Se lèvera : lors du jugement par excellence, les grandes assises de la fin des temps. Alors la reine de Saba et les Ninivites condamneront la génération incrédule qui aura été contemporaine de Jésus. - A part à un mot (hommes, v. 31) ajouté dans le troisième Évangile, la ressemblance des récits parallèles est absolue en cet endroit. Salomon représente la manifestation de la divine sagesse dans l'ancien Testament, Jonas celle de la divine puissance : en Jésus‑Christ, ces deux attributs sont unis et se manifestent avec un plénitude inconnue jusqu'alors. Si donc il est plus que Salomon et que Jonas, combien grand doit être le péché d'Israël qui ne l'écoute pas et ne croit pas en lui, puisque des païens ont écouté et ont cru, alors que Dieu se révélait à eux dans une mesure beaucoup plus limitée. ».
Luc 11.33 Personne n'allume une lampe pour la mettre dans un lieu caché ou sous le boisseau : on la met sur le chandelier, afin que ceux qui entrent voient la lumière. - La liaison des pensées présente ici quelque difficulté, et les commentateurs ne sont guère d'accord pour la déterminer. Plusieurs même, s'appuyant sur l'omission des vv. 33-36 dans le passage parallèle de S. Matthieu, n'ont pas craint de supposer que notre évangéliste les avait détachés de leur place primitive pour les insérer en cet endroit. Sans aller aussi loin, d'autres renoncent simplement à établir une connexion, croyant la tentative inutile. Nous dirons 1° que S. Luc a uni ces paroles au discours apologétique de Jésus parce que Notre‑Seigneur les avait réellement proférées alors, comme un grave avertissement qu'il donnait, en terminant, à tout son auditoire ; 2° que les vv. 33-36 renferment des sentences générales, applicables à bien des sujets, et répétées pour ce motif en différentes occasions par le divin Maître. cf. 8, 16 ; Matth. 5, 15 ; 6, 22 et S. Marc. 4, 21 ; 3° que l'enchaînement, quoique obscur en réalité, peut néanmoins être fixé raisonnablement de la manière suivante : La résurrection de Jésus est un signe destiné à répandre partout les plus brillantes clartés, vv. 33 ; mais la lumière ne luit bien que pour ceux dont les yeux sont en parfait état, v. 34 ; que chacun veille donc à la bonne constitution de sa vue spirituelle et morale, vv. 35 et 36. - Personne n'allume… Voyez Luc 8, 16 et le commentaire. Les expressions dans un lieu caché et sous le boisseau donnent ici un nouveau décor à la pensée. La première a reçu deux interprétations légèrement nuancées : un lieu caché en général, ou un lieu souterrain (une crypte). Sur la seconde expression, cf. Matth. 5, 15 et l'explication.
Luc 11.34 La lampe de ton corps, c'est ton œil. Si ton œil est sain, tout ton corps sera dans la lumière, s'il est mauvais, ton corps aussi sera dans les ténèbres. - Trois vérités familières, choisies dans le champ de notre expérience quotidienne, pour expliquer plus fortement des notions supérieures. Premier fait bien évident et exprimé avec charmes : nos yeux sont la lampe qui éclaire notre corps. Second fait : si nos yeux sont simples, c'est‑à‑dire sains, tout notre être physique sera lumineux. Troisième fait : si nos yeux sont malades, nous marcherons dans les ténèbres. De même au moral, pour reconnaître le vrai rôle de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. - Voir dans S. Matth. l'explication détaillée de ce verset et du suivant.
Luc 11.35 Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit ténèbres. - Nous avons ici une application et une déduction des faits d'expérience mentionnés plus haut. Puisque l’œil est pour nous un organe si important, il faut veiller sur lui avec un très grand soin. Mais il est plus urgent encore de prendre garde à notre œil intérieur, à notre lumière morale ; que deviendrions‑nous en effet si cette lumière, nécessaire pour nous conduire à Jésus, était transformée par nos passions en de sombres ténèbres ?
Luc 11.36 Si donc tout ton corps est dans la lumière, sans mélange de ténèbres, il sera éclairé tout entier, comme lorsque brille sur toi la clarté d'une lampe." - Reprenant, dans ce verset qui est propre à S. Luc, son raisonnement antérieur (v. 34), Jésus‑Christ dépeint sous les plus vives couleurs les précieux avantages que procurent, au propre et surtout au figuré, des yeux sains et limpides. Il semble pourtant au premier aspect que le second hémistiche se borne à répéter la pensée du premier. Aussi des lecteurs superficiels ont‑ils crié à la tautologie ; M. Reuss lui‑même n'a vu dans ce verset qu' « une assez froide redite » (Histoire évangélique, Paris 1876, p. 454). Mais, sans recourir, comme on l'a fait quelquefois, à des conjectures sans fondement (supprimer un mot, transformer la ponctuation), il est aisé de venger de ce reproche la parole du Sauveur. Pour cela il suffit, suivant l'heureuse suggestion de Meyer, adoptée par la plupart des commentateurs modernes, de faire porter l'idée principale sur tout dans la première moitié du verset, sur éclairé dans la seconde, et d'envisager les mots n'ayant aucune partie ténébreuse comme un développement de lumineux. On obtient alors ce sens, qui n'est nullement tautologique : Si donc votre corps TOUT ENTIER est lumineux, n'ayant pas la plus petite parcelle de ténèbres, alors il sera aussi LUMINEUX que s'il était éclairé par une lampe brillante. S. Paul donne une sublime explication de ce passage quand il écrit, 2 Corinthiens 3, 18 : « nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit. » Voilà bien en effet ce que voulait dire le Seigneur Jésus.
Luc 11.37 Pendant qu'il parlait, un Pharisien le pria de dîner chez lui, Jésus entra et se mit à table. - Par les mots pendant qu'il parlait, S. Luc montre avec sa précision habituelle que ce nouvel épisode suivit de très près celui auquel avait donné lieu l'indigne calomnie des Pharisiens. - Un Pharisien le pria de dîner chez lui… L'invitation, les faits le prouveront bientôt, était loin de partir d'un cœur bon et loyal. Elle avait sans doute été combinée par les ennemis de Jésus pendant sa vigoureuse apologie, comme un moyen de l'observer de plus près, à huis clos, et de le compromettre par des questions insidieuses. cf. 14, 1. Ce « dîner » ne désigne pas le repas du soir, mais le déjeuner, qu'on prenait vers midi comme nous faisons en France, quelques heures après le petit déjeuner du matin. cf. 14, 12 et 16, où S. Luc distingue ces deux repas. - Jésus entra et se mit à table : Ces deux verbes, juxtaposés à dessein par l'évangéliste, signifient qu'à peine entré Jésus se mit à table sans s'inquiéter d'autre chose.
Luc 11.38 Or le Pharisien vit avec étonnement qu'il n'avait pas fait l'ablution avant le dîner. - L’hôte ne semble pas avoir manifesté au dehors l'étonnement que lui causait l'omission de Jésus. « Le pharisien a pensé en lui‑même. Il n’a pas émis un son. Celui qui lisait dans les cœurs l’a quand même entendu ». - Il n’avait pas fait l’ablution. Il ne s'agit pas ici d'un bain complet, mais d'une simple immersion des mains et de l'avant‑bras. Sur cette cérémonie et sur l'importance qu'y attachait l'école pharisaïque, cf. comment. S. Matthet S. Marc. Le scandale du Pharisien dut être d'autant plus grand que Jésus revenait d'auprès une foule considérable, et qu'il s'était mis en contact avec un impur possédé.
Luc 11.39 Le Seigneur lui dit : "Vous, Pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, mais au dedans de vous tout est plein de rapine et d'iniquité. - Le Seigneur lui dit : Expression solennelle : c'est comme Seigneur que Jésus va parler. On a remarqué depuis longtemps que son discours présente une ressemblance frappante avec celui qui est relaté au 23ème chap. de S. Matthieu. Mais chacun des narrateurs fixe si nettement les dates en ce double passage, et ces dates, de même que les localités, diffèrent tellement, qu'il est impossible de ne pas admette une répétition des mêmes vérités devant divers auditoires. Telle était déjà l'opinion de S. Augustin : « Selon S. Matthieu… le Seigneur était déjà arrivé de la Galilée à Jérusalem ; et si l'on examine l'ordre des événements qui précèdent ce discours, on est porté à croire qu'ils se sont passés dans cette dernière ville. Saint Luc au contraire suppose dans son récit que le Seigneur était toujours sur le chemin de Jérusalem. Aussi suis‑je porté à croire que ce sont deux discours différents, cités, le premier par un Évangéliste, et le second par un autre. » Accord des Évangélistes l. 2, c. 75. D'ailleurs, dans le troisième Évangile, les idées sont moins développées, et puis, ce ne sont pas seulement les Pharisiens, mais aussi les Scribes qui reçoivent les malédictions de Jésus. cf. v. 45 et ss. Cette autre différence prouve encore que les deux discours ne sont pas complètement parallèles. Le Sauveur aura donc flagellé une première fois les vices de ses ennemis devant un auditoire plus restreint, avant de fulminer contre eux, à Jérusalem même, sous les portiques du temple et en présence d'une foule immense, son grand réquisitoire. cf. 20, 45-47. - Vous, Pharisiens… Jésus ne s'adresse pas exclusivement à celui qui l'avait invité, mais aux convives en général, car ils appartenaient tous sans doute à la secte. On a osé trouver mauvais que Notre‑Seigneur ait lancé des reproches si énergiques contre un homme dont il avait accepté l'hospitalité, et cela dans sa propre maison, à sa propre table. Mais Jésus avait des motifs suffisants pour s'écarter en cette occasion des lois ordinaires des « bonnes manières ». Toujours aimable et condescendant à l'égard des pécheurs même les plus dégradés, il s'est toujours montré sévère, inexorable, à l'égard des hypocrites qui gâtaient son peuple : ce roi de vérité ne peut supporter le mensonge, et il a bien le droit de le démasquer partout, même chez un hôte déloyal (voyez le v. 37 et l'explication). Aussi Ebrard répondait‑il de la manière la plus heureuse à cette objection de Strauss : « Je puis certifier à Strauss que, si Notre‑Seigneur s'asseyait de nos jours à sa table, il serait tout aussi peu civil ». cf. S. August., de Verb. Dom. Serm. 38. - Vous nettoyez le dehors de la coupe… « Jésus tient compte du temps, et il tire de ce qu’il a sous la main un enseignement. On en était à l’heure du repas, et il prend comme exemple une coupe et un plat », S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs. Aussi, rien de plus naturel que ce début et, par là‑même, rien de plus frappant. - Mais au‑dedans de vous : votre âme, la partie la plus intime de vous‑mêmes. Quelle opposition hardie. La vaisselle et les âmes. Mais Jésus ne faisait que décrire ce qu'il contemplait. Autant les plats et les coupes qu'il avait devant lui sur la table, lavés, frottés dix fois le jour, étincelaient et brillaient, autant les cœurs des hommes qui l'entouraient étaient souillés, car la rapine (un vice désigné en particulier) et l'iniquité (le vice en général) les remplissaient de manière à les faire déborder. Quelques exégètes obtiennent cet autre sens : L'intérieur de la coupe et du plat regorge de votre rapine et de votre iniquité, c'est‑à‑dire : Vos repas sont le produit de l'injustice. cf. Matth. 23, 25. Mais c'est là une construction forcée.
Luc 11.40 Insensés. Celui qui a fait le dehors n'a-t-il pas fait aussi le dedans ? - Insensés. Épithète parfaitement choisie, car Jésus va démontrer par un raisonnement rapide, mais lumineux, combien la conduite des Pharisiens était déraisonnable au point de vue moral et religieux. - Certains commentateurs (Elsner, Kypke, Kuinoel, etc.) traduisent : Celui qui a purifié le dehors n'est pas pur au dedans pour cela. Rien ne justifie cette interprétation. Celui qui a purifié le dehors, c'est Dieu, créateur de toutes choses (cf. Genèse 1, 1) ; le dehors représente ici le corps humain, et le dedans l'âme humaine. La pensée de Jésus revient donc à ces mots de Bède le Vénérable : « Celui qui a fait l’une et l’autre natures de l’homme désire que les deux soient purifiées ». Ne serait‑il pas absurde de veiller à la propreté matérielle du corps, et de négliger la sainteté de l'âme ? De croire qu'un corps bien lavé peut rendre agréable à Dieu un cœur souillé par le péché ?
Luc 11.41 Toutefois, donnez l'aumône selon vos moyens et tout sera pur pour vous. - Pendant longtemps nous avons aimé à voir dans ce verset, avec de nombreux exégètes contemporains, un détail de mordante ironie. Il nous semblait peu naturel, peu conforme à l'esprit général du discours, de supposer que Notre‑Seigneur eût glissé une exhortation isolée au milieu de si vifs reproches. La phrase nous paraissait équivaloir à cette traduction libre de Kuinoel : « En conséquence, donnez de toute façon une obole aux pauvres. Vous n’aurez plus alors à vous demander avec inquiétude si vous vous êtes procuré de la nourriture injustement. Tout, alors vous sera pur. ». Mais, tout bien considéré, nous préférons revenir au sentiment des anciens, qui, prenant les paroles de Jésus dans leurs sens obvie, en écartent toute allusion ironique. S'interrompant donc au milieu de ses terribles reproches, le Sauveur indique aux Pharisiens, à la place de leurs vaines ablutions qui étaient incapables de les purifier, un moyen sérieux d'effacer leurs péchés. Faites l'aumône, leur dit‑il, et vous serez purs devant Dieu. L'Écriture Sainte abonde en textes analogues, qui mettent en relief le caractère propitiatoire de l'aumône. Qu'il suffise de citer Daniel 4, 24 ; Tobie 4, 11, 12 ; 1 Pierre 4, 8. Et les Rabbins disaient d'une manière analogue : « L’aumône a une valeur égale à celle de toutes les vertus », Bava bathra, f. 9, 1. Non sans doute que l'aumône puisse, à elle seule, expier toute espèce de crimes. Du moins, et telle était surtout la pensée de Jésus, elle est beaucoup plus propre à purifier l'âme que toutes les eaux de la mer et des rivières, appliquées en lotions extérieures (D. Calmet. cf. Maldonat). - Selon vos moyens. Selon les biens et la fortune qu’ils possèdent. Il est plus conforme à l'étymologie et à l'usage de traduire par « ce qui est dedans », c'est‑à‑dire le contenu de votre coupe et de votre plat, par conséquent : votre breuvage et votre nourriture. - et tout sera pur : indique d'une manière pittoresque la promptitude avec laquelle le résultat sera produit, pas besoin de frotter, de lustrer ou de plonger plusieurs fois dans l’eau.
Luc 11.42 Mais malheur à vous, Pharisiens, qui payez la dîme de la menthe, de la rue et de toute plante potagère et qui n'avez nul souci de la justice et de l'amour de Dieu. C'est là ce qu'il fallait pratiquer, sans omettre le reste. - cf. Matth. 23, 23 et le commentaire. Jusqu'ici, vv. 39-41, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ a reproché aux Pharisiens leur affreuse hypocrisie, qui les portait à croire qu'un peu d'eau passée sur leurs mains suffisait pour laver leurs souillures morales. Dans trois malédictions qu'il prononce maintenant contre eux, vv. 42-44, il décrit de plus en plus leur esprit faux et antireligieux. Première malédiction : Malheur aux Pharisiens qui pratiquent scrupuleusement de petits détails extralégaux, mais qui négligent l'essentiel de la loi divine. - Mais rattache la pensée précédente à celle‑ci : Mais je vois bien qu'il est inutile de vous faire de telles recommandations ; aussi, malheur à vous. - Qui payez la dîme… Les Pharisiens, appliquant le précepte de la dîme (Lévitique 28, 30 et ss.) de la façon la plus rigide, avaient compris dans ses limites toutes les plantes potagères en général, et même quelques herbes médicinales telles que la menthe et la rue. Cette dernière, qui n'est pas mentionnée ailleurs dans la Bible, a une tige de 6 à 9 centimètres, sous‑ligneuse à la base et très ramifiée au sommet, des feuilles glauques d'une odeur forte et repoussante, des fleurs d'un beau jaune en corymbe. Elle était tenue en grand estime par les anciens, qui l'employaient comme assaisonnement et comme vermifuge. cf. Pline, 2. N., 19, 8 ; Columelle, de Re Rust., 12, 7, 5 ; Dioscorides, 3, 45 ; Fréd. Hamilton, La Botanique de la Bible, Nice 1871, p. 102 et s. Le Talmud (Schebiith, 9, 1) la cite pourtant parmi les plantes non astreintes à la dîme ; mais le formalisme pharisaïque jugeait autrement sur ce point. - N’avez nul souci… Quel contraste. Et, dans ce contraste, quelle grave accusation contre les Pharisiens : Renversant l'ordre naturel, ils accomplissent les plus petites choses avec un soin méticuleux, mais ils omettent les plus essentielles sans pudeur et sans remords ; ils multiplient les pratiques de surérogation, mais ils négligent les premiers devoirs de la religion.
Luc 11.43 Malheur à vous, Pharisiens, qui aimez les premiers sièges dans les synagogues et les salutations dans les places publiques. - Seconde malédiction : Malheur aux Pharisiens orgueilleux qui ambitionnent et recherchent partout les honneurs. cf. 20, 46, où nous verrons Jésus renouveler ce blâme. - Les premiers sièges dans les synagogues. Ils portaient donc l'orgueil jusqu'au sanctuaire. « Il y a encore, dans les livres des Hébreux, des décrets sur la façon dont les docteurs de la loi et les Pharisiens devaient s’asseoir. D’où est né l’adage selon lequel les gens de la plèbe, autrement dit le peuple de la terre, étaient appelés l’escabeau des pieds des Pharisiens. ». - Les salutations dans les places publiques. cf. Matth. 23, 7 et l'explication. En Orient, plus encore qu'en Occident, l'on a toujours été à cheval sur l'étiquette sous ce rapport. D'après le Talmud, ne pas donner à un Rabbin le titre qui lui est dû, c'est irriter la majesté divine. R. Jochanan ben Zachaï est regardé comme un modèle d'humilité parce que, même sur la place publique, il saluait le premier les gens (Berachoth, f. 27, 1).
Luc 11.44 Malheur à vous, parce que vous ressemblez à des tombeaux qu'on ne voit pas et sur lesquels on marche sans le savoir." - Troisième malédiction : Malheur aux Pharisiens qui, malgré leurs belles apparences de piété, portent au fond de leur cœur la corruption du tombeau. Les lois juives expliquent cette comparaison si humiliante pour les Pharisiens. D'après Nombres 19, 16, le contact d'un tombeau rendait légalement impur pour huit jours, de même que celui d'un cadavre, et c'est pour cela qu'on devait rendre les tombeaux aussi apparents que possible, afin que les passants puissent les éviter. cf. D. Calmet, h. l. Les Pharisiens étaient donc, par suite de leurs vices secrets, des tombeaux dissimulés sous le gazon. cf. E. Renan, Mission de Phénicie, p. 809. Saints en apparence, ils n'étaient en réalité que des hommes corrompus. Dans S. Matthieu, 23, 27 et 28, le point de comparaison n'est pas tout à fait le même, quoique l'idée générale soit identique. De ces accusations du Sauveur, il ne sera pas sans intérêt de rapprocher une description vivante du Talmud (Sola, f. 22, 2) relative au Pharisaïsme. Nous en empruntons la traduction à M. J Cohen, Les Pharisiens, Paris 1877, t. 2, p. 30. « Il y a sept sortes de Pharisiens : 1° Les forts d'épaules ; ils écrivent leurs actions sur leur dos pour se faire honorer des hommes ; 2° les broncheurs, qui vont par les rues traînant, pour se faire remarquer, les pieds contre terre et les heurtant sur les cailloux ; 3° les cogne‑têtes, qui ferment les yeux pour ne pas voir les femmes, et se cognent le front contre les murs ; 4° les humbles renforcés, qui marchent pliés en deux ; 5° les Pharisiens de calcul, qui n'observent la loi que pour les récompenses qu'elle promet ; 6° les Pharisiens de la peur, qui ne font le bien que dans la crainte du châtiment ; 7° Les Pharisiens du devoir ou les Pharisiens d'amour ; ceux‑ci seuls sont les bons ; parmi les autres, il n'en est pas un seul qui soit digne d'estime ». Ce triste et véridique portrait n'empêche pas M. Cohen d'excuser le plus qu'il peut ses coreligionnaires, de transformer en une exception ce que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ signale comme la règle, de prétendre même qu'à part « quelques incidents orageux et quelques paroles irritées, » Jésus n'eut pas avec les Pharisiens des rapports si hostiles qu'on le suppose, bien plus, qu'il leur emprunta des points assez nombreux de sa doctrine. (voir les chap. 1 et 2 du tome 2). Il existe aujourd'hui encore à Jérusalem une secte pharisaïque vivant séparée des autres communautés juives. Certains juifs les accusent d’être : « Fanatiques, bigots, intolérants, querelleurs, et au fond irréligieux ; pour eux l'accomplissement extérieur des lois cérémoniales est tout, la morale théorique peu de chose, la morale pratique n'est rien. » Aussi, la pire injure qu'un Juif de la secte des Chassidim (les pieux) puisse proférer dans un accès de colère consiste à dire : « Tu es un Porisch. » c'est‑à‑dire un Pharisien.
Luc 11.45 Alors un docteur de la Loi, prenant la parole, lui dit : "Maître, en parlant de la sorte, vous nous outragez aussi." - Ce scribe espérait sans doute détourner par son interpellation l'orage qui éclatait depuis quelques instants sur la tête des Pharisiens. Il le détourna en effet, mais pour l'amener sur lui‑même et tous ses pareils. - Maître : L'interruption est polie dans la forme. Le Docteur décerne à Jésus sans hésitation le titre de Rabbi. D'ailleurs tous les partis rendaient spontanément cet hommage à sa profonde sagesse. cf. 7, 40 ; 10, 25 ; 12, 13 ; 19, 39 ; 20, 21, 28, 39, etc. - Vous nous outragez aussi : Nous, les docteurs officiels ; ne remarquez‑vous pas que nous sommes également atteints par vos censures ? En effet, observe justement Luc de Bruges, « Les Pharisiens n’étaient rien d’autre que des rigides observateurs de la doctrine des scribes. Le Pharisien en tant que Pharisien n’enseignait rien. ».
Luc 11.46 Jésus répondit : "Et à vous aussi, docteurs de la Loi, malheur. Parce que vous chargez les hommes de fardeaux difficiles à porter et vous-mêmes, vous n'y touchez pas d'un seul de vos doigts. - Ce Scribe avait vu juste. Oui, mes reproches retombent aussi sur les Légistes, répond Notre‑Seigneur sans se laisser intimider, et, s'adressant à eux désormais jusqu'à la fin de son discours, vv. 46-52, il leur jette à la face un triple malédiction motivée, comme il avait fait pour les Pharisiens. Sur le premier « Malheur » que contient ce verset, voyez Matth. 23, 4 et le commentaire. - Vous chargez les hommes… Chargés d'interpréter la Loi, mais ajoutant à ses prescriptions, déjà nombreuses et souvent pénibles, d'autres prescriptions plus nombreuses et plus pénibles encore, ils chargeaient vraiment les hommes de fardeaux insupportables. Mais, ce qu'il y avait de pire, c'est qu'ils se gardaient bien d'y toucher eux‑mêmes d'un doigt. Jésus n'avait‑il pas raison de stigmatiser à tout jamais une telle conduite ?
Luc 11.47 Malheur à vous, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes et ce sont vos pères qui les ont tués. 48 Vous servez donc de témoins et vous applaudissez aux œuvres de vos pères, car eux les ont tués et vous, vous leur bâtissez des tombeaux. - Seconde malédiction, la plus longue des trois, vv. 47-51. Votre situation, dit Jésus aux Scribes, n'est pas moins fausse à l'égard des prophètes qu'à l'égard de la Loi. Vous maltraitez la Thorah par des gloses exagérées ; vous maltraitez de même les prophètes par un culte d'apparat, qui n'a rien de vrai, d'intérieur. Jésus exprime cette idée d'une façon hardie, paradoxale en apparence, mais d'autant plus vigoureuse. Il signale d'abord un premier fait (vous bâtissez les tombeaux des prophètes) qui se passait alors au su et au vu de tout le monde israélite. Il en signale ensuite un second (ce sont vos pères qui les ont tués), dont la vérité est certifiée par maint endroit de l'histoire juive. Alors, les rapprochant l'un de l'autre et tirant une conclusion inattendue, il affecte de voir dans l’œuvre des fils la continuation et l'approbation ouverte de celle des pères. Ceux‑ci ont fait mourir les prophètes, ceux‑là les ensevelissent : n'est‑ce pas un seul et même acte ? Voyez les détails de l'explication dans S. Matth.
Luc 11.49 C'est pourquoi la Sagesse de Dieu a dit : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, ils tueront plusieurs d'entre eux et en persécuteront d'autres : - Jésus va montrer maintenant, vv. 49-51, qu'une telle manière d'agir attirera infailliblement la colère et les vengeances du ciel sur toute la nation. - La sagesse de Dieu a dit. Ces mots, si simples en apparence, ont suscité un assez grand nombre d'opinions diverses parmi les exégètes. Le P. Curci et d'autres croient, mais sans le moindre fondement, qu'ils ne furent pas prononcés par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et que S. Luc lui‑même les a insérés dans le discours. Plusieurs auteurs les regardent comme une formule de citation biblique, « sagesse de Dieu » équivalant suivant eux à « Écriture sainte » ; toutefois, ils ne peuvent tomber d'accord touchant le passage cité, et cela se comprend, puisque les paroles suivantes du Sauveur, je leur enverrai…, n'existent nulle part d'une manière identique dans les écrits de l'ancienne Alliance. M. Godet renvoie le lecteur à Proverbes 1, 20-31 : « La sagesse crie dans les rues, et fait entendre sa voix sur les places publiques… Voici, je ferai venir sur vous mon esprit et je vous ferai connaître mes paroles… Mais vous avez fait échouer mon conseil et résisté à mes réprimandes. C'est pourquoi, quand votre calamité surviendra, je me rirai de votre malheur… (et je dirai) : Qu'ils mangent du fruit de leurs œuvres. » Il a soin de rappeler en outre que S. Clément de Rome, S. Irénée, Méliton donnent au livre des Proverbes le nom de Sagesse. Olshausen, Stier, Alford aiment mieux voir ici une réminiscence de 2 Chroniques 24, 18-22 : « Et ils abandonnèrent le temple du Seigneur, Dieu de leurs pères… et ce péché attira la colère du Seigneur sur Juda et sur Jérusalem. (Et) Il leur envoyait des prophètes pour les ramener au Seigneur ; mais ils ne voulaient pas les écouter, malgré leurs protestations…. ». Ewald et Bleek peu satisfaits, et à bon droit, de ces rapprochements, supposent que la citation faite par Jésus provenait d'un livre réellement intitulé « Sagesse de Dieu », mais perdu depuis. N'est‑il pas beaucoup plus naturel, sans recourir à tant d'hypothèses mal appuyées, de dire que, par « sagesse de Dieu », Jésus n'a pas désigné autre chose que les décrets divins, lesquels sont censés prendre la parole( « a dit ») quand ils sont mis à exécution ? Plus tard, sous les galeries du temple, le Sauveur se mettra lui‑même directement en cause : « C’est pourquoi, voici que moi, j’envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes... » (Matth. 23, 34) ; preuve qu'il est la sagesse éternelle du Père. - Des Prophètes et des Apôtres, c'est‑à‑dire tous les prédicateurs de l'Évangile. cf. Éphésiens 2, 20 ; 3, 5, où le nom de prophète, uni à celui d'apôtre, est pareillement appliqué aux dignitaires de l'Église du Christ.
Luc 11.50 afin qu'il soit redemandé compte à cette génération du sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la création du monde, 51 depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, tué entre l'autel et le sanctuaire. Oui, je vous le dis, il en sera redemandé compte à cette génération. - C'est en vertu de la solidarité qui règne entre les crimes et les criminels de tous les temps, que Jésus peut rendre la génération juive contemporaine responsable de tous les homicides injustes commis depuis les premiers jours du monde, cf. commentaire S. Matth. - Depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie. Zacharie ne différant pas, comme nous l'avons admis dans notre explication de S. Matthieu, du prophète mentionné au second livre des Chroniques, 24, 20-22, et ce livre occupant la dernière place dans la Bible hébraïque, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ signalait de la sorte le sang répandu en premier et en dernier lieu d'une manière criminelle d'après le canon sacré des Juifs. En outre, chacun de ces deux meurtres était rendu plus atroce par des circonstances particulières : celui d'Abel était un fratricide, à celui de Zacharie s'ajoutait la malice du sacrilège. - Entre l'autel et le sanctuaire. La maison par excellence, ou le temple, comme nous lisons expressément dans S. Matthieu. Cette signification du mot maison est familière aux Hébreux et aux Arabes. - Oui, je vous le dis… Répétition brève et solennelle de la menace qui vient d'être développée. Oui, j'en donne ma parole, cette génération sera châtiée. Plus d'un auditeur, témoin peut‑être des effroyables massacres qui firent couler des flots de sang juif dans toute la Palestine, dut se souvenir alors de Jésus et sa prophétie terrible.
Luc 11.52 Malheur à vous, docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clef de la science, vous-mêmes n'êtes pas entrés et vous avez empêché ceux qui entraient." - Troisième malédiction à l'adresse des Scribes. Voyez Matth. 23, 13. - Vous avez enlevé la clef de la science. « Une formule élégante par laquelle est indiqué le rôle de l’enseignement et de l’explication de la vraie religion, qui ouvre l’esprit comme une clef », Elsner. Les Docteurs de la loi avaient donc entre les mains, en vertu même des fonctions qu'ils exerçaient, la clef de la science religieuse, par conséquent du salut et du ciel. Et voici qu'au lieu d'ouvrir, ils tenaient la porte fermée. - Vous‑même n'êtes pas entrés : c'était leur affaire ; mais, crime impardonnable, vous avez arrêté ceux qui voulaient entrer. A plus d'un prêtre le Souverain Juge adressera un jour le même reproche. - Rien ne prouve qu'il faille prendre en mauvaise part l'expression « pris la clef », car le pouvoir des Scribes était très légitime. cf. Matth. 23, 2 et 3. Le texte ferait plutôt allusion, comme l'ont pensé quelques commentateurs, à une antique cérémonie par laquelle les Juifs « avaient coutume de livrer la clef dont on voulait que se servent ceux qui étaient chargés du devoir d’enseigner ». Mais nous préférons ne voir dans ce verset qu'une simple métaphore.
Luc 11.53 Comme Jésus leur disait ces choses, les Pharisiens et les Scribes se mirent à le presser vivement et à l'accabler de questions, 54 lui tendant des pièges et cherchant à surprendre quelque parole de sa bouche pour l'accuser. - Ce résultat fut un redoublement de haine de la part des Pharisiens et des Scribes. S. Luc décrit à merveille, en un tableau plein de vie, les efforts qu'ils tentèrent sur‑le‑champ pour arracher à Jésus quelque paroles imprudente, qui leur permettrait de le citer devant les tribunaux juifs ou romains et d'accélérer sa perte. Dans le texte grec, tous les mots qui suivent sont d'une grande énergie. - A le presser : une pression vive et hostile, qui consista en toute sorte de questions insidieuses posées coup sur coup à Notre‑Seigneur, de manière à l'obliger à parler sans préparation et à répondre de travers, s'il était possible.
CHAPITRE 12
Il est aisé de dire, avec Rosenmüller et d'autres exégètes protestants, à propos de ce chapitre : « Luc regroupe plusieurs choses qui ont été dites à des époques diverses, dont il n’est pas nécessaire de démontrer l’enchaînement : ce sont des sortes d’aphorisme ». Qu'importe que les éléments dont il se compose apparaissent pour la plupart en d'autres parties de l'histoire évangélique ? Nous avons admis à la suite des meilleurs exégètes que Notre‑Seigneur a dû répéter en différentes circonstances plusieurs de ses principaux enseignements, et l'étude approfondie des textes sacrés nous confirme de plus en plus dans cette opinion. Il nous répugnera toujours de croire que les évangélistes ont fait des compilations arbitraires des paroles de Jésus, que telle partie de leur récit, donnée par eux comme un discours suivi, n'est en réalité qu'une simple recueil de morceaux choisis. Au reste, pour ce qui est de ce passage, S. Luc démontre par deux notes historiques (vv. 22, 54) qu'il ne l'a nullement arrangé à sa guise, mais qu'il a raconté les faits et les discours d'après leur réalité objective. De plus, si un certain nombre des pensées se retrouvent ailleurs, elles sont diversement combinées, elles subissent des variations pour le fond et pour la forme : et cela suffit pour prouver la non‑identité. - Les formules d'introduction et de transition mentionnées plus haut divisent ce chapitre en quatre parties : vv. 1-12, première série d'avertissements aux disciples ; vv. 13-21, la parabole du riche insensé ; vv. 22-53, seconde série d'avertissements aux disciples ; vv. 54-59, un enseignement d’une très grande importance pour le peuple.
Luc 12.1 Sur ces entrefaites, les gens s'étant rassemblés par milliers, au point de s’écraser les uns les autres, Jésus se mit à dire à ses disciples : "Gardez-vous avant tout du levain des Pharisiens, qui est l'hypocrisie. - Sur ces entrefaites établit une connexion étroite entre la scène qui précède et tout ce discours. Tandis que Jésus était à table avec les Pharisiens et les accablait de si justes reproches, un concours énorme de peuple s'était donc fait non loin de là, et le Sauveur, dès qu'il sortit (11, 53), fut entouré par cette foule avide de le voir et de l'entendre. Les gens s'étant rassemblés par milliers, au point de s’écraser les uns les autres. - A ce point qu'on se marchait les uns sur les autres : détail pittoresque, analogue à plusieurs précisions de S. Marc, 1, 33 ; 2, 2 ; 3, 9 ; 6, 31. - Jésus se mit à dire à ses disciples. Ces mots déterminent la portion spéciale de son immense auditoire à laquelle Jésus adressa d'une manière directe ses premiers avertissements : il avait surtout en vue les disciples, rangés autour de lui. Toutefois ses paroles devaient également profiter à la foule ; c'est pourquoi il les prononçait devant toute l'assistance. Elles se ramènent à trois graves leçons : Fuyez l'hypocrisie pharisaïque, ne craignez pas les persécutions humaines, soyez fermes dans la foi. La première est contenue dans les vv. 1-3. - Gardez‑vous du levain des Pharisiens : voilà contre quoi les disciples doivent se mettre en garde avec la plus grande vigilance, et Jésus exprime aussitôt ce qu'il entend par le levain des Pharisiens : qui est l'hypocrisie… Défiez‑vous, veut‑il dire, de ces loups revêtus de peaux d'agneaux, et n'allez pas imiter leur conduite. Voyez dans S. Matthieu, 16, 6, et dans S. Marc. 8, 15, la même idée reproduite antérieurement par Notre‑Seigneur.
Luc 12.2 Il n'y a rien de caché qui ne doive être révélé, rien de secret qui ne doive être connu. - Un jour viendra où tout sera dévoilé ; les actions les plus secrètes, les desseins les mieux dissimulés seront mis en pleine lumière, et alors les hypocrites seront démasqués. Jésus se sert à bon droit de ce motif pour presser plus fortement les siens d'éviter l'hypocrisie pharisaïque.
Luc 12.3. - Car, ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira dans la lumière ; et ce que vous avez dit à l’oreille, dans les chambres, sera prêché sur les toits. - Le rideau sera donc tiré de dessus toutes choses. Mais la publicité, terrible pour les uns (les Pharisiens), auxquels elle apportera la honte, sera glorieuse pour les autres (les disciples), car elle proclamera la vérité de leur prédication, la légitimité de leur conduite. Les expressions proverbiales employées par Notre‑Seigneur désignent d'une manière pittoresque les commencements timides du ministère apostolique, comme le prodigieux éclat donné ensuite à l'Évangile. A propos de la locution toute orientale « sera prêché sur les toits », rappelons que les toits des maisons en Palestine sont généralement plats. Du haut de ces terrasses, qui sont d'ailleurs peu élevées, on se fait très bien entendre des gens groupés dans les rues, sur les places, ou sur les toits voisins, et une nouvelle ainsi publiée obtient en un clin d’œil du retentissement dans toute une ville. - S. Matthieu, 10, 26 et 27 (voyez le commentaire), place également sur les lèvres de Jésus, mais d'après une liaison toute différente et avec quelques modifications dans la forme, les aphorismes des vv. 2 et 3. Notez la tournure poétique de ces proverbes ; le parallélisme des mots s'y dessine clairement :
Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé,
rien n’est caché qui ne sera connu.
Ce que je vous dis dans les ténèbres,
dites‑le en pleine lumière,
ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez‑le sur les toits
Or, c'est justement en cela que consiste le caractère principal de la poésie hébraïque.
Luc 12.4 Mais je vous dis, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui après cela ne peuvent rien faire de plus. 5 Je vais vous apprendre qui vous devez craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne, oui, je vous le dis, craignez celui-là. - Deuxième leçon, vv. 4-7 : Dieu vous protège, ne craignez pas les hommes. - Jésus vient de prédire la publicité qui sera donnée plus tard à l'Évangile. Mais cette publicité même devait attirer de terribles persécutions sur les prédicateurs de la bonne nouvelle : c'est pourquoi le divin Maître les rassure. - A vous, qui êtes mes amis. Quelle tendresse dans cette appellation. Nulle part ailleurs, dans les Évangiles synoptiques, les disciples ne reçoivent de Jésus le doux nom d'amis. Mais nous retrouverons ce titre dans le quatrième Évangile, 15, 15. - Ne craignez pas… Le Sauveur affirme d'abord à ses chers disciples qu'ils n'ont rien à craindre des hommes, alors même que ceux‑ci les condamneraient aux derniers supplices ; car, ajoute‑t‑il pour motiver son assertion, quand les hommes ont donné la mort à ceux qu'ils persécutent, ils ont épuisé toute leur puissance. - Je vais vous apprendre… Mais si les hommes, fussent‑ils des bourreaux, n'ont rien de vraiment redoutable, il est quelqu'un qui est formidable jusqu'au‑delà de la mort corporelle : c'est Dieu, car il a le pouvoir d'envoyer à tout jamais dans l'enfer ceux qui l'ont offensé. Aussi Jésus répète‑t‑il sur un ton grave et solennel : craignez celui‑là. Voyez d'ailleurs, sur ces deux versets, Matth. 10, 28 et le commentaire. - S. Luc n'emploie qu'en cet endroit le mot géhenne pour désigner l'enfer.
Luc 12.6 Cinq passereaux ne se vendent-ils pas deux as ? Et pas un d'entre eux n'est en oubli devant Dieu. 7 Mais les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc pas : vous êtes de plus de prix que beaucoup de passereaux. - Après avoir rassuré ses disciples en face des dangers à venir, en leur montrant l'impuissance de leurs persécuteurs, Jésus les rassure encore par une touchante peinture des bontés paternelles de Dieu à leur égard. Deux exemples, choisis à dessein dans le domaine des plus petites choses, sont apportés à preuve. 1° Qu'y a‑t‑il de moins précieux que les petits oiseaux ? Ils tombent si nombreux dans les pièges de divers genres que leurs dressent les oiseleurs orientaux, qu'on peut, aujourd'hui comme au temps de Notre‑Seigneur, en livrer cinq à l'acheteur pour une somme dérisoire. Et pourtant, chacun d'eux est l'objet d'une providence très particulière. Quelle belle variante du passage parallèle de S. Matthieu, 10, 29 : « Deux moineaux ne sont‑ils pas vendus pour un as ? ». - En oubli devant Dieu est un hébraïsme. Cette locution a d'ailleurs une excellente base psychologique, les personnes dont nous nous souvenons étant en quelque sorte présentes à notre esprit et à notre cœur. - 2° Les cheveux mêmes… Même nos cheveux, et ils ont encore beaucoup moins de valeur qu'un humble oiseau, attirent l'attention de la divine providence. Dieu en connaît le nombre (entre 100000 et 150000) et pas un seul ne tombera sans sa permission. Grand motif de confiance, dit Jésus en tirant la conclusion de son raisonnement : Ne craignez donc pas. Combien de passereaux, ajoute‑t‑il avec une charmante simplicité, ne faudrait‑il pas pour valoir un homme. cf. Matth. 10, 30, 31 et le commentaire.
Luc 12.8 Je vous le dis encore, quiconque m'aura confessé devant les hommes, le Fils de l'homme aussi le confessera devant les anges de Dieu, 9 mais celui qui m'aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu. - Troisième leçon, vv. 8-12 : Gardez soigneusement la foi, même au milieu des persécutions. La profession de l'Évangile peut coûter cher aux disciples sans doute ; mais, s'ils y persévèrent, elle leur assure une récompense magnifique. Quelle récompense que s'entendre proclamer chrétien fidèle par Jésus lui‑même, devant toute les phalanges angéliques, c'est‑à‑dire au jugement général auquel les anges assisteront. Toutefois, à la récompense est opposée un châtiment terrible, qui atteindra les lâches apostats. Une nuance délicate, propre à la rédaction de S. Luc, mérite d'être notée. Plus haut, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ avait promis de reconnaître lui‑même, en présence des anges, ceux qui l'auraient courageusement reconnu et confessé devant les hommes ; maintenant qu'il s'agit d'une condamnation épouvantable, il évite de se mettre personnellement en scène, et il dit d'une manière générale : sera renié. Voyez sur ces deux versets Matth. 10, 32, 33 et le commentaire.
Luc 12.10 Et quiconque parlera contre le Fils de l'homme, obtiendra le pardon, mais pour celui qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint, il n'y aura pas de pardon. - Autre grand péril qui menace la foi des disciples : ils sont exposés non‑seulement à renier leur Maître, mais encore à blasphémer contre l'Esprit‑Saint, ce qui est une faute énorme, à tout jamais irrémissible. - Quiconque parlera contre le Fils : une parole en passant, comme serait de renier par faiblesse Jésus et son Église. Malgré la brièveté de ce péché, on peut obtenir un prompt et généreux pardon pourvu qu'on se repente ; mais le crime désigné par les mots blasphémé contre l’Esprit-Saint ne saurait être pardonné, parce qu'il consiste, nous l'avons dit ailleurs (Evang. S. Matth. 12, 31-32) dans la haine de la vérité reconnue comme telle, et qu'il suppose l'endurcissement volontaire dans le mal. Jésus répète ici à ses disciples la grave instruction qu'il avait autrefois adressée aux Pharisiens. cf. Matth. 12, 31 et 32 ; Marc. 3, 28-30.
Luc 12.11 Quand on vous conduira devant les synagogues, les magistrats et les autorités, ne vous mettez pas en peine de la manière dont vous vous défendrez, ni de ce que vous direz, 12 car le Saint-Esprit vous enseignera à l'heure même ce qu'il faudra dire." - Jésus a promis aux siens, pour soutenir leur foi, une splendide couronne dans la bienheureuse éternité, v. 8 ; il leur promet encore dans le même but un secours tout particulier de l'Esprit Saint à l'heure de leurs plus graves dangers. Ils seront conduits comme des criminels tantôt devant les tribunaux religieux des Juifs, tantôt devant les tribunaux civils des païens ; mais qu'ils demeurent calmes quand même. Or, c'est un fait d'expérience que ce qui trouble surtout un accusé durant la pénible attente de son procès, ce sont d'une part les réponses à faire aux interrogatoires des juges : la manière de les présenter, ce que vous répondrez (la substance même), les arguments de la plaidoirie (ce que vous direz). Mais, précisément sur ces deux points, les disciples du Christ peuvent garder la paix de l'âme, car, à l'heure même, l'Esprit de Dieu leur inspirera des improvisations vigoureuses, qui réduiront leurs adversaires au silence. Les magnifiques discours des Pierre, des Étienne, des Paul, Actes 4, 8 et ss. ; 7, 2 et ss. ; 23, 1 et ss. ; 24, 10-21 ; 26, 2-29, prouvent que Jésus n'avait pas fait à ses amis une vaine promesse.
Luc 12.13 Alors du milieu de la foule quelqu'un dit à Jésus : "Maître, dites à mon frère de partager avec moi notre héritage." - Étrange interruption en effet. Jésus parle d'intérêts tout spirituels, tout célestes, et voilà que, profitant sans doute d'une courte pause, un inconnu, préoccupé uniquement de ses intérêts matériels, le conjure de la façon la plus inopportune de l'aider à recouvrer une partie de son patrimoine, qu'un frère aîné semble avoir retenue injustement. Mais comme cette inopportunité même montre bien l'exactitude de S. Luc à suivre l'ordre historique des événements. - On ne saurait dire en termes précis quel était le point en litige : la généralité des mots partager avec moi notre héritage ne le permet pas. D'après la loi mosaïque, Deutéronome 21, 17, l'aîné recevait une double part des biens du père ; mais la fortune de la mère était divisée en portions égales entre tous les enfants. Du moins, l'impression produite par le début du récit est que le suppliant avait été réellement lésé dans ses droits. Ce n'était ni la première ni la dernière fois que la division existait entre des frères à propos d'héritage. On a parfois soutenu, mais sans le moindre fondement, que l'auteur de l'interruption était un disciple de Notre‑Seigneur. Sa requête prouve au contraire qu'il ne connaissait pas du tout l'esprit du divin Maître. Seulement, il avait compris que Jésus était un homme d'une profonde sagesse ; il avait entrevu qu'il jouissait d'une grande autorité : c'est pourquoi il avait imploré son arbitrage, dans l'espoir de recouvrer grâce à lui sa propriété.
Luc 12.14 Jésus lui répondit : "Homme, qui m'a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ?" - La réponse du Sauveur est un refus formel, et un refus empreint d'une certaine sévérité (sur l'emploi de Homme, voyez Romains 2, 1-3). Évidemment, elle fait allusion aux dures paroles qui furent un jour adressées à Moïse par un de ses concitoyens mécontent de son intervention, Exode 2, 14 : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ?». Le royaume de Jésus n'est pas de ce monde : Notre‑Seigneur ne veut donc se mêler ni d'affaires d'héritage, ni d'affaires politiques (cf. Matth. 22, 17 et parall.), tout cela étant étranger à sa mission, et n'ayant aucun rapport direct avec l'établissement de la vraie religion. « Il faisait bien de dédaigner les biens de la terre celui qui était descendu pour les divins…Ce n’est donc pas sans raison qu’est rebuté ce frère qui voulait assigner le dispensateur des choses célestes à des choses périssables », S. Ambroise, h. l. Plus tard, il est vrai, S. Paul recommandera aux chrétiens de juger entre eux leurs affaires contentieuses, 1 Corinthiens 6, 1-6 ; mais le cas n'était plus le même. S. Augustin, constamment dérangé dans ses occupations intellectuelles et mystiques par la foule des plaideurs qui venaient le prier d'être leur arbitre, regrettait, nous dit‑il (Enarrat. in Psaume 118, 115), de ne pouvoir répondre à la suite de Jésus : « Qui m'a établi… ? ». - Juge ou faire vos partages : Deux expressions techniques, dont la première désigne le juge chargé de trancher la question de droit, la seconde l'expert qui divise l'héritage conformément à la sentence des tribunaux.
Luc 12.15 Et il dit au peuple : "Gardez-vous avec soin de toute avarice, car, dans l'abondance même, la vie d'un homme ne dépend pas des biens qu'il possède." - « A l’occasion de ce demandeur stupide, il s’est efforcé de prémunir les foules et les disciples, par des préceptes et des exemples, contre cette peste de l’avarice », Bède le Vénérable, h. l. - gardez‑vous de toute avarice. Le motif allégué par Jésus, car un homme fût‑il dans l'abondance…, Maldonat, « tous les docteurs conviennent que la vie de l’homme ne consiste pas du tout dans l’abondance des richesses ». L'opulence ne fait pas vivre une minute de plus ; elle n'est pas une condition essentielle de l'existence humaine, ni du bonheur humain.
Luc 12.16 Puis il leur dit cette parabole : "Il y avait un homme riche dont le domaine avait beaucoup rapporté. - Jésus commente par une belle parabole, par un frappant exemple, l'importante vérité qu'il vient d'énoncer en termes généraux. - Un homme riche. C'est le héros du récit exposé par le divin Maître ; triste héros pourtant, car nous ne découvrirons en lui rien de spirituel ni d'élevé : il est mondain jusqu'à la moelle des os. Quoiqu'il possède déjà beaucoup, son idéal est de posséder encore davantage. Mais voici que ses désirs vont être pleinement satisfaits : le domaine lui rapporta beaucoup de bien. Les exégètes anciens et modernes font observer à bon droit que l'homme riche présenté par Notre‑Seigneur comme un modèle à éviter avait une fortune très légitimement acquise. « Il ne pensait ni à s'emparer des champs de ses voisins, ni à déplacer les bornes délimitant les parcelles de terre, ni à dépouiller le pauvre, ni à tromper le simple », S. August., Serm. 178, 2. Cette façon de s’enrichir est tout à fait innocente, mais n’en est pas moins périlleuse. cf. Maldonat, h. l. En effet, il y a longtemps que le sage l'a prophétisé, Proverbes 1, 32 : « La prospérité des insensés les détruira ». cf. Ecclésiaste 5, 10. Les grecs et les Latins avaient d'ailleurs des maximes analogues, fruits d'une expérience souvent vérifiée. « L'argent stimule l'avare, sans le rassasier » (axiome romain).
Luc 12.17 Et il s'entretenait en lui-même de ces pensées : Que ferai-je ? Car je n'ai pas de place pour mettre ma récolte. - Ce verset et les deux suivants contiennent un monologue d'une parfaite exactitude psychologique, et admirablement décrit. - Que ferai‑je ? Se demande avec anxiété le riche propriétaire, mis subitement dans l'embarras. Et quel embarras. Je n'ai pas de place pour mettre ma récolte... « La richesse trouble l’homme plus que la pauvreté », S. Augustin. « O angoisse née de la satiété ! La fertilité de son champ angoisse l’âme de l’avare. Car il dit : que ferai‑je ? Il montre par là que l’intensité de ses désirs l’opprime ; et qu’il peinait pour un assemblage de petites choses », S. Greg. Moral. 15, 22. C'est le cas de citer le vers de Virgile, Georg. 1, 49 : « Les moissons abondantes de blé rompent les granges. » Ou celui de Tibulle, 2, 5, 84 : « Cérès distend les granges pleines de blé. » Le vieux proverbe a raison : « L’inquiétude suit l’augmentation de la richesse ». Si la plupart des hommes se tourmentent parce qu'ils n'ont pas tout ce dont ils ont besoin ou tout ce qu'ils désirent, il en est d'autres qui s'inquiètent parfois à propos de leur superflu, dont ils ne savent que faire. Comme s'il n'y avait pas des pauvres pour les délivrer de ce souci. « Tu as pour entrepôt le sein des pauvres, la maison des veuves, les bouches des enfants. », S. Ambroise, de Nabuthe, 7. cf. S. August. Serm 36, 9 ; S. Basile, ap. Cat. S. Thom. ; Ecclésiastique 29, 12. Mais c'est l'égoïsme qui donne ici le ton. Le riche de notre parabole ne pense qu'à lui‑même, comme le montre le pronom « je » répété cinq fois avec emphase.
Luc 12.18 Voici, dit-il, ce que je ferai. J'abattrai mes greniers et j'en construirai de plus grands et j'y amasserai la totalité de mes récoltes et de mes biens. 19 Et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as de grands biens en réserve pour beaucoup d'années, repose-toi, mange, bois, fais bonne chère. - Après avoir cherché pendant quelque temps d'une manière anxieuse, il arrive enfin à une solution qu'il a tout lieu de croire excellente. Ses greniers sont trop étroits, qu'importe ? Il les détruira, et il en construira de plus vastes, capables de contenir ses splendides récoltes. Et que dira‑t‑il à sa pauvre âme, qu'il n'envisage pas ici comme la partie supérieure de son être, mais comme le siège des plaisirs et le centre des jouissances ? Il lui tiendra un langage d'Épicurien : Tu as beaucoup de biens en réserve pour de nombreuses années. Il se délecte dans cette pensée ; mais quelle erreur est la sienne : Un païen va lui faire la leçon : « Une chose appartient à quelqu’un. En une seconde soit par la demande, soit par la vente, soit par la violence ou la mort, elle change de propriétaire, et ses droits sont cédés à d’autres », Horat. Ep. 2, 2, 171. On dirait qu'il veut copier les sentiments et les paroles de cet autre riche que le livre de l'Ecclésiastique, 11, 18 et 19, signale pour le condamner : « Tel s’enrichit à force d’être économe et regardant, mais voici ce qu’il y gagne : Quand il dit : « Enfin le repos. Maintenant je vais jouir de mes biens », il ignore combien de temps cela va durer : il devra laisser ses biens à d’autres et mourra ». - Repose‑toi, mange, bois, fais bonne chère. Quelle émotion, quelle rapidité, dans cette dernière ligne du soliloque. Le malheureux semble jouir déjà par avance. Mais il ne jouira pas longtemps, bien qu' « il avait escompté de longues périodes de sécurité », Tertullien.
Luc 12.20 Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même on te redemandera ton âme et ce que tu as mis en réserve, pour qui sera-t-il ? - Fin terrible d'un beau rêve. Peu importe du reste le moyen auquel Dieu aura recouru pour se faire entendre : nous n'avons pas à nous inquiéter de ce détail (voyez dans Maldonat le résumé des anciennes opinions), car l'essentiel consiste dans les paroles mêmes. - Insensé. Celui sur qui retombe cette épithète avait pourtant paru si sage. Il avait combiné des plans si ingénieux. Mais en réalité il n'était qu'un insensé. « Quelle sotte chose que vouloir disposer du temps. Nous ne contrôlons même pas le lendemain. Quelle grande démence il y a dans les ambitieux projets des commerçants ! J’achèterai, je construirai, je croirai, j’exigerai, j’obtiendrai des honneurs. Jusqu’à ce que la lassitude de la vieillesse me réduise à l’inactivité », Sénèque, Ep. 101. cf. Jacques 3, 13 et 14. C'est le Nabal du Nouveau Testament cf. 1 Samuel 25, 25. - Cette nuit même… c'est‑à‑dire dans quelques instants, dans quelques heures tout au plus, car on le suppose étendu sur son lit pendant la nuit, et demeurant éveillé par suite de ses préoccupations et de ses projets. - On te redemandera ton âme : l'emploi du temps présent indique aussi un très court délai. Le on, forme plurielle, a été diversement interprété. On lui a fait désigner tour à tour des assassins (Paulus, Bornemann), les anges de la mort (von Gerlach, etc. cf. Job. 33, 22), Dieu lui‑même (ce serait alors un pluriel de majesté). Laissons‑lui, à la suite de Jésus, son « effrayante obscurité » (Trench). cf. v. 48 : 14, 35. - Ce que tu as mis en réserve… Tirant le voile sur le sort qui attend dans l'autre vie une âme aussi mondaine, la parabole revient, et c'est son dernier détail, sur les richesses accumulées par celui dont elle raconte la triste histoire. A qui appartiendront tant de trésors ? Les ennuis causés par cette incertitude sont fréquemment signalés dans les saints Livres. Psaume 38, 7 : « il amasse, mais qui recueillera ? » ; Ecclésiaste 2, 18 et ss. : « Je déteste tout ce travail que j’accomplis sous le soleil et que je vais laisser à mon successeur. Qui sait s’il sera sage ou insensé ? Ce sera lui le maître de tous ces travaux accomplis par ma sagesse sous le soleil. Cela aussi n’est que vanité. ». cf. Psaume 48, 16-20 ; Jérémie 17, 11 ; Job. 27, 16 et 17.
Luc 12.21 Il en est ainsi de l'homme qui amasse des trésors pour lui-même et qui n'est pas riche devant Dieu." - Conclusion et morale de la parabole. Jésus met en regard deux sortes de trésors, les trésors matériels, périssables, et les trésors spirituels, éternels. Il nomme ingénieusement les premiers amasser des trésors pour soi‑même, et les seconds être riche par rapport à Dieu. Malheur à quiconque ne thésaurise que pour lui‑même, dans des vues égoïstes. Il périra, et ses richesses périront avec lui. « Tu es captif et esclave de ton argent. Tu sers ton argent qui ne te sert pas pour ta servitude. Tu accumules un patrimoine qui t’écrase de la lourdeur de son poids. Tu ne te souviens plus de ce que Dieu a répondu au riche qui empilait avec une sotte exultation la débordante récolte de ses fruits. Pourquoi engranges‑tu pour toi seul tes richesses, toi qui augmentes la valeur de ton patrimoine avec tes souffrances, pour qu’en devenant plus riche en ce monde, tu deviennes plus pauvre devant Dieu ? », S. Cyprien de Carthage, de Op. et Eleemos.
Luc 12.22 Jésus dit ensuite à ses disciples : "C'est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. 23 La vie est plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement. - Après avoir répondu à l'interpellation singulière (v. 13) qui l'avait interrompu au milieu des avertissements qu'il donnait aux disciples, Jésus s'adresse de nouveau d'une manière plus spéciale à ces derniers. Mais, au lieu de reprendre la suite de ses premières leçons, il continue de parler pendant quelque temps (vv. 22-34) du sujet sur lequel on l'avait amené, et il profite de cette occasion pour redire quelques‑unes de ses plus belles maximes du sermon sur la montagne. cf. Matth. 6, 25-34 et le commentaire. « Il a enseigné plus haut qu’il fallait nous garder de l’avarice…Et puis, développant au fur et à mesure toute sa pensée, il ne nous permet pas même de nous soucier de ce qui est nécessaire, arrachant par là la racine de l’avarice ». Cette réflexion de Théophylacte indique fort bien l'enchaînement et la gradation des pensées. - C'est pourquoi je vous dis… C'est pourquoi, puisque tel est le sort misérable de ceux qui s'attachent aux biens temporels. - Ne soyez pas inquiets. L'anxiété trop vive à l'égard des choses nécessaires à la vie (Notre‑Seigneur mentionne les deux principales, la nourriture et les vêtements) ressemblerait à l'avarice, et ne nous détournerait pas moins de notre fin que l'amour exagéré des richesses. - Les paroles du v. 23 contiennent la démonstration logique de l'avertissement qui précède. « L’âme (i.e. la vie) est plus importante que la nourriture, et le corps que le vêtement… C’est comme s’il disait : le Dieu qui a procuré ce qu’il y a de meilleur, comment ne donnera‑t‑il pas ce qui vaut le moins ? », S. Cyrille de Jérusalem, Chaîne des Pères Grecs.
Luc 12.24 Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que ces oiseaux ? - Jésus continue de fortifier son grave avertissement par des preuves. Passant à des faits d'expérience, et argumentant encore selon la méthode « à plus forte raison », il allègue les raisons les plus touchantes, et en même temps les plus convaincantes, pour nous engager à nous confier pleinement en la Providence de Dieu. - Considérez les corbeaux. Dans S. Matthieu, 6, 26, c'étaient les « oiseaux du ciel » en général qui étaient apportés en exemple ; Jésus mentionne ici les corbeaux d'une manière spéciale et pittoresque, parce que ces oiseaux, d'après la croyance des anciens (cf. Job. 38, 41 ; Psaume 147, 9 ; Aristote, Hist. anim. 2, 7 ; Hist. Nat. 7, 5), auraient au début de leur existence des difficultés particulières pour se nourrir. « En effet, dit naïvement Théophylacte suivant cette vieille tradition, les corbeaux, après avoir engendré les petits, ne les nourrissent pas, mais les abandonnent. Le vent leur porte à travers les airs une merveilleuse pâture ; ils la reçoivent dans leur bec entr'ouvert et sont ainsi nourris. »
Luc 12 25 Qui de vous pourrait, à force de soucis, ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? 26 Si donc les moindres choses sont au-dessus de votre pouvoir, pourquoi vous inquiétez-vous des autres ? - Autre raisonnement : lequel d'entre les hommes, fût‑il un génie, serait capable, après de longues, d'habiles et de pénibles combinaisons, d'agrandir sa vie d'une coudée, c'est‑à‑dire de quelques jours, ou de quelques semaines ? Au lieu de à sa taille, d'anciens manuscrits latins portent à bon droit à la durée de sa vie. - Si donc vous ne pouvez… C'est la conclusion de l'argument. Si nous ne pouvons de nous‑mêmes réaliser ce qui est moindre, et Jésus désigne par là l'humble allongement de notre vie signalé plus haut, combien plus serions‑nous impuissants à pourvoir à tous nos besoins matériels. Notre incapacité nous invite donc à nous reposer sur Dieu.
Luc 12 27 Considérez les lis, comment ils croissent, ils ne travaillent ni ne filent et je vous le dis, Salomon dans toute sa gloire n'était pas vêtu comme l'un d'eux. 28 Si Dieu revêt de la sorte l'herbe, qui est aujourd'hui dans les champs et qui demain sera jetée au four, combien plus le fera-t-il pour vous, hommes de peu de foi. - L'exemple des lis après celui des corbeaux. Jésus décrit d'abord (v. 27), en se servant d'une comparaison bien forte pour quiconque est familiarisé avec l'histoire juive, la beauté de ces gracieuses fleurs. Un lis, dit‑il, est mieux vêtu que le roi Salomon. Et pourtant l'art israélite avait su réaliser des merveilles sous ce prince en fait de splendides ornements. Le Sauveur indique ensuite au moyen d'un frappant contraste le néant de ces végétaux éphémères : aujourd'hui dans les champs, dans toute leur splendeur ; demain jetés au four, pour faire cuire de simples aliments (voyez S. Matth.). Aussi la jolie fleur ne porte‑t‑elle plus maintenant que le nom d'herbe. Donc, combien plus vous‑mêmes. Un homme créé à l'image de Dieu n'a‑t‑il pas infiniment plus de valeur qu'un lis ?
Luc 12.29 Vous non plus, ne cherchez pas ce que vous mangerez ou ce que vous boirez et ne soyez pas dans l'anxiété. 30 Car ce sont les gens de ce monde qui se préoccupent de ces choses, mais votre Père sait que vous en avez besoin. - Nouveaux motifs de confiance absolue en la Providence divine : se préoccuper du vêtement et de la nourriture, ce serait imiter les païens, ce serait oublier que Dieu est notre Père. - Vous, avec emphase ; ne vous inquiétez pas plus que les oiseaux du ciel, pas plus que les lis des champs. - Ne soyez pas dans l'anxiété. Agité par les angoisses d'une âme suspendue entre différentes craintes, ou entre la crainte et l'espérance. - Par les gens de ce monde il faut entendre, par opposition aux Juifs, les nations païennes, dont la vie et les aspirations ont toujours été dirigées vers les jouissances matérielles et mondaines. - Votre Père : Dieu est notre Père, et un tel père ne subviendra‑t‑il pas certainement aux besoins de ses enfants ?
Luc 12.31 Au reste, cherchez le royaume de Dieu et tout cela vous sera donné par surcroît. - Après avoir dit plus haut à ses disciples, v. 29, qu'ils ne devaient pas se livrer à des inquiétudes exagérées par suite de leurs nécessités temporelles, Jésus désigne maintenant à leur activité un vaste domaine sur lequel elle pourra s'exercer en première ligne et sans réserve, le royaume de Dieu. A quiconque fera du céleste royaume l'objet principal de ses recherches, il promet une ample satisfaction des légitimes besoins de la vie.
Luc 12.32 Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plus à votre Père de vous donner le royaume. - La pensée de Jésus s'élève par degrés. Il a condamné sévèrement l'avarice, vv. 15-21 ; il a même condamné, comme une tendance païenne, la sollicitude exagérée à l'égard des nécessités de la vie, vv. 22-31. Montant encore plus haut, voici qu'il recommande à ses disciples le détachement parfait, vv. 32-34. - Petit troupeau (cf. Jérémie 50, 45 ; Zacharie 13, 7). Nom bien humble, mais bien touchant, sorti directement du cœur de Jésus. Les brebis fidèles de ce bon Pasteur ne formaient en effet, pour le nombre, pour la condition, pour les qualités extérieures, qu'un tout petit troupeau, sur lequel le monde jetait des regards de mépris. Mais Dieu les contemplait avec les yeux d'un père, et il leur destinait dans sa bonté, et même il mettait ses complaisances à leur destiner une récompense grandiose, le royaume par excellence, le royaume des cieux. Voyez le Psaume 22, qui est un commentaire parfait de ce passage. - « Donc, pour posséder le royaume des cieux, méprisez les choses terrestres », S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs Jésus va tirer la même conclusion.
Luc 12.33 Vendez ce que vous avez et donnez l'aumône. Faites-vous des bourses que le temps n'use pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où les voleurs n'ont pas d'accès et où les mites ne rongent pas. - cf. Matth. 19, 21 ; Actes 4, 34-37. C'est là sans doute un conseil de perfection ; mais où se serait trouvée la perfection chrétienne, si les Apôtres et les premiers missionnaires de Jésus ne l'avaient pas pratiquée ? Il est des cas en effet où les conseils deviennent des préceptes. - Faites‑vous… Par ce nouvel emprunt au Discours sur la montagne (cf. Matth. 6, 19-21 et le commentaire), Jésus développe et appuie sa recommandation : En donnant aux pauvres le produit de vos biens, vous placerez au ciel un capital dont l'intérêt vous sera richement et infailliblement servi pendant toute l'éternité. - Des bourses qui ne s'usent pas. Les bourses des anciens consistaient souvent en de petits sacs de cuir que l'on suspendait au cou par une courroie : quand elles étaient vieilles et usées, elles perdaient facilement l'argent. - Un trésor inépuisable : mot rare et expressif. Ici‑bas, un trésor diminue vite quand on y puise fréquemment : les trésors confiés à Dieu ne cesseront jamais d'être pleins. Quel encouragement aux bonnes œuvres. - Le voleur, le ver : les deux grands ennemis de nos trésors terrestres. Mais ni les « coupeurs de bourse », comme disaient déjà les anciens, ni les vers qui rongent les beaux vêtements ne pourront pénétrer au ciel.
Luc 12.34 Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. - Profonde vérité psychologique, par laquelle le divin instructeur termine ses avertissements relatifs aux biens de ce monde. Notre cœur suit notre trésor, c'est un fait d'expérience journalière ; si donc ce trésor est au ciel, notre cœur sera toujours tourné en haut, et tel était précisément le résultat que Jésus se proposait d'atteindre en parlant à ses disciples.
Luc 12.35 Ayez la ceinture serrée autour de la taille et vos lampes allumées. - La parole de Jésus prend un nouvel essor. Après avoir prêché sous différentes formes le détachement des biens de ce monde, voici qu'elle nous conduit d'emblée à la fin des temps, au second avènement du Christ, pour nous recommander d'une manière pressante la vigilance, vv. 35-40, et la fidélité, vv. 41-48. Le langage figuré domine dans cette partie de l'instruction. Trois comparaisons (la première et la dernière sont presque des paraboles), vv. 35-38, 39 et 40, 41-48, toutes empruntées à la vie de famille de l'antique Orient, nous montrent de la façon la plus pittoresque comment nous devons veiller, être fidèles. Voyez dans S. Matthieu, 24, 42-50, des pensées et des images analogues, faisant partie d'un discours plus récent, prononcé peu de jours avant la Passion. - Première comparaison, vv. 35-38 : Les serviteurs qui attendent leur maître. Jésus trace d'abord le rôle d'un serviteur vigilant, vv. 35-36, puis il décrit la récompense magnifique qui lui est réservée. - Que vos reins soient ceints. Première image pour dire : Soyez prêts quand le Fils de l'homme fera son avènement (cf. v. 40). Le vêtement principal des Orientaux consiste en une longue robe flottante : pour l'empêcher de gêner les mouvements, on la relève d'ordinaire, mais surtout quand on veut marcher ou travailler, par une ceinture enroulée autour des reins. cf. 1 Rois 4, 46 ; 2 Rois 4, 29 ; 9, 1 ; Job. 38, 3 ; Jérémie 1, 17 ; Actes 12, 8 ; etc. Les Romains faisaient de même pour leur toge. Que les disciples de Jésus soient donc constamment ceints. cf. Éphésiens 6, 14. - Et vos lampes allumées… Pensée identique, exprimée par une seconde image. Les serviteurs dont parle la parabole sont censés attendre pendant la nuit (v. 38) le retour de leur maître. Qu'ils aient soin par conséquent de tenir leurs lampes allumées, de manière à ne pas perdre un temps précieux pour les éclairer quand le maître se présentera.
Luc 12.36 Soyez semblables à des hommes qui attendent le moment où leur maître reviendra des noces, afin que, dès qu'il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. - Soyez semblables à des hommes (c'est‑à‑dire à des serviteurs, comme il résulte du contexte). Ce verset explique le précédent. - Où leur maître reviendra des noces. Le maître revient d'une fête nuptiale quelconque à laquelle il a été invité. Il ne s'agit nullement de ses noces personnelles, comme on l'a parfois prétendu ; rien du moins ne l'indique dans le récit. - Dès qu’il est emphatique et porte l'idée principale. Les serviteurs doivent être si vigilants, qu'ils soient en état d'ouvrir la porte au premier signal, sans le moindre délai, car un maître n'aime pas à attendre, et il ne convient pas qu'il attende.
Luc 12.37 Heureux ces serviteurs que le maître, à son retour, trouvera veillant. Je vous le dis en vérité, il se ceindra, il les fera mettre à table et s'approchera pour les servir. - Ces serviteurs attentifs jouiront en effet d'un bonheur ineffable, que Jésus dépeint dans la seconde moitié du verset, en gardant les couleurs de sa comparaison. Changeant de rôle avec eux, le maître reconnaissant leur dira de s'asseoir à la table préparée pour lui‑même, et il se fera une joie de les servir de ses propres mains. S’approchera pour les servir. Quelle belle figure pour désigner le festin éternel du ciel que Dieu tient en réserve pour ses fidèles amis. cf. Apocalypse 3, 20 ; 19, 9. Du reste, dès ici‑bas, Jésus réalisa à l'égard des Apôtres sa solennelle promesse, ainsi que le raconte le disciple bien‑aimé en des termes si émus : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du repas, ... Jésus... se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture ». Jean. 13, 1-5.
Luc 12.38 Qu'il arrive à la deuxième veille, qu'il arrive à la troisième, s'il les trouve ainsi, heureux ces serviteurs. - Répétition de la même pensée, avec un nouveau détail exprimé graphiquement : Heureux les serviteurs dévoués qui attendront leur maître avec fidélité, alors même qu'il retarderait son retour jusque bien avant dans la nuit. Des quatre parties de la nuit juive, Notre‑Seigneur ne mentionne ni la première (de 6 à 9 heures du soir) ni la dernière (de 3 à 6 heures du matin), la solennité du mariage ayant lieu pendant celle‑là et le décorum ne permettant guère d'être encore en fête ou à travers les rues durant celle‑ci. Le maître est supposé rentrer de 9 heures à minuit (la seconde veille), ou de minuit à trois heures (la troisième veille).
Luc 12 39 Mais sachez bien que si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. 40 Vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne pensez pas." - Seconde comparaison pour exhorter les disciples à la vigilance : le père de famille qui fait le guet afin de surprendre les voleurs au moment où ils viendront piller sa demeure. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu, 24, 43-44. Le v. 39 propose la comparaison, le v. 40 indique la conclusion que nous en devons tirer pour notre conduite pratique : être toujours prêts à voir apparaître le « jour du Seigneur », puisqu'il doit survenir « comme un voleur dans la nuit », 1 Thessaloniciens 5, 2.
Luc 12.41 Alors Pierre lui dit : "Est-ce à nous que vous adressez cette parabole, ou bien est-ce aussi à tous ?" - A son tour S. Pierre interrompt Notre‑Seigneur pour lui adresser une question. Ces détails minutieux (cf. vv. 1, 13, 22), soigneusement conservés par S. Luc, montrent combien il tenait à l'ordre historique des faits, et réfutent mieux que tout autre argument l'opinion étrange, signalée déjà à plusieurs reprises, d'après laquelle il aurait compilé à son gré les instructions de Jésus. - A nous… ou à tous ? Le pronom nous désigne évidemment les disciples (vv. 1 et 22), par opposition à la masse du peuple qui entourait alors le divin Maître. Jésus, dans sa première comparaison, avait parlé de serviteurs ; or, les Apôtres et les disciples étaient par antonomase ses serviteurs personnels. S. Pierre voudrait donc savoir si la parabole les concernait exclusivement, ou bien si elle était universelle dans son application. Tel sera le point de départ de la troisième comparaison annoncée plus haut (note du v. 35), celle du majordome récompensé ou puni selon que son maître, arrivant à l'improviste, le trouvera fidèle ou infidèle.
Luc 12.42 Le Seigneur répondit : "Quel est l'économe fidèle et sage que le maître établira sur ses serviteurs, pour distribuer, au temps convenable, la mesure de froment ? - Jésus ne répond pas directement à la demande du prince des Apôtres ; il semble même continuer son discours comme s'il n'en tenait aucun compte. Et pourtant il fait en réalité une réponse claire, quoique indirecte, puisqu'il se met à parler, non plus d'un serviteur en général, mais d'un intendant préposé à tous les domestiques de la maison. « L’exemple suivant semble être proposé aux dispensateurs, c'est‑à‑dire aux prêtres », S. Ambroise, h. l. cf. Théophylacte. Dans les vv. 42-44 il s'agit des bons majordomes et de leur récompense ; dans les vv. 45-48, des mauvais intendants et de leur punition. - Quel est… La forme interrogative rend la pensée plus piquante. Pierre et les autres disciples sont ainsi invités à réfléchir attentivement, pour voir s'ils ne seraient pas eux‑mêmes figurés par celui dont Jésus va décrire la conduite bonne ou mauvaise. - l'économe, un serviteur supérieur, à qui l'on confiait la juridiction sur les autres serviteurs, et parfois diverses fonctions non moins délicates, telles que la comptabilité en tout ou en partie. Les adjectifs fidèle, sage, désignent fort bien les deux qualités principales d'un majordome. « Tout ce que l’on demande aux intendants, c’est d’être trouvés dignes de confiance », disait S. Paul au sujet de la première, 1 Corinthiens 4, 2. Xénophon paraît les commenter l'une et l'autre quand il écrit, Mem. 3, 4 : « Les bons intendants sont comme les bons généraux. Leurs obligations consistent à commander et à rendre leurs inférieurs bien disposés et obéissants, à distribuer les récompenses et les châtiments, à être les gardiens fidèles des possessions, à se montrer soigneux et industrieux, à procurer des auxiliaires et des alliés, enfin à vaincre tous les ennemis ». - Pour leur donner au temps convenable… Expression qu'on ne trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament. Nouvelle allusion aux coutumes anciennes. Au lieu de distribuer journellement aux esclaves leur nourriture, en la leur donnait parfois pour tout un mois, et tel était en particulier le cas à Rome, du moins en ce qui concerne le pain. La portion mensuelle consistait en quatre boisseaux de blé, ce qui correspondait par jour à un peu plus de deux livres.
Luc 12.43 Heureux ce serviteur, que le maître, à son arrivée, trouvera agissant ainsi. 44 Je vous le dis, en vérité, il l'établira sur tous ses biens. - cf. Matth. 24, 45-47 et le commentaire. Le v. 43 énonce en termes généraux la récompense de l'intendant fidèle ; le suivant la détermine d'une manière explicite : il l'établira sur tout ce qu'il possède ; rôle d'autant plus glorieux et sublime que le maître de la parabole ne diffère pas de Dieu.
Luc 1245 Mais si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître tarde à venir et qu'il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s'enivrer, 46 le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne s'attend pas et à l'heure qu'il ne sait pas et il le fera déchirer de coups et lui assignera sa part avec les infidèles. - Voyez S. Matthieu, 24, 48-51 et l'explication. Quel triste contraste. Nous entendons ici l'odieux soliloque d'un majordome infidèle qui, spéculant sur l'absence prolongée de son maître, abuse indignement de l'autorité qu'on lui a confiée. Mais aussi, comme il sera châtié quand le père de famille, rentrant au moment où on l'attendra le moins, surprendra le coupable en flagrant délit. Il sera condamné à d’affreux supplices (car les maîtres avaient sur leurs esclaves le droit de vie et de mort). Mais les mots et lui donnera sa part avec les infidèles représentent une peine plus terrible encore d'après ce passage parallèle de l'Apocalypse, 21, 8 : « la part qui leur revient, c’est l’étang embrasé de feu et de soufre, qui est la seconde mort. ».
Luc 12.47 Ce serviteur-là qui aura connu la volonté de son maître et qui n'aura rien tenu prêt, ni agi selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups. 48 Mais celui qui ne l'aura pas connue et qui aura fait des choses dignes de châtiment, recevra peu de coups. On exigera beaucoup de celui à qui l'on a beaucoup donné et plus on aura confié à quelqu'un, plus on lui demandera. - A l'idée du châtiment infaillible qui atteint les mauvais serviteurs de Dieu, ces versets en ajoutent une autre. Ils nous apprennent que la punition sera en raison directe de la culpabilité, et que la culpabilité se mesurera d'après le degré de connaissance. Rien de plus juste, par conséquent, que les jugements divins. - Le serviteur qui a connu la volonté… Tel était l'économe mentionné précédemment, tels étaient les Apôtres et les disciples de Jésus. cf. Jean 15, 15. En pareil cas, lorsqu'on désobéit on ne peut apporter aucune excuse, car l'on a commis une faute de pure malice ; aussi est‑on châtié en toute rigueur de justice. On sait que le fouet était le châtiment habituel des esclaves. - Celui qui ne l'aura pas connue… Au serviteur grièvement coupable, et grièvement puni parce qu'il a enfreint en pleine connaissance de cause les ordres de son maître, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ en oppose un autre, qui a transgressé les mêmes ordres, mais sans le savoir, et de celui‑ci encore il affirme qu'il sera châtié, quoique avec moins de sévérité. On est tout d'abord surpris de cette assertion. « Pourquoi l'ignorant est‑il puni ? » se demandait déjà Théophylacte. Mais il donne aussitôt la vraie réponse : « Parce que, tandis qu'il pouvait s'instruire, il ne l'a pas voulu, et que, par sa paresse, il est lui‑même la cause de son ignorance ». Il s'agit donc d'une ignorance coupable, puisque Jésus parle d'un serviteur, et qu'un serviteur ne peut guère ignorer que par sa faute la volonté de son maître. cf. Romains 2, 12. Du reste, depuis la législation mosaïque jusqu'à nos jours, il n'est pas de code pénal qui n'inflige quelque punition pour les délits commis par ignorance. cf. Lévitique 5, 17-19. - On exigera beaucoup de celui à qui l'on a beaucoup donné… Autre règle des jugements divins. Elle est analogue à la précédente, quoique un peu plus générale. La pensée qu'elle exprime est répétée deux fois de suite dans deux phrases parallèles : les verbes donné (un don pur et simple) et confié (un dépôt) établissement seuls une légère différence, qui existe d'ailleurs beaucoup plus dans la forme que dans l'idée.
Luc 12.49 Je suis venu jeter le feu sur la terre et comme je désire qu'il soit déjà allumé. - « Quel lien ces mots ont‑ils avec ce qui précède, écrit Maldonat sur ce passage, je n’estime pas devoir le chercher. Car ils ont été dits par d’autres personnes, et peut‑être en d’autre temps et en d’autres lieux, par le Christ. ». Beaucoup d'exégètes se rangent à ce sentiment ; mais il en est d'autres aussi, et nous sommes de ce nombre, qui ne le partagent pas. Nous avons plus d'une fois indiqué nos raisons dans le cours de ce chapitre. Quoiqu'il ne faille pas chercher toujours dans les discours de Notre‑Seigneur une suite de pensées qui s'enchaînent rigoureusement, nous ne croyons pas qu'on soit en droit de reprocher aux vv. 49-53 un manque absolu de liaison avec les parties antérieures de l'instruction. Jésus vient d'exhorter assez longuement les siens à la vigilance, à la fidélité. Il achève maintenant la double série de ses avis par une idée analogue à celle que nous avons lue dès le début, vv. 4-9 ; c'est‑à‑dire que, rappelant aux disciples présents et à venir la lutte inévitable qu'ils devaient soutenir contre le monde, il les presse, et tout d'abord par son propre exemple, d'opposer un cœur courageux aux persécutions qui les attendent. - Je suis venu jeter le feu sur la terre. Tite de Bosra (Cat. S. Thomae) trouve à bon droit dans cette parole une allusion à l'origine divine du Sauveur : « Il faut rattacher cela à sa venue du ciel. Car s’il était venu de la terre sur la terre, il n’aurait pas dit : je suis venu envoyer le feu sur la terre ». Mais le sens exact du texte considéré dans son ensemble n'est pas aussi clair que cette légitime déduction. La difficulté principale porte sur le mot feu, au sujet duquel les exégètes sont loin de s'accorder. La plupart des Pères (voyez les citations dans Maldonat) l'entendent de l'Esprit Saint. Nous dirons néanmoins, d'accord cette fois avec l'illustre Jésuite : « Si nous regardons ce qui précède et ce qui suit, nous ne voyons pas clairement le lien qui les rattache l’un à l’autre ». Théophylacte et Euthymius pensent que Jésus a voulu parler du feu du zèle ou de la charité ; mais nous rejetterons encore cette opinion pour le même motif. N'est‑il pas à la fois plus simple et plus littéral, comme s'exprime D. Calmet (cf. Luc de Bruges), de croire qu'il s'agit du feu de la persécution, de la discorde religieuse que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, quoique prince de la paix, devait nécessairement lancer au milieu de la société qu'il venait régénérer ? Les vv. 51-53 le prouvent, ainsi que l'observait déjà très judicieusement Tertullien, Adv. Marc. 4, et ce sentiment est confirmé par plusieurs passages de la Bible où les mots feu, flamme, désignent le malheur, la souffrance. - Et comme je désire qu'il soit déjà allumé ? Jésus ne pouvait pas désirer en elles‑mêmes les persécutions dirigées contre son Église naissante, les effervescences si terribles des guerres de religion : Mais il les désirait en pensant aux conséquences heureuses qu'elles devaient produire. Puisque la lutte du mal contre le bien était nécessaire, puisqu'elle devait contribuer à répandre partout et à affermir son royaume, il ne pouvait s'empêcher de souhaiter qu'elle embrasât au plus tôt le monde entier. « Comme un conquérant qui brûle d'ardeur de voir commencer une bataille dont le gain lui est assuré, et qui doit le remettre en possession de ses États injustement usurpés », D. Calmet.
Luc 12.50 Je dois encore être baptisé d'un baptême et quelle angoisse en moi jusqu'à ce qu'il soit accompli. - Mais, avant que les flammes de la persécution viennent créer dans le monde un immense incendie, Jésus devait subir le premier, et plus que tous les siens, les plus violentes épreuves. C'est pour cela qu'il s'écrie, prononçant une autre parole sublime : Je dois encore être baptisé d’un baptême… Nous avons la métaphore de l'eau après celle du feu ; mais ici le sens ne saurait être douteux, cette même locution désignant d'une manière très claire dans le second Évangile (10, 38 et 39 ; voyez le commentaire) les eaux amères de la Passion, qui étaient sur le point de passer sur Notre‑Seigneur comme une inondation terrible. De nouveau le divin Maître nous fait connaître les sentiments de son cœur en face de cette sombre prévision : quelle angoisse en moi jusqu'à ce qu'il soit accompli…. Il n'y a qu'un instant il éprouvait de vifs désirs (v. 49) ; les commentateurs hésitent pour déterminer son impression actuelle, le verbe dans le texte grec pouvant désigner, d'après son usage biblique et profane, les angoisses de la crainte ou les élans les plus ardents de la volonté. Divers modernes adoptent le premier sens et voient, dans cette exclamation de Jésus, « un prélude de Gethsémani » (Gess), « la première trace du conflit qui se livrait dans l'âme du Christ à l'approche de sa mort » (Neander), « un cri indéniable de lamentation arraché à la faiblesse humaine du Dieu‑homme » (Stier). Nous préférons, à la suite de S. Ambroise, de Théophylacte et de la plupart des auteurs catholiques, nous arrêter à la seconde acception, d'après laquelle Jésus manifesterait au contraire, par suite de son amour pour nous, un ardent désir de consommer au plus tôt sa Passion, afin de nous racheter au plus tôt.
Luc 1251 Pensez-vous que je sois venu établir la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais bien la division. 52 Car désormais, s'il y a cinq personnes dans une maison, elles seront divisées, trois contre deux et deux contre trois, 53 le père sera divisé contre son fils et le fils contre son père, la mère contre sa fille et la fille contre sa mère, la belle-mère contre sa belle-fille et la belle-fille contre sa belle-mère." - Dans ce verset et dans les deux suivants, Notre‑Seigneur expose d'une manière dramatique les effets de la persécution prédite un peu plus haut. C'est, quant à la pensée, la reproduction exacte d'une prophétie qu'il avait faite autrefois aux Douze (Matth., 10, 34-35) ; mais l'expression est plus vivante et plus complète. Le tour interrogatif donné aux premières paroles, pensez‑vous que je sois venu établir la paix…, la réponse emphatique Non, l'assertion solennelle vous dis‑je, méritent déjà l'attention sous ce rapport. Il est vrai que division n'a pas le caractère pittoresque de glaive. Mais l'énumération qui suit, et qui commente pour ainsi dire le mot division, la description des deux camps ennemis que le Christianisme est venu créer dans une même famille, sont certainement dignes de S. Luc. - Cinq personnes seront divisées. Les cinq membres de la famille sont, d'après le v. 53, le père, la mère, la fille, le fils et la belle‑fille, c'est‑à‑dire la femme du fils, ce dernier étant censé n'avoir pas encore de ménage à part et vivre dans la maison de ses parents. - Trois contre deux et deux contre trois. Deux représente le père et la mère, trois désigne les enfants. Ceux‑ci ont accepté la religion de Jésus ; ceux‑là se sont endurcis dans leurs vieux préjugés : détail délicat et d'une grande vérité psychologique. Ainsi donc les liens les plus forts et les plus saints ont été soudainement brisés à l'occasion du Christ et de sa doctrine. - Le père contre le fils… la belle‑fille contre sa belle‑mère. La lutte du père avec le fils et de la mère avec la fille : la guerre part du sein même de la famille, il n'y a donc pas de mouvement ; le conflit de la mère avec la bru vient du dehors, et elle éclate en outre avec plus d'intensité.
Luc 12.54 Il disait encore au peuple : "Lorsque vous voyez un nuage se lever à l'ouest, vous dites aussitôt : La pluie vient et cela arrive ainsi. 55 Et quand vous voyez souffler le vent du sud, vous dites : Il fera chaud et cela arrive. 56 Hypocrites, vous savez reconnaître les aspects du ciel et de la terre, comment donc ne reconnaissez-vous pas le temps où nous sommes ? - Les paroles contenues dans ces versets sont une répétition légèrement variée de Matth. 16, 1-4 (voyez l'explication). - Lorsque vous voyez un nuage s’élever à l'ouest … par conséquent, du côté de la Méditerranée. Les vents, en traversant la mer, s'imprègnent de vapeurs qui ne tardent pas à se transformer en nuages pluvieux. Aussi, dès que les Juifs voyaient les nuages accourir des régions occidentales, ils s'écriaient spontanément, sans qu'ils eussent besoin de réfléchir : la pluie vient, et ils ne se trompaient pas, car une antique expérience leur donnait raison, cela arrive. cf. 1 Rois 18, 44. - Quand vous voyez souffler le vent du sud… C'est le contraire. Les vents d'Est, avant d'arriver sur la Palestine, traversent les déserts d'Arabie où ils deviennent brûlants : ils apportaient donc infailliblement aux Juifs de grandes chaleurs. cf. Job. 37, 17. - Hypocrites. Par cette épithète sévère, mais juste, le Sauveur flagelle l'inconséquence que ses concitoyens manifestaient dans leur conduite. Lorsqu'il fallait simplement apprécier l'aspect du ciel et de la terre, ils étaient des physionomistes parfaits ; mais, dès qu'il était question d'apprécier ce que Jésus appelle le temps où nous sommes, c'est‑à‑dire les jours de salut que sa présence et son œuvre leur avaient apportés, ils n'y entendaient plus rien. Quelle triste contradiction. Sans doute, « il est utile de connaître les pluies qui vont venir… ainsi que l'intensité des vents. Il importe au navigateur de prévoir les périls de la tempête ; au voyageur, les changements de temps ; au cultivateur, l'abondance des fruits », S. Basile, Hom. 6 in Hexam. Aussi, comme le dit le poète (Virg. Georg. 1, 351-353) : « Pour que nous apprenions ces choses par des signes certains,
le Père lui‑même a établi les canicules, les pluies et les vents frigorifiques ». Mais ne devait‑on pas avoir l'esprit encore plus ouvert aux signes par lesquels le Dieu de la révélation avait rendu si visible l'approche de l'ère messianique ?
Luc 12.57 Et comment ne discernez-vous pas de vous-mêmes ce qui est juste ? - Jésus répète solennellement son blâme, en appuyant sur les mots par vous-mêmes, montrant ainsi que des illettrés eux-mêmes, aidés de leur simple bon sens, étaient capables de discerner ce qui est juste, c'est‑à‑dire, comme il résulte du contexte, les justes jugements par lesquels Dieu se vengera de ceux qui auront méconnu son Christ.
Luc 12.58 En effet, lorsque tu te rends avec ton adversaire devant le magistrat, tâche en chemin de te dégager de sa poursuite, de peur qu'il ne te traîne devant le juge et que le juge ne te livre à l'officier de justice et que celui-ci ne te jette en prison. 59 Je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n'aies payé jusqu'à la dernière obole."- Cette petite parabole est intimement liée au v. 57, qu'elle a pour but de confirmer. A peu de différence près, Jésus l'avait déjà proposée dans le discours sur la montagne, Matth. 5, 25 et ss. ; mais alors il s'en servait pour recommander d'une manière spéciale la charité à l'égard du prochain, tandis que l'application actuelle est généralisée, spiritualisée pour ainsi dire. L'idée dominante est celle‑ci : Pendant qu'il en est temps encore, faites la paix avec Dieu s'il a sujet d'être irrité contre vous, de crainte que vous n'encouriez des châtiments éternels. Les détails particuliers, qu'il ne faut d'ailleurs pas presser outre mesure dans l'explication, sont empruntés aux coutumes judiciaires des anciens. - Obole. Dans le texte primitif, c'était la plus petite des monnaies divisionnaires chez les Grecs, la huitième partie de l'« as ». On voit par là combien seront rigoureux les jugements divins.
Luc 13.1 En ce même temps, quelques-uns vinrent raconter à Jésus ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. - En ce même temps. Au moment donc où Jésus achevait son discours du chap. 12, il y avait là des hommes qui se mirent aussitôt à lui raconter un incident horrible, arrivé récemment à Jérusalem, et dont ils apportaient peut‑être le première nouvelle. - Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang… Le fait est relaté en peu de mots, mais d'une manière vraiment tragique, bien capable de faire impression. On croirait voir ces malheureux Galiléens assaillis tout à coup par les soldats de Pilate dans le parvis du temple, au moment où les prêtres immolaient en leur nom des victimes, et immolés eux‑mêmes sans pitié, de sorte que leur sang se mêla au sang des animaux qu'ils offraient en sacrifice. Il y avait dans cette coïncidence quelque chose d'affreux (« Culte sacrificiel abominable, éclaboussé par le sang des animaux et des hommes », Tite‑Live, Hist. 19, 39). L'histoire profane est demeurée complètement silencieuse sur ce drame sanglant, dont nous devons le souvenir à S. Luc. Mais il est en parfaite harmonie avec le caractère de Pilate et celui des Galiléens, tels qu'ils nous sont connus par les sources les plus authentiques. Les soulèvements contre l'autorité romaine n'étaient pas rares à Jérusalem dans ces temps‑là, surtout à l'occasion des fêtes, et, chaque fois qu'une émeute avait lieu, on était sûr de rencontrer les Galiléens parmi les zélotes les plus exaltés, les plus remuants. cf. Flavius Josèphe Ant. 17, 9, 3 ; 10, 2 ; Vila, § 17. D'autre part, Pilate se montrait alors sans pitié. Il n'était pas homme à se laisser intimider par la sainteté du sanctuaire juif, bien qu'une stipulation spéciale interdît au gouverneur romain d'introduire ses soldats dans le temple. De la tour Antonia, qui communiquait avec l'édifice sacré, et qui servait de garnison aux troupes impériales, on pénétrait en un instant dans les parvis. Quand il y avait lutte, la victoire restait infailliblement aux légionnaires, qui égorgèrent un jour jusqu'à 20.000 émeutiers (Flavius Josèphe Ant. 20, 5, 3).
Luc 13.2 Il leur répondit : "Pensez-vous que ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir souffert de la sorte ? 3 Non, je vous le dis, mais si vous ne vous repentez, vous périrez tous comme eux. - Sans porter aucun jugement sur la conduite de Pilate, Jésus, demeurant dans son rôle spirituel, profite de cette lugubre nouvelle pour exhorter à la pénitence tous ceux qui l'entouraient. Il a divinement compris et mis à nu la secrète pensée des narrateurs. Rattachant leur récit à ses dernières paroles, 12, 57-59, ils l'avaient donné en réalité comme une preuve que les malheureux Galiléens tombés sous les glaives romains dans l'enceinte même du temple, bien plus, tout près de l'autel, tandis qu'ils accomplissaient l'acte le plus auguste de la religion, devaient être exceptionnellement coupables, puisque leurs sacrifices, au lieu d'attirer sur eux les grâces du Seigneur, semblaient avoir au contraire provoqué ses vengeances. Telle était bien d'ailleurs la manière de voir habituelle de l'Orient (cf. Job, 4, 7), et particulièrement des Juifs (cf. Jean 9, 2 et le commentaire) : les grands malheurs étaient toujours censés arriver à la suite de grands péchés. Jésus affirme avec énergie qu'un pareil jugement est souvent injuste, qu'il l'est du moins dans le cas actuel. Non, ceux de ses compatriotes qui venaient d'éprouver une fin si lamentable n'étaient pas pires que les autres Galiléens. Sans doute il existe, toute la Bible en fait foi, une relation étroite entre le mal physique et le mal moral, car il est bien certain que toutes nos souffrances viennent du péché. Mais il serait faux de prétendre qu'un malheur individuel est infailliblement le signe d'un crime individuel, qu'un homme châtié en ce monde est, pour ce seul motif, plus coupable que ceux qui vivent heureux autour de lui. Après avoir renversé d'un mot ce triste préjugé, Notre‑Seigneur écarte ses questions stériles pour attirer, selon sa coutume, l'attention de ses auditeurs sur des considérations pratiques, personnelles, de la dernière importance : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous pareillement. Tous est emphatique : Tous sans exception. Pareillement : aussi misérablement que ceux dont vous venez de raconter la mort. Rentrez donc en vous‑mêmes, en face d'une telle calamité ; profitez de la leçon qu'elle vous donne : sinon, c'est le glaive de Dieu, et pas seulement celui de Pilate, qui fera de vous un massacre épouvantable. L'avertissement était en même temps une prophétie, comme le disent à l'envi les commentateurs. Parce que les Juifs ne firent pas pénitence à la voix de Jésus, ils périrent par millions durant la guerre avec Rome, en Galilée, dans toute la Palestine, à Jérusalem, et jusque dans le temple.
Luc 13.4 Ou bien ces dix-huit sur qui tomba la tour de Siloé et qu'elle tua, pensez-vous que leur dette fût plus grande que celle de tous les autres habitants de Jérusalem ? 5 Non, je vous le dis, mais si vous ne vous repentez, vous périrez tous de même." - Pour fortifier sa conclusion, Jésus rappelle à l'auditoire un autre événement douloureux, dont Jérusalem avait également été le théâtre, et que nous ne connaissons de même que par S. Luc. Une tour, probablement une tour des remparts, située non loin de la piscine de Siloé, s'était effondrée subitement, et, dans sa chute, avait écrasé dix‑huit personnes. Devait‑on supposer que les victimes de cette catastrophe étaient les habitants les plus impies, les plus immoraux de la capitale juive ? Assurément non, répond encore Jésus. Puis il répète, comme un refrain terrible, ses paroles du v. 3. Ici encore nous avons une prédiction qui se réalisa d'une manière littérale aux derniers jours de l'État théocratique, quand des Juifs nombreux furent broyés à Jérusalem sous les décombres des maisons et des édifices. Mais nous pouvons, nous devons même, nous élever plus haut encore. L'avis du Sauveur ne concernait pas seulement les habitants de la Palestine, et n'avait pas une valeur transitoire. Pris dans son acception complète, il a une portée universelle pour l'espace comme pour la durée, et s'adresse aux hommes de tous les temps et de tous les pays. Nous aussi, nous périrons, et à tout jamais, si nous ne faisons une sincère pénitence.
Luc 13.6 Il dit aussi cette parabole : "Un homme avait un figuier planté dans sa vigne, il vint pour y chercher des fruits et n'en trouva pas, - La parabole du figuier stérile se compose d'un fait rapidement énoncé, v. 6, et d'un court dialogue entre le propriétaire de l'arbre et le cultivateur, vv. 7-9. C'est le développement poétique, dramatique, de Matth. 3, 10. - Un homme avait un figuier… C'est Dieu qui est désigné par cet homme ; le figuier représente le peuple juif (cf. Matth. 21, 19, 20 et le commentaire), planté au milieu de l'immense vignoble qui est l'emblème du monde entier. - Planté dans sa vigne. En Palestine, on élèvait souvent des arbres fruitiers dans les vignes, et c'est le figuier qui était le plus habituellement choisi. cf. ce passage de Pline, Hist. nat. 17, 18 : « (l'ombre ) du figuier, quoique étendue, est légère ; aussi ne défend‑on pas de le planter parmi les vignes ». De là vient la fréquente association de la vigne et du figuier dans les Saints Livres. - Il vint pour y chercher du fruit et n'en trouva pas. cf. Marc. 11, 13. Dieu avait cependant tout mis en œuvre pour que son peuple de prédilection produisît des fruits excellents et nombreux. Mais il s'était montré rebelle aux grâces comme aux menaces. Il avait même refusé de se convertir à la voix de Jésus.
Luc 13.7 il dit au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier et je n'en trouve pas, coupe-le donc : pourquoi rend-il la terre improductive ? - Le propriétaire, trompé dans son attente, se plaint avec une certaine amertume, et bien légitimement du reste, car c'était déjà la troisième fois qu'il était ainsi frustré. Un bon arbre demeurerait‑il si longtemps stérile ? Au moral, et dans l'application de la parabole, ces trois années ont été interprétées de bien des manières. « Quelques Pères les entendent des trois états sous lesquels les hommes ont vécu : sous la loi naturelle, depuis le commencement du monde jusqu'à Moïse ; sous la loi écrite, depuis Moïse jusqu'à Jésus‑Christ ; sous la loi évangélique, depuis Jésus‑Christ jusqu'à la fin du monde (S. Ambroise, S. Augustin, S. Grégoire). D'autres les entendent du triple gouvernement qui s'est vu sous les Juifs : le gouvernement des juges, depuis Josué jusqu'à Israël ; le gouvernement des rois, depuis Saül jusqu'à la captivité de Babylone, et le gouvernement des grands‑prêtres, depuis la captivité jusqu'à Jésus‑Christ. D'autres (Théophylacte), des trois âges de l'homme : l'enfance, l'âge viril et la vieillesse. D'autres enfin, des trois années de la prédication de Jésus‑Christ ». D. Calmet. Nous nous permettrons de dire à la suite de l'illustre exégète lorrain que « ces explications sont toutes arbitraires », car les trois années « marquent simplement que Dieu a donné aux Juifs tout le temps et tous les moyens convenables, pour les mettre hors d'excuse ». Il ne faut donc pas trop appuyer sur ce détail. Si l'on insistait pour entendre ces trois ans d'une manière strictement chronologique et pour y voir une allusion au ministère public de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, nous répondrions que la quatrième année devrait aussi se prendre à la lettre : or, il est certain qu'elle représente le délai de quarante années accordé aux Juifs entre la mort de Jésus et la ruine de Jérusalem. - Après la plainte, la sentence : coupe‑le donc. « Non seulement il n’est d’aucun profit (le figuier), mais il dérobe l’eau que les ceps de vigne puisaient de la terre…et occupe de l’espace », Bengel. L'arbre est stérile ; de plus il nuit : double raison de le détruire. S. Grégoire en donne une excellente paraphrase : « L’arbre infertile s’élève en hauteur, mais en dessous de lui, la terre demeure stérile ». De même Corneille de Lapierre : « Il rend la terre inerte et stérile, tant par son ombre que par ses racines, par lesquelles il enlève aux ceps de vigne voisins le suc de la terre ». Personne ici‑bas n'est simplement inutile. Quiconque ne fait pas le bien fait le mal, le prêtre plus que tout autre. - Quoique terrible en vérité (« on l'entend avec une très grande peur », S. Grégoire, Hom. 31 in Evang.), l'ordre du Seigneur, coupe cet arbre, manifeste bien sa bonté paternelle, comme le faisaient observer les saints Pères. « C'est un détail particulier de la clémence de Dieu envers les hommes, de ne pas lancer les châtiments en silence et secrètement, mais d'en proclamer d'abord l'arrivée par des menaces, afin d'inviter ainsi les pécheurs au repentir », S. Basile. « S’il avait voulu condamner, il se serait tu. Personne n’avertit quelqu’un de se mettre sur ses gardes quand il veut le frapper ». Selon l'antique adage, quand ils ont la volonté arrêtée de sévir, « les Dieux s'approchent à pas feutrés » ; ils n'avertissent pas et s'approchent doucement des coupables qu'ils veulent surprendre.
Luc 13.8 Le vigneron lui répondit : Seigneur, laissez-le encore cette année, jusqu'à ce que j'aie creusé et mis du fumier tout autour. - Le vigneron, qui est ici la figure de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, intercède pour le figuier stérile. Suspendez pour une année encore votre juste sentence : peut‑être des soins plus diligents amèneront‑ils cet arbre à fruit. Il cite, comme exemple de son redoublement de sollicitudes pendant le temps d'épreuve, deux détails particuliers, j’ai creusé, et m'y du fumier tout autour, qui symbolisent des grâces spéciales, plus abondamment versées. Cela représente le traitement des arbres malades ou stériles.
Luc 13.9 Peut-être portera-t-il du fruit ensuite, sinon, vous le couperez." - Ces moyens extraordinaires une fois pris, une double alternative devra se présenter. Ou le figuier portera des fruits, et alors on le laissera vivre ; ou il persévérera dans son état d'infécondité, et dans ce cas le propriétaire n'aura qu'à exécuter son premier dessein. Ce sort sera si parfaitement mérité, que la voix même de l'amour renoncera cette fois à l'écarter. - La phrase reste ensuite suspendue. Le maître de la vigne ne fait aucune réponse, comme s'il ne voulait pas s'engager à exaucer la demande du vigneron. La parabole se termine ainsi d'une façon brusque, menaçante. Il est néanmoins dans l'esprit de cet intéressant récit de supposer que la prière fut agréée. - La leçon, nous l'avons dit, s'adresse directement et principalement à Israël ; mais on peut aussi l'appliquer à tous les hommes. « Ce qui est dit des Juifs sert de mise en garde pour tous, je le crains fort, et surtout pour nous : pour que, vides de mérites, nous n’occupions pas un lieu fécond de l’église, nous qui, ayant été bénis, devons, comme la grenade, produire des fruits intérieurs, fruits de pudeur…fruits d’amour et de charité mutuelle, contenus comme nous sommes dans un seul et même utérus, celui de notre mère l’église, de peur que le vent ne nuise à la récolte, que la grêle ne la détruise, que la canicule de la cupidité ne la consume, que les orages de nos passions ne la saccagent », S. Ambroise, Exp. in Luc, 7, 171. Il y a bien réellement, dans cette parabole, l'histoire de la conduite tout aimable de Dieu à l'égard de chaque pécheur. Il supporte, il patiente, il soigne jusqu'à la dernière extrémité : il ne châtie finalement que lorsque tout espoir de conversion a disparu. S. Grégoire de Nazianze (ap. Cat. D. Thom.) veut que nous imitions la divine longanimité : « Ne soyons jamais prompts à frapper, mais prévenons par la miséricorde, de peur de couper un figuier qui peut encore produire des fruits, et qui peut‑être serait guéri par les soins d'un cultivateur habile ».
Luc 13.10 Jésus enseignait dans une synagogue un jour de sabbat. - Jésus termine son ministère comme il l'avait commencé. cf. Marc. 1, 21 et ss. Au début et à la fin de sa vie publique nous le voyons prêchant l'Évangile dans les synagogues, aux jours de sabbat. Le divin Sauveur ne se lasse pas de jeter dans les cœurs le bon grain de l'Évangile.
Luc 13.11 Or, il y avait là une femme possédée depuis dix-huit ans d'un esprit qui la rendait infirme : elle était courbée et ne pouvait absolument pas se redresser. - Si l'historien sacré n'a désigné que d'une manière générale le lieu et la date du miracle, le « très cher médecin » décrit fort bien l'état pathologique de la malade. - Possédée d'un esprit qui la rendait infirme, un esprit d’infirmité, de faiblesse. Cette expression sera commentée plus loin (v. 16) par Notre‑Seigneur : elle désigne la cause du mal, et cette cause était toute morale et spirituelle. L'infirmité provenait d'une possession de l'esprit mauvais. cf. Marc. 9, 25. - Le caractère particulier de la maladie est ensuite indiqué. Depuis dix‑huit ans, la pauvre femme sur laquelle Jésus venait de jeter un regard de miséricorde était toute courbée, repliée sur elle‑même, à tel point, ajoute S. Luc pour mieux montrer combien elle était digne de pitié, qu'elle ne pouvait pas du tout regarder en haut. Le mal n'avait donc pas seulement son siège dans le cou, mais il affectait aussi le dos et les reins, en un mot toute l'épine dorsale. - Les saints Pères, dans leurs paraphrases morales, regardent ce triste état comme la figure des âmes qui sont, suivant le mot du poète, courbées vers la terre, tandis qu'il convient si bien à l'homme (la forme de son corps ne le lui dit‑elle pas sans cesse?) de « chercher les choses du ciel et d'élever ses regards au‑dessus de la terre ». S. Basil., Hom. 9 in Hexam. cf. S. August. Enarrat. 2 in Psalm. 68, 24 ; Théophylacte h. l.
Luc 1312 L'ayant vue, Jésus l'appela et lui dit : "Femme, tu es délivrée de ton infirmité." 13 Et il lui imposa les mains, aussitôt elle se redressa et elle glorifiait Dieu. - Maldonat fait à ce propos une excellente réflexion : « Il fit preuve doublement de bienveillance et de libéralité envers cette femme, en l’assainissant, et en l’incitant en premier lieu à recouvrer la santé. Jésus n’avait guère coutume de guérir quelqu’un sans être sollicité. Mais cette femme, non seulement il la guérit sans qu’elle l’ait demandé, mais, d’une certaine façon, il la prie de vouloir bien être guérie. ». - Tu es délivrée de ton infirmité. « Parole tout à fait digne de Dieu, s'écrie S. Cyrille, et remplie d'une majesté céleste ». Avant même d'être énoncé, le résultat était déjà opéré dans la volonté du Thaumaturge. Notons aussi la belle métaphore, toute classique d'ailleurs, par laquelle la maladie est assimilée à des liens qui retiennent captif : dans le cas présent elle était d'une justesse particulière. - Et il lui imposa les mains. Ce geste, signe de la toute‑puissance de Jésus, accompagna probablement sa parole toute‑puissante (S. Cyrille, Euthymius, Trench). L'effet produit fut instantané. Immédiatement aussi l'humble femme, délivrée tout ensemble de ses liens spirituels et corporels, se mit à proclamer avec effusion la louange de Dieu. - Elle glorifiait… Ce temps indique la continuité : elle glorifiait et glorifiait encore l'auteur de tout don parfait.
Luc 13.14 Mais le chef de synagogue, indigné de ce que Jésus avait fait cette guérison un jour de sabbat, prit la parole et dit au peuple : "Il y a six jours pour travailler, venez donc vous faire guérir ces jours-là et non pas le jour du sabbat. - La scène change subitement. Des paroles de colère, d'indignation interrompent bruyamment celles de l'action de grâces, et c'est le président de l'assemblée qui les profère. Et pourquoi donc cet homme s'indigne‑t‑il ? Parce que Jésus avait opéré cette guérison un jour de sabbat : Voilà tout son motif. « C’est bien fait pour eux de se scandaliser qu’elle ait été redressée, eux qui étaient courbés », S. Augustin, l. c. Esclave, comme tant d'autres, de traditions insensées, il prenait pour une œuvre servile l'acte que Jésus venait d'accomplir. Les Rabbins n'enseignent‑ils pas que, s'il est permis à un médecin de soigner en un jour de sabbat une maladie subite et dangereuse, il est absolument interdit de traiter une infirmité chronique ? Toutefois, le chef de la synagogue n'ose interpeller directement Notre‑Seigneur : c'est sur la foule innocente, dont il sait n'avoir rien à redouter, que retombent tout d'abord ses amers reproches. Mais, comme le font remarquer les exégètes, quelles inconséquences, quel ridicule, dans son langage dicté par un zèle aveugle et par la haine. La remontrance commence pourtant par une phrase qui est presque une citation littérale de la Loi : Il y a six jours pour travailler. cf. Exode 20, 9, 10 ; Deutéronome 5, 15 et ss. Mais elle s'achève de la façon la plus étrange : Venez‑donc en ces jours‑là, et faites‑vous guérir. Qu'est‑ce que cela veut dire ? La malade avait‑elle donc demandé sa guérison ? Et, alors même qu'elle l'eût demandée, et que Jésus eût été coupable en l'accordant, où était la faute du peuple, qui avait simplement joué le rôle de témoin ? Un malade à qui le Sauveur offrait miraculeusement la santé devait‑il la refuser, si c'était le sabbat ? L’Évangile ne fournit pas d'autres exemples d'une ingérence aussi illogique, ou d'une sottise aussi incurable. Cela rappelle la conduite de ce marin juif qui lâcha tout à coup le gouvernail au beau milieu d'une tempête, parce que le jour du sabbat venait de commencer.
Luc 13.15 Hypocrite, lui répondit le Seigneur, est-ce que chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache pas de la crèche son bœuf ou son âne, pour le mener boire ? - Le Seigneur s'indigne à son tour, réprouve à juste titre de pareils procédés. Quelle force dans l'apostrophe : Hypocrites, par laquelle il lève le masque de religion sous lequel s'abritait le dépit de ses adversaires. Elle s'adresse à tous ceux des membres de l'assistance (et ils étaient assez nombreux, d'après le v. 17) qui partageaient les sentiments du chef de la synagogue. Quelle vigueur aussi dans la courte apologie qui suit. Elle se compose de deux parties : il montre en v. 15 que ses adversaires ne sont pas cohérents avec leurs principes, et conclut « a fortiori » en v. 16. - Est‑ce que chacun de vous… Êtes vous donc si rigoureux quand vos intérêts matériels sont en cause ? Hésitez‑vous alors à vous livrer à des occupations qui constituent un véritable travail ? Et vous réprouvez en moi une parole et un geste ? On trouve formellement exprimée dans le Talmud la coutume que mentionne ici Notre‑Seigneur. « Non seulement il est permis d’aller conduire à l’eau un animal le sabbat, mais même de puiser de l’eau pour lui, de façon cependant (étrange distinction où se trouve tout le caractère pharisaïque) à ce que la bête se rende à l’eau elle‑même et boive, mais non que l’eau soit apportée à la bête », Tr. Erubhin, f. 20, 2. Mais, si l'on était si respectueux pour le repos du sabbat, que n'apportait‑on dès la veille une provision d'eau dans l'étable ? - Voyez dans S. Matthieu, 12, 11, un raisonnement du même genre, quoique présenté sous une autre forme.
Luc 13.16 Et cette fille d'Abraham, que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, il ne fallait pas la délivrer de cette chaîne le jour du sabbat." - Beau contraste, vigoureusement tracé. Qu'était la malade ? Une fille d'Abraham : titre glorieux qui disait beaucoup au cœur d'un Juif. cf. Matth. 3, 9. Et Jésus oppose cette fille d'Abraham aux simples animaux mentionnés précédemment. Dans quel état se trouvait‑elle ? Au pouvoir de Satan, qui l'avait liée (figure expressive et pittoresque) depuis des années. Fallait‑il donc la laisser souffrir davantage, alors qu'on se refusait, légitimement du reste, à faire endurer la soif pendant quelques heures à des bêtes sans raison ? Assurément non. Ce serait aller contre toutes les intentions divines. - S. Irénée, 4, 19, démontre qu'en opérant de fréquentes guérisons le samedi, Jésus rendait honneur au céleste instituteur du sabbat, qui aimait à répandre en ce jour sur son peuple ses faveurs les plus délicates.
Luc 13.17 Pendant qu'il parlait ainsi, tous ses adversaires étaient couverts de confusion et tout le peuple était ravi de toutes les choses merveilleuses qu'il accomplissait. - Double effet produit par l'argumentation du Sauveur. Ses ennemis, couverts de honte, rougissaient (forte expression qui n'apparaît pas ailleurs dans l'Évangile), ne peuvent lui répondre. La masse de l'assemblée juive éprouve un vif sentiment de joie en voyant Jésus accomplir tant de merveilles.
Luc. 18-19 = Matth. 13, 31-32 ; Marc. 4, 30-31.
Luc 13.18 Il disait encore : "A quoi le royaume de Dieu est-il semblable et à quoi le comparerai-je ? - A quoi le royaume de Dieu est-il semblable… Formule destinée à rendre l'attention plus vive. La répétition à quoi le comparerai‑je en grossit encore l'intérêt.
Luc 13.19 Il est semblable à un grain de sénevé qu'un homme prit et jeta dans son jardin, il poussa et il devint un arbre et les oiseaux du ciel firent leur demeure dans ses rameaux." - S. Matthieu et S. Marc (voyez nos commentaires) développent un peu plus cette parabole. S. Luc, malgré la brièveté de son récit, a pourtant divers détails spéciaux. 1° Il nous montre le grain de moutarde semé, non pas dans un champ (S. Matth.) ou dans la terre, d'une manière encore plus générale (S. Marc), mais dans un jardin. 2° Il nous le montre ensuite, par une hyperbole, non seulement devenu le plus grand de toutes les herbes potagères, mais transformé en un arbre. Quant à la signification, elle est absolument la même que dans les autres Évangiles. « Comme la semence de la moutarde des champs (sénevé) qui l’emporte en quantité sur les semences des autres huiles, croît au point de servir d’abri à plusieurs oiseaux, la doctrine du salut résidait, au début, en peu de personnes, et reçut par la suite de l’accroissement », S. Cyrille, l.c. Et quel accroissement. Le monde n'est‑il pas en grande partie chrétien ? cf. S. August. Serm. 44, 2.
Luc 13, 20-21 = Matth. 13, 33.
Luc 13.20 Il dit encore : "A quoi comparerai-je le royaume de Dieu ? - Il dit encore : il répéta. Les mots suivants sont en effet une reproduction abrégée de la formule employée plus haut, v. 18.
Luc 13.21 Il est semblable au levain qu'une femme prend et mêle dans trois mesures de farine, de façon à faire lever toute la pâte." - La parabole du grain de sénevé exprimait la puissance d'expansion dont jouit la doctrine évangélique, le développement extérieur du royaume de Dieu ; dans celle‑ci il s'agit d'un développement intime, d'une puissance de transformation. Et en effet, le levain de l'Évangile a tout envahi : la vie de famille, la politique, les sciences, les arts ; rien n'échappe à son influence. Ceux‑là même en vivent qui prétendent s'y soustraire. Voyez d'ailleurs notre explication du passage parallèle de S. Matthieu. Les deux rédactions sont tout à fait identiques dans le texte grec.
Luc 13.22 Il allait donc par les villes et les villages, enseignant et s'avançant vers Jérusalem. - Il allait. C'est toujours la suite du grand voyage commencé au chap. 9, v. 51 (voyez l'explication), ainsi qu'il ressort des mots s’avançant vers Jérusalem. Cette formule introduit une nouvelle série de scènes intéressantes. L'évangéliste mentionne en passant que Jésus, selon sa coutume, annonçait la bonne nouvelle dans chacune de ses résidences temporaires.
Luc 13.23 Quelqu'un lui demanda : "Seigneur, n'y aura-t-il qu'un petit nombre de sauvés ?" Il leur dit : - Quelqu'un lui demanda. Le questionneur n'est pas autrement déterminé par le récit. Son caractère, l'occasion de sa demande, sont laissés dans le vague. Nous ne savons pas même si c'était un disciple ou simplement un Juif de la foule. Car en général, dans la narration évangélique, « toutes les personnalités, à part celle du Christ, se retirent à l'arrière‑scène : leur histoire n'étant pas rapportée dans leur propre intérêt, mais à cause de l'application que nous devons nous en faire, et en tant qu'elle introduit les paroles qui nous sont adressées à tous par Notre‑Seigneur ». - N'y aura-t-il qu'un petit nombre sauvés ? cf. Actes 2, 47 (...) le Seigneur ajoutait chaque jour au nombre de ceux qui étaient dans la voie du salut. C'était là une question tout à fait à l'ordre du jour chez les Juifs, par suite de la grande effervescence que l'attente du Messie avait produite dans leurs rangs. L'une des bizarres rêveries cabalistiques des Rabbins consistait à essayer de fixer le nombre des élus par la valeur numérique des lettres de tel ou tel texte scripturaire relatif au royaume des cieux. On retrouve l'écho de ces subtiles discussions dans : « Le Très‑Haut a fait ce siècle pour un grand nombre, mais le siècle à venir pour peu », 4ème livre d’Esdras 8, 1 ; « Je l’ai dit autrefois, je le dis maintenant, et je le dirai plus tard : ceux qui périssent sont plus nombreux que ceux qui sont sauvés, comme la vague par rapport à une goutte d’eau », 4ème livre d’Esdras 9, 15-16. - Il leur dit. La réponse de Jésus s'adresse donc à toute l'assistance et pas seulement à l'interrogateur. S. Augustin d’Hippone (serm. 32, sur les par. du Seig.) le Sauveur répond affirmativement à la question qui lui est faite : "Y en a-t-il peu qui soient sauvés ?" parce qu’il y en a peu qui entrent par la porte étroite. C’est ce qu’il déclare lui-même dans un autre endroit : "Le chemin qui conduit à la vie est étroit, et il en est peu qui le trouvent." (Mth 7.) — Bède le Vénérable. C’est pour cela qu’il ajoute ici : "Car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer, (excités par le désir de sauver leur âme), et ils ne le pourront pas" effrayés qu’ils seront des difficultés de la route. — S. Basile de Césarée. (sur le Ps 1.) L’âme, en effet, hésite et chancelle quand, d’un côté, la considération de l’éternité lui fait choisir le chemin de la vertu, et quand en même temps la vue des choses de la terre lui fait donner la préférence aux séductions du monde. D’un côté elle voit le repos et les plaisirs de la chair, de l’autre l’assujettissement, l’esclavage de soi-même ; d’un côté l’intempérance, de l’autre la sobriété ; d’un côté les rires dissolus, de l’autre des ruisseaux de larmes, d’un côté les danses, de l’autre les prières ; ici le son des instruments, là les pleurs ; d’un côté la volupté, de l’autre la chasteté. — S. Aug. (serm., 32.) Notre-Seigneur ne se contredit pas en disant ici qu’il en est peu qui entrent par la porte étroite, et en déclarant dans un autre endroit "qu’un grand nombre viendront de l’Orient et de l’Occident" etc. (Mth 8.) Ils seront peu en comparaison de ceux qui se perdent, mais ils seront beaucoup dans la société des anges. Quand le grain est battu dans l’aire, à peine si on le voit, mais cependant il sortira de cette aire une si grande quantité de grains qu’elle remplira le grenier du ciel.
Luc 13.24 "Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas. - Efforcez‑vous d'entrer. Le verge grec, d'où est venu notre substantif « agonie », implique l'idée de lutte, de combat. Il est donc nécessaire de lutter, si l'on veut réussir à pénétrer dans le royaume des cieux. cf. 1 Corinthiens 9, 25 ; 1 Timothée 6, 12. La belle métaphore par la porte étroite nous est déjà connue par un passage analogue du premier Évangile (Matth. 7, 12 ; voyez le commentaire), où nous l'avons vue plus développée. Cette porte étroite est celle qui donne accès au palais messianique, c'est‑à‑dire au séjour des bienheureux. - Beaucoup, je vous le dis… Par ces paroles, Notre‑Seigneur motive et justifie sa vive recommandation, son appel à la violence. Luttez, je vous le dis, car il y en aura beaucoup qui ne pourront franchir l'entrée du ciel, parce que leurs tentatives auront été molles et inconstantes ? Ils ne devront donc s'en prendre qu'à eux‑mêmes.
Luc 13.25 Une fois que le père de famille se sera levé et aura fermé la porte, si vous êtes dehors et que vous vous mettiez à frapper, en disant : Seigneur, ouvrez-nous. Il vous répondra : Je ne sais d'où vous êtes. - Les vv. 25-30 commentent d'une manière dramatique la pensée générale qui vient d'être exprimée. Sous une vivante allégorie, dont nous avons déjà rencontré dans S. Matthieu (7, 22 et ss. ; 25, 10-12) les éléments principaux, empruntés à la vie de famille de l'Orient, Jésus représente une scène terrible de la fin des temps. Il nous montre un père de famille qui, après avoir longuement attendu ses hôtes invités pour le repas du soir, entre avec eux dans la salle du festin et ferme la porte derrière lui. Mais plusieurs des convives se sont mis en retard. Pendant quelque temps, ils se tiennent debout dans la rue à l'entrée de la maison, espérant qu'on leur ouvrira bientôt. Toutefois, voici qu'ils s'impatientent et commencent à frapper vivement contre la porte. Ils appellent même tout haut le maître de la maison : Seigneur, ouvrez‑nous. Un dialogue s'engage entre eux et lui, mais, hélas : pour leur plus grande confusion, car ils ont la douleur de s'entendre dire : Je ne sais d'où vous êtes. Leurs prières sont maintenant trop tardives ; « Car après le jugement, il n’est plus question de demandes ou de mérites », S. Augustin Serm. 22 de Verbis Domini. Ils devaient faire des efforts pour pénétrer à travers la porte étroite : ils ne passeront jamais par la porte fermée. S. Cyr. Notre-Seigneur nous montre ensuite par un exemple manifeste combien sont coupables ceux qui ne peuvent entrer : " Lorsque le père de famille sera entré et aura fermé la porte, " etc. ; c’est-à-dire, supposez un père de famille qui a invité beaucoup de monde à son festin, lorsqu’il est entré avec ses convives et que la porte est fermée, d’autres arrivent et frappent à la porte. — Bède. Ce père de famille, c’est Jésus-Christ qui est présent partout par sa divinité, mais qui nous est représenté dans l’intérieur du ciel avec ceux qu’il réjouit de la vue de sa présence, tandis qu’il est comme dehors avec ceux qu’il soutient invisiblement dans le combat de cette vie. Il entrera définitivement, lorsqu’il admettra toute l’Église à le contempler, il fermera la porte lorsqu’il refusera aux réprouvés la grâce de la pénitence. Ceux qui se tiendront au dehors et frapperont à la porte, c’est-à-dire ceux qui seront séparés des justes, imploreront en vain la miséricorde qu’ils auront méprisée : "Et il leur répondra : Je ne sais d’où vous êtes." — S. Grég. (Moral., 8.) Ne pas savoir, pour Dieu, c’est l’éprouver, comme on dit d’un homme vrai dans ses paroles, qu’il ne sait pas mentir, parce qu’il a horreur du mensonge ; ce n’eut pas qu’il ne saurait mentir, s’il le voulait, mais l’amour de la vérité lui inspire un profond mépris pour le mensonge. La lumière de la vérité ne connaît donc pas les ténèbres qu’elle réprouve.
Luc 13.26 Alors vous vous mettrez à dire : Nous avons mangé et bu devant vous et vous avez enseigné dans nos places publiques. - Les réprouvés insistent, essayant de se faire reconnaître comme des amis du père de famille. De grâce, rappelez vos souvenirs : N'avons‑nous pas mangé, bu, en votre présence ? Oui ; mais par ce devant vous, ils se condamnent eux‑mêmes sans paraître le remarquer, car ils ne pouvaient pas exprimer plus fortement l'absence de communion intime avec lui. Devant vous, et pas « avec vous. ». N'avez‑vous pas enseigné publiquement sur nos places publiques ? Oui, mais comment ont‑ils reçu sa prédication ? Suffit‑il donc d'assister à un discours pour être l'ami personnel de l'orateur ?
Luc 13. 27 Et il vous répondra : Je vous le dis, je ne sais d'où vous êtes, retirez-vous de moi, vous tous, ouvriers d'iniquités. - Ces vaines excuses, sous lesquelles il est aisé de voir des allusions manifestes au ministère de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ et à l'incrédulité de la plupart des Juifs, sont reçues comme elles le méritent. Je ne sais d'où vous êtes, répète froidement la voix du père de famille. En vérité, qui êtes‑vous ? Nos relations, s'il en a existé quelques‑unes entre nous, ont été purement extérieures ; au fond, nous sommes séparés par un abîme. Aussi, je ne veux pas vous écouter davantage : retirez‑vous de moi. Vous n'êtes pas mes amis, mais des ouvriers d'iniquité. Sentence d'éternelle damnation. « Quand il a dit je ne vous connais pas, il ne restait plus que la géhenne et d’intolérables tourments. Cette parole est même plus terrible que l’enfer lui‑même », S. Jean Chrysostome, cité par Luc de Bruges.
Luc 13.28 C'est alors qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, lorsque vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, tandis que vous serez jetés dehors. 29 Il en viendra de l'Orient et de l'Occident, de l'Aquilon et du Midi et ils prendront place au banquet dans le royaume de Dieu. - Y désigne le lieu de désespoir et de tourments où seront rejetés les ouvriers d'iniquité maudits plus hauts. - Jésus signale ensuite un détail qui constituera pour les damnés d'entre les Juifs un supplice particulier. Du sein de l'enfer, ils verront (cf. 16, 23 et le commentaire) les saints de leur nation, spécialement les patriarches et les prophètes, jouissant d'un éternel bonheur ; bien plus, tandis qu'ils seront, eux, les fils de la promesse, exclus du festin des noces de l'Agneau, ils verront de nombreux païens, venus de tous les coins du monde (de l'orient et de l'occident… cf. Isaïe 49, 12), admis parmi les convives de ce divin banquet (ils se mettront à table dans le royaume de Dieu). Quel désolant spectacle, quand ils se souviendront qu'il leur aurait été relativement facile de parvenir au salut. - Le lecteur a remarqué sans doute que, depuis le v. 22, Jésus s'adresse directement à ses auditeurs, comme si sa description terrible devait être réalisée en leurs propres personnes. On ne saurait nier qu'il n'y ait, dans ce passage, une allusion manifeste à la damnation d'un grand nombre de Juifs, surtout parmi les contemporains du Sauveur. Au reste, le Talmud affirme le même fait à sa manière. « De six cent mille hommes qui sortirent de l'Égypte, dit‑il, il n'y en eut que deux qui entrèrent dans la Terre promise : ainsi verra‑t‑on très peu d'Israélites sauvés au temps du Messie ». Talmud de Babylone, Traité Sanhédrin 111a.
Luc 13.30 Et tels sont les derniers, qui seront les premiers et tels sont les premiers, qui seront les derniers." - Conclusion de cette scène tragique, sous la forme d'un adage plusieurs fois répété par Notre‑Seigneur (cf. Matth. 19, 30 ; 20, 16) et bien adapté à la circonstance présente. - Les derniers seront les premiers. Les païens si misérables, « vous n’aviez pas le Christ, vous n’aviez pas droit de cité avec Israël, vous étiez étrangers aux alliances et à la promesse, vous n’aviez pas d’espérance et, dans le monde, vous étiez sans Dieu » (Éphésiens 2, 12), ont conquis la première place ; au contraire, les premiers seront les derniers : beaucoup de Juifs ont été rejetés au dernier rang.
Luc 13.31 Le même jour, quelques Pharisiens vinrent lui dire : "Retirez-vous et partez d'ici, car Hérode veut vous faire mourir." - Quelques pharisiens… Démarche étrange assurément. Toutefois, il faut avoir bien mal compris l'ensemble de la narration évangélique dans ce qu'elle rapporte des relations antérieures des Pharisiens avec Jésus, ou il faut vouloir excuser à tout prix la secte, pour dire avec M. Cohen, les Pharisiens, 1877, t. 2, p. 51 : « Hérode… avait incarcéré Jean‑Baptiste… Il voulut de même faire saisir Jésus. Or, ce furent les Pharisiens qui vinrent avertir ce dernier des mauvais desseins du tétrarque et lui fournirent les moyens de se sauver à temps (!). Une telle démarche prouve que ce parti était loin d'être malveillant à l'égard de Jésus ». Comme si les Pharisiens ne nous étaient pas au contraire apparus constamment comme les ennemis acharnés du Sauveur. Comme si Jésus lui‑même ne montrait pas, dans sa réponse empreinte de sévérité, qu'il comprenait fort bien les intentions de ces ennemis hypocrites, et qu'il ne se laissait pas tromper par eux, même quand ils affectaient d'être inquiets pour sa vie. « Ils faisaient semblant de l'estimer », disait déjà S. Cyrille (in Chaîne) en toute justesse. - Partez d'ici. Notre‑Seigneur était alors, croyons‑nous, en Pérée, province qui appartenait comme la Galilée au territoire d'Hérode Antipas. - Car Hérode veut vous faire mourir. Ces prétendus amis allèguent, pour inciter Jésus à fuir au plus vite, ce motif, qui pouvait paraître de prime abord d'autant plus vraisemblable, que le tétrarque avait quelque temps auparavant fait mourir Jean‑Baptiste. Énonçaient‑ils un fait réel ? Hérode nourrissait‑il vraiment des projets sanguinaires à l'égard de Jésus ? Ou bien était‑ce une ruse dont se servaient les Pharisiens pour effrayer leur adversaire, l'éloigner d'une contrée paisible où il ne courait aucun danger, le pousser dans la direction de la Judée et de Jérusalem, le déconsidérer en le montrant comme un homme timide et lâche ? Beaucoup d'exégètes (entre autres Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Corneille de Lapierre, Fr. Luc, Calmet, Olshausen, Ebrard, Stier) ont admis cette dernière hypothèse, parce qu'elle est en conformité parfaite avec le caractère fourbe, rusé, des Pharisiens, et aussi parce que la première semble difficilement conciliable avec les sentiments habituels d'Antipas pour Jésus. cf. 9, 9, et 23, 8, où nous voyons le tétrarque manifester un vif désir de voir Notre‑Seigneur. Toutefois, la manière dont le divin Maître répond aux Pharisiens (« allez et dites à ce renard ») indique plutôt qu'Hérode jouait un rôle personnel dans cet épisode. Nous savons par sa conduite à l'égard du Précurseur qu'il avait une âme extrêmement mobile, ce qui produisait en lui de perpétuelles contradictions. Jaloux de son pouvoir, il avait redouté Jean‑Baptiste : n'était‑il pas naturel qu'il craignît de même le Prophète, le Thaumaturge, qui exerçait sur la foule une si grande influence ? Il est donc assez probable qu'il s'était entendu avec les Pharisiens pour l'intimider, sans songer peut‑être à exécuter la menace qu'il lui faisait porter. Voyez dans Amos, 7, 10-17, une intrigue du même genre, destinée à mettre fin aux prophéties que lançait contre le royaume d'Israël le pasteur de Thécué.
Luc 13.32 Il leur répondit : "Allez et dites à ce renard : Je chasse les démons et guéris les malades aujourd'hui et demain et le troisième jour j'aurai fini. - Les commentateurs admirent à l'envi la dignité, le calme, la sainte hardiesse, le sens profond de la réponse de Jésus. Elle est présentée à dessein sous une forme un peu obscure et énigmatique. Mais, si Hérode et ses ambassadeurs éprouvèrent quelque embarras pour la comprendre, nous pouvons aujourd'hui la saisir sans beaucoup de peine. - Allez. Vous me dites de m'en aller ; moi, je vous donne le même conseil. - Dites à ce renard. Jésus est loin de tenir ici le langage d'un courtisan. Mais que cette épithète peu flatteuse accolée par lui au nom d'Hérode était bien méritée. Il n'est pas un peuple pour qui le renard n'ait été un emblème de ruse, de dissimulation, de méchanceté. « Comme de deux façons se commet une injustice, par la fraude ou des injures, la fraude étant apparentée au renard et l’injure au lion, l’une et l’autre sont étrangères à l’homme, mais la fraude est la plus odieuse », Cic. De offic. 1, 13. Elien, Histor. 4, 39, place les renards au sommet de la malignité et de la ruse. « Les Égyptiens furent d’une finesse rusée, c’est pourquoi on les compare aux renards », Talmud, Schamoth R. 22. Or, l'histoire présente rarement des natures aussi intrigantes, aussi dissimulées, aussi fourbes que celle d'Hérode Antipas : sa vie, telle que nous la lisons dans les écrits de Josèphe, est un tissu de ruses malsaines. Et voici que Jésus le prenait en flagrant délit sous ce rapport. - Je chasse les démons, et guéris les malades. Par ces quelques mots, Notre‑Seigneur désigne son ministère dans ce qu'il avait de plus saillant, l'expulsion des démons et les guérisons miraculeuses. Il passait en faisant le bien, en accomplissant des œuvres de charité, et voilà que ses ennemis le redoutaient comme un homme dangereux, et cherchaient à se débarrasser de lui par des menaces. Mais ces menaces n'étaient pas capables de l'impressionner. Quelle noble fermeté dans ces deux verbes employés au temps présent (je chasse, je guéris), qui dénotent une résolution inébranlable d'agir quand même, jusqu'à l'heure marquée par la divine Providence. Les expressions aujourd'hui, demain et le troisième jour ne doivent pas se prendre à la lettre, comme si c'étaient des dates strictement chronologiques. La parole de Jésus perdrait ainsi de sa grandeur. A la suite des anciens, qui les avaient très bien comprises, nous les entendrons d'une manière large. « Par aujourd’hui, demain, et le troisième jour, est désignée la totalité du temps requis pour son œuvre », Cajetan, h. l. De même au v. 33. - J'aurai fini…. Il n'est pas difficile d'indiquer ce que représente cette fin dont Jésus parle avec tant de solennité. C'est sa mort qu'il appelle fin, cf. Jean 19, 28 ; Hébreux 2, 10 ; 5 , 9. Notre‑Seigneur voulait dire par ce langage figuré : Ma mort ne tardera pas beaucoup, mais mon ministère n'est pas encore arrivé à son terme. Je reste donc ; je n'ai pas à modifier les plans divins pour un Hérode. Autant cette parole est belle, autant serait mesquine, M. Reuss (Hist. Évang. p. 482) a raison de l'affirmer, l'interprétation suivante de plusieurs auteurs du XIXème siècle : J'ai encore pour deux jours de guérisons et d'expulsions à opérer dans ce pays ; d'ici à trois jours j'aurai fini et je partirai. - Notons en passant que si S. Luc ne mentionne qu'un tout petit nombre de miracles durant cette période de la vie publique de Notre‑Seigneur (quatre seulement du ch. 10 au ch. 17), le présent verset prouve que ce silence n'indique pas une cessation des miracles. Jésus continuait donc d'opérer des merveilles ; mais les écrivains sacrés ne pouvaient les signaler toutes.
Luc 13.33 Seulement il faut que je poursuive ma route aujourd'hui et demain et le jour suivant, car il ne convient pas qu'un prophète meure hors de Jérusalem. - Seulement, continue, le Sauveur, il faut que je marche aujourd'hui. Le moment fixé pour mon départ viendra pourtant, et alors je m'en irai dans une autre contrée ; mais ce ne sera pas pour fuir, comme si j'avais peur des embûches d'Hérode : ce sera tout au contraire pour aller affronter la mort au lieu où je dois la subir. En effet, il ne convient pas qu'un prophète meurt hors de Jérusalem. « Ce n'est pas que tous les prophètes soient morts dans Jérusalem, ni qu'il y ait sur cela aucune loi ; mais, pour exagérer la cruauté de cette ville, le Sauveur dit qu'elle est si habituelle à répandre le sang des prophètes qu'il ne semble pas qu'un prophète puisse mourir ailleurs ». D. Calmet. Surtout, il convenait que le Messie mourût dans la capitale juive. Sa personne était donc inviolable sur le territoire d'Hérode, quels que fussent les desseins de ce tyran. Qu'importaient au lion de la tribu de Juda les ruses d'un timide renard ?
Luc 13.34 Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapide ceux qui sont envoyés vers elle. Combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble sa couvée sous ses ailes et vous ne l'avez pas voulu.- A cette parole, dans laquelle plusieurs exégètes ont vu, peut‑être justement, une fine et mordante ironie soit à l'égard de Jérusalem, soit envers Antipas, Notre‑Seigneur ajoute quelques mots de lamentation douloureuse. Il mourra bientôt dans la ville sainte : la résidence messianique sera donc une cité déicide, et quels malheurs ne s'attirera‑t‑elle pas par ce crime horrible : Il ne peut s'empêcher de gémir sur elle. - On trouve aussi dans S. Matthieu, mais à une autre place, 23, 37-39 (voyez le commentaire), cette apostrophe poignante de Jésus à Jérusalem. Aurait‑elle été répétée deux fois ? Cela nous paraît fort vraisemblable ; du moins l'on admet généralement qu'elle convient très bien dans les deux circonstances où nous la trouvons. - Jérusalem, Jérusalem. « C’est la germination de la parole de celui qui prend pitié ou qui aime excessivement », S. Cyrille. - A cette ville coupable Jésus reproche rapidement son crime principal : elle massacre sans pitié ceux qui lui sont envoyés de Dieu pour la sauver. - j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble sa couvée sous ses ailes. Dans le texte de S Matthieu nous lisons « que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu. ». S. Augustin, Enarrat. in Psalm. 62, applique mystiquement à tous les hommes cette image : « Si l’esprit infernal est pareil à un vautour, ne sommes‑nous pas cachés sous les ailes d’une poule divine, et peut‑il nous atteindre? Cette poule, qui nous rassemble sous ses ailes, jouit d’une force invincible ». - vous ne l'avez pas voulu. Les habitants de Jérusalem, demeurés incrédules, avaient refusé par là même le puissant et doux abri que voulait leur donner Jésus. Aussi les aigles de Rome, en s'abattant sur eux, les trouveront‑ils sans aucune défense.
Luc 13.35 Voici que votre maison va vous être laissée. Je vous le dis, vous ne me verrez plus, jusqu'à ce que vienne le jour où vous direz : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur." - La sentence est clairement formulée. La demeure sacrée des Juifs, c'est‑à‑dire le temple, sera délaissée par l'hôte divin dont elle était le palais. Le 4ème livre (qui est apocryphe) d'Esdras, 1, 30-33, annonce ce terrible abandon presque dans les mêmes termes, et comme le résultat du même crime : « Je vous ai rassemblés comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes. Maintenant, que ferai‑je de vous ? Je vous éloignerai de ma face… Le Seigneur tout puissant a dit : votre maison est déserte. ». Cependant le Sauveur, miséricordieux alors même qu'il menace et châtie, ouvre aux Juifs, en terminant, une perspective de bonheur, leur laisse un espoir de salut. Bientôt, ils cesseront de le voir ; mais un jour, convertis et devenus croyants, ils le recevront ne poussant ce cri d'allégresse et d'amour : Béni soit celui qui vient… Ce sera aux grandes assises du jugement général.
Luc 14.1 Un jour de sabbat, Jésus étant entré dans la maison d'un des principaux Pharisiens pour y prendre son repas, ceux-ci l'observaient. - L'évangéliste ne mentionne ni le lieu, ni la date. La scène se passa vraisemblablement dans une autre contrée que l'épisode raconté à la fin du chap. 13. - Dans la maison d'un des principaux pharisiens. Expression qu'il ne faut pas vouloir trop presser, car les Pharisiens, en tant que parti, n'avaient pas de chefs officiels. Elle signifie simplement que l'hôte était un des hommes influents de la secte. On n'a aucune raison spéciale de faire de lui un chef de synagogue, ou même un membre du Sanhédrin (Grotius). - pour y prendre son repas, le Sauveur était entré dans la maison des Pharisiens sur une invitation formelle. - Un jour de sabbat. Cette circonstance de temps est importante pour la suite du récit. cf. v. 3 et ss. Elle s'accorde fort bien avec la coutume, toujours précieusement suivie par les Juifs, de fêter le samedi par des repas plus soignés, plus copieux, auxquels ils invitent leurs parents, leurs amis, et même les étrangers et les pauvres. cf. Tobie 2, 5 ; Néhémie 8, 9-12. « Il est interdit de jeûner le sabbat. Les hommes sont tenus, au contraire, de prendre plaisir au boire et à la nourriture. La convivialité est de rigueur le sabbat plus que pour les autres jours », Maimonide, Sabb. c. 30. « Accueille le sabbat avec un vif appétit : que ta table soit couverte de poisson, de viande, et d'un vin généreux. Que les sièges soient moelleux et ornés de splendides coussins ; que l'élégance sourie dans la manière dont la table sera garnie. » Telles étaient les recommandations des Rabbins, et on les prenait si bien au sérieux que la sainte joie du sabbat dégénérait souvent en excès de tout genre, comme nous l'apprennent non seulement les Pères de l'Église (cf. S. Jean Chrys. de Lazaro, Hom. 1 ; S. August. Enarrat. 2 in Ps. 32, 2 ; Serm. 9, 3), mais les païens eux‑mêmes, Plutarque par exemple, qui en prend occasion de railler les Juifs. - Ceux‑ci l'observaient. Toute l'assistance était donc occupée à épier les paroles et les actes du Sauveur. Cela prouve dans quel esprit avait eu lieu l'invitation. cf. 6, 7 ; 20, 20 ; Marc. 3, 2 ; Psaume 36, 32. Mais, « Bien qu’il connaisse la malice des Pharisiens, le Seigneur s’est quand même fait leur convive, pour être de quelque profit, par ses miracles et par ses paroles, à tous ceux qui étaient présents », S. Cyrille, Cat. D. Thom. L'amour de Jésus ne se lassait jamais.
Luc 14.2 Et voici qu'un homme hydropique se trouvait devant lui. - La narration est pleine de pittoresque. Quelque temps avant que le repas commençât (cf. v. 7), voici qu'un homme atteint d'hydropisie, maladie toujours grave et souvent incurable (notez l'expression technique, on ne la retrouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament), apparut tout à coup devant Jésus. Ce n'était certainement pas un convive. Peut‑être, ainsi qu'on l'a conjecturé, avait‑il été amené là par les Pharisiens comme un piège vivant pour le Sauveur. Mais, selon la juste remarque de Maldonat, il semble que dans ce cas « l’évangéliste n’aurait pas passé cela sous silence, lui qui n’a pas tu que les Pharisiens avaient les yeux fixés sur le Seigneur pour l’observer ». Nous croyons donc plus probable que le malade, profitant de la liberté des mœurs orientales, s'était glissé de lui‑même dans la maison avec l'espoir d'être guéri. Quoi qu'il en soit, le piège, s'il existait, fut promptement déjoué par Notre‑Seigneur.
Luc 14.3 Jésus, prenant la parole, dit aux Docteurs de la Loi et aux Pharisiens : "Est-il permis de faire une guérison le jour du sabbat ?" 4 Et ils gardèrent le silence. Lui, prenant cet homme par la main, le guérit et le renvoya. - Jésus va répondre aux plus secrètes pensées de ses adversaires. Précédemment déjà, 6, 9, nous avons vu le Sauveur prendre l'initiative dans une circonstance analogue, et couvrir les Pharisiens de confusion par cette simple question. Le résultat fut ici le même : ils gardèrent le silence, n'osant ni parler ni remuer. Complètement justifié par un pareil silence (car, si l'acte qu'il méditait eût été illégal, ces maîtres en Israël, publiquement consultés, n'étaient‑ils pas tenus de l'en avertir ?), Jésus répond lui‑même d'une manière pratique à sa question : ayant pris doucement le malade par la main, il le guérit. Admirons le récit, qui n'est pas moins rapide que les faits.
Luc 14.5 Puis, s'adressant à eux, il dit : "Qui de vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits, ne l'en retire aussitôt le jour du sabbat ?" - Le miracle accompli, Notre‑Seigneur légitime sa conduite par un raisonnement irréfutable, que nous avons déjà rencontré en substance dans le premier Évangile, 12, 11 (voyez le commentaire), à propos d'une guérison du même genre. cf. aussi Luc. 13, 15. Il en appelle à leur propre manière de faire, et montre la contradiction dans laquelle ils tombent lorsque, d'une part, ils lui reprochent avec tant d'acrimonie les guérisons qu'il opère aux jours de sabbat, tandis que, d'autre part, ils ne craignent pas, en ces mêmes jours, de se livrer à de gros travaux pour extraire d'un fossé, d'une citerne, leur âne ou leur bœuf qui y est tombé. - Les anciens exégètes, rapprochant ce miracle de la guérison racontée un peu plus haut (13, 15) par S. Luc, ont ingénieusement relevé l'à‑propos avec lequel Jésus modifie ses démonstrations, de façon à les mieux faire cadrer avec les circonstances extérieures. « Notre‑Seigneur compare très‑justement l'hydropique à un animal tombé dans un puits, une telle maladie provenant de l'excès des humeurs : de même, parlant de cette femme courbée depuis dix‑huit ans et qu'il avait délivrée, il la compare à un animal qu'on délie pour le mener à l'abreuvoir. ». S. August. Quaest. Evangel. 2, 29.
Luc 14.6 Et à cela ils ne surent que lui répondre.- Plus haut, v. 4, les Pharisiens s'étaient tus parce qu'ils n'avait pas « voulu » répondre ; maintenant leur silence est forcé et provient de l'embarras. Quelle riposte auraient‑ils pu faire à la démonstration si frappante de Jésus ? C'est ainsi que Notre‑Seigneur débarrassait peu à peu l'institution sabbatique des observances mesquines sous lesquelles l'étouffait à demi une tradition inintelligente.
Luc 14.7 Ensuite, ayant remarqué l'empressement des invités à choisir les premières places, Jésus leur dit cette parabole : - Plus haut, Notre‑Seigneur avait parlé à toute l'assemblée : actuellement il se propose de donner une instruction spéciale aux invités, à l'occasion d'un abus qu'il signalera encore plus tard, 20, 46, et que l'évangéliste retrace ici en termes pittoresques. Le tableau de ces misérables petites manœuvres se dresse de lui‑même sous les yeux du lecteur. Elles devaient se renouveler fréquemment, comme on pourra en juger par ce fait étrange emprunté au Talmud, où l'on voit peintes au vif les prétentions orgueilleuses du parti rabbinique. Un jour que le roi Alexandre Jannée donnait à dîner à plusieurs satrapes persans, Siméon ben Schétach se trouvait au nombre des convives. A peine entré dans la salle du festin, le Rabbi alla tout droit s'asseoir entre le roi et la reine, à la place d'honneur. Et, comme on lui reprochait cette arrogante intrusion : N'est‑il pas écrit dans le livre de Jésus fils de Sirach (Ecclésiastique 15, 5), répondit‑il sans hésiter : « Exalte la sagesse, et elle t'exaltera et te fera asseoir parmi les princes ? » Voilà jusqu'où allait l'infatuation des théologiens juifs à cette époque : les leçons du Sauveur venaient donc fort à propos pour guérir cette autre forme d'hydropisie, l'hydropisie du cœur. Ayant remarqué. Jésus est observé par ses adversaires (cf. v. 1) ; mais lui aussi il observe : seulement, il le fait par esprit de charité, tandis que leur but manifeste était la malice. - Nous prenons le mot parabole dans un sens large. cf. l'Évangile selon S. Matth. Maldonat suppose sans raison que Notre‑Seigneur aurait placé ici une vraie parabole, omise par S. Luc, et dont la morale seule serait restée.
Luc 14.8 "Quand tu seras invité par quelqu'un à des noces, ne prends pas la première place, de peur qu'il n'y ait un homme plus considéré que toi 9 et que celui qui vous aura invités l'un et l'autre ne vienne te dire : Cède-lui la place et qu'alors tu ne commences avec confusion à occuper la dernière place. - L'emploi de la seconde personne au singulier, dans les vv. 8-10, communique à l'apostrophe beaucoup de vie et de chaleur. - A des noces, c'est‑à‑dire à un repas de noces. Avec quelle délicatesse le bon Maître donne sa leçon. Il semble ne faire aucune allusion directe à ce qui se passait sous ses yeux. - Ne prends pas à la première place. La place du milieu sur chaque lit de table à trois places était regardée comme la plus honorable, et le lit central recevait les principaux convives. - Celui qui vous a invités : ellipse selon la mode hébraïque. - La scène est admirablement décrite : nous voyons les personnages se mouvoir, nous entendons leurs paroles ; je crois apercevoir l'orgueilleux invité qui, la rougeur au front et tout décontenancé, s'en va de la première à la dernière place, au bout du lit le plus éloigné.
Luc 14.10 Mais lorsque tu seras invité, va te mettre à la dernière place, de cette façon, quand viendra celui qui t'a invité, il te dira : Mon ami, monte plus haut. Alors ce sera pour toi un honneur devant les autres convives.- Nouveaux détails pittoresques, mais pour recommander une conduite toute contraire à celle du v. 8, et pour signaler les avantages de la modestie. Voyez des conseils analogues au livre des Proverbes, 25, 6 et 7, et dans le Talmud, Vajikra Rabba, f. 164, 4. De cette façon indique moins le but qu'un résultat, car Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ne voulait évidemment pas enseigner ici une pratique de simple politesse mondaine, basée sur des motifs égoïstes, c'est‑à‑dire mettre un orgueil plus raffiné à la place de la grossière vanité. Sa pensée va plus loin que ses paroles, et, sous cette forme aimable, il cache une leçon de profonde humilité, comme le prouve la sentence générale du v. 11.
Luc 14.11 Car quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé. - Car quiconque s’élève… Nous retrouvons ailleurs (18, 14 ; Matth. 23, 12) ce même adage solennel. Il correspond à un décret providentiel dont l'expérience prouve la fidèle exécution. Même le paganisme en avait entrevu la vérité ; témoin ce mot si juste échappé à Ésope, un jour qu'on lui avait demandé quelle était l'occupation des dieux : « Abaisser les orgueilleux, relever les humbles ». Et les hommes, précisément parce qu'ils sont tous orgueilleux, aiment comme Dieu, à élever les humbles et à rabaisser les orgueilleux.
Luc 14.12 Il dit aussi à celui qui l'avait invité : "Lorsque tu donnes à dîner ou à souper, n'invite ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne t'invitent à leur tour et ne te rendent ce qu'ils auront reçu de toi. - Il dit aussi : nouvelle formule de transition. cf. v. 7. - Dîner ou souper. Le premier de ces deux substantifs désigne le repas du matin, ou grand déjeuner ; le second, le repas du soir, le dîner. - N'invite ni tes amis… Notre‑Seigneur mentionne quatre catégories de personnes qui sont habituellement invitées aux repas des riches. En premier il place les amis, ces frères que l'on s'est soi‑même choisis, comme dit le poète arabe ; viennent ensuite les frères selon la nature, puis les parents en général, enfin les voisins. Il est vraisemblable que c'est sur ces derniers seulement que retombe l'épithète riches. Cependant, de nombreux exégètes la rattachent aux quatre substantifs qui précèdent, et cela est au moins vrai dans la pensée. - De peur qu’ils ne t’invitent… Ces mots contiennent le motif de la recommandation du Sauveur. Hélas. Ils expriment une crainte que le monde ne connaît guère, puisqu'il est plus que jamais de mode d'inviter afin d'être soi‑même réinvité (sur l'ancienne coutume de rendre repas pour repas, voyez Xénophon, Sympo. 1, 15). Mais alors on a reçu sa récompense. cf. 6, 24 ; Matth. 6, 2, 5, 16. cf. aussi le vers de Martial :
« Tu demandes des charges, Sexte, non des amis ». S. Ambroise écrivait de même : « Être généreux envers ceux qui nous le rendent est un signe d’avarice ».
Luc 14.13 Mais, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles, 14 et tu seras heureux de ce qu'ils ne peuvent te rendre la pareille, car cela te sera rendu à la résurrection des justes." - Mais introduit un frappant contraste. - Aux quatre catégories de riches et d'amis qu'on invite dans l'espoir d'obtenir d'eux en retour quelque faveur, Jésus oppose quatre catégories de malheureux dont on n'a rien à attendre ici‑bas, sauf peut‑être quelque sentiment ou parole de reconnaissance (les estropiés : de même au v. 21. Mais, en revanche, quelle belle récompense on recevra de celui qui ne perd pas de vue un simple verre d'au donné en son nom. Aussi Notre‑Seigneur, avec une emphase visible, proclame‑t‑il bienheureux quiconque se rendra digne de l'obtenir. - L'expression à la résurrection des justes correspond à la résurrection de vie de S. Jean, 5, 29 (cf. Psaume 1, 5), et désigne les joies éternelles du ciel. - Il est à peine besoin de noter que ce conseil de Jésus est présenté, comme plusieurs autres, sous une forme paradoxale, à la manière de l'Orient, et qu'on tomberait dans d'étranges exagérations si on voulait le pratiquer à la lettre, d'une façon absolue, ainsi que l'ont fait plusieurs sortes d'illuminés. « Jésus laisse à leur place les invitations qui naissent des devoirs naturels et civils. Il en prescrit de meilleures, mais n’enlève pas totalement les obligations humanitaires », dit un ancien commentateur. Le but du Sauveur n'est pas de brouiller les relations sociales, mais de mettre la charité à la place de l'égoïsme, de rappeler aux siens la pensée des pauvres. « N'invite pas... » du v. 12 signifie donc : « n'invite pas seulement… mais aussi... ». D'ailleurs la Loi mosaïque exhortait déjà fortement les riches à inviter les pauvres dans certaines circonstances particulières. cf. Deutéronome 12, 5-12 ; 14, 28-29 ; 15, 11 ; 26, 11-13 ; Néhémie 8, 10. Le Talmud parle dans le même sens : « R. Siméon a avancé ceci : celui qui se réjouit pendant les jours de fête sans donner à Dieu la part qui lui revient, cet homme‑là est un envieux. Satan le hait, l’accuse, le livre à la mort, et lui inflige de grands supplices. Donner à Dieu sa part c’est rendre heureux les pauvres, autant que chacun le peut », Sohar Genes. f. 8, col. 29. Les païens eux‑mêmes avaient compris cette vérité : « Pour que quelqu’un soit libéral, je veux qu’il donne à ses amis, mais, par amis, j’entends les pauvres. Je ne parle pas de ceux qui donnent abondamment à ceux qui peuvent donner abondamment en retour », Pline, Ep. 9, 30. « A nos fêtes, nous devons inviter, non pas nos amis, mais les pauvres et les misérables : s'ils ne peuvent nous récompenser, ils appelleront par leurs vœux des bénédictions sur nous ». Platon, Phèdr. 233. cf. Cicéron, de Offic. 1, 15 ; Dio Chrys. 1, 252.
Luc 14.15 Un de ceux qui étaient à table avec lui, ayant entendu ces paroles, dit à Jésus : "Heureux celui qui aura part au banquet dans le royaume de Dieu." - Un de ceux qui étaient à table… L'occasion de la parabole est rapidement indiquée par cette petite introduction historique. - L'exclamation Heureux celui qui... se rattachait d'une manière assez naturelle aux dernières paroles de Jésus (cf. v. 14) : elle y ajoutait la métaphore bien connue, qui compare le bonheur éternel des cieux à un joyeux festin. Voyez 23, 29 ; Matth. 8, 11 ; Apocalypse 19, 9. Sortait‑elle spontanément d'un cœur pieux et sincère ? Ou bien n'était‑ce qu'un expédient habile pour détourner la conversation d'un sujet qui devait être peu agréable pour la plupart des assistants ? Il est assez malaisé de le déterminer avec certitude. Déjà les anciens exégètes étaient en désaccord sur ce point : aujourd'hui les voix se partagent de la même manière, et tandis que les uns, prenant en mauvaise part les paroles de l'interrupteur, les regardent presque comme une platitude (Farrar), les croient tout à fait hors de saison (Stier), les autres y voient une marque de joyeux enthousiasme (Olshausen) et de vive sympathie pour Jésus (Trench). Extérieurement, rien ne montre qu'elles fussent dictées par l'hypocrisie ; mais la défiance est bien permise quand il s'agit des relations de la secte pharisaïque avec Notre‑Seigneur.
Luc 14.16 Jésus lui dit : "Un homme donna un grand repas et y convia beaucoup de gens. Sur la non identité de cette parabole avec celle que nous lisons au chap. 22 de S. Matthieu, vv. 1 et ss., cf. commentaire S. Matth. Sans doute, elles représentent l'une et l'autre le royaume des cieux sous l'emblème d'un festin auquel un grand nombre d'hommes sont invités, et dont beaucoup s'abstiennent d'une manière pleine d'irrévérence. Mais, indépendamment des circonstances de temps et de lieu, qui diffèrent certainement, « là s'arrête le parallélisme. Dans S. Matthieu, le festin est donné par un roi, les invitations sont rejetées avec dédain, ce qui constitue un acte de rébellion, lequel est consommé par le meurtre des serviteurs, mais est bientôt puni par la mort des rebelles ; les bons et les mauvais sont réunis dans la salle du festin, et, finalement, un des convives est mis à la porte… parce qu'il ne s'est pas revêtu d'une robe nuptiale. Ici, au contraire, c'est un homme privé qui donne le repas ; les invitations sont déclinées avec quelque apparence de respect, de façon à dénoter plutôt l'indifférence qu'un antagonisme ouvert ; le châtiment ne consiste que dans l'exclusion des premiers invités…; il n'y a pas la moindre trace d'un incident analogue à celui de l'hôte dépourvu de vêtement nuptial ». - En toute hypothèse Jésus ne se laissa ni distraire, ni troubler par l'exclamation de ce convive. Il saisit au contraire l'occasion pour donner à toute l'assemblée une troisième leçon empruntée, comme les deux précédentes, à la circonstance du moment. - Un homme. « Cet homme est Dieu le Père, selon que les images sont configurées à la ressemblance de la réalité ». - Il y a une emphase visible dans les adjectifs « grand, beaucoup », qui relèvent la richesse du festin, la multitude des invités, c'est‑à‑dire, d'un côté, la munificence avec laquelle Dieu traitera ses élus, de l'autre, l'infinie bonté qui lui fait offrir le salut à tous les hommes. Mais, directement et d'après le contexte, les « nombreux » appelés les premiers sont les chefs de la théocratie juive (cf. S. Cyrille, in Cat. S. Thom.) ; le « grand festin » auquel on les invite représente le royaume du Messie, l'Église chrétienne, soit ici‑bas, soit dans son éternelle consommation.
Luc 14.17 A l'heure du repas, il envoya son serviteur dire aux invités : Venez, car tout est déjà prêt. - Nous avons déjà mentionné ailleurs (Evang. selon S. Matth. p. 241) la coutume orientale qui consiste à lancer, au moins dans les grandes occasions, plusieurs invitations consécutives. La dernière a lieu au moment même du festin sous une forme très pressante. Venez, car le repas est prêt. Crient les serviteurs de celui qui offre le repas dans les villes syriennes, à la porte des invités. Ici, le serviteur n'est autre que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, qui a daigné prendre par amour pour nous la forme d'un esclave, Philippiens 2, 7. On peut aussi lui associer S. Jean‑Baptiste et les Apôtres, attendu qu'ils forment ensemble comme un tout moral ; mais c'est surtout de sa personne divine qu'il s'agit, car il annonçait avec une autorité et avec un zèle incomparables : tout est déjà prêt.
Luc 14.18 Et tous, unanimement, se mirent à s'excuser. Le premier lui dit : J'ai acheté une terre et il faut que j'aille la voir, je te prie de m'excuser. - Le divin narrateur appuie évidemment sur « unanimement » et sur « tous » ; car il est frappant de voir tous les invités s'excuser, c'est‑à‑dire s'abstenir, et il n'est pas moins étonnant qu'ils le fassent tous, d'un seul cœur, comme par suite d'une entente. - Jésus‑Christ signale, par manière d'exemple, trois des excuses qui furent alléguées. La première consistait dans le récent achat d'un domaine, ou même, selon le sens ordinaire en grec du mot terre, d'un simple champ, que l'acquéreur voulait visiter au plus vite : non sans doute qu'il l'eût acheté sans mais il avait hâte d'y pénétrer en maître pour la première fois, de le parcourir avec toute la joie qu'éprouve un nouveau propriétaire quand il contemple un immeuble après lequel il a longuement soupiré et que souvent il n'a pu obtenir qu'en triomphant de mille difficultés.
Luc 14.19 Le second dit : J'ai acheté cinq paires de bœufs et je vais les essayer, je te prie de m'excuser. - Seconde excuse : Une emplette si importante ne mérite‑t‑elle pas qu'on aille immédiatement s'assurer de sa valeur ? Il ne m'est donc pas possible d'assister à votre repas.
Luc 14.20 Un autre dit : Je viens de me marier et c'est pourquoi je ne puis aller. - Si les excuses alléguées précédemment partaient d'un amour exagéré pour les biens de ce monde, la troisième provenait de la concupiscence de la chair, « qui entrave de nombreuses personnes » ajoute S. Augustin, de Verb. Dom. Serm. 33. Il est remarquable que celui qui la profère se montre dans son langage plus arrogant que les deux autres invités, comme l'a noté S. Grégoire, Hom. 36 in Evang. : « Celui qui, à cause d’une maison de campagne ou d’un bœuf de labour, refuse de participer au banquet de celui qui l’a invité mêle à son refus quelques paroles de politesse. Car, quand il a dit je te prie, la modestie résonne dans sa voix ». Oui, au moins dans la voix, quoique en refusant de venir, il se montrait méprisant dans son action. Le second se mettait pourtant plus à l'aise que le premier, car, tout en s'excusant, il se contentait de dire : Je pars, sans indiquer qu'il agissait d'après une nécessité vraie ou supposée (v. 18, il est nécessaire que …). Quant au troisième, il dit tout court, sans la moindre formule courtoise pour pallier son refus : Je ne puis aller ; lisez : Je ne veux pas y aller. Après tout, si la Loi juive (Deutéronome 24, 5) dispensait les nouveaux mariés du service militaire, pourquoi ne se seraient‑ils pas exemptés d'assister à un festin ? Cf. ce mot prononcé par Crésus en vue d'obtenir que son fils n'assistât pas à la grande chasse officielle qui eut pour lui une si fatale issue : « Ne me parlez pas davantage de mon fils ; je ne puis l'envoyer avec vous. Nouvellement marié, il n'est maintenant occupé que de ses amours... » (Hérodote, 1, 36). Un exégète allemand, Herberger, a supposé d'une manière bien ingénue que les trois invités de la parabole figuraient, dans l'intention du Sauveur, les trois sectes juives de ces temps, « les Esséniens adonnés à l'agriculture, les Pharisiens semblables à des taureaux violents et orgueilleux, les Sadducéens charnels ». Il y a plus de vérité dans ce distique d'Hildebert : « La maison de campagne, les bœufs, l’épouse exclurent du banquet les appelés. Le monde, les soucis, la chair ferment le ciel aux renés (baptisés).
Luc 14.21 Le serviteur étant revenu, rapporta ces choses à son maître. Alors le père de famille irrité dit à son serviteur : Va vite dans les places et les rues de la ville et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. - Quand il eut appris toutes ces choses, le « père de famille », comme on l'appelle maintenant, éprouva une juste colère. Sans doute les excuses qu'on lui avait transmises étaient jusqu'à un certain point plausibles en elles‑mêmes : aucune du moins n'était directement mauvaise ; mais elles étaient si tardives, n'arrivant qu'à l'heure du repas. Et puis, ne consistaient‑elles pas toutes en des intérêts mondains, qui devaient céder la place aux intérêts spirituels mis en cause dans notre parabole ? Il y avait une véritable impudence à les présenter ; on ne pouvait les recevoir sans affront. Néanmoins, après un premier mouvement d'irritation, le père de famille semble oublier les insulteurs, pour ne songer qu'au moyen de trouver promptement d'autres convives. Sa résolution est bientôt prise : Va vite dans les places…, dit‑il à son serviteur ; le temps presse, puisque tout est prêt (v. 17). Il l'envoie sur les places et aussi dans les rues, dans les rues étroites de l'Orient, à travers lesquelles un cavalier ne peut souvent passer qu'à grand peine. Le mot de la ville est important pour l'application de la parabole, car il montre que le Seigneur va prendre encore dans le sein d'Israël les convives destinés à remplacer les invités indignes : « la ville » représente en effet d'une manière métaphorique la théocratie juive. Toutefois, au lieu des Pharisiens et des Sadducéens, des Scribes et des prêtres qui ont refusé de venir, il appelle maintenant les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, par lesquels sont figurées les brebis égarées de la maison d'Israël, les publicains et les pécheurs et l'ensemble du peuple. A part une légère interversion dans les derniers mots, l'énumération est ici la même qu'au v. 13, comme si Notre‑Seigneur voulait nous montrer une réalisation toute céleste du conseil qu'il avait donné précédemment.
Luc 14.22 Le serviteur dit : Seigneur, il a été fait comme vous l'avez commandé et il y a encore de la place. 23 Le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies et ceux que tu trouveras, force-les à entrer, afin que ma maison soit remplie. - Nous venons de voir la colère de l'hôte offensé faire place à un sentiment de profonde bienveillance ; mais voici que cette bonté, car c'est la bonté divine, se manifeste sous une forme vraiment incomparable. Après quelque intervalle, le serviteur fidèle et intelligent accourt auprès de son maître, et lui raconte en quelques mots comment il a exécuté ses ordres. Mais, ajoute‑t‑il non sans emphase, il y a encore de la place. Que faut‑il faire pour combler les vides ? La réponse à cette demande tacite ne se fait pas attendre : Désormais, ne te borne pas à parcourir les rues de la ville, mais va dans les routes qui conduisent du dehors à la cité, va même dans les modestes « sentiers qui longent les haies de la campagne » (Reuss) et amène bon gré mal gré tous ceux que tu rencontreras, force-les à entrer. Cette fois, tout le monde en convient, il en s'agit plus des Juifs, mais des Païens, auxquels le Sauveur prédit ici de la façon la plus aimable leur conversion au Christianisme. Ils forment la troisième classe des invités de notre parabole. « force-les » ne contient évidemment aucun appel à la violence extérieure. La coaction dont parle le père de famille est celle que Cicéron (ad Din. 5, 6) définit si bien : « Prêche la parole. Insiste en temps opportun et importun. Argumente, supplie, morigène en toute patience et doctrine ». cf. Luc. 24, 29 ; Actes 16, 15. C'est celle que S. Paul recommande à Timothée : « Émouvoir quelqu’un par des raisons, des arguments, même par des prières souvent répétées ». C'est celle à laquelle l'Église fait allusion dans cette belle prière : « Toi qui nous es propice, contrains nos volontés rebelles à se tourner vers toi ». Quoi que disent les protestants, les catholiques n'en connaissent pas d'autre. Cela rejoint l’ordre de s’arracher l’œil ou de se couper la main (Matthieu 5, 29 Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi car il vaut mieux pour toi qu'un seul de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. 30 Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi car il vaut mieux pour toi qu'un seul de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne), ce ne sont pas des paroles de Jésus à prendre au pied de la lettre. Les baptêmes forcés comme les mutilations corporelles sont des péchés mortels pour la grâce justifiante en notre âme. On a un autre exemple au verset 27, où Jésus demande de « haïr » sa famille la plus proche et même sa propre vie : or il faut préserver sa vie et aimer ses proches, c’est donc un autre cas où le sens littéral est opposé à ce qu’il faut comprendre. Cette manière de s’exprimer vise à marquer les esprits, à faire retenir un enseignement dont le vrai sens contredit le sens littéral.
Luc 14.24 Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon festin." - Terrible conclusion. Les mots je vous le dis ont fait croire à certains commentateurs que Jésus la formula en son propre nom, s'adressant à toute l'assemblée, puisque le dialogue n'avait eu lieu jusque là qu'entre le père de famille et un seul serviteur. Mais il est plus probable qu'il faut regarder cette phrase finale comme faisant encore partie de la parabole. Cela ressort de l'expression de mon festin, d'après laquelle l'hôte figuratif semble être toujours en scène. Au reste, le pluriel « vous » s'explique par la présence soit des autres serviteurs, soit des nouveaux convives. Mais la sentence retombait quand même en plein sur les Pharisiens qui entouraient alors Notre‑Seigneur.
Luc 14.25 Comme une grande foule cheminait avec lui, il se retourna et leur dit : - Autre préambule historique, servant d'introduction à un nouvel épisode du dernier grand voyage. Après la scène qui précède, Jésus s'est remis en marche dans la direction de Jérusalem. Des foules nombreuses se pressent sur ses pas, composées sans doute en grande partie de pèlerins qui se rendaient également à la capitale pour la prochaine fête. En apparence, tout ce peuple lui est profondément dévoué ; mais il sait, lui qui connaît les secrets des cœurs, combien, dans la plupart, l'affection pour sa divine personne est superficielle, de sorte qu'il suffira d'un léger coup de vent pour transformer cette foule inconstante. Et cependant l'heure est décisive, car on est à la veille de sa Passion : il faut donc que tous sachent à quel prix l'on devient et l'on reste vraiment disciple du Christ. C'est pourquoi il leur parle en termes énergiques, comme ce ministre qui disait à chacun de ses fonctionnaires, en des jours périlleux : « Êtes‑vous prêt à sacrifier votre tête ? ». - Il se retourna et leur dit, est un détail pittoresque.
Luc 14.26 "Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. - C'est quelque chose assurément de venir à Jésus, de se mettre à la suite de Jésus, comme faisait ce bon peuple ; mais Notre‑Seigneur s'inquiétait peu, surtout alors, d'avoir de simples compagnons de voyage, quelque attachement qu'ils lui témoignassent par ailleurs. A l'adhésion extérieure, il voulait à bon droit qu'on joignît l'adhésion intérieure, la seule réelle, et il en indique les conditions : conditions difficiles, puisqu'elles se résument dans l'abnégation la plus complète, et dans le sacrifice courageusement accepté. - Et ne hait pas… Le Sauveur nomme les êtres qui sont le plus chers à l'homme, un père, une mère, une épouse, des enfants, des frères, des sœurs, et, quoique la nature et Dieu nous fassent un devoir de les aimer tendrement, il nous commande de les haïr, sous peine de n'être pas chrétiens ; bien plus, à cette énumération déjà si étonnante, il ajoute un mot qui la rend plus étonnante encore : et même sa propre vie ; il veut que nous nous haïssions nous‑mêmes. Mais on comprend qu'il ne parle pas d'une haine absolue. C'est une manière hardie de nous signifier que nous devons être disposés à détester au besoin les objets auxquels nous tenons le plus, s'ils étaient pour nous un obstacle à la perfection chrétienne. Voyez Matth. 10, 37 et le commentaire de S. Jérôme. Mais quel langage, malgré cette restriction. Comme il devait frapper, sous sa forme paradoxale, tous ceux qui entouraient alors Jésus. Et comme il frappe encore tous ceux qui le méditent sérieusement.
Luc 14.27 Et quiconque ne porte pas sa croix et ne me suis pas, ne peut pas être mon disciple. - Après avoir exigé de ses disciples le renoncement poussé jusqu'à ses dernières limites, un amour devant lequel pâlit tout autre amour, Jésus leur indique, par une figure déjà bien forte, mais que sa mort ignominieuse devait rendre plus expressive encore, la vie de rudes sacrifices, de souffrances perpétuelles, qui est dans l'essence du christianisme : Celui qui ne porte pas sa croix… cf. 9, 23, Matth. 10, 38 ; 16, 24. Notez, dans la phrase ne peut pas être mon disciple, la place donnée par emphase au pronom possessif « mon ». De même vv. 26 et 33.
Luc 14.28 Qui de vous, en effet, s'il veut bâtir une tour, ne s'assied pas auparavant pour calculer la dépense et s'il a de quoi l'achever ? - Deux exemples admirablement choisis vont montrer maintenant à la foule enthousiaste qui suit Jésus à quelle humiliation, à quels dangers s'exposerait quiconque abandonnerait la foi chrétienne après l'avoir pendant quelque temps professée. Le premier est celui d'un constructeur imprévoyant, qui commence un édifice et se voit bientôt dans la honteuse impossibilité de le continuer, faute de moyens suffisants. - Qui de vous… Le tour interrogatif et l'apostrophe directe donnent une grand vie à la pensée. - S’il veut bâtir une tour. Nous ne croyons pas, malgré l'avis contraire de plusieurs exégètes, que le mot « tour » contienne la moindre allusion à la tour de Babel. Quand donc on a une fois arrêté dans sa pensée le projet d'une construction, il est de la prudence la plus élémentaire de faire quelques sérieux calculs pour voir d'une part combien elle coûtera, d'autre part si l'on dispose de ressources suffisantes pour la mener à bonne fin. - Ne s'assied pas auparavant… détail pittoresque, destiné à mettre en relief le caractère grave, approfondi, des calculs. Les hommes pressés restent debout : au contraire, quand on s’assoit pour méditer sur une question, on témoigne déjà par cette seule attitude que l'on est décidé à prendre tout le temps nécessaire.
Luc 14.29 De peur qu'après avoir posé les fondements de l'édifice, il ne puisse le conduire à sa fin et que tous ceux qui le verront ne se mettent à le railler, 30 disant : Cet homme a commencé à bâtir et il n'a pu achever. - Motif pour lequel on ne doit entreprendre d'élever un édifice considérable qu'après avoir bien mesuré ses forces. On deviendrait l'objet de la risée publique, si l'on ne pouvait l'achever en entier. Rien de plus ridicule en effet que « ces bâtiments incomplets, ouverts à tous les vents et à toutes les pluies du ciel » (cf. Shakespeare, Henry 2, Actes 1, sc. 3), que la malignité du peuple nomme, et n'est‑ce pas un peu son droit ?, la Folie d'un tel ou d'un tel. Quelle est la petite ville de province qui n'ait à raconter quelque histoire de ce genre ? Comme dit un proverbe allemand : Engager les travaux, et ne réfléchir qu'ensuite, a conduit plus d'un homme à de grandes souffrances. Il n'en est pas autrement au moral et dans l'application. La perfection chrétienne est un palais splendide à construire (cf. 6, 47 et ss. ; Matth. 7, 24-27 ; Éphésiens 2, 20-22 ; 1 Corinthiens 3, 9 ; 1 Pierre 2, 4-5). Or, dit S. Grégoire de Nysse (in Cat. D. Thom.), « de même qu'il ne suffit pas d'une pierre pour construire une tour, de même il faut plus d'un commandement pour conduire l'âme à la perfection ». Par conséquent, que l'on suppute bien de quoi on est capable, avant de se faire disciple de Jésus. Quelle honte n'y aurait‑il pas ensuite à revenir sur ses pas.
Luc 14.31 Ou quel roi, s'il va faire la guerre à un autre roi, ne s'assied d'abord pour délibérer s'il peut, avec dix mille hommes, faire face à un ennemi qui vient l'attaquer avec vingt mille ? - De plus, ainsi qu'il ressort du second exemple, à côté de la honte on trouverait le danger. La première comparaison avait été prise dans le domaine de la vie privée ; celle‑ci est empruntée à la conduite d'un roi inexpérimenté, qui a follement engagé le bonheur et les intérêts de toute une nation dans une guerre imprudente. Elles se complètent mutuellement, présentant la même vérité sous deux aspects distincts, comme les paraboles du grain de sénevé et du levain (Matth. 13, 31-33), du trésor caché et de la perle (Matth. 13, 44-46), de la pièce neuve servant à rapiéceter des vêtements usés et du vin nouveau mis dans de vieilles outres (Matth. 9, 16 et 17). - Avec dix mille homme… contre… vingt mille. La lutte sera donc dans la proportion de deux contre un, c'est‑à‑dire tout à fait inégale, à moins que le premier roi n'ait des chances exceptionnelles de succès. Ce sont précisément ces chances qu'il devra mûrement examiner avant de se lancer dans une expédition qui pourrait devenir désastreuse. Témoin Crésus, témoin Amasias (2 Rois 14, 8-12), témoin Josias (2 Rois 23, 29 et 30). - Divers exégètes, curieux de tout savoir, d'entrer dans les détails les plus minutieux des paraboles pour en faire l'application mystique (voyez S. Matth.), ont recherché ce que pouvaient bien figurer les nombres 10.000 et 20.000, quel est l'anti-type du second roi, etc. Ils ont trouvé que les 10.000 soldats représentent les dix commandements de la Loi, que le roi auquel la victoire semble d'avance réservée est l’emblème de Dieu (ce qui est étrange puisque alors nous serions supposés marcher au combat contre lui avec quelques chances favorables), ou de Satan (ce qui n'est pas moins étrange puisque Jésus nous recommanderait de capituler avec l'enfer). En face de ces idées singulières ou contradictoires, nous préférons dire avec Corneille de Lapierre (in v. 32) : « C’est le propre de la parabole qu’il n’y ait pas d’équation parfaite entre le signe et la chose signifiée », et, avec Maldonat : « Il ne faut pas chercher curieusement qui est ce roi,….car, comme nous l’avons dit, la guerre…. n’est rien d’autre que d’entreprendre quelque chose d’ardu ».
Luc 14.32 S'il ne le peut, tandis que celui-ci est encore loin, il lui envoie une ambassade pour négocier la paix. - Si le premier belligérant reconnaît qu'il ne peut poursuivre la guerre qu'en s'exposant à une issue fatale, il se hâte, tandis qu'il en est temps encore, c'est‑à‑dire avant que l'ennemi n'ait envahi son territoire, d'envoyer à celui‑ci une ambassade chargée de négocier la paix. - La morale est aisée à tirer. La vie chrétienne est une guerre perpétuelle (cf. Matth. 12, 19 ; 1 Corinthiens 16, 13 ; 1 Thessaloniciens 5, 8 ; Éphésiens 6, 11 et ss.; 2 Timothée 3 et 4 ; 4, 7), et toute guerre suppose des difficultés, des fatigues, des dangers sans nombre. Jésus le rappelle à ceux qui le suivent, pour qu'ils sachent bien ce qui les attend s'ils persistent à devenir ses disciples. Toutefois, il est manifeste qu'il ne faut pas trop prendre ces deux comparaisons à la lettre, car il en résulterait qu'en de nombreuses circonstances on ne devrait pas même essayer de poser le fondement d'une vie chrétienne, de combattre les bons combats du salut ; or, demande judicieusement Maldonat, « Comment le Christ pourrait‑il nous détourner de devenir chrétiens ? ». Ici encore nous sommes donc en face d'expressions paradoxales, dont le but est de relever les difficultés que rencontre nécessairement quiconque veut être un vrai chrétien. C'est une manière énergique de dire : L'entreprise est ardue ; mais faites de généreux efforts, et vous parviendrez à réussir. Autrement, prenez garde à la banqueroute spirituelle, à la totale défaite de votre âme, c'est‑à‑dire à l'apostasie.
Luc 14.33 Ainsi donc, quiconque d'entre vous ne renonce pas à tout ce qu'il possède, ne peut être mon disciple. - Ces paroles nous ramènent aux vv. 26-27 et résument toute la leçon qui précède. Elles redisent en effet d'une manière énergique que le renoncement universel est la condition essentielle pour être vraiment disciple de Jésus. Notez l'emphase des mots tout ce qu'il possède.
Luc 14.34 Le sel est bon, mais si le sel s'affadit, avec quoi lui donnera-t-on de la saveur ? 35 Inutile et pour la terre et pour le fumier, on le jette dehors. Que celui qui a des oreilles entende." - Conclusion de ce petit discours, sous la forme d'une troisième figure, qui paraît avoir été chère à Notre‑Seigneur, puisqu'elle revient jusqu'à trois reprises dans les pages évangéliques (cf. Matth. 5, 13 ; Marc. 9, 50) ; il est vrai qu'à chaque fois il s'agit d'une application nouvelle. En cet endroit, voici quel est l'enchaînement le plus probable : Quiconque ne se sentirait pas à la hauteur de l'abnégation parfaite que je vous prêche, ressemblerait au sel affadi, qui n'est bon qu'à être jeté dans la rue et foulé aux pieds. - Le sel est bon. Mais si le sel perd sa vertu, comment pourra‑t‑on la lui rendre ? Avec quoi l'assaisonnera-t‑on ? Dans l'impossibilité de l'utiliser à quelque chose, parce qu'alors il ne peut servir d'engrais, ni d'une manière directe, ni médiatement, c'est‑à‑dire mêlé au fumier, on le jette dans la rue pour s'en débarrasser. - Que celui qui a des oreilles… Grave réflexion finale prononcée par Jésus en mainte circonstance. Réfléchissez. Décidez‑vous. Voyez si vous consentez à devenir mes disciples.
Luc 15.1 Tous les publicains et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour l'entendre. - Ils s'approchaient de Jésus. Cette forme verbale semble indiquer une habitude, un fait qui se reproduisait fréquemment ; et en réalité, divers passages des saints Évangiles nous montrent Jésus entouré de pécheurs qui lui étaient conduits par une attraction mystérieuse (voyez en particulier Marc. 2, 15 ; Luc. 4, 31 ; 7, 37, etc.). Mais elle désigne en même temps ici une actualité du moment. A l'heure même dont parle S. Luc, des publicains et des pécheurs se pressaient en grand nombre autour de Notre‑Seigneur. Par pécheurs il faut entendre tous ceux qui transgressaient ouvertement la loi juive. Les publicains sont mentionnés à part et en premier lieu, comme les plus criminels d'entre les pécheurs, surtout au point de vue de la théocratie. Un proverbe grec va jusqu'à dire que « le diable, s'il devenait pauvre, se ferait publicain ». - Pour l'entendre. C'était donc un excellent motif qui conduisait à Jésus tous ces malheureux ; et il les recevait avec bonté, il leur parlait du royaume de Dieu, il les convertissait par ses discours célestes.
Luc 15.2 Et les Pharisiens et les scribes murmuraient, disant : "Cet homme accueille des pécheurs et mange avec eux." - Ces prétendus saints, ces orgueilleux « séparés », car telle est la signification du nom de Pharisien, ne pouvaient supporter la conduite du médecin charitable, et ils s'en plaignaient ouvertement, murmurant : cet homme (expression de dédain) accueille les pécheurs et mange avec eux. cf. Romains 16, 2 ; Philippiens 2, 29. Recevoir les pécheurs était déjà une grande faute aux yeux des Pharisiens ; mais, manger avec eux, c'est‑à‑dire, d'après l'idée orientale, s'associer à eux de la manière la plus intime, c'était le comble de l'immoralité. Hommes au cœur desséché, s'écrie S. Grégoire (Hom. 34 in Evang.), qui osaient blâmer la source des miséricordes. Ce que les Pharisiens et les Scribes reprochaient à Jésus fait au contraire sa gloire et nous incite le plus à l'aimer. Jamais il n'était mieux dans son rôle que lorsqu'il accueillait doucement les pécheurs.
Luc 15.3 Sur quoi il leur dit cette parabole : - Jésus daigna répondre à l'odieuse accusation qu'il avait surprise sur les lèvres de ses adversaires, et, pour se justifier de recevoir les pécheurs, il exposa successivement les trois paraboles de la brebis perdue, de la drachme retrouvée, et de l'enfant prodigue, qui cadrent si bien avec le plan du troisième Évangile. - Cette parabole, au singulier, ne retombe peut‑être que sur la première parabole ; mais rien n'empêche que cette expression ne désigne à la fois nos trois récits, qui sont unis entre eux de la façon la plus étroite. C'est vraiment une « trilogie » de paraboles que nous avons dans ce chapitre, comme le montre leur juxtaposition significative. Elles nous enseignent en effet la même vérité, à savoir, la manière dont Dieu va au‑devant des pécheurs, et la bonté avec laquelle il les reçoit quand ils se convertissent. Toutefois, cette vérité unique nous est présentée sous des faces distinctes. Ainsi, tandis que, dans les deux premières similitudes, nous voyons surtout Dieu cherchant les âmes coupables, agissant pour les sauver, la troisième décrit au contraire principalement l'activité personnelle du pécheur, ses efforts pour chercher et pour trouver son Dieu après qu'il s'est séparé de lui. En se combinant, elles forment un tout parfait et harmonieux, puisque le repentir nécessite, selon les données de la théologie (cf. Concile de la ville de Trente, Session 6, chap. 4 et ss., de la Justification), ces deux éléments : la grâce qui prévient au dehors et la correspondance subjective à la grâce. - Autres notions générales qui ne sont pas sans intérêt : 1° Les chiffres cités dans les trois paraboles sont arrangés d'après une gradation descendante : un sur cent, un sur dix, un sur deux ; quoique la gradation soit véritablement ascendante si l'on envisage avant tout l'idée, car la perte d'une brebis sur cent est moindre que la perte d'une drachme sur dix, et ces deux pertes, même réunies, sont loin d'équivaloir à celle d'un fils bien‑aimé. 2° La culpabilité paraît suivre le même mouvement ascensionnel. Il y a le péché d'ignorance, figuré par la brebis insensée qui s'échappe du bercail ; le péché plus considérable dont nous trouvons l'emblème dans la pièce de monnaie, qui représente, au dire des Pères, l'âme humaine marquée à l'effigie divine et sachant qu'elle appartient à Dieu ; le péché tout à fait volontaire du fils prodigue, que rien ne saurait excuser. 3° Comme contraste, nous pouvons observer un mouvement analogue dans la miséricorde du Seigneur, qui se manifeste avec une intensité de plus en plus grande.
Luc 15.4 "Qui d'entre vous, ayant cent brebis, s'il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert, pour aller après celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée ? La parabole de la brebis perdue. S. Matthieu aussi, 18, 12 et ss., a conservé cette histoire d'une brebis mystique perdue et retrouvée ; mais la place qu'il lui assigne, et divers traits secondaires du fond et de la forme, ne coïncidant pas avec le récit de S. Luc, il en résulte que notre parabole fut exposée au moins deux fois par Notre‑Seigneur en des circonstances différentes. Voyez l'explication du premier Évangile, S. Matthieu 18, 12 et ss. - Comme précédemment, 14, 28, Jésus met ses auditeurs en scène, afin de les frapper davantage. - S'il en perd une. La perte n'est en aucune façon imputable au propriétaire, qui n'est autre que le Bon Pasteur par antonomase (« Le Père divin, dont nous ne sommes tous que la centième partie », S. Ambroise) ; mais la brebis s'est égarée par sa propre faute. Pour figurer les coupables égarements des pécheurs, il n'était pas possible de choisir une comparaison plus exacte, car une brebis éloignée du troupeau dont elle fait partie manque tout ensemble et de sagesse pour retrouver sa route, et de force pour se défendre. - Ne laisse les quatre‑vingt dix‑neuf autres… Mais, demande S. Cyrille (in Cat. D. Thom.), est‑ce qu'en voulant être compatissant pour la brebis perdue, le pasteur n'a pas été cruel pour les autres ? Nullement, répond‑il aussitôt, car elles sont en sûreté, protégées par une main toute‑puissante. En effet, rien n'oblige de supposer qu'elles courussent des périls sérieux en son absence. De plus, avant de partir il a pourvu à leur nourriture, puisqu'il les laisse dans le désert, c'est‑à‑dire, d'après le sens habituel de cette expression dans la Bible, au milieu de savanes riches en pâture, et simplement appelées « désert » parce qu'on ne rencontre ni villes ni villages aux alentours. - Pour aller après celle qui est perdue. Il daigne se charger en personne de cette tâche pénible, et il est décidé à chercher la pauvre égarée jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée. Quelle délicatesse dans ces détails, et comme ils conviennent bien à Jésus. Aux pasteurs spirituels du peuple juif, les prophètes adressaient au contraire ce sanglant reproche : « Vous n'êtes pas allés à la recherche des brebis perdues ». Ézéchiel 34, 4.
Luc 15.5 Et quand il l'a retrouvée, il la met avec joie sur ses épaules, - Quand il l'a retrouvée. Dans le premier Évangile, Notre‑Seigneur exprimait cette pensée sous une forme hypothétique : « s'il parvient à la trouver ». - Il la met sur ses épaules. Doux et glorieux trophée de la victoire du Bon Pasteur. Un mercenaire aurait maltraité la brebis coupable, qui lui avait causé tant de fatigues : quelle différence dans la conduite du céleste berger. « Il ne punit pas la brebis, ne la ramena pas à la hâte dans le bercail. C’est en la mettant sur ses épaules et en la portant avec douceur qu’il la réunit au troupeau », S. Grég. de Nysse, Chaîne des Pères Grecs. Tout autre sentiment disparaît devant sa joie et son amour. Quoique si riche en traits inimitables, l'histoire évangélique n'en offrirait pas beaucoup qui fussent plus dignes du Cœur sacré de Jésus. Aussi « n'est‑il pas d'image que la Primitive Église ait chérie autant que celle‑ci, comme le prouve la multitude de gemmes, de sceaux, de fragments de verre, etc., conservés jusqu'à nous, sur lesquels nous trouvons le Christ ainsi représenté. Elle apparaît très fréquemment aussi dans les bas‑reliefs des sarcophages et dans les fresques des catacombes. Quelquefois, d'autres brebis sont aux pieds de Jésus, regardant avec un plaisir manifeste le pasteur et son doux fardeau. Le plus souvent Notre‑Seigneur tient dans sa main droite la flûte de Pan, symbole des attraits du divin amour, tandis que, du bras gauche, il porte sa chère brebis. De temps à autre il est assis, comme s'il était fatigué d'une longue marche. Cette représentation occupe toujours la place d'honneur, le centre de la voûte ou du tombeau », cf. Didron, Iconographie chrétienne, p. 346 ; Northcote et Brownlow, Rome souterraine, trad. De Paul Allard, 2è édit. p. 347 et ss. Voyez aussi l'hymne que notre parabole a inspiré au poète Prudence. - Au moral, selon la délicate réflexion de S. Augustin, « la brebis égarée retourne au bercail, non par ses propres forces, mais sur les épaules du pasteur qui la rapporte. Elle a bien pu s’égarer au gré de ses caprices, mais elle ne pourrait se retrouver elle‑même, elle n’est retrouvée que par la bonté du pasteur qui la recherche ». Enarrat. In Psaume 77, 19. Ou encore, d'après S. Ambroise : « Les bras de la croix du Christ sont ses épaules. C’est là qu’il a déposé mes péchés ; et sur la nuque de ce noble gibet, je me suis reposé. ».
Luc 15.6 et, de retour à la maison, il assemble ses amis et ses voisins et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé ma brebis qui était perdue. - Nouveaux traits destinés à mettre en relief l'amour incomparable du bon Pasteur. Sa joie, comme toutes les grandes joies, demande à être communiquée. A peine rentré chez lui il réunit donc ses amis et ses voisins pour leur faire part de son succès, pour recevoir leurs félicitations. Les mots ma brebis qui était perdue sont pleins d'emphase.
Luc 15.7 Ainsi, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentir. - Par la formule solennelle je vous le dis, Jésus introduit l'application qu'il va faire de sa parabole. - De la terre nous passons au ciel, où nous voyons se reproduire la scène joyeuse décrite au précédent verset. Seulement, c'est la chose signifiée qui nous est désormais présentée à la place du signe. - Pour un seul pécheur qui fait pénitence : telle est l'occasion qui apporte au ciel un surcroît de félicité. L'idée qui suit, … plus que pour quatre vint dix neuf justes..., est plus étonnante encore. Quelques commentateurs, désireux d'en faciliter l'intelligence, ont pris les dernières paroles dans un sens ironique, comme si le Sauveur eût voulu dire qu'une seule vraie conversion suscite dans le ciel plus de joie que la sainteté apparente d'un grand nombre de soi‑disant justes, tels qu'étaient les Pharisiens. Nous préférons, à la suite des Pères et d'après le contexte (v. 4), voir là une de ces locutions orientales que l'on doit bien se garder de trop presser, et qu'il est du reste aisé de justifier par quelques comparaisons. « Un chef préfère dans la bataille le soldat qui, revenu après s’être enfui, charge l’ennemi avec vigueur, à celui qui n’a jamais tourné les talons devant l’ennemi, mais ne l’a jamais non plus vraiment combattu avec courage. Ainsi, le paysan préfère la terre qui, après les épines, porte des fruits abondants, à celle qui n’a jamais eu d’épines, mais ne produit jamais non plus de riche moisson ». S. Grégoire, Hom. 34 in Evang. De même, une mère qui vient de perdre un de ses fils semble oublier tous les autres dans l'excès de sa douleur. cf. S. Bernard, In cantic. Serm. 29.
Luc 15 8 Ou bien quelle est la femme qui, ayant dix drachmes, si elle en perd une, n'allume une lampe, ne balaie sa maison et ne cherche avec soin jusqu'à ce qu'elle l'ait retrouvée ? 9 Et quand elle l'a retrouvée, elle assemble ses amies et ses voisines et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai retrouvé la drachme que j'avais perdue. - S. Ambroise, et divers exégètes après lui, regardent cette femme comme une figure de l'Église : « Qui sont ceux‑ci ? Père, pasteur, femme ? Dieu n’est‑il pas père, le Christ n’est‑il pas pasteur, l’Église n’est‑elle pas épouse ? ». Il nous semble que les trois figures représentent plutôt une seule et même personne, Dieu ou Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. C'était la pensée de S. Grégoire le Grand : « C’est une seule et même personne que symbolisent le pasteur et la femme, car c’est une seule et même personne qui est Dieu et Sagesse de Dieu », Hom. 34 in Evang. - Ayant dix drachmes. La drachme est une monnaie grecque qui correspond au denier romain. Dix drachmes était un avoir bien modeste : un drachme équivalait à 3,5 grammes d'argent. Mais, dans ces conditions, la perte d'une drachme sera d'autant plus considérable, surtout pour une pauvre femme qui l'avait péniblement gagnée. La drachme des Grecs, comme le denier de Rome, avait cours à cette époque dans toute la Palestine, de concert avec les monnaies juives. - N'allume une lampe… Petite description vivante, pittoresque, montrant fort bien qu'il s'agit d'une somme relativement importante, puisqu'on se donne tant de peine pour la retrouver. La drachme, en effet, symbolise l'âme des pécheurs. « Nous sommes les drachmes de Dieu », S. Cyrille. cf. S. August. Enarr. in Ps 138. Le récit nous a conduits dans une de ces maisons pauvres de l'Orient, qui ne reçoivent, même en plein jour, qu'un peu de lumière par la porte. En outre, l'objet à retrouver est petit : on allume donc la lampe pour rendre les recherches plus faciles. - Balaie sa maison. Seconde opération, non moins naturelle que la première, et usitée en tous lieux dans le même but. - Cherche avec soin… Trait d'ensemble, qui porte l'idée principale. cf. v. 4. - S. Bernard fait une belle application morale de ces divers détails : « L’âme serait encore à terre, difforme et fétide (l’âme humaine, marquée au coin de Dieu, mais défigurée par le péché) si cette femme évangélique n’avait pas allumé la lampe, c’est‑à‑dire, si la sagesse n’était pas apparue dans la chair, n’avait pas mis la maison sens dessus dessous (n’avait par combattu les vices), n’avait pas cherché la drachme qu’elle avait perdue. C’est donc son image, qui avait perdu sa beauté native, et qui, rendue méprisable sous la peau du péché, était comme cachée dans la poussière. Cette image, elle l’essuiera après l’avoir retrouvée, elle l’éloignera de la région de la dissimilitude, lui fera recouvrer sa beauté première, et la rendra semblable aux saints glorieux. En un mot, elle la rendra en tout conforme à elle‑même », De gratia et libr. Arbitr., 10. - Elle assemble ses amies…. Scène de joie et de congratulation comme au v. 6. La nuance de langage la drachme que j'avais perdue est parfaitement appropriée à la circonstance : la drachme n'appartenait pas à la femme au même titre que la brebis au pasteur, et l'on ne perd pas une pièce de bétail à la façon d'une pièce d'argent.
Luc 15.10 Ainsi, je vous le dis, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent." - Jésus renouvelle en l'abrégeant son assertion solennelle du v. 7. Notez aussi les deux variantes qu'il y introduit. 1° Il ne parle plus au futur, mais au présent. 2° Il ne mentionne pas le ciel en termes abstraits, mais il nous montre les anges chantant de joyeux chant d'actions de grâces pour la conversion des pécheurs. En effet, dit S. Bernard, « larmes de pénitence, vin des anges ». cf. Bossuet, Sermon pour le troisième Dim. Après la Pentecôte, Migne, t. 2, p. 135 et ss. - Adressons souvent à Jésus cette humble prière de S. Augustin : « Je suis la pièce d’argent de Dieu ; je me suis éloigné du trésor. Prends pitié de moi ! ». Et alors nous aurons quelque espoir de voir se réaliser en nous les vers de Prudence : « La drachme perdue est cachée dans le trésor royal ; la perle purifiée de la boue dépasse les étoiles en éclat lumineux. ».
Luc 15.11 Il dit encore : "Un homme avait deux fils. La Parabole du Fils Prodigue Luc 15, 11-32 Parmi les paraboles évangéliques, il n'en est pas qui ait été plus admirée que celle‑ci. Les rationalistes eux‑mêmes ne peuvent contenir leur admiration en face de ce drame parfait, où l'humain et le divin s'associent d'une manière vraiment inimitable. S'il est permis de comparer entre elles les choses divines, cette parabole mérite d'être appelée la perle et la couronne de toutes les paraboles de l'Écriture. Très bien commentée dans l'antiquité par S. Jean Chrysostome (Homil. De patre ac duobus filiis) et par S. Jérôme (lettre Ad Damas. de filio prodigo). - Il dit encore : Petite formule de transition pour amener la principale des trois paraboles. - Le récit nous introduit immédiatement au sein d'une riche famille, composée d'un père et de ses deux fils déjà grands. Le père n'est autre que Dieu ; cela ressort évidemment du contexte. Mais il règne quelque incertitude parmi les commentateurs relativement aux personnages dont les deux fils sont la figure annonciatrice. « Il y en a qui prétendent que le plus âgé de ces deux fils représente les anges. Le jeune homme, pour eux, est l’homme qui s’est éloigné en parcourant un long chemin quand, du ciel et du paradis, il tomba sur la terre. Ce sens provient de pieux sentiments ; je doute cependant qu’il soit vrai », S. Jean Chrysostome, l. c. Nous verrons en effet que le fils aîné n'a rien de bien angélique. Les Pères et les exégètes du moyen-âge ont vu assez fréquemment dans les deux frères l'image des Païens et des Juifs : des Païens, d'abord séparés du vrai Dieu et livrés à tous les égarements de leurs passions, mais plus tard généreusement convertis à la foi et à la vie chrétienne ; des Juifs orgueilleux, qui auraient voulu jouir seuls des privilèges du royaume messianique, et qui préférèrent n'y avoir aucune part plutôt que de voir les païens en bénéficier aussi. Il est certain que les détails de la parabole cadrent en général assez bien avec cette interprétation. Néanmoins, les meilleurs commentateurs des temps modernes sont d'accord pour reconnaître qu'elle ne doit venir qu'en seconde ligne, et que, directement, l'enfant prodigue représente les publicains et les pécheurs, tandis que son frère figure les Pharisiens et les Scribes. L'introduction historique des vv. 1-3 et l'analogie des deux autres paraboles indiquent en effet que la pensée première de Jésus, lorsqu'il retraçait ce drame, était d'opposer la conduite de ses orgueilleux adversaires à celle des pécheurs convertis qui se pressaient autour de sa personne sacrée. Voyez les commentaires de Corneille de Lapierre, de Maldonat, de Fr. Luc, de Mgr. Mac Evilly, de MM. Bisping, Crombez, Dehaut, etc. Du reste, telle était déjà l'opinion de Tertullien, de S. Cyrille, de Théophylacte, etc.
Luc 15.12 Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part du bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. - Le plus jeune… On ne doit pas trop presser cette circonstance, car rien ne montre qu'il y ait eu une notable différence d'âge entre les deux frères. - Mon père : appellation de tendresse qui laisse à la demande du jeune fils tout son caractère odieux, dénaturé. Ce n'est d'ailleurs qu'un simple palliatif. - Donne‑moi… L'ingrat expose sa requête sous une forme quasi légale ; le langage qu'il emploie est aussi technique que celui d'un juriste. Il semble réclamer comme un droit, non comme une faveur, ce partage prématuré. Le ton, non moins que la chose même, fait pressentir jusqu'à quel point son cœur a perdu tout sentiment filial. La part dont il demandait le paiement immédiat était probablement la part d'héritage qui devait lui revenir après la mort de son père. D'après la loi juive (Deutéronome 21, 17, elle ne consistait, pour les cadets, qu'en la moitié de celle de l'aîné. - Tel est le premier pas du prodigue vers le mal : il veut être libre, il veut jouir. Mais, d'après les principes de ce monde, il n'y a ni liberté ni plaisirs sans argent. C'est pour cela que le jeune fils désire être mis au plus tôt en possession de sa fortune. Image des pécheurs, dont la vie criminelle commence d'ordinaire par un amour immodéré de l'indépendance, de la jouissance : ils trouvent le joug divin trop lourd, et ils le rejettent impatiemment de leurs épaules. - Le père leur partagea son bien... Quoique rien ne l'y forçât, le père accède à la demande de son fils. Essayer de le retenir malgré lui au sein de la famille dans son état d'âme actuel eût été peine perdue, ou même un mal pire que ceux qu'on pouvait redouter. C'est ainsi que Dieu nous laisse libres de l'abandonner, d'abuser de ses dons pour l'offenser, permettant que nous découvrions, après une triste expérience, combien son service est doux quand on le compare à la tyrannie du monde et des passions. - D'après le contexte, v. 29, le père, après avoir divisé ses biens entre ses deux fils, mit seulement le cadet en possession de la part qui lui revenait, et garda celle de l'aîné en qualité d'administrateur.
Luc 15.13 Peu de jours après, le plus jeune fils ayant rassemblé tout ce qu'il avait, partit pour un pays lointain et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche. - Maintenant que le jeune fils est en quelque sorte émancipé, quel usage fera‑t‑il de sa liberté ? On ne le prévoit que trop. Le v. 12 a raconté le début de sa ruine morale : celui‑ci en expose les développements aussi rapides que terribles. L'apostasie de la vie suit bientôt l'apostasie du cœur. cf. S. Bernard, De divers. Serm. 8. - Chaque détail porte dans cette tragédie lamentable : Le prodigue convertit toute sa fortune en espèces pour l'emporter et en jouir plus commodément ; cela fait, il partit pour un pays étranger. Pouvait‑on désigner plus fortement la manière dont le pécheur s'éloigne de Dieu, la distance énorme qu'il met par sa vie coupable entre lui et son souverain Maître ? C'est d'abord une expatriation, et la terre d'exil est aussi lointaine que possible. « Car le pécheur fuit Dieu, pour demeurer loin de lui », S. Jean Chrysost. « Dans la région éloignée qui est l’oubli de Dieu », S. Augustin (Cat. D. Thom.). « Qui peut s’éloigner plus loin que de soi‑même ? Ce ne sont pas les distances qui le séparent (de lui‑même), mais les mœurs », S. Ambroise, h.l. - Il y dissipa son bien. Le mal va si vite. Notre prodigue est à peine arrivé sur la terre étrangère, que nous l'y voyons lancé en plein dans cette vie de folles débauches qui détruit une fortune aussi rapidement qu'une âme. - En vivant dans la débauche. Quelle réserve délicate dans cette description. Dans le texte grec, le verbe désigne la conduite d'un homme qui ne s'impose aucune retenue, dont la vie est un mélange d'intempérance et de prodigalité, en un mot d'un débauché. Le mot débauche est employé deux fois par S. Paul, Éphésiens 15, 18 ; Tite 1, 6, et une fois par S. Pierre, 1 Pierre 4, 4.
Luc 15.14 Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays et il commença à sentir le besoin. - Ici commence un second tableau, celui de la misère du prodigue, fruit de ses honteuses dissipations, vv. 14-16. - Lorsqu’il eut tout dépensé : par opposition à convertit toute sa fortune du v. 13. Si du moins il n'eût sacrifié que ses biens matériels. - Une grande famine survint… c'est par une permission spéciale de la Providence que la famine éclata juste au moment où le prodigue se trouvait dénué de ressources. Celui qui ne s'était refusé aucune jouissance sentit bientôt l'aiguillon de la faim : il commença à sentir le besoin. Quel contraste avec sa vie précédente : Mais cela est vrai surtout au moral. Il est une foule de prodigues qui, tout en étant demeurés à la tête d'une fortune florissante, au faîte des honneurs, souffrent réellement de la faim, de la soif, comme l'avait prédit le prophète Amos, 8, 11. « En effet, celui qui s’éloigne du Verbe de Dieu a faim, celui qui s’éloigne de la fontaine a soif ; celui qui s’éloigne du trésor est dans la misère ; celui qui s’éloigne de la sagesse devient fou », S. Ambroise.
Luc 15.15 S'en allant donc, il se mit au service d'un habitant de ce pays, qui l'envoya à sa maison des champs pour garder les porcs.- Si du moins il quittait le pays de sa ruine pour se diriger immédiatement vers la maison paternelle. Mais non ; il faut que de nouvelles souffrances, de plus profondes humiliations, viennent briser l'orgueil de son cœur. - Il se mit au service… mot très fort, qui suppose d'une part de vives instances pour obtenir un emploi, de l'autre la plus complète dépendance. Où est ce fier jeune homme qui tenait tant à sa liberté ? Au moral, « Il se soumet totalement au démon celui qui devient vraiment citoyen de la région du péché », Cajetan. cf. S. Bernard, De divers. Serm. 8. - Qui l'envoya… L'auditoire dut frémir en entendant ce détail. Un Juif préposé à la garde de l'animal réputé le plus impur au point de vue légal, quelle dégradation. Les puritains d'Israël craignaient de se souiller en prononçant le nom du porc, qu'ils remplaçaient par une périphrase (« l'autre chose »), et nous savons par Hérodote, 2, 47, que les seules personnes exclues des temples égyptiens étaient les gardiens de pourceaux. - Les moralistes voient justement dans ce détail une figure du péché poussée jusqu'à ses limites les plus honteuses.
Luc 15.16 Il eût bien voulu se rassasier des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait. - Il désirait se rassasier… « Ceux qui sont affamés ont l’habitude de remplir leur ventre avec tout ce qui leur tombe sous la main. Ils ne font aucune distinction entre les différentes nourritures, pourvu qu’ils assouvissent leur faim de loup. », Maldonat, h.l. Et puis, ce qui est une nourriture suffisante pour des animaux ne l'est pas toujours pour l'homme, et tel était précisément le cas. « La nourriture qui ne restaure pas le corps, mais le surcharge », S. Ambroise. Enfin, c'est une vérité morale souvent relevée à cette occasion par les Pères, que les plaisirs sensuels ne parviennent jamais à rassasier le cœur humain. « Il ne peut pas se rassasier, car la volupté a toujours faim d’elle‑même », S. Jérôme, l.c. Le poète païen l'a dit aussi : « Courir après les bonnes choses et ne jamais se satisfaire », Lucrèce. - Des gousses. Les gousses en question sont, selon toute vraisemblance, celles du caroubier, arbre de la famille des légumineuses, qui croît abondamment dans toute la Syrie, en Égypte, et même en Italie et en Espagne. Leur longueur habituelle est d'environ un demi pied, leur largeur de 6 à 8 centimètres. Elles contiennent une pulpe blanchâtre au goût fade, quoique légèrement sucré. Au temps de Jésus, les Orientaux les servaient en pâture au bétail : les plus pauvres seulement essayaient quelquefois de s'en nourrir. Leur nom sémitique est caroubes. On les a aussi appelées « figues d'Égypte », ou bien « pain de S. Jean », parce qu'on croyait que le Précurseur s'en était nourri dans le désert. - Personne ne lui en donnait (l'imparfait exprime la continuité : on ne lui en donnait jamais). Quelques auteurs sous‑entendent : autre chose, ou une chose meilleur (Alford, Stier, etc.) ; mais le contexte s'oppose à toute addition de ce genre. Personne donc n'offrait au prodigue de ces misérables fruits. On a donné différentes explications de ce fait. Voyez Maldonat, Corneille de Lapierre, etc., h. l. La plus naturelle et la plus simple consiste à supposer que d'autres serviteurs étaient chargés de distribuer les caroubes aux pourceaux, et qu'aucun d'eux ne s'inquiétait du malheureux gardien. Cela montre à quelle détresse ce dernier était réduit. Mais avait‑il le droit de se plaindre ? « C’est en toute justice qu’il ne reçoit pas la nourriture des porcs qu’il convoite celui qui a préféré paître des porcs plutôt que de manger à satiété les mets paternels. », S. Bernard, De Convers. 8.
Luc 15.17 Alors, rentrant en lui-même, il dit : Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance et moi, je meurs ici de faim. - Nous passons au second acte de l'histoire du prodigue, vv. 17-24. On y voit également deux tableaux : 1° la pénitence, vv. 17-20a, 2° le pardon, vv. 20b-24. Nous avons suivi pas à pas le malheureux égaré sur une voie qui l'écartait de plus en plus de son Dieu. Maintenant nous sommes arrivés à la crise, au changement soudain de cette tragédie d'une âme, et une tâche plus agréable nous reste, celle de retracer les divers degrés de son retour. - Rentrant en lui‑même. Heureuse expression, souvent employée dans le même sens par les classiques grecs et latins. « C’est bien pour lui d’être revenu à lui‑même après s’être éloigné de lui‑même. En effet, celui qui revient à Dieu retourne à lui‑même ; et celui qui s’éloigne du Christ, se renie lui‑même », S. Ambroise. A l'école sévère de la miséricorde divine, comme s'exprime S. Augustin, il a fini par s'instruire et comprendre. Son monologue est beau et digne d'un vrai pénitent. Il s'ouvre par un contraste saisissant : Combien d'employés dans la maison de mon père ont du pain en abondance (ils ont tout à satiété dans cette maison bénie que j'ai quittée pour mon malheur) : moi, le fils bien‑aimé, hélas. fils rebelle, apostat, dans cette contrée affreuse, je meurs de faim.
Luc 15 18 Je me lèverai et j'irai à mon père et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, 19 je ne mérite plus d'être appelé ton fils : traite-moi comme l'un de tes ouvriers. - Conclusion toute naturelle après de telles prémisses. Il dit « « Je me lèverai, » car il était étendu dans un état de prostration; « et j'irai, » Il était en effet bien éloigné; « à mon père, » il était devenu le serviteur de celui à qui appartenaient les pourceaux. S. Augustin, De quaest. Evang. 33. Puis arrivé auprès de son père, dont il se rappelle avec confiance toute l'ancienne tendresse, que fera‑t‑il ? Une humble et sincère confessions : j'ai péché contre le ciel (le ciel personnifié, en tant que résidence de Dieu) et contre toi. Cri d'un cœur coupable, allant droit au cœur miséricordieux du divin offensé ; mais encore faut‑il que ce cri soit poussé : « Sois ton propre accusateur, et lui sera ton défenseur », S. Augustin. « Autant la confession des péchés les allège, autant leur dissimulation les alourdit. C’est le désir de satisfaire pour le péché qui conseille la confession ; l’endurcissement dans le péché conseille la dissimulation. Moins tu t’épargnes toi‑même, crois‑le, plus Dieu t’épargne », Tertullien, de Poenit. 9, 10. cf. S. Ambroise, h. l. - Je ne mérite plus d'être appelé ton fils… « Il n'ose pas aspirer à l'affection du fils, qui ne doute pas que tout ce qui est à son père ne soit à lui ; mais il demande la condition du domestique, prêt à servir désormais pour un salaire, et encore déclare‑t‑il ne pouvoir mériter ce sort que par l'indulgence paternelle. » Bède le Vénérable. - Traite‑moi comme… Ce comme est plein de délicatesse. Malgré tout, le prodigue est le fils de la maison ; il ne saurait donc devenir un serviteur pur et simple chez son père. Du moins désire‑t‑il être traité comme tel.
Luc 15. 20 Et il se leva et il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et, tout ému, il accourut, se jeta à son cou et le couvrit de baisers. - Il exécute sans tarder sa noble résolution, montrant par là combien sa pénitence était sincère. Il en est tant qui éprouvent des velléités de conversion et qui ne se convertissent jamais. Rentrer en soi‑même n'est pas toujours revenir à Dieu. Aussi, dit S. Grégoire de Nysse (in Cat. D. Thom.), est‑ce là un bel exemple que l'Esprit Saint nous a tracé, afin que nous apprenions comment nous devons déplorer les égarements de notre cœur. - Scène touchante au‑delà de toute expression, vérifiant à la lettre plusieurs descriptions antiques de la miséricorde divine. cf. Psaume 102, 8-12 ; Isaïe 49, 15. - Comme il était encore loin. D'après un proverbe oriental, pour un centimètre de distance qu'un homme franchit afin de s'approcher de Dieu, Dieu en franchit un mètre à sa rencontre. Le prodigue est encore bien loin que déjà son père l'a reconnu : car il l'attendait, et, comme la mère de Tobie, il épiait constamment le retour de son fils. - Tout ému. Littéralement, ses entrailles s'émurent : mot par lequel les évangélistes expriment si souvent la tendre pitié de Jésus. - Il accourut… les peintres qui ont essayé de représenter l'histoire de l'enfant prodigue se sont inspirés pour la plupart de ce moment délicieux (Salvator Rosa, le Guerchin, Murillo, Spada). Le tableau de Spada contient seulement deux figures à mi‑corps ; mais « il serait impossible de rendre avec plus de bonheur cette tendre commisération d'un père oubliant les torts de son fils… La tête du vieillard est admirable. La compassion et l'amour le disputent à l'attendrissement, tandis que le repentir et l'espoir animent les traits du fils, dont la bouche semble prononcer les mots si touchants : Mon père, j'ai péché ». Musée chrétien, p. 140 bis. - le couvrit de baisers, cf. Matth. 26, 48 et le commentaire.
Luc 15.21 Son fils lui dit : Mon père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, je ne mérite plus d'être appelé ton fils. - Malgré ces marques évidentes de réconciliation et de pardon, le prodigue n'oublie pas la confession de ses fautes. Son père a tiré le voile sur son triste passé, et l'a reçu comme le fils le plus aimant ; néanmoins, il le sent, c'est un devoir pour lui de s'accuser, de s'humilier. Toutefois il est remarquable qu'il ne prononce pas en entier les phrases qui lui était venues à la pensée dès les premiers instants de sa conversion (vv. 18 et 19). Il omet de dire les mots traite‑moi comme l'un de…, qui seraient désormais déplacés après l'accueil si affectueux qu'il a reçu. « Pourquoi demanderait‑il à son père d’être traité comme un employé celui qui se voit reçu comme un fils ? », Maldonat. « Celui qui a désiré être employé quand il n’avait pas de pain, se juge encore indigne de l’être après le baiser du père », S. Augustin Quaest. Evang. 2, 33. Les baisers paternels arrêtèrent donc cette parole sur ses lèvres.
Luc 15.22 Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez la plus belle robe et habillez-le, mettez-lui un anneau au doigt et des sandales aux pieds. - Le père, dans cette scène entière, demeure tout‑à‑fait muet à l'égard de son fils. Quand l'émotion lui permet de parler, ce n'est pas à lui qu'il s'adresse pour le rassurer, mais à ses serviteurs pour leur donner des ordres. Toutefois, que cela est naturel, et comme ces ordres sont expressifs. Ils impliquent la réhabilitation la plus complète du coupable, le pardon le plus absolu. - Apportez la plus belle robe. Il faut entendre vraisemblablement la robe la plus belle et la plus précieuse qui fût dans le vestiaire paternel. Les haillons du prodigue vont faire place à ce noble vêtement des fils de famille. cf. Marc. 12, 38 ; 16, 5. Au sens moral, cette robe figure le « vêtement de l'Esprit Saint » (Tertullien), le recouvrement de la dignité que le péché nous avait enlevée (S. Augustin). - Mettez un anneau à sa main. Dans l'antiquité, l'anneau, et spécialement l'anneau à gemme servant de sceau, comme le portaient les hommes, était un signe de distinction, d'autorité. cf. Genèse 41, 42 ; Jacques 2, 2. Voilà pourquoi on le passe au doigt du prodigue. Quant aux sandales, elles étaient regardées comme une marque de liberté, car les esclaves allaient toujours nu‑pieds. Elles représentent ici le zèle avec lequel le nouveau converti marchera désormais dans la voie des divins préceptes (cf. Éphésiens 6, 15), de même que l'anneau symbolisait son union éternelle avec le Seigneur (Osée 2, 19 et 20).
Luc 15 23 Amenez aussi le veau gras et tuez-le, faisons un festin de réjouissance : 24 car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. Et ils se mirent à faire la fête. - L'heureux père veut en outre fêter le retour de son fils par un joyeux banquet, en vue duquel il commande à ses serviteurs de tuer sur le champ le veau le plus gras de l'étable, mis en réserve et délicatement nourri, selon l'usage oriental, pour célébrer le premier événement prospère qui surviendrait dans la famille. - Les Pères ont volontiers envisagé ce veau gras comme l'emblème de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, « dont nous mangeons chaque jour la chair et buvons le sang » (S. Jérôme). Toutefois, nous dirons avec Maldonat, que cette interprétation, quelque ingénieuse qu'elle paraisse, n'est pas littérale, mais simplement mystique. Voyez dans S. Irénée, 3, 11, un autre rapprochement plein d'intérêt. - faisons un festin de réjouissance. Les propriétaires de la brebis égarée, de la drachme perdue, avaient désiré que leurs voisins et amis prissent part à leur joie ; le père de famille invite de même ses serviteurs à partager la sienne. Car Dieu a ses jours de fête, dit admirablement Origène (Hom. 23 in Levit.) ; « Dieu a ses propres jours de fête. C’est une grande festivité pour lui que le salut de l’humanité. ». Et quel motif, s'écrie ce bon père, n'avons‑nous pas de nous livrer à l'allégresse. Mon fils était mort, et il est revenu à la vie. C'était bien en réalité une résurrection inespérée. Le second contraste, il était perdu et il est retrouvé, répète la même idée pour la renforcer. - Ils se mirent à faire la fête. Le fils rentré en grâce, assis à la place d'honneur, se souvint peut‑être alors du « il commença à être dans le besoin » (v. 14) qui avait occasionné sa conversion.
Luc 15.25 Or, le fils aîné était dans les champs, comme il revenait et approchait de la maison, il entendit de la musique et des danses. - Le fils aîné, que nous avions complètement perdu de vue depuis le début de la parabole, nous est à son tour présenté dans un long épilogue (vv. 25-32). Sa conduite fera surgir une autre leçon. - Il était dans les champs. Telle était son occupation habituelle. Tandis que le prodigue se livrait aux plaisirs, lui il avait fait valoir péniblement les champs paternels. Pourquoi n'avait‑il pas été immédiatement averti du retour de son frère ? Comment avait‑on commencé le repas sans l'attendre ? Peut‑être voulait‑on lui ménager une agréable surprise ; ou bien, il se trouvait dans quelque lointain domaine, et le bonheur du père était trop vif pour souffrir un retard dans sa manifestation. - Il entendit de la musique. C'est par là seulement qu'il sut, en approchant de la maison, qu'il était survenu une cause de joie inopinée. Sur ce double accompagnement obligatoire des festins chez les orientaux et en général dans l'antiquité, voyez Isaïe 5, 12 ; Amos 6, 5 ; Matth. 14, 6 ; Sueton. Caligula, 37 ; Horace, Ars poet. 374. Ce n'étaient pas les convives eux‑mêmes qui chantaient et dansaient, mais des musiciens et des danseuses à gage, retenus pour la circonstance.
Luc 15 26 Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c'était. 27 Le serviteur lui dit : Votre frère est arrivé et votre père a tué le veau gras, parce qu'il l'a retrouvé sain et sauf. - Au lieu d'entrer, et de voir par lui‑même quelle était la cause de ces réjouissances inattendues, le fils aîné, montrant ainsi tout qu'il y avait de maussade, de raide dans son caractère, prend des informations auprès d'un serviteur. La réponse de celui‑ci est empreinte d'une grande délicatesse, d'une discrétion toute respectueuse. Le père avait bien pu (v. 24) apprécier le caractère moral du retour de son fils, mais ce langage n'aurait pu convenir dans la bouche d'un serviteur ; aussi Jésus lui fait‑il dire simplement : parce qu'il l'a retrouvé sain et sauf. Chaque détail est vraiment d'une exquise perfection.
Luc 15.28 Mais il se mit en colère et ne voulut pas entrer. Le père sortit donc et se mit à le prier. - Un autre se serait précipité dans les bras de ce frère que l'on croyait à jamais perdu. Pour lui, il s'irrite violemment et demeure à la porte (l'imparfait indique la continuité de son refus), afin de marquer par là combien il réprouvait une pareille fête. - Son père… se mit à le prier. Quel bon père. Avec quelle miséricorde il supporte les divers défauts de ses enfants : Il va au‑devant de l'aîné comme il est allée au‑devant du prodigue, et il le conjure instamment d'entrer.
Luc 15.29 Il répondit à son père : Voilà tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres et jamais tu ne m'as donné, à moi, un chevreau pour festoyer avec mes amis. - Cette démarche pleine de condescendance n'attira au père que d'insolents et d'amers reproches. - Voilà tant d'années : ne dirait‑on pas que ce fils orgueilleux avait sacrifié des vies entières ? - Je te sers : dans le texte grec, il manifeste avec plus de force son manque complet de sentiments généreux ; il a servi à la façon d'un esclave, non pas avec l'amour d'un fils. Il ajoute, comme ces Pharisiens orgueilleux dont il est le type achevé : Je n'ai jamais transgressé tes ordres (cf. 18, 11, 12). Qu'ai‑je reçu, ose‑t‑il dire encore, en échange de ma fidélité, de mes fatigues ? Pas même un chevreau pour le manger en compagnie de mes amis. Le bonheur d'avoir joui constamment de la présence de son père ne compte pour rien à ses yeux.
Luc 15.30 Et quand cet autre fils, qui a dévoré ton bien avec des prostituées, arrive, tu tues pour lui le veau gras. - Son langage atteint ici le comble de l'indignité. A sa propre conduite il oppose dans les termes les plus cruels la conduite du prodigue ; il établit de même un odieux parallèle entre ce que le père a fait pour deux fils si dissemblables. Sa conclusion tacite est qu'il a subi un traitement inique. - Cet autre fils. Il ne dit pas mon frère, mais il emploie une formule qui n'était pas moins outrageante pour le père que pour le prodigue. - Qui a dévoré ton bien avec des prostituées. Le fait n'était que trop réel sans doute. Toutefois appartenait‑il à un fils, à un frère, de le relever ainsi ? Avec quelle délicatesse le divin narrateur l'avait mentionné plus haut (v. 13). - Tu as tué pour lui le veau gras, par opposition à jamais tu ne m'as donné un chevreau.
Luc 15.31 Le père lui dit : Toi, mon fils, tu es toujours avec moi et tout ce que j'ai est à toi. 32 Mais il fallait bien faire un festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà était mort et qu'il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé." - C'est avec la plus grande douceur que le père daigne répondre à ce fils impudent. Il eût été en droit de châtier par un blâme sévère les observations irrespectueuses qui venaient de lui être adressées ; mais il aime mieux faire entendre la voix de la bonté. Ses paroles sont néanmoins graves, sérieuses, et même menaçantes si l'on en pèse bien toute la portée. Elles réfutent pas à pas les plaintes du fils aîné, de sorte que le v. 31 correspond au v. 29, le v. 32 au v. 30. - Mon fils : appellation pleine de tendresse. Pourtant, son fils ne lui avait pas même donné le titre affectueux de « père ». - Tu es toujours avec moi… Quelle force dans chacun de ces mots. Toi, mon aîné, ma principale espérance. Ne m'ayant jamais quitté, ta vie, que tu appelles si méchamment un esclavage, n'a‑t‑elle pas été, si tu m'aimes, une fête perpétuelle ? Je ne t'ai jamais rien donné. Mais, tout ce que j'ai est à toi, et tu jouis de mes biens comme moi‑même. Qu'as‑tu donc à envier ? Serais‑tu jaloux de ce festin, de ce veau gras ? Mais ton esprit, à défaut de ton cœur, ne te dit‑il pas que nous devrions tous nous livrer à la joie en cette heureuse circonstance ? Et le bon père répète sa double phrase du v. 24 ; mais il a soin de substituer ton frère à « mon fils », pour mieux protester contre le « cet autre fils » qu'on lui avait précédemment (v. 30) jeté à la face d'une manière si cruelle. - Là‑dessus, la parabole se termine brusquement, sans nous dire quelle fut l'impression produite par ces justes remontrances. Hélas : ce silence est de triste présage pour les Pharisiens et pour les Juifs, figurés par l'aîné des deux frères. Du moins ils ne sont pas formellement exclus de la maison paternelle. Disons‑leur avec S. Anselme, nous qui sommes comme les fils prodigues venus du paganisme : « Bouge donc, maintenant… Ne demeure pas à l’extérieur. Ne sois pas jaloux du vêtement, des sandales et de l’anneau, symbole de la foi, celle que le Père a donnée à moi son fils pénitent. Mais viens à l’intérieur, et participe à la joie, et prends part au banquet. Si tu ne le fais pas, j’attendrai…jusqu’à ce que le Père sorte de la maison pour te prier d’entrer. Et entre‑temps, je dirai à la gloire du même Père : l’anneau est à moi, l’anneau est à moi ! ».
Luc 16.1 Jésus disait aussi à ses disciples : "Un homme riche avait un économe qu'on accusa devant lui de dissiper ses biens. - Jésus disait aussi à ses disciples. Après une pause de quelques instants, Jésus prit de nouveau la parole ; toutefois, comme l'indique cette formule de transition, c'est aux disciples et non aux Pharisiens qu'il s'adresse désormais directement (vv. 1-13). Par le mot « disciples »il ne faut entendre ni les douze Apôtres d'une manière exclusive, ni les seuls publicains signalés plus haut (14, 1), mais tous ceux des auditeurs qui croyaient en Jésus. - Un homme riche… Ce riche propriétaire est la figure du Seigneur, auquel tout appartient dans le ciel et sur la terre. Les commentateurs qui lui font représenter Mammon (Meyer, J.P. Lange, Schenkel), Satan (Olshausen), le monde personnifié (Schegg), l'empereur romain (!), ou qui laissent à dessein sa nature dans le vague (de Wette, Crombez) nous semblent s'écarter de la véritable interprétation. - Avait un économe. Selon S. Jérôme, ad Algas, quaest. 6, cet économe ne serait pas un fermier, mais un homme d'affaires, un administrateur général des biens, muni de très amples pouvoirs, à la façon d'Eliézer chez Abraham. Cet intendant symbolise tous les hommes, en tant qu'ils devront un jour rendre à Dieu un compte sévère des talents multiples qui leur auront été confiés. Comment divers exégètes ont‑ils pu voir en lui le type de Judas Iscariote, de Ponce‑Pilate, des Pharisiens, des publicains ? - Qu’on accusa… Le verbe grec employé dans le texte primitif signifie souvent « calomnier » ; mais on admet communément qu'il équivaut ici à « accuser » : il ressort en effet du contexte que l'accusation n'était que trop fondée. Néanmoins, ce mot (littéralement « je jette de travers ») désigne en outre une dénonciation secrète, faite par un motif de malignité, d'envie. Cette expression n'apparaît pas ailleurs dans le Nouveau Testament. - De dissiper ses biens, ce sont des malversations actuelles qu'on lui reproche. Nous avons rencontré le même mot dans la parabole du fils prodigue, 12, 13.
Luc 16.2 Il l'appela et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ta gestion : car désormais tu ne pourras plus gérer mes biens. - Cette histoire familière, dont le monde offre des exemples quotidiens, continue sa marche naturelle. Le maître fait venir aussitôt l'accusé. - Qu'est‑ce que j'entends dire de toi ? « D'une voix indignée, d'un ton de reproche », Kuinoel. C'est aussi une parole d'étonnement : Est‑il possible que j'apprenne sur vous de pareilles choses ? « De toi, que j'avais chargé de gérer mes biens. ». Wetstein. - Rends compte de ta gestion. Avant de congédier son régisseur infidèle, car c'est un congé définitif et en règle qu'il lui donne par les mots suivants, car tu ne pourras plus désormais gérer…, le propriétaire exige de lui, selon l'usage en pareil cas, des comptes rigoureux, emblème de ceux que nous aurons à rendre au souverain Juge après notre mort. Ses paroles ne contiennent donc pas une simple menace hypothétique, car il est complètement sûr du fait.
Luc 16 3 Alors l'économe dit en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître me retire la gestion de ses biens ? Travailler la terre, je n'en ai pas la force et j'ai honte de mendier. 4 Je sais ce que je ferai, afin que, lorsqu'on m'aura ôté mon emploi, il y ait des gens qui me reçoivent dans leurs maisons. - Le petit monologue de l'économe est admirable de pittoresque et de vérité psychologique. Il ne cherche pas à se justifier : par quelles excuses pourrait‑il pallier ses dilapidations ? Mais, sûr de perdre sa place, il se demande quels pourront être désormais ses moyens d'existence. - Que ferai‑je ? Exorde du conseil qu'il tient avec lui‑même. C'est que la misère est son unique perspective ; en effet, il ne s'est pas enrichi aux dépens de son maître, mais il a dépensé au jour le jour, en débauches sans doute, le fruit de ses vols domestiques. - Avec quelle habileté il pèse les différents partis entre lesquels il peut choisir. Tout bien considéré, il n'a que cette alternative : Travailler la terre (bêcher, piocher), ou mendier. Travailler la terre, il en est incapable. « Que veux‑tu donc que je fasse ? Des œuvres champêtres ? Ce sont là des choses charmantes que la fortune ne m’a pas apprises », Quintilien, Decl. 9. Mendier, il ne saurait s'y résoudre. Plutôt mourir que d'en venir à cette honte. cf. Ecclésiastique 40, 28-30. - Alors il réfléchit quelques instants. Son embarras n'est pas de longue durée, car voici qu'il s'écrie tout à coup : Je sais ce que je ferai. Il a conçu un plan habile pour vivre à l'aise sans travailler et sans trop s'humilier. Il va s'arranger de telle sorte qu'il ait jusqu'à la fin de ses jours des amis chez qui il sera sûr de trouver les vivres et le couvert : qui me reçoivent dans leurs maisons. Et pourtant, le genre de vie qu'il ambitionnait est décrit dans les saints Livres sous les plus sombres couleurs : « Mieux vaut la nourriture du pauvre sous un toit de planches, qu’un festin magnifique dans une maison étrangère, quand on n’a pas de domicile », Ecclésiastique 29, 29-31. Mais mieux valait encore cela que la misère. - détail naturel et dramatique : le sujet de me reçoivent n'est pas nommé ; il reste dans la pensée du régisseur, mais la suite du récit nous le révélera.
Luc 16.5 Faisant donc venir l'un après l'autre les débiteurs de son maître, il dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ? - Aussitôt dit, aussitôt fait. Du reste, l'intendant n'avait que peu de temps à sa disposition pour régler et présenter ses comptes. - l’un après l’autre les débiteurs… Ces débiteurs n'étaient pas, comme l'ont pensé quelques exégètes, des fermiers qui payaient leurs redevances en nature. Le mot grec correspondant ne peut désigner que des débiteurs ordinaires, auxquels avaient été fournies à crédit des denrées qu'ils n'avaient pas encore payées. On a également supposé d'une manière toute gratuite qu'ils étaient insolvables, et que le régisseur passe actuellement avec eux un concordat avantageux à la fois pour eux‑mêmes et pour le propriétaire ; ou bien, qu'en esprit de réparation, l'économe infidèle avait tiré de sa propre bourse et remis à son maître les sommes dont il leur faisait grâce. Mais le texte et le contexte supposent au contraire de la façon la plus manifeste que nous sommes en face d'une criante injustice, simplement destinée à ménager dans l'avenir à son auteur une situation tolérable. - Il dit au premier. Tous les débiteurs furent convoqués, probablement l'un après l'autre. La parabole n'en mentionnera nommément que deux, mais ce sera en manière d'exemple : le régisseur se comporta de même avec tous.
Luc 16.6 Il répondit : Cent barils d'huile. L'économe lui dit : Prends ton billet : assieds-toi vite et écris cinquante. 7 Ensuite il dit à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Il répondit : Cent mesures de froment. L'économe lui dit : Prends ton billet et écris quatre-vingts. - Cent mesures d'huile. La mesure, inconnue des classiques dans l'acception que nous lui trouvons ici, équivalait soit au bath (22 livres) soit au métrétès attique (38 litres). cf. Dict. encycl. de la Théologie catholique, art. Mesures des anc. Hébreux. D'ailleurs l'on n'est pas encore parvenu à déterminer d'une manière certaine la valeur des mesures hébraïques. - Prends ton billet : ton écrit ; ton reçu, dirions‑nous. - Assieds‑toi vite. détail pittoresque. - Écris… Cela encore est tout à fait naturel et graphique. L'intendant redoute une surprise fâcheuse ; il presse ses gens pour que la transaction soit promptement terminée. - Cinquante. De la sorte, la dette se trouvait réduite d'une moitié, par conséquent de 2000 litres environ. Il est difficile de dire si l'opération demandée consista simplement à modifier les chiffres du reçu primitif (chose d'une exécution aisée, puisque les lettres hébraïques, qui servent aussi à fabriquer les nombres, ont souvent entre elles une assez grande ressemblance), ou si le débiteur dût écrire en entier un nouvel acte. Le texte semble favoriser la première hypothèse. - Cent mesures de froment. Le kôr était chez les Hébreux une autre mesure de capacité, la plus grande de celles qui servaient pour les légumes secs : il contenait 10 baths, c'est‑à‑dire environ 400 litres. - Écris quatre‑vingt. Cette fois, l'économe ne remettait que la cinquième partie de la dette : il est vrai que la remise équivaut à 8000 litres. Pourquoi cette différence ? Est‑ce, ainsi qu'on l'a pensé, un détail insignifiant (Euthymius), une simple variante destinée à rendre le récit plus vivant ? Nous préférons y voir un détail de grande finesse psychologique de la part de l'intendant. Il connaît son monde, comme l'on dit, et prévoit que les mêmes effets seront produits avec des concessions différentes, selon les circonstances personnelles des débiteurs.
Luc 16.8 Et le maître loua l'économe infidèle d'avoir agi habilement, car les enfants de ce monde sont plus habiles entre eux que les enfants de la lumière. - Ayant appris ce qui s'était passé, le maître ne peut s'empêcher d'admirer d'une certaine manière la conduite de son régisseur. Assurément sa louange ne retombait pas sur l'acte en lui‑même, qui était une insigne fourberie ; aussi la parabole prend‑elle soin d'appeler en cet endroit l'intendant économe infidèle. Ce que le propriétaire louait, c'était le caractère ingénieux de l'expédient, l'habileté avec laquelle cet homme avait immédiatement trouvé un moyen pratique pour se tirer d'embarras : parce qu'il avait agi habilement. « Son maître lui donna des louanges, non pas sans doute à cause de l’injustice qu’il avait commise, mais en raison de l’adresse qu’il avait montrée » S. August. Enarrat. In Psaume 53, 2. C'est faute de n'avoir pas établi cette distinction qu'on s'est si souvent mépris sur le sens général de notre parabole, et qu'on a vu dans ce verset tantôt un indice évident de la conversion du régisseur (voyez la note du v. 5), tantôt (telle était l'opinion de Julien l'apostat) une apologie de l'injustice et du vol. L'acte de l'économe n'est pas apprécié au point de vue moral, mais simplement comme une heureuse adaptation des moyens à la fin. Ainsi donc, le maître « loue l'ingéniosité tout en condamnant les faits » (Clarius). Les paroles qui suivent l'indiquent clairement. - Car les enfants de ce monde… Nom parfaitement approprié pour désigner les mondains, qui s'inquiètent avant tout des intérêts matériels, qui ont toutes leurs pensées, tous leurs désirs dirigés vers la terre. cf. 20, 34. Évidemment l'économe infidèle était un enfant de ce monde. - Plus habiles que les enfants de lumière. L'Itala disait « plus rusés ». cf. S. August., l. c. Aux fils de ce monde, Jésus oppose les fils de la lumière, c'est‑à‑dire, comme il ressort du contexte et de plusieurs passages analogues (Jean 12, 36 ; Éphésiens 5, 8 ; 1 Thessaloniciens 5, 5), ses disciples, si divinement éclairés nageant en quelque sorte dans un océan de clarté. - Entre eux. Les hommes du monde sont censés former une seule et même famille, qu'animent des sentiments identiques, et, comme on l'a vu dans notre parabole, ils savent admirablement s'entendre quand leurs intérêts sont en jeu.
Luc 16.9 Moi aussi je vous dis : Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité, afin que, lorsque vous quitterez la vie, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. - Jésus voudrait que les enfants de la lumière fissent preuve d'une pareille habileté pour les choses du ciel : il le leur dit en termes solennels (moi aussi je vous dis : notez l'emphase des deux pronoms) dans ce verset qui contient la clef de toute la narration. Il argumente par inférence du moins vers le plus, ou a contrario, comme dans les paraboles de l'ami importun (11, 6 et ss.) et du juge inique (18, 1-8) ; il propose aux bons l'exemple des méchants en guise de stimulant énergique. Voyez S. Jérôme, Ep. ad Algas. ; S. Augustin, Quaest. Evang. 2, 34 ; Maldonat, etc. - Faites‑vous des amis avec les richesses d'iniquité. Les richesses sont en effet la cause, l'occasion, l'instrument d'iniquités sans nombre. « Il arrive rarement, ou pour ainsi dire jamais, que dans l’acquisition ou la conservation des richesses n’intervienne un péché de la part de ceux qui les possèdent, qui les gèrent, des pères ou des aïeuls », Cajetan, h. l. Jésus ne parlait donc pas seulement des biens acquis d'une manière injuste, mais de la richesse en général. Nous ne nous arrêterons pas à réfuter l'opinion rationaliste (M. Renan, de Wette, l'école de Tubinguen) d'après laquelle Notre‑Seigneur condamnerait ici les riches en tant que riches, comme le fit plus tard la secte Ébionite, car c'est une allégation toute gratuite, condamnée par l'ensemble du récit. - Lorsque vous quitterez la vie : c'est‑à‑dire, quand vous serez morts. C'est au fond le même sens, puisque l'argent manque à tout le monde après la mort. - Ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. D'ordinaire, rien n'est moins stable qu'un séjour sous la tente (cf. 2 Corinthiens 5, 1) : toutefois il est au ciel des tentes éternelles, comme le dit pareillement le 4ème livre (apocryphe) d'Esdras. Plusieurs exégètes sous‑entendent « des anges » devant « vous reçoivent » ; selon d'autres, le verbe peut être compris sans désignation de personne ; mais, ajoute à bon droit Cocceius, « la trame de la parabole suppose qu'il fasse référence à des amis », et ces amis ne sont autres que les pauvres avec lesquels on a généreusement partagé ses biens. Non que les pauvres soient directement les portiers du ciel ; néanmoins leurs prières, leur bon témoignage, pénétreront jusqu'à Celui qui regarde comme faite à lui‑même l'aumône donnée à l'un de ces petits, et il ouvrira en leur nom le ciel à tous leurs bienfaiteurs. cf. S. Augustin, l. c., et Maldonat.
Luc 16.10 Celui qui est fidèle dans les petites choses, est fidèle aussi dans les grandes et celui qui est injuste dans les petites choses, est injuste aussi dans les grandes. - Les vv. 10-13 sont étroitement unis entre eux ainsi qu'à notre parabole, dont ils contiennent d'ailleurs la morale de concert avec le v. 9. On a prétendu bien à tort que S. Luc les a placés ici d'une manière arbitraire. Les trois premiers (10-12) répètent, quoique avec une nuance, une seule et même pensée ; le quatrième précise le genre de fidélité requis par Dieu dans les aphorismes qui précèdent. - Celui qui est fidèle dans les petites choses… C'est là une vérité de simple bon sens aussi bien que d'expérience journalière, reproduite dans le second hémistiche sous une autre forme : celui qui est injuste dans les petites choses… Par « petites », il faut entendre ici, d'après le contexte, les richesses mondaines, qui ont en réalité si peu de consistance, et par « grandes », les biens spirituels qui sont à mille lieues au‑dessus d'elles.
Luc 16 11 Si donc vous n'avez pas été fidèles dans les richesses d'iniquité, qui vous confiera les biens véritables ? 12 Et si vous n'avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera ce qui est à vous ? - Jésus applique maintenant ce grand principe. Quiconque se montrerait infidèle dans les petites choses (voyez la note du v. 9) mériterait‑il donc qu'on lui confiât les trésors célestes ? - Autre application : : Et si vous n'avez pas été fidèles dans ce qui est à autrui… De nouveau les expressions sont admirablement choisies, et le contraste est très frappant. Le bien d'autrui représente, comme le disait S. Jérôme, tout ce qui est du monde : c'est donc un autre nom de la fortune. « Il désigne par bien d'autrui les ressources terrestres, que personne ne peut emporter en mourant ». S. August., l. c. Dénomination de la plus parfaite exactitude, puisque, les païens eux‑mêmes l'avaient compris, « Rien non plus n’est mien. Rien de tout ce qui peut être enlevé, arraché ou perdu », Cicéron, Parad. 4 . Au contraire, les biens du ciel sont appelés d'avance notre propriété, parce qu'ils nous sont destinés et qu'il nous est relativement facile de les acquérir à tout jamais. Quoi de plus clair, mais aussi quoi de plus irrésistible que cette simple argumentation ? S. Paul faisait un raisonnement semblable, lorsqu'il écrivait à propos du choix des évêques, 1 Timothée 3, 5 : « Car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment pourrait‑il prendre en charge une Église de Dieu ? ». La fidélité est entière, universelle, absolue, ou elle n'est pas. Les Rabbins possédaient plusieurs exemples ou paraboles pour montrer comment Dieu éprouve les hommes en de petites choses afin de voir s'ils seront fidèles dans les grandes. C'est ainsi, disent‑ils, qu'il ne confia d'abord à David qu'un tout petit nombre de brebis avant de l'établir pasteur de son peuple privilégié.
Luc 16.13 Nul serviteur ne peut servir deux maîtres, car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et la Richesse." - Déjà nous avons rencontré cette vérité dans le Discours sur la montagne, Matth. 6, 24 (voyez le commentaire). Jésus la répète actuellement pour indiquer de quelle manière les riches devront manifester la fidélité qu'il vient de leur recommander en termes si urgents : ils seront fidèles s'ils n'hésitent pas à préférer le culte de Dieu à celui de Mammon. Ces deux maîtres en effet se disputent nos affections, nos services. Or, l'on ne saurait rien imaginer de plus incompatible que leurs caractères, leurs désirs, leurs exigences, car ils sont comme aux antipodes l'un de l'autre, cf. Jacques 4, 4. Entre eux nous avons à choisir : auquel appartiendrons‑nous ? (dans le grec, le verbe désigne une vraie servitude). Les faits ne tarderont pas à le proclamer, comme l'exprime cette vivante comparaison de Stella (h. l.) : « Si un chien suit deux hommes qui se sont rencontrés sur un chemin par hasard, tu ne pourras pas facilement découvrir lequel des deux est son maître. Mais si l’un des deux s’éloigne de l’autre, il apparaît tout de suite clairement lequel est le maître. Car le chien abandonne l’inconnu et va vers celui qu’il connaît. Il montre ainsi clairement lequel est son maître. ».
Luc 16.14 Les Pharisiens, qui aimaient l'argent, écoutaient aussi tout cela et se moquaient de lui. - Les Pharisiens… écoutaient tout cela : c'est‑à‑dire la parabole de l'économe infidèle et la morale que Jésus en avait tirée, vv. 1-13. Il s'agit toujours des Pharisiens mentionnés au début du chap. 15 (voyez 16, 1 et le commentaire). - Qui aimaient l'argent. Les Pharisiens sont donc présentés ici comme des amis de Mammon, « accusation que justifient amplement les allusions faites par le Talmud à la rapacité des Rabbins de cette époque. cf. Matth. 23, 13 ». - Et se moquaient de lui. Le verbe grec indique une dérision insigne, ouverte, atteignant les dernières limites de l'insolence. C'est l'équivalent du rire au nez des Latins. Ces Pharisiens orgueilleux trouvaient sans doute étrange qu'un pauvre, comme l'était Jésus, prît sur lui d'en remontrer aux riches. Comme si, d'ailleurs, la richesse et la religion étaient deux choses inconciliables : N'étaient‑ils pas tout ensemble favorisés des biens de ce monde et néanmoins pleins de piété ? De tels discours leurs paraissaient donc ridicules.
Luc 16.15 Jésus leur dit : "Vous êtes ceux qui se font passer pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs et ce qui est élevé aux yeux des hommes est une abomination devant Dieu. - Jésus ne laissa pas passer sans y répondre cette grossière insulte. S'adressant directement à ses adversaires (vous, avec emphase), il commença par leur reprocher avec une indignation bien légitime leur honteuse hypocrisie. - Vous cherchez à paraître justes. Ils affectaient en effet de paraître saints aux yeux de leurs semblables. cf. 7, 39 et ss. ; Matth. 23, 25 ; etc. Nous verrons bientôt (18, 10) l'un d'eux se justifier même devant le Seigneur. Toutefois, si les hommes étaient dupes de ces vaines apparences, Dieu, pour qui rien ne demeure caché, connaissait toute leur misère morale. Maldonat traite fort justement de litote la phrase Dieu connaît vos cœurs, il écrit : « L’insinuation est ce par quoi on dit plus que ce que les mots signifient. Les cœurs de ces gens‑là sont remplis d’iniquité ». Cela ressort en effet du contexte : ce qui est grand pour les hommes est une abomination… Que représentent ce « grand », cette « abomination », sinon la conduite des Pharisiens jugée d'après un double principe, le principe des hommes et le principe de Dieu ?
Luc 16.16 La Loi et les prophètes vont jusqu'à Jean, depuis Jean, le royaume de Dieu est annoncé et chacun fait effort pour y entrer. - D'après Reuss les versets 16-18 contiendraient des maximes « qui paraissent être tout à fait étrangères au texte et qui ne se trouvent là que par l'effet d'un hasard inexplicable », Histoire évangéliq., p. 495. Le théologien hollandais van der Palm dit même, sans rire, que S. Luc, voulant commencer sur une nouvelle page la parabole du mauvais riche, et désireux pourtant d'utiliser le court espace qui lui restait au bas de la précédente, l'aurait rempli par ces lignes, séparées violemment de leur connexion logique et chronologique. - La Loi et les prophètes… Jésus avait déjà proposé cette belle idée en une autre occasion (Matth. 11, 12 et 13) ; il la présente actuellement sous une forme plus concise, plus serrée. Jusqu'à S. Jean‑Baptiste on était encore dans l'ère de la Loi et des prophètes ; mais, depuis l'apparition du Précurseur, le Nouveau Testament a commencé, on est entré dans la période évangélique, messianique : le royaume de Dieu est annoncé. S. Jean avait été en effet le premier à répandre publiquement cette bonne nouvelle ; Jésus l'avait fait retentir plus fortement encore, et déjà se montraient les heureux résultats de leur prédication : c'était à qui entrerait le premier dans le divin royaume. cf. 15, 1 ; Jean 12, 19. Pour les développements, voyez notre commentaire de S. Matth., 11, 12. Eusèbe. Ce n’est pas sans de grands combats, que de faibles mortels peuvent monter jusqu’au ciel. Comment, en effet, des hommes revêtus d’une chair mortelle, pourraient-ils, sans se faire violence, dompter la volupté et tout désir criminel, et imiter sur la terre la vie des anges ? En les voyant se livrer à des travaux si pénibles pour le service de Dieu, et réduire presque leur chair à une mort véritable (Romains 8, 13 ; Colossiens 3, 5), qui n’avouera qu’ils font véritablement violence au royaume des cieux ? Peut-on encore, en considérant le courage admirable des saints martyrs, ne pas reconnaître qu’ils ont fait une véritable violence au royaume des cieux ? — S. Aug. (Quest. évang., 2, 37.) On fait encore violence au royaume des cieux, en méprisant non seulement les richesses de la terre, mais les discours de ceux qui se moquent de cette indifférence complète pour ces jouissances passagères. En effet l’Évangéliste rapporte ces paroles après avoir fait observer qu’ils se moquèrent de Jésus qui leur parlait du mépris des choses de la terre.
Luc 16.17 Plus facilement le ciel et la terre passeront, qu'un seul trait de la Loi périsse. - L'ouverture du Discours sur la montagne, Matth. 5, 18 (voyez le commentaire), annonçait en des termes à peu près identiques que la loi du Sinaï persévérerait même sous le régime chrétien, quoique à l'état transfiguré, sous une forme idéalisée, perfectionnée. Mais ici encore la rédaction de S. Luc a le mérite d'une plus grande énergie. - Le ciel et la terre passeront ; car le ciel et la terre dureront au moins jusqu'à la fin du monde. - Qu’un seul trait de la loi. Un de ces petits crochets, à peine perceptibles, qu'on avait inventés pour différencier certaines lettres hébraïques. « Tomber », belle image pour signifier : perdre de sa force, cesser d'exister, être annulé. Et de fait, la Loi n'est pas tombée à terre ; son abrogation ne fut autre que son accomplissement intégral dans tous ses principes éternels. Les Pharisiens, si pleins de révérence au dehors pour la lettre de la loi, en violaient néanmoins fréquemment l'esprit : voilà ce qui tendait à la renverser, à la ruiner.
Luc 16.18 Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère et quiconque épouse la femme renvoyée par son mari, commet un adultère. - Exemple à l'appui du principe qui précède. Peu de prescriptions divines avaient été aussi oblitérées que celle qui concernait l'unité, l'indissolubilité du mariage. Jésus lui rend dans le code messianique toute sa force originaire, montrant ainsi qu'il perfectionnait la loi mosaïque, bien loin de la détruire. Pour l'explication détaillée voyez Matth. 5, 32 ; 19, 9 ; Marc. 10, 11, et les notes correspondantes.
Luc 16.19 Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin et qui faisait chaque jour des festins somptueux. - Après cette apostrophe adressée aux Pharisiens, vv. 15-18, Notre‑Seigneur revient à son sujet, la nécessité pour les riches de faire un excellent emploi de leurs richesses (cf. vv. 1-13). Dans une seconde parabole, que l'on range à juste titre parmi les plus belles et les plus instructives du troisième Évangile, il éclaire une autre face de cette question importante, montrant, par l'exemple terrible du mauvais riche, où conduit finalement la possession des biens de la terre si l'on n'en use que pour sa propre jouissance, au lieu d'en jeter une partie dans le sein des pauvres, c'est‑à‑dire dans le sein de Dieu. Voyez les commentaires de S. Grégoire le Grand (Hom. 40 in Evang.), de S. Jean Chrysostome (Hom. 4 de Lazaro), de S. Augustin (Serm. 14, 26, 41), et l'admirable sermon de Massillon, Le mauvais riche. - Il y a comme deux actes dans ce drame ; le premier, vv. 19-21, se passe sur la terre, le second, vv. 22-31, dans l'autre monde. De part et d'autre nous trouvons un frappant contraste entre l'état des deux personnages autour desquels porte le récit. - 1° Sur la terre : Il y avait un homme riche. C'était un Juif d'après les vv. 24, 25, 29-31. Le divin narrateur évite de mentionner son nom, soit par délicatesse, soit plutôt, comme le conjecturait déjà S. Augustin, parce qu'il n'avait pas mérité d'être inscrit au livre de vie. D'après une tradition probablement légendaire, que signale Euthymius et dont on trouve des traces encore plus anciennes dans la version sahidique, il se serait appelé Ninevé. - Les évangélistes avaient résumé en deux traits significatifs, dont l'un concernait l'habillement, l'autre la nourriture, la vie mortifiée du Précurseur ; en deux traits analogues Jésus résume toute la vie sensuelle et mondaine du mauvais riche. Premier trait : il été vêtu de pourpre et de lin. La pourpre éclatante de Tyr, le fin linge d'Égypte aussi blanc que la neige, étaient également célèbres dans l'antiquité. cf. Genèse 41, 42 ; Esther 8, 15 ; Proverbes 31, 22 ; Ézéchiel 27, 7 ; Daniel 5, 7, 16, 29 ; 1 Maccabées 10, 20 ; 11, 58 ; 14, 43 ; Apocalypse 18, 12. Ces étoffes qui valaient parfois leur pesant d'or (cf. Pline, Hist. Nat. 19, 4), fournissaient alors aux rois, aux nobles, aux riches en général, des vêtements somptueux. La pourpre était le plus souvent réservée aux habits de dessus, le lin aux vêtements intérieurs : on aimait à les associer à cause de la gracieuse combinaison de couleurs qu'on obtenait ainsi. - Second trait : il faisait chaque jour des festins somptueux. Voyez 15, 23, 24, 29 et le commentaire. C'est le luxe de la table à côté du luxe des vêtements. Quelle force dans ces quelques mots. On ne pouvait pas mieux peindre, en deux coups de pinceau, une vie d'oisiveté, de mollesse, de perpétuels et somptueux festins, de magnificence toute royale. Il est à remarquer que Notre‑Seigneur ne reproche pas d'autre crime au mauvais riche que ce culte de la chair et sa dureté pour le pauvre Lazare. « On ne l'accuse ni de violence, ni de concussion, ni d'avarice, ni d'injustice » (D. Calmet), ni même d'orgies et de débauches. Voyez Massillon, l.c., Exorde et début de la première partie. Aux yeux du « monde » il passait pour un parfait innocent. Et pourtant Dieu le condamnera. Ce riche, d'après le contexte (cf. v. 14), est évidemment l’emblème des Pharisiens avares, auxquels Jésus voulait prouver qu'il ne suffit pas, pour parvenir au salut, de mener une vie respectable au dehors, si l'on n'y joint les pratiques de la charité. C'est à tort qu'on a vu parfois en lui un type des Sadducéens voluptueux et incrédules, car Il n’y a aucun témoignage ni aucune mention d’un passage quelconque des Pharisiens aux Sadducéens.
Luc 16 20 Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d'ulcères, 21 et souhaitant de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, mais les chiens mêmes venaient lécher ses ulcères. - Tableau de la plus extrême misère après celui de la plus grande félicité temporelle. - Nommé Lazare. « Le monde donnait un nom au riche et taisait celui du pauvre ; le Sauveur tait le nom du riche et mentionne celui du pauvre », S. Augustin. Ce nom de Lazare, également porté par l'ami de Jésus, frère de Marthe et de Marie, Jean 11, 1, est habituellement regardé comme une forme abrégée de Éléazar, « secours de Dieu ». La littérature rabbinique nous apprend que le même personnage était parfaois indifféremment appelé Lazare et Éléazar. C'était d'ailleurs une dénomination très commune à l'époque de Notre‑Seigneur, ainsi qu'on le voit par les écrits de F. Josèphe. Elle convenait admirablement au pauvre qui nous est présenté ici par le divin Maître, car elle exprimait d'une manière symbolique sa confiance en Dieu, sa patience au milieu de ses misères. Aussi bien, quoique aucun autre nom propre n'apparaisse dans les paraboles évangéliques, nous ne croyons pas qu'elle suffise à elle seule pour prouver que, dans ce cas spécial, Jésus décrivait une histoire réelle et non un simple fait imaginaire. Sur cette question, controversée dès les temps les plus reculés, voyez S. Irénée, contr. Her. 4, 2, 4, Théophylacte, h. l., D. Calmet, Maldonat, Corneille de Lapierre, Schegg, etc. - était couché à sa porte. Le verbe grec signifie littéralement « avait été jeté », comme si les amis de Lazare l'eussent apporté et abandonné à la porte du riche, dans la pensée que celui‑ci lui viendrait largement en aide. Lazare est couché à la porte cochère, l'entrée principale. - Couvert d'ulcères. Pour Lazare, la maladie, et quelle affreuse maladie., s'ajoutait au dénuement le plus absolu. Dans sa détresse, ce malheureux désirait ardemment (cf. 15, 16) se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ; mais personne ne lui en donnait, car les serviteurs, façonnés à l'image de leur maître, étaient inhumains comme lui. - Mais les chiens venaient… détail pittoresque, dramatique et touchant, quelque signification qu'il faille d'ailleurs lui attribuer. Les exégètes se divisent en effet à son sujet, les uns le regardant comme une antithèse, les autres y voyant une gradation ascendante. Ceux‑là (S. Jérôme, Hugues de S. Victor, Érasme, Wetstein, Stier, Trench, etc.), pensent, conformément à la croyance populaire qui attribue à la langue des chiens une vertu médicinale, que la narration oppose sciemment à la cruauté du mauvais riche envers Lazare la pitié de bêtes dénuées de raison. Ceux‑ci, et c'est le plus grand nombre (entre autres Jansénius, Fr. Luc. Reischl), voient dans ce détail final un indice de la plus extrême misère : incapable de se défendre, Lazare devait subir les cruels coups de langue des chiens l'Orient, qui erraient sans maître dans les rues, constamment affamés. La particule « même », et la coutume biblique de présenter ces animaux sous un jour peu favorable, semblent appuyer le second sentiment.
Luc 16.22 Or, il arriva que le pauvre mourût et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi et on l’enterra. - 2° Nous sommes tout à coup transportés dans l'autre monde, où nous retrouvons les deux héros de notre parabole. Mais leurs rôles sont désormais bien changés. Cette fois, c'est Lazare qui nous est le premier présenté. - Le pauvre mourut. La mort vint enfin le délivrer de ses cruelles souffrances ; bien plus, nous le voyons, à peine entré dans l'autre vie, comblé d'honneurs et jouissant des saints délices réservés aux élus. - porté par les anges. Celui que les hommes avaient autrefois délaissé est maintenant servi par les esprits célestes, qui le portent doucement au séjour des bienheureux. « Ils accourent en grand nombre, s'écrie S. Jean Chrysostome, l. c., afin de former un chœur joyeux ; chacun des anges se réjouit de toucher à ce fardeau, car ils aiment à se charger de tels fardeaux pour conduire les hommes au royaume des cieux ». C'était la croyance des Juifs que les âmes des justes étaient ainsi portées par les anges au paradis. « Ne peuvent entrer dans le Paradis que les justes. Leurs âmes y sont amenées par les anges », Targum Cant. 4, 12. - Dans le sein d'Abraham. Autre image empruntée par Notre‑Seigneur à la théologie rabbinique. D'ailleurs presque toutes les couleurs qu'il emploie ici pour peindre l'état des bons et des méchants dans l'autre vie sont extraites des idées qui avaient alors cours en Palestine. Ces idées étaient généralement exactes, et, en s'y accommodant, le Sauveur ne pouvait que rendre sa narration plus saisissante. Les Juifs contemporains de Jésus se servaient de trois locutions principales pour désigner le séjour des bienheureux : dans le jardin d’Éden ; sous le trône de gloire ; dans le sein d'Abraham. Cette dernière exprimait d'une façon toute gracieuse le repos et le bonheur des élus, Cette métaphore est tirée des parents qui, pour les consoler, reçoivent dans leur sein, leurs enfants fatigués par une longue marche, ou de retour à la maison après un épuisant voyage, ou se lamentant pour tout autre motif. Nous la retrouvons, légèrement amplifiée, au 4è livre (apocryphe) des Maccabées. Par l'intermédiaire des SS. Pères (voyez S. Augustin, lettre 187 ; Confess. 9, 3 ; de Anima, l. 4, c. 16), elle passa dans la liturgie et la théologie catholiques, où elle représente tantôt le limbe des patriarches, tantôt le ciel proprement dit (« Que les anges t'emmènent dans le sein d'Abraham ». Prières des agonisants) cf. S. Thomas d'Aq., Somm. Theolog. 3a, q. 52 art. 2. L'art chrétien, surtout au 13è siècle, représentait volontiers le ciel sous cette naïve figure. On la voit sculptée [en France] à S. Étienne de Bourges, à Moissac, à Vézelay, à Notre‑Dame de Reims (voir Ch. Cerf, Histoire et description de N.‑D. de Reims, t. 2, p. 49 et s.) cf. du reste l'expression analogue du quatrième Évangile, 1, 18, « le Fils unique, qui est dans le sein du Père ». - Le riche mourut aussi. Alors se réalisa la parole de Job, 21, 13 : « Ils achèvent leurs jours dans le bonheur, et descendent en paix au séjour des morts ». Cette mort semble avoir suivi de près celle de Lazare.
Luc 16.23 Au séjour des morts, il leva les yeux et tandis qu'il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham et Lazare dans son sein, -Au séjour des morts, le Scheôl hébreu, divisé, d'après le contexte, en deux parties distinctes, le sein d'Abraham pour les justes, la Géhenne pour les méchants ; c'est au fond de la géhenne que le mauvais riche fut plongé. - Levant les yeux. Ce détail et quelques‑uns suivants ont parfois causé à ceux des anciens auteurs qui les prenaient à la lettre un très grand embarras, « au point d’en avoir induit beaucoup en erreur » (Maldonat), entre autres Tertullien, De anima, 7. Ils en concluaient que l'âme est corporelle. Mais évidemment, « Que le riche ait levé les yeux vers le ciel, qu’il ait parlé avec Abraham, qu’il ait demandé une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue, c’est une parabole tirée non de ce qui se fait actuellement, mais de ce qui se fera après la résurrection, et qui est conforme à notre capacité de comprendre », Maldonat. C'est une manière de parler tout à fait analogue aux anthropomorphismes qui prêtent si souvent à Dieu dans la Bible un corps, des membres, et les passions humaines. Mais la réalité se devine aisément sous ces figures, et nous avons véritablement dans cette parabole une fenêtre ouverte sur l'enfer, et nous pouvons voir à travers elle ce qui se passe dans cet affreux séjour. La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare contient la description la plus sublime qui ait jamais été faite de ce monde et de l'autre vie dans leurs contrastes frappants. Qu'est‑ce que la trilogie dans laquelle Dante a chanté l'enfer, le purgatoire et le ciel, si on la compare à la trilogie de cette parabole, qui nous met tout d'un coup sous les yeux, au moyen de détails peu nombreux, mais vivants et parlants, la terre, la géhenne et le paradis, comme une grande et parfaite unité ?… Le Sauveur nous fournit ici les explications les plus surprenantes, et il soulève le voile qui cache les mystères de l'avenir. - il était en proie aux tourments. Pluriel des plus expressifs. « Cet homme subissait des tourments infinis. C’est pour quoi l’évangéliste ne dit pas : comme il était dans un tourment, mais dans des tourments. Car il était tout entier dans les tourments. », S. Jean Chrys., l. c. . - Il vit de loin Abraham… Les Rabbins enseignaient aussi que les damnés pouvaient contempler les bienheureux dans les Limbes. « Le paradis et la géhenne sont ainsi disposés que de l’un on a vue sur l’autre. », Midrasch Koheleth, 7, 14. Il est vrai que, d'après eux, ces deux parties du Schéol n'étaient séparées que par une largeur de main, ou par l'espace qu'occupe une muraille ordinaire. - Dans son sein. Au lieu du singulier, le texte grec a cette fois un pluriel d'intensité ou de majesté.
Luc 16.24 et il s'écria : Abraham, notre père, aie pitié de moi et envoie Lazare, pour qu'il trempe dans l'eau le bout de son doigt et me rafraîchisse la langue, car je souffre cruellement de ces flammes. - Il s'écria. Il crie, dit S. Jean Chrysost., parce « sa grande souffrance lui conférait une voix puissante », ou, plus naturellement, pour se faire mieux entendre d'Abraham qu'il apercevait au loin, v. 23. Un dialogue du plus vif intérêt s'engage entre le réprouvé et le Père des croyants (vv. 24-31). Celui‑ci refuse coup sur coup, non sans alléguer de puissants motifs, deux suppliques du mauvais riche. - Abraham, notre père. A trois reprise (cf. vv. 27 et 30) le suppliant aura soin de rappeler à Abraham les liens étroits de consanguinité qui les unissent. Il espérait sans doute, par ce titre d'affection et de respect, le rendre plus favorable à sa prière. Mais en vain, comme le disait autrefois S. Jean‑Baptiste aux Pharisiens, 3, 8. Après un ayez pitié de moi emphatique, qui inspirait à S. Augustin un rapprochement frappant (« superbe dans ce monde, mendiant en enfer »), nous entendons la première requête : Envoie Lazare… Pourquoi désire‑t‑il que la faveur si humblement implorée lui soit accordée par l'entremise du pauvre Lazare ? Divers auteurs (Bengel, J. P. Lange, etc.) ont vu dans ce trait, mais bien à tort, un reste de mépris pour le mendiant auprès duquel le mauvais riche passait si fièrement autrefois : il le regarderait encore comme son serviteur. La vraie raison est pourtant manifeste. L'ordre des choses appelait cette circonstance. Le riche ne pouvait raisonnablement conjurer Abraham de lui rendre en personne le service demandé ; mais, ayant reconnu parmi les bienheureux le pauvre qu'il avait vu si souvent étendu à sa porte, il le désigne de la façon la plus naturelle comme un intermédiaire entre Abraham et lui. De plus, et d'une manière plus profonde, d'après Maldonat, « Voilà ce que voulait faire comprendre la parabole. Le Christ voulait en effet enseigner que les sorts du riche et de Lazare étaient changés. Pour enseigner cela, il lui a fallu dire que le riche, dans l’autre vie, avait besoin de l’aide de Lazare, comme pendant la vie terrestre Lazare avait eu besoin du riche, et avait souvent demandé son aide. Ni l’un ni l’autre n’ont obtenu ce qu’ils demandaient : Lazare, à cause de la cruauté du riche, le riche parce qu’il avait demandé trop tard », S. Greg. Hom. 40 in Evang. - Qu'il trempe le bout de son doigt. Quelle modeste requête. Une légère atténuation de ses tourments, le bout d'un doigt trempé dans l'eau et appliqué sur sa langue brûlante pour la rafraîchir un peu. Mais la voix de sa conscience l'empêche de demander davantage : il sent qu'il ne pourrait obtenir une délivrance complète. Les procédés de la justice rétributive du Seigneur sont admirables et terribles : « Il demande maintenant une goutte, celui qui refusait une miette » (S. Césaire, Hom. de Lazaro). « Il avait péché surtout par la langue » (Bengel). - Je souffre cruellement de ces flammes. Le feu de l'enfer ne saurait être plus clairement désigné.
Luc 16.25 Abraham répondit : Mon fils, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie et que pareillement Lazare a eu ses maux : Maintenant il est ici consolé et toi, tu souffres. - Il y a dans la réponse d'Abraham une dignité, une délicatesse qu'on a souvent admirées. Les paroles de Jésus sont par ailleurs toutes marquées au coin de la perfection, de tous les sermons du maître suprême, se dégage une passion pour le beau et l’honnête qui fait en sorte qu’on ne peut jamais les lire et les relire sans éprouver le plus grand contentement. - Mon Fils. Le père des croyants ne refuse pas au mauvais riche ce nom de tendresse. Toutefois, il est remarquable aussi que tout sentiment de compassion est exclu de sa réponse ; en effet, selon la profonde réflexion de S. Grégoire le Grand, Hom. 40 in Evang., « Les âmes des saints, toutes miséricordieuses qu’elles soient, dès lors qu’elles sont unies à la justice divine, sont contraintes par la rectitude de la sentence à ne ressentir aucune compassion pour les réprouvés. Leur jugement concorde avec celui du Juge en qui elles demeurent. Et elles ne se penchent pas miséricordieusement vers ceux qu’elles ne peuvent pas arracher à l’enfer, car elles verront d’autant plus qu’ils leur sont étrangers qu’elles les verront rejetés par leur auteur qu’elles aiment ». - Souviens‑toi. Abraham fait d'abord appel aux souvenirs du suppliant, pour l'amener à conclure par lui‑même qu'il serait injuste d'exaucer sa prière. - Tu as reçu (dans le grec, tu as pleinement reçu). Il est au nombre de ceux dont il a été dit : « Ils ont reçu leur récompense », 6, 24. Il a joui sur la terre comme il le souhaitait ; cela doit lui suffire. - Lazare a reçu de même les maux. C'est le contraste développé dans les vv. 19-21. - maintenant. Actuellement tout le contraire a lieu. Abraham se borne à mentionner les faits : son interlocuteur en pouvait aisément apprécier la justesse. - De quel droit les rationalistes prétendent‑ils encore à propos de ce passage (Baur, Ueber die kanon. Evangel. p. 44 ; Hilgenfeld, die Evangelien, p. 202, etc.) que l'évangéliste S. Luc attaque et condamne les riches en tant que riches ? Non : des deux hommes jugés dans cette parabole, le premier « n'est pas torturé pour avoir été riche, mais pour ne pas avoir été miséricordieux » (S. Jean Chrysost.), le second avait d'autres lettres de créance auprès de Dieu que sa pauvreté ; cela ressort fort bien du contexte, qui a tacitement décrit la patience de Lazare et la dureté du mauvais riche. « Toute pauvreté n’est pas sainte ; toute richesse n’est pas criminelle ». Mais, « comme la luxure rend coupable la richesse, la sainteté rend honorable la pauvreté » (S. Ambroise). L'Évangile n'a pas d'autre doctrine.
Luc 16.26 De plus, entre nous et vous il y a pour toujours un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le puissent et qu'il soit impossible de passer de là-bas jusqu'à nous. - Seconde partie de la réponse d'Abraham : le mauvais riche demande une chose non‑seulement injuste, mais impossible. - Entre nous et vous un grand abîme a été établi. Entre nous, les élus, et vous, les réprouvés. Le mot grec correspondant à gouffre désigne plutôt un abîme que ce que l'on entend généralement par chaos. Cependant, les mots gouffre et chaos étaient dans le principe des mots synonymes chez les Grecs, et de même chez les Latins qui avaient emprunté ces expressions aux Grecs. - Il y a pour toujours. Manière très énergique de dire que le gouffre qui sépare le paradis de la géhenne est non‑seulement béant, mais éternel. « un gouffre qui sépare ceux entre qui il est creusé et creusé pour toujours ». S. Aug. lettre 164. Les damnés sont donc à tout jamais dans l'enfer ; leur sentence est irrévocable. - Ceux qui voudraient passer… Conséquence de ce qui précède. De part et d'autre la barrière ne saurait être franchie. Désormais, plus de mérite personnel, plus d'intercession des Saints, capable d'établir un pont à travers le terrible abîme.
Luc 16.27 Et le riche dit : Je te prie donc, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père, - La parabole aurait pu s'arrêter après le v. 26. Mais Jésus veut la rendre encore plus complète, en montrant par de nouveaux détails ce qui constitue le danger spécial des richesses. Les privilégiés de ce monde, plongés dans toute sorte de jouissances, deviennent facilement incrédules, du moins dans la pratique, et ne s'occupent guère de leur salut. C'est ce qu'exprime la suite du dialogue. Refusé dans sa première requête, le mauvais riche en présente une seconde, qui ne concerne plus sa propre personne, mais le bien spirituel de ses frères. - Je te prie donc… d'envoyer… Si l'espace qui nous sépare est infranchissable pour Lazare, il n'existe sans doute aucun abîme entre vous et la terre.
Luc 16.28 car j'ai cinq frères, pour leur attester ces choses de peur qu'ils ne viennent, eux aussi, dans ce lieu de tourments. - J'ai cinq frères. On a vu parfois dans ce trait, mais sans raison suffisante, une allusion aux cinq fils du grand‑prêtre Anne, qui lui succédèrent à tour de rôle dans l'exercice du souverain pontificat. - Pour leur attester. C'est comme témoin, comme témoin oculaire, que Lazare devait aller trouver les frères du riche, à la façon de ce personnage que Platon, République 10, 14, fait revenir du séjour des morts sur la terre, « pour annoncer aux hommes ce qui se passe là‑bas », pour leur certifier l'existence des réalités terribles qu'il avait vues de ses propres yeux. - De peur qu'ils ne viennent… Ils n'en prenaient que trop le chemin, car ils vivaient eux aussi dans les délices, sans se soucier des pauvres, ni de Dieu. Il serait faux d'admettre, à la suite des théologiens protestants, que cette attention d'un damné à empêcher l'éternelle réprobation de ses frères est l'indice d'un sentiment de foi, ou de je ne sais quels autres germes de bien surnaturel qui s'agitaient dans son âme, car les réprouvés sont incapables de produire un acte de vertu. Les saints Pères et les exégètes catholiques attribuent le souhait du mauvais riche tantôt à l'égoïsme (S. Grégoire, Dial. 4, c. 23, Bède le Vénérable, Luc de Bruges, Corneille de Lapierre etc.) « Pour que ses tourments ne soient pas augmentés par les tourments de ceux que son exemple a entraînés à une vie dissolue semblable à la sienne, et sans miséricorde » (Jansénius), tantôt à la charité fraternelle (S. Jean Chrysostome, S. Augustin, S. Ambroise, Théophylacte, etc.), mais selon S. Thomas, Supplément de la Somme Théologique question 98, article 4 : « les damnés à cause de leur haine consommée se réjouissent des maux et s’affligent du bien, et par conséquent ils voudraient que tous les bons fussent damnés avec eux ». Cette charité fraternelle du Mauvais Riche envers ses frères est donc impossible.
Luc 16.29 Abraham répondit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent. - Cette fois, Abraham ne réitère pas l'aimable mon fils du v. 25. Sa réponse est brève et même sévère. Ils ont Moïse et les prophètes : c'est‑à‑dire, toute la Bible, ainsi désignée par ses deux parties principales. cf. Jean 1, 46. La parole de Dieu doit leur suffire ; c'est pour eux un témoignage qu'aucun autre ne saurait surpasser. Voyez Jean 5, 39, 45-47.
Luc 16.30 Non, Abraham, notre père, reprit-il, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront. - Le mendiant s'était soumis sans rien dire au refus qui l'atteignait personnellement (v. 27) ; mais ici, il propose une objection au père des croyants, ou plutôt il se permet de le contredire : Non, Abraham, notre père. Non, ils n'écouteront pas Moïse et les prophètes ; c'est là pour eux un moyen tout à fait insuffisant. Je les connais ; je sais par ma propre expérience qu'il faut, pour les frapper et les convertir, quelque chose d’extraordinaire, comme serait l'apparition d'un mort. - Ils se repentiront. Non‑seulement ils croiront, mais ils seront moralement transformés, et ils manifesteront leur conversion par des œuvres de pénitence.
Luc 16.31 Mais Abraham lui dit : S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, quelqu'un des morts ressusciterait, qu'ils ne le croiraient pas." - Abraham rejette froidement cette vaine allégation. La parole inspirée ne leur suffit pas, qu'ils n'attendent pas de faveur extraordinaire. Si la voix des saints Livres ne les touche pas, celle d'un mort les laissera insensibles ? « Nous, les fidèles, nous sommes sauvés par l’audition, non par les apparitions » (Bengel). En tenant ce langage, Jésus devait penser à ce qui arriva bientôt après. D’ailleurs, les Pharisiens ne crurent pas à la divinité de Jésus, ni même au fait qu’il était le Messie, le Christ, quand il eut ressuscité Lazare. Y crurent‑ils quand il eut brisé victorieusement pour lui‑même les portes du tombeau ? - Notez la manière dont Abraham reproduit, mais en les renforçant, les expressions employées par son interlocuteur. Comme s'il disait : Un miracle beaucoup plus grand que celui que tu implores ne réussirait pas même à opérer un résultat moins considérable que celui que tu promets si hardiment. Après ces mots, le voile est encore brusquement tiré, ainsi qu'il arrive à la fin de plusieurs paraboles du troisième Évangile. L'auditoire devait se sentir saisi, impressionné, et porté par là‑même à mieux chercher, pour se l'appliquer ensuite, la signification de ces brûlantes leçons. - Sur les applications allégoriques que les Pères ont faites quelquefois des principaux traits de la parabole du mauvais riche (« Par le Juif, le peuple judaïque est désigné...Lazare est une image de tout le peuple païen », S. Grégoire le Grand ; « Les plaies de Lazare sont les souffrances du Seigneur provenant de la faiblesse de sa chair », S. Augustin ; de même pour les autres détails), voyez la chaîne d'or de S. Thomas, h. l.
CHAPITRE 17
Luc 17.1 Jésus dit encore à ses disciples : "Il est impossible qu'il n'arrive pas des scandales, mais malheur à celui par qui ils arrivent. - De nouveau (voyez 16, 1) Jésus s'adresse à ses disciples après l'interruption qu'avaient occasionné les grossières manifestations des Pharisiens (16, 14-35). Suivant Théophylacte, Bisping, etc., c'est précisément cette attitude scandaleuse de ses adversaires qui aurait amené le présent avis, dirigé contre le scandale. - Il est impossible… La locution grecque correspondante, qu'on ne rencontre nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, signifie proprement « inacceptable ». Comme dans le passage analogue du premier Évangile (cf. Matth. 18, 7 et le commentaire), il n'est question assurément que d'une impossibilité morale. L'absence de scandales et une supposition inadmissible dans l'état de péché où est plongé le monde.
Luc 17.2 Il vaudrait mieux pour lui qu'on lui mit au cou une meule de moulin et qu'on le jetât dans la mer, que de scandaliser un seul de ces petits. - Jésus montre par un détail significatif l'énormité des péchés de scandale : plutôt que d'y tomber, mieux vaudrait être plongé au plus profond de la mer sans aucun espoir de salut. En effet, « quiconque est auteur du scandale, selon tous les principes de la religion devient homicide des âmes qu'il scandalise. Péché monstrueux, péché diabolique…, péché essentiellement opposé à la rédemption de Jésus‑Christ, péché dont nous aurons singulièrement à rendre compte…, péché d'autant plus dangereux qu'il est plus ordinaire dans le monde ». Bourdaloue, Sur le scandale. - Une meule de moulin. Cette espèce de pierre molaire, mise en mouvement par un âne, était notablement plus grosse que l'autre, qu'une femme pouvait tourner sans trop de peine. - Un de ces petits : ces petits au moral, c'est‑à‑dire les disciples, auxquels Jésus donnait volontiers ce nom humble.
Luc 17.3 Prenez garde à vous-mêmes. Si ton frère à pécher contre toi reprends-le et s'il se repent, pardonne-lui. - cf. Matth. 18, 15, 21, 22 et le commentaire. Les mots prenez garde à vous peuvent se rattacher soit à l'avis qui précède, comme un nota bene solennel (prenez garde vous‑mêmes de scandaliser vos frères!) soit au présent enseignement (remarquez bien cette autre chose que je vais vous dire, et pratiquez‑la). On donne en général la préférence à la première de ces deux connexions. - Reprends‑le. Le mot est énergique ; mais il faut que la charité chrétienne sache l'interpréter avec modération ; car le reproche en question ne pouvant avoir d'autre fin que l'amendement d'un frère égaré, le but désiré serait tout à fait manqué si l'on aigrissait ce frère au lieu de le calmer. - S'il se repent… l'offensé a des droits légitimes dont Jésus ne lui refuse pas l'exercice ; mais il a aussi un grand et noble devoir que le divin Maître lui rappelle, le devoir du pardon, de l'amnistie plénière, aussitôt que le coupable témoigne du repentir.
Luc 17.4 Et quand il pécherait contre toi sept fois le jour, s'il revient sept fois te dire : Je me repens, tu lui pardonneras." - Hypothèse à coup sûr peu vraisemblable dans les relations ordinaires de la vie, car, hormis les enfants, qui donc, ayant vraiment la contrition d'une faute, y retombera néanmoins sept fois dans une journée ? Mais ici, comme en maint autre passage, Jésus a recours au paradoxe pour mieux inculquer son précepte. Sept (le concret pour l'abstrait, à la façon orientale) est d'ailleurs un nombre indéterminé pour signifier : toujours. - Il revient te dire. détail pittoresque, si l'on prend cette expression au sens propre. Mais elle peut aussi désigner d'une manière figurée le retour intérieur à des meilleurs sentiments. - Dans S. Matthieu, l. c., répondant à S. Pierre, ce n'est pas seulement jusqu'à sept fois que Jésus réclame le pardon des injures, mais jusqu'à soixante‑dix fois sept fois.
Luc 17.5 Les apôtres dirent au Seigneur : "Augmentez notre foi." - C'est avec une emphase évidente que S. Luc applique à Jésus le titre de Seigneur. cf. 7, 31 ; 22, 61 etc. A celui qu'ils envisageaient comme le Maître souverain, comme le Christ, Fils de Dieu, les douze apôtres adressent de concert une sublime prière. En aucun autre endroit des récits évangéliques nous ne les voyons implorer ainsi d'une seule voix quelque faveur de Jésus. Vraisemblablement ils avaient entendu, mêlés aux rangs des disciples, l'instruction précédente, dont ils comprenaient toute la difficulté. Ce n'est pas sans faire violence à la chair et au sang qu'on parvient à pardonner toujours. De là cette supplication si belle : Seigneur, rendez‑nous facile par un accroissement de foi ce qui est impossible à la nature. Tel semble bien être le véritable enchaînement des pensées (Olshausen, Meyer, Bisping, etc;). Littéralement : ajoute‑nous de la foi. Nous en avons, mais pas assez, et nous en voudrions encore.
Luc 17.6 Le Seigneur répondit : "Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à ce mûrier : Déracine-toi et transplante-toi dans la mer et il vous obéirait. - Jésus répond à cette demande, digne du groupe des 12 apôtres, en décrivant par un détail pittoresque les effets admirables de la foi. - Comme un grain de sénevé. Manière proverbiale d'indiquer la quantité la plus modique, puisque, parlant ailleurs (Matth. 13, 32) du sénevé, le Sauveur dit qu'elle est la plus petite de toutes les graines. - Vous diriez à ce mûrier. D'après quelques exégètes le mot grec désignerait plutôt un sycomore qu'un mûrier ; mais la traduction actuelle est justifiée 1° par l'emploi d'un autre mot un peu plus bas (19, 4) quand S. Luc voudra parler du sycomore ; 2° par l’idiome grec moderne, qui désigne le mûrier noir. Ce est un pronom graphique, duquel il résulte que Jésus avait alors sous les yeux un mûrier qu'il montrait de la main aux Douze ; il est malencontreusement omis par les manuscrits Sinait, D, L, X. Déracine‑toi… Ordre bien étrange. S'arracher péniblement du sol sans le secours de bras humains et aller se planter ailleurs, serait, de la part d'un arbre aux fortes dimensions, semblables à celles qu'atteint le mûrier en Palestine, un phénomène des plus merveilleux. Toutefois, après s'être arraché, prendre de nouveau racine, non pas au milieu des sables du rivage, mais dans les eaux mêmes de la mer, sur les vagues constamment agitées, c'est le nec plus ultra du miracle dans le cercle des faits naturels, parce que c'est une impossibilité absolue. Quelle manière expressive de démontrer la puissance sans borne de la foi. Dans le passage analogue de S. Matthieu (18, 19 ; voyez le commentaire), c'est à une montagne qu'est faite l'injonction.
Luc 17 7 Qui de vous, ayant un serviteur au labourage ou à la garde des troupeaux, lui dira, à son retour des champs : Viens vite et mets-toi à table ? 8 Ne lui dira-t-il pas, au contraire : Prépare-moi à souper, ceins-toi et sers-moi, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu, après cela, toi, tu mangeras et boiras ? - Transition : Jésus vient d'affirmer solennellement aux Douze qu'ils sont capables d'accomplir les plus grandes merveilles au moyen d'une foi vive. Il veut maintenant les prémunir contre les tentations de vaine gloire qui pourraient prendre leur source dans l'exercice d'une autorité si éclatante : c'est pourquoi il les ramène à des sentiments d'humilité en leur rappelant qu'ils ne sont que néant devant Dieu. - Le fait sur lequel Notre‑Seigneur appuie sa leçon importante est d'une expérience quotidienne ; il n'en a que plus d'intérêt, d'autant plus que la description est toute dramatique. - Un serviteur : le mot grec correspondant désigne un serviteur dans le sens strict, qui dépend entièrement de son maître, et qui ne s'est pas seulement engagé à rendre tel ou tel service particulier. - Ceins‑toi. cf. 12, 35. Les Orientaux, quand ils travaillent, retroussent d'ordinaire leur ample vêtement de dessus, afin de rendre leurs mouvements plus libres. - Jusqu'à ce que j'aie mangé et bu : Le serviteur ne devra songer à contenter ses propres besoins que lorsque ceux de son maître auront été bien satisfaits.
Luc 17.9 A-t-il de la reconnaissance à ce serviteur, parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné ? - Dernier trait, auquel Jésus rattachera sa morale. Quand ce serviteur aura fidèlement exécuté les ordres qu'il avait reçus, lui saura‑t‑on gré de son zèle ? En général on n'y songera guère. Il est payé pour cela, comme l'on dit vulgairement, et souvent il n'aura pas même un simple merci en sus de son salaire. Après tout, il n'a fait que son devoir.
Luc 17.10 Je ne le pense pas. De même vous, quand vous aurez fait ce qui vous était commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire." - Il en est de même, conclut le Sauveur, de votre conduite relativement à Dieu. Fussiez‑vous des serviteurs irréprochables, eussiez‑vous accompli parfaitement, sans en excepter un seul (tout est emphatique), tous les ordres du souverain Seigneur, reconnaissez que vous n'avez fait que payer votre dette. En effet, « Faire ce que tu dois n’est pas une faveur mais un devoir », Sénèque, Controv. 2, 13. Si le divin Maître promet ailleurs aux serviteurs fidèles une récompense grandiose (cf. 12, 37), c'est par pure générosité, car, sans ses grâces particulières, y aurait‑il des serviteurs fidèles ? « En couronnant les mérites, tu couronnes tes dons ». C'est par cet admirable principe d'humilité que Jésus termine la série de discours commencée au chap. 15. - Sur l'ancienne controverse soulevée par les premiers protestants à propos de ce texte et de la prétendue inutilité des bonnes œuvres, voyez Maldonat, h. l. - Les mots je ne le pense pas sont authentiques, quoiqu'ils manquent dans les manuscrits B, L, X, Sinait.
Luc 17.11 En se rendant à Jérusalem, Jésus côtoyait la frontière de la Samarie et de la Galilée. - Le miracle est introduit dans ce verset par une notice qui n'est pas sans importance au point de vue des voyages de Notre‑Seigneur. Les premiers mots, en se rendant à Jérusalem, nous ramènent à 9, 51, 13, 22, et renouent le fil interrompu du récit. Les suivants, Jésus côtoyait la frontière de la Samarie et de la Galilée, ont autrefois occasionné des divergences parmi les commentateurs, qui les traduisaient tantôt par : Il traversait la Samarie et la Galilée, tantôt par : Il passait entre la Samarie et la Galilée. La seconde interprétation est aujourd'hui presque universellement adoptée, et à bon droit d'après la topographie. En effet, puisque Jésus se rendait alors de Galilée à Jérusalem, et que la Samarie est située juste entre ces deux termes, si l'évangéliste eût simplement voulu dire que Notre‑Seigneur traversa par le milieu le territoire Samaritain, il aurait dû, pour parler exactement, ne mentionner la Samarie qu'en second lieu : « Il allait par le milieu de la Galilée et de la Samarie ». Si l'on retient la signification « entre », tout s'explique aisément. Arrivé sur les frontières de la Galilée et de la Samarie, Jésus, au lieu de continuer sa marche vers le Sud de manière à gagner Jérusalem par la voie directe, tourna subitement vers l'Est, du côté du Jourdain et de la Pérée, longeant selon toute vraisemblance l'ouadi de Bethséan ; de la sorte, il voyageait précisément « entre » les deux provinces, se tenant sur leur zone limitrophe, ayant à sa droite la Samarie, à sa gauche la Galilée. Son but était sans doute d'éviter le territoire inhospitalier des Samaritains. cf. 9, 52 et ss.
Luc 17.12 Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre et se tenant à distance, - Le village auprès duquel eut lieu la scène qui va suivre était vraisemblablement sur la rive cis‑jordanienne. - Dix lépreux… Séparés du reste des hommes par leur horrible infirmité, ils avaient trouvé quelque consolation à mettre en commun leurs souffrances et leurs modiques ressources ; Voyez 2 Rois 7, 3, un antique exemple d'une association semblable. - Se tenant à distance. La loi interdisait aux lépreux soit l'entrée des lieux habités, soit l'approche des personnes saines, de crainte qu'ils ne communiquassent leur mal. cf. Lévitique 13, 45 et s. Pour ce dernier point, les règlements rabbiniques avaient même essayé de préciser la distance à laquelle devaient se tenir les lépreux : mais ils varient de 4 à 1200 coudées (de 2 à 800 mètres). Tout ce que touchait un lépreux était pollué.
Luc 17.13 ils élevèrent la voix en disant : "Jésus, Maître, ayez pitié de nous." - Ils élevèrent la voix : détail pittoresque. Reconnaissant Jésus, et pleins de confiance en sa bonté toute‑puissante, ils poussent tous ensemble ce cri lamentable : Jésus, maître, ayez pitié de nous. cf. 5, 5 ; 8, 24, 45 ; 9, 33, 49.
Luc 17.14 Dès qu'il les eut aperçus : "Allez, leur dit-il, montrez-vous aux prêtres." Et en y allant, ils furent guéris. - Rien n'est plus propre à susciter la pitié que la vue d'un lépreux ; aussi le cœur compatissant du Sauveur accédait‑il toujours immédiatement aux demandes de ce genre. Mais nous savons que Jésus aimait d'ordinaire à exercer la foi des suppliants, et c'est pour ce motif qu'il se borne à répondre dans la circonstance présente : allez, montrez‑vous aux prêtres. C'était du moins promettre implicitement une prompte guérison, puisqu'il appartenait aux prêtres, d'après les dispositions de la loi (cf. Lévitique 13, 2 ; 14, 2 ; Matth. 7 , 3 et le commentaire), de constater officiellement la disparition de la lèpre. Pleins de foi, ils se mettent en chemin, et voici que leur obéissance est tout à coup récompensée : ils furent guéris. (Sur cette expression, qui était technique chez les Juifs pour désigner la cure de la lèpre, voyez l'Evang. selon S. Matth).
Luc 17 15 L'un d'eux, lorsqu'il se vit guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix, 16 et tombant le visage contre terre aux pieds de Jésus, il lui rendit grâces. Or c'était un Samaritain. - Jusqu'alors la conduite des dix avait été identique ; nous les trouvons désormais divisés, neuf d'un côté, un seulement de l'autre. Hélas. Ce dernier côté est celui de la reconnaissance. - L'un d'eux… revint. On voit par cette expression que la guérison ne s'était pas accomplie en la présence immédiate de Jésus ; peut‑être avait‑elle été opérée assez loin de lui : mais la distance ne fut pas un obstacle à la gratitude du lépreux samaritain. Comparez l'exemple de Naaman, qui vint aussi rendre grâces à Élisée, après avoir été guéri miraculeusement de la lèpre, 2 Rois 5, 15. - Glorifiant Dieu à pleine voix. Il élève la voix pour remercier, comme précédemment pour implorer, v. 13. - Il se jeta le visage contre terre… De Dieu, l'auteur de tout don parfait, son action de grâces se reporte sur Jésus, son bienfaiteur immédiat. Or, ajoute S. Luc avec une intention qu'il est aisé de découvrir : celui‑là était Samaritain, c'est‑à‑dire qu'il appartenait à une race abhorrée des Juifs, étrangère aux divines promesses, tandis que les neuf autres étaient de la nation choisie. N'était‑ce pas affirmer tacitement, selon la teneur générale du troisième Évangile (voyez la Préface, §5), que les Israélites ne seraient pas seuls à participer au salut messianique, mais que les portes du royaume des cieux seraient également ouvertes pour les autres peuples, et que ces derniers pourraient même ravir à Israël ses privilèges, s'ils se montraient plus parfaits que lui ? Telle est, au point de vue théologique, la signification des touchants détails de ce miracle. Quant au fait même de la cohabitation d'un Samaritain avec des Juifs en dépit des haines nationales (cf. Jean 10, 53 et le commentaire), il n'a rien d'extraordinaire dans le cas présent : le malheur avait renversé toutes les barrières. C'est ainsi qu'à Jérusalem, dans le Biut el Masakîn (« résidence des infortunés ») ou quartier des lépreux, au XIXème siècle, on voyait des Musulmans et des Juifs habiter ensemble, tandis que souvent ils se fuyaient partout ailleurs. Du reste, le miracle avait eu lieu sur les limites de la Samarie, ce qui rend une telle confraternité plus explicable encore.
Luc 1717 Prenant alors la parole, Jésus dit : "Est-ce que les dix n'ont pas été guéris ? Et les neuf, où sont-ils ? 18 Il ne s'est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir et rendre gloire à Dieu ? - Quoique habitué à l'ingratitude des hommes, Jésus manifeste une sorte d'étonnement en voyant qu'un seul des lépreux, un seul sur dix, se montrait reconnaissant. - Où sont les neuf autres ? Le bienfait qu'ils avaient reçu était à peine inférieur à celui de la vie : comment n'avaient‑ils aucune gratitude à témoigner. Ainsi va le monde, s'écrie S. Bernard : « Ils sont importuns quand ils demandent, inquiets tant qu’ils n’ont pas reçu, et ingrats après avoir reçu ». On dirait que les faveurs divines tombent dans un tombeau profond et silencieux. - C'est avec une vive tristesse que le Sauveur dut ajouter : Il ne s'est trouvé… ; du moins lui était‑il doux de faire ressortir la belle conduite du lépreux étranger (voyez 2 Rois 17, 24, la justification de l'emploi de ce mot relativement aux Samaritains).
Luc 17. 19 Et il lui dit : Lève-toi, va, ta foi t'a sauvé." - Lève‑toi (le lépreux était prosterné aux pieds de Jésus, v. 16) … ta foi t'a sauvé. Par cette parole de bonté Jésus confirma sa grâce antérieure, joignant peut‑être en ce moment la guérison de l'âme à celle du corps, comme l'ont pensé quelques exégètes.
Luc 17.20 Les Pharisiens lui ayant demandé quand viendrait le royaume de Dieu, il leur répondit : "Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. 21 On ne dira pas : Il est ici, ou : Il est là, car voyez, le royaume de Dieu est au milieu de vous." - Quand viendrait le royaume de Dieu. L'expression royaume de Dieu représente, comme partout ailleurs dans l'Évangile (voyez notre commentaire sur S. Matth. 3, 2.), l'empire du Messie annoncé par les prophètes. Toutefois nous savons que les Pharisiens, et en général tous les Juifs d'alors, rattachaient à cette grande idée mille préjugés humains, espérant que le Messie leur apporterait gloire, puissance politique, richesses, et toute sorte d'avantages terrestres. La question, d'ailleurs, n'était ni sans malice ni sans ironie. Ceux qui la posaient voulaient embarrasser leur adversaire. Depuis plusieurs années il annonçait la proximité du royaume de Dieu (cf. Matth. 4, 17 et parall.), et pourtant les choses semblaient être toujours au même point. Ne fournirait‑il pas quelque explication là‑dessus ? cf. Maldonat, Comm. in Luc. 17, 20. - Jésus ne répond d'abord pas directement à la demande insidieuse des Pharisiens. Au lieu de déterminer l'époque en question, il indique, d'une manière très nette, quoique négative, la nature du « royaume de Dieu ». - Il ne vient pas d'une manière apparente (le verbe grec désigne une observation très attentive, telle qu'est celle d'un ennemi. cf. 14, 1), c'est‑à‑dire d'une manière telle qu'il soit possible de l'observer, donc avec accompagnement de coups de théâtre, de signes éclatants et multiples qui frappent bientôt les regards les moins perspicaces, comme serait l'installation d'une nouvelle dynastie chez un peuple puissant. Voyez D. Calmet, Comm. h.l. N'était‑ce pas dire aux Pharisiens qu'ils se plaçaient à un faux point de vue, quand ils cherchaient avec les yeux du corps un règne tout spirituel ? - On ne dira pas : il est ici… C'est le développement de la même pensée. Le royaume de Dieu est de telle nature, qu'on n'en saurait constater la présence comme celle d'un fait matériel. - Car voyez. Au « voici » et au « voilà » des hommes, Jésus oppose son propre voyez, par lequel il introduit la partie principale de sa réponse aux Pharisiens : Le Royaume de Dieu est au dedans de vous. Mais quel est vraiment le sens de cette profonde parole ? Nous en trouvons dans les commentateurs trois explications principales, qui varient selon la traduction du grec. 1° Suivant Origène, S. Cyrille et Maldonat : « en votre pouvoir » ; mais rien ne justifie leur interprétation, qui affaiblit du reste la pensée du Sauveur ; 2° d'après la plupart des commentateurs : « parmi vous, à côté de vous ». La phrase entière équivaudrait alors à celle‑ci « le règne de Dieu est parvenu au milieu de vous ». Et, en réalité, l'ère du royaume des cieux n'avait‑elle pas déjà commencé ? Le Messie, chef de ce royaume, ne vivait‑il pas parmi les Pharisiens ? 3° D'après d'autres exégètes assez nombreux (entre autres S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Erasme, Olshausen, Godet, Keil) : « dans vos cœurs, en vous‑mêmes » ; et telle nous paraît être l'explication la plus exacte, quoique la seconde ne soit pas sans de grandes probabilités. Le contexte nous est favorable, puisque Jésus a dit plus haut que l'avènement du divin règne ne tombe pas sous les sens, et qu'il se propose précisément ici d'indiquer le motif de cette invisibilité. Votre enquête est vaine, voulait‑il dire, attendu que l'établissement du royaume de Dieu est un fait moral, interne. On peut objecter, il est vrai, la perversité pharisaïque : le royaume de Dieu était‑il donc au fond du cœur de ces hypocrites ? Mais il n'est pas nécessaire d'appliquer le pronom vous aux Pharisiens d'une façon exclusive. Quelques auteurs (Farrar, etc.), réunissent les deux dernières interprétations. La philologie les autorise l'une et l'autre. En toute hypothèse d'ailleurs, la parole de Jésus revient à dire qu'au lieu de s'inquiéter curieusement de l'époque et des signes du royaume de Dieu, il serait bien préférable de chercher les moyens de se l'approprier ; et c'est là une instruction valable pour tous les temps.
Luc 17.22 Il dit encore à ses disciples : "Viendra un temps où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme et vous ne le verrez pas. - Après cette brève mais solide réponse, Jésus ne devait plus rien à des ennemis insidieux. Il leur avait montré le véritable idéal de son royaume ; il avait essayé de tourner vers le présent leurs regards qu'ils dirigeaient trop du côté de l'avenir : cela suffisait. A eux maintenant de rentrer en eux‑mêmes. C'est à ses disciples qu'il adresse la suite de son discours. Développant le même sujet, mais passant du premier avènement au second, de la fondation du royaume messianique à sa consommation, il insiste sur les dangers qui rempliront l'ère finale du monde afin de nous les faire éviter. Ses enseignements se groupent autour de trois pensées, qui correspondent aux vv. 22-25, 26-30, 31-37. Première pensée : Ce que sera la fin des temps, et ce que le Christ doit d'abord subir. - Viendra un temps… jours de peines et de tribulations pour les disciples de Jésus. Aussi, durant ces heures terribles, désireront‑ils ardemment voir un jour du Fils de l'homme, mais sans que ce désir soit satisfait. Par ce « jour du Fils de l'homme », auquel aspireront les fidèles comme à un doux rafraîchissement au milieu de leurs souffrances, les uns (Kuinoel, Stier, Ewald, von Burger etc.) entendent le passé, c'est‑à‑dire le temps où vivait Notre‑Seigneur, les heureux instants durant lesquels les premiers disciples jouissaient de sa société visible ; les autres (Olshausen, Bleek, Meyer, etc.) l'avenir, l'époque du retour glorieux de Jésus à la fin du monde. L'emploi de la même locution dans ce second sens aux vv. 24, 26 et 30 nous porte à lui accorder nos préférences. Les lettres de S. Paul, celles surtout qu'il écrivit aux Thessaloniciens, attestent le vif désir qu'avaient les premiers chrétiens de voir arriver les derniers jours, pour jouir au plus tôt du Christ.
Luc 17.23 On vous dira : Il est ici et : Il est là, gardez-vous d'y aller et de courir après. - Lorsqu'on souffre, on doit se prémunir contre les fausses espérances, car l'on y est plus facilement accessible. C'est pour ce motif que Jésus met ses amis en garde contre les pseudo‑messies, qui ont déjà fait tant de dupes (voyez S. Matth.). - On vous dira… Cela ne contredit pas le v. 21, puisqu'il s'agit d'un autre avènement du royaume de Dieu : autant les débuts furent lents, mystérieux, insensibles, autant la fin doit être manifeste et glorieuse. - N'y allez pas… Répétition de l'ordre, pour le renforcer ; dans le texte grec, le second verbe est du reste plus expressif que le premier.
Luc 17.24 Car, comme la lueur de l'éclair brille d'un bout du ciel à l'autre, ainsi en sera-t-il du Fils de l'homme en son jour. - Preuve qu'il sera bien inutile de courir après les faux Christs : l'apparition de Jésus pour le jugement dernier ne sera pas locale, mais universelle et simultanée. L'image de l'éclair explique admirablement cette pensée. Pour voir un éclair, va‑t‑on se mettre en tel ou tel endroit ? Non, sa lueur resplendit à la fois d'un bout de l'horizon à l'autre, il est visible partout en même temps. De même sera le second avènement du Christ, de sorte qu'on n'aura pas besoin d'être averti de son apparition. Les mots en son jour sont authentiques, quoiqu'ils manquent dans les manuscrits B, D.
Luc 17.25 Mais il faut auparavant qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération. - Un jour d'humiliations, de souffrances, précédera pour Jésus lui‑même ce jour de gloire. - Il faut : c'est une nécessité d'après le plan divin. Et ces souffrances, ces humiliations lui seront infligées par la génération contemporaine (cette génération). Nouvelle et claire annonce de sa Passion. cf. 9, 22.
Luc 17 26 Et comme il arriva aux jours de Noé, ainsi arrivera-t-il aux jours du Fils de l'homme. 27 Les hommes mangeaient et buvaient, ils se mariaient et mariaient leurs filles, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche et le déluge vint qui les fit périr tous. - Seconde pensée, vv. 26-30 : quand le Christ viendra fonder glorieusement et définitivement son royaume, il trouvera le monde insouciant, non préparé. Notre‑Seigneur, pour exposer ce fait douloureux, rapproche de la fin des temps deux des plus sombres époques de l'histoire sainte, les « jours de Noé », vv. 26 et 27, et les « jours de Lot », vv. 28-29, montrant que d'une part l'indifférence des hommes, de l'autre le caractère épouvantable des jugements divins, seront les mêmes à ces trois ères critiques, v. 30. - Aux jours de Noé, c'est‑à‑dire pendant les cent‑vingt ans que dura la construction de l'arche. - Ils mangeaient, buvaient… - Se mariaient : car c'est l'homme qui recherchait en mariage ; - Donnaient leurs filles en mariage s'applique aux femmes qui, dans toutes les contrées bibliques, sont données en mariage par leurs parents et ne jouent aucun rôle direct dans le choix de leurs maris. Ces détails pittoresques prouvent que l'humanité d'alors, occupée seulement de ses intérêts charnels ne se laissa impressionner en rien par les avertissements du ciel, et continua jusqu'au bout sa vie voluptueuse. Il fallut le déluge pour y mettre un terme. Voyez le commentaire sur S. Matth. 24, 37-39 et un développement semblable. - Le déluge. L'expression grecque corrélative (d'où est issu notre mot cataclysme) est, dans les Septante (Genèse 6, 17 ; 7, 6 et ss. ; 9, 11, 28) et dans le Nouveau Testament (Matth. 24, l. c. ; 2 Pierre 2, 5) le terme technique pour désigner le déluge.
Luc 17 28 Et comme il arriva aux jours de Loth : les hommes mangeaient et buvaient, ils achetaient et vendaient, ils plantaient et bâtissaient, 29 mais le jour où Loth sortit de Sodome, une pluie de feu et de soufre tomba du ciel et les fit périr tous : - Les jours de Loth sont donc un nouveau type, une nouvelle préfiguration (spéciale au troisième Évangile) de l'insouciance avec laquelle les hommes de la fin des temps se prépareront au jugement de Dieu. - Les hommes mangeaient… La nomenclature commence de la même manière, mais elle ensuite un peu modifiée : les idées de commerce, de plantation, de construction remplacent celle de mariage ; mais le fond n'a pas changé : toujours c'est le souci du bien‑être matériel qui prime tout le reste, car hélas, sous ce rapport le genre humain se ressemble constamment à lui‑même. Qui connaît une phase de son histoire connaît toutes les autres, et particulièrement les plus mauvaises, celles qui préparent les châtiments. - Mais le jour… il tomba du ciel une pluie de feu. Voyez les détails dans la Genèse, 19, 23, 28. - C'est le jugement par le feu, de même que le déluge avait été le jugement par l'eau. - Soufre : cf. Apocalypse 14, 10 ; 19, 20.
Luc 17.30 ainsi en sera-t-il au jour où le Fils de l'homme paraîtra. - ainsi en sera-t-il : Probablement, la comparaison retombe sur les époques réunies de loth et de Noé ; c'est donc une récapitulation que nous lisons dans ce verset. - Au jour où le Fils de l'homme paraîtra. Dans le grec, le verbe (d'où dérive notre mot apocalypse) convient bien pour désigner la manifestation glorieuse de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ à la fin du monde. cf. 1 Corinthiens 1, 7 ; 2 Thessaloniciens 1, 7 ; Colossiens 3, 3 et ss. ; 1 Pierre 4, 13. Le voile qui recouvre ses splendeurs sera retiré alors à tout jamais.
Luc 17.31 En ce jour, que celui qui sera sur le toit et dont les affaires seront dans la maison, ne descende pas pour les prendre et que celui qui sera aux champs ne revienne pas non plus en arrière. - Ici commence la troisième pensée, vv. 31-37 : disposition d'âme qui pourra seule alors procurer le salut. De nouveau nous trouvons dans ce passage, quoique avec des variantes de fond ou de forme qui attestent l'originalité de S. Luc, plusieurs des paroles fondamentales du discours eschatologique. cf. Matth. 24, 17, 18, 28. C'est ainsi que le troisième Évangile applique aux derniers jours du monde ce qui, d'après le premier, convient seulement à la ruine de Jérusalem. - En ce jour, c'est‑à‑dire lorsque le Christ fera son second avènement. A cette heure solennelle, quiconque voudra lui demeurer éternellement uni devra tout laisser pour voler sans retard à sa suite, comme l'expriment deux détails concrets au v. 31, un exemple terrible au v. 32, un grand principe au v. 33. Voyez, pour l'explication du v. 31, S. Matth. - Les affaires représentent en général toute sorte d'objets, ici les ustensiles les plus précieux du ménage. - Ne revienne pas en arrière. Jésus recommande ainsi le plus parfait dégagement des choses humaines en vue de sa suprême apparition. Combien, à l'heure d'une inondation, d'un incendie, périssent ensevelis sous les ruines de leur maison, parce qu'ils ont voulu y entrer pour sauver quelque objet.
Luc 17.32 Souvenez-vous de la femme de Loth. - Allusion toute naturelle, puisque Jésus venait de rappeler à ses auditeurs la ruine de la Pentapole (les 5 villes). « Or, la femme de Loth avait regardé en arrière, et elle était devenue une colonne de sel » Genèse 19, 26. cf. Sagesse 10, 6-9. Fatal regard, qui prouve que cette malheureuse avait laissé son cœur à Sodome, et qui a fait d'elle une figure de l'attache désordonnée aux biens de ce monde. Ceux qui, aux derniers jours, imiteront sa conduite, risqueront fort de perdre le salut éternel. « Comme la femme de Loth, écrit le juif Philon, quiconque, méprisant les ordres (de Dieu), se retourne vers les choses laissées en arrière et oublie celles qui sont en avant, devient semblable à une pierre.
Luc 17.33 Quiconque cherchera à sauver sa vie, la perdra et quiconque l'aura perdu, la sauvegardera. - Grave maxime, que Jésus répéta en plusieurs circonstances pour mieux l'inculquer à ses disciples. cf. Matth. 10, 39 ; 16, 25, et le commentaire. Elle est synonyme de notre expression familière : Qui perd gagne. On perd quelquefois la vie éternelle en voulant sauver sa vie temporelle ; mais il est au contraire d'heureux cas où l'on gagne l'éternité en sacrifiant généreusement le peu de jours qu'on pourrait encore passer sur la terre. Telle est la pensée du Sauveur, avec un jeu de mot tout oriental sur vie (anima) qui désigne l'âme et la vie. L'expression grecque traduite par la sauvera ne se rencontre qu'ici et au livre des Actes, 7, 19. Elle est très énergique. Perdre la vie naturelle dans les circonstances dont parle Notre‑Seigneur, c'est en quelque sorte, dit un auteur moderne, « la ré‑enfanter pour la reproduire sous la forme de la vie spirituelle, glorifiée, éternelle ».
Luc 17 34 Je vous le dis : en cette nuit-là, de deux personnes qui seront dans le même lit, l'une sera prise et l'autre laissée, 35 de deux femmes qui moudront ensemble, l'une sera prise et l'autre laissée,[36 de deux hommes qui seront dans un champ, l'un sera pris et l'autre laissé]." - Je vous le dis : Transition solennelle, par laquelle Jésus introduit divers exemples destinés à montrer comment, dans la catastrophe finale, le salut ou la ruine atteindront les hommes selon leur diversité morale, quelques identiques que soient leurs conditions extérieures. - Premier exemple : Deux seront dans le même lit…l'un sera pris, l'autre laissée. Cette phrase, qui retentit à trois reprises comme un grave refrain, décrit les destinées diverses réservées aux hommes à l'heure du jugement général. Pris : il sera reçu dans le royaume des cieux ; Laissé : il sera mis de côté, c'est‑à‑dire exclu. Voyez Matth. 24, 40-41 et le commentaire. - En cette nuit là équivaut à en ce jour, à cette heure des versets 24, 30 et 31. Il est fait mention de la nuit au figuré, parce qu'elle est souvent regardée comme l'emblème du malheur, et que les derniers jours du monde seront une ère calamiteuse. Ou bien, selon d'autres, elle est nommée d'une manière spéciale en cet endroit à cause de l'idée qui suit : « seront dans le même lit ». En tout cas il n'est pas nécessaire de prendre cette locution à la lettre, comme si la fin du monde devait avoir lieu pendant la nuit. - Deuxième exemple : Deux femmes qui moudront ensemble. Sur la manière dont cette opération est faite en Orient, voyez l'Évangile selon S. Matthieu, 24, 41. - Troisième exemple : Deux hommes qui seront dans un champ… Il est probable pourtant que c'est là une glose empruntée à S. Matthieu, car ces deux lignes manquent dans la plupart et les meilleurs des manuscrits grecs (A, B, E, G, H, K, L, M, Q, R, S, V, X, Δ, Λ, Γ etc.). Ainsi donc, les personnes les plus intimement liées ici‑bas pourront être séparées tout à coup par un abîme éternel au second avènement du Christ, suivant l'état respectif de leurs consciences. Ces descriptions, dramatiques dans leur simplicité, montrent que le dernier jour s'ouvrira à la façon des autres, et trouvera les hommes vaquant à leurs occupations ordinaires ; mais il ne finira pas comme les autres.
Luc 17.37 Ils lui dirent : "Où, Seigneur ?" Il répondit : "Où sera le corps, là s'assembleront les vautours." - Les disciples, auxquels Jésus racontait ces scènes mystérieuses et terribles, lui demandent tout alarmés : Où, Seigneur ? C'est à dire, quel sera le théâtre de tels événements ? Obscur à dessein dans sa réponse, il se borne à leur dire qu'il n'y a pas plus à s'inquiéter de la topographie que de la chronologie (cf. vv. 20 et 21) de son royaume. En effet, le proverbe Où sera la corps… signifie dans sa généralité qu'en quelque endroit que se trouvent les méchants, ils seront infailliblement atteints par les vengeances célestes, qui prendront vers eux leur vol comme font les oiseaux de proie vers les cadavres abandonnés. Voyez du reste dans S. Matthieu, 24, 28, une reproduction de cette phrase proverbiale, mais avec un sens un peu modifié. - Les vautours abondent en Palestine, il s’agit bien d’eux et non des aigles qui ne vivent pas en groupe et ne mangent pas la chair morte.
CHAPITRE 18
Luc 18. 1 Il leur adressa encore une parabole, pour montrer qu'il faut prier toujours et sans se lasser. - Il leur adressa encore, indique que cette parabole fait suite aux discours du Christ précédents, et qu'elle a été prononcée à la même époque. L'unité générale du sujet traité corrobore cette opinion. En effet Jésus lui‑même, en achevant sa parabole, v. 8, prendra soin de la rattacher aux graves enseignements qui précèdent (17, 22, 37), c'est‑à‑dire à l'avènement suprême du Fils de l'homme. La liaison logique sera donc celle‑ci : Priez sans cesse en attendant ma venue ; par là seulement vous échapperez aux graves dangers qui menacent votre salut. Il n'est donc pas nécessaire d'admettre avec Schleiermacher, Olshausen, etc., que plusieurs incidents intermédiaires ont été omis par l'évangéliste. - Il faut prier toujours. C'est assez rarement que le but des paraboles évangéliques est ainsi indiqué d'avance par les écrivains sacrés : nous trouverons encore plus bas, v. 9, une préface du même genre. La parabole du juge inique est donc destinée à démontrer, par un argument tiré de l'absence de ressemblance, comme s'exprime S. Augustin (De Verbis Dom. Serm. 36), la nécessité où nous sommes de persévérer constamment dans la prière. Déjà il a été dit (voyez 11, 5 et le commentaire) qu'elle n'est pas sans analogie avec la parabole de l'ami importun. Seulement elle a un caractère plus général, à cause de la manière dont elle est mise en rapport avec la fin des temps. Il va de soi qu'on ne doit pas trop presser la signification de l'adverbe « toujours ». C'est une hyperbole populaire, qui s'applique moins à l'acte extérieur (paroles prononcées, mains jointes ou tendues, genoux à terre) qu'à cette disposition intérieure en vertu de laquelle un vrai disciple de Jésus vit toujours en esprit d'oraison, en communion intime avec son Dieu. Nous avons, en tant qu'hommes, des devoirs et des soucis multiples, qui absorbent une partie de nos journées ; malgré cela, il ne tient qu'à nous de faire de notre existence une « grande et unique et continuelle prière » (Origène). En effet, « Car ton désir, c’est ta prière ; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle… Le refroidissement de la charité, c’est le silence du cœur ; la flamme de la charité au contraire est le cri du cœur… Prie en paroles au temps requis, et que toute ta vie soit prière en permanence », S. Augustin, Enarr. in Psaume 37, 14. La prière est la respiration de l'homme moral : il faut donc prier toujours de même que l'on respire sans cesse. - Sans se lasser. Ne jamais nous décourager, malgré les divines lenteurs à exaucer notre demande, et en vue des dangers perpétuels que nous courons. L'Église militante doit être une Église suppliante : ses prières sont les armes dont elle a besoin pour lutter victorieusement. L'équivalent grec de se lasser est un mot expressif, aimé de S. Paul. cf. 2 Corinthiens 4, 1, 16 ; Galates 6, 9 ; Éphésiens 3, 13 ; 2 Thessaloniciens 3, 13. Il signifie proprement « être lâche » et se dit souvent des soldats qui abandonnent leur poste ; au moral il peut se traduire par défaillir. Combien de tristes défaillances sous le rapport de la prière, malgré les fréquentes exhortations parallèles à celle‑ci qu'on rencontre dans les écrits apostoliques (Romains 1, 10 ; Colossiens 4, 12 ; 1 Thessaloniciens 5, 17 ; 2 Thessaloniciens 1, 11. cf. Ecclésiastique 18, 12). « Plusieurs ne prient qu’avec nonchalance, dans la phase de leur conversion: ils ont d’abord de la ferveur, puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence : ils se croient en sûreté. L’ennemi veille : et toi, tu dors… Ne cessons donc pas de prier. Un retard dans ce qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus ». S. Aug. Enarr. in Psaume 65, 24.
Luc 18.2 Il dit : "Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne se souciait pas des hommes. - Après cette petite introduction, la scène s'ouvre, et nous voyons paraître (vv. 2 et 3) les deux principaux acteurs : un troisième personnage, le persécuteur de la veuve, demeure à l'arrière‑plan. - Il y avait dans une ville un juge. D'après la législation mosaïque, Deutéronome 6, 18, chacune des villes de la Palestine devait avoir ses juges et son tribunal local. Divers passages des Évangiles (cf. Matth. 5, 21 et s.) prouvent que cette prescription était encore en vigueur à l'époque de Jésus. - Qui ne craignait pas Dieu… Deux précisions seulement pour caractériser ce juge : mais comme la peinture est achevée. La conscience est morte en lui, puisqu'il ne craint pas Dieu ; mais peut‑être redoutera‑t‑il au moins l'opinion publique, et sera‑t‑il contraint de respecter le droit sous l'influence des jugements humains ? Pas davantage : il ne se souciait pas des hommes. Les deux tables de la Loi n'existent pas pour lui. Quels arrêts arbitraires, iniques, infâmes, seront rendus par un tel juge. Ce cas n'est pas rare en Orient, où bon nombre de « cadis » tout‑puissants, irresponsables, rendaient la justice selon leur bon plaisir et portaient des sentences sans appel. D'ailleurs les classiques emploient parfois ces deux mêmes expressions pour critiquer les juges de la Grèce et de Rome. cf. Hérodote, 2, 133, Tite‑Live, 3, 5.
Luc 18.3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait à lui, disant : Fais-moi justice de mon adversaire. - L'antithèse ne pouvait pas être plus frappante. En face de ce despote impie et sans pudeur, la parabole place une femme, bien plus, une veuve, c'est‑à‑dire, dans toutes les littératures, le type universellement admis de ce qu'il y a de plus faible, de moins à redouter, et en même temps de ce qu'il y a de plus digne de pitié (cf. le mot de Térence : « Que les dieux m’aiment au point que je n’ose pas faire à cette veuve ce qu’elle m’a fait ». Aussi le Législateur et les Prophètes juifs signalent‑ils l'oppression des veuves comme une des formes les plus odieuses de la tyrannie. cf. Exode 22, 22 ; Deutéronome 10, 18 ; 27, 19 ; Isaïe 1, 17, 23 ; Ézéchiel 22, 7 ; Malachie 3, 5 ; etc. - Qui venait auprès de lui. L'imparfait est à noter, car il indique un fait souvent réitéré : « elle venait souvent » (Grotius). - Fais‑moi justice. La phrase du grec est toute juridique. L'adversaire ne désigne pas un ennemi quelconque, mais la partie adverse dans une affaire litigieuse. Ici, l'adversaire est supposé injuste, influent, décidé à fouler aux pieds le droit de la veuve, si rien ne l'en empêche. « Cette même veuve peut très‑bien être considérée comme l'image de l’Église : celle‑ci est dans la désolation jusqu'à la venue du Seigneur, qui cependant la protège maintenant encore d'une manière mystérieuse », S. Augustin, Quaest. Evang. 2, q. 45. Elle a pour adversaires le monde et le démon.
Luc 18. 4 Et pendant longtemps il ne le voulut pas, mais ensuite il dit en lui-même : même si je ne crains pas Dieu et ne me soucie pas des hommes, 5 cependant, parce que cette veuve m'importune, je lui ferai justice, afin qu'elle ne vienne pas sans cesse me tourmenter. - il ne voulut pas. Chacun des deux acteurs demeura ainsi dans son rôle pendant longtemps. Le juge dont on a tracé plus haut le portrait s'inquiétait bien peu des plaintes et des larmes d'une veuve sans crédit. Son délai à rendre justice figure les retards que Dieu met parfois à exaucer nos requêtes, quoique « s'il arrive le contraire de ce que nous avons souhaité, nous devons le supporter patiemment, rendre grâces à Dieu en toutes choses, et reconnaître que la volonté de Dieu a été meilleure pour nous que ne l'eût été notre propre volonté. ». S. Aug. lettre 130. Il sera pourtant vaincu dans cette lutte qui paraît inégale. - Mais ensuite il dit en lui‑même… Voici que tout à coup le juge tient conseil avec lui‑même. Monologue triste mais trop réel de l'histoire du cœur humain. Il commence par une horrible profession de foi, écho vivant de la description anticipée de Jésus (v. 2) : même si je ne crains pas Dieu… C'est avec la même arrogance sacrilège que parlent les Cyclopes dans Homère, Odyss. 9, 275-278. - La particule cependant va donner au discours une direction qu'on n'oserait attendre après un tel exorde. Elle introduit le motif par lequel le juge inique s'excuse en quelque sorte de manquer de constance. Motif très noble assurément. Parce que cette veuve m'importune. Elle l'ennuie dans le présent, et elle finira par lui « casser la tête » (non pas au sens propre, mais au sens métaphorique).
Luc 18 6 Entendez, ajouta le Seigneur, ce que dit ce juge inique. 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient à lui nuit et jour et il tarderait à leur égard ? - Le ajouta le Seigneur. S. Luc interrompt momentanément par cette formule le récit du Sauveur, pour mieux mettre en relief l'antithèse qui va suivre, vv. 6 et 7, et qui contient l'application de la parabole. - Entendez ce que dit ce juge… A première vue il semble qu'il eût été plus naturel de dire : Voyez ce qu'a fait cette veuve et imitez‑la. Mais il y a précisément dans ce tour rapide, inattendu, quelque chose qui frappe l'attention, et qui fortifie beaucoup la pensée. - Et Dieu ne ferait pas justice… Quelle juxtaposition hardie. Dieu, la souveraine justice et la souveraine bonté ainsi comparé à un monstre d'iniquité. Toutefois, l'argumentation de Jésus n'en sera que plus irrésistible. « Si donc il l'exauça, quoiqu'il trouvât ses réclamations si importunes, comment ne nous exaucerait pas Celui qui nous presse de le prier? » S. August., Serm 115, 1. Et puis, ceux que Dieu exauce de la sorte sont ses élus (ce mot apparaît ici pour la première fois dans S. Luc), c'est‑à‑dire ses enfants de choix, qu'il aime de toute éternité d'un amour infini ; enfin, comme la veuve de la parabole, ils implorent constamment son secours contre leurs ennemis : ils font donc à son cœur une sainte violence. Remarquez l'énergie du verbe crier ; le verbe grec correspondant a une force plus grande encore.
Luc 18.8 Je vous le dis, il leur fera bientôt justice. Seulement, quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ?" - Je vous le dis : assertion pleine de solennité, comme de coutume. Jésus, répondant à sa propre question (v. 7), affirme que Dieu ne manquera pas de faire justice à ses amis. Promptement (ou bientôt) ne signifie pourtant pas qu'ils seront exaucés dès leur première demande, ce qui serait contraire au but de la parabole, mais que la grâce leur arrivera aussitôt que le moment en sera marqué dans le plan providentiel. Cette heure venue, il n'y aura pas un instant de retard. cf. 2 Pierre 3, 8 ; S. Aug. Enarr. in Psaume 91, 6. ; Ecclésiastique 35, 21 et ss.). - Seulement, quand le Fils de l'homme viendra… Transition à la pensée finale, cri douloureux qui s'échappe du cœur de Jésus ; quand il aura fait son apparition glorieuse à la fin des temps. cf. 17, 24-37. - Trouvera-t-il… « Par cette question oratoire, il dit que sont rares ceux qu’on peut trouver fidèles sur la terre », Theophylacte. - trouvera-t-il la foi sur la terre. « Sur la terre », par opposition au ciel d'où il viendra. « La foi », c'est‑à‑dire cette confiance spéciale dont il a parlé dans la parabole, et sans laquelle il n'y a pas de prière persévérante. C'est habituellement au manque de foi qu'il faut attribuer la défaillance dans la prière. « Si nous perdons la foi, la prière disparaît ; en effet, qui prie sans croire ? » S. August. de Verb. Dom. Serm. 36. Sur la défection d'un grand nombre de croyants aux derniers jours, voyez Matth. 24, 12, 24 ; 2 Thessaloniciens 2, 3 ; 1 Pierre 3, 3-4.
Luc 18.9 Il dit encore cette parabole en vue de quelques gens persuadés de leur propre perfection et pleins de mépris pour les autres : - Ici encore le but de l'instruction est nettement indiqué d'avance. Les auditeurs que Jésus avait spécialement en vue, Pharisiens selon les uns, plus probablement, selon les autres, disciples imbus de l'esprit pharisaïque, manifestaient les deux grands symptômes d'une des plus graves maladies morales, l'orgueil, et Jésus désirait les guérir. - Persuadés de leur propre perfection… : A leurs propres yeux, ils étaient des saints. - Pleins de mépris pour les autres. Le verbe grec que S. Luc est le seul à employer parmi les évangélistes (cf. 23, 11) signifie proprement « anéantir, traiter de néant ». L'idée de sa propre excellence et le mépris des autres vont ensemble, aussi bien que l'humilité et la charité. A ces orgueilleux, Jésus va montrer de la manière la plus dramatique l'horreur qu'ils inspirent à Dieu. - On peut voir, dans le Pharisien et dans le publicain de notre parabole, la figure des réprouvés de Dieu et des Païens reçus en grâce. S. Augustin développe une réflexion où il critique ceux des juifs qui refusèrent Jésus. Certains Juifs se vantaient de leurs mérites, alors que certains païens confessèrent leurs péchés. Enarr. in Psaume 74, 8. cf. Hug de S. Victor, Annot. in Luc. h. l.
Luc 18.10 "Deux hommes montèrent au temple pour prier, l'un était Pharisien, l'autre publicain. - Deux hommes. Ces deux personnages sont des types bien connus, choisis aux antipodes de la société juive contemporaine de Notre‑Seigneur. Le premier, Pharisien, représente la perfection des mœurs, l'orthodoxie complète de la foi : l'autre, publicain, la démoralisation et l'indifférence religieuse. Autant celui‑là était estimé, vénéré, autant celui‑ci était souverainement méprisé. - Ils montèrent au temple pour prier. Le temple était en effet, comme nos églises, « une maison de prières », 19, 46, et les pieux Israélites aimaient à s'y rendre pour invoquer Dieu, spécialement à certaines heures consacrées, telles qu'étaient celles de l'encensement, du sacrifice quotidien. Le verbe « monter » est d'une parfaite exactitude topologique, car le temple était bâti sur le mont Moria.
Luc 18.11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : O Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni encore comme ce publicain. - Deux portraits vont mettre sous nos yeux le Pharisien et le publicain en prières. Les touches sont peu nombreuses, mais avec quelle finesse psychologique elles ont été choisies. - Le Pharisien, debout... Les deux priants sont debout (cf. v. 13) conformément à l'usage qui prévalait chez les Juifs (cf. 1 Rois 8, 22 ; 2 Chroniques 6, 12 ; Marc. 11, 25 etc.) ; mais il est difficile de ne pas voir une intention particulière dans les expressions différentes qu'emploie le divin narrateur, d'après le texte grec, pour décrire cette attitude ; ici, le verbe est plein d'emphase, et semble indiquer une posture hardie, affectée. cf. Matth. 6, 5. Divers exégètes nous montrent le Pharisien superbe s'isolant à dessein de la foule des suppliants pour éviter leur contact qui pouvait le souiller. - O Dieu, je vous rends grâces. Ce début est irréprochable, car l'action de grâces est une partie essentielle de la prière ; malheureusement, sous prétexte d'exprimer à Dieu sa reconnaissance, c'est son éloge personnel que fait ensuite le Pharisien dans les termes les plus audacieux. « Que demande‑t‑il donc à Dieu? Qu'on examine ses paroles, et on ne le trouvera pas. Il est monté pour prier ; mais au lieu de prier Dieu, il se loue », S. Aug. Serm 115. Il divise l'humanité en deux catégories, de manière à former à lui seul la première, qui est évidemment toute parfaite, tandis qu'il jette avec dédain « le reste des hommes » dans la seconde. Et que sont, pour lui, les autres hommes ? Il les caractérise à l'aide de trois épithètes qui désignent trois des vices les plus honteux : voleurs, injustes, adultères. Puis, ses regards s'étant alors arrêtés sur l'humble publicain qui priait à distance, il le mêle à sa prétendue prière, se servant de lui comme d'un fond obscur sur lequel les brillantes couleurs de ses propres vertus ne devaient que plus splendidement ressortir. « Ce n’est plus là se réjouir, c’est insulter » S. Augustin, Enarr. 1 in Psaume 70, 2.
Luc 18.12 Je jeûne deux fois la semaine, je paie la dîme de tous mes revenus." - Le Pharisien passe maintenant de l'éloge de sa personne à celui de ses œuvres : c'est le côté positif de sa sainteté après le côté négatif. Il mentionne avec complaisance deux œuvres de surérogation qu'il accomplit. 1° Je jeûne deux fois la semaine. La loi n'avait institué qu'un jeûne annuel (Lévitique 26, 29-31 ; Nombres 29, 7.) ; mais c'était assez l'usage pour quiconque faisait profession de piété en Israël, comme aussi pour quiconque voulait se donner des aires de piété, de jeûner deux fois par semaine. cf. Taanith, f. 54, 3. Ailleurs déjà, Matth. 6, 16, Jésus a dépeint l'affectation avec laquelle les Pharisiens pratiquaient le jeûne. Au reste, disaient‑ils, « le jeûne l'emporte sur l'aumône, car l'aumône n'atteint que notre bourse, tandis que le jeûne retombe sur notre corps ». R. Eliézer, Berach. f. 32, 2. - 2° Je paie la dîme... C'était la dîme universelle, au lieu de la dîme restreinte ordonnée par le Législateur, laquelle ne concernait que les produits des champs et du bétail (voyez Matth. 23, 23 et le commentaire). - Encore une fois, quelle prière. Ne dirait‑on pas un créancier qui rappelle ses droits à son débiteur ? Mais de telles dispositions n'étaient pas rares dans le monde pharisaïque ; témoin cette autre prière que Rabbi Nechunia ben Hakana avait coutume de faire au sortir de son cours : « Je vous remercie, Seigneur mon Dieu, de ce que ma part m'a été assignée parmi ceux qui visitent la maison de la science, et non parmi ceux qui travaillent au coin des rues ; car je me lève de bonne heure et ils se lèvent de bonne heure : des l'aurore je m'applique aux paroles de la loi mais eux à des choses vaines ; je travaille et ils travaillent : je travaille et je reçois une récompense, ils travaillent et ils n'en reçoivent aucune ; je cours et ils courent : je cours à la vie éternelle, tandis qu'ils courent vers l'abîme ». Berachoth, f. 28, 2. Que ne mettaient‑ils en pratique cette belle recommandation des Piké Aboth, 2, 13 : « Quand tu pries, ne fais pas étalage de tes bonnes actions, mais prie pour obtenir miséricorde, et pour demander la grâce de Dieu ».
Luc 18.13 Le publicain, se tenant à distance, ne voulait pas même lever les yeux au ciel, mais il frappait sa poitrine en disant : O Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur. - Admirable contraste. C'est, de toutes manières, le tableau d'une parfaite humilité. 1° Dans le choix du lieu : Il s'est placé loin du sanctuaire, près duquel au contraire se tient le Pharisien orgueilleux. 2° Dans l'attitude : Il n'osait pas même lever les yeux au ciel : il n'osa pas même, tant était vif le sentiment de sa misère, se permettre ce geste si naturel aux suppliants (cf. Psaume 123, 12). cf. ce passage de Tacite, Hist. 4, 72 : « Il se tenait debout, attristé par la conscience qu’il avait de son crime, les yeux fixés par terre. ». De plus, il se frappait la poitrine, à la façon des vrais pénitents de tous les âges (cf. 8, 52). 3° Dans sa prière même, si différente de celle du Pharisien, profond soupir qui part d'un cœur contrit et humilié : Ayez pitié de moi, moi, le pécheur par excellence. C'était beaucoup dire en peu de mots ; en effet, « Celui qui se reconnaît un humble pécheur prie Dieu suffisamment, et plaide assez éloquemment sa cause devant le tribunal de sa conscience » (Maldonat).
Luc 18.14 Je vous le dis, celui-ci descendit justifié dans sa maison, plutôt que celui-là, car quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé." - Je vous le dis : cf. v. 8. Conclusion pleine de majesté sur les lèvres du Fils de l'homme : Je vous l'affirme, car je le sais. - Celui‑ci descendit justifié : Le publicain rentra donc chez lui (dans sa maison, détail pittoresque) pur de tout péché : son humble prière avait percé les nuées, sa contrition avait été un sacrifice propitiatoire d'agréable odeur. Le Pharisien aussi quitte le temple, sans doute avec la conscience d'avoir grandement honoré Dieu et accru la somme de ses mérites. Mais quel arrêt terrible est porté contre lui dans l'euphémisme plutôt que l'autre. Car cela revient évidemment à dire qu'il est revenu réprouvé. « L'orgueil du Pharisien est descendu réprouvé du temple, et l'humilité du publicain s'est élevée devant les yeux de Dieu, qui l'a approuvée » S. Augustin, cf. Euthymius, h. l. - Car quiconque s'élève… Jésus aime à clore ses paraboles par un axiome moral, qui rattache une instruction particulière au vaste ensemble de la philosophie chrétienne. Celui qu'il cite actuellement nous est déjà connu (cf. 14, 11 ; Matth. 23, 12) ; mais il n'était pas possible de le répéter plus à propos.
Luc 18.15 Des personnes lui apportaient aussi leurs petits enfants pour qu'il les touchât, ce que voyant, ses disciples les réprimandèrent. - Leurs petits enfants : Dans le grec, des « nourrissons » (cf. 2, 16), expression propre à S. Luc, et moins générale que « enfants » des deux autres évangélistes. C'étaient donc de tout petits enfants que des mères avaient apportés à Jésus pour qu'il les bénît. - Ses disciples les réprimandèrent. Les disciples ne voyaient en cela qu'une démarche importune, dont ils voulurent délivrer leur Maître. L'imparfait dénote la continuité de l'acte. Aux efforts répétés des mères pour s'approcher du Sauveur, on opposait des menaces répétées.
Luc 18. 16 Mais Jésus appela ces enfants et dit : "Laissez les petits enfants venir à moi et ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. 17 En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera pas." - Jésus appela ces enfants et dit... Ce beau détail est propre à S. Luc. - A l'action le divin ami des petits enfants joint la parole : Laissez...venir à moi… Il indique ensuite pourquoi il lui est si agréable de se voir entouré de cette troupe innocente. Puis, profitant de cette occasion pour donner un grave enseignement aux disciples, il prend à témoin la divine vérité (je vous le dis) que non‑seulement le royaume des cieux appartient aux enfants, mais qu'ils n'appartient qu'à eux seuls et à leurs semblables. Sur ces paroles, pour lesquelles il y a une coïncidence verbale entre S. Luc et S. Marc, voyez notre commentaire. S. Luc n'achève pas la scène : « Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains. » Marc 10, 16.
Voyez dans S. Matthieu et dans S. Marc des détails plus complets, plus précis, plus dramatiques. S. Luc abrège et condense les faits : comme ci‑dessus, il se rapproche davantage du second synoptique en citant les paroles de Jésus. Pour le fond de l'explication, nous renvoyons le lecteur à nos commentaires des deux premiers Évangiles.
Luc 18.18 Alors un chef lui demanda : "Bon Maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ?" - La désignation « un chef » est une particularité de notre évangéliste (Matth. et Marc ont simplement : quelqu'un) ; mais on a de la peine à en bien déterminer le sens. D'après quelques‑uns, elle équivaudrait à « membre du Sanhédrin » . Lui laissant sa généralité, nous conclurons simplement que le héros de cette histoire jouissait d'une haute position en même temps que d'une grande fortune (vv. 23). - Ce jeune homme désirait ardemment le salut, mais il sentait que, pour l'obtenir, le trésor de ses bonnes œuvres était encore insuffisant : il était donc à la recherche de quelque action généreuse capable de lui assurer ce céleste héritage, et il avait pensé que Jésus pourrait la lui indiquer.
Luc 18.19 Jésus lui dit : "Pourquoi m'appelles-tu bon ? Il n'y a de bon que Dieu seul. - Notre‑Seigneur, au début de sa réponse, semble traiter d'une manière bien sévère un homme qui l'interrogeait avec candeur et humilité. Mais il voulait éviter tout malentendu, et montrer à son interlocuteur qu'il n'acceptait pas le titre de Bon Maître dans un sens commun, comme s'il eût été un simple Docteur juif. - Nul n'est bon, si ce n'est Dieu. Assertion claire comme le jour, si l'on envisage, et c'est le cas, toute l'étendue de la bonté. cf. le mot de Platon, Phèdre 27 : « Être un homme bon est impossible ; Dieu seul peut avoir cet honneur ». cf. 1 Jean 3, 5.
Luc 18.20 Tu connais les commandements : Ne commets pas l'adultère, ne tue pas, ne dérobe pas, ne porte pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère." - Le décalogue, tel est le chemin qui le conduira droit au ciel.
Luc 18.21 Il répondit : "J'ai observé tout cela depuis ma jeunesse." - Cette réponse dénote la surprise. Quoi. Me suffirait‑il de n'être ni adultère, ni homicide, ni voleur ? Mais c'est là une perfection banale, que j'ai pratiquée toute ma vie.
Luc 18.22 Ayant entendu cette réponse, Jésus lui dit : "Une chose te manque encore : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi." - Il demande un acte héroïque, Jésus le lui indiquera. Qu'il renonce à tout pour suivre le « bon Maître ». Par ce généreux sacrifice il rendra son salut moralement certain.
Luc 18.23 Mais lui, ayant entendu ces paroles, devint triste, parce qu'il était fort riche. - C'était trop pour sa vertu : il voulait les choses du ciel, mais à condition de ne pas abandonner celles de la terre. - Devint triste: Le texte grec marque un sentiment de tristesse poignante.
Luc 18.24 Voyant qu'il était devenu triste, Jésus dit : "Qu'il est difficile à ceux qui possèdent la richesse d'entrer dans le royaume de Dieu. 25 Il est, en effet, plus facile qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu." - Jésus aussi fut attristé, car il avait conçu, comme le raconte S. Marc, 10, 21, une vive affection pour ce jeune homme. - Qu'il est difficile… Notre‑Seigneur ne fit cette réflexion qu'après le départ du jeune homme riche. Les païens eux‑mêmes admettaient que « ceux qui sont très riches ne sont pas bons ». Stobée, 93, 27. - Voyez dans S. Matth., l'explication du célèbre proverbe il est plus facile à un chameau..., qui nous représente une véritable impossibilité humaine. « Le Seigneur eût‑il nommé une mouche au lieu d'un chameau, que la chose serait encore impossible », dit S. Augustin. D'après l'Évangile apocryphe « selon les Hébreux », Jésus se serait alors adressé d'une manière plus spéciale à S. Pierre.
Luc 18.26 Ceux qui l'écoutaient dirent : "Qui peut donc être sauvé ?" 27 Il répondit : "Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu." - Ceux qui l'écoutaient : c'est‑à‑dire les disciples, d'après le contexte (v. 28). cf. Matth. et Marc. Jésus les rassura en dirigeant leurs pensées vers la toute‑puissance de Dieu, si fréquemment célébrée dans les Saintes Écritures ; Jérémie 32, 17 ; Zacharie 8, 6 ; Job. 41, 2, etc.
Luc 18.28 Pierre dit alors : "Voyez, nous avons tout quitté et vous avons suivi." - L'ardent et généreux S. Pierre prend alors la parole au nom des Douze (cf. Matth. 19, 28), pour rappeler à Jésus dans un élan d'amour (nullement par vaine complaisance, comme le disent quelques protestants) avec quelle joie ils ont tout quitté pour s'attacher à lui.
Luc 18.29 Il leur dit : "Je vous le dis, en vérité, nul n'aura quitté sa maison, ou ses parents, ou ses frères, ou son épouse, ou ses enfants, à cause du royaume de Dieu, 30 sans qu'il ne reçoive beaucoup plus en ce temps même et dans le monde à venir la vie éternelle." - Quelles splendides espérances. La nature de l'acte méritoire est d'abord indiquée : quitter sa maison, ou ses parents, ou ses frères (d'après les autres synoptiques, Jésus mentionne séparément les frères et les sœurs, et, à leur suite, le père et la mère ; il clôt la nomenclature par les champs)… Nous apprenons ensuite le motif qui doit inspirer ce renoncement universel : pour le royaume de Dieu ; il doit être pur et surnaturel. Enfin la récompense est décrite en peu de mots ; elle est promise soit pour le temps présent, évidemment, « non pas en même espèce, mais en mérite et en valeur » D. Calmet ; soit pour la vie future.
Luc 18, 31-34 = Mth 20, 17-19 Mc 10, 32-34.
Luc 18.31 Ensuite Jésus prit à part les Douze et leur dit : "Voici que nous montons à Jérusalem et que va s'accomplir tout ce que les prophètes ont écrit du Fils de l'homme. - Notre‑Seigneur prend à part les Douze, pour leur réitérer la triste nouvelle qu'il leur avait annoncée déjà plusieurs fois (cf. 9, 22, 44 ; 17, 25). Elle allait bientôt s'accomplir, et il voulait préparer encore les siens au grand scandale de la croix. - Tout ce que les prophètes ont écrit… va s'accomplir. Cette idée générale, qui introduit solennellement les détails de la Passion (vv. 32 et 33), est propre au troisième Évangile. Jésus embrassait alors d'un seul regard toutes les prophéties de l'Ancien Testament relatives au Christ souffrant, entre autres les suivantes : Psaume 16, 10 ; 21, 7-8 ; 49, 15 ; Isaïe 53 ; Daniel 9, 26 ; Zacharie 11, 12 et ss. ; 12, 10 ; 13, 7.
Luc 18.32 Il sera livré aux païens et moqué et injurié et couvert de crachats, 33 et après l'avoir flagellé, on le mettra à mort et il ressuscitera le troisième jour." - Voyez l'explication détaillée dans nos commentaires sur S. Matthieu et sur S. Marc. Il n'est pas sans intérêt de noter que S. Luc, l'évangéliste des Païens, ne fait ici aucune mention du rôle joué par les Sanhédrins dans la Passion de Notre‑Seigneur, et passe immédiatement à celui des païens : il sera livré aux Païens (c'est‑à‑dire aux Romains). - On le flagellera. détail spécial. - On le fera mourir. S. Matthieu est seul à nommer explicitement le genre de mort. - Et le troisième jour… La douloureuse énumération se termine d'une manière inattendue par une perspective de bonheur et de gloire.
Luc 18.34 Mais ils ne comprirent rien à cela, c'était pour eux un langage caché, dont ils ne saisissaient pas le sens. - Mais ils ne comprirent rien… Cette fine observation psychologique est encore une particularité de S. Luc. Mais nous l'avons déjà rencontrée plus haut (9, 45 ; voyez le commentaire) à l'occasion d'une prédiction semblable. - Ce langage leur était caché. Expression pittoresque. - Et ils ne saisissaient pas. Répétition dont Fr. Luc explique très bien la portée : « La répétition de ces pléonasmes nous enseigne à quel point les apôtres étaient réfractaires à l’idée même de la mort de Jésus ». Les apôtres avaient, à propos du Messie, des idées fixes qui les aveuglaient. Rien ne dévoile mieux, sous ce rapport, l'état de leur âme que les visées ambitieuses des fils de Zébédée, qui se firent jour immédiatement après cette prophétie du Sauveur, dans un scène omise par S. Luc, mais racontée par les deux autres évangélistes. L'on comprend que Jésus ait eu à cœur d'étouffer ces espérances terrestres.
Luc 18, 35-43 = Mth 20, 29-34 ; Mc 10, 46-52.
Luc 18.35 Comme Jésus approchait de Jéricho, il arriva qu'un aveugle était assis sur le bord du chemin, demandant l'aumône. - C'était alors le 7 ou le 8 nisan, une semaine environ avant la mort de Notre‑Seigneur. Sur les antilogies apparentes des récits évangéliques à propos de ce miracle, voyez S. Matth. L'exégèse est impuissante à résoudre le problème d'une manière entièrement satisfaisante, malgré les nombreux systèmes d'harmonie (on en compte au moins une quinzaine) proposés tour à tour par les apologistes ; mais aucun homme sérieux, même dans le camp rationaliste, n'oserait en induire aujourd'hui le défaut de véracité des Évangiles.
Luc 18.36 Entendant passer beaucoup de gens, il demanda ce que c'était. - La foule qui se pressait sur les pas de Jésus était sans doute en grande partie composée de pèlerins, qui allaient à Jérusalem pour la Pâque. - Il demanda ce que c'était : Détail propre à S. Luc.
Luc 18. 37 On lui dit : "C'est Jésus de Nazareth qui passe." 38 Aussitôt il s'écria : "Jésus, fils de David, ayez pitié de moi." - La foule désigne simplement le Sauveur par son nom populaire, « Jésus de Nazareth » (v. 37). L'aveugle plein de foi lui donne sans hésiter son vrai titre, « Fils de David », c'est‑à‑dire Messie. cf. Matth. 1, 1 ; 9, 27 et le commentaire.
Luc 18.39 Ceux qui marchaient devant le réprimandèrent pour le faire taire, mais il criait beaucoup plus fort : "Fils de David, ayez pitié de moi." - Ceux qui marchaient en avant, c'est‑à‑dire ceux qui étaient en tête du cortège. Ce détail est spécial au troisième Évangile. - Comme précédemment les apôtres (v. 18), ces gens voulaient débarrasser Jésus d'un mendiant importun. L'intention était bonne ; mais qu'ils connaissaient mal celui qu'ils prétendaient protéger de la sorte.
Luc 18.40 Alors Jésus s'arrêtant, commanda qu'on le lui amenât et quand l'aveugle se fut approché, il lui demanda : - Jésus ordonna qu'on le lui amenât. Détail pittoresque, bien naturel dans la circonstance, et propre à S. Luc. S. Marc raconte comment l'aveugle sut courir lui‑même auprès de Jésus.
Luc 18.41 "Que veux-tu que je te fasse ?" Il dit : "Seigneur, que je voie." - Que je voie. Ainsi interpellé, ce n'est plus une vague prière qu'il adresse à Jésus : il le conjure instamment de lui rendre la vue.
Luc 18. 42 Et Jésus lui dit : "Vois. Ta foi t'a sauvé." 43 À l'instant il vit et il le suivait en glorifiant Dieu. Et tout le peuple, voyant cela, donna louange à Dieu. - Vois est encore une particularité de S. Luc. - De même en glorifiant Dieu, et tout le peuple… rendit gloire à Dieu. On a remarqué que notre évangéliste aime à signaler les sentiments de reconnaissance auxquels donnaient lieu les miracles du Sauveur. cf. 5, 26 ; 7, 17 ; 9, 43 ; 13, 37 ; 17, 15 ; 23, 47.
CHAPITRE 19
Luc 19.1 Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville. - Jésus avait fait son entrée dans la ville et (telle est la force de l'imparfait) il était alors occupé à la traverser. Il semble que, sans la rencontre intéressante qu'il fit bientôt, il ne se serait pas arrêté cette fois à Jéricho. C'est à tort que plusieurs exégètes (Stier, Schegg) donnent à « traversait » le sens du prétérit, et supposent que la scène suivante se passa en dehors des murs.
Luc 19.2 Et voilà qu'un homme appelé Zachée, c'était un chef de publicains et il était riche, - Et voilà. L'adverbe favori de S. Matthieu ne pouvait être mieux employé. « Luc attire l’attention du lecteur sur la chose admirable qu’il a l’intention de raconter », F. Luc. - Le héros de cette histoire est décrit par son nom, par sa profession, par sa condition. - 1° Un homme nommé Zachée. Le mot grec correspondant à « homme » (de même au v. 7) indique d'avance un personnage d'une certaine distinction. Zachée, nom hébreu avec une terminaison grecque ou latine. Il signifie « pur » (cf. l'antique dénomination chrétienne « Innocent »), et apparaît de temps en temps soit dans la Bible (Esdras 2, 9 ; Néhémie 7, 14, etc.), soit dans le Talmud. - Il était chef des publicains. Le mot grec correspondant ne se trouve nulle part ailleurs ; aussi est‑il difficile de déterminer au juste sa valeur. Peut‑être désigne‑t‑il le receveur général du district, ayant sous lui tous les collecteurs ; mais il est possible aussi qu'il représente un titre moins élevé, tel que seraient ceux de contrôleur, ou de brigadier des douanes. Lieu de grand transit par sa situation, et d'immenses ressources agricoles par la fertilité de ses terres (son baume surtout et ses fruits étaient exportés au loin ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 14, 4, 1 ; 15, 4, 2 ; Justin, Hist. 36, 3 ; Pline, hist. Nat. 12, 54), Jéricho avait naturellement dans ses murs une petite armée de publicains. - Et fort riche… La suite du récit (v. 8) permet d'induire qu'il s'était enrichi dans l'exercice de sa profession.
Luc 19.3 cherchait à voir qui était Jésus et il ne le pouvait à cause de la foule, car il était de petite taille. Charmants détails, naïvement dépeints. Il cherchait : le temps indique des efforts réitérés, mais constamment frustrés… A voir qui était Jésus ; c'est‑à‑dire, d'après Maldonat et plusieurs autres « à le distinguer dans cette foule compacte et confuse » ; plus simplement et beaucoup mieux, croyons‑nous, « Que disaient de lui son visage et sa façon de se vêtir ? ». Désir bien légitime, en toute hypothèse, car on aime à connaître de visu les hommes célèbres, et Jésus avait alors une réputation sans pareille. Mais, comme nous le disent les Pères, ce n'était pas uniquement la curiosité naturelle qui portait Zachée à contempler de près Notre‑Seigneur : un commencement de foi s'agitait dans son cœur envers Celui qu'il savait être, au rebours du sentiment universel, l'ami dévoué des publicains. « Une semence de salut se multipliait en lui parce qu’il désirait voir Jésus », Titus Bostr. (Cat. D. Thom.).
Luc 19.4 Courant donc en avant, il monta sur un sycomore pour le voir, parce qu'il devait passer par là. - Le récit devient de plus en plus pittoresque, comme la scène même. Les obstacles ne faisant qu'aviver les saints désirs de Zachée, il se précipite vers un endroit où il prévoit que le cortège devra passer. Il monta sur un sycomore. Il ne faut pas entendre par là notre faux sycomore de l'Occident, mais le « ficus sycomorus » ou « ficus Ægyptia », qui tient tout ensemble et du figuier et du mûrier, comme l'exprime son nom : du figuier par les fruits, du mûrier par les feuilles. Il ne croît que dans les parties les plus chaudes de la Palestine, spécialement dans la profonde et tropicale vallée du Jourdain. cf. 1 Rois 10, 27 ; 2 Chroniques 1, 15 ; Amos 7. Il est facile de grimper dessus, grâce à son tronc court, et à ses larges branches latérales, qui s'écartent dans toutes les directions. - Car il devait passer par là. Le rationaliste Keim, dans son Jesu von Nazara, t. 3, p. 17, proteste contre l'invraisemblance de ce détail, d'où il conclut que tout l'épisode de Zachée est légendaire : nous pensons au contraire qu'on n'invente pas de tels détails.
Luc 19.5 Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l'ayant vu, il lui dit : "Zachée, descends vite, car il faut que je loge aujourd'hui dans ta maison." - Jésus leva les yeux. Autre détail pittoresque. Celui qui avait lu surnaturellement dans le cœur de Nathanaël malgré l'épais feuillage d'un figuier (Jean 1, 48), lit de la même manière dans l'âme de Zachée malgré l'ombre du sycomore. « Jésus… n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui‑même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme », Jean 2, 25. - Il lui dit : Zachée. Déjà il le connaît. Quelqu'un de l'assistance le lui aurait nommé, d'après Paulus. Idée mesquine. Comme si le bon Pasteur ne savait pas les noms de ses brebis. Jean 10, 3. « L'impression que nous recevons du récit est favorable à la supposition que Jésus reconnut Zachée par une espèce d'intuition immédiate et miraculeuse : il lisait dans ses yeux ce qu'aucun autre ne pouvait y voir », dit très bien M. Reuss (Hist. Évang. p. 542), qui est bon exégète quand il n'est pas en proie à ses préjugés rationalistes. - Car aujourd'hui, placé en avant avec emphase, explique le descends vite : c'est une hospitalité immédiate que demande Jésus. - Il faut que je demeure… La maison de Zachée devait être ce jour‑là le lieu de repos du Sauveur, d'après les desseins providentiels de Dieu son Père. Jésus s'invite d'une façon toute royale : nulle part ailleurs dans l'Évangile nous ne le voyons agir ainsi, circonstance qui relève l'honneur fait au publicain de Jéricho. Heureux Zachée. « Tu voulais me voir passer, et aujourd'hui même tu me trouveras en repos chez toi », S. August. Serm. 113. Mais, continue le même Père, « Il a reçu le Christ dans sa maison, car il habitait déjà dans son cœur ». Au reste, « Même si Jésus n’avait pas entendu la voix de celui qui l’invitait, il aurait quand même vu la disposition de son âme », S. Ambroise, h. l.
Luc 19.6 Zachée se hâta de descendre et le reçut avec joie. - Zachée se hâta : Écho de l'ordre donné par Jésus, v. 5. On conçoit du reste ce joyeux empressement. Que de choses dans les quelques paroles de ce verset. S. Ambroise nous montre Zachée tombant du sycomore comme un fruit mûr, dès la moindre secousse imprimée à l'arbre par Jésus. « Zachée dans le sycomore, est le nouvel arbre fruitier d’un nouveau temps », Expos. in Luc, 9, 90.
Luc 19.7 Voyant cela, ils murmuraient tous en disant : "Il est allé loger chez un pécheur." - Tout le monde ne partagea pas le bonheur de Zachée, qui fit au contraire une multitude d'envieux. Les murmures furent unanimes et se prolongèrent longtemps. - Il était allé loger chez un pécheur. Il y avait à Jéricho, ville sacerdotale, un très grand nombre de prêtres (cf. Mth 10, 31 et le commentaire), presque autant qu'à Jérusalem, dit le Talmud, et, au lieu de demander à l'un d'eux l'hospitalité, Jésus établissait sa résidence chez un publicain abhorré, dont la profession était regardée par les Juifs comme un crime insigne.
Luc 19.8 Mais Zachée, se présentant devant le Seigneur, lui dit : "Voici, Seigneur, que je donne aux pauvres la moitié de mes biens et si j'ai fait tort de quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple." - Cette scène touchante ne se serait passée, d'après divers commentateurs (Olshausen, Schleiermacher, etc.) que le lendemain matin, au moment où Jésus se mettait en route pour Jérusalem. Il est beaucoup plus naturel de la placer soit immédiatement, dans la rue même, en face des insulteurs, soit peu de temps après l'entrée du Sauveur chez son hôte, par exemple à la fin du repas du soir (cf. l'expression aujourd'hui des vv. 5 et 9). Zachée, debout devant Jésus, émet publiquement un vœu généreux, indice de sa complète conversion. C'est à tort qu'on a vu parfois dans l'emploi du temps présent l'énonciation d'un fait antérieur et habituel, comme si Zachée eût voulu dire : Seigneur, je suis moins mauvais qu'on le croit : voyez quelles sont mes pratiques habituelles. Je donne… je restitue… De l'avis à peu près universel, le présent est mis pour le futur, en signe du caractère inébranlable et de l'exécution prochaine de la résolution. La chose est si sûre qu'on peut la regarder moralement comme déjà faite. - Je donne la moitié de mes biens. De la part d'un homme riche, c'était un sacrifice énorme. « Voici que le chameau, après avoir déposé le fardeau de sa bosse, passe à travers le trou de l’aiguille. C’est‑à‑dire que, après avoir rejeté l’amour des richesses et foulé aux pieds la fraude, il reçoit la bénédiction de l’accueil du Seigneur », Bède le Vénérable . - Et si j'ai fait tort à quelqu'un. Dans le grec : extorquer de l'argent au moyen de fausses accusation. cf. 3, 14 et le commentaire. La locution et si serait‑elle une sorte d'euphémisme derrière lequel Zachée masquerait à demi ses fautes ? Les exégètes modernes l'ont souvent affirmé, quoique bien à tort, selon nous. Quel intérêt Zachée avait‑il à ne pas faire alors une confession humble et complète ? Nous supposons donc, d'après son langage, qu'il n'a pas conscience d'avoir lésé volontairement les droits du prochain. Mais il sait combien ses fonctions sont délicates, et avec quelle facilité l'injustice matérielle, sinon formelle, peut s'y glisser (cf. le proverbe italien : Il n'y a pas de grand fleuve où il ne soit entré un peu d'eau trouble) : il est prêt à réparer tous ses torts, si on lui en découvre. Et avec quelle générosité il les réparera. Je lui rends le quadruple. La loi juive n'exigeait cette restitution au quadruple qu'en certains cas, par ex. quand l'objet volé avait été aliéné par le voleur ou avait péri chez lui (Exode 22, 1) ; ordinairement on n'était condamné à restituer que le double (Exode 22, 4-9), et même, quand on restituait spontanément, il suffisait d'ajouter un cinquième en sus de la valeur. Quant aux lois romaines, un article spécial, « des publicains », n'exigeait de ces fonctionnaires que la restitution pure et simple, quoique les voleurs communs dussent la faire au quadruple.
Luc 19.9 Jésus lui dit : "Le salut est venu aujourd'hui pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d'Abraham. - Jésus s'adresse directement à Zachée, quoiqu'il parle de lui à la troisième personne. - Le salut est venu… Douce assurance pour Zachée, et pour toute sa maison, qui avait reçu comme lui avec de vifs sentiments de foi la visite du Sauveur. - Un fils d'Abraham. Des auteurs anciens et modernes (S. Cyprien, S. Jean Chrysost., S. Ambroise, Maldonat, Stella, Reuss, Curci) ont conclu de ces mots que Zachée devait être païen d'origine ; mais telle n'est certainement pas leur signification directe. Il n'y a aucune raison de ne pas les prendre à la lettre, et c'est d'une manière littérale qu'on les interprète généralement aujourd'hui. Zachée était Juif, comme le prouve son nom (note du v. 2) ; mais, en se faisant publicain, il s'était dégradé aux yeux de ses concitoyens, il avait en quelque sorte renoncé à sa précieuse filiation : converti désormais, il a recouvré tous ses droits au salut promis à Abraham, son illustre aïeul.
Luc 19.10 Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu." - Jésus continue de répondre au blâme de la foule. Il a justifié sa conduite par un premier motif, tiré des droits de Zachée ; il en expose maintenant un second, qui consiste dans l'indication générale de son propre rôle en tant que Messie : Le Fils de l'homme est venu… N'est‑il‑pas venu tout exprès pour chercher les brebis égarées et les ramener au bercail ? Voyez dans S. Matthieu, 18, 11 (cf. Le commentaire), la reproduction de cette pensée. Ici, le verbe chercher est une particularité de S. Luc. - Que devint Zachée après sa conversion ? D'anciens auteurs pensent qu'il s'attacha immédiatement à la personne de Jésus. Quelques‑uns (à la suite de Clément d'Alexandrie, Strom. 4, 6) l'ont identifié avec S. Mathias, qui devint plus tard apôtre à la place de Judas. D'autres font de lui le premier évêque de Césarée, en Palestine. Mais une antique tradition, « confirmée par un grande nombre de témoignages, et surtout par l’autorité du pape Martin V dans sa bulle de l’année 1427 », (Propre du bréviaire de Tulle, au 3 septembre), démontre que Zachée émigra de bonne heure dans les Gaules, et qu'il se fixa finalement dans un lieu sauvage et pittoresque (Roc‑Amadour) qui appartient aujourd'hui au diocèse de Cahors, où il est honoré sous le nom de S. Amadour (Amator).
Luc 19, 11-28. La parabole des mines.
Sur la différence qui, malgré des analogies nombreuses, existe entre cette parabole et celle des talents, conservée par S. Matthieu, 25, 14-30, cf. commentaire S. Matth. Dès les premiers siècles, Ammonius d'Alexandrie, Eusèbe et S. Jean Chrysostome, en faisaient deux pièces distinctes.
Luc 19.11 Comme ils écoutaient ce discours, il ajouta une parabole, parce qu'il était près de Jérusalem et que le peuple pensait que le royaume de Dieu allait bientôt paraître. - Petite introduction historique, précieuse pour découvrir le vrai but et le sens de la parabole. cf. 18, 1 et 9. Nous sommes encore à Jéricho (cf. v. 28), et probablement dans la maison de Zachée. - Il était près de Jérusalem. Jéricho n'est en effet qu'à 25 kilomètres de Jérusalem, c'est‑à‑dire à une petite journée de marche (environ 6 ou 7 heures). - le peuple pensait… Depuis quelque temps l'enthousiasme est toujours allé croissant dans l'entourage de Jésus. cf. 14, 25 ; 18, 31, 38 ; 19, 1-3. Ses partisans, même les plus éclairés, s'obstinent à croire que, s'il va maintenant à Jérusalem, la capitale de la Théocratie, c'est pour y fonder sans délai, pour y faire briller le royaume du Messie avec son cortège obligé de gloires humaines. Jésus répond à ces grossières espérances en montrant, sous les traits de cette belle composition poétique, 1° qu'il s'écoulera encore un long temps avant la crise décisive qui établira définitivement son règne, 2° que ses amis devront employer ces siècles d'attente à un travail sérieux, s'ils veulent être récompensés au dernier jour, 3° que ses ennemis, spécialement ceux des Juifs qui le combattent, n'échapperont pas à sa Justice.
Luc 19.12 Il dit donc : "Un homme de grande naissance s'en alla dans un pays lointain pour être investi de la royauté et revenir ensuite. - Un homme de haute naissance : digne figure de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qui, « bien qu’il soit devenu serviteur, est quand même noble selon l’ineffable origine qu’il tient de son Père », S. Cyrille, in Cat. D. Thom. Ou plutôt, « Il n’est pas seulement noble selon la divinité, mais aussi selon la nature humaine, puisqu’il est de la semence de David », S. Basile, ibid. - S'en alla dans un pays lointain : aussi loin qu'il y a de la terre au ciel, ce qui suppose une absence prolongée. - Pour prendre possession d'un royaume. L'image est empruntée aux coutumes d'alors. Combien de petits princes, en Palestine et autour de la Palestine (en Judée, à Chalcis, à Abila, à Emèse, à Damas, en Commagène, etc.), avaient dû se rendre à Rome pour recevoir leur investiture du sénat ou de l'empereur. Le premier livre des Maccabées, 8, 13, fait à ce sujet une réflexion significative : « Ceux qu'ils voulaient (les Romains) faire régner régnaient, et ils dépossédaient du royaume ceux qu'ils voulaient ». C'est ainsi qu'Hérode‑le‑Grand avait entrepris le voyage de Rome pour obtenir le titre de roi des Juifs ; que son fils Archélaüs était allé, quoique en vain, faire sa cour à Auguste pour qu'il lui fût accordé de conserver cette dignité. De même, Jésus était sur le point de monter au ciel avant de revenir à la fin des temps dans l'état de gloire et de puissance royales. - Le héros de la parabole des talents est un simple père de famille, qui n'aspire à aucune dignité.
Luc 19.13 Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines et leur dit : Faites-les valoir, jusqu'à ce que je revienne. - Ayant appelé dix de ses serviteurs. Non pas « ses dix serviteurs », comme sil n'en eût pas eu davantage. Il se propose de mettre leur fidélité à l'épreuve durant son absence : c'est pour cela qu'il leur confie à chacun dix mines, désireux de voir comment ils sauront les faire fructifier à son profit. La « mine » n'était pas une monnaie réelle, ayant cours : après avoir servi de poids, elle était devenue une monnaie fictive, comme le talent. Il est probable qu'il s'agit ici de la mine attique, qui contenait 100 drachmes, qui correspond à trois mois de salaire. Quelle différence dans la parabole des talents, Matth. 25, 15 et ss., où le maître partage toute sa fortune, qui était considérable, entre trois seulement de ses serviteurs. - Faites‑les valoir : faites des affaires. Jésus signifiait, par les serviteurs qui recevaient les mines, ses propres disciples. « Les affaires ne consistait en rien d'autre, qu'à étendre son règne à tous les mortels, grâce à la prédication de ses disciples » Eusèbe (ap. Cat. D. Thom.). Cela convient donc encore à tous les prêtres.
Luc 19.14 Mais ses concitoyens le haïssaient et ils envoyèrent après lui des messagers chargés de dire : Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous." - Mais ses concitoyens le haïssaient. Les concitoyens de Jésus, ce sont évidemment les Juifs, puisqu'il était comme eux membre de l'état théocratique, Jean 4, 22 ; Romains 9, 5. Leur haine envers lui n'apparaît que trop à chacune des pages évangéliques. - Ils envoyèrent après lui… Les messagers devaient protester de toutes leurs forces contre l'élévation du noble prétendant à la dignité suprême, en remontrant au suzerain que cet acte serait tout à fait impolitique, attendu qu'il était contraire aux vœux de la nation entière. Nous apprenons par l'historien Josèphe Ant. 17, 11, 1 (cf. La Guerre des Juifs, 11, 2, 1) que les choses se passèrent à la lettre de cette sorte quand Archélaüs alla revendiquer à Rome la succession de son père. - Nous ne voulons pas que cet homme… Expression dédaigneuse : cet homme que nous détestons. Les Juifs, à deux reprises au moins, parlèrent en ce sens à Pilate contre Jésus, quand ils crièrent : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur », et « N’écris pas : Roi des Juifs », Jean 19, 15, 21. Tous ces détails sont propres à la parabole des mines ; on ne trouve rien de semblable dans celle des talents.
Luc 19.15 Quand il fut de retour, après avoir été investi de la royauté, il se fit appeler les serviteurs auxquels il avait donné l'argent, pour savoir quel profit chacun en avait tiré. - Malgré tant d'oppositions (elles devinrent plus vives encore après la mort de Notre‑Seigneur, cf. Actes 12, 13 ; 13, 45 ; 14, 18 ; 17, 5 ; 18, 6 ; 22, 22 ; 23, 12, et, du monde juif, elles passèrent au monde entier, qui les continue chaque jour) le candidat au trône vit ses droits reconnus. Le voici maintenant qui revient, muni de pleins pouvoirs, dont il fait aussitôt un double usage : il récompense ses amis et se venge de ses ennemis. - Il fit appeler les serviteurs… Voyez, pour l'explication détaillée, S. Matth., car c'est ici surtout que les deux paraboles se ressemblent. Celle des mines a pourtant encore des variantes notables, conformément à la diversité de son but et de son ordonnance générale. - … Pour savoir quel profit chacun en avait tiré. Ce sont deux questions en une seule : qui s'était enrichi, et de quoi.
Luc 19.16 Le premier vint et dit : Seigneur, votre mine a gagné dix autres mines. 17 Il lui dit : C'est bien, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de chose, reçois le gouvernement de dix villes. - Les serviteurs, du moins les trois dont le récit fait une mention spéciale, se présentent au roi d'après un ordre conforme à leurs succès, par conséquent à leurs mérites. - Votre mine a produit dix mines. Langage d'une profonde humilité. Le serviteur semble attribuer tout le profit à l'argent de son maître, et ne tenir aucun compte de son activité, de son habileté personnelles. Il en est autrement dans la parabole des talents : « Seigneur, tu m'avais confié cinq talents, j'en ai gagné cinq autres ». - En échange de sa fidélité, il reçoit, outre un bel éloge, une récompense vraiment princière : tu auras puissance sur dix villes. Dix cités, pour dix mines avec lesquelles on aurait à peine acheté une modeste maison. Dans l'antiquité, les rois récompensaient assez fréquemment leurs amis et serviteurs fidèles en leur attribuant le revenu d'une ou de plusieurs villes. Dans la parabole des talents, le maître, n'étant qu'un homme privé, se contente de dire : « Entre dans la joie de ton Maître ». Il n'a pas de cités à donner.
Luc 19.18 Le second vint et dit : Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines. 19 Toi aussi lui dit-il, gouverne cinq villes. - C'est la même scène réitérée, à part cinq mines et cinq villes au lieu de dix. La récompense, et c'était bien juste, est donc proportionnée au succès, ou plutôt aux efforts, à la générosité de l'action. Dans l'ordre moral aussi, les mêmes dons ne produisent pas toujours des résultats identiques. Puissions‑nous du moins gagner cinq mines.
Luc 19.20 Puis un autre vint et dit : Seigneur, voici votre mine que j'ai gardée en dépôt dans un linge. 21 Car j'avais peur de vous, parce que vous êtes un homme sévère : vous retirez ce que vous n'avez pas déposé et vous moissonnez ce que vous n'avez pas semé. - Un autre vint. Le narrateur parle maintenant comme s'il n'eût été confié de l'argent qu'à trois serviteurs. « Il ne parle pas de ces autres qui, semblables à des débiteurs prodigues, ont perdu ce qu’ils avaient reçu », S. Ambroise (Expos. in Luc. 8, 95) . Mais rien, dans la parabole, ne nous autorise à croire que les sept autres aient été si pervers. Peut‑être est‑il mieux de dire qu'on les passe sous silence pour abréger, leur conduite ayant été analogue ou à celle des deux premiers, ou à celle du troisième. - Voici ta mine, que j’ai gardée dans un linge. Le mouchoir était destiné à essuyer la sueur du visage. Il n'est pas sans intérêt de voir, d'après le Talmud, des Juifs se servant précisément du mouchoir pour envelopper de petites sommes d'argent, à l'instar de ce négligent serviteur. D'après la parabole des talents, l'argent avait été enfoui en terre. Au moral, « Envelopper de l’argent dans un suaire c’est cacher les dons reçus pendant une longue durée de temps », Bède le Vénérable . - Car j’avais peur de vous. Dans les termes les plus arrogants, le coupable essaie d'excuser sa conduite, qu'il voudrait faire passer pour de la prudence. Il a eu peur de son maître, lequel est si sévère, et dont il craignait les reproches, ou même les vengeances. - Les locutions proverbiales « prendre ce qu'on n'a pas déposé, moissonner ce qu'on n'a pas semé » (voyez‑les dans S. Matthieu, 25, 24, avec une légère variante) peuvent exprimer soit l'appropriation injuste du bien d'autrui, soit l'accumulation des richesses sans travail personnel, au prix de la sueur des pauvres gens. Cette seconde acception est ici la plus probable.
Luc 19.22 Le roi lui répondit : Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur. Tu savais que je suis un homme sévère, retirant ce que je n'ai pas déposé et moissonnant ce que je n'ai pas semé, 23 pourquoi donc n'as-tu pas mis mon argent à la banque ? Et à mon retour, je l'aurais retiré avec les intérêts. - Je te juge sur tes paroles. Le roi répond à ce misérable en lui opposant ses propres paroles. Le serviteur aurait dû pour le moins prêter à intérêts la somme qui lui avait été confiée : son royal maître en eût ainsi tiré quelque profit.
Luc 19.24 Et il dit à ceux qui étaient là : Otez-lui la mine et donnez-la à celui qui en a dix. 25 Seigneur, lui dirent-ils, il en a dix. 26 Je vous le dis, à quiconque possède, on donnera et à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a. - Il dit à ceux qui étaient là : ceux‑ci étaient les serviteurs du roi en général, ses gardes. - Surpris d'un pareil ordre, ils se permettent une observation respectueuse : Mais celui auquel vous donnez la mine, n'est‑il pas déjà le plus riche de tous ? - Je vous le dis. Ainsi qu'il convient à sa dignité, le prince n'a pas l'air de s'apercevoir qu'on l'a interpellé ; il répond néanmoins à l'objection par l’axiome bien connu : on donnera à celui qui a déjà … cf. 8, 18 etc.
Luc 19.27 Quant à ces gens qui me haïssent et n'ont pas voulu m'avoir pour roi, amenez-les ici et égorgez-les en ma présence." - Après avoir récompensé ou puni ses serviteurs selon leur conduite respective, le roi, par cette transition, introduit un terrible arrêt contre ceux de ses concitoyens qui lui avaient fait autrefois une opposition si hostile, v. 14. La sentence est majestueuse, sans appel, exécutée sur‑le‑champs sous les yeux mêmes du juge, ainsi que cela se pratiquait fréquemment dans les contrées orientales (dans le grec, l'équivalent de tuez est un mot d'une grande énergie). Le voile tombe brusquement après ces effrayantes paroles. Quelle impression ne durent‑elles pas produire sur l'assistance. C'est une prophétie de la ruine de Jérusalem, et, dans le sens large, des châtiments qui atteindront à la fin du monde tous les ennemis de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ et de son Église.
Luc 19.28 Après ce discours, Jésus se mit à marcher en avant, pour monter à Jérusalem. - Après ce discours. Jésus se mit donc en route aussitôt après avoir achevé la parabole des mines. Il y a une emphase visible dans le verbe marcher, qui rappelle une phrase plus significative encore de S. Marc, 10, 32. Jésus s'est mis en tête du cortège nombreux qui l'accompagne, et, bien qu'il sache ce qui l'attend, il s'avance vaillamment, à la façon d'un chef que rien n'effraie. Monter à Jérusalem est ici d'une réalité plus parfaite que jamais, car on monte perpétuellement (d'environ 3500 pieds) pour aller de Jéricho à Jérusalem, on passe de -250 mètres sous le niveau de la mer à une altitude de +780 mètres. La Route était lugubre et désolée, elle traversait un des plus affreux déserts qui soient au monde (cf. 10, 25 et ss. et l'explication). Pour le moment du moins, elle menait Jésus à un triomphe.
Luc 19, 29-54. = Matth. 21, 1-11 ; Marc. 11, 1-11 ; Jean 12, 12-19.
Luc 19.29 Lorsqu'il approcha de Bethphagé et de Béthanie, vers la montagne appelée des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, -Comparé aux deux autres synoptiques (Matthieu, Marc) pour cette troisième et dernière partie de son Évangile (Luc 19, 29 - 24, 53), S. Luc est en général moins complet, moins précis : il abrège, et omet par conséquent beaucoup de détails. Mais, d'autre part, nous trouverons de temps en temps et jusqu'à la fin dans son récit de ces particularités précieuses auxquelles il nous a habitués dès le début. Nous devons intercaler ici, d'après la suite chronologique des événements, un petit séjour de Notre‑Seigneur à Béthanie, cf. Jean 12, 1-19. - Bethphagé et Béthanie. Sur Bethphagé, cf. Matth. 21 et le commentaire. Quoique S. Luc et S. Marc mentionnent Bethphagé avant Béthanie, il résulte des récits comparés de S. Matthieu et de S. Jean que Bethphagé était le plus rapproché de Jérusalem, puisque Jésus, allant de Béthanie à la capitale juive, trouva cette localité sur sa route. Mais comme, d'une part, S. Luc abrège, et que, d'autre part, les deux villages étaient très peu distants l'un de l'autre, cette manière de parler n'a rien de foncièrement inexact. - La montagne appelée des Oliviers. La colline qui s'élève à l'orient de Jérusalem est du reste appelée par l'historien Josèphe comme par le Nouveau Testament tantôt « mont des oliviers », tantôt, quoique plus fréquemment, « mont des oliveraies ».
Luc 19.30 en disant : "Allez au village qui est en face, en y entrant, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s'est jamais assis, détachez-le et amenez-le. 31 Et si quelqu'un vous demande pourquoi vous le détachez, vous répondrez : Parce que le Seigneur en a besoin." - Le Messie donne lui‑même des ordres en vue de sa marche triomphale. Il ne songe plus à se soustraire aux honneurs comme autrefois, car l'heure marquée par la Providence a sonné. - L'emphatique jamais est propre à S. Luc. - Le Seigneur en a besoin. La phrase est identique dans les trois récits d'après le texte grec.
Luc 19.32 Ceux qui étaient envoyés partirent et trouvèrent les choses comme Jésus le leur avait dit. 33 Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent : "Pourquoi détachez-vous cet ânon ?" 34 Ils répondirent : "Parce que le Seigneur en a besoin." - S. Luc est seul à dire que ce fut au moment même où les envoyés de Jésus déliaient l'ânon qu'ils reçurent les observations des propriétaires. Seul encore S. Luc cite directement la réponse des deux apôtres.
Luc 19.35 Et ils l'amenèrent à Jésus, puis, ayant jeté leurs manteaux sur l'ânon, ils y firent monter Jésus. - Les disciples ornent l'humble monture pour la rendre moins indigne de Jésus, en jetant dessus leurs manteaux.
Luc 19.36 A son passage les gens étendaient leurs manteaux sur la route. - Remarquez l'emploi de l’imparfait, qui indique un acte constamment renouvelé au fur et à mesure que Jésus avançait. - Le peuple étendit leurs manteaux : et des branches qu'ils coupaient aux arbres plantés le long du chemin (cf. S. Matth. et S. Marc).
Luc 19.37 Lorsqu'il était déjà près de la descente du mont des Oliviers, toute la foule des disciples, transportés de joie, se mit à louer Dieu à haute voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus. - Précieuse note topographique, spéciale à S. Luc. Trois chemins conduisent de Béthanie à Jérusalem. L'un d'eux se glisse entre les pointes septentrionale et centrale du mont des Oliviers ; un autre gravit sa cime la plus élevée, pour descendre ensuite en traversant le village moderne d'El‑Tour ; le troisième, qui est et doit toujours avoir été la route proprement dite, contourne la masse du centre, passant entre elle et le mont du Scandale. Les deux autres sont plutôt des sentiers de montagne que de vrais chemins, et, comme Jésus était accompagné d'un si grand nombre de disciples, il est clair qu'il dut prendre cette route, la plus commode des trois. C'est donc au moment où le cortège, après avoir franchi le versant oriental du mont des Oliviers, arrivait à l'endroit où le chemin débouche tout à coup sur le flanc occidental, que les acclamations de la foule commencèrent. Là en effet, la ville, auparavant cachée par la cime de la colline, apparaissait subitement dans toute sa splendeur. Si, maintenant qu'elle n'a plus son ancienne beauté, elle présente encore de ce lieu aux regards du pèlerin un magnifique panorama, il est impossible d’oublier, qu’on la regardait comme une des merveilles du monde (Tacite, Hist. 5, 8). Le temple surtout se montrait de là tout rayonnant de grâce. Voyez S. Matth. On conçoit qu'en face de ce spectacle admirable, rehaussé à cette époque de l'année par les charmes du printemps, face à la capitale et au palais du Roi Messie, l'enthousiasme de la multitude qui escortait Jésus n'ait pu se contenir. - La foule des disciples : des disciples dans le sens le plus large de cette expression. - Se mit à louer… Ce détail, propre au troisième Évangile, fait déjà ressortir d'une manière générale le caractère religieux de cette manifestation populaire. - A haute voix est pittoresque. - Pour tous les miracles (voyez S. Matth.) : c'est‑à‑dire, à propos des nombreux miracles du Sauveur dont ils avaient été témoins, mais spécialement, ajoute S. Jean, 12, 17, à propos de la résurrection de Lazare.
Luc 19.38 "Béni soit, disaient-ils, le roi qui vient au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux." - Les acclamations du peuple, d'abord conformes dans notre Évangile à celles des autres synoptiques (hormis l'addition de roi, qui correspond toutefois à une idée analogue de S. Marc, 11, 10), prennent ensuite un caractère particulier : Paix dans le ciel, et gloire au plus haut des cieux ! On croirait entendre un écho du cantique des anges, 2, 14. « Paix au ciel » : le ciel est en paix avec nous, grâce à la médiation, à l'oblation volontaire du Christ. cf. Romains 5, 1 ; Colossiens 1, 20 ; 2, 14, 15.
Luc 19.39 Alors quelques Pharisiens, au milieu de la foule, dirent à Jésus : "Maître, réprimandez vos disciples." - La brièveté relative de la description de S. Luc est plus que compensée par l'intérêt des deux narrations qui suivent (cf. vv. 41 et ss.). Elles furent sans doute fournies à l'évangéliste par les documents qu'il avait réunis avec tant de soin. La première, qui contient un dialogue rapide de Jésus avec les Pharisiens, a quelque analogie avec un fait relaté par le premier Évangile, 21, 15 et 16. - Quelques Pharisiens… Partout nous trouvons ces ennemis du Sauveur. Les voilà déjà répandus parmi les rangs de la foule qui honore Jésus comme le Messie. - Maître (équivalent de Rabbi) : derrière ce titre respectueux, qu'ils lui donnaient de temps à autre (cf. 10, 25 etc.) , ils dissimulent mal leur envie, leur mécontentement. - Réprimandez vos disciples. « Vous n'entendez donc pas ce qu'ils disent : Par quelque réprimande sévère, arrêtez au plus tôt leurs blasphèmes ». Pour ces incrédules, le langage des disciples était en effet blasphématoire et ils rendaient le Maître responsable de la conduite des siens.
Luc 19.40 Il leur répondit : "Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront." - Grave et sublime réponse de Jésus. Non‑seulement il accepte les hommages qu'on lui rend, mais il affirme avec une majesté digne du Messie, et en employant une locution proverbiale empruntée peut‑être à la prophétie d'Habacuc (2, 11), que, si les hommes cessaient de l'acclamer, les pierres mêmes devraient le faire. C'était dire : « Vox populi, vox Dei. », « la voix du peuple est la voix de Dieu ». C'était reconnaître lui‑même très explicitement sa dignité messianique. Sur une expression semblable de Virgile, Ecl. 5, 28, Servius a écrit ce juste commentaire : « C’est parler par hyperbole quand la chose est de nature à ne pouvoir en aucune façon être cachée, ou demeurer occulte ». cf. Ovide, Metam. 2, 697, et, dans le Talmud, le traité Chagigah, f. 16, 1 : « Ne dis pas : qui témoignera contre moi ? Les pierres et les solives de ta maison témoigneront contre toi ».
Luc 19.41 Et lorsque, s'étant approché, il aperçut Jérusalem, il pleura sur elle, en disant : - S’étant approché. Quand il fut parvenu à son tour au lieu décrit plus haut, v. 37. - C'est à bon droit qu'on a regardé cette scène touchante comme « un des joyaux de notre Évangile » (Godet). En contemplant Jérusalem, Jésus en embrassa toute l'histoire passée, présente et future : histoire du divin amour qui s'était manifesté avec des tendresses sans pareilles, histoire de l'ingratitude humaine poussée à son comble, histoire des vengeances célestes les plus terribles. Ce douloureux tableau suscita en lui une vive émotion, à laquelle il donne un libre cours au plus beau moment de son triomphe. Deux fois seulement nous lisons dans sa vie qu'il pleura, ici et avant de ressusciter Lazare, sur son ingrate patrie et sur l'ami de son cœur. Mais là il n'était question que de larmes silencieuses, tandis qu'ici il pleure à haute voix et sanglote. Qu'il est beau et divin, le Fils de Dieu pleurant. Et toutefois S. Épiphane raconte qu'il s'était trouvé de son temps des hommes qui, trouvant ce détail indigne de Jésus, l'avaient retranché d'une main aussi brutale qu'inintelligente. cf. D. Calmet, h. l.
Luc 19.42 "Si tu connaissais, toi aussi, du moins en ce jour qui t'est donné, ce qui ferait ta paix. Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. - Jésus va motiver ses pleurs. Il gémit sur l'endurcissement de sa chère patrie et sur les maux affreux qui en seront la conséquence inévitable : Si tu connaissais… Toi aussi (avec emphase), comme mes disciples fidèles. La répétition fréquente des pronoms toi, tu, te, … dans les vv. 42-44 (quatorze fois) est du plus bel effet. - Du moins en ce jour. Chaque mot porte. Ce jour‑là avait été donné à Jérusalem pour se repentir et pour croire à Jésus : mais c'était un jour décisif. - Ce qui serait ta paix (cf. 14, 32) : c'est‑à‑dire les conditions auxquelles Dieu est disposé à t'accorder la paix, le salut. Peut‑être y a‑t‑il dans ces mots une paronomase, par laquelle le Sauveur jouerait, suivant un usage aimé des Orientaux, sur le nom de Jérusalem (lieu ou vision de la paix). - Mais maintenant… La phrase qui précède n'est pas achevée, comme le notait déjà Euthymius : « La phrase est inachevée. C’est ce qui arrive à ceux qui pleurent. Ils abrègent les mots sous le coup de l’émotion ». On la compléterait en ajoutant : « tu te conduirais bien autrement » ou quelque autre idée analogue. Jésus laisse donc tout à coup, pour revenir à la triste réalité, ce bel idéal qu'il avait un instant contemplé. - Ces choses sont cachées à tes yeux. Aveuglement tout à fait volontaire de la part de Jérusalem : elle a d'elle‑même fermé les yeux à la lumière (cf. la fin du v. 44).
Luc 19.43 Viendront sur toi des jours où tes ennemis t'environneront de tranchées, t'investiront et te serreront de toutes parts, 44 ils te renverseront par terre, toi et tes enfants qui sont dans ton sein et ils ne laisseront pas dans ton enceinte pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée." - Description magnifique tout ensemble. La plupart des expressions du texte grec sont techniques, tout à fait nobles, et propres au troisième Évangile. Jésus passe aux affreux châtiments que Jérusalem attirera sur elle par une conduite si coupable. Viendront mis à dessein en tête de la phrase, indique la certitude des malheurs prophétisés. - Tes ennemis t'environneront… Chacun des horribles détails tour à tour signalés par Jésus est introduit d'une manière emphatique, qui les met tristement en relief. - Tranchées : Retranchement ou rempart artificiel destiné soit à protéger un camp, soit à investir une ville. C'était ordinairement une vaste levée de terre, surmontée de palissades et protégée extérieurement par un fossé. Les Juifs, dans une habile sortie, ayant incendié le rempart que les Romains avaient établi autour de Jérusalem, Titus en construisit rapidement un second, mais en maçonnerie, qui n'avait rien à craindre du feu. - te serreront de toutes parts. Accumulation énergique de synonymes. Mais ce ne sont pas de vaines paroles. La circonférence de Jérusalem était de 33 stades : le retranchement de Titus n'en avait que 39. - Ils te renverseront par terre. Image d'une ruine universelle. La ville sera rasée ; ses fils (ses habitants) seront massacrés sans pitié. - Ils ne laisseront pas… Voyez Matth. 24, 2, où Jésus lance en particulier cette sombre prophétie contre le temple. Et tout s'est réalisé à la lettre : cf. Josèphe, de La Guerre des Juifs, 7, 1, 1. Aussi, un jour que Frédéric‑le‑Grand demandait à Gellert ce qu'il pensait du Christ, ce célèbre professeur se contenta de lui répondre : Que pense Votre Majesté de la destruction de Jérusalem ?. - Parce que tu n'as pas connu le temps… Jésus termine comme il avait commencé (v. 2), en reprochant à la cité juive son triste aveuglement. Le temps où elle a été visitée et qu'elle a méconnu n'est autre que le temps de la vie publique du Sauveur, durant lequel elle avait reçu de lui tant de visites pacifiques (sur le mot visite, voyez 1, 68 et le commentaire).
Luc 19.45 Étant entré dans le temple, il se mit à chasser ceux qui y vendaient et y achetaient, 46 leur disant : "Il est écrit : Ma maison est une maison de prière et vous en avez fait une caverne de voleurs." - Jésus régnant en Messie dans le temple. Luc 19, 45 - 21, 4. Le triomphe de Jésus continue, mais sous une autre forme. Deux jours durant, le lundi et le mardi de la semaine sainte, nous le voyons manifester en face de ses ennemis son autorité messianique, par les actes d'abord, puis par la parole. C'est vraiment un roi qui trône dans son palais. Expulsion des vendeurs. Luc 19, 45-48 = Matth. 21, 12-23 ; Marc. 11, 15-17. Voyez nos commentaires sur les deux premiers Évangiles. S. Luc ne fait guère que toucher à cette majestueuse action de Jésus. - Étant entré dans le temple. C'était, comme le note expressément S. Marc, 11, 12 et ss., le lendemain de l'entrée solennelle à Jérusalem. - Ceux qui y vendaient et ceux qui y achetaient. C'était la seconde fois que Jésus chassait des parvis sacrés les grossiers usurpateurs qui les profanaient avec la tolérance et même la complicité des prêtres. cf. Jean 2, 14 et ss. - Vous en avez fait une caverne de voleurs. Cinquante ans après, la maison de Dieu allait devenir dans un sens encore plus désolant un repaire horrible de bandits. Parlant des atrocités commises par les « sicaires » dans l'intérieur du temple, Ananus s'écriait : « Il eût été bon pour moi de mourir avant de voir le sanctuaire souillé par de telles abominations, ces lieux sacrés horriblement piétinés par des scélérats sanguinaires ». Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 4, 3, 10.
Luc 19.47 Jésus passait les journées à enseigner dans le temple. Et les Princes des prêtres, les Scribes et les notables cherchaient à le perdre, - à enseigner. Tournure qui exprime la continuité ; elle est complétée du reste par « les journées ». A cette physionomie céleste de Jésus enseignant, le narrateur oppose les conciliabules de haine que tiennent ses cruels ennemis. Les mots princes des prêtres, scribes, principaux du peuple représentent les trois chambres du Sanhédrin. - Ils cherchaient à le perdre : l'imparfait indique la constance de leurs tentatives haineuses.
Luc 19.48 mais ils ne savaient comment s'y prendre, car tout le peuple l'écoutait suspendu à ses lèvres. - Décidés à se défaire de Jésus, les Sanhédristes étaient dans l'embarras sur les moyens auxquels ils auraient recours pour le mettre à mort. - Car tout le peuple était suspendu d'admiration. Motif de cette hésitation, et en même temps beau contraste. Tandis que les ennemis du Sauveur s'acharnent à sa perte, le peuple écoute Jésus avec transport. La locution suspendu, spéciale à notre évangéliste, n'est pas moins élégante qu'énergique. Les auteurs classiques l'emploient fréquemment. Voyez Virg. Aen. 4, 79 ; Ovid. Ep. 1, 30 ; Horat. Ep. 1, 105, etc. cf. Genèse 44, 30. Nous disons dans le même sens : être suspendu aux lèvres de quelqu'un. Quel éloge, en un seul mot, de l'éloquence toute divine de Notre‑Seigneur.
CHAPITRE 20
Luc 20, 1-8 = Mth 21, 23-27 ; Marc. 11, 27-33.
Luc 20.1 Un de ces jours-là, comme Jésus enseignait le peuple dans le temple et qu'il annonçait la bonne nouvelle, les Princes des prêtres et les Scribes survinrent avec les Anciens, - « Saint Luc semble ne pas distinguer les jours : il trace l'histoire des vendeurs et des acheteurs chassés du temple, mais il passe sous silence les différentes courses de la ville à Béthanie, et de Béthanie à la ville, le figuier maudit, l'étonnement des disciples et la réponse sur la puissance de la foi ; il dit seulement ceci : Il enseignait tous les jours dans le temple » S. August. Accord des Évangélistes 2, 69. Ces jours représentent les derniers jours que Notre‑Seigneur passa à Jérusalem entre son triomphe et sa mort ; « un » de ces jours fut le mardi saint, d'après S. Marc, 11, 20 (voyez le commentaire). Nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises dans le troisième Évangile (5, 17 ; 8, 22) cette formule générale. - Il enseignait le peuple. Le mot suivant, annonçait la bonne nouvelle, tant aimé de notre évangéliste et de S. Paul (ils l'emploient à eux deux jusqu'à 45 fois), précise la nature de l'enseignement actuel du Sauveur dans le temple : il prêchait l'Évangile, la bonne nouvelle ; il parlait du royaume messianique. - Survinrent. Le verbe grec signifie souvent : arriver à l'improviste, avec des intentions hostiles. Il caractérise beaucoup mieux que les expressions parallèles de S. Matthieu et de S. Marc le but que se proposait la députation du Sanhédrin, quand elle vint tout à coup interrompre le discours de Jésus.
Luc 20.2 et lui dirent : "Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses, ou qui vous a donné cette autorité ?" - La question a deux parties bien distinctes : 1° Par quelle autorité… Quelle est la nature de votre mandat ? 2° (avec la particule ou pour servir de transition) par quel intermédiaire vous a‑t‑il été transmis, d'où vient‑il ? Les Sanhédristes avaient autrefois adressé une demande du même genre à S. Jean-Baptiste, mais dans un esprit moins hostile, Jean 1, 19 et ss. Elle est si parfaitement conforme à toutes les habitudes rabbiniques, telles qu'elles nous sont dévoilées par le Talmud, que Strauss lui‑même n'hésite pas à admettre l'authenticité de cette scène.
Luc 20.3 Jésus leur répondit : "Moi aussi je vous ferai une question. Répondez-moi. 4 Le baptême de Jean était-il du ciel ou des hommes ?" - Quelle majesté, quel calme, quelle douceur dans la réponse de Jésus. Mais aussi quel à propos tout divin pour confondre ses adversaires pendant cette « journée des tentations ». cf. vv. 20 et ss., 27 et ss. ; Marc. 12, 28 et ss. - Répondez‑moi. Les paroles du Sauveur sont citées plus complètement dans les deux autres récits. - Le baptême de Jean… En d'autres termes, Jean‑Baptiste était‑il un prophète ou un imposteur ?
Luc 20.5 Mais ils faisaient entre eux cette réflexion : "Si nous répondons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi n'avez-vous pas cru en lui ? 6 Et si nous répondons : Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean était un prophète." - Ils pensaient en eux‑mêmes. Embarrassés par ce tour inattendu donné à l'entretien, ils délibèrent entre eux pour chercher une échappatoire. - Si nous répondons… Comme ils pèsent habilement toutes les éventualités possibles. Mais en vain ; ils ne réussiront pas à trouver une issue honorable, dès lors qu'ils ne s'inquiètent que de leur vanité personnelle, et nullement des droits de la vérité. - Tout le peuple nous lapidera. Mot très fort, employé en ce seul endroit du N. T. La réflexion des Sanhédristes est spéciale à S. Luc sous cette forme énergique (cf. S. Matth. et S. Marc). La crainte qu'ils expriment était d'ailleurs très sérieuse, comme le démontrent divers faits du Nouveau Testament, relatifs soit à N.S. Jésus‑Christ, Jean 10, 31, soit à S. Étienne, Actes 7, 56-59. La lapidation était le supplice légal pour les délits religieux, et les foules juives ne craignaient pas à l'occasion de l'infliger sommairement. - Car il est persuadé que Jean était un prophète. Encore une expression vigoureuse, propre à S. Luc. Le temps du verbe grec indique une certitude parfaite, immuable. Et c'était vrai. Josèphe affirme également que la foi du peuple à la mission divine de S. Jean était aussi ardente qu'unanime. Ant. 18, 5, 2.
Luc 20.7 Ils lui répondirent donc qu'ils ne savaient d'où il était. - S. Matthieu et S. Marc emploient le langage direct : « nous ne savons pas ». D'après un beau proverbe talmudique, l'homme doit apprendre à sa langue à dire « je ne sais pas », et en effet, dans bien des cas, une pareille réponse est noble parce qu'elle est humble ; mais c'était ici un lâche mensonge.
Luc 20.8 "Et Moi, leur dit Jésus, je ne vous dis pas non plus par quelle autorité je fais ces choses." - Parfaite application de l'axiome : « Réponds à l’insensé selon sa folie, sinon il va se prendre pour un sage. », Proverbes 26, 5. Si vous êtes incompétents pour porter un jugement sur l'autorité de S. Jean‑Baptiste, vous l'êtes aussi au sujet de la mienne. - Voyez du reste l'explication détaillée de tout ce passage dans nos commentaires sur S. Matthieu et sur S. Marc.
Luc 20, 9-19 = Mth 21, 33-46 ; Mc. 12, 1-12.
Luc 20.9 Alors il se mit à dire au peuple cette parabole : "Un homme planta une vigne et la loua à des vignerons, puis il s'en alla pour un temps assez long en pays étranger. - D'après les autres évangélistes, Jésus aurait continué de s'adresser aux délégués du Sanhédrin quand il exposa la parabole des vignerons perfides. Les deux choses furent vraies en même temps, puisque les Sanhédristes aussi bien que la foule étaient alors auprès de Notre‑Seigneur. cf. v. 19. - Un homme planta une vigne. S. Luc ne dit rien des soins multiples dont avait été entourée cette plantation. Le propriétaire symbolise Dieu ; les vignerons figurent les chefs spirituels de la nation juive, qui est elle‑même représentée par la vigne. cf. Isaïe 5, 1-7. - Il fut longtemps hors du pays (cf. 8, 29) est un détail spécial. Il faut entendre, par cette longue absence du propriétaire, le temps qui s'écoula depuis l'alliance du Sinaï et l'entrée des Juifs dans la Terre promise jusqu'à la venue du Messie, c'est‑à‑dire environ 2000 ans. « Il s’est passé beaucoup de temps avant qu’on ne voie une exaction. Car, plus la libéralité est indulgente plus inexcusable est l’opiniâtreté », S. Ambroise, Exp. in Luc. 9, 23.
Luc 20.10 La saison étant venue, il envoya un serviteur aux vignerons, afin qu'ils lui donnassent du produit de la vigne. Mais eux, l'ayant battu, le renvoyèrent les mains vides. 11 Il envoya encore un autre serviteur, mais, l'ayant aussi battu et traité indignement, ils le renvoyèrent les mains vides. 12 Il en envoya un troisième, mais, lui aussi, les vignerons le blessèrent et le jetèrent dehors. - Suivant la loi juive, Lévitique 19, 23-25, on ne pouvait jouir des fruits d'une vigne que cinq ans après sa plantation. Elle était censée impure les trois premières années, et, la quatrième, les fruits appartenaient au Seigneur comme prémices. - Il envoya un serviteur. Ce serviteur et les deux suivants sont le type des prophètes qui furent, aux différentes périodes de l'histoire juive, des intermédiaires entre Dieu et son peuple. - Ils le battirent. Les outrages vont croissant, comme aussi la patience vraiment divine du propriétaire. Un homme ne subirait pas deux fois impunément de pareilles injures.
Luc 20.13 Alors le maître de la vigne se dit : Que ferai-je ? J'enverrai mon fils bien-aimé, peut-être qu'en le voyant ils auront pour lui du respect." - Sublime délibération, que S. Luc seul a relatée complètement. Comme en d'autres circonstances solennelles, Genèse 1, 26 ; 6, 7, Dieu tient pour ainsi dire conseil avec lui‑même avant de prendre une décision importante pour l'humanité. - J'enverrai mon fils. C'est encore la miséricorde qui l'emporte ; mais la miséricorde poussée à son extrême limite. - Peut‑être éprouveront‑ils du respect. Cet anthropomorphisme est très bien commenté par S. Jérôme : « En disant : ils respecteront mon fils, il ne dit pas cela comme s’il l’ignorait. Car qu’est‑ce qui est inconnu au père de famille qui tient lieu ici la place de Dieu ? Mais on dit toujours que Dieu se pose des questions pour laisser de la place à la libre volonté de l’homme ».
Luc 20.14 Mais lorsque les vignerons le virent, ils se dirent entre eux : Celui-ci est l'héritier, tuons-le, afin que l'héritage soit à nous. - Les vignerons aperçoivent à distance et reconnaissent le fils de leur propriétaire. Aussitôt ils délibèrent à leur tour ; mais c'est pour prendre une horrible résolution : « Celui‑ci est l’héritier ; tuons‑le ». Sur ce titre d'héritier, appliqué à Notre‑Seigneur, voyez Hébreux 1, 2. Avec quelle force et quelle clarté tout ensemble Jésus dévoile devant le peuple les trames honteuses de ses chefs et le motif réel de la haine dont ceux‑ci le poursuivaient. Ces hommes ont fait de la théocratie leur propriété, et, ce pouvoir qu'ils ont exploité jusqu'ici à leur profit, ils ne peuvent se résoudre à le déposer entre les mains du Fils, qui vient le réclamer au nom de son Père.
Luc 20.15 Et l'ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent. Que leur fera donc le maître de la vigne ? 16 Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à d'autres." Ce qu'ayant entendu, ils dirent : "A Dieu ne plaise." - L'ayant chassé hors de la vigne… Les trois récits mentionnent cette circonstance. Naboth, que les SS. Pères citent volontiers comme une figure de la mort du Messie, avait été pareillement traîné hors de sa vigne avant d'être lapidé, 1 Rois 21, 13. cf. S. Ambroise, Expos. in Luc. 9, 33. - Que leur fera donc le maître de la vigne… Comparez le Que ferais‑je du v. 13. Mais la conclusion sera bien différente. - Il viendra… S. Luc, comme S. Marc, semble mettre cet arrêt sévère sur les lèvres de Notre‑Seigneur, tandis que, d'après S. Matthieu, il aurait été proféré par les Sanhédristes. Il n'y a pas d'antilogie réelle, car l'on peut dire, ou bien (et c'est le plus probable) que le second et le troisième des synoptiques abrègent, ou bien que Jésus répéta, pour l'accentuer, la juste sentence que ses adversaires avaient portée contre eux‑mêmes. - A Dieu ne plaise. (qu'il n'en soit pas ainsi!). Cette formule déprécatoire, qui n'apparaît qu'en ce passage des Évangiles, mais que S. Paul emploie jusqu'à dix fois dans la seule lettre aux Romains, fut sans doute prononcée par le peuple, comme pour détourner un mauvais présage. L'assistance avait donc compris le sens de la parabole. - Il donnera la vigne à d'autres. Substitution terrible, mais parfaitement légitime. cf. Actes 13, 46.
Luc 20.17 Mais, fixant le regard sur eux, Jésus dit : "Qu'est-ce donc que cette parole de l'Écriture : La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre angulaire ? 18 Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé et celui sur qui elle tombera, sera écrasé." - Mais lui, les regardant… détail pittoresque, propre à S. Luc. Le grec (regarder dedans) marque un regard fixe, pénétrant. - Qu'est‑ce donc que ceci qui est écrit… Donc, c'est‑à‑dire, dans le cas où votre « qu'il n'en soit pas ainsi » serait exaucé, comment s'accompliraient les Écritures, qui prédisent aux ennemis du Christ les châtiments les plus rigoureux ? Jésus donne ainsi plus de force à sa menace à l'insérant dans une révélation divine. Le passage cité, la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient…, est tiré du même Psaume 117 (v. 22) auquel la foule empruntait naguère ses vivats enthousiastes (19, 38). Il exprime sous une forme nouvelle et plus énergique la pensée développée dans la parabole ; car Jésus est la pierre d'abord méprisée, puis placée au point fondamental de l'édifice, tandis que les constructeurs, comme plus haut les vignerons, figurent les autorités juives. Voyez S. Matth. - Quiconque tombera sur cette pierre… Ces paroles composent un vers antithétique, avec gradation ascendante de la pensée dans le second hémistiche. Les corrélatifs grecs des verbes briser et écraser sont très expressifs. Le second, qui est encore plus énergique que le premier, a le sens de passer au crible. Voyez dans 1 Corinthiens 1, 13, la réalisation de cette menace.
Luc 20.19 Les Princes des prêtres et les Scribes cherchèrent à se saisir de lui à l'heure même, mais la crainte du peuple les retint, car ils comprenaient bien que c'était pour eux que Jésus avait dit cette parabole. - Jésus n'avait pas seulement refusé de répondre à la « question dictatoriale » des Sanhédristes ; il avait en outre dénoncé à la face du peuple leur conduite anti‑théocratique et fait retentir au‑dessus de leurs têtes le tonnerre des vengeances célestes. Aussi, plus irrités que jamais, se mettent‑ils à délibérer encore (cf. 19, 47 et ss.) pour trouver le moyen de s'emparer de lui sur‑le‑champ (à cette heure même : c'est là un détail propre à S. Luc) ; mais de nouveau la crainte du peuple les retint. - Car ils avaient reconnu que c'était contre eux qu'il avait dit cette parabole. Ils disaient juste. C'était la réalisation de l'adage « si l'on change le nom, cette histoire s'applique à vous ». Cette réflexion, commune aux trois synoptiques, est précieuse, parce qu'elle nous révèle le but immédiat de la parole des vignerons homicides.
Luc 20, 20-26 = Mth. 22, 15-22 Mc. 12, 13-17
Voyez nos commentaires sur S. Matthieu et sur S. Marc.
Luc 20.20 Ils ne le perdirent donc pas de vue et lui envoyèrent des espions qui feignaient d'être justes, pour le surprendre dans ses paroles, afin de le livrer à l'autorité et au pouvoir du gouverneur. - Petit préambule historique, plus complet dans le troisième Évangile que dans les deux autres. S. Luc a de vigoureux coups de pinceau pour décrire la conduite basse et hypocrite des ennemis de Jésus. - ne le perdirent donc pas de vue : en mauvaise part, comme en d'autres endroits. cf. 6, 7 ; 14, 1 ; 17, 20. - Ils envoyèrent des espions. Le mot grec, employé seulement en ce passage du N. T., est classique pour désigner les hommes perfides. Ils se postent en embuscade dans des lieux secrets, d’où ils tendent des embûches aux autres. Les récits parallèles nous apprennent que ces émissaires étaient les disciples des Pharisiens. - Qui feindraient d'être justes. Expression parfaitement choisie, puisqu'elle signifie : faire l'hypocrite ; on ne la trouve qu'en cet endroit du N. T. « Justes », des modèles de justice au point de vue de la loi juive, et de la théocratie.- Pour le surprendre dans ses paroles. C'était l'objet direct de ce noir complot : surprendre sur les lèvres de Jésus quelque parole compromettante. cf. Ecclésiastique 8, 11. Puis, comme conséquence naturelle en cas de réussite, le livrer au gouverneur romain, car ils avaient perdu le « droit du glaive ». L'autorité désigne l'autorité romaine en général ; la puissance du gouverneur est plus spécial et représente le pouvoir délégué du « procurateur » qui exerçait ses fonctions au nom de l'empereur.
Luc 20.21 Ces gens l'interrogèrent en ces termes : "Maître, nous savons que vous parlez et enseignez avec droiture et avec impartialité, mais que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. 22 Nous est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ?" - Non contents de se couvrir du masque de la perfection légale, les tentateurs essaient encore de dissimuler leurs embûches derrière un faux‑semblant de courtoisie, de déférence. Leurs compliments ont dans S. Luc un coloris spécial : Nous savons que vous parlez et enseignez (la parole de l'homme privé et l'enseignement du docteur) avec droiture (sans dévier de la ligne droite). On a dit très justement qu'il y a dans ces éloges pharisaïques quelque chose d'aussi affreux que dans le baiser du traître Judas. - Nous est‑il permis de payer le tribut à César ? S. Luc fait seul usage d'un mot grec qui désigne la taxe annuelle de capitation et les impôts fonciers, par opposition à l'impôt sur les marchandises. Étrange question, qui n'avait nullement embarrassé le saint roi Ézéchias, non plus que le prophète Jérémie, non plus qu'Esdras et Néhémie ; car, sans cesser d'être de vrais Israélites, il n'hésitèrent pas à reconnaître la suzeraineté de Ninive, de Babylone ou de la Perse ; mais les principes étroits des Pharisiens avaient suscité des scrupules touchant un point parfaitement clair. Aussi Jésus, par sa réponse, pouvait‑il attirer sur lui les représailles soit des Romains, s'il disait Non, soit de ses compatriotes, s'il disait Oui.
Luc 20.23 Jésus, connaissant leur fourberie, leur dit : "Pourquoi me tentez-vous ? 24 Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l'effigie et le nom ?" Ils lui répondirent : "De César." - Montrez‑moi un denier. S. Luc, comme S. Marc, mentionne dès maintenant le denier par anticipation ; car Notre‑Seigneur ne demanda pas une pièce de monnaie déterminée, mais d'une manière générale une pièce de monnaie, suivant la rédaction plus précise de S. Matthieu. - De qui porte‑t‑il l'image… Cette simple question contenait déjà la solution du problème. - Ils lui répondirent : de César. Hélas. Ce n'était plus la monnaie nationale et sacrée, que battaient naguère les princes asmonéens. C'était un denier romain avec l'effigie de Tibère, l'empereur actuellement régnant.
Luc 20.25 Et il leur dit : "Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu." - Cette célèbre réponse de Jésus est reproduite de façon pratiquement identique par les trois évangélistes. Les tentateurs avaient demandé s'il était permis de donner le tribut : Jésus leur répond qu'ils sont tenus de le rendre, c'est‑à‑dire de le payer comme une dette. « Donc », car le Sauveur tire une conséquence de leur propre langage, v. 24. - A César ce qui est à César : l'impôt et tout ce qui est encore dû à César outre l'impôt, car Jésus élargit la pensée. - Et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette parole du Sauveur, que l'Église catholique a toujours prise pour base de ses théories diplomatiques, démontre combien se trompent ceux qui prétendent que le Christianisme constitue un danger pour l'État. Voyez aussi Romains 13, 6 et 7, où la même vérité est fortement inculquée. Mais n'entendrons‑nous pas bientôt (23, 2) les Pharisiens affirmer que Jésus avait défendu de payer l'impôt à César ?
Luc 20.26 Ainsi ils ne purent le prendre en défaut sur aucune parole devant le peuple et admirant sa réponse, ils gardèrent le silence. - Et ils ne purent rien reprendre dans ses paroles… Cette première réflexion est propre à S. Luc. Elle contient une nouvelle indication du but que s'étaient proposés les adversaires de Notre‑Seigneur, qui voulaient le surprendre dans ses paroles (v. 20). - Devant le peuple est emphatique : en face de la foule, qui se montrait en masse favorable à Jésus, et qu'on espérait détacher de sa personne en le déconsidérant. - Ayant admiré sa réponse… Autrefois, les Docteurs de Jérusalem avaient admiré la sagesse du divin Enfant (2, 47) ; maintenant ils admirent malgré eux celle de l'homme mûr. - Ils se turent est une autre particularité de S. Luc. « Que dire contre Jésus après une parole si sage, si simple, si précise ? A quel tribunal l'accuser ? César est satisfait, Dieu est glorifié, ses ennemis sont pris par leurs propres paroles et réduits à se taire. Il déjoue tous leurs vains artifices avec une sagesse qu'on ne peut assez admirer, avec une douceur inaltérable et une majesté toute divine » (Dehaut, l'Évangile expliqué, défendu, médité, 5è éd. t. 4, P. 4 et 5).
Luc 20, 27-40 = Mth. 22, 23-33 Mc 12, 18-27.
Luc 20.27 Quelques-uns des Sadducéens, qui nient la résurrection, s'approchèrent alors et l'interrogèrent : - Quelques‑uns des Sadducéens. Sur cette secte du Judaïsme, voyez S. Matth. Jusqu'ici les Sadducéens s'étaient montrés beaucoup moins hostiles à Jésus que le parti pharisaïque, car la mondanité épicurienne est plus tolérante que le fanatisme ; mais aujourd'hui tous les chefs de la nation juive luttent contre le Messie.
Luc 20.28 "Maître, lui dirent-ils, Moïse nous a donné cette loi : Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d'enfant, que son frère prenne sa femme et suscite des enfants à son frère. - Moïse à écrit… Les Sadducéens exposent d'abord le principe sur lequel ils appuieront ensuite leur objection. Ce principe consiste en une loi édictée par Moïse et connue sous le nom de loi du lévirat. cf. Deutéronome 25, 5 et 6. - Ayant une femme, meurt sans laisser d'enfants… Comparez les nuances d'expression dans les trois récits.
Luc 20.29 Or il y avait sept frères, le premier prit une femme et mourut sans enfant. 30 Le second prit sa femme et mourut aussi sans enfant, 31 le troisième la prit ensuite et de même tous les sept et ils moururent sans laisser d'enfant. 32 Après eux tous, la femme mourut aussi. - Exposé de la difficulté, sous la forme d'un cas de conscience probablement imaginaire, quoique possible (cf. Tobie 6, 14), et présenté de manière à jeter du ridicule sur le dogme de la résurrection. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu 22, 23-33.
Luc 20.33 Duquel donc, au temps de la résurrection, sera-t-elle la femme, car elle l'a été de tous les sept ?" - C'est la conclusion de toute l'argumentation qui précède, vv. 28-32. - Duquel sera‑t‑elle l'épouse ?
Luc 20.34 Jésus leur dit : "Les enfants de ce monde se marient et sont donnés en mariage, - A la question des Sadducéens un Rabbin quelconque aurait répondu (car les Docteurs juifs avaient examiné le cas) en affirmant que la femme appartiendrait dans l'autre monde à son premier mari. Solution bien mesquine à côté de celle de Jésus, qui ouvre en partie pour nous les portes du ciel et nous permet de jeter sur l'état futur des prédestinés un regard ravi. - Les enfants de ce monde : Hébraïsme pour désigner les hommes tels qu'ils vivent présentement sur la terre. Ailleurs (par ex. 16, 8 ; voyez le commentaire) cette locution est employée au point de vue moral et signale la partie la plus dépravée du genre humain ; mais tel n'est pas ici le cas. - Se marient et sont donnés en mariage (les femmes qui sont données en mariage par leurs parents). Plus haut, 17, 27, ce même détail était noté comme l'indice d'une vie sensuelle et mondaine ; il apparaît simplement en ce passage comme une nécessité de la condition actuelle des hommes, par opposition à l'état des bienheureux (vv. 35 et 36). Le verbe grec correspondant à donnée en mariage (littéralement : être donnée en mariage au dehors) ne se trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament.
Luc 20.35 mais ceux qui ont été trouvés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts, ne prennent pas de femme et n'ont pas de mari, - Le monde à venir est mis en contraste avec « de ce monde ». Notre‑Seigneur ne parlait alors que des élus. cf. 11, 36 ; 2 Thessaloniciens 1, 5 ; Apocalypse 3, 4. Comparez aussi la locution rabbinique : « digne du monde futur ». - Ne se marieront pas… Les verbes sont au présent dans le texte grec, de même qu'au v. 34.
Luc 20.36 aussi bien ne peuvent-ils plus mourir, puisqu'ils sont comme les anges et qu'ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection. - Jésus explique pourquoi il n'y aura plus de mariages dans le ciel. Il existe, tel est son raisonnement, une étroite corrélation entre la mort et la génération charnelle, celle‑ci n'ayant d'autre but que de réparer les brèches produites par celle‑là. Quand la mort sera détruite le mariage cessera de même. Actuellement il faut des naissances quotidiennes, sans quoi l'espèce humaine ne tarderait pas à disparaître : quand l'espèce sera devenue immobile, immortelle, il n'y aura plus besoin d'individus nouveaux. L'arbre de l'humanité ne poussera plus de branches fraîches, sa croissance étant complète. - Ils sont comme les anges. Le Seigneur, poursuivant son argumentation, indique les motifs pour lesquels les ressuscités ne sauraient mourir. Leur nature sera transformée, car 1° ils participeront à l'état angélique (voyez S. Matth.), 2° ils seront fils de Dieu, par là‑même qu'ils seront fils de la résurrection (hébraïsme qui équivaut à « ressuscités »). Nos pères mortels ne peuvent nous communiquer qu'une vie mortelle ; Dieu, lorsqu'il deviendra notre père d'une manière toute admirable par le grand acte de la résurrection, lequel est « une espèce de génération nouvelle pour l'immortalité » (D. Calmet, h. l.), fera passer dans nos membres transfigurés quelque chose de son essence spirituelle, et dès lors ils ne pourront plus mourir. - On le voit, si S. Luc a omis le début de la réponse du Sauveur (cf. Matth. 22, 29 ; Marc. 12, 24), en revanche quelles particularités précieuses n'a‑t‑il pas conservées.
Luc 20.37 Mais que les morts ressuscitent, c'est ce que Moïse lui-même a fait connaître dans le passage du Buisson, lorsqu'il nomme le Seigneur : Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. - Après avoir réfuté les idées préconçues des Sadducéens sur la condition des bienheureux dans l'autre vie (vv. 34 à 36), Notre‑Seigneur, dans cette seconde partie de sa démonstration (vv. 37 et 38), leur prouve par les saintes Écritures la certitude de la résurrection. Voyez l'explication détaillée dans S. Matth. - Moïse lui-même a fait connaître : Moïse lui‑même sur qui vous prétendez vous appuyer pour nier la résurrection des morts. - Dans le passage du buisson. Ainsi que nous l'avons montré dans notre commentaire du second Évangile, cette locution désigne le chap. 3 de l'Exode, où est racontée l'apparition de Dieu à Moïse auprès du buisson ardent. Comparez les exemples suivants empruntés au Talmud : Berach. Fol. 2, 1, c'est‑à‑dire Isaïe 6, 6 ; fol. 4, 2, c'est à dire Daniel 9, 21. Voyez dans le commentaire de Fritzsche sur la lettre aux Romains 11, 2, l'emploi de formules analogues chez les écrivains romains et grecs. - Les deux autres synoptiques citent directement les paroles du Seigneur à Moïse ; S. Luc se sert du langage indirect, pour abréger.
Luc 20.38 Or il n'est pas Dieu de morts, mais des vivants, car tous sont vivants devant lui." - Quelle force, quelle profondeur, et en même temps quelle simplicité de raisonnement. - Tous sont vivants devant lui. Ces mots, propres à S. Luc, sont destinés à démontrer que Dieu est par excellence le Dieu des vivants. cf. Romains 14, 8-9.
Luc 20.39 Quelques-uns des Scribes, prenant la parole, lui dirent : "Maître, vous avez bien parlé." - Ce détail n'est raconté que par S. Luc. - Les Scribes étaient généralement hostiles à Jésus ; ils ne purent néanmoins s'empêcher d'admirer la sagesse avec laquelle il avait réfuté les sceptiques Sadducéens : quelques‑uns d'entre eux lui adressèrent même un éloge public : vous avez bien parlé. - Notre évangéliste omet ici, probablement parce qu'il en avait raconté plus haut (10, 25 et ss.) un semblable, l'épisode relatif au plus grand commandement, qui eut lieu, suivant les deux autres synoptiques (Matth. 22, 34-40 ; Marc. 12, 28-34), aussitôt après que Jésus eut réduit les Sadducéens au silence.
Luc 20.40 Et ils n'osaient plus lui poser aucune question. - cf. Matth. 22, 46 ; Marc. 12, 34. Le texte grec peut être interprété selon deux nuances de la même pensée. D'après la première leçon, les Scribes louent Jésus, mais se gardent bien de le questionner davantage ; d'après la seconde, qui est plus expressive, leurs louanges avaient pour but de masquer leur retraite.
Luc 20, 41-44 = Mth 22, 41-46 ; Mc 22, 35-37.
Luc 20.41 Jésus leur dit : "Comment dit-on que le Christ est fils de David ? 42 David lui-même dit dans le livre des Psaumes : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, 43 jusqu'à ce que je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds. - La scène se passa encore dans le temple (Marc. 12, 35), et de nombreux Pharisiens étaient alors réunis autour de Jésus (Matth. 22, 41). - Comment dit‑on… ? D'une manière générale : Dans quel sens dit‑on … - Puisque David lui‑même… c'est‑à‑dire : Et pourtant David lui‑même semble affirmer le contraire. - Le Seigneur a dit à mon Seigneur. La traduction littérale du texte hébreu serait : Oracle du Seigneur (Dieu) à mon Seigneur (Adonaï). - Assieds‑toi à ma droite. C'est la place d'honneur que Dieu donne à son Christ, symbole des pouvoirs égaux aux siens qu'il lui confie. - Jusqu'à ce que je fasse… cf. 1 Corinthiens 15, 25.
Luc 20.44 David l'appelle donc Seigneur, comment peut-il être son fils ?" - A la fin de son raisonnement, Jésus réitère sa question en la précisant davantage : Comment est‑il possible d'être en même temps l'inférieur et le supérieur de quelqu'un ? Aujourd'hui, un enfant du catéchisme répondrait à cette difficulté. Le Messie, dirait‑il, est fils de David par sa génération temporelle, et le Seigneur de David par sa génération éternelle. Mais c'était alors la plus délicate, la plus complexe des questions théologiques. Aussi, pour la seconde fois dans ce jour mémorable, les Docteurs furent‑ils contraints d'avouer leur ignorance. cf. v. 7.
Luc 20, 45-47 = Mth. 23, 1-36 ; Mc. 12, 38-40.
Luc 20.45 Tandis que tout le peuple l'écoutait, il dit à ses disciples : - Petite introduction historique, dont le premier détail, tandis que tout le peuple (avec emphase sur tout), est propre à notre évangéliste. Ce fut donc en présence d'une foule considérable (cf. Matth. 23, 1) que Jésus dénonça les vices des docteurs juifs. Toutefois, comme l'expriment les paroles suivantes, il dit à ses disciples, il s'adressait alors plus spécialement à ses apôtres et à ses disciples, qu'il voulait prémunir contre les mauvais exemples venus de si haut.
Luc 20.46 "Gardez-vous des Scribes, qui se plaisent à se promener en longues robes, qui aiment à être salués dans les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les festins : - S. Matthieu mentionne les Pharisiens à côté des Scribes. Comme les docteurs de la loi étaient les membres les plus influents du parti pharisaïque, nous avons ici la partie pour le tout. - Qui se plaisent à se promener… Ces divers détails mettent admirablement en relief l'esprit d'ostentation des Scribes. Sur la robe, voyez 15, 22 et le commentaire. Le Talmud dénonce également et menace du tribunal suprême « les hypocrites qui se drapent dans leurs robes pour faire croire qu'ils sont de vrais Pharisiens ».
Luc 20.47 ces gens qui dévorent les maisons des veuves et font pour l'apparence de longues prières, subiront une condamnation plus sévère." - Expression toute classique, cf. Hom. Od. 4, 318. C'était là, d'après Exode 22, 21 et s., un crime dont la voix s'élevait jusqu'au ciel. cf. Isaïe 10, 1, 2. Josèphe aussi, Ant. 18, 2, 4, reproche aux Pharisiens d'exercer une influence abusive sur le monde féminin. Mais le reproche du Sauveur est encore plus explicitement confirmé par ce passage du Talmud (Sota Hieros, 20, 1) : « Il y en a qui conspirent avec les orphelins pour enlever à la veuve ses aliments. Les richesses de n’importe quelle veuve sont la proie du Sabbat. R. Éleazar a dit à l’une d’entre elles : la plaie des Pharisiens te touche ». - Sous prétexte de longues prières. Ils unissaient ainsi l'hypocrisie à la rapacité. Mais leur châtiment équivaudra à leur malice.
Luc 21, 1-4 = Marc. 12, 41-44.
Luc 21.1 Jésus, levant les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le Tronc. - Ayant levé les yeux pour contempler la scène nouvelle qui se passait autour de lui. S. Marc raconte en effet qu'après avoir maudit les Pharisiens et les Scribes, Jésus était venu s'asseoir contre le trésor du temple, et c'est là que nous le retrouvons après un court intervalle. Le Tronc, le trésor du temple est, comme le disaient déjà S. Cyrille et Quinte‑Curce (3, 13), dérivé du persan et du grec, et servait à désigner ici les treize troncs en forme de trompettes dans lesquels les Juifs jetaient les aumônes qu'ils destinaient aux frais du culte, à l'embellissement du temple, etc.
Luc 21.2 Il vit aussi une veuve très pauvre qui y mettait deux petites pièces de monnaie, - Il vit aussi une pauvre veuve. Dans le texte grec, pauvre est un diminutif plein de délicatesse, qui n'est pas employé ailleurs dans le Nouveau Testament. - Deux petites pièces de monnaie. C'était un peu plus qu'un de nos centimes. Les prescriptions talmudiques ne permettaient pas d'offrir une seule pièce.
Luc 21 3 et il dit : "Je vous le dis, en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. 4 Car tous ceux-là ont donné de leur superflu en offrande à Dieu, mais cette femme a donné de son indigence tout ce qu'elle avait pour vivre." - Plus d'un spectateur dut sourire dédaigneusement quand l'humble veuve glissa son offrande dans le tronc : Jésus loue au contraire publiquement cet acte, dont il dévoile toute la générosité. - En vérité… Affirmation solennelle, pour mieux relever le grand principe qui va suivre. - Elle a mis plus que tous les autres. Et pourtant, d'après S. Marc, « de nombreux riches avaient donné beaucoup ». Mais Dieu juge autrement que les hommes. « Car s’il y a de l’ardeur, on est bien reçu avec ce que l’on a, peu importe ce que l’on n’a pas. », 2 Corinthiens 8, 12. Les païens eux‑mêmes admettaient ce juste critère. « Ce n'est pas la somme qui détermine le plus ou le moins, mais la condition de celui qui donne », Xénoph. Anab. 7, 7, 36. cf. Memorab. 1, 3, 3. « La magnanimité ne se mesure pas d'après la grandeur du don, mais d'après le rapport qui existe entre lui et la fortune du donataire », Aristote, Ethic. 4, 2. Le Talmud raconte qu'un grand‑prêtre, ayant durement refusé une poignée de farine qu'une pauvre femme lui offrait pour le temple, fut réprimandé par Dieu dans une vision et obligé d'accepter ce modeste sacrifice. « Et quel mérite y a‑t‑il à cela ? » nous disait un jour un gentilhomme aussi généreux que riche. - Celle‑ci a donné de son indigence : l'acte de cette femme était donc vraiment héroïque. « La petite somme d’argent est celle qui a le plus de valeur parce que le montant d’argent dépensé ne se calcule pas d’après ce qui est donné mais d’après ce qui reste. Personne n’a plus donné que celle qui ne s’est rien réservé », S. Ambroise De viduis, c. 5. Les anges seuls, avec Dieu, sont capables de supputer les gros intérêts qu'a produits l'obole de la pauvre veuve.
Discours sur la ruine de Jérusalem et sur la fin du monde. Luc 21, 5-36 = Matth. 24, 1-51 ; Marc. 13, 1-37.
Luc 21.5 Quelques-uns disaient que le temple était orné de belles pierres et de riches offrandes, Jésus dit : - De prime‑abord on croirait, d'après S. Luc, que cette nouvelle scène avait encore lieu sous les parvis ; mais les deux autres synoptiques nous apprennent qu'au moment où elle commença Jésus franchissait l'enceinte du temple (Matth. « Jésus était sorti » ; Marc. « comme Jésus sortait »). Il abrège donc ; mais il est aisé de compléter son récit. Il faut vouloir trouver de la contradiction quand même dans les Saints Évangiles pour conclure de cette variante, et d'autres semblables, que les écrivains sacrés sont en opposition les uns avec les autres. La vérité consiste à dire qu'ils parlent avec plus ou moins de précision. Les « quelques‑uns » qui attirèrent l'attention du Sauveur sur les beautés et les richesses du temple n'étaient autres que les disciples. - Orné de belles pierres… Voyez, au sujet de ces magnifiques monolithes, l'Evang. selon S. Marc. - Orné de riches offrandes. détail spécial. Il s'agit, comme le prouve l'emploi du mot grec correspondant à dons, classique dans ce sens, des dons sacrés que les personnages les plus célèbres et les plus divers (entre autres, Auguste, Julie, Ptolémée Evergète, etc.) avaient tenu à honneur d'offrir au temple de Jérusalem, de manière à en faire « un sanctuaire d'une immense opulence », suivant l'expression de Tacite, Hist. 5, 8. Les principaux étaient, indépendamment de coupes, de couronnes et de boucliers sans nombre, la chaîne d'or offerte par Agrippa, la table et le candélabre de la reine Hélène d'Adiabène, et surtout l'énorme cep d'or, d'un travail exquis, aux grappes atteignant la taille d'un homme, qu'Hérode‑le‑Grand avait fait placer au‑dessus du portique. Voyez le Talmud, Middoth, 3, 8 ; 2 Maccabées 3, 2 ; 5, 16 ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 13, 3 ; La Guerre des Juifs, 5, 5, 4.
Luc 21.6 "Des jours viendront où, de tout ce que vous regardez-là, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée." - Jésus fait à ses disciples une réponse terrible. - Des jours viendront : après environ 40 années. - Il ne restera pas pierre sur pierre. Voyez 19, 44, et le commentaire.
Luc 21.7 Alors ils lui demandèrent : "Maître, quand ces choses arriveront-elles et à quel signe connaîtra-t-on qu'elles sont près de s'accomplir ?" - De nouveau S. Luc condense les faits. Jésus est maintenant assis au sommet de la montagne des Oliviers, entouré de ses quatre disciples les plus intimes, Pierre et André, Jacques et Jean, et ce sont eux qui l'interrogent familièrement pour lui faire expliquer la parole de mauvais augure proférée sur le seuil du temple. Voyez les passages parallèles. - Quand ces choses arriveront‑elles, et à quel signe… ? Deux questions que le Sauveur ne traitera pas de la même manière : à la première il ne fera qu'une réponse vague et indirecte, parce qu'il ne jugeait pas utile d'instruire les apôtres sur ce point ; mais il donnera de précieux renseignements sur la seconde.
Luc 21.8 Jésus répondit : "Prenez garde qu'on ne vous séduise, car plusieurs viendront sous mon nom, disant : Je suis le Christ et le temps est proche. Ne les suivez donc pas. - Prenez garde d'être séduits. Début frappant et solennel, qu'on trouve dans les trois rédactions. - Car plusieurs viendront… Jésus fait connaître clairement aux siens les hommes dangereux qui pourraient les séduire. - Sous mon nom, c'est à dire en usurpant mon nom. - Le temps est proche. détail propre à S. Luc. Le temps par antonomase, le temps fixé pour l'inauguration du royaume messianique. - Ne les suivez donc pas. Cette recommandation de Jésus est encore une spécialité de notre évangéliste. - Tel est le premier prélude, qui consiste dans l'apparition de faux Christs.
Luc 21.9 Et quand vous entendrez parler de guerres et de révoltes, ne soyez pas effrayés, il faut que ces choses arrivent d'abord, mais la fin ne viendra pas sitôt." - Second prélude : ébranlements formidables dans le monde politique. - Guerres et révoltes. Le grec a « des guerres », par opposition à des combats isolés. Le mot grec correspondant à « révoltes » signifie littéralement des perturbations, des tumultes. cf. 1 Corinthiens 14, 33 ; Jacques 3, 16. - Ne soyez pas effrayés, expression énergique que nous retrouverons plus loin, 24, 37 ; littéralement : ne soyez pas émus, agités. - Il faut que ces choses arrivent : par conséquent demeurez calmes entre les bras de la divine Providence, en attendant la fin. - sitôt est une nuance propre à S. Luc.
Luc 2110 Il leur dit alors : "Une nation s'élèvera contre une nation et un royaume contre un royaume. 11 Il y aura de grands tremblements de terre, des pestes et des famines en divers lieux et dans le ciel d'effrayantes apparitions et des signes extraordinaires. - Alors… formule de transition, pour mettre en relief les idées qui vont suivre. Jésus reprend et développe sa prédiction du v. 9. - De grands tremblements de terre. Troisième prélude. Aux commotions politiques, signalées sous une nouvelle forme dans le v. 10, s'ajouteront celles de la nature. Les grands bouleversements physiques coïncident fréquemment avec les grandes crises de l'histoire. - Le détail qui suit, d’effrayantes apparitions dans le ciel (des apparitions terribles), et des signes extraordinaires (des phénomènes précurseurs d'une crise), est propre à S. Luc. « Des signes évidents annoncèrent le siège et la ruine de Jérusalem, car une étoile en forme de glaive et une comète furent suspendues sur la ville durant une année entière ; en pleine nuit la plus massive des portes du temple s'ouvrit d'elle‑même, et, chose fabuleuse en apparence, mais racontée par des témoins dignes de foi, avant le coucher du soleil on vit des chariots et des troupes de guerriers armés s'élancer à travers les rues et environner les cités ». Josèphe, Les Guerres des Juifs, 6, 5. cf. Tacite, Hist. 5, 13 ; 4 Esdras 5, 4.
Luc 21.12 Mais, avant tout cela, on mettra les mains sur vous et l'on vous persécutera, on vous traînera dans les synagogues et dans les prisons, on vous traduira devant les rois et les gouverneurs, à cause de mon nom. - Nouveau détail, spécial. S. Matthieu dit vaguement : « alors » ; nous apprenons au contraire par la rédaction de S. Luc que les persécutions dirigées contre l'Église, soit avant la destruction de l'état juif, soit avant la fin du monde, devaient ou doivent précéder tous les autres préludes (« avant tout cela »), c'est‑à‑dire, les guerres, les révolutions des empires, etc. Cela eut lieu en effet, comme nous le voyons au livre des Actes, avant la ruine de Jérusalem : ce signe se réalisa le premier de tous. Il en sera de même aux derniers jours du monde. - On mettra les mains sur vous… Les détails de cette violente persécution sont plus nombreux dans notre Évangile que dans les deux autres. C'était là du reste une ancienne prophétie de Jésus aux Douze. cf. 12, 11 ; Matth. 10, 17 et ss. - On vous traduira devant les rois… Les autorités païennes, aussi bien que les autorités juives, traitèrent les premiers fidèles avec la plus grande cruauté. - Les mots à cause de mon nom se rapportent au verset tout entier.
Luc 21.13 Cela vous arrivera, afin que vous me rendiez témoignage. - Cela vous arrivera… Bonne traduction du verbe grec, qu'on trouve seulement ici et Philippiens 1, 19, et qui indique habituellement un résultat heureux. Cette parole de Jésus contient donc une consolation. - Pour que vous rendiez témoignage. Quelques‑uns sous‑entendent : de la vérité (que je sois le Christ) ; d'autres : de leur perversité ; d'autres, plus probablement : de votre foi. On lit dans S. Marc avec une nuance : « ce sera pour eux un témoignage ».
Luc 21.14 Mettez donc dans vos cœurs de ne pas penser d'avance à votre défense, - Mettez donc dans vos cœurs, c'est‑à‑dire : prenez cette ferme résolution. - Vous n'aurez pas à méditer d'avance … Le texte grec est ici d'une énergique brièveté qui défie toute traduction. cf. le passage parallèle de S. Marc (13, 11). Les disciples de Jésus ne devront pas, en vue de leur apologie, se confier aux artifices de la rhétorique. Ils auront un secours plus puissant que l'éloquence humaine.
Luc 21.15 car je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront ni répondre, ni résister. - Quelle emphase visible dans ce car je… - Je vous donnerai… Métonymie très expressive, qu'on trouve dans toutes les langues. cf., pour l'idée, 12, 11-12 ; Matth. 10, 19-20 ; Exode 4, 15-16 ; Jérémie 1, 9. - Une sagesse. Le Seigneur fournira aux siens les pensées non moins que les paroles. - Vos adversaires ne pourront résister. Voyez au livre des Actes, 4, 14 ; 6, 10, la réalisation littérale de cette promesse, et l'influence irrésistible des arguments que l'Esprit Saint inspirait aux Apôtres. Plus tard, combien de fois les juges païens ne furent‑ils pas réduits au silence par les réponses des martyrs. - Vos ennemis. L'expression grecque correspondante est chère à S. Paul et à S. Luc : ils sont seuls à l'employer dans le Nouveau Testament. - La forme donnée à la pensée de Jésus dans ce verset est propre à notre évangéliste. cf. Marc. 13, 11.
Luc 21.16 Vous serez livrés même par vos parents, par vos frères, par vos proches et par vos amis et ils feront mourir plusieurs d'entre vous. - C'est la persécution domestique après la persécution publique et officielle. - Vous serez livrés. Même vos parents et vos amis vous persécuteront. cf. 1, 34 ; 12, 53, où nous avons déjà vu la désunion se glisser dans les familles à l'occasion du Christianisme. - Vos parents, vos proches… Désignation, en gradation descendante, des quatre sortes de personnes desquelles, habituellement, nous n'avons à attendre que de l'affection. - Ils feront mourir plusieurs d'entre vous. Les quatre apôtres qui entendaient cette prophétie, S. Pierre, S. André, S. Jacques et S. Jean, subirent tous plus tard le martyre.
Luc 21.17 Vous serez en haine à tous à cause de mon nom. - Universalité de la persécution : vous serez en haine à tous. cf. 12, 7 ; Matth. 10, 30. « ainsi, sur le point même où ils disent du mal de vous en vous traitant de malfaiteurs... », écrivait déjà S. Pierre aux premiers fidèles (1 Pierre 2, 12. cf. 2 Pierre 4, 18). Mais les victimes injustement persécutées pourront se consoler en pensant qu'elles souffrent pour le nom de Jésus.
Luc 21.18 Cependant pas un cheveu de votre tête ne se perdra, - Promesse d'une protection toute particulière durant la persécution. Nous avons déjà rencontré ailleurs (12, 7 ; Matth. 10, 30) cette assurance donnée aux disciples par Jésus. La forme pittoresque sous laquelle elle est exprimée marque très bien la sécurité. C'était du reste une locution proverbiale qui avait cours depuis longtemps chez les Juifs. cf. 1 Samuel 14, 45 ; 2 Samuel 14, 11 ; 1 Rois 1, 52. Voyez aussi Actes 27, 34. Mais, ici, n'est‑elle pas en contradiction avec le v. 16, où il est dit « l'on fera mourir plusieurs d'entre vous » ? Plusieurs rationalistes l'ont prétendu. Toutefois, comme l'admettent franchement d'autres rationalistes, l'antilogie n'est qu'apparente, et il est aisé de la faire tomber, soit en suppléant quelque idée sous‑entendue, par exemple : « Tant que vous serez utiles au service de Dieu », ou bien : « Sans la volonté divine » (de Wette) ; soit en appliquant ce verset à l'église considérée dans son ensemble : « La chrétienté ne souffrira rien de fâcheux, alors même que plusieurs particuliers perdraient la vie » (Godet) ; soit en prenant la phrase au spirituel : « Votre salut est assuré quand même » ; soit enfin, d'après M. Schegg, en voyant ici la règle et plus haut (v. 16) l'exception. Telle nous paraît être la meilleure solution de la difficulté. Elle n'a rien de subtil et elle s'harmonise fort bien avec l'histoire qui nous montre le Seigneur protégeant d'une manière merveilleuse la masse des fidèles, dans le cours des persécutions, tout en permettant le martyre d'un grand nombre.
Luc 21.19 par votre constance, vous sauverez vos âmes. - Ces paroles encore sont propres au récit de S. Luc, quoique Notre‑Seigneur les eût également proférées en d'autres circonstances (cf. 9, 14 ; Matth. 16, 25), et qu'elles existent sous une forme équivalente dans les passages parallèles de S. Matthieu (24, 13) et de S. Marc (13, 13). - Vous sauverez vos âmes. Mieux, d'après le texte grec, « vous acquerrez ». Vos âmes, par conséquent le salut éternel.
Luc 21.20 Mais lorsque vous verrez des armées investir Jérusalem, sachez alors que sa désolation est proche. - Lorsque sert de transition à cette nouvelle série de prédictions terribles. - Jérusalem entourée par une armée. Dans le grec, « par des armées » au pluriel, pour noter le grand nombre des assaillants. Et, en réalité, Jérusalem fut attaquée de trois côtés à la fois, par trois colonnes d'investissement qui formaient comme autant d'armées. S. Luc semble avoir remplacé à dessein par ce détail très clair l'expression toute judaïque « abomination de la désolation », qu'emploient S. Matthieu et S. Marc pour désigner les signes précurseurs de la ruine de Jérusalem. Il a du moins conservé le mot désolation à la fin de la phrase.
Luc 21.21 Alors que ceux qui seront dans la Judée s'enfuient dans les montagnes, que ceux qui seront dans la ville en sortent et que ceux qui seront dans les campagnes n'entrent pas dans la ville. - C'est grâce à cette pressante recommandation de Jésus que les chrétiens de la Judée durent d'échapper aux horreurs indicibles du siège. - Ceux qui seront dans la ville… il faut comprendre au milieu de Jérusalem, d'après le v. 20, et non au milieu de la Judée, ce qui serait une tautologie. détail propre à S. Luc. - Ceux qui sont dans les campagnes, par opposition à la ville ; selon d'autres, mais moins bien, dans les provinces. C'est encore un détail propre à notre évangéliste. - N'entrent pas dans la ville. En temps de guerre, les habitants des campagnes sont portés à se réfugier dans les places fortes du voisinage à l'approche des armées ennemies cf. Jérémie 4, 5-6. Cette circonstance, à laquelle se joignit le pèlerinage annuel des fêtes pascales, accumula dans Jérusalem une multitude énorme de Juifs qui périrent misérablement. Plusieurs ayant essayé de s'enfuir, le farouche sicaire Simon de Gérasa les fit égorger sans pitié. cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 4, 9, 10.
Luc 21.22 Car ce seront des jours de châtiment, pour l'accomplissement de tout ce qui est écrit. - Nouvelle particularité de S. Luc. Jésus indique pourquoi on devra fuir alors bien loin de Jérusalem : ce sera pour ne pas s'exposer à partager la triste destinée de cette ville coupable. - Des jours de châtiment : les jours de la vengeance divine, la ruine de Jérusalem étant irrévocablement et depuis longtemps décrétée. - Afin que s'accomplisse tout ce qui est écrit. Les menaces du Seigneur avaient retenti aux oreilles des Juifs depuis les jours de Moïse, Deutéronome 28, et les derniers prophètes les avaient solennellement reproduites. cf. Daniel 9, 26 et s. ; Zacharie 11 ; 14, 42.
Luc 21.23 Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là, car la détresse sera grande sur la terre, grande la colère contre ce peuple.- Comme dans les deux autres synoptiques, c'est là un Malheur plein de compassion. Ce « malheur » est motivé par de terribles détails, dont la mention est propre à S. Luc (vv. 23b et 24). - Une grande détresse : mots tout à faits expressifs dans le texte grec, pour désigner une angoisse suprême. - Sur la terre : plus probablement dans un sens restreint, c'est‑à‑dire, sur la terre juive, en Palestine, ainsi qu'il ressort des mots suivants, colère contre ce peuple. Le pronom « ce » est dédaigneux et terrible.
Luc 21.24 Ils tomberont sous le tranchant du glaive, ils seront emmenés captifs parmi toutes les nations et Jérusalem sera foulée aux pieds par les païens, jusqu'à ce que les temps des païens soient accomplis. - Jésus indique maintenant de quelle manière se manifestera la colère divine. - Ils tomberont sous le tranchant du glaive. Belle et forte figure, employée fréquemment dans les littératures sémitiques. cf. Genèse 34, 26 ; Deutéronome 13, 15 ; Josué 8, 24 ; Hébreux 11, 34. - Et ils seront emmenés captifs. D'après l'historien Josèphe, La Guerre des Juifs, 6, 9, 2, le nombre des Juifs qui périrent à Jérusalem fut de 1.000.000 ; celui des captifs, de 97000. « Après que le soldat fut las de tuer, Titus ordonna qu'on gardât les jeunes hommes les plus robustes et les mieux faits, pour orner son triomphe. Pour les autres qui étaient au‑dessus de l'âge de 17 ans, il les envoya en Égypte pour y travailler au mines. Titus en distribua un grand nombre d'autres dans les provinces, pour servir dans les théâtres aux spectacles du peuple, pour être exposés aux bêtes, etc. Ceux qui n'avaient pas 17 ans furent vendus et menés pour esclaves en divers endroits ». D. Calmet, h. l. La prédiction se réalisa donc à la lettre. On eût dit que la nation entière s'était donnée rendez‑vous dans sa capitale pour s'y faire égorger ou charger de chaînes. - Et Jérusalem sera foulée aux pieds… Ici encore la prophétie s'est accomplie en toute rigueur : Jérusalem a été prise, saccagée, foulée aux pieds tout à tour par les Romains, par les Perses, par les Sarrasins, par les Francs, par les Turcs. Les Juifs, ses anciens maîtres, y étaient simplement tolérés, moyennant une redevance qu'ils payaient au sultan. Et cependant, après l'exil de Babylone, ils l'avaient précisément fortifiée « on édifia tout autour de la montagne de Sion un rempart élevé, avec de puissantes tours, de peur que les païens ne viennent piétiner ces lieux comme auparavant », 1 Maccabées 4, 60. Cruelle ironie du sort. - Jusqu'à ce que le temps des païens soit accompli. Ces derniers mots présentent quelque obscurité. Les exégètes ne sont pas d'accord sur ce qu'il faut entendre par les « temps des païens », dont l'accomplissement mettra un terme au châtiment d’Israël. Il est peu probable que ce soit « jusqu'à la fin du monde », comme l'ont pensé Euthymius, F. Luc, etc. Le délai ainsi accordé aux Païens doit avoir des limites plus précises. Peut‑être les temps en question représenteraient‑ils l'époque où les peuples non‑juifs seront à leur tour mûrs pour le jugement, ou bien celle durant laquelle ils continueront à être les exécuteurs des vengeances divines, ou mieux encore, croyons‑nous, les jours qui leur seront accordés à eux‑mêmes pour se convertir. Telle était déjà l'opinion de Bède le Vénérable : « Jusqu’à ce que la plénitude des Païens entre dans l’Église du Christ », et un passage de la lettre aux Romains, 11, 25, « La cécité frappera en partie Israël jusqu’à ce que la plénitude des Païens entre », semble la favoriser singulièrement. Mais l'expression demeure en partie mystérieuse, et il est difficile de la préciser davantage.
Luc 2125 Et il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles et, sur la terre, les nations seront dans l'angoisse et la consternation, au bruit de la mer et des flots, 26 les hommes séchant de frayeur dans l'attente de ce qui doit arriver à la terre entière, car les puissances des cieux seront ébranlées. - Comme les deux premiers évangélistes, S. Luc passe tout à coup aux derniers jours du monde, conduisant ses lecteurs d'un horizon rapproché à un horizon lointain. Il abrège d'abord notablement, quand il se borne à mentionner des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles (cf. Matth. 24, 29 ; Marc. 13, 24 et 25, où la description de Jésus est plus développée) ; mais il signale ensuite plusieurs détails particuliers et très expressifs, à partir des mots et sur la terre. - Sur la terre : par opposition aux signes du ciel. - les nations seront dans l'angoisse. Expression très énergique dans le texte primitif, qui s'emploie soit au propre, soit au figuré. - Les mots bruit de la mer et des flots indiquent ce qui produira la perplexité des peuples, les vagues s'avanceront mugissantes, menaçant de tout engloutir. - Comme dans notre explication du passage parallèle de S. Matthieu (24, 29), nous prenons à la lettre ces prédictions de Jésus, tout en admettant qu'elles sont exposées d'après les idées populaires et non dans le langage des savants. Les prophètes décrivent de la même manière l'agonie du monde, les convulsions suprêmes qui annonceront sa dissolution. cf. Amos 8, 9 ; Joël, 2, 30 et s. ; Isaïe 13, 9-13 ; 34, 2 ; Ézéchiel 32, 7, 8, etc. Comparez ces beaux vers de Lucain, qui expriment des faits analogues : « Ainsi, quand se rompra la chaîne par laquelle le monde est lié, quand les siècles qui forment la vie de l'univers trouveront leur agonie, le chaos antique ressaisira son énorme proie ; on verra les astres du ciel se confondre et lutter ; leurs flammes expirer dans l'océan, les rivages refuser leurs digues à la mer, et la mer les envahir… » (Pharsale, 1, 72) - Les hommes séchant de frayeur. Quelle énergie de langage. - Dans l'attente : une attente pleine d'inquiétude, l'anxiété d'un mal imminent. - Les puissances des cieux. Sur cette locution, voyez S. Matth. Eschyle nomme les astres « les brillants roitelets ».
Luc 21.27 Alors on verra le Fils de l'homme venant dans une nuée avec une grande puissance et une grande gloire. - Après qu'auront paru les phénomènes décrits dans les vv. 25 et 26, le Fils de l'homme viendra avec grande puissance et majesté. Le premier avènement de Jésus avait eu lieu au contraire dans la faiblesse et l'humilité.
Luc 21.28 Quand ces choses commenceront à arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance approche." - Tout ce verset est propre à S. Luc. - Lorsque ces choses commenceront à arriver : les signes terrestres et célestes qui viennent d'être mentionnés. Ces signes devant avoir une certaine durée, Jésus attire l'attention des disciples sur le « début » de leur apparition. Aussitôt, dit‑il, que vous les reconnaîtrez d'après ma prédiction, regardez et levez la tête. C'est‑à‑dire, élevez votre cœur, « soyeux heureux et debout » dit Cicéron (pro Font. 11) parlant tout ensemble au propre et au figuré. Cette belle métaphore est basée sur l'expérience universelle. « Ils ont coutume de lever la tête et de regarder en haut ceux qui ont l’âme bonne et sereine, et ceux qui ont bon espoir de se dégager du mal. Ceux qui sont tristes et affligés, et qui n’ont aucun espoir d’échapper au mal, baissent la tête et regardent la terre », Fr. Luc. - Car votre délivrance approche. Expression aimée de S. Paul. cf. Romains 3, 24 ; 8, 23 ; 1 Corinthiens 1, 30 ; Éphésiens 1, 7 ; Hébreux 9, 15 ; 11, 35, etc. Ce qui troublera le reste des hommes devra donc réjouir les chrétiens, parce que ce sera pour eux l'annonce de la délivrance, du bonheur éternel.
Luc 2129 Et il leur dit cette comparaison : "Voyez le figuier et tous les arbres : 30 dès qu'ils se sont mis à pousser, vous savez de vous-mêmes, en les voyant, que l'été est proche. 31 De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche. - Petite parabole pour résumer et pour faire ressortir, à l'aide d'une image claire et simple, les enseignements des vv. 25-28. - Et il leur proposa cette comparaison. De nouveau (cf. v. 10) S. Luc interrompt le discours de Jésus par une formule de transition qui lui est propre. - Voyez le figuier… Jésus se trouvait alors sur le mont des Oliviers, et cet arbre y croissait en abondance, comme l'indique le nom de Bethphagé, « maison des figues ». De plus, le mouvement de la végétation avait déjà commencé. cf. Matth. 21, 19. - Et tous les arbres est une particularité de S. Luc. Les autres synoptiques ne citent que le figuier. - dès qu'ils se sont mis à pousser, signifie émettre des fleurs ou des feuilles. Comparez les nuances des récits parallèles. - De même, quand vous verrez… Morale de la parabole. Elle est exprimée en termes à peu près identiques dans les trois synoptiques : notre évangéliste a seulement le royaume de Dieu (le royaume du Messie dans sa glorieuse consommation) au lieu de la vague locution « à votre porte » de S. Matthieu et de S. Marc.
Luc 2132 Je vous le dis, en vérité, cette génération ne passera pas, que tout ne soit accompli. 33 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. - Conclusion de la partie prophétique du Discours, vv. 8-31. Ici encore il existe une ressemblance frappante entre les trois récits. Voyez l'explication dans S. Matth. - Mes paroles ne passeront pas… « Car tirées de l’éternité, elles possèdent en elles le pouvoir de demeurer. Mais les autres choses, i.e. le ciel et la terre, en vertu de leur condition même de créatures tirées du néant, sont nécessairement par elles‑mêmes vouées au changement et au non être », S. Hilaire, Hom. in Evang. h. l
Luc 21.34 Prenez garde à vous-mêmes, de peur que vos cœurs ne s'appesantissent par l'excès du manger et du boire et par les soucis de la vie et que ce jour ne fonde sur vous à l'improviste, - Prenez garde à vous. Le pronom est emphatique. Des phénomènes extérieurs qu'il vient d'annoncer pour un avenir plus ou moins lointain, Jésus ramène l'attention des disciples sur leur propre personne. - De peur que vos cœurs ne s'appesantissent. Locution très expressive. Un cœur alourdi est entraîné vers la terre par son propre poids ; il est incapable de s'élever vers les hautes sphères où Jésus voudrait le conduire. - Par l'excès du manger et du boire : deux substantifs fréquemment associés par les classiques grecs et latins. Le vice de l'ébriété était poussé à ses dernières limites chez les peuples de l'antiquité. cf. Cicéron, Att. 13, 52 ; Philippiens 2, 25 ; Verr. 5, 11 ; Sénèque, ad Helvid. 9 ; Juvénal, 6, 427, etc. S’enivrer n'avait rien d'humiliant, même dans la haute société, mais faisait partie du « bon ton ». Jésus met ses disciples en garde contre toutes ces horreurs. cf. 1 Thessaloniciens 5, 6 ; 1 Pierre 4, 7 : soyez sobres. - Jésus ajoute : une inquiétude exagérée, toute mondaine, relativement aux nécessités quotidiennes de la vie, est bien capable aussi de rendre le cœur pesant, incapable de vraie vertu. cf. 8, 14. - Et que ce jour ne fonde sur vous à l'improviste… Si le cœur est ainsi gâté ou préoccupé, comment serait‑il attentif ? Et, s'il n'est pas attentif, il sera inévitablement surpris par le dernier jour, nommé ce jour par antonomase.
Luc 21.35 car il viendra comme un filet sur tous ceux qui habitent la face de la terre entière. - Belle et vivante image d'une ruine qui survient à l'improviste. Nous retrouvons la même métaphore dans Isaïe 24, 17 ; Romains 11, 9 ; 1 Timothée 3, 7, et tout particulièrement Ecclésiaste 9, 12 : « L’homme ne connaît même pas son heure : comme le poisson pris au filet fatal, comme l’oiseau pris au piège, ainsi en est‑il des fils d’Adam surpris par le moment fatal qui tombe sur eux à l’improviste. » D'autres fois, 12, 39, 40 ; 1 Thessaloniciens 6, 3 ; Apocalypse 3, 3 ; 16, 15, etc. la mort et le jugement sont représentés sous la figure d'un voleur qui arrive également quand on s'y attend le moins. - Il viendra comme un filet sur tous… Jésus désigne ainsi l'universalité du jugement. Remarquez l'emphase de tous, toute.
Luc 21.36 Veillez donc et priez sans cesse, afin que vous soyez trouvés dignes d'échapper à tous ces maux qui doivent arriver et de paraître debout devant le Fils de l'homme. - Veillez : mot principal de cette exhortation pratique. - Priant sans cesse. Dans le texte grec, le verbe prier n'est pas celui que les autres évangélistes emploient habituellement pour exprimer l'idée de la prière : S. Matthieu seul en fait une fois usage (9, 38) ; mais nous le trouvons quinze fois dans les écrits de S. Luc, et six fois dans ceux de S. Paul. Notez cette association de la vigilance et de la prière (cf. 18, 1 ; Éphésiens 6, 18) : la prudence humaine serait insuffisante sans les divins secours que la prière nous obtient. - Afin que vous soyez trouvés dignes d'échapper… cf. 20, 26. - Paraître debout devant le Fils de l'homme : c'est‑à‑dire, d'après Psaume 1, 5 et Malachie 3, 2, vous tenir avec confiance pour louer et aimer éternellement Dieu dans le ciel. C'est là un doux et consolant horizon que nous ouvre Jésus.
Luc 21.37 Pendant le jour, Jésus enseignait dans le temple et il en sortait pour aller passer la nuit sur la montagne qu'on appelle des Oliviers. - enseignait dans le temple. Imparfait qui exprime une coutume, des faits réitérés. cf. 19, 47 et 48. Le discours eschatologique ayant été prononcé le mardi soir, et Jésus, depuis lors n'étant plus retourné au temple, la présente note est évidemment rétrospective ; elle résume la vie de Notre‑Seigneur à partir du dimanche des rameaux jusqu'au mardi saint. - La nuit il sortait. Le texte primitif signifie « il passait la nuit en plein air » ce qui d'ordinaire ne présente pas d'inconvénient en Judée au début du printemps. S. Jean nous apprend néanmoins, 18, 18, que la nuit de l'arrestation de Jésus fut froide. D'après Matth. 21, 17, Jésus reçut l'hospitalité à Béthanie durant la nuit du dimanche au lundi. C'était pour échapper aux embûches de ses ennemis que le Sauveur quittait ainsi Jérusalem chaque soir.
Luc 21.38 Et tout le peuple, dès le matin, venait à lui pour l'écouter dans le temple. - Tout le peuple : expression emphatique. - dès le matin. Quel admirable tableau de l'affection des multitudes pour Jésus. Elles avaient peine à attendre le retour de l'aube, et se réunissaient de grand matin sous les galeries du temple, afin d'être là dès que le Docteur tant goûté reprendrait son enseignement interrompu la veille. Hélas. Pour un grand nombre, ces beaux sentiments ne devaient pas être de longue durée. cf. 23, 18.
CHAPITRE 22
Luc vv. 1-2 = Matth. 26, 3-5 ; Marc. 14, 1-2.
Luc 22.1 La fête des Azymes, qu'on appelle la Pâque, approchait, - D'après les rédactions plus précises de S. Matthieu et de S. Marc, la fête de la Pâque et des pains sans levain allait avoir lieu deux jours après. Sur les noms fête des Azymes et Pâques, voyez S. Matth. Le second est ajouté ici par manière d'explication pour les chrétiens convertis du paganisme, qui pouvaient ne pas comprendre le premier.
Luc 22.2 et les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient comment ils feraient mourir Jésus, car ils craignaient le peuple. - Les princes des prêtres et les scribes cherchaient… L'imparfait exprime très bien la continuité des supputations, des recherches. De même S. Marc mentionne les grands prêtres et les scribes. S. Matthieu mentionne les princes des prêtres et les anciens du peuple. En réunissant les trois récits nous voyons qu'il s'agit du Sanhédrin tout entier. - Ce que les membres du Grand Conseil se demandaient avec anxiété, ce n'était pas s'ils se débarrasseraient de Jésus : leur haine l'avait condamné à mort depuis longtemps ; ils cherchaient seulement un moyen aisé de le faire disparaître, car ils craignaient le peuple. Voyez les récits plus complets de S. Matthieu et de S. Marc.
Luc 3-6 = Matth. 26, 14-16 ; Marc 14, 10-11.
S. Luc omet ici, sans doute parce qu'il l'avait raconté plus haut (7, 37 et ss.) un fait analogue, l'onction de Marie, que les autres synoptiques intercalent entre le complot du Sanhédrin et le perfide marché de Judas.
Luc 22.3 Or, Satan entra dans Judas, surnommé Iscariote, du nombre des Douze, - Satan entra dans Judas. Cette expression énergique pour stigmatiser le crime du traître est propre à S. Luc et à S. Jean (13, 2, 27). Rien ne pouvait mieux dépeindre la malice de Judas : c'était une malice satanique, digne du prince des démons et développée sous son influence. Néanmoins, ces paroles ne doivent pas s'entendre d'une possession physique et proprement dite (cf. 8, 30, 32 et ss. ; 11, 26), mais seulement d'une possession morale. C'est dans le cœur de Judas, non dans son corps, que Satan avait pénétré.
Luc 22.4 et celui-ci alla s'entendre avec les Princes des prêtres et les magistrats, sur la manière de le leur livrer. - alla s'entendre: résume l'horrible négociation que Judas entama avec les Sanhédristes, et dont S. Matthieu donne le cynique début : Que voulez‑vous me donner, pour que je vous le livre ? ». - Magistrats (certaines versions ajoutent : « du temple ») est une particularité de S. Luc. On désignait ainsi les chefs de la milice lévitique chargés de maintenir l'ordre dans le temple. cf. 2 Rois 12, 9 ; 25, 18 . En réalité il n'existait qu'un seul commandant du temple (Néhémie 2, 8 ; 7, 2 ; Jérémie 20, 1 ; cf. 2 Maccabées 3, 4 ; Actes 4, 1 ; 5, 24) ; mais il avait sous lui des officiers subalternes, et ils sont tous mentionnés indistinctement dans ce passage. Il était naturel qu'ils fussent consultés dans le cas présent, car personne mieux qu'eux ne pouvait rendre compte de l'état des esprits, et des difficultés plus ou moins grandes que présentait l'arrestation de Jésus.
Luc 22.5 Eux, pleins de joie, promirent de lui donner de l'argent. - Ils se réjouirent de cette offre spontanée, inattendue, qui semblait rendre désormais facile l'exécution de leur sinistre projet. S. Marc et S. Luc ont seuls signalé ce détail. - Ils promirent : ce qui suppose que la chose fut débattue de part et d'autre. Cette expression est donc plus forte que celles des récits parallèles. Vraisemblablement, Judas eut deux entrevues avec les princes des prêtres ; c'est à la seconde, après qu'il eût rempli la condition de son infâme contrat, que les trente deniers lui furent comptés.
Luc 22.6 Il s'engagea de son côté et il cherchait une occasion favorable de leur livrer Jésus à l'insu de la foule. - Il s'engagea : il consentit à l'arrangement proposé, et se mit aussitôt en devoir d'exécuter sa part de la convention. - A l'insu de la foule : c'est‑à‑dire sans tumulte, d'une manière toute pacifique. Ce détail est propre à S. Luc.
Luc 227 Arriva le jour des Azymes, où l'on devait immoler la Pâque. 8 Jésus envoya Pierre et Jean : "Allez, leur dit-il, nous préparer le repas pascal." 9 Ils lui dirent : "Où voulez-vous que nous le préparions ?" - Notre évangéliste a seul conservé les noms des deux envoyés de Jésus. Comme il s'agissait d'une mission de confiance, il n'est pas étonnant que le Sauveur ait choisi ses disciples les plus intimes. En plusieurs autres endroits de l'Évangile ou des Actes nous trouvons S. Pierre et S. Jean fraternellement associés. cf. 5, 10 ; Jean 13, 23-25 ; 20, 2-10 ; 21, 20 et s. ; Actes 3, 1-11 ; 4, 13-22 ; 8, 14-25. - D'après les récits parallèles, c'est des apôtres que serait partie l'initiative sur ce point. S. Luc l'attribue au contraire à Jésus, et il est probable qu'il raconte les faits d'après leur ordre réel, parce qu'il est le plus complet. Les autres synoptiques, pour abréger, auront supprimé la question du Sauveur, tandis que S. Luc remet celle des apôtres (où voulez‑vous que nous la préparions ?) dans son vrai milieu primitif.
Luc 22.10 Il leur répondit : "En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau, suivez-le dans la maison où il entrera, - EN entrant dans la ville : détail propre à S. Luc : les autres narrateurs ne déterminent pas le lieu de la rencontre. - Vous rencontrerez un homme… Le Dr Sepp a lu dans son imagination féconde que cet homme était l'esclave de Nicodème. - Portant une cruche : sur la tête, suivant la mode orientale. - Suivez‑le dans la maison… S. Cyrille d'Alexandrie (ap. Mai, p. 369) avait parfaitement compris le but de ces indications mystérieuses. Voyez S. Matth.
Luc 2211 et vous direz au maître de cette maison : Le Maître te fait dire : Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? 12 Et il vous montrera un grand cénacle meublé : préparez-y ce qu'il faut." - La salle : expression que nous avons précédemment rencontrée (2, 7) ; mais ici, au lieu de désigner une hôtellerie, elle a simplement le sens de « cénacle » : salle à manger, ou étage supérieur ou se trouvait la salle la manger. Dans le grec, littéralement : une chambre haute. - Chambre haute : Cette chambre devait être munie de tout le mobilier nécessaire pour la célébration de la Pâque. Jésus veut un appartement digne de sa dernière cène.
Luc 22.13 Ils partirent et trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et ils préparèrent la Pâque. - La rencontre des disciples et du porteur d'eau eut lieu probablement vers la porte de la Fontaine, située au S.E. de Jérusalem, non loin de la piscine de Siloé. Quant à la maison, « La tradition la plus commune est à l’effet que cette maison fut celle de Jean appelé Marc » (Sylveira).
Luc 12, 14-23 = Mth 26,20-30 Mc 17-26 Jn 13
Luc 22.14 L'heure étant venue, Jésus se mit à table et les douze Apôtres avec lui, - l'heure étant venue : c'est‑à‑dire l'heure fixée légalement pour la cène pascale. « Le soir venu », disent les deux autres synoptiques avec plus de précision. - se mit à table. Depuis longtemps les Juifs avaient cessé de manger la Pâque debout et en tenue de voyageurs. - Les douze apôtres avec lui. Sur le placement des convives de Jésus nous ne connaissons que les détails conservés par S. Jean, 13, 23 et s. (voyez le commentaire).
Luc 22.15 et il leur dit : "J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. - Ce petit discours du Sauveur (vv. 15 et 16), prononcé au début du festin légal, ne se trouve que dans le troisième Évangile. - J'ai désiré d'un grand désir est un hébraïsme (cf. Genèse 31, 30. cf. la traduction des Septante), d'où l'on a quelquefois induit que S. Luc s'est servi pour ce passage d'un document aram éen. Cette répétition corrobore singulièrement l'idée (cf. Matth. 13, 14 ; Jean 3, 29 ; Actes 4, 17 ; 5, 18) ; elle exprime une grande intensité de désirs. - manger cette Pâque avec vous. « Cette Pâque » avec emphase, cette Pâque entre toutes les autres, soit parce que c'était la dernière, soit à cause de l'institution de la sainte Eucharistie (voyez Bossuet, Explication des prières de la Messe, 23). Voilà pourquoi l’eucharistie était appelée par les anciens la désirée. Et quand ceux qui venaient d’être baptisés étaient amenés de la sainte fontaine à l’autel pour recevoir l’eucharistie, ils récitaient ou chantaient ce psaume, selon la coutume de l’Église : comme le cerf désire… ». - Avant de souffrir. C'est, croyons‑nous, le seul endroit des Évangiles où ce verbe est employé d'une manière absolue, sans déterminatif d'aucun genre. - Le verset, après avoir commencé par un sentiment de joie, se termine par une parole de tristesse.
Luc 22.16 Car, je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu'à la Pâque parfaite, célébrée dans le royaume de Dieu."- Jésus explique davantage le motif de son ardent désir. L'agneau pascal, que Jésus allait manger pour la dernière fois, était une figure ; dans le royaume de Dieu parvenu à sa consommation, c'est‑à‑dire, dans le ciel, ce type sera complètement réalisé. Notre‑Seigneur fait donc allusion par ces paroles à la Pâque éternelle des cieux, où il n'y aura plus d'ombres imparfaites, mais une réalité magnifique.
Luc 22.17 Et prenant une coupe, il rendit grâces et dit : "Prenez et partagez entre vous. Il s'élève ici une assez grosse discussion entre les commentateurs. Le calice mentionné dès cet endroit par S. Luc, et par lui seul, est‑il identique à celui dont il sera question au v. 20, c'est‑à‑dire au calice de l'Eucharistie ? Ou bien serait‑ce simplement une des coupes du festin légal (voyez S. Matth.), en particulier la première ou la troisième ? Ces deux sentiments ont été adoptés par des exégètes d'un égal renom, depuis l'antiquité jusqu'à nous. « Ce calice appartient à l’ancienne Pâque à laquelle Jésus désirait mettre un terme », Bède le Vénérable. De même Théophylacte, Cajetan, F. Luc, D. Calmet, Grotius. D'autre part, Origène (in Matth. Tract. 30), S. Cyprien (lettre ad Caecil. 83), S. Augustin (Quaest. Evangel. l. 1, c. 42), Maldonat (h.l.), Langen (die letzten Lebenstage Jesu, p. 191 et s.), etc., pensent que S. Luc parle dès maintenant de la coupe eucharistique, pour la signaler une seconde fois plus loin (v. 20) à sa place véritable, avec la formule qui servit à la consacrer. La raison qu'ils allèguent nous paraît assez plausible. Si le calice du v. 17 est un de ceux du festin légal, Jésus, en s'abstenant d'y toucher (v. 18), aura contrevenu sans motif apparent aux règles de la Pâque sur un point assez grave, ce qui semble opposé à sa manière habituelle de faire. Sans doute, la double mention du calice de l'Eucharistie paraît tout d'abord surprenante, car elle accuse un défaut d'ordre dans le récit. Mais on peut fort bien répondre que S. Luc a été conduit à anticiper de quelques instants par la symétrie qui existe entre les paroles antérieures de Jésus, vv. 15-16, et celles du v. 18. Il aurait donc suivi un certain ordre logique, quitte à revenir plus loin à la marche réelle des faits. - Partagez entre vous : de telle sorte que chacun ait sa part. Recommandation très naturelle, Jésus ne voulant consacrer qu'une seule coupe pour tous ses convives.
Luc 22.18 Car, je vous le dis, je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu." - S. Matthieu et S. Marc placent cette assertion solennelle à la fin de la cène eucharistique : d'après l'opinion que nous venons d'adopter à propos du v. 17, c'est alors en effet qu'elle fut prononcée. Les partisans du sentiment contraire supposent, tantôt qu'elle termina le repas légal, tantôt que Jésus la répéta deux fois. Voyez‑en l'explication dans S. Matth. Le parallélisme signalé plus haut entre ce verset et le 16ème est vraiment très frappant.
Luc 22.19 Puis il prit du pain et ayant rendu grâces, il le rompit et le leur donna, en disant : "Ceci est mon corps, qui est donné pour vous : faites ceci en mémoire de moi." - Il prit du pain : « dans ses mains saintes et vénérables », ajoutent la plupart des liturgies. « Ces mains qui avaient opéré tant de merveilles, donné la vue aux aveugles, guéri les maladies et multiplié les pains dans le désert », Lebrun, Explication des prières et des cérémonies de la messe, Paris 1777, t. 1, p. 458. Les liturgies mentionnent un autre geste de Jésus : « les yeux levés au ciel ». - Il le rompit. « Le pain était si mince parmi les Hébreux, ainsi que parmi les autres Orientaux, qu'on le rompait toujours avec les doigts pour le distribuer, sans se servir du couteau ». Lebrun, l.c., p. 460. - En disant… Avant de consacrer le pain en son corps, Jésus dit à ses disciples : « Prenez et mangez » (Matth. 1 Corinthiens 11), mots omis par S. Luc. - Les paroles de la consécration présentent des différences selon les récits de S. Matthieu, S. Marc, S. Luc, S. Paul. Les récits se groupent deux à deux : il existe un très grand rapport de ressemblance d'une part entre S. Matthieu et S. Marc, de l'autre entre S. Luc et S. Paul son maître (cf. la Préface, § 3). Ces derniers donnent la formule d'une manière beaucoup plus complète, évidemment telle qu'elle fut prononcée, car si l'on comprend qu'on ait pu l'abréger, on ne concevrait pas que les écrivains sacrés se fussent permis d'y ajouter d'eux‑mêmes quoi que ce soit. - Qui est donné pour vous. « Qui EST donné pour vous (au présent), parce que c'était déjà un vrai sacrifice, dans lequel Jésus‑Christ se trouvait réellement, et qu'il offrait par avance à son Père... » D. Calmet. Ou encore, l'emploi du temps présent peut signifier la proximité de l'oblation sanglante de Jésus sur la croix, oblation préfigurée dans l'institution de la divine Eucharistie. - Faites ceci… Autre particularité de S. Luc et de S. Paul. Ce sont là de merveilleuses paroles, au moyen desquelles Jésus créa le sacerdoce chrétien, comme il venait de créer le sacrement de l'autel. « Faites cela », c'est‑à‑dire : A votre tour prenez du pain, dites que c'est mon corps, et, entre vos mains de même qu'actuellement entre les miennes, il sera changé en ma chair. Ce pouvoir sacré n'est pas limité. Faites cela demain, toujours, vous et vos successeurs. Ainsi l'a justement compris l'Église primitive, où l'on voit, dès les temps les plus reculés, la messe célébrée en vertu de cet ordre du Sauveur. cf. Concile de Trente, Session 20, c. 1 ; Bellarmin, Controv. de Sacrif. Missae, l. 1, etc. - En mémoire de moi. La Pâque juive avait été instituée comme un mémorial de la délivrance de l’esclavage égyptien : « Ce jour‑là sera pour vous un mémorial », Exode 12, 14. cf. 13, 9. La nouvelle aussi sera commémorative, mais d'une délivrance supérieure, la délivrance de l’esclavage du démon, opérée sur la croix par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ.
Luc 22.20 Il fit de même pour la coupe, après le souper, disant : "Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, lequel est versé pour vous. - « Dans la mention du calice, en établissant un testament signé par son sang à lui, il confirme la substance du corps. Car le sang ne peut appartenir à aucun autre corps qu’à un corps charnel », Tertullien. - De même : de la même manière que le pain, c'est‑à‑dire avec action de grâces et bénédiction. - Après le souper. De même S. Paul, l. c. ; c'est‑à‑dire, après la cène légale. - Ce calice est… Comparez les formules de consécration dans les récits de S. Matthieu, S. Marc, S. Luc, S. Paul. Nous retrouvons ici nos deux groupes, avec leurs nuances caractéristiques ; mais les différences sont plus accentuées. La première partie de la formule est moins claire dans les rédactions de S. Luc et de S. Paul ; aussi est‑il probable, selon le principe « la leçon plus difficile doit être préférée », que telles furent véritablement les paroles de Jésus. - Cette coupe que je vous offre, dit Jésus, est la nouvelle alliance en mon sang. L'ancienne Alliance avait été scellée dès son origine par du sang répandu, Genèse 15, 8 et ss. Plus tard, Exode 12, 22 et s. ; 24, 8, c'est encore en faisant couler du sang qu'on la renouvela. La nouvelle Alliance est pareillement ratifiée par du sang versé, mais c'est le sang précieux du Sauveur. cf. Hébreux 15, 18-22. Or, comme la coupe eucharistique, dès qu'elle eût été consacrée, contenait réellement le sang de Jésus, il est évident que la phrase « Ce calice est la nouvelle Alliance en mon sang », équivaut à celle‑ci : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance » (S. Matth., S. Marc). - Pour vous. Dans les deux autres synoptiques : « pour la multitude ». La liturgie romaine dit en unissant les deux expressions : « pour vous et pour la multitude ». - Lequel est versé, preuve que le contenu de la coupe était dès lors du sang, non du vin. De ce vin consacré, comme du pain transubstantié, Notre‑Seigneur affirme solennellement la vertu propitiatoire et l'union morale avec son sacrifice du lendemain. D'après le récit de S. Paul, Jésus répéta en cet endroit l'injonction finale du v. 19 : Faites ceci en mémoire de moi. - Appuyé sur les paroles du Sauveur, nous croyons à la présence réelle comme nous croyons à l'Incarnation et à la Résurrection. Signalons les formules de consécration usitées dans les principales liturgies. Elles se rattachent toutes de très près aux récits évangéliques, dont elles combinent parfois les variantes, et auxquels parfois aussi elles ajoutent quelques développements. Liturgie romaine : Car ceci est mon corps. Car ceci est le calice de mon sang, du testament nouveau et éternel, mystère de foi, qui sera répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgies de S. Jacques et de S. Marc : Ceci est mon corps qui est rompu pour vous et qui est donné en rémission des péchés. Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup, et qui est donné en rémission des péchés. Liturgies de S. Basile et de S. Jean Chrysostome : Ceci est mon corps qui est rompu pour beaucoup en rémission des péchés. Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgie éthiopienne : Ceci est mon corps qui les livré pour vous en rémission des péchés. Amen. Ceci est le calice de mon sang qui est répandu pour vous et pour la rédemption de plusieurs. Amen. Liturgie copte : Car ceci est mon corps qui est rompu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Car ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgie de S. Cyrille : Ceci est mon corps qui est livré pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgie arménienne: Ceci est mon corps qui est distribué pour vous en expiation des péchés. Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en expiation et en rémission des péchés. Liturgie mozarabe : Ceci est mon corps qui est livré pour vous. Ceci est le calice du nouveau testament dans mon sang, qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Voyez Lebrun, Explication de la Messe, t. 2 et 3, passim.
Luc 22.21 Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi à cette table. - Cependant sert de transition à un sujet douloureux, la trahison de l'un des Douze (vv. 21-23). S. Luc abrège notablement cet épisode, dont les détails complets sont surtout fournis par S. Matthieu, 26, 21-25, et par S. Jean, 13, 18-30. - Voici que la main… relève fortement le caractère affreux du crime dévoilé par Jésus. Il en est de même du contraste établi par les paroles suivantes : « celui qui me trahit est avec moi à cette table. C’est par la main que se fit la trahison. C’est avec la main que quelqu’un est livré aux ennemis. C’est aussi avec la main que de la nourriture a été prise pour être mangée. C’est comme s’il disait : cette main avec laquelle il met dans sa bouche la nourriture de ma table, c’est celle‑là même qui me livrera à mes ennemis », F. Luc.
Luc 22.22 Quant au Fils de l'homme, il va selon ce qui a été décrété, mais malheur à l'homme par qui il est trahi." - Le Fils de l'homme s'en va. La plupart des exégètes regardent ce « va » comme un euphémisme pour « va mourir » ; ce qui est très conforme à l'usage classique. On pourrait néanmoins conserver ici au verbe sa signification ordinaire. - Selon ce qui a été décrété. Belle expression, aimée de S. Luc. cf. Actes 2, 23 ; 10, 42 ; 16, 26, 31 : selon qu'il a été fixé de toute éternité par les décrets divins. La pensée est plus restreinte dans les récits parallèles : « comme il est écrit ». - Mais malheur à l'homme… Terrible mais juste sentence de damnation prononcée contre Judas. Les décrets de la Providence ne l'empêchaient pas d'être libre : à lui donc toute la responsabilité de son épouvantable trahison. [Faisons une comparaison. Le fait que Dieu, dans sa prescience, sache quelle porte vous allez prendre pour sortir d’une pièce qui comporterait deux portes de sortie, n’influence pas votre liberté de sortir par la porte de droite ou par la porte de gauche. De même pour Judas. Dieu savait qu’il allait trahir, désespérer et donc se damner mais Judas avait reçu toutes les grâces suffisantes pour échapper à la damnation.]
Luc 22.23 Et les disciples se mirent à se demander les uns aux autres quel était celui d'entre eux qui devait faire cela. - Le récit de S. Luc décrit fort bien, malgré sa brièveté, la vive émotion que produisit parmi les apôtres cette prédiction inattendue. - Quel était celui d'entre eux… On voit par ces détails avec quelle habileté Judas avait caché son jeu, puisque les soupçons de ses confrères ne paraissent pas s'être portés sur lui plutôt que sur un autre. - A propos du traître, nous avons à examiner rapidement ici une question qui n'est ni sans intérêt ni sans difficulté. Il s'agit de savoir s'il assista comme les autres à la cène eucharistique, ou si son départ du cénacle (cf. Jean 13, 30) eut lieu avant l'institution du divin sacrement de l'autel. La plupart des Pères (Origène, S. Cyrille, S. Jean Chrysostome, S. Ambroise, S. Léon, S. Cyprien, S. Augustin ; voyez Corn. a Lapide, in Matth. 26, 20) et des anciens exégètes ou théologiens ont admis le premier de ces deux sentiments. Le second, qui a prévalu fin XIXème siècle, à tel point que les commentateurs sont presque unanimes à l'adopter, est loin cependant d'être une création moderne. On peut alléguer en sa faveur une tradition qui, pour être moins glorieuse que la précédente, n'en a pas moins une valeur réelle, spécialement sur un point qui n'intéresse d'une manière directe ni la foi ni les mœurs. Tatien, Ammonius, S. Jacques de Nisibe, les Constitutions Apostoliques, S. Hilaire, excluaient déjà Judas Iscariote du banquet eucharistique. Théophylacte assure que, de son temps, plusieurs partageaient cette opinion. Plus tard elle a été soutenue par Rupert de Deutz, Pierre Comestor, le pape Innocent III, Turrianus, Salmeron, Barradius, Lamy, etc. Pour qu'une telle dissidence se soit produite, il faut assurément que le texte évangélique présente une certaine liberté. Nous avons donc à comparer entre eux les divers récits pour voir s'ils favorisent une opinion plutôt qu'une autre. D'après S. Matthieu (26, 21-30) et S. Marc (14, 18-26), Jésus célébra d'abord la Pâque à la façon des Juifs ; puis, avant de passer à l'institution de la sainte Eucharistie, il prédit à ses disciples que l'un d'eux le trahirait. Judas lui demanda comme les autres : Est‑ce moi Seigneur ? Et reçut une réponse affirmative. Alors seulement Notre‑Seigneur consacra le pain, le vin, et communia les assistants. Nous avons vu (vv. 15-23) que S. Luc coordonne les faits d'une autre manière. A la suite du repas légal Jésus institue l'Eucharistie, qu'il distribue aux convives ; puis il parle du traître qui doit bientôt le livrer à ses ennemis. Quant à S. Jean (13, 21-30), il a omis, comme l'on sait, la cène eucharistique. Sa rédaction nous montre Jésus lavant les pieds des apôtres, se troublant, et annonçant qu'il sera prochainement trahi. Le disciple bien‑aimé se penche sur la poitrine du Sauveur et le prie de lui faire connaître le traître ; Jésus le lui indique en donnant un morceau trempé à Judas, auquel il dit en même temps : Ce que tu fais, fais‑le plus vite. Le misérable sort aussitôt pour consommer son crime. - Il ressort de ce résumé que S. Luc paraît trancher nettement la question dans le sens de la première opinion, puisqu'il ne place qu'après l'institution de l'Eucharistie la prédiction relative au traître, laquelle, suivant les trois autres récits, fut prononcée en présence de Judas. Mais 1° l'autorité des deux premiers évangélistes, dont l'un avait été témoin oculaire, ne contrebalance‑t‑elle pas celle du troisième ? 2° Entre le v. 17 et le v. 30 S. Luc semble ne s'être pas préoccupé de suivre rigoureusement l'ordre chronologique. On dirait qu'il procède par fragments, se bornant à ranger les uns à la suite des autres, presque sans transition, les divers événements qu'il expose. C'est ainsi que les vv. 17 et 18 nous ont paru n'être pas à leur place, et nous en dirons tout à l'heure autant des vv. 24-30. D'après cela, nous pouvons croire qu'il a anticipé, en racontant l'institution de la sainte Eucharistie avant la dénonciation du traître. 3° Selon S. Jean Jésus, voulant congédier le traître, lui donna une bouchée. Cette bouchée n'était autre chose qu'un petit morceau d'agneau pascal, que le père de famille présentait quelquefois à un ou à plusieurs convives vers la fin du repas liturgique (voyez notre commentaire de Jean 13, 26 et 27). Or la cène légale et la cène eucharistique ayant été complètement distinctes, de sorte que la seconde commença seulement après que la première eut été achevée, nous sommes en droit de conclure que Judas reçut la bouchée et quitta la salle du festin avant la consécration des saintes espèces. 4° Si l'on veut faire appel aux raisons de convenance, il paraît difficile d'admettre que Jésus ait laissé profaner l'un de ses plus grands mystères dès le premier moment de son institution. Pour ces divers motifs, nous regardons comme plus probable le sentiment d'après lequel Judas n'assista pas à la création de la Pâque chrétienne.
Luc 22.24 Il s'éleva aussi parmi eux une dispute, pour savoir lequel d'entre eux devait être estimé le plus grand. - Une dispute. Le mot grec désigne à proprement parler une querelle d'ambition. On ne s'attendrait guère à voir une dispute de ce genre surgir parmi les apôtres à un pareil instant, c'est‑à‑dire aussitôt après l'institution de la sainte Eucharistie. C’est pourquoi la plupart des exégètes supposent, et à bon droit, croyons‑nous, qu'ici encore S. Luc aurait quelque peu interverti l'ordre historique des faits, pour unir logiquement diverses paroles de Jésus. Sans admettre avec Maldonat que la querelle en question remontait à une semaine au moins en arrière (Matth. 20, 20 et parall.), ce qui nous paraît exagéré, nous dirons à la suite de Salmeron, « Cette question que l’on soulève n’est pas éloignée de la vraisemblance : est‑ce que cela a eu lieu avant l’ablution des pieds ? ». De même D. Calmet. Peut‑être fut‑elle occasionnée par le placement des convives (Bède le Vénérable, Hofmann, Keil, Langen, etc.) au début du repas. - Devait être estimé le plus grand : formulation sophistiquée, fréquente chez les classiques romains et grecs. – Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que les apôtres se montraient chatouilleux sur ce point d'honneur. cf. 9, 46 ; Mth. 18, 1 ; Marc. 9, 34.
Luc 22.25 Jésus leur dit : "Les rois des nations dominent sur elles et ceux qui leur commandent sont appelés Bienfaiteurs. - Jésus arrête dès son début cette triste discussion, en proposant à ses amis une considération bien capable de leur montrer jusqu'à quel point ils s'écartaient alors de l'esprit chrétien. cf. Matth. 24, 35 ; Marc. 10, 42, et le commentaire. - Bienfaiteurs. Vers l'époque de Jésus, le titre d'Evergète (bienfaisant, bienfaiteur) se donnait en effet avec une étonnante facilité aux rois et aux dynastes. Cyrus, deux Ptolémée, Antigone Doson de Macédoine, Mithridate V du Pont, Artavazdes d'Arménie, et bien d'autres, le portèrent : même des tyrans l'avaient reçu. cf. Diod. 2, 26 ; Athen. 549.
Luc 22.26 Pour vous, ne faites pas ainsi, mais que le plus grand parmi vous soit comme le dernier et celui qui gouverne comme celui qui sert. - Ne faites pas ainsi : Il ne faut pas que les mœurs du paganisme s'introduisent dans le corps apostolique. - Mais que le plus grand… devienne le plus petit. Expression pittoresque. Dans les familles, le plus jeune a la dernière place, et, spécialement en Orient, c'est à lui que reviennent la plupart des petites corvées domestiques, de sorte qu'il est souvent comme le serviteur de tous. - Et celui qui gouverne… c'est la même pensée sous une autre figure. Voyez dans 1 Pierre 5, 3, jusqu'à quel point la leçon de Jésus fut comprise des siens. L'Église aura donc son aristocratie, qui sera tout ensemble une aristocratie de grandeur et d'humilité.
Luc 22.27 Car quel est le plus grand, de celui qui est à table, ou de celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. - Jésus interpose ici un raisonnement d'expérience, pour mieux inculquer son assertion antérieure. - Voici deux hommes, dont l'un est mollement étendu sur un sofa, devant une table bien garnie, tandis que l'autre, debout, sert le premier : quel est le supérieur ? Personne ne saurait s'y méprendre. Et pourtant, continue le Sauveur, résumant toutes les relations qu'il avait eues avec ses apôtres depuis sa vie publique, moi, votre chef (emphatique), je me suis fait votre serviteur. Pensons au lavement des pieds, qui allait suivre, ou selon d'autres, qui avait immédiatement précédé ces paroles.
Luc 22.28 Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, - Après ce doux reproche, Jésus relève le courage des apôtres en louant leur fidélité à son service et en leur promettant des places glorieuses dans son royaume. - Vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves. Le Sauveur désigne par ce nom les tribulations de divers genres, les persécutions, qu'il avait eues constamment à endurer depuis le début de son ministère ; or les Douze lui étaient demeurés fidèles quand même, quoiqu'ils s'exposassent ainsi au mépris, à la haine de leurs compatriotes. Avec quelle bonté Jésus les en remercie. Bientôt, il est vrai, ils devaient fuir et l’abandonner à l'heure de sa plus grande détresse ; mais cette défaillance momentanée n'effaçait pas tant d'actes de dévouement et de noble courage.
Luc 2229 et moi, je vous prépare un royaume, comme mon Père me l'a préparé, 30 afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume et que vous soyez assis sur des trônes, pour juger les douze tribus d'Israël." - Et moi je vous prépare… « Le pronom moi et la conjonction et, que l’on trouve dans l’antithèse mise entre le Christ et ses disciples, ont un relief singulier. Vous, vous avez fait cela pour moi : vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations. Moi, en retour, je fais cela pour vous : je vous préparerai un royaume », Maldonat. Le verbe « prépare » ne doit pas se prendre ici dans le sens d'une disposition testamentaire, car le contexte s'y oppose (comme mon Père me l'a préparé) ; il contient du moins une promesse solennelle. Évidemment, la conjonction comme exprime une similitude, non une égalité. - Afin que vous mangiez et buviez. Jésus décrit par deux images pittoresques les splendeurs de ce royaume qu'il vient de promettre aux apôtres. La première est celle d'un festin splendide, comme en d'autres endroits de l'Écriture (Psaume 16, 15 ; 35, 9 ; Luc. 14, 15, etc.). Les mots à ma table paraissent indiquer un privilège spécial réservé aux amis les plus fidèles du Sauveur. «Comme ce ne sont pas tous ceux qui demeurent dans une maison royale qui prennent leur repas à la table du roi, mais seulement ceux de la plus haute noblesse, ceux‑là seuls à qui le roi fait cet honneur », écrit Maldonat avec sa justesse habituelle. - Assis sur des trônes. Seconde métaphore, qui exprime la puissance réservée aux apôtres dans le ciel, de même que la précédente était l’emblème de leurs joies éternelles. Peu de temps auparavant, le Sauveur avait déjà parlé aux siens dans les mêmes termes de ce pouvoir judiciaire. cf. Matth. 19, 26 et le commentaire. - Quelles paroles. et c'est la veille de sa mort ignominieuse que Jésus distribue des trônes et des couronnes.
Luc 22.31 Et le Seigneur dit : "Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment, - Le Seigneur dit encore (cf. 8, 13). Bien qu'elle soit omise dans les manuscrits B, L, T, et plusieurs versions, cette phrase est suffisamment garantie par la plupart des anciens témoins. Elle introduit la seconde partie de l'entretien, vv. 31-34. - Simon, Simon. Répétition pleine de solennité. Jésus va faire à S. Pierre une promesse grandiose, digne d'être associée, par son sujet comme par son importance, à Matth. 16, 17-19, et à Jean 21, 15-17. - Satan vous a réclamés. Prenez bien garde. L'enfer et son chef (cf. Marc. 1, 13) étaient dans une grande agitation ce jour‑là, mais la ruine de Judas ne leur suffisait pas. Le verbe réclamer est une expression énergique. C'est probablement une allusion à la première page du livre de Job. Satan est censé avoir demandé au Seigneur, sans la permission duquel il ne peut agir, carte blanche pour tenter S. Pierre et les autres apôtres restés fidèles. - Pour vous cribler comme le froment. Autre expression énergique, qui désigne fort bien la violence des moyens qu'emploiera le démon afin d'ébranler la foi du groupe des 12 apôtres et d'anéantir ainsi dans sa base l'Église de Jésus. cf. Amos, 9, 8 et 9. Les cribles des anciens étaient faits tantôt de feuilles de papyrus ou de parchemin dans lesquelles on avait pratiqué un grand nombre de petites ouvertures, tantôt d'un tissu de soie, ou de crins de cheval.
Luc 22.32 mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères. - « Leur ayant montré le danger, il leur montre le remède », Maldonat. - J'ai prié pour toi. Que majesté dans ce « J'ai ». Jésus oppose sa personne divine et son intercession toute‑puissante à la personne et à la demande de Satan. Déjà, comme le temps du verbe l'indique, la prière de Jésus est montée vers Dieu puisque Jésus est Dieu fait homme. Plus haut, v. 31, le Sauveur annonçait que les pièges de Satan menaçaient tous les apôtres ; maintenant il déclare que sa prière a été formulée d'une manière spéciale en faveur de Simon. Ce détail est vraiment remarquable. Mais en voici l’explication : afin que ta foi ne défaille pas. Il y a donc une importance particulière à ce que la foi de S. Pierre n'éprouve pas de défaillance totale, absolue. Notons en passant 1° que cette prière de Jésus a été nécessairement exaucée (cf. Jean 11, 42. « La défense en justice est préférable à une tentative de troubler l’ordre, S. Ambroise) ; 2° que le reniement de S. Pierre n'a pas été réellement un abandon de la foi, quoique ce fût une faute grave (voyez Sylveira, Maldonat, et même Grotius, h. l.) [Ce n’est qu’à partir de la Pentecôte, que les apôtres furent confirmés en grâce et ne tombèrent plus jamais dans le péché mortel]. - Quand tu seras converti… Il n'y a pas moins d'emphase dans ce « Et toi » que dans le « J'ai ». Toi aussi, fais à l'égard de tes frères ce que j'ai fait envers toi. Le mot converti signifie « repenti, revenu à la pénitence », ainsi qu'on l'a toujours généralement compris ; il insinue par conséquent la chute passagère que Jésus va bientôt prédire en termes formels à Simon, v. 34, et aussi sa prompte conversion. - Affermis tes frères : c'est‑à‑dire les autres apôtres, comme il ressort très clairement du contexte. Le verbe grec correspondant exprime une solidité à toute épreuve. cf. 1 Thessaloniciens 3, 2 ; 1 Pierre 5, 10 ; 2 Pierre 1, 12 ; etc. Quel beau parallèle du « Tu es Pierre, et sur cette pierre je construirai mon Église, et les forces des enfers ne l'emporteront pas sur elle ». De part et d'autre les conclusions dogmatiques sont les mêmes. En premier lieu la primauté de S. Pierre : « Il est évident que tout ce discours du Seigneur présuppose que Pierre est le premier des apôtres » ; Bengel l'admet avec beaucoup d'autres protestants. En second lieu, le privilège de l'infaillibilité pour le prince des apôtres : « Qui peut douter que S. Pierre n'ait reçu par cette prière (de Jésus) une foi constante, invincible, inébranlable, et si abondante d'ailleurs, qu'elle fut capable d'affermir, non seulement le commun des fidèles, mais encore ses frères les apôtres et les pasteurs du troupeau, en empêchant Satan de les cribler ». Bossuet, Méditat. sur l'Evang., 70è jour. Le Christ a promis à Pierre ce qu’il n’a pas promis aux autres. Car il n’a pas dit : j’ai prié pour vous comme il leur avait dit avant : je vous prépare un royaume. C’est à Pierre seul qu’il a dit : J’ai prié pour toi pour que ta foi ne défaille pas. Et pour faire comprendre qu’un privilège d’infaillibilité était attribué à Pierre en tant que chef de l’Église, il ajoute : et quand tu seras converti, confirme tes frères. Pierre n’aurait pas pu confirmer ses frères s’il n’avait pas été inébranlable dans la foi. De toutes ces choses… on retient que Pierre a reçu du Christ le privilège insigne d’infaillibilité. En troisième lieu, les papes successeurs de S. Pierre participent naturellement à ce double privilège. « Cette parole, Affermis tes frères, n'est pas un commandement que Jésus fasse en particulier à S. Pierre ; c'est un office qu'il érige et qu'il institue dans son Église à perpétuité… Une éternelle succession fut destinée à S. Pierre. Il devait toujours y avoir un Pierre dans l'Église pour confirmer ses frères dans la foi ». Bossuet, l.c., 72è jour. C'est‑à‑dire que chaque pontife romain possède la primauté soit d'honneur soit de juridiction, et l'infaillibilité. Voir Saint Robert Bellarmin, Controverses 3, de Rom. Pontif. l. 4, c. 2-7 ; Billuart et Perrone, dans leurs traités « de Ecclesia » ; Charles-Amable de La Tour d'Auvergne-Lauraguais, La tradition catholique sur l'infaillibilité pontificale, t. 1, p. 54 et ss.
Luc 22.33 Seigneur, lui dit Pierre, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort." - S. Pierre a compris que, tout en lui conférant de glorieuses prérogatives, Jésus révoquait en doute sa complète fidélité ; n'écoutant donc que l'élan de son amour, il réplique par une courageuse parole, qu'un prochain avenir pourra bien démentir, mais qu'un avenir plus éloigné réalisera d'une façon littérale. - Avec vous est mis en avant, par emphase. - Je suis prêt. Hélas. Il présumait trop de ses forces, car il n'était pas encore vraiment préparé. - En prison et à la mort. Belle gradation : même jusqu'à la mort. La prison et la mort, telles étaient les deux formes sous lesquelles Simon‑Pierre se représentait les dangers qui menaçaient alors Notre‑Seigneur.
Luc 22.34 Jésus lui répondit : "Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd'hui, que tu n'aies nié trois fois me connaître." - Jésus ne se borne plus à une simple insinuation, il affirme catégoriquement. Il emploie cette fois, peut‑être avec une certaine pointe d'ironie, le nom messianique qu'il avait lui‑même donné à son futur vicaire (Pierre au lieu de Simon), v. 31. - Le coq ne chantera pas… Manière pittoresque de dire : Avant la prochaine aurore tu m'auras renié trois fois. Voyez S. Matth., et l'Evang. selon S. Marc. - Les nuances qui existent entre les récits évangéliques à propos de cette triste prédiction faite par Jésus à S. Pierre, et les places différentes qu'ils paraissent lui attribuer, ont donné lieu à plusieurs interprétations. S. Augustin pense que Notre‑Seigneur la répéta jusqu'à trois reprises dans la soirée ; d'autres sont pour une seule prédiction diversement relatée ; d'autres, en assez grand nombre (Cornelius a Lapide, Noël Alexandre, Luc de Bruges, etc.), supposent qu'elle fut prononcée au moins deux fois, d'abord au cénacle d'après S. Luc et S. Jean (12, 36-38), puis sur le chemin de Gethsémani, d'après S. Matthieu (26, 30-35) et S. Marc (14, 26-31).
Luc 2235 Il dit encore à ses disciples : "Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? De rien," lui dirent-ils. 36 Il ajouta : "Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne et de même celui qui a un sac et que celui qui n'a pas d'épée vende son manteau et en achète une. - Lorsque je vous ai envoyé. Allusion à la première mission des apôtres, 9, 3 et ss. et parall. Jésus, voyant ses amis si pleins de confiance, juge bon de les ramener à la douloureuse réalité de la situation. - Sans sac, sans bourse. cf. 9, 3 ; 10, 4. Le « sac » désigne la bourse, la « bourse » la valise où l'on mettait les provisions. - Avez-vous manqué quelque chose ? C'étaient alors d'heureux temps, qui ne devaient plus revenir pour les apôtres. Eux‑mêmes, dans leur réponse (« rien »), reconnaissent que la Providence avait alors amplement pourvu à tous leurs besoins. - Mais maintenant. Les circonstances sont désormais bien changées, comme l'explique Jésus par un langage pittoresque. A l'avenir, plus d'hospitalité généreuse, spontanée, offerte aux envoyés du Prophète vénéré ; ils devront donc se munir d'argent et de provisions. En outre, comme ils auront à courir de sérieux dangers, étant devenus pour la plupart des hommes un objet de haine, il sera bon qu'ils se préparent à la lutte, qu'ils aillent jusqu'à se munir d'un glaive. - Que celui qui n’a pas… Quelques exégètes (Kuinoel, Olshausen, etc.) prennent ces mots d'une manière absolue : Celui qui est sans avoir ; d'autres (en assez grand nombre de nos jours) sous‑entendent « un glaive » ; d'autres enfin (à la suite d'Euthymius), et telle est, croyons‑nous, la meilleure explication, traduisent : Que celui qui n'a ni bourse ni argent, etc. - Vende son manteau, il s'agit du vêtement de dessus, dont on peut se passer au besoin. Du reste, on se dispense de bien des choses pour sauver sa vie ; or il s'agit précisément ici d'avoir un glaive protecteur, et Jésus suppose qu'on ne se procurera de l'argent pour l'acheter qu'à la condition de vendre une partie de son vestiaire. - Achèter une épée. Étrange recommandation, qui dut vivement surprendre les apôtres. Il est vrai que nous ne les imiterons pas en la prenant à la lettre (v. 38). C'était une manière concrète, figurée, et très expressive de dire : Attendez‑vous à la haine, à la lutte, aux périls (voyez D. Calmet, h. l.).
Luc 22.37 Car, je vous le dis, il faut encore que cette parole de l'Écriture s'accomplisse en moi : Il a été mis au rang des malfaiteurs. En effet, ce qui me concerne touche à sa fin." - Jésus motive sa recommandation. Le disciple n'est pas plus que le maître ; or le maître va être bientôt outragé, persécuté : il est donc naturel que les disciples s'attendent aussi à la persécution. - Il faut encore. Deux mots emphatiques : cela encore, comme tout le reste. - Cette parole de l’Écriture : par Isaïe au chap. 53 (v. 12), qui est un des points culminants de sa prophétie, et qui traite si admirablement des souffrances et des humiliations du Messie. Voyez le commentaire de M. Trochon, et le Manuel biblique de M. Vigouroux, t. 2, p. 525 et 526. - Il faut encore... : c'est une nécessité d'après le plan divin. - Il a été mis au rang des malfaiteurs. Dans le texte grec : des « sans loi », et par suite, « scélérat », homme qui ne tient aucun compte de la loi. Cette prophétie s'accomplissait peu d'heures après l'application que s'en faisait Jésus. Nous verrons en effet Notre‑Seigneur traité comme scélérat, crucifié entre deux bandits. - En effet introduit une explication des dernières paroles. Pourquoi la prédiction d'Isaïe est‑elle sur le point de se réaliser ? Réponse : ce qui me concerne touche à sa fin. Il y a deux manières d'interpréter cette réponse. 1° Tout ce qui a été écrit à mon sujet dans les saints Livres doit s'accomplir ; 2° ce qui me concerne approche de sa fin. Nous préférons le second sens, qui est plus littéral et plus naturel (cf. Euthymius, etc.).
Luc 22.38 Ils lui dirent : "Seigneur, il y a ici deux épées." Il leur répondit : "C'est assez." - Il y a ici deux épées, s'écrient naïvement les disciples, se méprenant, comme dans une circonstance antérieure (Matth. 16, 6-12), sur la portée des paroles de Jésus. D'où provenaient ces deux glaives ? Peut‑être se trouvaient‑ils dans la maison ; peut‑être les apôtres les avaient‑ils apportés de Galilée en prévision des dangers que leur maître et eux‑mêmes courraient à Jérusalem. Du moins il est peu vraisemblable que ce fussent, comme le pense S. Jean Chrysostome, deux grands couteaux qui avaient servi à immoler l'agneau pascal. Nous verrons dans peu d'instants l'un de ces glaives entre les mains de S. Pierre. « Quelques‑uns ont expliqué ces deux glaives, de la puissance temporelle et spirituelle de l'Église ; mais cette explication est purement allégorique et ne prouve nullement ce pouvoir ». D. Calmet, h. l. cf. Maldonat. - Cela suffit. Non pas : deux glaives pourront suffire (avec ou sans ironie ; Théophylacte, Meyer, Sevin, etc.), mais « En voilà assez. » cf. 1 Maccabées 2, 33. Cette formule est usitée parfois pour éluder une conversation dans laquelle on préfère ne pas s'engager à fond.
Luc 22, 39-46 = Mth. 26, 36-46 Mc. 14, 32-42.
Luc 22.39 Étant sorti, il s'en alla, selon sa coutume, vers le mont des Oliviers et ses disciples le suivirent. - Étant sorti. détail propre à notre Évangile ; il s'agit probablement de la sortie du cénacle (cf. Jean 18, 1). - Il s’en alla, selon sa coutume. Sur cette coutume, cf. 21, 37, et surtout Jean 18, 2. L'imparfait dénote peut‑être une marche grave et lente, car nous savons d'après S. Jean (14, 31 ; 17, 1 ; 18, 1), que, chemin faisant, Jésus parla longuement aux apôtres et adressa aussi à son Père une touchante prière. - Ses disciples le suivirent. Judas seul manquait. Il pourrait bien se faire que, caché dans l'ombre, il se soit assuré par lui‑même de la direction que prenait le Sauveur.
Luc 22.40 Lorsqu'il fut arrivé dans ce lieu, il leur dit : "Priez, afin de ne pas tomber en tentation." - Lorsqu'il fut arrivé dans ce lieu : au lieu qu'il avait en vue. La localité est clairement déterminée dans les autres narrations : c'était le jardin de Gethsémani. Voyez S. Matth. - Il leur dit. S. Luc abrège et omet de dire que Jésus, en entrant dans le jardin, s'était séparé du plus grand nombre de ses disciples, ne gardant auprès de lui que S. Pierre, S. Jacques‑le‑Majeur et S. Jean (cf. Les récits parallèles). C'est à ces derniers seulement qu'il dit : Priez, afin que vous ne succombiez pas à la tentation. La mention de ces paroles avant l'agonie est une particularité de S. Luc.
Luc 22.41 Puis il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre et s'étant mis à genoux, il priait, - Il s'éloigna d'eux… Le verbe grec signifie se séparer, s'arracher ; il marque donc la répugnance qu'éprouvait Notre‑Seigneur en tant qu'homme à se séparer de ses amis pour aller seul affronter une angoisse extrême. - A la distance d'un jet de pierre. cf. Genèse 21, 16. détail pittoresque propre à S. Luc, comme le précédent. Jésus n'étant qu'à une petite distance de ses trois apôtres privilégiés, ceux‑ci, tant qu'ils furent capables de résister au sommeil (v. 45), purent être témoins des principaux détails de son agonie. - S'étant mis à genoux : locution souvent employée par S. Luc (cf. Marc. 15, 19). Chez les Juifs, « La façon habituelle de prier était debout. On priait à genoux sous la pression d’un urgent besoin », Grotius.
Luc 22.42 disant : "Père, si vous voulez, éloignez de moi ce calice. Cependant que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui se fasse." - La prière de Jésus est exposée avec de légères variantes dans nos trois récits parallèles. - Père, si vous le voulez. « Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix », Philippiens 2, 8. L'obéissance fut le mobile perpétuel, unique, de Jésus. cf. Jean 5, 30 ; 6, 38. - Éloignez ce calice de moi. Voyez S. Matthieu 1, 19 et le commentaire. - Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne…
Luc 22.43 Alors lui apparut du ciel un ange qui le fortifiait. - Tout est nouveau dans ce verset et dans le suivant : les faits qu'ils exposent appartiennent aux particularités les plus précieuses dont S. Luc a enrichi la biographie du Sauveur. Il est vrai qu'on a formulé des doutes sur leur authenticité, 1° parce qu'ils sont omis par d'importants manuscrits (A, B, R, T. De plus, E, G, V, Δ, qui les ont, les notent d'astérisques), 2° parce que cette omission est déjà signalée par S. Hilaire et S. Jérôme. Néanmoins, il est à peine croyable qu'ils aient été insérés frauduleusement dans le texte primitif du troisième Évangile. En effet, nous les trouvons dans l'immense majorité des manuscrits (en particulier dans le Cod. Sinaïticus, qui est peut‑être le Nestor en ce genre), dans les versions les plus anciennes et les plus célèbres, à part de rares exceptions (un seul manuscrit de l'Itala, quelques manuscrits de la traduction arménienne, etc.), dans les écrits des premiers Pères, notamment de S. Justin (Dial. c. Tryph, 103), de S. Irénée (3, 22, 2), de S. Hippolyte, etc. Voilà pour les preuves extrinsèques. Intrinsèquement, il n'y a rien, soit dans le style, soit dans les faits, qui s'oppose à l'authenticité du récit. De plus, on ne peut assigner aucun motif d'expliquer une aussi grave interpolation, tandis qu'il est aisé de concevoir que des préjugés dogmatiques aient été assez puissants en divers lieux pour faire omettre nos deux versets. On a cru l'apparition de l'ange et la sueur de sang inconciliables avec la divinité de Jésus, et l'on ne craignit pas de supprimer comme apocryphe le passage qui en renferme la narration. Voyez Galland, t. 3, p. 250 ; Bellarmin, De verbo Dei, 1, 16. Déjà Nicon reprochait aux Arméniens, et Photius aux Syriens, d'avoir enlevé les vv. 43 et 44 de leurs traductions. - Un ange lui apparut. Le verbe grec dénote le caractère extérieur de l'apparition : ce ne fut pas un fait purement interne, comme le prétend Olshausen. - Les anges avaient pour ainsi dire introduit Notre‑Seigneur sur cette terre (cf. 1, 26 et ss., 2, 9-13 ; Matth. 2, 13, 19) ; ils l'avaient assisté aux premiers jours de sa vie publique (Marc. 1, 13) ; ils se feront les témoins de sa Résurrection et de son Ascension : n'est‑il pas naturel que nous les trouvions auprès de lui au moment de ses plus cruelles souffrances ? Mais quel indice d'une angoisse indescriptible, intolérable pour la nature humaine abandonnée à ses propres forces. En même temps, quelle humiliation pour le Verbe incarné : Toutefois, il pouvait bien « recevoir la consolation d'un ange, lui qui par son humanité s'était rendu inférieur aux anges » (D. Calmet). - qui le fortifiait. Ce mot indique la nature de la consolation apportée du ciel à Jésus : elle consista dans une effusion de courage pour qu'il ne pliât pas sous son épouvantable fardeau. Plusieurs exégètes ont supposé que cet épisode n'eut lieu qu'à la fin de l'agonie du Sauveur, comme si ce n'était pas précisément en vue de cette agonie même qu'il avait reçu d'en haut un surcroît de forces ; d'autres ont affirmé d'une manière encore plus arbitraire que l'apparition s'était renouvelée trois fois, c'est‑à‑dire, après chacune des prières de Jésus.
Luc 22.44 Et se trouvant en agonie, il priait plus instamment et sa sueur devint comme des gouttes de sang découlant jusqu'à terre. - Se trouvant en agonie. Le mot grec correspondant à agonie n'est employé qu'en cet endroit du Nouveau Testament : il indique une lutte violente, suprême, et peint sous une vive couleur les souffrances de Jésus en ce moment terrible. Mais le Sauveur, réconforté par la céleste apparition, opposait aux assauts réitérés de son agonie des élans toujours plus sublimes de prière et de résignation : il priait plus instamment. Le comparatif se rapporte soit à l'apparition de l'ange (à sa suite, la prière de Jésus fut plus fervente encore qu'auparavant), soit à chaque transe nouvelle de l'agonie (plus elles avaient de violence, plus le Seigneur priait). Voyez dans la lettre aux Hébreux, 5, 7 et ss., un beau développement de ce détail incomparable. - Et sa sueur devint… « Détail qui trahit le médecin », van Oosterzee. Mais dans quel sens faut‑il l'interpréter ? Nous n'avons pas à nous occuper des théories faciles de Strauss, de Schleiermacher, etc., qui voient ici ou un mythe, ou un embellissement poétique : il s'agit seulement de savoir si la sueur arrachée au corps sacré de Jésus par les tortures de son agonie consista en gouttes épaisses et larges comme seraient des gouttes de sang, ou bien si les expressions de S. Luc désignent une sueur tout à fait extraordinaire, dans laquelle le sang entrait pour une partie notable. Théophylacte, Euthymius, Bynaeus, Olshausen, Hug, etc., adoptent la première opinion parce que, disent‑ils, l'évangéliste montre lui‑même, en employant la particule comme, qu'il ne voulait pas parler d'une vraie sueur de sang. Nous leur répondrons 1° que le mot essentiel de ce passage est sang : la manière dont il est employé le prouve, car c'est à lui que se rapportent toutes les autres expressions du verset ; or ce mot perd sa principale raison d'être s'il ne désigne pas la nature même de la sueur : comme le dit justement Bengel, « Si la sueur n’avait pas été de sang, on aurait pu se passer de mentionner le sang, car le mot gouttes suffisait à lui‑même pour décrire l’écoulement de la sueur » ; 2° que la comparaison ne porte ici ni sur la couleur, ni sur la quantité, mais sur la qualité : la phrase « sa sueur fut comme du sang » suppose donc qu'il y eut du sang, et en partie notable, dans la sueur de Jésus. 3° que leur interprétation donne un sens très faible et émousse entièrement le détail. D'ailleurs les exégètes les plus anciens et les plus distingués, tels que S. Justin, S. Irénée (sa pensée est formulée aussi nettement que possible : il n'eût pas sué des gouttes de sang, adv. Haer, 3, 22, 2), S. Athanase, S. Hilaire, Théodoret, S. Jérôme, S. Augustin, Érasme, Maldonat, D. Calmet, Sylveira, et presque tous les contemporains, catholiques, protestants et rationalistes, prennent parti sans hésiter pour la seconde opinion, dont nous croyons la vérité indiscutable. En outre, des faits nombreux, constatés dès les temps les plus reculés, démontrent jusqu'à l'évidence la possibilité d'une sueur de sang dans des conditions analogues à celle où se trouvait Notre‑Seigneur, c'est‑à‑dire parmi de mortelles angoisses. cf. Aristote, Histor. Animal. 3, 19 ; Théophraste, de Sudore, c. 12 ; Diodor. Sic. Hist. l. 17, c. 90 ; Rappelons enfin que c'est un médecin qui a pris soin de noter ce fait, circonstance qui ajoute un poids considérable au témoignage du troisième Évangile. Il est maintenant scientifiquement établi que sous la pression d’un extrême angoisse, un humain peut suer du sang - Qui coulait jusqu'à terre : Jusqu'à terre, tant cette sueur était abondante. « Que la goutte de sang qu’il a suée dans son agonie tombe sur la terre, que la terre ouvre sa bouche, qu’elle la boive et qu’elle crie au Père : meilleur que le sang d’Abel. », Drago Ostiensis, 4 Genèse n. 10. « Il était allé là pour prier. Et il pria dans son agonie. Et il semblait alors qu’il ne pleurait pas seulement de ses yeux, mais de tous ses membres », S. Bernard, Serm. 3 de ramis.
Luc 22.45 Après avoir prié, il se leva et vint vers les disciples, qu'il trouva endormis de tristesse. - Endormis de tristesse. S. Matthieu et S. Marc se bornent à signaler le fait ; S. Luc en indique la cause, et cette cause, toute physiologique, dénote encore le médecin. Quoique la tristesse soit souvent une cause d'insomnie, souvent aussi elle produit une tension qui ne tarde pas à engourdir les sens et à plonger dans un sommeil de plomb. cf. Jonas 1, 5. « Affaissé par l’anxiété de l’âme, le sommeil oppressa davantage son corps », Q. Curt. 4, 13, 17. « Décontenancé par les pitoyables lamentations, la torpeur oppressa son âme engourdie », Apul. 2.
Luc 22.46 Et il leur dit : "Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, afin de ne pas entrer en tentation." - De nouveau S. Luc abrège, et unit des paroles qui furent prononcées à divers intervalles. Comparez les récits parallèles. Jésus a maintenant repris, si l'on peut parler ainsi, la pleine possession de lui‑même : il est sorti victorieux de sa terrible agonie.
Luc 22, 47-53 = Matth. 26, 47-56 ; Marc. 14, 43-52 ; Jean 18, 2-11.
Luc 22 47 Comme il parlait encore, voici qu'une troupe de gens parut, celui qu'on appelait Judas, l'un des Douze, marchait en tête. Il s'approcha de Jésus pour l’embrasser. 48 Et Jésus lui dit : "Judas, tu livres le Fils de l'homme par un baiser." - C'est la description de l'infâme baiser de Judas. Le récit de S. Luc est pittoresque, rapide. Cette bande de loups furieux, comme on l'a justement appelée, qui tomba tout à coup sur le divin Agneau, était composée de soldats romains, de sergents d'armes du grand Conseil, de curieux, de fanatiques, et même de Sanhédristes. Voyez le v. 52. - Il s'approcha pour l'embrasser. Judas embrassa Notre‑Seigneur, ainsi qu'il ressort du contexte et des deux autres synoptiques. - Juda… S. Luc seul mentionne ces paroles de Jésus. Voir dans Matth. 26, 50, une autre petite allocution qui dut précéder celle‑ci. - Tu trahis… par un baiser : frappant contraste. Le baiser, signe ordinaire de l'affection, devenu le signal de la trahison la plus noire, à l'égard de la personne sacrée du Messie.
Luc 22.49 Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : "Seigneur, si nous frappions de l'épée ?" - Les détails de ce verset sont propres à S. Luc. - Deux incidents consécutifs retardèrent l'arrestation du Sauveur : les quatre évangélistes racontent de concert le premier (vv. 49-51) ; nous trouverons le second dans S. Jean, 18, 3-9. - Ceux qui étaient avec Jésus : c'est‑à‑dire les onze apôtres fidèles, qui s'étaient groupés autour de leur Maître à l'approche des sbires de Judas. - Si nous frappions de l'épée ? cf. 13, 23 ; Actes 1, 6 ; 19, 2 ; 21, 37, etc. Les disciples se souviennent de « l'entretien du glaive », et croient le moment venu de faire usage de leurs armes. « Les Galiléens avaient l'âme guerrière », comme le rappelle à propos D. Calmet (cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 3, 3).
Luc 22.50 Et l'un d'eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l'oreille droite. - L'un d'eux frappa le serviteur… Quoique inutile, cet acte était plein de vaillance. On avait demandé l'avis du Sauveur ; mais l'ardent et généreux S. Pierre (cf. Jean 18, 10) frappa sans attendre la réponse. - Et lui coupa l'oreille droite. Le mot grec désigne l'oreille entière, et pas seulement le lobe charnu qui la termine. - Droite est un détail propre à S. Luc et à S. Jean.
Luc 22.51 Mais Jésus dit : "Restez-en là." Et, ayant touché l'oreille de cet homme, il le guérit. - Restez‑en là. Cette parole, un peu ambiguë dans le texte grec, a reçu des interprétations bien diverses. Plusieurs pensent que Jésus l'adressait aux Juifs venus pour l'arrêter. Ils la traduisent tantôt par « excusez cette résistance » ; tantôt par « permettez que je m'approche du blessé pour le guérir » ; tantôt par « laissez‑moi libre un instant pour que je le guérisse ». Mais ces explications sont recherchées, peu naturelles, et d'ailleurs réfutées par les mots Jésus prenant la parole, qui prouvent que Notre‑Seigneur voulait alors parler à ses disciples (cf. v. 49). Relativement aux apôtres un double sens est possible : « laissez faire mes ennemis » (« ne vous opposez pas à ce qui va arriver, car je dois permettre à mes ennemis de pousser la haine envers moi, jusqu'à s'emparer de ma personne, afin que les Écritures s'accomplissent », S. August., Accord des Évangélistes l. 3, c. 5, 47. cf. Maldonat, Luc de Bruges, Cajetan, etc.), ou bien : « ne résistez pas davantage » (Corn. a Lap., Noël Alexandre, Érasme, etc.). Nous adoptons de préférence cette dernière interprétation, qu'on trouve déjà dans la version syriaque. S. Luc omet ici une courte allocution que Jésus prononça dans le but d'expliquer aux siens pourquoi il se livrait sans résistance. cf. Matth. 26, 51 : Et voilà qu'un de ceux qui étaient avec Jésus, mettant l'épée à la main, en frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l'oreille. Particularité médicale, qui méritait bien d'être relevée par S. Luc. Ce fut le dernier miracle de guérison opéré par Jésus : la bonté du divin Maître s'y manifeste admirablement.
Luc 22 52 Puis, s'adressant aux Princes des prêtres, aux officiers du temple et aux Anciens qui étaient venus pour le prendre, il leur dit : "Vous êtes venus comme après un brigand, avec des épées et des bâtons. 53 J'étais tous les jours avec vous dans le temple et vous n'avez mis pas la main sur moi. Mais voici votre heure et la puissance des ténèbres." - Tout en refusant de répondre à la violence par la violence, le Sauveur proteste avec fermeté contre les procédés aussi lâches qu'injustes de ses adversaires. Dans ce passage, commun aux évangélistes synoptiques, trois détails sont propres à S. Luc. 1° au v. 52, la présence, parmi les rangs des soldats, des gardes et de la foule fanatique, d'un certain nombre de princes des prêtres, de capitaines des lévites (cf. note du v. 4) et d'anciens du peuple. C'est sur eux que retombe directement le fier reproche du Sauveur. Quelques rationalistes (Bleek, Meyer, etc.) ont trouvé cette présence peu naturelle : nous trouvons au contraire très naturel que des Sanhédristes et d'autres personnages influents soient venus surveiller une opération délicate, qui avait pour eux une si grande importance. 2° au v. 53, les mots pittoresques vous n'avez pas mis la main sur moi, au lieu de « vous ne m’avez pas arrêté » (S. Matth. et S. Marc). cf. Jérémie 6, 12. 3° La phrase finale mais voici votre heure, qui est d'une si grande énergie, en quelque sens du reste qu'on la prenne. Il est en effet deux manières de l'interpréter, au propre ou au figuré. Au propre, elle signifierait que les Sanhédristes, en venant arrêter Jésus au milieu de la nuit, se conduisaient comme les bandits et autres malfaiteurs, qui profitent ordinairement des ténèbres pour perpétrer leurs crimes. cf. Jean 3, 20. Au figuré, d'après une signification plus relevée, les mots la puissance des ténèbres, qui se rattachent à « votre heure » sous forme d'apposition, désigneraient Satan avec son ténébreux empire (cf. Colossiens 1, 13). Votre heure, telle serait alors la pensée de Jésus, est l'heure même du démon ; mon Père lui a concédé ce temps pour me nuire, et voici que vous vous faites ses complices. cf. Jean 8, 34, 44. Nous nous rangeons de préférence à cette explication, à la suite d'Euthymius, de Maldonat, de D. Calmet, de Keil, etc.
Luc 22.54 S'étant saisis de lui, ils l'emmenèrent et le conduisirent dans la maison du grand prêtre, Pierre suivait de loin. Luc 22, 54-62 = Matth. 26, 57, 58, 69-75 ; Marc. 14, 53, 54, 66, 72 ; Jean 18, 12-18, 25-27. Les quatre récits ont une ressemblance générale très frappante ; mais chacun d'eux a pareillement « ses nuances délicates et ses détails particuliers… S. Matthieu est celui qui fait le mieux ressortir la gradation des trois reniements », Godet. Voyez l'explication détaillée dans l'Évangile selon S. Matth. - S’étant saisis de lui, dans le sens de saisir violemment, d'emmener prisonnier. - Dans la maison du grand‑prêtre. S. Luc est seul à dire que Jésus fut conduit dans la « maison » du prince des prêtres. Elle était située sur la déclivité septentrionale de la colline de Sion. Le prince des prêtres en question était Caïphe, d'après Matth. 26, 57. Sur la contradiction apparente qui existe entre S. Jean et les synoptiques, voyez notre explication du quatrième Évangile, l. c. - Pierre suivait de loin : « pour voir comment cela finirait », ajoute S. Matthieu.
Luc 22.55 Ayant allumé du feu au milieu de la cour, ils s'assirent autour et Pierre s'assit parmi eux. - Ayant allumé du feu : un feu de charbon de bois, peut‑être dans un « brasero » à la façon orientale. - Au milieu de la cour : c'est‑à‑dire au milieu de la cour quadrangulaire, à ciel ouvert, qui occupe le centre des riches habitations de l'Orient. - Ils s'assirent autour : nouveau détail graphique. « Ils » désigne d'après le contexte les gardes du Sanhédrin.
Luc 2256 Une servante, qui le vit assis devant le feu, l'ayant regardé fixement, dit : "Cet homme était aussi avec lui." 57 Mais Pierre renia Jésus, en disant : "Femme, je ne le connais pas." - Premier reniement. Les quatre narrateurs sont d'accord pour dire qu'il fut occasionné par la question d'une servante. - Assis devant le feu, c'est‑à‑dire auprès du feu, dont l'éclat dessinait fortement les profils de ceux qui se chauffaient alentour. - Le fixa : le verbe grec indique un regard prolongé, pénétrant. cf. 4, 20. - Lui aussi : Les quatre évangélistes emploient cette forme emphatique, quoiqu'ils diffèrent pour la suite des paroles de la servante. L'apostrophe « Femme » n'a été conservée que par S. Luc.
Luc 22.58 Peu après, un autre l'ayant vu, dit : "Tu es aussi de ces gens-là." Pierre répondit : "Homme, je n'en suis pas." - Second reniement. Le détail chronologique par lequel il est introduit, un peu après, est propre au troisième Évangile. - Un autre, l’ayant vu… C'était sans doute l'un des gardes du grand Conseil. Les autres récits parlent encore d'une servante. Voyez la conciliation dans S. Matth., l. c., et dans notre commentaire sur S. Jean, 18, 27. - Homme : détail spécial, comme précédemment « femme ».
Luc 2259 Une heure s'était écoulée, lorsqu'un autre se mit à dire avec assurance : "Certainement cet homme était aussi avec lui, car il est de la Galilée." 60 Pierre répondit : "homme, je ne sais ce que tu veux dire." Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta. - Troisième reniement. Environ une heure plus tard est encore une précieuse particularité de S. Luc. - Un autre affirmait : c'était un parent de Malchus, d'après S. Jean ; d'autres se joignirent bientôt à lui, d'après S. Matthieu et S. Marc. Le mot grec correspondant à « affirmait » est très énergique, on ne le trouve qu'ici et Actes 12, 15. - Certainement est mis en avant par emphase : certainement cet homme est un disciple de Jésus ; le motif de certitude est ensuite exprimé : car il est de la Galilée. C'est aussi, comme la plupart des partisans de Jésus, un Galiléen. S. Pierre avait trahi sa nationalité par son accent. Voyez Matth. 26, 73 et le commentaire. - Je ne sais pas ce que tu veux dire. Cette troisième protestation fut accompagnée de serments et d'anathèmes destinés à la rendre plus éclatante, Matth. 26, 74. - Et aussitôt : les quatre récits notent cette circonstance ; mais S. Luc ajoute seul d'une manière emphatique : comme il parlait encore.
Luc 22.61 Et le Seigneur, s'étant retourné, regarda Pierre et Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : "Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois." 62 Et étant sorti de la maison, Pierre pleura amèrement. - Détail bien touchant que S. Luc a le mérite d'avoir seul conservé. Mais n'est‑ce‑pas en affaiblir la portée, la beauté, que de dire avec S. Augustin : « Ces paroles désignent uniquement un acte intérieur qui s'accomplit dans l'intelligence et dans la volonté. Dans son infinie miséricorde le Seigneur vint secrètement au secours de son apôtre, toucha son cœur, réveilla son souvenir, le visita par une grâce intérieure, l'émut jusqu'à lui faire verser des larmes extérieures et l'enflamma d'un immense repentir » (Grâce de Jésus‑Christ et péché originel, Livre 1, 49) ? ou avec S. Laurent Justinien (Lib. de triumphali Christi agone, c. 8) : « Il regarda Pierre non avec les yeux du corps mais avec le regard de sa piété » (de même Nicolas de Lyre, etc.) ? Nous le craignons. Les verbes grecs correspondant à regarder désignent des faits extérieurs, et nous n'avons ici aucun motif de leur attribuer un sens métaphorique. Luc de Bruges objecte, il est vrai, que le Seigneur n'a pu voir Pierre avec ses yeux corporels, vu que le premier se trouvait dans l'intérieur du palais, l'autre dans la cour. Mais l'objection tombe d'elle‑même si nous admettons, comme on le fait généralement, que cette scène émouvante et rapide eut lieu au moment où, après son premier interrogatoire devant le Sanhédrin, Jésus était conduit à l'appartement qui devait lui servir de prison jusqu'au matin. Traversant alors l'atrium, il se retourna lorsqu'il passa près de l'apôtre infidèle, et fixa sur lui un regard pénétrant, pour lui reprocher tacitement sa faute. cf. S. Jean Chrysostome, Théophylacte, etc. - Et Pierre se souvint. « Car il n’était pas possible qu’il demeurât dans les ténèbres de la négation celui que la lumière du monde regardait », S. Jérôme, in Matth. 26. Quoi d'étonnant que le cœur de S. Pierre ait été transpercé par ce regard de Jésus. - Au moral, d'après la belle application de S. Ambroise, il pleura en sanglotant. La faute le méritait bien. Si nous la considérons à la lumière de la vocation de S. Pierre, elle est inexcusable ; néanmoins, rapprochée du caractère de l'apôtre, elle s'explique ; rapprochée des circonstances du moment, elle perd de sa gravité ; enfin, si nous la rapprochons de nos propres péchés, l'accusation n'expirera‑t‑elle pas sur nos lèvres coupables ? (van Oosterzee)
Luc 22, 63-65 = Matth. 26, 67-68 ; Marc. 14, 65. S. Luc est le plus complèt des trois.
Luc 22.63 Or, ceux qui tenaient Jésus se moquaient de lui et le frappaient. - Ceux qui tenaient Jésus : c'est‑à‑dire les appariteurs du grand Conseil, qu'on avait donnés à Jésus pour gardiens. cf. S. Marc, l. c. - Se moquaient de lui. L'imparfait dénote la continuité, la répétition des outrages, de même que dans les deux versets suivants. - Le frappaient. Les synoptiques emploient quatre expressions différentes pour décrire les cruelles voies de fait que Jésus eut alors à endurer.
Luc 22.64 Ils lui bandèrent les yeux et, le frappant au visage, ils l'interrogeaient, disant : "Devine qui t'a frappé." - Ils lui bandèrent les yeux. Voyez Marc. 14, 65 et le commentaire. Fra Angelico a reproduit admirablement ce détail. Par une innovation qui demandait quelque chose de plus que du génie, il a couvert les yeux du Sauveur d'un bandeau transparent, à travers lequel on voit reluire, outre la majesté de ses traits, la douce autorité de son regard. - le frappant au visage. Cette phrase est omise dans les manuscrits Sinait., B, K, L, M, etc. - Devine ou prophétise (S. Matth. ajoute : « Christ »)… Odieuse parodie pour moquer le pouvoir divin de Jésus de faire des miracles. Maintenant qu’il s’est laissé arrêté et maltraité, beaucoup y voient la preuve que ce que l’on disait de lui, ses miracles et son charisme de lecture du cœur humain n’étaient que des mensonges.
Luc 22.65 Et ils proféraient contre lui beaucoup d'autres injures. - C'est là une précieuse particularité de S. Luc. Elle nous montre combien Jésus eut à souffrir durant la dernière nuit de sa vie.
Luc 22.66 Dès qu'il fit jour, les Anciens du peuple, les Princes des prêtres et les Scribes se réunirent et amenèrent Jésus dans leur assemblée. Ils dirent : "Si tu es le Christ, dis-le-nous." - Luc 22, 66-71 = Matth. 27, 1 ; Marc. 15, 1a - Divers auteurs (Maldonat, Corn. a Lapide, Jansenius, etc.) identifient ce passage de S. Luc avec Matth. 26, 57-66 et Marc. 14, 53-64 ; mais l'opinion commune des exégètes est que notre évangéliste parle ici d'un second interrogatoire de Jésus devant le Sanhédrin. Le premier jugement, raconté tout au long par les autres synoptiques, avait eu lieu pendant la nuit et peu de temps après l'arrestation du Sauveur : il correspond au v. 54, bien qu'il n'y soit pas mentionné formellement. Mais, d'après les lois alors en vigueur, il était nul et invalide (voyez S. Matth.). Pour lui donner un semblant de légalité, le grand Conseil tint de grand matin une nouvelle séance, on ignore en quel local, et se mit en devoir de ratifier sa sentence nocturne. S. Matthieu (26, 57-59 ; 27, 1) et S. Marc (14, 53-55 ; 15, 1) distinguent nettement les deux sessions du Sanhédrin ; S. Luc, s'il ne dit rien de la première, a seul conservé les détails de la seconde, de sorte qu'en réunissant les trois récits nous obtenons un exposé assez complet de la conduite du grand tribunal juif envers Notre‑Seigneur. - Les anciens du peuple. cf. Actes 22, 5. D'ordinaire, les anciens du peuple ne sont nommés qu'après les deux autres sections du Sanhédrin ; ils ouvrent la liste en cet endroit. - Amenèrent Jésus dans leur assemblée. Le verbe grec (litt. Ils conduisirent en haut) ferait allusion, d'après quelques commentateurs, à la situation élevée du local où l'assemblée se réunit ; mais il n'est pas nécessaire de presser ainsi le sens, ce verbe désignant parfois simplement l'action de conduire un prisonnier devant ses juges. - Si tu es le Christ… Les juges de Jésus, qui sont en même temps ses accusateurs, vont droit au point principal dans cette séance du matin. Ils veulent faire vite, on le voit au premier coup d’œil, quoiqu'une des fameuses « Prescriptions des Pères » fût : Agissez avec lenteur dans les jugements ; Pirké Aboth, 1, 1. Le Sanhédrin était en général renommé pour sa douceur (cf. Salvador, Institut. de Moïse, 2 ; Vie de Jésus, t. 2, p. 108) ; mais actuellement une rage farouche et aveugle le pousse.
Luc 22.67 Il leur répondit : "Si je vous le dis, vous ne le croirez pas, 68 et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas et ne me relâcherez pas. - Dans cette première partie de la réponse de Jésus brillent un sagesse et un calme vraiment divins. C'est un dilemme auquel les membres du grand Conseil auraient eu de la peine à répondre. Aussi n'y répondirent‑ils pas. Les deux parties de l'argument n'étaient que trop bien basées sur une expérience récente. - Si je vous le dis, vous ne le croirez pas. cf. Jean 8, 59 ; 10, 31 ; Matth. 26, 63-66. Si je vous interroge, vous ne me répondrez pas. cf. 20, 1-8 ; Matth. 22, 41-46. Ainsi donc, soit que Jésus eût ouvertement fait connaître aux magistrats juifs, sur leur demande, sa mission céleste, soit qu'il eût essayé d’argumenter avec eux, il n'avait trouvé auprès de ces hommes passionnés, haineux, que l'endurcissement volontaire. Il y a, dans ces paroles de Jésus, une protestation énergique, quoique indirecte, contre les procédés iniques de ses juges.
Luc 22.69 Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu." - Jésus accorde toutefois, quoique en termes menaçants, ce qu'il avait paru tout d'abord refuser. Comme à la fin du premier interrogatoire (cf. Matth. 26, 64, Marc, 14, 62 ; voyez le commentaire), il évoque devant ses ennemis l'image glorieuse et terrible du Fils de l'homme, assis à la droite de Dieu, et muni d'une puissance à laquelle rien ne pourra résister.
Luc 22.70 Alors ils dirent tous : "Tu es donc le Fils de Dieu ?" Il leur répondit : "Vous le dites, je le suis." - Alors ils dirent tous. Cette locution est emphatique et pittoresque tout ensemble. En un mot : d'une façon tumultueuse. - Tu es donc le Fils de Dieu ? Ils ont compris, et ce n'était pas chose difficile, que Jésus avait voulu se désigner lui‑même en parlant du Fils de l'homme. cf. le Psaume 109, où le Messie est représenté comme trônant à la droite de Dieu son Père. - Vous le dites, je le suis. Formule orientale qui équivaut à une affirmation solennelle.
Luc 22.71 Et ils dirent : "Qu'avons-nous encore besoin de témoignage ? Nous l'avons nous-mêmes entendu de sa bouche." - Le récit n'est pas moins dramatique que la scène elle‑même. - Qu’avons‑nous encore besoin de témoignage ? Il ne semble pas que le Sanhédrin ait fait comparaître des témoins à charge durant cette séance du matin : ces paroles font donc allusion à la session nocturne, durant laquelle de nombreuses dépositions avaient été reçues contre Jésus. cf. Matth. 26, 60 et ss. ; Marc. 14, 56 et ss.. Quant aux témoins à décharge, le Talmud a beau dire que, pendant quarante jours consécutifs, on fit inviter par des hérauts tous ceux qui croiraient pouvoir maintenir l'innocence de Jésus à se présenter devant le Sanhédrin, sans que personne répondît à l'appel : ces fables grossières dépassent le but. - On le voit, l'assemblée du matin ressembla beaucoup à celle de la nuit par ses divers détails : nous trouvons de part et d'autre à peu près les mêmes questions, les mêmes réponses, finalement la même condamnation ; ici et là les juges ont recours aux procédés les plus odieux, ici et là le divin accusé a une attitude digne du Messie : seulement, dans la dernière session les choses se passent avec une plus grande rapidité. Il n'y a pas de discussion proprement dite : on se borne à faire répéter au Sauveur ses paroles incriminées précédemment, et à ratifier l'arrêt de mort.
CHAPITRE 23
Luc 23.1 Alors toute l'assemblée s'étant levée, ils menèrent Jésus devant Pilate, - Luc 23, 1-25 = Matth. 27, 1-26 ; Marc. 15, 1-15 ; Jean 18, 28-19, 16. - Toute l’assemblée s'étant levée… Hébraïsme qui dénote la promptitude. cf. 1, 39 et le commentaire. « Tous » est une expression pleine d'emphase, dont il ne faut cependant pas presser le sens. Elle indique du moins que la plupart des Sanhédristes vinrent en ensemble au prétoire, dans l'intention évidente d'impressionner Pilate par cette manifestation solennelle, et d'obtenir plus aisément de lui la permission d'exécuter la sentence qu'ils avaient prononcée contre Jésus. Sur la perte du « droit de glaive », qui occasionnait cette démarche humiliante du grand Conseil des Juifs, voyez S. Matth. - Devant Pilate. Le prétoire était probablement installé dans la forteresse Antonia. La remise de Jésus à Pilate par les Juifs est signalée comme un fait important par les quatre récits évangéliques. En effet, c'est un nouveau stade du procès qui commence (van Oosterzee) ; de la juridiction spirituelle nous passons à la juridiction civile.
Luc 23.2 et ils se mirent à l'accuser, en disant : "Nous avons trouvé cet homme qui poussait notre nation à la révolte et défendait de payer les tributs à César, se disant lui-même le Christ-roi." - Ils se mirent à l'accuser. S. Luc expose avec une parfaite netteté cet acte d'accusation, et distingue très bien les divers griefs. - Cet homme est dédaigneux en même temps que pittoresque. Les Sanhédristes, en prononçant ce mot, montraient Jésus à Pilate. Ils durent appuyer aussi sur le verbe nous avons trouvé. Ils disent qu’ils amènent Jésus non comme quelqu’un qui est accusé ou soupçonné de crime, mais qui a confessé et qui a été déclaré coupable. À ce superbe nous avons trouvé Pilate opposera plus loin, vv. 4, 14 et 15, son propre Je ne trouve rien et celui d'Hérode. Voyez du reste dans S. Jean, 18, 29 et ss., le début de cette négociation si habilement conduite de part et d'autre. poussait notre nation à la révolte. D'après cette première charge, qui est la plus générale et qui sera expliquée par les deux suivantes, Jésus était donc un Mecîth, comme disaient les Juifs, un séducteur qui donnait au peuple une fausse direction, qui troublait par conséquent la paix de l'État. - Deuxième charge : il empêche de payer l'impôt à César. Quelle infâme calomnie. cf. 20, 25 et les passages parallèles. Mais on voulait se débarrasser de Jésus par tous les moyens possibles. Or les Sanhédristes avaient compris que, pour gagner Pilate à leurs vues, il fallait donner à l’accusation une couleur politique. Jésus affirmant qu'il était le Messie, et le Messie, d'après les idées alors en vogue chez les Juifs, devant délivrer son peuple de toute servitude romaine, ce grief était capable de frapper le gouverneur. - Troisième charge : se disant le Christ‑roi. Cette dernière allégation avait une apparence de vérité ; mais les accusateurs défigurent avec malice le sens du mot Christ en le traduisant par roi, dans le but de faire accroire que Jésus s'était rendu coupable d'un crime de lèse‑majesté contre l'empereur. Voilà donc les autorités juives prises tout à coup d'un beau zèle pour les intérêts de Rome. Remarquons les ressources et la souplesse de leur haine. Quand le Sauveur avait comparu à leur propre barre, les Sanhédristes avaient donné au même titre de Christ la signification de Fils de Dieu, afin de motiver une accusation de blasphème ; maintenant ils ont besoin de prouver que Jésus est un rebelle : de là cette transformation.
Luc 23.3 Pilate l'interrogea, disant : "Es-tu le roi des Juifs ?" Jésus lui répondit : "Tu le dis." - S. Luc abrège notablement la scène. Voyez les trois autres narrations. C'est dans l'intérieur du prétoire, d'après S. Jean, que Pilate interrogea Notre‑Seigneur. - Es‑tu le roi des Juifs ? Il y a beaucoup d'emphase dans le prénom. La manière dont Pilate précise le sens du mot roi, en ajoutant des Juifs, est remarquable : il ne pouvait guère ignorer les espérances messianiques des Juifs ni leur nature. Au reste, sa question et la réponse de Jésus sont absolument identiques dans les trois synoptiques.
Luc 23.4 Pilate dit aux Princes des prêtres et au peuple : "Je ne trouve rien de criminel en cet homme." - De retour vers les Sanhédristes, et vers la multitude toujours grossissante qui était accourue au prétoire, Pilate donna clairement son opinion sur le cas porté devant son tribunal : Je ne trouve rien de criminel dans cet homme. Cela revenait à la formule juridique il y a doute, que prononçaient les juges romains quand la culpabilité d'un accusé n'avait pas été démontrée. A quatre reprises, (ici, vv. 14-15, 20, 22), Pilate protesta ainsi de l'innocence de Jésus. Cette première conclusion paraît bien abrupte dans le troisième Évangile : les détails donnés par S. Jean la rendent très naturelle.
Luc 23.5 Mais redoublant leurs instances, ils dirent : "Il soulève le peuple, répandant sa doctrine dans toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu'ici." - redoublant leurs instances. Le verbe grec correspondant exprime énergiquement la crainte qui s'empara des Sanhédristes quand ils virent que leur proie était sur le point de leur échapper. - Il soulève le peuple. Autre verbe très expressif, que l'on trouve seulement ici et Marc. 15, 11. L'emploi du temps présent renforce encore l'idée : « il ne cesse d'agiter le peuple ». - Au simple énoncé du fait les Juifs ajoutent une explication ; en vue d'indiquer d'une part le moyen auquel Jésus avait recours pour révolutionner le pays, répandant sa doctrine, d'autre part le vaste déploiement de son activité, dans toute la Judée… Toute la contrée était donc troublée, suivant eux, par ce dangereux tribun. L'aveu a pour nous quelque chose de précieux. Les synoptiques étaient à peu près muets sur le ministère de Notre‑Seigneur en Judée, qu'il était réservé à S. Jean de décrire tout au long, les rationalistes n'ont pas manqué de trouver une contradiction perpétuelle entre les trois premiers Évangiles et le quatrième : mais voici que les plus ardents adversaires du divin Maître se chargent d'établir l'harmonie, en affirmant que Jésus n'avait pas été moins actif en Judée qu'en Galilée. cf. Actes 10, 37. - Où il a commencé : c'est en effet dans les régions septentrionales de la Palestine que Notre‑Seigneur s'était d'abord mis à prêcher d'une manière régulière et suivie. cf. 4, 14. Il est probable qu'en nommant la Galilée les Juifs espéraient susciter davantage la défiance de Pilate : Les Galiléens étaient alors une communauté turbulente, assez redoutée par Rome ; personne ne le savait mieux que le gouverneur actuel, qui avait eu à lutter contre eux. - Jusqu'ici, c'est‑à‑dire jusqu'à Jérusalem, au cœur même du pays. Ces derniers mots contenaient sans doute une allusion particulière à l'entrée triomphale du Sauveur.
Luc 23.6 Quand Pilate entendit nommer la Galilée, il demanda si cet homme était Galiléen, - Les Sanhédristes avaient frappé juste : le nom de la Galilée n'a pas en vain retenti aux oreilles de Pilate, puisqu'aussitôt le gouverneur veut savoir si Jésus (cet homme) est originaire de cette province. Tous ces détails, vv. 5-16, sont propres à S. Luc : ils complètent de la façon précieuse l'histoire de la passion du Sauveur.
Luc 23.7 et ayant appris qu'il était de la juridiction d'Hérode, il le renvoya à Hérode, qui se trouvait aussi à Jérusalem, en ces jours-là. - De la juridiction d'Hérode. Il s'agit d'Hérode Antipas, le fameux tétrarque de la Galilée et de la Perée (cf. 3, 1), provinces sur lesquelles Pilate n'avait aucune juridiction. - Il le renvoya à Hérode. C'est là de nouveau une expression technique du droit romain, Car il est renvoyé un coupable qui a été arrêté ailleurs. Il est envoyé au juge de son lieu d’origine ou de son domicile, Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 2, 20, 5. Le motif de ce renvoi est manifeste : tout montre que Pilate, en l'ordonnant, espérait échapper à une grave responsabilité, se délivrer d'une affaire épineuse dont il prévoyait la difficile conclusion. Il essaie donc de faire prononcer le jugement par un autre, car il n'ose pas encore condamner un homme dont il a reconnu l'innocence, et il manque du courage nécessaire pour l'élargir en face des réclamations de la foule. Le contexte (v. 12) montre que le procurateur se proposait en outre, quoique d'une manière secondaire, de reconquérir par cet acte de courtoisie les bonnes grâces du tétrarque, avec lequel il était en désaccord depuis un certain temps. Plus tard Vespasien eut pour Hérode Agrippa une attention analogue. cf. Flavius Josèphe l. c. 3, 10, 10. - Qui se trouvait aussi à Jérusalem. Antipas résidait ordinairement à Tibériade, la capitale de ses États ; mais, comme Pilate, il se trouvait alors à Jérusalem à l'occasion des solennités pascales (en ces jours‑là). Tout porte à croire qu'il occupait dans cette circonstance le palais des Asmonéens, situé à gauche du temple, au pied de la colline de Sion (voyez Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 2, 16, 3 ; Antiquités Judaïques 20, 8, 11), à moins qu'il ne se fût établi dans celui de son père, Hérode‑le‑Grand, bâti un peu plus à l'Ouest. C'est à tort que l'on a donné parfois à Hérode et à Pilate une seule et même résidence (Aberle, Lichtenstein).
Luc 23.8 Hérode eut une grande joie de voir Jésus, car depuis longtemps il en avait le désir, parce qu'il avait entendu beaucoup parler de lui et il espérait lui voir opérer quelque miracle. - Hérode eut une grande joie : beau détail psychologique, qui ouvre très bien cette nouvelle scène. Le monarque blasé se promet, à la vue de Notre‑Seigneur, un plaisir d'un genre particulier. - depuis longtemps il en avait le désir, désirs d'autant plus vifs qu'ils étaient demeurés inassouvis. Voyez 9, 7 et ss., les premières traces de ce désir d'Hérode. - Il avait entendu beaucoup parler de lui… Motif qui avait ainsi piqué la curiosité du tétrarque. Ayant appris que Jésus était un grand thaumaturge, cet homme frivole espérait en avoir quelques preuves « de visu », car il ne doutait pas que l'accusé n'essayât de gagner par tous les moyens la faveur du juge dont son sort dépendait.
Luc 23.9 Il lui adressa beaucoup de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. - Il lui adressa beaucoup de questions. Il n'a pas plu à l'Esprit‑Saint qui, lorsqu'il inspirait les écrivains sacrés, avait en vue notre utilité et non pas notre curiosité, de conserver une seule des vaines questions adressées par Antipas à Notre‑Seigneur. Au reste, la majestueuse attitude du Sauveur nous montre suffisamment le cas que nous devons en faire : Jésus ne lui répondit rien. Jésus avait répondu à Caïphe et à Pilate : il ne juge pas Hérode digne d'une seule parole, et se renferme dans un noble silence.
Luc 23.10 Or, les Princes des prêtres et les Scribes se trouvaient là, l'accusant avec opiniâtreté. - Les ennemis de Notre‑Seigneur ne se taisent pas. Dans cet admirable tableau nous les voyons debout, l'accusant sans relâche, car ils l'avaient accompagné chez le tétrarque, poussés par Pilate lui‑même (cf. v. 15) et encore davantage par leur haine implacable. Les Sanhédristes en seront pour leurs frais de zèle, car Hérode ne tiendra aucun compte de leurs accusations.
Luc 23.11 Mais Hérode, avec ses gardes, le traita avec mépris, après s'être moqué de lui et l'avoir revêtu d'une robe éclatante, il le renvoya à Pilate. - Pourtant il tiendra compte de son amour‑propre blessé, et il se vengera de la manière la plus mesquine de la déception, de l'humiliation que lui avait occasionnées le divin accusé. - Le traita avec mépris : expression très forte, littéralement : l'ayant réduit à néant. cf. Isaïe 53, 3. - Avec ses gardes. C'est là une expression hyperbolique, que la version syrienne rend justement par « avec ses officiers et ses gardes ». Suivant la coutume des princes orientaux, qui ne voyagent jamais sans un grand déploiement de luxe et de faste, Hérode avait amené à Jérusalem une suite considérable, en partie composée de soldats. - après s’être moqué de lui. Le texte primitif emploie encore une expression énergique. cf. 22, 63 ; voyez aussi 18, 32, où Jésus lui‑même s'en est servi pour prédire les scènes humiliantes de sa Passion. - L'avoir revêtu d'une robe éclatante. Ces mots complètent ceux qui précèdent, en déterminant par un détail spécial, caractéristique, la nature des outrages que Notre‑Seigneur eut à subir chez Hérode. On voulut tourner en dérision sa dignité royale. Une robe éclatante, lumineuse, brillante (cf. la Peschito syrienne). Il est notoire que dans l'antiquité les vêtements blancs étaient portés comme habits de gala par les plus illustres personnages. cf. Actes 10, 30 ; 26, 13 ; Apocalypse 15, 6 ; 19, 8 ; 22, 16 ; Tacite, Hist. 2, 89 ; Flavius Josèphe Ant. 8, 7, 3 ; La Guerre des Juifs, 2, 1, 1. Cette robe était ironique et moqueuse, elle voulait signifier qu’Hérode prenait Jésus pour un fou puisqu’à ses yeux, refuser de plaider sa cause auprès de lui, alors que Jésus se trouvait en situation de perdre la vie suite aux nombreuses accusations portées par les autorités juives, était une preuve très certaine de dérangement mental et ou même de folie furieuse. Hérode s’est rendu indigne de comprendre comment Dieu prendra occasion de la Passion pour susciter en retour dans le cœur de tant de saint(e)s des élans d’amour et de gratitude envers Jésus, vrai Dieu et vrai homme. - Théophyl. Jésus, dont toute la conduite est dirigée par une raison souveraine, et qui, au témoignage de David, règle tous ses discours avec prudence et jugement (Psaume 111, 5), crut plus utile pour Hérode de garder le silence dans cette circonstance. En effet, tout discours adressé à celui qui n’en fait aucun profit, devient pour lui une cause de condamnation : " Mais Jésus ne lui répondit rien. " — S. Ambroise. Jésus se tait et ne fait aucun miracle, parce qu’Hérode n’avait pas la foi qui mérite d’avoir des miracles, et que lui-même fuyait toute ostentation. Peut-être aussi, Hérode est-il la figure de tous les impies, qui ne peuvent voir et comprendre les miracles de Jésus-Christ, racontés dans l’Évangile, qu’à la condition de croire à la loi et aux prophètes. - M. Reuss, Hist. Évangélique, p. 676 et 677, fait à propos de ce verset, comme du reste beaucoup d'autres rationalistes, une étrange réflexion : « Les scènes insultantes et les mauvais traitements que la soldatesque fait essuyer à Jésus sont transportés par Luc dans le palais d'Hérode, tandis que, d'après les deux autres auteurs (S. Matth. et S. Marc), tout cela se passa dans le prétoire romain. L'une de ces versions est tout aussi plausible que l'autre ; toujours est‑il qu'il y en a deux ». Certainement, il y en a deux, et, l'aveu est précieux à recueillir, elles sont toutes deux très plausibles ; mais se contredisent‑elles, comme on voudrait l'insinuer ? Pas le moins du monde, puisqu'elles correspondent à des épisodes complètement distincts, qui n'eurent lieu ni au même endroit, ni devant les mêmes personnages, ni à la même heure, ni de la même manière. Le troisième synoptique raconte un fait que les deux premiers avaient omis ; puis, à son tour, il omet des détails exposés par eux. Les historiens profanes se conduisent tous les jours de cette façon : leur reprochera‑t‑on de se contredire ?
Luc 23.12 Le jour même, Hérode et Pilate devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient auparavant. - S. Luc termine par un détail psychologique digne de lui le récit de la comparution du Sauveur devant Hérode : Hérode et Pilate devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient... Il y a dans ce « le jour même » une emphase évidente. On a parfois pensé que leur inimitié avait éclaté à la suite de l'incident mentionné plus haut, 13, 1 ; d'autres l'ont rattachée aux dénonciations secrètes ou publiques qu'Antipas s'était permis de faire à Tibère contre Pilate (Flavius Josèphe Ant. 18, 4, 5) : mais on ne peut rien déterminer de certain sur ce point. Entre le gouverneur romain de la Judée et le tétrarque de la Galilée il existait des occasions perpétuelles de froissement ; le moindre conflit de juridiction avait pu rompre violemment des relations qui n'avaient jamais été bien intimes. Mais voici qu'aujourd'hui Jésus réconcilie ces deux hommes.
Luc 23.13 Pilate, ayant assemblé les Princes des prêtres, les magistrats et le peuple, - Ayant assemblé les princes des prêtres… Détail pittoresque. Pilate fait grouper autour de son tribunal, dressé en plein air, soit les accusateurs principaux de Jésus (par magistrats, il faut entendre les deux autres sections du Sanhédrin, c'est‑à‑dire les Scribes et les notables. cf. 24, 20), soit les masses populaires. Il comptait sur ces dernières pour le succès du plan qu'il avait déjà formé en vue de délivrer Jésus. C'est elles surtout qu'il va tâcher de convaincre et d'émouvoir, n'osant toujours pas faire acte d'autorité et prononcer un verdict d'acquittement.
Luc 23.14 leur dit : "Vous m'avez amené cet homme comme excitant le peuple à la révolte, je l'ai interrogé devant vous et je n'ai trouvé en lui aucun des crimes dont vous l'accusez, - Cette petite allocution (les v.14-16) est vivante et très habile. Elle est presque tout entière propre à notre évangéliste. - comme excitant le peuple à la révolte. Telle avait été en effet la première charge des Sanhédristes ; ils y étaient même revenus une seconde fois, v. 5, en voyant Pilate favorable à l'accusé. - je l'ai interrogé devant vous… L'interrogatoire privé que S. Jean a raconté tout au long, 18, 33 et ss., n'exclut pas la possibilité d'une enquête publique. On ne saurait donc légitimement opposer « devant vous » du troisième Évangile à la narration du quatrième. Voyez D. Calmet, h. l. - Je n’ai trouvé trouvé en lui aucun des crimes…, comme au v. 4.
Luc 23.15 ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui et, vous le voyez, rien qui mérite la mort n'a été prouvé contre lui. - Ni Hérode non plus. Nouvelle emphase. Hérode, l'un des vôtres, qui est très au courant de vos affaires. La phrase est elliptique. - rien n'a été prouvé contre lui… Chez le tétrarque, on n'a rien fait à Jésus qui marque qu'on l'ait jugé digne de mort (D. Calmet, Fr. Luc, etc.).
Luc 23.16 Je le relâcherai donc après l'avoir fait châtier." - Après l'avoir châtié. Mot grec, que S. Luc est seul à employer dans le N. Testament (ici et 16, 22). Sur l'horrible supplice de la flagellation, voyez S. Matth. - Donc. Conclusion à laquelle on était loin de s'attendre, après de telles prémisses. Pourquoi punir Jésus s'il est innocent ? Mais Pilate veut faire une concession à la faveur populaire, en même temps qu'il espère épargner à Jésus, par ce moyen terme, les rigueurs d'une condamnation à mort.
Luc 23.17 [Pilate était obligé, au jour de la fête, de leur accorder la délivrance d'un prisonnier]. - Plusieurs critiques ont révoqué en doute l'authenticité de ce verset, qu'omettent les célèbres manuscrits A, B, K, L, les versions copte, sahidiq., et au sujet duquel il existe une grande confusion dans les divers textes qui le contiennent. Griesbach, Tischendorf et Tregelles le suppriment comme un emprunt fait à Matth. 27, 15. Néanmoins, sa présence dans la plupart des documents anciens (en particulier dans le Codex Sinaïticus) nous empêche de croire à une interpolation. - Pilate était obligé… est une locution propre à S. Luc. S. Matthieu et S. Jean parlent d'une coutume ; S. Marc mentionne simplement le fait. Celui qu'ils voulaient, ajoute S. Matthieu, pour montrer que le droit de grâce était exercé par les Juifs. - Au jour de la fête : comme dans les deux autres synoptiques, c'est‑à‑dire à chaque retour de la solennité pascale. Sur cet antique usage, voyez S. Matth.
Luc 23.18 Mais la foule tout entière s'écria : "Fais mourir celui-ci et relâche-nous Barabbas" - La foule tout entière s'écria… Expression très forte. Le terme grec a le sens de « à l'unanimité ». S. Matthieu et S. Marc racontent la pression que les princes des prêtres avaient exercée sur le peuple pour obtenir ce vote infâme. - Fais mourir celui‑ci. De même dans S. Jean, 19, 18. C'est, aux mauvais jours, l'horrible demande des foules surexcitées : A mort. Les païens criaient de même, quand ils demandaient la mort des premiers chrétiens. cf. Euseb. Hist. Eccles. 4, c. 14.
Luc 23.19 lequel avait été mis en prison à cause d'une sédition qui avait eu lieu dans la ville et d'un meurtre. - L'évangéliste caractérise en quelques mots l'homme qui eut l'honneur d'être préféré à Jésus. Sa description est la plus complète de toutes. Elle ajoute même à celle de S. Marc un détail intéressant : « dans la ville ». C'est donc à Jérusalem qu'avait eu lieu la tentative de soulèvement.
Luc 23.20 Pilate, qui désirait relâcher Jésus, les harangua de nouveau, 21 mais ils répondirent par ce cri : "Crucifie-le ! Crucifie-le !" - Pilate les harangua de nouveau… Dans le grec, le verbe indique une allocution proprement dite. cf. Actes 21, 40. Quand le tumulte se fut un peu apaisé, Pilate essaya de faire quelques représentations à la foule touchant la monstruosité de son choix ; mais en vain : ce fut plutôt de l'huile jetée sur le feu. - Mais ils répondirent : L'imparfait fortifie l'idée. Cette fois‑ci, la foule désigne le genre de mort qu'elle désire pour Jésus, le cruel supplice de la croix, généralement usité dans les provinces romaines. Voyez aussi S. Matth.
Luc 23.22 Pour la troisième fois, Pilate leur dit : "Qu'a-t-il donc fait de mal ? Je n'ai rien trouvé en lui qui mérite la mort. Ainsi je le ferai châtier et je le renverrai." - cf. les vv. 4 et 14. Ces efforts réitérés de Pilate pour sauver Notre‑Seigneur sont vraiment remarquables, selon la belle réflexion de Luc de Bruges : « Alors que les autres évangélistes présentent avec soin l’innocence du Seigneur, Luc insiste sur elle tout particulièrement. Car la narration de tout le procès de Pilate et toutes les tentatives de relâchement ont pour but de nous faire comprendre l’innocence de Jésus… que c’était plutôt pour les autres qu’il s’était offert ».
Luc 23.23 Mais ils insistèrent, demandant à grands cris qu'il fût crucifié et leurs clameurs allaient grandissant. - Description tout à fait dramatique, avec emphase sur la plupart des mots. Pilate ne réussit donc qu'à déchaîner un véritable orage de protestations, au milieu desquelles retentissaient comme un refrain sinistre les mots cent fois répétés « crucifie‑le. ». - A la fin du verset, la Recepta grecque indique que les princes des prêtres eux‑mêmes, oublieux de tout décorum, auraient mêlé leurs cris homicides à ceux de la foule. Mais ce n'est peut être là qu'une glose apocryphe.
Luc 23.24 Pilate prononça donc qu'il serait fait comme ils demandaient. - Pilate pronoça… Pilate aurait dû se souvenir en cet instant solennel d'une belle recommandation de la loi des douze Tables : « Les vaines paroles du peuple ne méritent pas d’être entendues quand elles désirent absoudre un criminel ou condamner un innocent », Lex 12, de poenis. Mais au contraire il finit par céder honteusement. Une expérience antérieure avait appris aux Juifs qu'on pouvait, en insistant avec force, triompher de ses volontés les plus opiniâtres. « Il craignait, dit Philon, Legat. ad Caium, p. 38, qu'ils n'envoyassent une ambassade (à Rome) pour dénoncer ses actes de mauvaise administration, ses extorsions, ses décrets injustes, ses châtiments inhumains, et cette crainte le réduisait à la plus grande perplexité. » C'est par conséquent l'intérêt personnel qui lui fit sacrifier Notre‑Seigneur avec une lâcheté que les Constitutions apostoliques stigmatisent à bon droit.
Luc 23.25 Il relâcha celui qu'ils réclamaient et qui avait été mis en prison pour sédition et meurtre et il livra Jésus à leur volonté. - Il relâcha celui… Au lieu de nommer simplement Barabbas, S. Luc (et ce détail lui est propre) rappelle d'une manière emphatique les antécédents du criminel que les Juifs avaient osé préférer à Jésus. cf. v. 190 ; Actes 3, 16. C'est une manière saisissante de mettre en relief toute l'horreur du forfait qu'il raconte. Aujoud’hui encore, on sent sous ces trois lignes, la vive émotion du narrateur. - Qu'ils réclamaient. Comme d'ordinaire en pareil cas, l'imparfait est pittoresque et marque la continuité. - Il livra Jésus à leur volonté. Autre locution énergique (S. Matthieu et S. Marc se contentent d'écrire : « il leur livra »). Nous savons quelle était, relativement à Jésus, la volonté de la foule en fureur.
Luc 23.26 Comme ils l'emmenaient, ils arrêtèrent un nommé Simon, de Cyrène, qui revenait des champs et ils le chargèrent de la croix, pour qu'il la portât derrière Jésus. - Luc 28, 26-32 = Matth. 27, 31-34 ; Marc. 15, 20-23 ; Jean 19, 16-17. Sans parler de la flagellation, ni des outrages particuliers que les soldats firent encore subir à Notre‑Seigneur (voyez les récits parallèles), S. Luc arrive directement au douloureux épisode du chemin de croix, au sujet duquel il a une longue et importante particularité (vv. 27-32). - Les préparatifs du supplice n'avaient pas demandé beaucoup de temps. Aussitôt après la sentence, tandis que se passaient les scènes cruelles du prétoire, les soldats de garde avaient été désignés, et munis de leurs provisions pour le reste de la journée : le convoi se mit donc promptement en marche. Nul doute que, selon la coutume barbare de ces temps, l'auguste victime n'ait été abreuvée sur tout le parcours d'injures et de coups (« Ils te perceront avec des lances quand tu marcheras en portant ta croix », Plaut. Most. 1, 1, 53). Sur l'intéressante légende du Juif errant, qui se rattache à ce fait. - Ils arrêtèrent un nommé Simon de Cyrène… Les autres synoptiques emploient l'expression légale « réquisitionner ». Voyez dans S. Matth., les détails relatifs à ce droit de réquisition et à la personne du Cyrénéen. - Qui revenait des champs. Cette circonstance a été souvent alléguée comme une grave objection contre le sentiment de ceux qui fixent la date de la mort du Sauveur au 15 nisan, c'est‑à‑dire au grand jour de la Pâque : mais le texte dit seulement que Simon revenait alors des champs, non qu'il y avait travaillé. - Porter la croix derrière Jésus. La plupart des peintres et quelques exégètes (Cajetan, Lipsius, van Oosterzee, Wordsworth) concluent de cet exposé, dont la forme est propre à S. Luc, que Jésus ne fut pas complètement déchargé de sa croix ; il aurait même continué d'en porter la partie la plus lourde, et tout son allégement eût consisté en ce que le Cyrénéen en soulevait la base. Mais c'est là une fausse interprétation des mots « derrière Jésus », que l'on doit prendre d'une manière absolue, comme il résulte des passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc (« pour porter sa croix »). Telle était déjà l'opinion de S. Jérôme, in Matth. 27, 32, et de S. Ambroise, Expos in Luc. l. 10, 107. Du concours prêté, quoique forcément, à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ par Simon de Cyrène, les anciens gnostiques concluaient que ce dernier avait été crucifié à la place de Jésus. cf. S. Irénée, ad. Haer. 1, 23 ; S. Epiph. Haer. 24, 3. - Sur la forme de la croix, voyez S. Matth. De curieuses traditions avaient cours autrefois touchant la nature du bois qui la composa. D'après Bède le Vénérable, l'inscription était en buis, la tige en cyprès jusqu'à l'inscription, la traverse en cèdre, la partie supérieure en pin. Guillaume Durand assure que le pied était de cèdre, la tige en cyprès, la traverse en palmier, la tête en olivier. Une légende populaire dit que toute la croix était en bois de tremble, et c'est de là, ajoute‑t‑elle, que provient l'agitation perpétuelle des feuilles de cet arbre (cf. Smith, de Cruce, 3, 13, veut qu'elle ait été de chêne, arbre assez commun en Palestine ; mais il résulte d'observations consciencieuses faites au microscope sur plusieurs reliques de la vraie croix (notamment par M. Decaisme, membre de l'Institut, et par M. P. Savi, professeur à l'université de Pise), que l'instrument du supplice de Jésus était en bois de pin. Voyez le Mémoire de M. Rohault de Fleury sur les Instruments de la Passion, pp. 61-63, 359 et 360.
Luc 23.27 Or, il était suivi d'une grande foule de peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. - Ce verset et les suivants jusqu'au 31ème décrivent une émouvante scène que notre évangéliste a seul conservée. - Il était suivi d'une grande foule… De tout temps les exécutions capitales ont attiré les foules. Il faut se souvenir en outre que Jérusalem regorgeait alors de monde à cause de la Pâque, et que le supplicié était le « prophète » célèbre au loin par sa doctrine et par ses miracles. - Et de femmes… Si la multitude mentionnée plus haut contenait un certain nombre d'ennemis du Sauveur et beaucoup de curieux, elle renfermait aussi des personnes au cœur pieux et compatissant qui, malgré la défense expresse du Talmud (« Ils ne le pleurèrent pas quand il fut conduit au supplice », Bab. Sanhedr., f, 42, 2. 27, 31), manifestèrent courageusement leur sympathie pour le divin condamné. Les femmes qu'il signale ne pleuraient pas en Jésus un crucifié quelconque. C'est à tort qu'on les a parfois identifiées avec les saintes Galiléennes qui accompagnaient habituellement Notre‑Seigneur (cf. v. 55), car, d'après les paroles de Jésus lui‑même, elles habitaient Jérusalem. Il n'est pas sûr qu'elles fussent déjà chrétiennes dans le sens strict. - Elles pleuraient à haute voix, elles se frappaient la poitrine, Fr. Luc. L'association de ces deux verbes nous fournit une représentation concrète des violentes manifestations de la douleur chez les Orientaux.
Luc 23.28 Se tournant vers elles, Jésus dit : "Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants, - Se tournant vers elles. Détail pittoresque, qui provenait évidemment d'un témoin oculaire, peut‑être de quelqu'une des saintes femmes. Aucune d'elles ne dut oublier la douce expression des regards de Jésus, ni son visage pâle et ensanglanté. - Jésus dit… C'est peut‑être la seule parole que le Sauveur ait prononcée entre sa condamnation à mort et son crucifiement ; du moins nous n'en possédons pas d'autre. Elle est grave, solennelle, car elle porte tout entière sur la ruine prochaine de la capitale juive. - Filles de Jérusalem... Métaphore bien connue, d'après laquelle on appelait en hébreu les habitants d'une ville ses fils ou ses filles. cf. Cantique des Cantiques 1, 3 ; Isaïe 3, 16, etc. - Ne pleurez pas sur moi… « Si vous saviez les maux qui vous menacent, et qui doivent tomber sur votre ville, … sur vous‑mêmes et sur vos enfants, vous conserveriez vos larmes pour déplorer vos propres malheurs », D. Calmet. Plusieurs de ces femmes compatissantes purent être témoins des horreurs de la guerre romaine et du siège de Jérusalem, c'est‑à‑dire des terribles représailles suite au refus du Sanhédrin de reconnaître la venue du Christ-Messie, en la personne de Jésus.
Luc 23.29 car voici que des jours viennent où l'on dira : Heureuses les stériles et les entrailles qui n'ont pas enfanté et les seins qui n'ont pas allaité. 30 Alors les hommes commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous et aux collines : Couvrez-nous. - Jésus énumère dans ces deux versets les motifs du « pleurez sur vous‑mêmes ». Des jours approchent, dit‑il, où la plus grande bénédiction humaine, celle de la maternité, sera regardée comme un affreux malheur (v. 29), où une mort violente, à condition qu'elle soit subite, passera pour un sort enviable (v. 30). - Heureuses les stériles. La privation d'enfants avait été autrefois présentée par le prophète comme une malédiction. cf. Osée 9, 14. Au début du troisième Évangile, 1, 25, nous entendions sainte Élisabeth remercier Dieu de ce qu'il avait fait cesser son « opprobre » en lui donnant un fils. Et voici qu'à trois reprises coup sur coup, Jésus répète cette béatitude étrange et nouvelle. Mais il est des jours d'angoisses et de misères où une femme est heureuse en effet de n'avoir pas d'enfants ; et tels devaient être précisément ceux auxquels Notre‑Seigneur fait allusion dans sa terrible prophétie. Ne vit‑on pas alors des mères juives dévorer le fruit de leur propre sein ? cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 6, 3, 4. Voilà pourquoi les « bénédictions des seins et du sein maternel » promises aux temps antiques par Jacob, Genèse 49, 25, cessent maintenant d'être des bénédictions.
Luc 23.30 Alors les hommes commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous et aux collines : Couvrez-nous. - Dire aux montagnes… Ces paroles sont empruntées au prophète Osée, 10, 8, chez qui elles représentaient déjà une scène d'horrible désespoir. On ne saurait exprimer au moyen d'une image plus forte le désir d'échapper par une fin soudaine à d'intolérables calamités : aussi S. Jean dans l'Apocalypse, 6, 16, la met‑il sur les lèvres des réprouvés. cf. Isaïe 2, 10. L'historien Josèphe raconte, La Guerre des Juifs, 6, 9, 4, que les habitants de Jérusalem, dans l'espoir d'échapper aux horreurs du siège, se réfugièrent en grand nombre dans les égouts et les souterrains de la ville, où l'on trouva ensuite leurs cadavres par milliers.
Luc 23.31 Car, si l'on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ?" - Le Sauveur justifie par une frappante comparaison les menaces implicites des deux précédents versets. - Si l’on traite ainsi le bois vert… L'idée semble si claire, malgré son vêtement imagé, qu'on a de la peine à s'expliquer les hésitations de plusieurs exégètes à son sujet. Comme on l'admet généralement, le bois vert (ce mot n'apparaît qu'en cet endroit du Nouveau Testament), c'est en général l'arbre encore debout, encore vivant, qui porte des fleurs et des fruits ; le bois sec, au contraire, c'est l'arbre coupé depuis longtemps, mis en réserve pour le feu. De même que ce dernier symbolise les pécheurs, à l'âme aride, stérile, de même le premier représente les justes, semblables, dit le psalmiste, 1, 3-4, à un arbre planté sur le bord des eaux, qui fournit son fruit en sa saison, et dont les feuilles ne tombent jamais. Voyez aussi Ézéchiel 20, 47 (cf. 21, 3-4). Or ici, d'après l'application immédiate, Jésus est le juste par excellence que figure le bois vert, tandis qu'Israël pécheur, impénitent, est le tronc desséché qui ne donne plus aucun espoir de récolte. Si donc Jésus subit de tels châtiments malgré son innocence, à quoi ne doivent pas s'attendre les Juifs, dont la malice crie vengeance vers le ciel ? Voyez 1 Pierre 4, 17, la même pensée, quoique plus générale, et exprimée sans figure. - Le divin Maître rentre dans son majestueux recueillement. Sur le chemin du Calvaire il venait de tenir au fond le même langage que pendant sa récente marche triomphale (cf. 19, 41-44) ; mais la ville où Dieu fait homme a été assassiné était sourde. - Sur la pieuse tradition relative à saint Véronique (ou Bérénice), qui aurait été l'une des femmes compatissantes mentionnées par S. Luc, et qui aurait essuyé de son voile la sainte face du Sauveur, voyez les Acta Sanctorum, Febr., t. 3, p. 451 et ss. ; Rohault de Fleury, l. c., p. 245 et ss.
Luc 23.32 Et l'on conduisait en outre deux malfaiteurs, pour les mettre à mort avec Jésus. - Ce détail encore est propre à S. Luc. Peut‑être ces deux autres hommes avaient‑ils fait partie, comme on l'a souvent conjecturé, de la bande commandée par Barabbas ; c'étaient des zélotes qui, sous le couvert du patriotisme, exerçaient à leur aise le brigandage et le vol. Or la croix était le châtiment habituel des malfaiteurs de cette espèce. cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 2, 13, 12 ; Petrone, Satyricon, 3.
Luc 23.33 Lorsqu'ils furent arrivés au lieu appelé Calvaire, ils l'y crucifièrent, ainsi que les malfaiteurs, l'un à droite, l'autre à gauche. Luc 23, 33-46 = Matth. 27, 34-50 ; Marc. 15, 27-37 ; Jean 19, 18-30. - Les trois autres évangélistes donnent le nom hébreu du célèbre monticule (Golgotha) ; S. Luc se borne à le traduire en grec (Crâne). Sur cette dénomination voyez S. Matth. - Ils l'y crucifièrent. D'après une fable talmudique (Gem. Bab., Sanh. 6), Jésus aurait été d'abord lapidé suivant les prescriptions de la loi juive, et les Romains n'auraient attaché à la croix qu'un corps sans vie. Le supplice subi par le divin Maître passait pour si humiliant que les Pères eurent plus d'une fois à répondre à des objections que les Juifs et les païens en tiraient contre sa dignité messianique ou sa nature divine. « Quelqu’un dira peut‑être : S’il était Dieu et s’il a voulu mourir, pourquoi n’a‑t‑il pas au moins choisi un genre de mort honorable ? Pourquoi de préférence la croix ? Pourquoi un supplice infâme indigne d’un honnête homme, même coupable ? », Lactance, Institutions Divines, 4, 26. Mais, selon la belle parole de S. Ambroise : « Nous avons déjà vu le trophée de la croix. Que le triomphateur monte sur son char, et sur la croix triomphale qu’il suspende les dépouilles des captifs du monde ». La croix si méprisée est devenue un ornement glorieux, dont les rois eux‑mêmes veulent parer leur diadème, et que les braves portent sur leur poitrine comme un signe d'honneur. - Ainsi que des malfaiteurs… Les quatre évangélistes ont relevé ce détail, dont nous avons indiqué ailleurs le caractère ignominieux (Evang. S. Marc). Une antique tradition attribue au bon larron la place de droite et celle de gauche au mauvais. - « Trois croix, l'une près de l'autre, écrivait S. Augustin, lettre 93, alias 48 ; sur la première nous voyons le malfaiteur qui fut sauvé, sur la seconde le malfaiteur qui fut réprouvé, sur celle du milieu le Christ qui absout l'un et qui condamne l'autre. En apparence, qu'y a‑t‑il de plus semblable que ces trois croix ? Mais qu'y a‑t‑il de plus dissemblable que les hommes attachés à leurs bras ? »
Luc 23.34 Mais Jésus disait : "Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font." Se partageant ensuite ses vêtements, ils les tirèrent au sort. - Le premier hémistiche de ce verset (Jésus disait… ils font) manque dans les manuscrits B, D, ainsi que dans les versions copte et sahidiq. ; mais cette omission doit être purement accidentelle, car on le trouve partout ailleurs. Il est cité par S. Irénée et par les Homélies Clémentines, 10, 20. - Père, pardonnez‑leur… Ces mots furent sans doute prononcés au moment où les clous pénétraient dans la chair sacrée de Jésus. Sous la pression de la douleur la douce Victime rompit de nouveau son majestueux silence, non pour se plaindre, mais pour pardonner à ses bourreaux. « Ce fut la première des paroles de Jésus pendant son agonie. L'humanité les a comptées. Il y en a sept, marquées au coin d'une élévation, d'une force, d'une tendresse, d'une douceur infinies. Ces sept paroles terminent la vie de Jésus comme les huit Béatitudes l'avaient ouverte, par la révélation d'une grandeur qui n'est pas de la terre. Seulement, il y a ici quelque chose de plus beau, de navrant, de poignant, de plus divin ». Bougaud, Jésus‑Christ, 2è édit., p. 548. Des sept paroles du Christ mourant (chantées dans une musique sublime par des compositeurs célèbres, surtout par Haydn), trois, dont elle‑ci, ne nous ont été conservées que par S. Luc, trois autres que par S. Jean, la septième est commune à la rédaction de S. Matthieu et de S. Marc. Les voici avec leur ordre probable : 1° Luc. 23, 34, « Père, pardonnez‑leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ; 2° Luc 23, 43, « En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis. » ; 3° Jean 19, 26-27, « Femme, voici ton fils… Voici ta mère » ; 4° Matth. 27, 46 et Marc. 15, 34, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as‑tu abandonné » ; 5° Jean 19, 28, « J'ai soif » ; 6° Jean 19, 30, « Tout est consommé » ; 7° Luc. 23, 46, « Père, je remets mon esprit entre vos mains ». Elles concernent les ennemis de Jésus, les pécheurs pénitents, Marie et le disciple bien‑aimé, les angoisses intérieures du divin patient, ses souffrances physiques, son œuvre et son Père céleste. La première et la dernière commencent par l'appellation filiale de « Père ». S. Bernard les nomme d'une manière pleine de charme « les sept feuilles toujours vertes que Notre vigne produisit quand elle fut élevée sur la croix ». - Pardonnez‑leur. « Il demandait déjà le pardon pour ceux de qui il était en train de recevoir des injures. Car il ne considérait pas que c’était par eux qu’il mourait, mais pour eux », S. August. Tractat. 31 in Jean. Les exégètes diffèrent d'avis sur l'application du pronom « leur ». Suivant les uns (Kuinoel, Ewald, Plumptre, etc.), il désignerait spécialement les soldats romains qui remplissaient l'office de bourreaux. Nous préférons admettre, à la suite du plus grand nombre, qu'il se rapporte en général à tous les ennemis de Notre‑Seigneur, et surtout ceux des Juifs qui étaient les vrais instigateurs de sa mort. Nous obtenons ainsi un sens plus large et plus profond pour cette parole aimante. Telle paraît d'ailleurs avoir été l'interprétation de S. Pierre et de S. Paul, qui y font une allusion manifeste, le premier dans un discours consigné au livre des Actes, 3, 17, le second dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, 2, 8. - Car ils ne savent ce qu’ils font. Jésus motive ainsi et appuie fortement sa demande de pardon. Il a toujours été reçu en effet, devant Dieu comme devant les hommes, que l'ignorance diminue d'ordinaire la malice du péché. Or, les Juifs, au moins pour la plupart, ne comprenaient certainement pas toute l'énormité du crime commis en crucifiant Notre‑Seigneur. Ils ne pensaient pas mettre à mort leur Messie et leur Dieu, quoique leur erreur fût loin d'être exempte de péché. - Partageant ensuite ses vêtements. Voyez les détails plus complets dans S. Jean, 19, 23-24. Les condamnés, avant d'être attachés à l'arbre de la croix, étaient dépouillés de leurs vêtements, que la loi romaine adjugeait aux licteurs ou à ceux qui en faisaient l'office.
Luc 23.35 Le peuple se tenait là et regardait. Les chefs se joignaient à lui pour railler Jésus en disant : "Il en a sauvé d'autres, qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ, l'élu de Dieu." - Et le peuple se tenait là, regardant. détail pittoresque, propre à S. Luc, et qui rappelle la prophétie de Zacharie, 12, 10 : « Et ils tourneront les regards vers moi, celui qu'ils ont percé ». cf. Psaume 21, 17. - Les chefs se moquaient. Les Sanhédristes, et non simplement les princes des prêtres. Le verbe grec est d'une grande énergie. cf. 16, 14 et Psaume 21, 8, dans la traduction des Septante. Les mots avec lui, omis par les meilleurs manuscrits (B, C, D, L, Q, X, Sinait.) et par plusieurs versions (copt., syr.), pourraient bien n'être qu'un glossème. La masse du peuple semble donc, d'après S. Luc, être demeurée silencieuse au pied de la croix. En dehors des Sanhédristes, ceux des Juifs qui insultaient Notre‑Seigneur étaient surtout des passants, selon les deux premiers synoptiques. - Il en a sauvé d’autres… Il existe de légères variantes entre les trois narrations, fait bien naturel, car les insulteurs ne tenaient pas tous absolument le même langage. - S’il est le Christ, l’élu de Dieu. L'addition de l'épithète élu (cf. Isaïe 42, 2), l'emploi d'un pronom péjoratif, sont des particularités de S. Luc. Aujourd'hui encore le Talmud outragent grossièrement Notre‑Seigneur, qu'ils désignent par le surnom de thalouï (pendu), non sans ajouter la plupart du temps quelque imprécation vulgaire. Quant aux chrétiens, ils les appellent les serviteurs du pendu.
Luc 23.36 Les soldats aussi se moquaient de lui, s'approchant et lui présentant du vinaigre, ils disaient : 37 "Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même." - Ce détail n'a été conservé que par S. Luc. A l'exemple des Juifs, les soldats romains qui montaient la garde autour des trois croix se mettent à insulter Jésus. - S'approchant et lui présentant du vinaigre. « Ceci est fort différent de la potion du vin avec de la myrrhe qu'on offrit à Jésus avant qu'il fût mis à la croix (Matth. 27, 34 ; Marc. 15, 23), et du vinaigre qu'on lui présenta après qu'il eût crié : J'ai soif (Jean 19, 28 et s., Matth. 27, 48 ; Marc. 15, 36) » D. Calmet, h. l. Par « vinaigre », il faut entendre la « posca », mélange d'eau et de vinaigre, qui était alors la boisson ordinaire des soldats romains. - Si tu es le roi des Juifs. L'insulte des rudes prétoriens n'est que l'écho de celle des prêtres ; elle présente toutefois une nuance caractéristique : « Roi des Juifs » au lieu de « Christ ». - A toutes ces injures Jésus n'oppose toujours que son silence. « Elle aurait pu parler. Les tortures du crucifiement ne troublaient pas l'intelligence, ne paralysaient pas les organes du langage. L'histoire signale des crucifiés qui, durant des heures entières, donnaient un libre cours à leur douleur, à leur rage ou à leur désespoir, tantôt en maudissant leurs ennemis sur lesquels ils crachaient (Senec. de Vit. beat. 19), tantôt en protestant jusqu'au bout contre l'iniquité de leur sentence, tantôt en implorant avec une humilité abjecte la pitié des spectateurs (Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, 4, 6, 1), tantôt en haranguant la multitude du haut de la croix, comme d'un tribunal, et lui reprochant ses vices et ses faiblesses (Justin, 22, 7). ». Mais Jésus ne parla que pour encourager, pour bénir, ou pour se consoler en confiant ses angoisses et son âme à son Père. Sa noblesse ne se démentit pas un instant.
Luc 23.38 Il y avait encore au-dessus de sa tête une inscription portant, en caractères grecs, latins et hébraïques : "Celui-ci est le roi des Juifs." - Le titre de Roi des Juifs, donné d'une manière dérisoire à Notre‑Seigneur par les soldats, rappelle à S. Luc un fait qu'il n'avait pas encore mentionné, et qu'il insère ici. Sur cette tablette, voyez S. Matth. - En grec, en latin et en hébreu. L'authenticité de ces mots est assez bien garantie malgré leur omission dans B, L, Sinait. et quelques versions. Ils contiennent un précieux renseignement, dont nous sommes redevables à S. Luc et à S. Jean (19, 29). Les trois langues dans lesquelles fut écrite l'inscription étaient celles des trois nations les plus civilisées d'alors : le latin, langue de la force, le grec, langue de l'éloquence et de la sagesse, l'hébreu, langue de la vraie religion, rendirent ainsi témoignage à la royauté de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. « Cela fut un signe que les plus puissants parmi les païens comme les Romains, les plus sages comme les Grecs, et les plus religieux comme les Hébreux devaient être subjugués par le Christ Roi », Théophylacte, h. l. (cf. ce passage du Talmud : « Il y a trois langues, la latine pour la guerre, la grecque pour l’éloquence, et l’hébraïque pour la religion », Midr. Tillin, 31, 20). L'inscription avait été écrite en latin parce que c'était la langue officielle du juge qui avait prononcé la sentence ; puis on l'avait traduite en grec et en hébreu (plus exactement, en syro‑chaldéen) parce que c'étaient les idiomes usités en Palestine. - Celui‑ci est le roi des Juifs. Les paroles du titre varient légèrement dans chaque évangéliste, quoique l'essentiel soit partout identiquement conservé : Matthieu 27, 37 : "Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs." Marc 15, 26 : "Le roi des Juifs." Jean 19, 19 : "Jésus de Nazareth, le roi des Juifs." Il est assez probable, comme on l'a souvent conjecturé, que ces nuances reproduisent les formes diverses qu'avait l'inscription dans chacune des trois langues. S. Marc aurait conservé le titre latin, car la brièveté de sa rédaction rappelle tout à fait le genre des écriteaux romains ; S. Jean le titre hébreu, parce qu'il mentionne, conformément aux usages juifs, le pays du crucifié à côté de son nom ; S. Luc enfin (ou S. Matthieu) le titre grec. (Selon d'autres, c'est S. Luc qui donnerait l'inscription latine. cf. Westcott, Introd. to the study of the Gospels, p. 307). Drach, L'inscription hébraïque du titre de la sainte Croix, Rome 1831. Rohault de Fleury, Mémoire sur les instruments de la Passion, p. 183 et ss. - Pilate l'affirmait donc d'une manière toute providentielle : « Dieu a régné par le bois ». cf. Psaume 46, 10, d'après la version des Septante ; Tertull. adv. Marc. 3, 19, etc.
Luc 23.39 Or, l'un des malfaiteurs pendus à la croix l'injuriait, disant : "Puisque tu es le Christ, sauve-toi toi-même et sauve-nous." - L'un des malfaiteurs… l'injuriait. L'imparfait dénote des blasphèmes réitérés. S. Matthieu et S. Marc racontent d'une manière sommaire que Jésus fut aussi outragé par les malfaiteurs crucifiés à ses côtés : S. Luc expose tout au long cette scène émouvante, qui est une des perles de son Évangile. Sur l'antilogie apparente des récits, voyez S. Matth. - Puisque tu es le Christ. Quelques manuscrits anciens (B, C, L, Sinait.) donnent un sens interrogatif à la phrase : n'es‑tu pas le Christ ? C'est pour la troisième fois la même insulte (cf. vv. 35-37) ; mais elle retrouve ici son cachet juif, car les deux larrons étaient Israélites. Notez aussi l'addition significative sauve-nous.
Luc 23.40 Mais l'autre le reprenait, en disant : "Ne crains-tu donc pas Dieu, toi non plus, condamné que tu es au même supplice ? - Jésus continue de se taire ; mais voici qu'il trouve tout à coup un chaud défenseur. Ses meilleurs amis l'ont abandonné : si quelques‑uns d'entre eux commencent à s'approcher timidement du Golgotha, ils n'osent élever la voix en sa faveur ; le bon larron proteste contre la raillerie prononcée en dernier lieu, et fait une belle apologie du Christ souffrant. - Toi non plus… avec emphase. N'es‑tu pas dans une situation particulière qui devrait te rendre plus réservé que les autres ? - Condamné au même supplice (au même supplice que Jésus). Comme lui tu vas bientôt mourir ; il faut donc penser aux jugements divins.
Luc 23.41 Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes, mais lui, il n'a rien fait de mal." - Après cette parole de réprimande, nous en trouvons une autre qui est tout ensemble une humble confession, et un magnifique éloge de Jésus. - Pour nous, c'est justice. Les rationalistes eux‑mêmes admirent ce beau détail. Il est si rare de voir un condamné accepter généreusement sa sentence en esprit d'expiation. - Mais lui n’a rien fait de mal. Dans le grec, littéralement, rien de déplacé, « rien qui ne convienne à un homme bon », selon la juste paraphrase de Maldonat. cf. 2 Thessaloniciens 3, 2. C'est une manière très délicate et très énergique d'affirmer que Jésus était tout à fait innocent. S'il n'avait rien fait qui fût simplement inconvenant, à plus forte raison rien qui méritât la mort. Ce verdict d'acquittement, rapproché de ceux de Pilate de d'Hérode, est significatif. Sur quoi le bon larron appuyait‑il ce remarquable témoignage ? Peut‑être sur la connaissance antérieure qu'il avait de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ (sans qu'il soit pourtant nécessaire d'admettre, comme l'ont fait arbitrairement Grotius, Michaelis, etc., qu'il était un disciple momentanément dévoyé du Sauveur) ; mais la conduite de Jésus depuis le début du chemin de croix avait pu suffire pour démontrer sa complète innocence à l’œil exercé d'un criminel.
Luc 23.42 Et il dit à Jésus : "Seigneur, souvenez-vous de moi, quand vous serez parvenu dans votre royaume." - Le bon larron se tourne maintenant du côté de Notre‑Seigneur, et lui adresse une humble et sublime prière : Ne m'oubliez pas : voilà tout ce qu'il demande, certain du reste que si Jésus daigne se souvenir de lui, ce sera avec un sentiment de bonté, comme aussi, d'après les paroles suivantes (quand vous serez arrivé dans votre royaume), avec une parfaite efficacité. Le suppliant ne pouvait proclamer en termes plus formels sa croyance au caractère messianique de Jésus : le royaume auquel il fait allusion n'est autre en effet que celui du Christ, mentionné si fréquemment dans les SS. Évangiles et dans les Talmuds. Acte de foi vraiment admirable, vu les circonstances où se trouvait alors Notre‑Seigneur. « Le voleur ne méprisa pas celui qui pendait avec lui sur une croix », S. August. Serm. 23, 2. Mais ce grand coupable avait reçu de Jésus en peu de temps les enseignements les plus précieux. « La croix fut pour lui une école ; il y reçut l’enseignement du Maître ; et le gibet où le Sauveur était suspendu devint la chaire où il donnait ses instructions. » Id. Serm. 234, 2. Cf. les paroles analogues du Sauveur, Matth. 25, 31 : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire ». « Règne » ne désigne donc pas directement et immédiatement le ciel.
Luc 23.43 Jésus lui répondit : "Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis." - Jésus s'est tu en face des blasphèmes vomis de tous côtés contre sa personne divine ; mais il fait la plus douce réponse à la prière du larron pénitent. Nous le voyons apparaître comme roi céleste, promettant une place du paradis, de même qu'il s'était manifesté plus haut comme prêtre, quand il intercédait pour ses bourreaux (v. 34), et antérieurement encore comme prophète, lorsqu'il exhortait les femmes de Jérusalem (vv. 28-31). - Les mots En vérité, je te le dis accentuent à la façon ordinaire la certitude de la promesse. L'adverbe aujourd'hui ne dépend pas de « je te le dis », mais commence une proposition nouvelle. Quoique les « exégètes catholiques romains » aient à peu près unanimement protesté, depuis l’époque de Théophylacte jusqu'à nous, contre cette liaison qui rendrait la pensée « insipide et faible » (Maldonat), M. van Oosterzee leur reproche injustement de la soutenir. Sa partialité devient révoltante quand il ajoute qu'ils agissent ainsi « pour affaiblir autant que possible la preuve constamment tirée de ce texte contre le dogme du purgatoire » (Evangel. Lucae, 3è éd., p. 387). - A la date plus ou moins lointaine que le bon larron avait fixée (lorsque vous serez arrivé…), Jésus oppose cet « aujourd'hui » qu'il met en avant d'une manière emphatique. Non, pas seulement au jour de mon avènement, mais aujourd'hui même, avant peu d'heures. Il y a une nouvelle emphase dans le pronom avec moi, duquel les théologiens concluent d'ailleurs à bon droit que l'âme de Notre‑Seigneur descendit aux limbes aussitôt après sa mort. cf. 1 Pierre 3, 18 et s. - Tu seras avec moi dans le paradis. Pour avoir une juste idée de la promesse faite par Notre‑Seigneur au bon larron, nous avons à rechercher quel était alors le sens du mot Paradis. Ce substantif, introduit dans la langue hébraïque sous la forme de Pardès (Cantique des Cantiques 4, 13 ; Ecclésiaste 2, 5 ; Néhémie 2, 8), et, environ 400 ans avant Jésus‑Christ, dans la langue grecque, d'où découlent les équivalents latin, français et autre du mot paradis, n'est certainement pas d'origine sémitique. Les anciens et les modernes sont à peu près unanimes pour le rattacher directement à la langue persane. Voyez Xénophon, Anabas. 1, 2, 7 ; 4, 9, etc. ; E. Renan, Langues sémitiques, p. 153. Il signifie jardin parc, comme les mots congénères pardès en arménien et paradèça en sanscrit. Aussi les Septante l'ont‑ils employé Genèse 2, 8, 15 ; 3, 23, pour traduite la première partie de la locution gân Edên, jardin d'Eden, dont ils ont fait « jardin de délices ». Partant de là, les Juifs en vinrent peu à peu, par un rapprochement très naturel, à donner le même nom de paradis au lieu où les âmes des justes résident en attendant la résurrection. En ce sens, dans la théologie judaïque, le paradis ne diffère pas du « sein d'Abraham » que nous avons décrit plus haut (16, 22), et il est pareillement opposé à la Géhenne. Telle est ici, de l'avis de la plupart des Pères et des meilleurs exégètes (Maldonat, Cornel. a Lapide, etc.), l'application qu'en fait Notre‑Seigneur : c'est donc l'entrée prochaine dans le « limbe des patriarches » qui est promise au bon larron. Ce nom évoqua devant lui, pour le consoler parmi ses horribles souffrances, les douces images de la paix et du repos en Dieu. Dans la littérature chrétienne des premiers temps, 2 Corinthiens 12, 4 ; Apocalypse 2, 7, le mot paradis apparaît pour désigner le ciel proprement dit, et c'est dans cette acception relevée que nos idiomes européens se le sont incorporés. La strophe suivante, gravée sur la tombe de Copernic, contient une belle allusion au passage que nous venons d'expliquer : « Je ne demande pas un pardon semblable à celui de Paul, ni une grâce semblable à celle de Pierre, mais je prie avec ferveur pour que tu m’accordes la grâce que tu as donnée au larron sur le bois de la croix ». L'enseignement qui ressort de cette scène est infiniment précieux : il n'y a pas de repentir trop tardif. Mais, ajoutent les maîtres de la vie spirituelle, qu'on y prenne garde ; la Bible ne nous présente que ce seul exemple d'un homme qui se soit converti sur le point de mourir. - Le bon larron est honoré comme un Saint dans l'Église latine. Nous lisons au Martyrologe romain, 25 mars : « Du saint larron de Jérusalem qui mérita, après avoir confessé le Christ, de l’entendre dire : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ». Les Évangiles apocryphes n'imitent pas cette sage sobriété. Remontant trente années en arrière, ils nous racontent qu'au moment où la Sainte Famille fuyait en Égypte, elle fut assaillie par deux voleurs nommés Dismas et Gestats (ou bien Titus et Dumachus) : celui‑ci voulait la traiter brutalement, celui‑là au contraire la protégea. L'Enfant‑Dieu leur aurait alors prédit le drame du Calvaire tel qu'il vient de se réaliser sous nos yeux. cf. Brunet, les Evang. Apocryphes, 2è édit. pp. 77, 78, 102, 243. L'Évangile de Nicodème, ch. 27, relate en termes exprès l'entrée du bon larron dans les limbes. Voyez aussi les Acta Sanctorum, au 25 mars.
Luc 23.44 Il était environ la sixième heure, quand des ténèbres couvrirent toute la terre jusqu'à la neuvième heure. 45 Le soleil s'obscurcit et le voile du temple se déchira par le milieu. - La sixième heure : c'est‑à‑dire environ midi. Il se produisit alors un phénomène étrange qui dura jusqu'au dernier soupir de Jésus, jusqu'à 15 heures : La nature parut se couvrir d'un voile de deuil pendant l'agonie de son auteur. « Quand il souffrit, le monde entier eut compassion de lui », Clem. Recognit. 1, 41. « Les éléments méritèrent d’obtenir du sort un tel comportement, de s’attrister de sa mort comme ils s’étaient réjouis de sa naissance », Sedulius, Paschal. 5, 16. Voyez S. Matth. - Le soleil fut obscurci (détail propre à S. Luc). C'était pourtant l'heure du jour où la lumière du soleil est le plus éclatante, et, à cette époque de l'année, il brille déjà sur la Palestine avec un vivacité comparable à celle qu'il a chez nous au mois de juin. « Le soleil t'a donné un signe. » pouvons‑nous dire plus exactement que Virgile. La variante explicative des manuscrits Sinait., B, C, L, etc. des versions copt. et sahid., « le soleil a fait défaut », était déjà connue d'Origène, qui la rejetait à bon droit. - Le voile du temple se déchira. Ce second miracle n'eut lieu qu'après la mort de Notre‑Seigneur, ainsi qu'il résulte des narrations plus précises de S. Matthieu et de S. Marc. S. Luc l'antidate de quelques heures, afin de grouper ensemble les divers miracles par lesquels Dieu le Père rendit témoignage à son Fils en ces moments solennels. Voyez dans S. Matth., la signification de ce fait symbolique. C'en est fait désormais du culte juif : bientôt la destruction totale du temple le dira plus éloquemment encore. « Le voile du temple se scinda, comme pour se lamenter sur la destruction imminente de ce lieu », Clem Recog. 1, 41.
Luc 23.46 Et Jésus s'écria d'une voix forte : "Père, je remets mon esprit entre vos mains." En disant ces mots, il expira. - Passant sous silence divers incidents rapportés par les autres évangélistes, S. Luc nous conduit droit au fatal dénouement. Le grand cri de Jésus, qu'il signale de concert avec S. Matthieu et S. Marc, fut distinct de la parole « Père, je remets mon esprit... », acte de filiale confiance par lequel le Sauveur termina sa vie mortelle. Il en emprunta l'expression au Psaume 30, v. 6, à part le doux nom de Père qu'il ajouté au texte sacré. - Il expira. Il est remarquable qu'aucun des évangélistes n'emploie la locution commune : Il mourut. Tous, ils ont voulu faire ressortir la liberté entière avec laquelle le divin agonisant exhala son âme. La manière dont S. Luc rattache la locution « disant cela » à « il expira » prouve qu'il n'y eut pas d'intervalle notable entre le « Père, je remets... » et le dernier soupir de Jésus. - C'est ici le lieu de rappeler une étonnante réflexion de Platon. Dans sa République, 2, il fait dire par Socrate à Glaucus que le juste parfait, s'il apparaissait jamais parmi les hommes, serait à coup sûr chargé de chaînes, flagellé, torturé, et finalement crucifié. Voilà que Jésus, le véritable homme parfait, a réalisé ce vague pressentiment du paganisme, de même qu'il a totalement accompli les lumineux oracles des prophètes juifs.
Luc 23.47 Le centurion, voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu et dit : "Certainement, cet homme était juste." Luc 23, 47-49 = Mth. 27, 51-56 Mc. 15, 38-41. - Le centurion : c'est‑à‑dire, le capitaine romain qui avait été préposé au triple crucifiement. S. Luc mentionne dans ses écrits plusieurs bons centurions, outre ce passage, 7, 2 ; Actes 10, 1 ; 22, 26 ; 27, 43. - Ce qui était arrivé. S. Matthieu et S. Marc précisent davantage. « A la vue du tremblement de terre... », dit le premier ; « voyant comment il avait expiré », écrit le second. - Glorifia Dieu est un détail spécial. Le centurion rendit gloire à Dieu par la confession toute chrétienne que nous allons entendre. - Certainement cet homme était juste. Dans les deux autres récits, il attribue formellement à Jésus le titre de Fils de Dieu. On fait la conciliation tantôt en supposant qu'il prononça tour à tour ces deux jugements, tantôt en admettant, à la suite de S. Augustin, de Consens. Evangel. l. 1, c. 20, que S. Luc aurait transformé la phrase pour interpréter à ses lecteurs dans quel sens un païen pouvait affirmer que Jésus était vraiment le Fils de Dieu. D'après l'Évangile de Nicodème, c. 11, le centurion aurait porté le nom de Longinus. Une tradition que S. Jean Chrysostome citait déjà, mais sans en garantir la vérité, le fait mourir martyr du Christ. Il serait devenu évêque de Cappadoce d'après d'autres documents. Voyez les Acta Sanctorum au 15 mars ; Cornel. a Lap. h. l.
Luc 23.48 Et toute la multitude qui s'était rassemblée pour ce spectacle, considérant ce qui était arrivé, s'en retournait en se frappant la poitrine. - Les détails de ce verset sont propres à S. Luc. - Toute la multitude. Cela suppose une affluence considérable. - Se frappant la poitrine. Par ce signe du deuil et de la douleur, les Juifs confessaient, quoique tardivement, leur regret de la mort de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. cf. Actes 2, 36-37 ; Isaïe 53.
Luc 23.49 Mais tous les amis de Jésus se tenaient à distance, avec les femmes qui l'avaient suivi de Galilée et contemplaient tout cela. - Tous les amis de Jésus. Notre évangéliste a seul conservé ce détail ; mais les deux autres synoptiques mentionnent comme lui la présence des saintes amies du Sauveur, prenant même le soin de nommer les principales : Marie Madeleine, Marie, mère de S. Jacques le Mineur, Salomé. Voyez d'ailleurs 8, 2-3. - contemplaient tout cela. Détail pittoresque, également spécial à S. Luc. Quels sentiments animaient alors ces disciples intimes ? Leur foi était chancelante, leurs espérances obscurcies ; du moins leur amour brûlait encore.
Luc 23.50 Or, il y avait un homme, appelé Joseph, membre du conseil, homme bon et juste, 51 qui n'avait donné son assentiment ni au dessein des autres, ni à leurs actes, il était d'Arimathie, ville de Judée et attendait, lui aussi, le royaume de Dieu. Luc 23, 50-56 = Matth. 27, 57-61 ; Marc. 15, 42-47 ; Jean 19, 38-42. - Les quatre évangélistes sont d'accord pour faire jouer à Joseph d'Arimathie le rôle prépondérant dans la sépulture du Sauveur. Sur le titre de membre du conseil, c'est‑à‑dire, selon toute probabilité, de Sanhédriste, cf. comment. S. Marc. S. Luc seul relève le caractère moral de Joseph par les mots homme bon et juste. Seul aussi il prend soin de dire, en termes emphatiques, que le noble sénateur n'avait pas pris la moindre part à la mort de Notre‑Seigneur. Par « dessein » il faut entendre la sentence capitale ; les « actes » étaient les différentes mesures prises en vue d'exécuter cette sentence. - Sur Arimathie voyez S. Matth. - Il attendait aussi… (cf. 2, 25 et le commentaire). De même S. Marc. S. Matthieu dit formellement que Joseph était un disciple de Jésus.
Luc 23.52 Cet homme alla trouver Pilate, lui demanda le corps de Jésus, - La hardiesse de l'acte (cf. Marc. 15, 43) a pour ainsi dire passé dans le style serré, rapide, des quatre narrateurs. L'histoire signale plusieurs suppliants de ce genre qui payèrent de leur vie leur démarche généreuse. cf. Euseb. Mart. p. 11. D'après les Actes apocryphes de Pilate (B, c. 11), les Juifs auraient emprisonné pour cette raison Joseph d'Arimathie.
Luc 23.53 et l'ayant descendu, il l'enveloppa d'un linceul et le déposa dans un tombeau taillé dans le roc, où personne n'avait encore été mis. - S. Luc, comme S. Marc, emploie le terme technique descendu (cf. Tertull. Apol. 21, S. Just. c. Typh. 108, Senec. Vit. Beat. 19). - Il l'enveloppa d'un linceul. Il s'agit ici du linceul principal : l'évangéliste parlera plus bas, 24, 12, d'autres linges secondaires. cf. Jean 20, 6-7. - Un tombeau taillé dans le roc. Le verbe grec n'apparaît qu'en cet endroit du Nouveau Testament. - Où personne n'avait été mis. Circonstance que S. Luc et S. Jean ont seuls notée. Elle a pour but providentiel de montrer que c'est bien Jésus et pas un autre qui sortit ressuscité de ce tombeau.
Luc 23.54 C'était le jour de la Préparation et le sabbat allait commencer. - Le jour de la préparation. S. Marc, 15, 42, explique cette expression grecque par un substantif à demi hébreu, qui désignait le vendredi. On « préparait » ce jour‑là chez les Juifs tout ce qui était nécessaire pour le sabbat, dont le repos était inviolable : de là le nom de Parascève ou préparation. - Le sabbat allait commencer. Littéralement : le sabbat se mettait à briller. Et pourtant c'était le soir. Aussi, d'après divers auteurs, devrait‑il s'entendre ici ou de la lueur des étoiles, ou même (Kuinoel) de celle des lampes à sept branches qu'on allume le vendredi soir dans toutes les maisons israélites pour fêter l'arrivée du sabbat. Mais il est beaucoup plus juste de voir dans cette locution une simple métaphore, par laquelle on applique au début d'un jour artificiel (par exemple, du sabbat, qui commençait le soir) ce qui ne convient directement qu'à celui du jour naturel.
Luc 23.55 Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, ayant accompagné Joseph, considérèrent le tombeau et la manière dont le corps de Jésus y avait été déposé. - Les femmes : elles avaient « suivi de près » Joseph et le convoi funèbre. - Voyez le v. 49. S. Matthieu et S. Marc mentionnent nommément Marie Madeleine et l'autre Marie, mère de S. Jacques le Mineur. - Considérèrent le tombeau… Détails graphiques, propres à S. Luc sous cette forme. cf. S. Marc : « observaient où on le déposait ».
Luc 23.56 S'en étant donc retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums et le jour du sabbat, elles demeurèrent en repos, selon le précepte. - Ce verset explique la fin du précédent. Nous y voyons pourquoi les saintes femmes avaient regardé avec tant d'attention en quel endroit du tombeau on plaçait le corps sacré de Jésus (les tombeaux juifs contenaient habituellement plusieurs niches ou cavités dans lesquels on plaçait les cadavres) : c'est qu'elles se proposaient de revenir bientôt compléter sa sépulture dès que le repos du sabbat aurait cessé. - Rentrées en ville et chez elles, elles préparèrent des aromates et des parfums . Le second de ces substantifs indiquant des parfums à l'état liquide, le premier, qui est plus général, soit s'entendre de substances sèches et solides. D'après S. Marc, 16, 1, l'emplette des aromates n'aurait eu lieu que le samedi soir. En unissant les deux récits nous dirons que les pieuses Galiléennes, n'ayant pas eu le temps de se procurer dès le vendredi tout ce qu'elles désiraient, complétèrent leurs provisions de parfums quand le sabbat fut écoulé. La conciliation s'opère ainsi sans la moindre violence. - « Elles se tinrent en repos, selon la loi » : c'est‑à‑dire, conformément aux prescriptions de la loi mosaïque, auxquelles les premiers chrétiens continuèrent d'obéir pendant un certain temps.
CHAPITRE 24
Luc 24.1 Mais, le premier jour de la semaine, de grand matin, elles se rendirent au tombeau, avec les aromates qu'elles avaient préparés. Luc 24, 1-8 = Matth. 28, 1-10 ; Marc. 16, 1-8. - La résurrection de Jésus et ses preuves. 24, 1-43. Il y a des variantes dans les quatre récits : les écrivains sacrés se rencontrent sur les points principaux et se séparent sur les détails. S. Luc demeure ici fidèle à son caractère habituel : tantôt il abrège, tantôt il s'étend longuement sur un épisode spécial. Il ne dit rien des apparitions de Jésus en Galilée. - De grand matin, elles avaient hâte d'accomplir leur tâche douloureuse et sacrée. - Avec les aromates. cf. 23, 56. détail spécial au troisième Évangile.
Luc 24.2 Elles virent que la pierre avait été roulée loin du tombeau, - Elles trouvèrent la pierre roulée… Quelle pierre ? S. Luc ne l'a pas mentionnée précédemment ; mais il la supposait connue de ses lecteurs. En effet la catéchèse apostolique, non moins que les récits de S. Matthieu (27, 60) et de S. Marc (15, 46), l'avaient rendue partout célèbre. C'était le gôlal des Juifs, la pierre grande et large avec laquelle ils bouchent ou ferment la partie supérieure de la bouche du tombeau.
Luc 24.3 et, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. - Une seconde surprise autrement grande les attendait : étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps… Ce dernier détail est une particularité de S. Luc. Remarquez l'association des noms Seigneur Jésus. On ne la trouve pas ailleurs dans les Évangiles, quoiqu'elle apparaisse quarante fois environ dans les Actes et les Lettres.
Luc 24.4 Tandis qu'elles étaient remplies d'anxiété à ce sujet, voici que deux hommes, vêtus de robes resplendissantes, parurent debout auprès d'elles. - Elles étaient remplies d’anxiété. C'est une autre particularité de notre évangéliste. - Les locutions Voici que relèvent le caractère inattendu et soudain de l'apparition. - Deux hommes...parurent. C'étaient des anges évidemment ; mais on les appelle des hommes d'après la forme extérieure sous laquelle ils se manifestaient. cf. Actes 1, 10. S. Matthieu et S. Marc ne parlant que d'un seul ange, le rationalisme n'a pas manqué de crier à la contradiction. Les exégètes croyants répondent ou bien que S. Luc ne raconte pas absolument le même fait, ou que les deux autres synoptiques se sont bornés à signaler celui des anges qui adressa la parole aux saintes femmes. Voyez S. Marc. « Froids éplucheurs de contradictions, disait énergiquement Lessing à nos adversaires, ne voyez‑vous pas donc pas que les évangélistes ne comptent pas les anges ? Tout le tombeau, tout le district qui environnait le tombeau, étaient remplis d'anges invisibles. Il n'y avait pas là seulement deux anges semblables à deux sentinelles laissées devant l'habitation d'un général même après son départ ; il y en avait des millions : et ce n'était ni toujours le même, ni toujours les deux mêmes, qui apparaissaient. Tantôt l'un se montrait, tantôt l'autre ; tantôt ici, tantôt là ; tantôt seul, tantôt en compagnie ; ils disaient tantôt ceci, tantôt cela ». - Vêtus de robes resplendissantes. Resplendir dans les sens de lancer des éclairs.
Luc 24.5 Comme, dans leur épouvante, elles inclinaient le visage vers la terre, ils leur dirent : "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? - Visage vers la terre… Détail pittoresque omis cependant par les autres récits. M. L. Abbott l'explique d'une manière bien terne quand il prétend que les saintes femmes s'inclinaient pour saluer les anges. Non. Ce geste était le résultat naturel, spontané, de la frayeur et du respect réunis. On peut ajouter que l'éclat des vêtements angéliques obligeait aussi pour sa part les visiteuses du S. Sépulcre à tenir les yeux baissés. - Pourquoi cherchez‑vous… ? On croirait entendre le ton d'un léger blâme sous cette forme interrogative, qui est spéciale au troisième Évangile. cf. Actes 1, 11. Du moins, elle fait très bien ressortir l'inutilité des recherches en question. - Celui qui est vivant : article plein d'emphase, le vivant par excellence, cf. Apocalypse 1, 17-18, où Jésus dit de lui‑même : « Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts ». - Parmi les morts. C'est‑à‑dire dans un lieu destiné à recevoir les morts. Chercher la vie dans le tombeau, n'est‑ce‑pas un contre‑sens étrange ?
Luc 24.6 Il n'est pas ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous de ce qu'il vous a dit, lorsqu'il était encore en Galilée : 7 Il faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour." - Ces mots du messager céleste ont été presque identiquement conservés dans les trois narrations synoptiques : ce sont d'ailleurs les plus importants de son allocution. - L'appel aux souvenirs des saintes amies de Jésus, Souvenez‑vous…, jusqu'à la fin du v. 7, est encore une particularité de notre évangéliste. cf. Matth. 28, 7 ; Marc. 16, 7. - Ce qu’il vous a dit. Elles avaient donc entendu elles aussi, probablement tandis qu'elles accompagnaient le Sauveur dans ses pérégrinations de Galilée (cf. 8, 1-3 ; 9, 44 ; Marc. 9, 29 et ss.), quelques‑unes de ses prophéties relatives à sa mort et à sa résurrection. - Livré entre les mains des pécheurs. Il faut prendre cette épithète dans le sens spécial que lui donnaient les Juifs ; or, pour eux, pécheur équivalait fréquemment à païen, cf. Galates 2, 15.
Luc 24.8 Elles se ressouvinrent alors des paroles de Jésus, - Elles se ressouvinrent… Elles avaient oublié des paroles qu'elles n'avaient pas comprises (cf. 9, 45) ; maintenant que la prophétie de Jésus reçoit des faits une interprétation lumineuse, elles s'en souviennent. Ce phénomène psychologique, signalé seulement par S. Luc, est confirmé par une expérience journalière.
Luc 24.9 et, à leur retour du tombeau, elles rapportèrent toutes ces choses aux Onze et à tous les autres. - De retour… elles rapportèrent. cf. Matth. 28, 8. Au contraire, d'après S. Marc, 16, 8, « Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles‑mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur ». Mais les narrateurs envisagent deux moments distincts, cf. commentaire S. Marc. Tout effrayées, les saintes femmes gardèrent d'abord le silence sur ce qu'elles venaient de voir et d'entendre ; toutefois, rassurées bientôt, elles se hâtèrent d'aller porter la bonne nouvelle aux onze et à tous les autres, c'est‑à‑dire aux autres disciples, car ceux des amis de Jésus qui se trouvaient alors à Jérusalem s'étaient naturellement cherchés et réunis depuis la mort de leur Maître, et ils attendaient ensemble les événements.
Luc 24.10 Celles qui dirent ces choses aux Apôtres étaient Marie-Madeleine, Jeanne, Marie, mère de Jacques et leurs autres compagnes. - Marie Madeleine et Jeanne. Marie Madeleine est associée par tous les évangélistes à la résurrection de Notre‑Seigneur : S. Luc seul mentionne le nom de Jeanne. cf. 8, 3 et l'explication. - Et les autres… Entre autres Salomé, dont parle S. Marc, 16, 1 ; peut‑être également Suzanne, 8, 3.
Luc 24.11 Mais ils regardèrent leurs discours comme un délire et ils ne crurent pas ces femmes. - Comme un délire… L'expression est d'une énergie singulière. Ce mot et ce détail sont propres à S. Luc. - Ils ne crurent pas ces femmes. Dans le grec, l'imparfait dénote mieux encore une incrédulité obstinée, qui refuserait de se laisser vaincre.
Luc 24.12 Toutefois Pierre se leva et courut au tombeau et, s'étant penché, il ne vit que les linges par terre et il s'en alla chez lui, s’étonnant de ce qui était arrivé. - Pierre, se leva…. Heureux contraste entre S. Pierre et les autres disciples. Lui du moins, avant de rejeter le témoignage des saintes femmes, veut le contrôler personnellement. - Courut au tombeau. détail graphique, bien naturel dans la circonstance, et tout à fait conforme au caractère ardent du prince des apôtres. Quels sentiments devaient agiter alors le cœur de S. Pierre. - S'étant penché : nouveau détail très pittoresque. L'entrée des tombeaux était généralement assez basse. - Les linges par terre. cf. Jean 20, 6-7, où la narration est encore plus précise. - Il s'en alla, s’étonnant… Il s’étonnait de voir comment les linges seuls qui avaient servi à recouvrir le corps embaumé de myrrhe, avaient été laissés, ou quelles circonstances avaient favorisé le voleur à ce point, qu’au milieu des gardes qui environnaient le tombeau, il ait eu le temps de débarrasser le corps des linges qui l’entouraient avant de l’enlever.
Luc 24.13 Or, ce même jour, deux disciples étaient en route vers un village nommé Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, Lc 13-35 = Mc 16, 12-13. C'est là une des pages les mieux écrites du troisième Évangile : tous les critiques sont d'accord pour l'admirer. « L'épisode des disciples d'Emmaüs, dit M. Renan, est un des récits les plus fins, les plus nuancés qu'il y ait dans aucune langue ». Les Évangiles et la seconde génération chrétienne, p. 282. L'évangéliste peintre et psychologue s'y révèle merveilleusement. Presque tous les détails lui appartiennent en propre, car S. Marc ne fait que signaler l'incident en gros. - Or, ce même jour présage un nouvel événement extraordinaire dans cette journée si remplie de miracles. - Deux disciples : c'est‑à‑dire, du groupe des disciples mentionnés au v. 9. Ce n'étaient certainement pas des apôtres. cf. v. 33. - Étaient en route. D'après l'ensemble du récit ils avaient dû quitter Jérusalem dans l'après‑midi, vers 14 ou 15 heures, puisqu'ils arrivèrent à Emmaüs peu avant le coucher du soleil, qui avait lieu vers 18 heures à cette époque de l'année, et que la distance à parcourir était de 11 kilomètres. - Un village nommé Emmaüs. Depuis l'époque des croisades, le clergé et les catholiques de Palestine vénèrent au village d’El Qubeibeh, situé au N. O. et à environ trois lieues de Jérusalem (précisément la distance voulue), le mystère de l'apparition du divin Ressuscité. Le lieu est confié à la garde les moines de saint François d’Assise, les Franciscains.
Luc 24.14 et ils s'entretenaient de tous ces événements. - Voyez les détails aux vv. 19-20. Chemin faisant, les deux disciples repassaient donc ensemble les derniers incidents de la vie de Notre‑Seigneur, et cherchaient à se les expliquer (v. 15).
Luc 24.15 Pendant qu'ils discouraient, échangeant leurs pensées, Jésus lui-même les joignit et fit route avec eux, - Jésus lui‑même les joignit : détail pittoresque. D'après le contexte (cf. v. 18) il les rejoignit par derrière, comme s'il venait également de Jérusalem. L'imparfait « marchait » indique qu'il marcha quelque temps en silence auprès d'eux.
Luc 24.16 mais leurs yeux étaient retenus de sorte qu'ils ne le reconnaissaient pas. - Cette réflexion de l'évangéliste explique pourquoi les disciples ne reconnurent pas immédiatement le Sauveur : un voile avait été jeté devant leurs yeux d'une manière surnaturelle. Voyez des faits analogues dans S. Jean, 20, 14 ; 21, 4. S. Marc, 16, 13, signale un autre motif de la méprise des deux voyageurs : « il se manifesta sous un autre aspect à deux d’entre eux ». On voit, en réunissant les récits, qu'elle provint tout ensemble du dedans (S. Luc) et du dehors (S. Marc).
Luc 24.17 Il leur dit : "De quoi discutez-vous en marchant ?" Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. - Jésus adresse enfin la parole aux disciples, à la façon d'un ami compatissant. Il agit comme s'il s'était aperçu à leur conversation, depuis qu'il les avait rejoints, qu'une vive inquiétude pesait sur eux, mais sans qu'il eût pu en saisir tout l'objet. - De quoi discutez-vous… Le verbe grec est très expressif. On ne le trouve qu'en cet endroit du Nouveau Testament.
Luc 24.18 L'un d'eux, nommé Cléophas, lui répondit : "Tu es bien le seul étranger venu à Jérusalem, qui ne sache pas les choses qui y sont arrivées ces jours-ci ? - L'un d'eux nommé Cléophas. Comme on l'a dit justement, la mention d'un nom si obscur prouve la véracité de l'historien. Les exégètes se demandent depuis des siècles, sans pouvoir se mettre d'accord, si celui qui le portait doit être confondu avec le Cléophas de S. Jean, 19, 25. L'opinion négative nous paraît présenter une plus grande vraisemblance, 1° parce que Cléophas est un nom grec, tandis que Clopas est une transformation de l'araméen ; 2° parce que S. Luc, en d'autres endroits de ses écrits (4, 15 ; Actes 1, 13), appelle Alphée ce Clopas ou Chalpaï de S. Jean, qui était le père de S. Jacques‑le‑Mineur. Néanmoins des auteurs importants sont partisans de l'identité. - Quel était l'autre disciple ? On est réduit sur ce point aux conjectures ; mais les conjectures n'ont pas manqué. Il se nommait Simon d'après Origène, Ammaon (habitant d'Emmaüs?) d'après S. Ambroise. S. Épiphane l'identifie à Nathanaël, Lightfoot au prince des apôtres, Wieseler à S. Jacques fils d'Alphée ; Théophylacte, Nicéphore, MM. J. P. Lange et Godet à S. Luc lui‑même. Ces hypothèses se réfutent d'elles‑mêmes. - Le seul étranger venu à Jérusalem, qui ne sache pas… Paroles qui dénotent un vif étonnement. Comment pouvez‑vous ignorer ces choses ? Tous ceux qui étaient dernièrement à Jérusalem les savent. Étranger, pèlerin, en résidence temporaire à Jérusalem pendant la Pâque et les autres fêtes analogues : Cléophas put aisément conclure de l'ignorance apparente de son interlocuteur qu'il n'était pas un habitant de la capitale.
Luc 24.19 Quelles choses ?" leur dit-il. Ils répondirent : "Les faits concernant Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple : - Quelles choses ? Jésus incite les disciples à parler, pour faire ensuite plus complètement leur instruction. - Ils répondirent. Peut‑être Cléophas fut‑il encore le porte‑parole, et alors nous aurions ici le pluriel « de catégorie ». Ou bien les deux voyageurs parlèrent à tour de rôle, se complétant l'un l'autre, ce qui paraît plus en rapport avec l'entrain qu'ils devaient mettre dans une conversation si pleine d'intérêt pour eux. Néanmoins c'est d'une manière très arbitraire qu'on a voulu parfois (Kuinoel, etc.) déterminer la part exacte de chacun d'eux. - Jésus de Nazareth. Telle était l’appellation populaire de Notre‑Seigneur en Palestine. - Un prophète… Voyez, Actes 2, 22, une description parallèle à celle‑ci. - Puissant en œuvres et en paroles. Belle expression, toute classique. cf. Thucydide, 1, 139, où Périclès est représenté comme l'homme... le plus habile dans la parole et l'action. Dans son célèbre discours, Actes 7, 22, S. Étienne dit aussi de Moïse qu'il était « puissant par ses paroles et par ses actes ». Et en réalité, n'est‑ce pas par la parole et par l'action que les hommes révèlent leur puissance ? Ici, les œuvres sont mises en avant, parce que c'est surtout au moyen de ses œuvres que Jésus s'était manifesté comme le prophète envoyé de Dieu ». - Devant Dieu et devant tout le peuple. Les miracles du Sauveur avaient prouvé que Dieu même était avec lui, et le peuple, avant de se laisser égarer par les Pharisiens et les Sanhédristes, s'était montré plein de déférence et d'admiration pour Jésus, comme l'atteste tant de pages des quatre évangiles.
Luc 24.20 comment les Princes des prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. - Les narrateurs passent maintenant à la catastrophe finale, qui datait de deux jours seulement. Ils disent franchement leur pensée ; sans la moindre hésitation ils attribuent aux membres du grand Conseil, les princes des prêtres et nos chefs, la responsabilité principale dans les événements qui préoccupaient si vivement leurs esprits. Rien de plus exact, nous l'avons vu : Pilate et ses prétoriens n'avaient été que des instruments entre les mains des autorités juives.
Luc 24.21 Quant à nous, nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël, mais, avec tout cela, c'est aujourd'hui le troisième jour que ces choses sont arrivées. - Nous espérions… Nous, ses disciples. Ils parlent au passé : c'est que leur confiance a bien diminué depuis deux jours. - Que ce serait lui qui délivrerait Israël. Locution consacrée chez les Juifs pour désigner le Messie. cf. Actes 1, 6, etc. - Mais, introduit une nouvelle idée, un fait qui, après avoir été pour les disciples un motif d'espérance dans leur situation désolée, se transformait en un motif de plus complet désespoir. - Avec tout cela (c'est‑à‑dire outre que Jésus a été condamné et crucifié) c'est aujourd'hui le troisième jour... Tel est le fait en question. Il y a, dans cette manière particulière de mentionner le troisième jour, une allusion évidente à la prophétie par laquelle Notre‑Seigneur avait annoncé qu'il ressusciterait trois jours après sa mort cf. 18, 33 et parall. Ses amis se l'étaient rappelée et avaient conservé quelque espoir le samedi et dans la matinée du dimanche ; mais voici que le troisième jour touchait à sa fin. Sur quoi pouvait‑on compter désormais ?
Luc 24.22 A la vérité, quelques-unes des femmes qui sont avec nous, nous ont fort étonnés : étant allées avant le jour au tombeau, 23 et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges leur ont apparu et ont annoncé qu'il est vivant. - Continuant leur narration admirable d'impartialité, les compagnons du divin voyageur arrivent enfin aux événements qui s'étaient passés le matin même, et qui avaient tout d'abord avivé leurs espérances. - Des femmes… nous ont fort étonnés. L'expression grecque corrélative signifie proprement : Nous ont mis hors de nous‑mêmes. Elle décrit fort bien la violente agitation produite dans le cercle des disciples par la nouvelle que leur avaient apportée les saintes femmes. - Des anges leur ont apparu… Deux ouï-dire » consécutifs, celui des femmes et celui des anges. La manière dont les disciples relèvent ce mode d'information montre qu'ils étaient loin d'y ajouter foi. On voit néanmoins, par l'ensemble de leurs paroles, que leur âme était toujours en suspens, quoiqu'elle parût incliner davantage du côté de la défiance.
Luc 24.24 Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé toutes choses comme les femmes l'avaient dit, mais lui, ils ne l'ont pas vu." - Quelques‑uns des nôtres sont aussi allés… Il suit de là que S. Pierre n'était pas allé seul au tombeau cf. Jean 20, 2 et ss. Il est vraisemblable que d'autres disciples encore l'avaient visité, soit par groupes, soit isolément. Ils trouvèrent donc à leur tour le tombeau vide ; toutefois, ajoutent les narrateurs en termes pleins d'emphase, mais lui, ils ne l'ont vu, semblant sous‑entendre : Ne l'auraient‑ils pas vu lui‑même, s'il était vraiment ressuscité ? Telle fut la conclusion dramatique de leur récit. Certes, quoi que disent les écrivains rationalistes, espérant par leurs assertions audacieuses jeter des doutes sur la Résurrection de Jésus, il n'y a guère d'enthousiasme en tout cela. Il fallut des faits bien palpables pour convaincre des hommes qui espéraient si peu, et dont la foi s'était à demi brisée contre le tombeau de Notre‑Seigneur.
Luc 24.25 Alors Jésus leur dit : "O hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes. - Alors Jésus leur dit, Jésus prend la parole. Son exorde consiste en une vive réprimande : hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire. La première épithète (ici seulement dans les Évangiles) retombe sur l'intelligence alourdie, la seconde sur le cœur encore plus lourd des disciples. Les expressions sont très fortes, mais elles n'avaient rien de blessant ; d'autant mieux que les Orientaux usent ordinairement entre eux d'un langage énergique. Du reste, le reproche était tout à fait mérité. - Tout ce qu'on dit les prophètes. Jésus dut appuyer sur le mot « tout », rappelant ainsi à ses compagnons que leur foi n'avait pas été assez universelle : par suite de leurs préjugés ils n'avaient pas cru à toutes les prophéties.
Luc 24.26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses pour entrer dans sa gloire ?" - Après ce blâme rapide, Jésus se fait, comme durant sa vie mortelle, l'instructeur des disciples. Il aurait pu se manifester immédiatement à eux ; mais il y avait avantage pour eux, et plus encore pour nous, à recevoir du divin pédagogue une sublime leçon de dogme. - Ne fallait‑il pas… ? Remarquez la tournure interrogative. « Fallait » marque une vraie nécessité, étant donnés les décrets providentiels. - Pour entrer dans sa gloire. Ainsi, c'est‑à‑dire par la souffrance et par la mort. La gloire : celle dont le Sauveur jouissait déjà depuis qu'il avait triomphé de la mort, et celle plus grande encore qui l'attendait au ciel. Ainsi donc, « par la croix vers la lumière ». Ce qui paraissait aux disciples inconciliable avec la grandeur du Messie était au contraire pour lui le vrai chemin de la grandeur, cf. Lettre aux Philippiens 2, « 6 bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu, 7 mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui, 8 il s'est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. 9 C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, 10 afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, 11 et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur. » Lettre aux Hébreux 2, « 9 Mais celui qui "a été abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges," Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d'honneur à cause de la mort qu'il a soufferte, afin que, par la grâce de Dieu, il goûtât la mort pour tous. 10 En effet, il était bien digne de celui pour qui et par qui sont toutes choses, qu'ayant à conduire à la gloire un grand nombre de fils, il élevât par les souffrances au plus haut degré de perfection le chef qui les a guidés vers le salut. »
Luc 24.27 Puis, commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. - Commençant par Moïse. Divers commentateurs, prenant cette locution à la lettre, ont pensé que la démonstration de Jésus recommençait en quelque sorte à chaque prophète ; mais ce sens nous paraît un peu forcé. Il est plus naturel d'admettre qu'il y a une certaine négligence dans la phrase, de sorte qu'elle reviendrait à dire : Jésus commença par Moïse et continua par les Prophètes. Le Sauveur fit ainsi le tour de l’Ancien Testament, relevant dans chaque livre ce qui avait trait à sa personne sacrée. Depuis le Protévangile, Genèse 3, 15, jusqu'aux dernières ligne de Malachie, le champ était aussi vaste qu'admirable, et l'imparfait expliquait (verbe composé, très énergique) montre que Jésus prolongea sa divine leçon. Qui ne donnerait ce qu'il a de plus précieux pour avoir assisté à ce cours d'exégèse, ou pour en avoir une copie. Nous pouvons cependant indiquer les passages messianiques de l'Ancien Testament qui durent entre tous les autres arrêter Notre‑Seigneur. Ce furent Genèse 3, 15 ; 9, 25-27 ; 12, 3 ; 17, 4 et ss. ; 18, 17 et ss. ; 22, 16-18 ; 27, 27-29 ; 28, 13-15 ; 49, 10 ; Nombres 24, 15-19 ; Deutéronome 18, 15-18 ; Psaume 2, 15 ; 21, 39 (7-9), 44, 109, etc. ; Isaïe 7, 14 ; 9, 6, 7 ; 42, 1 et ss. ; 49, 1 et ss. ; 50, 4-9 ; 53 ; 61, 1-3 ; 63, 1-6 ; Jérémie 23, 1-8 ; 33, 14-16 ; Ézéchiel 34, 23 ; Daniel 7, 13 et 14 ; 9, 24-27 ; Osée 11, 1 ; Michée 5, 2 ; Aggée 2, 8 ; Zacharie 3, 8 ; 6, 12 ; 9, 9 ; 12, 10 ; 13, 7 ; Malachie 3, 1 ; 4, 2. Voyez, Bacuez et Vigouroux, Manuel Biblique, t. 3, p. 142 et s.
Luc 24.28 Lorsqu'ils se trouvaient près du village où ils allaient, lui fit semblant d'aller plus loin. - La route avait dû paraître bien courte aux disciples ravis. - Lui fit semblant d'aller plus loin. S. Luc emploie seul dans le nouveau Testament le verbe grec correspondant à feindre. Cette conduite du Sauveur embarrassait beaucoup les anciens exégètes, parce que divers hérétiques l'avaient alléguée pour prouver que le mensonge est parfois licite, ce qui est faux, cf. Jansenius, Grotius, Estius, et, bien antérieurement, S. Augustin, S. Grégoire, Bède le Vénérable, etc. Ils consacrent parfois des pages entières à excuser le divin Maître, tandis qu'il suffisait de dire qu'en réalité il aurait continué son chemin sans les vives instances des disciples. Nous avons trouvé dans Estius cette belle réflexion : « Il prit l’attitude et le comportement de quelqu’un qui veut continuer sa route. Et il fit cela pour susciter leur amour et leur bienveillance à son endroit. S. Aug. (Quest. Évang., 2, 51.) : « Il n’y a pas ici de mensonge de la part du Sauveur, car toute feinte n’est pas un mensonge. »
Luc 24.29 Mais ils le pressèrent, en disant : "Reste avec nous, car il se fait tard et déjà le jour baisse." Et il entra pour rester avec eux. - Les disciples subirent à leur avantage cette dernière épreuve. - Ils le pressèrent. Dans le grec, le verbe signifie littéralement : prier instamment. - Reste avec nous. Étaient‑ils donc d'Emmaüs, comme on l'a parfois déduit de cette invitation ? Le fait est possible en soi ; mais il ne ressort infailliblement ni du pronom nous, ni de la locution il entra pour rester avec eux, qui peut s'entendre de n'importe quelle maison où ils auraient eux‑mêmes reçu l'hospitalité. - Car il se fait tard. Motif dont ils se servent pour persuader Jésus. L'expression le jour baisse est élégante. Elle était usitée en hébreu (Juges 19, 8 et 11 ; Jérémie 6, 4, etc.), de même qu'en grec et en latin. Déjà, omis par la Recepta, existe dans les manuscrits Sinait., B, L.
Luc 24.30 Or, pendant qu'il était à table avec eux, il prit le pain, prononça une bénédiction, puis le rompit et le leur donna. - Pendant qu'il était à table : terme pour désigner la posture qu'on prenait aux repas, cf. 7, 36 ; etc. - Il prit le pain. Jésus ne se conduit pas en simple invité ; il prend aussitôt le rôle de maître du repas, et se met à remplir les fonctions qui incombaient à celui‑ci dans tout repas juif. - Le bénit : c'est‑à‑dire qu'il prononça la berâkah (bénédiction) ou prière que font les Israélites avant de manger, toutes les fois qu'ils sont au moins trois à la même table. Traité Berachoth, f. 45, 1. - Et il le leur donna, à cet instant même eurent lieu les incidents mentionnés au v. 31. Jésus avait‑il transsubstantié ce pain en le bénissant ? Était‑ce la sainte Eucharistie qu'il présentait aux deux disciples ? S. Augustin, Théophylacte, Maldonat, Bisping et d'autres l'ont pensé. La formule employée par l'écrivain sacré est, disent‑ils, à peu près la même que celle de l'institution du divin sacrement de l'autel (cf. 22, 19 et parall.), et on la retrouve en plusieurs passages des Actes (2, 42, 46, etc.) où elle désigne certainement la célébration des saints mystères. De plus, l'effet produit (v. 31) semble digne du pain consacré. Néanmoins tel n'est pas le sentiment commun. Euthymius, Nicolas de Lyre, Cajetan, Jansénius, Estius, Noël Alexandre, Schegg, Curci, etc., regardent comme plus probable que l'évangéliste a voulu parler d'un pain ordinaire. Ils appuient leur assertion 1° sur la généralité des expressions : à tout repas, on bénissait et on rompait le pain avant de le distribuer , « donc, de il prononça une bénédiction on ne peut tirer aucun argument en faveur de la consécration du corps du Seigneur ». (Estius) ; 2° sur ce fait, assurément très grave, qu'il n'est pas question de vin dans la narration : « Certainement, personne n’a jamais essayé de consacrer une eucharistie, au nom du Christ, avec les seules espèces du pain, et sans le vin » (Natal. Alexand.) ; 3° enfin sur l'incertitude qui règne, d'après le contexte, relativement à un autre point important : « Le Christ a été reconnu par les deux disciples dans la distribution du pain, et il disparut aussitôt. Se levant de table aussitôt ils retournèrent à Jérusalem…Il n’est donc pas sûr s’ils mangèrent de ce pain ». (Id.). Ces diverses raisons nous semblent décisives.
Luc 24.31 Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent, mais lui devint invisible à leurs yeux. - Alors leurs yeux s'ouvrirent. Ce verbe est fréquemment employé dans les Évangiles pour désigner la guérison miraculeuse des aveugles. cf. Matth. 9, 30 ; 20, 23 ; Jean 9, 10, 14, 17 ; 10, 21 ; 11, 37 , etc. La cécité morale des deux disciples avait été décrite précédemment (v. 16) en termes non moins expressifs. - Et ils le reconnurent. Heureux moment, que les peintres ont ordinairement choisi quand ils ont voulu représenter cet épisode (entre autres Appiani, Bellini, Raphaël, le Titien) ; toutefois il fut aussi rapide que l'éclair, car aussitôt il disparut de devant eux. Cette dernière ligne équivaudrait, d'après Kuinoel, Rosenmüller, etc. à « subitement il se sépara d'eux », ce qui supprime tout miracle. Meyer, quoique rationaliste, l'a mieux comprise : « Luc, dit‑il, veut évidemment décrire une disparition soudaine qui provenait d'une opération divine ». Jésus disparut ainsi en vertu de l'agilité toute céleste que possédait maintenant sa chair ressuscitée : il n'était plus soumis aux lois ordinaires de l'espace et de la pesanteur. cf. v. 36 ; Jean 20, 19, etc.
Luc 24.32 Et ils se dirent l'un à l'autre : "N'est-il pas vrai que notre cœur était tout brûlant au dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et qu'il nous expliquait les Écritures ?" - Les disciples, ayant retrouvé un peu de calme, se communiquent leurs impressions. Faisant un examen rétrospectif de ce qu'ils avaient ressenti, ils se rappellent surtout la bienfaisante chaleur qui avait échauffé leurs cœurs tandis que Jésus leur parlait sur la route. Notre cœur était tout brûlant (littéralement, brûlé. Belle métaphore. La tournure grecque exprime la continuité). Tout d'abord ils ne s'étaient pas rendu compte de ce mouvement extraordinaire ; ils savent maintenant qu'ils le devaient à la présence de Jésus. « Ils brûlaient parce qu’ils étaient proches du soleil », Maldonat. cf. 12, 49. - Il nous expliquait les Écritures (littéralement : nous ouvrait les Écritures). Autre image belle et forte. Sans le divin secours la Bible est pour nous un livre fermé ; par contre, les deux disciples sentaient qu'ils n'avaient jamais mieux compris les Écritures qu'au moment où Notre‑Seigneur les leur commentait. Ils sont donc étonnés et confus de n'avoir pas reconnu Jésus sur le champ, aux effets surnaturels qu'ils éprouvaient.
Luc 24.33 Se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem, où ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, 34 qui disaient : "Le Seigneur est vraiment ressuscité et il est apparu à Simon." - A l'heure même : une des locutions favorites de S. Luc, pour dire : à l'instant même. Précédemment, ils avaient dissuadé Jésus de continuer sa route parce que l'heure était avancée (v. 29) ; mais ils n'hésitent pas à reprendre eux‑mêmes le chemin de Jérusalem, tant ils ont hâte d'aller raconter aux autres disciples le grand fait dont ils ont été témoins. Cette conclusion du récit (vv. 33-35) est très mouvementée. - Ils trouvèrent réunis les onze. D'après S. Jean, 20, 24, dix apôtres seulement se trouvaient alors dans le cénacle, puisque S. Thomas était absent ; mais, depuis la mort de Judas, le groupe des 12 apôtres est désigné d'une manière générale et uniforme par ce chiffre. cf. v. 9 ; Marc. 16, 14. - En entrant, les deux nouveaux venus sont accueillis par la joyeuse nouvelle qu'ils pensaient être les premiers à apporter. - Le Seigneur est vraiment ressuscité. Vrai cri de triomphe, qui fut dans l'Église primitive, et qui est encore dans quelques parties de l'Orient, la salutation usitée entre chrétiens au beau jour de Pâque. Le verbe est mis en avant par emphase. « Vraiment » est opposé aux doutes du matin, comme si les disciples eussent voulu dire : Jusqu'ici nous n'avions pas de preuves certaines ; mais actuellement nous avons une garantie infaillible, car il est apparu à Simon. Voyez 1 Corinthiens 15, 1, la confirmation de cette apparition, qui n'est rapportée par aucun autre évangéliste.
Luc 24.35 Eux-mêmes, à leur tour, racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain. - Ils racontaient et racontaient encore, comme il ressort de l'imparfait. Ils répondaient ainsi à une bonne nouvelle par une autre bonne nouvelle : ce fut une magnifique antienne pascale. Cf. commentaire S. Marc, la solution de l'antilogie que les rationalistes prétendent trouver ici entre le second et le troisième synoptique.
Luc 24.36 Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi, Jésus se présenta au milieu d'eux et leur dit : "La paix soit avec vous. C'est moi, ne craignez pas." - Luc 36-43 = Marc. 16, 14 ; Jean 20, 19-25. - Pendant qu'ils parlaient, Jésus parut… Début des plus pittoresques. Le récit tout entier est d'ailleurs un vivant tableau. - La paix soit avec vous. C'est la salutation habituelle des Juifs ; mais quelle force particulière n'avait‑elle pas sur les lèvres de Jésus ressuscité.
Luc 24.37 Saisis de stupeur et d'effroi, ils pensaient voir un esprit. - Saisis de stupeur et d'effroi : deux expressions synonymes, et toutes les deux très fortes, pour mieux représenter l'effroi de l'assemblée. - Un esprit : un fantôme, un revenant. cf. Matth. 14, 26 ; Actes 23, 8-9 ; Hébreux 12, 23. L'apparition si subite et si imprévue du Sauveur (« alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées », Jean 20, 19) favorisait cette supposition.
Luc 24.38 Mais il leur dit : "Pourquoi vous troublez-vous et pourquoi des doutes s'élèvent-ils dans vos cœurs ? - Jésus rassure d'abord doucement ses amis, v. 38 ; puis il leur démontre que c'est bien lui en personne qui se trouve auprès d'eux, v. 39. - Des doutes : des raisonnements, pour signifier toute sorte de pensées étranges, notamment celle qui vient d'être signalée. - S'élèvent‑ils dans vos cœurs. Expression hébraïque pittoresque, cf. Jérémie 3, 16 ; 4, 15, 17 ; 44, 21, etc. Le cœur est mentionné au lieu de l'esprit, conformément aux règles de la psychologie des Hébreux.
Luc 24.39 Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi. Touchez-moi et considérez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai." - Voyez mes mains et mes pieds. Ces mots supposent de la façon la plus évidente que les mains et les pieds du Sauveur portaient encore, même après la Résurrection, les empreintes des clous qui les avaient percés : autrement, on ne voit pas ce qu'il y aurait eu de caractéristique dans ces parties du corps sacré de Jésus pour prouver son identité (c'est bien moi, avec emphase sur les pronoms). Il est probable que Notre‑Seigneur gardera éternellement ces glorieux stigmates, comme l'ont pensé les Pères. Concluons encore de ce passage que les pieds de Jésus n'avaient pas été seulement attachés à la croix avec des cordes, ainsi qu'on l'a parfois affirmé. - Touchez-moi. « Que vos mains vous persuadent si vos yeux mentent ». S. August. Serm. 69 de Divers. La certitude obtenue par le sens du toucher était en effet plus forte encore que celle que procurent les yeux. - Un esprit n'a ni chair ni os. cf. Homère, Od. 11, 218. Ovide, Metam. 4, 443. « Des ombres exsangues, sans corps ni os ».
Luc 24.40 Ayant ainsi parlé, il leur montra ses mains et ses pieds. - Le Sauveur joint aussitôt l'acte à la parole et montre, c'est‑à‑dire fait voir et fait toucher aux disciples ses mains et ses pieds. De Wette est‑il de bonne foi quand il prétend que les apparitions de Jésus ressuscité ont, dans les récits de S. Luc et de S. Jean, « un caractère qui sent le spectre » ? Nous l'excuserions si les Évangiles contenaient des fables analogues à la suivante, citée par Clément d'Alexandrie : S. Jean ayant voulu profiter de la permission que lui donnait le divin Maître, sa main passa à travers le corps de Jésus sans rencontrer la moindre résistance.
Luc 24.41 Comme dans leur joie, ils hésitaient encore à croire et ne revenaient pas de leur étonnement, il leur dit : "Avez-vous ici quelque chose à manger ?" - Ils hésitaient encore à croire. Cette incrédulité paraît bien étonnante, surtout après le v. 34 qui nous a montré les disciples pleins de foi ; elle est pourtant très naturelle au point de vue psychologique. L'ensemble du récit a mis constamment en relief la difficulté qu'avaient les amis de Jésus à croire en sa Résurrection. Maintenant même que le Seigneur est auprès d'eux, ils osent s'abandonner au doute. Mais la joie rend quelquefois sceptique. « Les miséreux ont ce travers de ne jamais croire aux choses joyeuses », Sénèque, Thyestr. « C’est à peine s’ils croyaient à eux‑mêmes à cause de la joie inopinée », Tite‑Live, 39, 49. Et S. Luc relève précisément cette circonstance avec sa délicatesse habituelle : ils hésitaient encore à croire et ne revenaient pas de leur étonnement. Au reste, dit S. Léon, Serm. 71, ce doute avait pour but providentiel de multiplier en notre faveur les preuves de la Résurrection : « Ils doutèrent pour que nous ne doutions pas ». - Jésus va donner en effet une autre démonstration péremptoire de ce grand miracle (cf. Actes 1, 3 et 4 ; 10, 40 et 41) : Avez‑vous ici quelque chose à manger ?
Luc 24.42 Ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. - Les disciples offrent à Jésus les restes de leur frugal souper : un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Le premier de ces mets ne nous oblige pas, quoi que dise M. Renan, à transporter la scène sur les bords du lac de Tibériade, car il est certain d'après le Talmud qu'il y avait de grands arrivages de poisson à Jérusalem au temps des fêtes ; le second est tout à fait palestinien, la Terre promise ayant toujours été décrite comme un pays où coulent le lait et le miel.
Luc 24.43 Il les prit et en mangea devant eux. - Il mangea sous leurs yeux afin de les mieux convaincre. Sans doute, un corps ressuscité n'a nul besoin de nourriture ; mais il conserve néanmoins la faculté de recevoir les aliments et de les absorber en quelque manière. Voyez S. Augustin, de Civitate Dei, 13, 22, Théophylacte, Euthymius, et D. Calmet, h. l. S. Jean, 21, 6, signale une autre circonstance où Notre‑Seigneur prit de la nourriture après sa résurrection.
Luc 24.44 Puis il leur dit : "C'est là ce que je vous disais, étant encore avec vous, qu'il fallait que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes s'accomplît." - S. Luc ne donnant plus aucune indication chronologique jusqu'à la fin du chapitre, un lecteur superficiel pourrait supposer d'abord que tous les détails racontés dans les vv. 44-53 se passèrent au soir même de la Résurrection. cf. vv. 13, 33, 36, 43. Mais cela est évidemment impossible pour l'Ascension de Jésus, vv. 50 et ss., qui eut lieu seulement quarante jours plus tard, ainsi que l'affirme explicitement notre évangéliste lui‑même au livre des Actes, 1, 3. Cela est impossible aussi pour la parole du v. 49, « mais demeurez dans la ville », puisqu'elle interdit aux disciples de quitter Jérusalem, tandis que d'autres sources authentiques nous apprennent qu'ils allèrent en Galilée entre la Résurrection et l'Ascension (cf. Matth. 28, 16 et ss. ; Jean 21, 1 et ss.). D'autre part, les recommandations contenues dans les vv. 47, 48 et 49a se retrouvent d'une manière équivalent au début des Actes des apôtres, 1, 8, où elles sont rattachées au jour de l'Ascension : elles ont en outre toute l'apparence d'une parole d'adieu, ce qui nous conduit à la même conclusion. Or, il est bien difficile de les séparer de celles qui précèdent, vv. 44-46, car elles leur sont étroitement liées et pour le fond et pour la forme. Nous sommes ainsi amenés à croire, et c'est aussi l'avis de plusieurs excellents commentateurs (entre autres Maldonat), que ces instructions finales de Jésus ne furent prononcées que peu de temps avant son Ascension. Ici comme en maint autre endroit de l'histoire évangélique, les questions de temps et de lieu auront été négligées parce qu'elles n'avaient qu'une importance secondaire. D'autres critiques cependant placent au moins les vv. 44-47 au soir de la Résurrection. - C'est là ce que je vous disais… Jésus jette en ce moment un regard rétrospectif sur sa vie mortelle, pour rappeler aux disciples les prophéties qu'il leur faisait alors et leur montrer, maintenant que ces prédictions sont accomplies, l'harmonie parfaite qui règne entre elles et les saintes Écritures. Ainsi avaient fait naguère les anges parlant aux saintes femmes 24, 6-8. - étant encore avec vous. Pensée profonde. Jésus n'était plus présent aux disciples de la même manière qu'autrefois. cf. S. Grégoire, Hom. 24 in Evang. - Il fallait que tout ce qui est écrit de moi...s’accomplît… Ces mots retombent directement sur « ce que je vous disais ». Jésus avait donc dit aux siens, de la façon la plus formelle et à bien des reprises, que les prophéties contenues en si grand nombre dans les Saints Livres sur sa personne et sur son œuvre devaient nécessairement et intégralement s'accomplir. Notre‑Seigneur désigne ici l’Ancien Testament par une périphrase dont on trouve plusieurs exemples dans la littérature juive : la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes. La loi de Moïse, c'est le Pentateuque, la Thôrah comme disent les Juifs. Les prophètes ou Nebiim qui se divisaient en prophètes antérieurs et postérieurs correspondent à la seconde partie du canon hébreu, laquelle comprenait Josué, les Juges, les livres de Samuel, les livres des Rois, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et les douze petits Prophètes. Enfin les Psaumes représentent les Ketoubim ou Hagiographes, troisième section biblique qu'ils ouvraient et dont ils étaient la portion la plus riche et la plus célèbre. cf. Josèphe, c. Appion. 1, 8.
Luc 24.45 Alors il leur ouvrit l'esprit, pour comprendre les Écritures, - Alors il leur ouvrit l’esprit : en cet instant même, à la suite de l'instruction qui précède. C'est la même figure qu'au v. 32 ; mais elle indique ici quelque chose de plus. Jésus avait « ouvert » les Écritures aux deux disciples d'Emmaüs en les leur expliquant (cf. Actes 17, 3) : actuellement c'est l'esprit de ses amis qu'il ouvre pour qu'ils sachent désormais interpréter d'eux‑mêmes les sens les plus profonds de la parole inspirée. Don magnifique, que l'Esprit‑Saint viendra compléter bientôt, et en vertu duquel nous les verrons commenter la Bible d'une manière lumineuse, rapportant tout à Jésus‑Christ. cf. Actes 1, 16, 20 ; 2, 16, 25 et cent autres endroits du livre des Actes et des Lettres. Don magnifique, qui fut ensuite transmis à l'Église, devenue l'unique dépositaire du vrai sens des livres sacrés. Don qui nous a valu les interprétations incomparables des Saints Pères, notamment S. Jérôme de Stridon, S. Augustin, S. Jean Chrysostome, S. Grégoire le Grand, et de nos grands exégètes catholiques. Sans les Pères de l’Église et sans le Magistère officiel de l’Église catholique romaine, la science humaine aide peu, souvent même elle égare : on ne le voit que trop quand on lit les commentaires des Juifs, des rationalistes, et même des protestants qui croient à l'inspiration. « aujourd’hui encore, quand les fils d’Israël lisent les livres de Moïse, un voile couvre leur cœur », 2 Corinthiens 3, 15.
Luc 24.46 et il leur dit : "Ainsi il est écrit : et ainsi il fallait que le Christ souffrît, qu'il ressuscitât des morts le troisième jour, 47 et que le repentir et la rémission des péchés soient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. - Et il leur dit. Cette formule renoue le fil du discours, interrompu par le grand miracle du v. 45. Désormais la parole de Jésus va tomber sur un terrain fertile : jamais les disciples n'auront si bien compris les allusions bibliques du divin Maître. - Ainsi il est écrit… La réflexion antérieure (v. 44) se rapportait au passé : Rappelez‑vous tout ce que je vous disais et admirez‑en la parfaite réalisation. Celle‑ci s'applique soit au passé (v. 46) soit à l'avenir (v. 47). La répétition de ainsi est pleine d'emphase. - Qu’il ressuscitât des morts le troisième jour. - Et que… soient prêchés. Telle avait été la prédication du Précurseur, 3, 3 et parall., et celle du Seigneur Jésus lui‑même, Marc. 1, 15 : le premier sermon de S. Pierre n'aura pas d'autre thème. cf. Actes 2, 38. Les deux choses énoncées sont corrélatives : la pénitence produit la rémission des péchés ; la pénitence est la part de l'homme, et le pardon la part de Dieu. - A toutes les nations. cf. Matth. 28, 19 ; Marc. 16, 15 ; Actes 1, 8. C'est la catholicité de la prédication, c’est à dire l’universalité de la prédication, par conséquent de l'Église. - En commençant par Jérusalem. Déjà Isaïe l'avait prophétisé, 1, 3 : « la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur ». cf. Michée 4, 2. En tant qu'elle était la métropole du Judaïsme, la capitale du roi Dieu, le foyer antique de la vraie religion, Jérusalem avait droit à ce privilège, et les apôtres ne le lui enlevèrent pas, car c'est à Jérusalem qu'ils se mirent tout d'abord à prêcher. Voyez les premiers chapitres des Actes. Tacite lui‑même est témoin de ce fait : « La superstition qui avait pour auteur un certain Christus, qui souffrit sous Ponce‑Pilate, se répandit rapidement, non seulement à travers la Judée, où le mal prit son origine, mais encore...etc. » Ann. 15, 44.
Luc 24.48 Vous êtes témoins de ces choses. - Ce verset exprime le rôle des disciples relativement au plan de salut qui vient d'être décrit. Ils seront des témoins de la vie, de la résurrection, de la divinité de Jésus, témoins de l'exacte conformité de son caractère et des ses œuvres avec tout ce que les Écritures avaient prédit du Messie, témoins qui se feront égorger. De nombreux passages des Actes (2, 32 ; 3, 15 ; 4, 33 ; 5, 30-32, etc.) montrent combien les apôtres avaient pris au sérieux cette noble fonction de témoins du Christ.
Luc 24.49 Moi, je vais envoyer sur vous le don promis par mon Père et vous, restez dans la ville, jusqu'à ce que vous soyez revêtus d'une force d'en haut." - Moi : avec emphase : moi, de mon côté. Jésus annonce maintenant à ses témoins ce qu'il fera pour rendre leur ministère fructueux. - Je vais envoyer sur vous le don promis par mon Père. Dans ce « promis par mon Père », il est évident qu'il faut voir l'Esprit‑Saint, comme il est dit si nettement au livre des Actes, 1, 5, 8. cf. Galates 3, 14. Ce nom lui vient soit des passages de l'Ancien Testament qui avaient prédit sa descente merveilleuse (Joël, 2, 28 ; Isaïe 44, 3 ; Ézéchiel 36, 26), soit des promesses plus récentes encore de Jésus lui‑même. cf. Jean 14, 16 et ss. ; 15, 26 ; 16, 7, etc. De la part que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ s'attribue dans ce mystérieux envoi, la théologie a justement conclu que le Saint‑Esprit procède du Fils aussi bien que du Père. Ce passage fait aussi autorité pour prouver l'existence et la distinction des trois personnes divines. - Restez dans la ville. cf. Actes 1, 4. Le verbe ne désigne ici qu'un séjour temporaire, dont la durée est déterminée d'une manière générale par les dernières paroles de Jésus, jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une force d’en haut. Ce « revêtus » contient une forte et vive image, aimée de S. Paul (cf. 1 Corinthiens 15, 53, 54 ; Galates 3, 27 ; Colossiens 3, 12 ; Éphésiens 4, 24 ; Romains 13, 13, etc.), comme des classiques, et fréquemment employée déjà par les écrivains de l'Ancien Testament. cf. Isaïe 51, 9 (revêts‑toi de force) ; Juges 6, 34 ; 1Chroniques 13, 18 ; 2Chroniques 6, 41 ; 24, 20 ; Psaume 109 (hébr.), 18 ; 132 (hébr.) 9, 16, etc. Il signifie que la vertu d'en haut (hébraïsme pour « venant du ciel ») pénétrera jusqu'au fond de l'âme des disciples afin d'en prendre possession.
Luc 24.50 Puis il les conduisit hors de la ville, jusque vers Béthanie et, ayant levé les mains, il les bénit. Luc 24, 50-53 = Marc. 16, 19-20. - Sur la date de l'Ascension, voyez Actes 1, 3. - Il les conduisit hors de la ville : c'est‑à‑dire hors de Jérusalem, où le Maître et les disciples s'étaient retrouvés après leurs rencontres en Galilée. - Vers Béthanie. D'après le récit des Actes, 1, 12, l'Ascension de Jésus aurait lieu sur le mont des Oliviers, à un quart d'heure environ de Béthanie ; et c'est en effet au sommet principal de cette petite montagne célèbre que les chrétiens ont toujours vénéré l'emplacement de ce grand mystère. Il n'est pas nécessaire d'interpréter les mots « vers Béthanie » avec une rigueur mathématique ; ils peuvent fort bien s'appliquer au district qui avoisinait la bourgade ainsi nommée. - Ayant levé les mains. L'élévation des mains était déjà, dans la liturgie mosaïque, le geste de la bénédiction, cf. Lévitique 9, 22. Ce rite subsiste encore chez les Juifs. Il est touchant de voir que le dernier acte du Seigneur Jésus sur la terre fut une bénédiction.
Luc 24.51 Pendant qu'il les bénissait, il se sépara d'eux et il fut enlevé au ciel. - Pendant qu'il les bénissait… détail graphique : au moment même où il les bénissait. - Il y a deux manières d'expliquer les mots il se sépara d'eux. Peut‑être signifient‑ils qu'avant de s’élever au ciel, Jésus s’écarta légèrement de ses disciples, auquel cas il y aurait eu deux mouvements distincts. Mais cette interprétation nous paraît un peu forcée. Nous préférons voir dans le verbe « s'éloigna » une première désignation du fait qui est ensuite indiqué plus explicitement par « était enlevé au ciel ». L'imparfait est à noter : il prouve que Jésus ne disparut pas subitement, mais qu'il s'éleva vers le ciel avec une majestueuse lenteur, sous les regards ravis de la sainte assemblée. Scène sublime, que les poètes et les peintres ont souvent commentée, entre autres le Bède le Vénérable, Louis de Léon, Lavater, Raphaël, le Titien, Véronèse, fra Angelico, Overbeck, le Pérugin (« joyau le plus précieux du musée de Lyon », Grimouard de saint Laurent).
Luc 24.52 Pour eux, après l'avoir adoré, ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie. - Prosternés à terre, ils adorent Jésus comme le vrai Fils de Dieu. « Ce n’est qu’en cet endroit que nous lisons que les disciples ont adoré le Christ », Maldonat. Mais jamais sa divinité n'avait brillé d'un plus vif éclat aux yeux de tout le cercle des disciples. - Ils revinrent à Jérusalem avec une grande joie. Et pourtant ils étaient maintenant privés de sa douce présence, qui avait été la source de leurs joies les plus vives. Mais, selon la recommandation qu'il leur adressait naguère, Jean 14, 28, ils étaient heureux, sachant qu'il s'en allait auprès de son Père bien‑aimé.
Luc 24.53 Et ils étaient continuellement dans le temple, louant et bénissant Dieu. - Nous apprenons, dans ce court récit, la manière dont les apôtres et les disciples de Jésus passèrent les dix jours qui s'écoulèrent entre l'Ascension et la descente du Saint-Esprit. Le premier chapitre des Actes, vv. 12-16, nous fournit là‑dessus des détails plus complets. - Ils étaient continuellement dans le temple. Il ne faut pas exagérer le sens de continuellement, qui est ici une hyperbole populaire. « Toujours désirer dans la même foi, la même espérance, la même charité, c'est toujours prier. Mais à certains intervalles d'heures et de temps, nous prions Dieu avec des paroles » S. Augustin, lettre 130. cf. Actes 1, 13, où l'écrivain sacré rapporte expressément que le cénacle était la résidence habituelle des disciples. - Dans le temple : dans les parvis, ouverts aux fidèles à certaines heures. - Louant et bénissant Dieu. S. Luc termine son Évangile par cette belle formule, qui est, nous l'avons vu, une de ses locutions favorites.
La Bible de Rome est placée sous copyleft Alexis Maillard, auteur-éditeur, chacun a le droit de recopier, republier, imprimer, en totalité ou par extrait La Bible de Rome. Chacun a le droit de modifier ou d’adapter cette œuvre.
https://www.amazon.fr/dp/B0CN9M4JY6?binding=hardcover&ref=dbs_dp_rwt_sb_pc_thcv
Si les liens devenaient caduques, il faut aller sur amazon.fr et taper dans la barre de recherche : « Alexis Maillard » + Bible