biblederome.free.fr

Évangile selon Saint Jean

La Bible de Rome

télécharger gratuitement la Bible de Rome

Vous pouvez aussi acheter la version imprimée sur papier https://www.amazon.fr/dp/B0CN9M4JY6?binding=hardcover&ref=dbs_dp_rwt_sb_pc_thcv


Explications verset par verset sur JesusMarie.com


Évangile selon saint Jean


Introduction

§ 1. — L'APÔTRE S. JEAN

Son nom. — Nom très beau, et tout à fait significatif sous sa forme primitive. Yôchanan ( יוחבן, abréviation pour יתותבן, Yehôchanan) se traduit en effet par « Dieu a fait grâce » (cf. commentaire S. Matthieu, 3, 1). Après le Précurseur, personne ne l'a mieux porté que l'apôtre bien aimé. Il était alors assez répandu chez les Juifs. Dans la généalogie de N. S. Jésus‑Christ d'après S. Luc (Luc 3, 27), le texte grec reproduit à peu près la prononciation hébraïque : Ἰωανάν. De la forme hellénisée Ἰωάννης est venu le latin « Joannes » (primitivement Johannes, la lettre h correspondant au ח (ch aspiré) de l'hébreu) dont nous avons fait « Jean » (en passant par Jehan).

Sa famille. — L'apôtre S. Jean était Galiléen d'origine, comme tous les membres du groupe des douze apôtres, à part le traître Judas. Sa famille résidait sur les bords du lac de Tibériade au N. O. ; probablement à Bethsaïde, la patrie de S. Pierre, de S. André et de S. Philippe (cf. Jean 1, 44. On le déduit de ce que Jacques et Jean étaient les associés de Pierre et d'André (Luc. 5, 9). Voyez, sur la situation de Bethsaïde, l'Évangile selon S. Matthieu, 11, 21. Ne pas confondre cette localité avec Béthsaïda‑Julias, située au N. E. du lac (cf. commentaire sur S. Marc 6, 9). On ignore la date de la naissance de S. Jean, mais on admet généralement qu'il était le plus jeune des apôtres, et que Jésus lui‑même avait quelques années de plus que lui.

Quoique simple pêcheur, son père Zébédée (En hébreu : זבךיח, Zebadiah ; en grec : ὁ Ζεβεδαίος, cf. 1 Chroniques 8, 15. Ce nom signifie « don du Seigneur ») paraît avoir joui d'une certaine aisance ; car il possédait plusieurs barques, et son activité était assez prospère pour lui permettre d'occuper plusieurs journaliers (cf. Marc. 1, 20 et notre commentaire). C'est tout ce que l'Évangile nous raconte à son sujet. La mère de S. Jean est plus connue : elle se nommait Salomé (Schelomith ,שלומית, la pacifique), et les synoptiques signalent à plusieurs reprises son dévouement à la personne sacrée du Sauveur. En combinant les passages Luc. 8, 3 et Marc. 15, 40-41, on voit qu'elle était une des saintes femmes qui accompagnaient et servaient le divin Maître selon leurs moyens. Elle fut fidèle jusqu'à la croix (Matth. 27, 56 et parall.), jusqu'au tombeau (Marc. 16, 1). (c'est sans motif suffisant que de nombreux exégètes ont fait de Salomé une sœur de la sainte Vierge. Voyez notre commentaire de Jean 19, 25) Quant à S. Jacques le Majeur, le frère si célèbre de S. Jean, tout porte à croire qu'il était l'aîné des deux : telle est l'impression générale qui ressort de la narration évangélique, où il est presque toujours cité au premier rang.

Un épisode de la soirée du Jeudi saint, Jean 18, 15-16, qui montre que S. Jean avait ses entrées libres au palais de Caïphe et était même « connu du Pontife », a fait supposer à divers critiques que S. Jean appartenait à la famille sacerdotale. On a même parfois expliqué en ce sens la note de S. Polycarpe, évêque d'Éphèse au second siècle, d'après laquelle Jean, dans sa vieillesse, aurait porté au front ἱερεὺς τὸ πέταλον (cf. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 3, 31 ; 5, 24), c'est-à-dire la lame d'or qui servait d'ornement aux grands‑prêtres juifs (cf. Exode 28, 32 ; 29, 6 ; 39, 30 ; Levitique 8, 9.). Mais cette conjecture paraît invraisemblable (toutefois, l'usage de « la sainte lame d'or » n'est pas sans créer quelque difficulté. Plusieurs commentateurs d’Eusèbe donnent une interprétation métaphorique aux paroles de S. Polycarpe. Il aurait simplement voulu exprimer, disent‑ils, la noble majesté du saint vieillard. Cette conjecture manque de vraisemblance, vu la simplicité du langage ancien : c'est un fait réel que S. Polycarpe a voulu relater. Comparez S. Épiphane, Haer 29, 4 ; 78, 14, qui raconte une chose identique de S. Jacques le Mineur (πέταλον ἐπὶ τῆς ϰεφαλῆς ἐφόρεσε). Probablement, la lame d'or au front de S. Jean marquait son autorité d'apôtre sur toutes les églises d'Asie).

Sa vocation. — Jean fut d'abord disciple du Précurseur, saint Jean Baptiste, avant d'être celui du Messie. La première fois que nous le rencontrons, il est à ses côtés à Béthabara, sur les bords du Jourdain (Jean 1, 28 ; voyez le commentaire). Le Précurseur, voyant passer Jésus à quelque distance, s'écrie : « Voici l'agneau de Dieu ». Celui qui devait être l'apôtre bien aimé fut le premier, avec S. André, à traduire par des actes cette parole significative, et aussitôt il s'attacha à la personne du Sauveur (Jean 1, 35 et ss.).

Pendant quelques mois, la narration évangélique nous montre Jean vivant auprès de son nouveau Maître, avec Pierre, Jacques, Philippe et Nathanaël : ils voyagent ensemble de Béthabara à Cana en Galilée, de Cana à Capharnaüm, de Capharnaüm à Jérusalem pour célébrer la Pâque, de Jérusalem en Judée, puis en Samarie et de nouveau en Galilée. Heureux moments que ceux où se formait l'amitié divine de N. S. Jésus‑Christ pour le jeune pêcheur galiléen. Celui‑ci n'en a laissé perdre aucun détail (cf. Jean 1, 43-4, 54).

Séparé pendant quelque temps, le groupe apostolique dont les éléments s'étaient réunis pour la première lois sur les rives du Jourdain ne tarda pas à se reformer. A la suite d'un grand miracle (Luc. 5, 3-11, cf. Matth. 4, 18 et ss. ; Marc. 1, 16 et ss), Jésus appelle d'une manière définitive au rôle de disciples Pierre et André, Jacques et Jean. Après avoir abandonné les filets de pèche et leur père, les fils de Zébédée adhèrent avec bonheur au fils de Dieu. Bientôt ils sont élus, et des premiers, pour la noble mais périlleuse mission d'apôtres (cf. Luc. 6, 12-16, et parall. Dans les listes du groupe des douze apôtres, S. Jean est mentionné tantôt au second rang, Actes 1, 13, tantôt au troisième, Marc. 3, 17, tantôt au quatrième, Matth. 10, 3 et Luc. 6, 14.

Sa vie auprès de Jésus. — Jean ne tarda pas à compter, avec S. Pierre et son frère S. Jacques, parmi ceux des disciples du Sauveur qu'un ancien a si bien nommés «les plus intimes parmi les intimes » (ἐϰλεϰτῶν ἐϰλεϰτότεροι). A ce titre ils assistèrent, à l'exclusion des autres apôtres, à plusieurs événements remarquables de la vie du Christ : notamment, à la résurrection de la fille de Jaïre, Marc. 5, 37 et parall., à la Transfiguration, Matth. 17, l et parall., à l'agonie de Gethsémani, Matth. 26, 37 et parall. Jean fut aussi l'un des quatre auxquels Jésus daigna révéler les signes de la ruine de Jérusalem et de la fin du monde (cf. Marc. 13, 3. La conjecture de S. Ambroise, de S. Grégoire‑le‑Grand, de Bède le Vénérable, etc., d'après laquelle le jeune homme mentionné par S. Marc, 14, 51-52, ne différerait pas de S. Jean, est universellement abandonnée. Voyez notre commentaire de ce passage). Dans la matinée du Jeudi saint, il fut chargé avec S. Pierre des préparatifs de la dernière cène (Luc. 22, 9).

Mais quel privilège ineffable lui était réservé à ce repas d'adieu. Il le raconte lui‑même en une de ces lignes simples et profondes comme son âme, qui abondent dans le quatrième évangile : Un des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur le cœur de Jésus (Jean 13, 23). Celui que Jésus aimait, voilà son véritable nom, par lequel il se désigne en différentes circonstances avec un admirable mélange de modestie et de fierté. Que de choses en cette seule parole. « Des amitiés humaines avaient été célèbres ; mais on n'avait jamais vu la merveilleuse tendresse d'une amitié divine. Dieu eut cette inclination de se pencher vers un homme et de l'aimer comme s'il eût été son égal. Habitué à vivre de toute éternité dans l'unité du Père et de l'Esprit‑Saint, il demanda a la terre la compagnie d'une âme qui fût l'épanchement et l'image de la sienne. Voyez l'incomparable sermon de Bossuet, Œuvres, édit. de Versailles, t. 16 , p. 552 et suiv.). Et cette âme fut celle de S. Jean.

Mais comme il sut aimer en retour. La période actuelle de sa vie abonde en faits qui le prouvent de la façon la plus péremptoire. Pourquoi, nouvel Élie, veut‑il faire descendre le feu du ciel sur des samaritains inhospitaliers, sinon parce qu'il ne peut supporter un injure faite à son Maître ? (cf. Luc. 9, 54 et s.). Pourquoi empêcha‑t‑il un jour un étranger de chasser les démons au nom de Jésus, sinon parce qu'il était saintement jaloux de la gloire du Sauveur ? (Marc. 9, 38, cf. Luc. 9, 45). Pourquoi le surnom de « fils du tonnerre », Boanerges (sur l'étymologie et le sens de ce mot, voyez Marc. 3, 17 et notre commentaire) que Notre‑Seigneur lui donna conjointement avec son frère, si ce n'est pour marquer son zèle aimant, quoique parfois immodéré ? Ce n'est pas en un instant que l'or est dégagé de toute scorie : aussi, même vers la fin de la vie publique de Jésus, voyons‑nous Jacques et Jean unir leurs prières à celles de leur mère pour obtenir la première et la seconde place aux côtés du Messie triomphant ; mais ils montrent bien qu'ils n'étaient pas guidés en cela par un égoïsme vulgaire, quand, interrogés s'ils étaient prêts à partager l'amère coupe des souffrances du Maître, ils répondent par leur généreux « Nous le pouvons » que dictait l'amour (cf. Matth. 20, 20, et les passages parallèles).

Si Jean prit la fuite comme les autres apôtres au moment de l'arrestation de N.-S. Jésus‑Christ, ce ne fut que pour quelques instants ; car bientôt nous le voyons accompagner courageusement la divine victime jusqu'au palais du grand‑prêtre, où personne ne devait ignorer son titre de disciple (Jean 18, 15-16). Le lendemain, il se tenait sans peur auprès de la croix parmi les bourreaux. Il trouva au Calvaire la plus magnifique récompense quand Jésus expirant lui confia le soin de sa Mère (Jean 19, 25-27 ; voyez le commentaire).

Au matin de la Pâque, le propre récit de l'apôtre bien aimé nous apprend dans quelles circonstances pittoresques il courut le premier avec S. Pierre au tombeau vide, et combien promptement il crut à la résurrection de Notre‑Seigneur (cf. Jean 20, 2 et ss.). Enfin, quand le divin ressuscité se manifesta auprès du lac de Tibériade à quelques‑uns de ses disciples (Jean 21, 1 et ss.), S. Jean fut le premier à le reconnaître, car l'amour est vigilant et infaillible en ces sortes de choses (Voyez, sur tous ces faits, des réflexions aussi délicates qu'intéressantes dans Baunard, L'apôtre S. Jean, p. 1-164).

S. Jean après l'Ascension. — Il demeura d’abord quelque temps à Jérusalem, comme tous les autres apôtres. Le livre des Actes, en deux chapitres consécutifs (chap. 3 et 4), raconte tout au long de glorieux épisodes auxquels il prit part en compagnie de S. Pierre, et surtout le courage dont il fit preuve au lendemain de la Pentecôte en face du Sanhédrin (voyez Fouard, S. Pierre et les premières années du Christianisme, Paris, 1886, p. 25 et suiv.). Un peu plus tard, encore avec S. Pierre auquel il était uni par les liens d'une vive affection (l'antiquité n'a pas manqué de signaler ce fait intéressant. « S. Pierre aimait tendrement (σφόδρα ἐφίλει) S. Jean, et cette amitié est visible dans tout l'évangile et aussi dans les Actes des apôtres.» S. Jean Chrysost, Hom. 88 in Jean Voyez aussi S. Augustin, In Jean tract. 124), il alla en Samarie pour achever l'œuvre d'évangélisation commencée par le diacre S. Philippe (Actes 8, 14 et ss.).

Environ trois ans après, S. Paul, venu pour la première fois à Jérusalem depuis sa conversion, n'y trouva que S. Pierre et S. Jacques le Mineur parmi les membres du groupe des douze apôtres (Galates 1, 18) : S. Jean était alors momentanément absent. Mais, après un intervalle de dix autres années, quand l'apôtre des païens fit son troisième voyage dans la capitale juive, à l'occasion du Concile, il eut la joie d'y rencontrer S. Jean, qu'il mentionne parmi les « colonnes » de l'Église (Galates 2, 2 et ss ; cf. Actes 15). A part un autre détail, qui aura sa place un peu plus loin (à l'occasion de l'exil à Patmos), c'est là tout ce que les écrits du Nouveau Testament nous apprennent au sujet du disciple bien aimé. Mais la tradition reprend, pour le continuer, le fil de cette vie précieuse. Pour les faits principaux, son témoignage ne laisse rien à désirer sous le rapport de l'antiquité, de la netteté, de l'unanimité.

A une époque qu'il est difficile de fixer d'une manière absolue, mais que l'on s'accorde généralement à ne pas placer avant l'année 67 de l'ère chrétienne (c'est-à-dire au temps du martyre de S. Pierre et de S. Paul ; et aussi, vers le moment où les Romains commençaient à menacer la Judée et Jérusalem), S. Jean vint s'établir à Éphèse (Turquie), au cœur de l'Asie proconsulaire. Deux motifs principaux durent occasionner ce changement de résidence : d'une part, la vitalité du christianisme dans cette noble contrée ; de l'autre, les hérésies dangereuses qui commençaient à y germer (cf. Siméon Metaphr., Vita Joannis, c. 2). Jean voulait donc employer son autorité apostolique soit à préserver, soit à couronner le glorieux édifice construit par S. Paul (sur les origines de l'Église à Éphèse et en Asie, voyez Actes 18, 19-20, 38 ; 1 Corinthiens 16, 8-9) ; et sa puissante influence ne contribua pas peu à donner aux églises d'Asie l'étonnante vitalité qu'elles conservèrent pendant toute la durée du second siècle (D'après une tradition mentionnée par S. Augustin (cf. Quæst. evang., 2, 39), et dont on retrouve des traces dans les suscriptions de quelques manuscrits du Nouveau Testament, la deuxième lettre de S. Jean aurait été adressée aux Parthes ; ce qui impliquerait, d'après quelques critiques, un séjour antérieur, chez ce peuple. Sur cette question controversée, voyez Tillemont, Mémoires pour servir à l'hist. ecclés., t. 1, p. 336. Au fond, il est peu vraisemblable que S. Jean ait évangélisé les Parthes).

Voici, sur ce point, quelques‑uns des textes les plus intéressants. — 1° S. Irénée, originaire d'Asie mineure, évêque de Lyon en 178, et martyrisé dans cette ville en 202, nous fournit des renseignements d'une valeur exceptionnelle. D'abord dans son écrit célèbre Contre les Hérésies. « Tous les anciens, dit‑il, qui se sont rencontrés en Asie avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent qu'il leur a transmis ces choses, car il a vécu avec eux jusqu'au temps de Trajan. Et quelques‑uns d'entre eux ont vu non seulement Jean, mais aussi d'autres apôtres (Contre les Hérésies 2, 22, 5, cf. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 3, 23, -3. ... L'église d’Éphèse, fondée par Paul, et dans laquelle Jean est demeuré jusqu'aux temps de Trajan, est aussi un témoin véridique de la tradition des apôtres » (Contre les Hérésies 3, 3, 4, ap. Eus. l. c. 3, 23, 4). Dans sa lettre à Florinus, son ami d'enfance, qui s'était laissé séduire par les gnostiques, S. Irénée n'est pas moins explicite : « Ce ne sont pas là les enseignements que t'ont transmis les anciens qui nous ont précédés et qui ont vécu avec les apôtres ; car je t'ai vu, lorsque j'étais encore enfant, dans l'Asie inférieure, auprès de Polycarpe... Et je pourrais encore te montrer l'endroit où il était assis lorsqu'il enseignait, et qu'il racontait ses relations avec Jean et avec les autres qui ont vu le Seigneur, et comment il parlait de ce qu'il avait entendu d'eux sur le Seigneur, sur ses miracles et sur sa doctrine » (Eusèbe, l. c., 5, 20, 2-4). Enfin, nous avons cet autre témoignage, du grand évêque de Lyon, dans la lettre qu'il écrivit au pape Victor à l'occasion de la célèbre contestation relative à la Pâque : « Lorsque le bienheureux Polycarpe visita Rome au temps d'Anicet (vers l'an 160), de légers différends s'étant manifestés sur quelques points, la paix fut bien vite conclue. Et ils ne se livrèrent pas même à une dispute sur la question principale. Car Anicet ne put dissuader Polycarpe de fêter le 14 nisan (comme jour de la Pâque, à la façon des Juifs), attendu qu'il l'avait toujours fêté avec Jean, le disciple du Seigneur, et les autres apôtres avec lesquels il avait vécu. Et de son côté, Polycarpe ne put persuader Anicet d'observer ce même jour, Anicet répondant qu'il devait maintenir la coutume qu'il avait reçue de ses prédécesseurs. Les choses étant ainsi, ils se donnèrent l'un à l'autre la communion,... et ils se séparèrent en paix » (ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique, 5, 24, 16). — 2° Apollonius, vaillant adversaire des Montanistes, qui vivait en Asie Mineure vers 180, raconte dans un fragment conservé par Eusèbe (l. c., 5, 28) « qu'un mort avait été ressuscité a Éphèse par S. Jean ». — 3° Polycrate, évêque d'Éphèse en 190, et s'appuyant sur les riches traditions de sa famille, dont sept membres avaient occupé avant lui le siège épiscopal d'Éphèse, écrivait à son tour au pape Victor dans les termes suivants : « Nous fêtons le vrai jour (le l4 nisan)... Car quelques grandes lumières se sont éteintes en Asie et y ressusciteront au jour du Seigneur ... : Philippe, l'un des douze apôtres, et Jean qui a reposé sur le sein du Seigneur » (ap. Eusèb. Histoire Ecclésiastique, 5, 24, cf. 3, 31, 3)) ». — 4° A ces témoignages d'autant plus saisissants qu'ils se rattachent à l'Asie Mineure et à Éphèse, nous pouvons en ajouter un autre, qui n'est pas moins ancien. C'est celui de Clément d'Alexandrie (vers 190), qui s'exprime ainsi dans son traité Quis dives salvetur, § 42 (cf. Eusèbe, l. c., 3, 24): « A Éphèse, Jean visitait les contrées environnantes, pour établir des évêques et organiser les églises ». Inutile d'insister davantage, et de citer les dires identiques, mais plus récents, d'Origène, de Tertullien, de S. Jérôme, etc. (Un témoignage géographique, qui a bien sa valeur, est celui que contient le nom du village turc Ayâ salouk, situé près des ruines de l'antique Éphèse. Dans cette dénomination, il est aisé de reconnaître une corruption des mots grecs ἀγίος θεολόγος. Or, le « saint théologien » n'est autre que S. Jean, ainsi désigné par le concile d’Éphèse).

S. Jean ne devait pas être depuis très longtemps à Éphèse, quand il fut arrêté par ordre de l'empereur Domitien et conduit à Rome pour y subir le martyre. Tertullien le premier a conservé le souvenir de ce fait si bien commenté par Bossuet (Panégyrique de S. Jean, première partie). « Quelle est heureuse l’église romaine, dans laquelle les apôtres ont répandu toute la doctrine avec leur sang, où Pierre reçoit une mort semblable à celle du Seigneur, où Paul est couronné par la décapitation comme saint Jean-Baptiste, où l’apôtre Jean ne souffrit rien quand on le plongea dans l’huile bouillante.» » (De præscript. 36). S. Jérôme, s'appuyant sur le récit de Tertullien, dit avec quelques détails de plus, « Que, envoyé, à Rome, dans un tonneau d’huile bouillante, il en ressortit plus pur et plus vigoureux qu’il en était entré.» (Contr. Jovinian. 1, 26, cf. In Matth. 20, 23 ; Orig. In Matth. Hom, 12 ; Eusèbe Histoire Ecclésiastique 10, 17, 18 ; S. Augustin d'Hippone Sermo 226).

L'Église célèbre le 6 mai l'anniversaire du martyre de S. Jean (voyez le Martyrologium roman., au même jour. La scène s'étant passée « Devant la porte latine », de là le nom donné à la fête du 6 mai).

Le persécuteur impuissant crut se venger, en exilant sur le rocher de Patmos l'apôtre auquel il n'avait pu arracher la vie. Mais N.-S. Jésus‑Christ attendait là son disciple bien aimé pour lui faire les communications les plus intimes : c'est en effet durant l'exil de Patmos que S. Jean composa l'Apocalypse (Apocalypse 1, 9 : « Moi Jean, votre frère (…) j'étais dans l'île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. ». Voyez Drach, Apocalypse de S. Jean, p. 15-16. « Patmos ressemble à toutes les îles de l'Archipel : mer d'azur, air limpide, ciel serein, rochers aux sommets dentelés, à peine revêtus par moments d'un léger duvet de verdure. L'aspect est nu et stérile », Renan, L'Antéchrist, p. 376. L'île consiste au fond en trois amas de rochers qu'unissent des isthmes étroits.). Quoique la date de ce bannissement ait été différemment indiquée (S. Épiphane, Hær. 51, 33, parle du règne de Claude, Théophylacte du règne de Néron. S. Irénée, Contre les Hérésies 5, 30, 3, S. Jérôme, De viris illustr. 9, Sulpice Sévère, Sacr. Hist. 2, 31, Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 3, 18 et 20, 23, s'accordent pour placer l'exil de S. Jean sous Domitien), rien n'est plus certain que le fait même, qui est relaté par des auteurs très anciens et très dignes de foi, tels que S. Irénée, Clément d'Alexandrie (Quis dives salvetur, § 42, cf. Eus. 3, 13), Origène (Comm. in Matth. 20, 12) et Eusèbe. Ce dernier dit formellement: ϰατέχει λόγος, pour marquer ainsi une chose sûre et certaine.

L'exil de S. Jean prit fin après la mort de Domitien, quand Nerva, son successeur, rendit la liberté à tous ceux qui avaient été injustement bannis par le tyran (cf. Eusèbe Histoire Ecclésiastique 3, 20, et le fragment de la Chronique de Georges Hamartôlos (9ème siècle), publié par Nolte dans la Theolog. Quartalschrift de Tubinguen, 1862). L'apôtre revint alors à Éphèse, comme l'indiquent les sources les plus authentiques (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 3, 23 : ὁ τῦν παρʹ ἡμῖν ἀρχαίων παραδίδωσι λόγος, et il renvoie nommément à S. Irénée et à Clément d'Alexandrie), et il y continua son vaillant ministère.

Nous ne connaissons qu'un très petit nombre de détails spéciaux sur les dernières années du disciple de l'amour ; mais ils sont en harmonie parfaite avec le reste de sa vie. Il suffira de les résumer brièvement, car on les trouverait dans tous les livres s'ils n'étaient pas dans toutes les mémoires. Il y a d'abord cette anecdote qui concerne ce disciple, tendrement aimé, que Jean avait confié à un évêque voisin pendant une absence nécessitée par les besoins des églises d'Asie. A son retour, l'apôtre eut la douleur d'apprendre que le jeune homme, insuffisamment surveillé, avait été entraîné à toutes sortes de désordres par des amis corrompus, et avait fini par devenir chef de brigands. Sans hésiter, malgré son grand âge, S. Jean courut à la poursuite de cette brebis égarée, et il fut assez heureux pour la ramener au bercail (Clem. Alex. Quis dives salvetur, § 41, cf. Eusèbe, Hist. Eccl, 3, 23, et Baunard, L'apôtre S. Jean, p. 510-514. « L'antiquité chrétienne, dit M. Baunard, nous a légué peu de pages d'une éloquence plus simple et d'une plus pathétique beauté ».

L'épisode de la perdrix, raconté par Cassien (Collat. 24, 21) : nous y voyons le grand apôtre, durant ses rares heures de repos, jouer avec une petite perdrix apprivoisée. Un jeune chasseur, qui était très désireux de voir le Saint, l'ayant un jour surpris au milieu de sa récréation, fut vivement scandalisé. S. Jean lui demanda avec douceur : « Quel est cet objet que tu portes à la main ? » « Un arc », répondit le chasseur. « Pourquoi donc n'est‑il pas bandé ? » Le jeune homme répondit: « Parce que, s'il était toujours tendu, il perdrait sa souplesse et deviendrait inutile ». « Ne sois donc pas choqué, reprit le vieillard, de ces courts instants de repos qui empêchent mon esprit de perdre tout ressort ».

C'est, au contraire, le fils du tonnerre qui se révèle à nouveau dans ces lignes de S. Irénée (Contre les Hérésies 3, 3, 4, cf. Eusèbe Histoire Ecclésiastique 3, 28). Il existe des hommes qui ont entendu raconter à Polycarpe que Jean, étant entré dans une maison de bains à Éphèse, et ayant aperçu Cérinthe à l'intérieur, s'éloigna brusquement sans s'être baigné, en disant : Sortons, de peur que la maison ne s'écroule, puisque là se trouve Cérinthe, l'ennemi de la vérité.(« Personne, disent les rabbins, traité Kitzur Sch'lah, f. 10, 2, ne devrait traverser un gué ou tout autre endroit dangereux en compagnie d'un apostat ou d'un Juif pervers, de crainte d'être enveloppé dans la même ruine que lui »). Comparez le trait analogue de S. Polycarpe, rencontrant Marcion dans une rue et s'écriant, alors que l'hérésiarque voulait se faire reconnaître de lui : « Oui, je te connais, premier‑né de Satan !».

Le miracle de la coupe empoisonnée que l'apôtre vida sans en éprouver aucun mal, a été rattaché parfois à l'île de Patmos et raconté de différentes manières (S. Augustin d'Hippone Soliloq. ; S. Isid. Hisp. De vita et morte Sanct., 73 ; Fabricius, Cod. Apocr. N. T. t. 2, p. 575). L'iconographie chrétienne en a rendu le souvenir impérissable, car « c'est en mémoire de ce fait qu'on représente l'apôtre tenant en main une coupe d'où s'échappe un serpent » (Baunard, S. Jean, p.458. Suivant les uns, les choses se seraient ainsi passées à la lettre ; selon d'autres, le serpent qui s'élance serait une simple figure du poison devenu inoffensif).

Le dernier épisode, que nous devons à S. Jérôme (In Galates 6, 10), est le plus beau de tous. «Le bienheureux Jean demeura à Éphèse jusqu’à une extrême vieillesse. Et c’est soutenu par ses disciples, qu’il se rendait avec difficulté à l’église. Incapable de prêcher comme autrefois, il ne pouvait dire rien d’autre que : mes petits fils, aimez-vous les uns les autres. Finalement, les frères qui venaient adorer le Seigneur n’en pouvaient plus de l’entendre toujours rabâcher les mêmes mots, et lui dirent : « Maître, pourquoi dis-tu toujours la même chose ?» Il leur répondit par cette phrase digne de mémoire : « Parce que c’est le précepte du Seigneur. Et si on ne fait que cela, ça suffit.» (Lessing a traité littérairement ce sujet dans son Testament des Johannes).

La mort de S. Jean. — Telle fut, d'après les sources les plus authentiques, la vie du disciple bien‑aimé. Il mourut doucement à Éphèse, sous le règne de Trajan (98-117) (cf. S. Irénée, Contre les Hérésies, 2, 39 ; 3, 3 ; Eusèbe Histoire Ecclésiastique 3, 23), et on l'ensevelit dans cette ville qu'il avait tant aimée : οὗτος ἐν Έφέσῳ ϰεϰοίμηται, dit S. Polycrate ( Ap. Euseb. l. c. 3, 31 ; 5, 24). Le récit tardif de Georges Hamartôlos (Cet écrivain vivait au 9ème siècle. Sur le fragment de sa Chronique publiée naguère par le Dr Nolte, d'après lequel S. Jean aurait été mis à mort par les Juifs, est dénué de valeur historique. Il en est de même des bruits étranges qui eurent cours pendant assez longtemps sur la merveilleuse prolongation de sa vie dans le tombeau (« On rapporte que la terre s’est mise à cracher, et comme à bouillir, et que cela est devenu son exhalaison» « Illic terra sensim scatere et quasi ebullire perhibetur, atque hoc ejus anhelitu fieri. » S. Augustin d'Hippone Tractat. 124 in Jean cf. D. Calmet, Dissertat. sur la mort de S. Jean. Voyez d'autres récits légendaires dans Zahn, Acta Johannis, Erlangen, 1880 ; Fabricius, Codex Apocryph. N. T. t. 2, p. 531 et ss.).

On ne sait pas au juste quel était l'âge de S. Jean au moment de sa mort ; mais les anciens auteurs ecclésiastiques sont presque unanimes pour affirmer qu'il vécut près de cent ans (cent ans et sept mois, d'après le Chronicon paschale, édit. de Bonn, p. 470 ; cent vingt ans, selon Suidas, s. v. Ίωάννης).

La biographie de S. Jean et les rationalistes. — Il nous faut remplir ici une tâche ingrate, qui deviendra plus pénible encore au paragraphe suivant : à savoir, démontrer l'évidence, et répondre aux vaines subtilités du rationalisme. Prenez un jury quelconque, et proposez-lui cette simple question, après avoir développé les arguments de tradition que nous nous sommes contenté d'abréger : L'apôtre S. Jean a‑t‑il vraiment résidé à Patmos, à Éphèse ? Il répondra sans hésitation : « oui ». Néanmoins, un certain nombre de critiques déclarent les preuves insuffisantes, et ils nient que S. Jean ait séjourné dans ces deux localités (Lützelberger (Die kirchl. Tradition über den Apostel Johannes und seine Schriften, Leipzig, 1840), Keim (Geschichte Jesu von Nazara, t. 1, p. 161 et ss.), Wittichen (Der geschicht : Charakter des Evang. Johannes, Elberfeld 1868, p. 107 et ss.), Holtzmann (au mot « Johannes der Presbyter » dans le Bibellexicon de Schenkel, t. 3,p. 352 et ss.), Ziegler (Irenæus Bischof von Lyon, Berlin 1871) et Scholten (Der Apost. Johannes in Kleinasien, trad. du hollandais par Spiegel, Berlin 1877) ont été les principaux avocats de ce système étrange). Ils ne cachent pas leur but : s'il est démontré que la tradition est erronée sur ce double point, il sera aisé de la renverser quand elle prétendra que Jean a composé l'Apocalypse dans l'île de Patmos, le quatrième évangile dans la cité d'Éphèse.

Leurs raisonnements sont de deux sortes : les uns négatifs, les autres positifs. ils abusent tant et plus de l'argument du silence : preuve si faible, surtout après que nous avons entendu des témoins si importants, si anciens, si nombreux. Keim voudrait que les Actes des apôtres eussent signalé le séjour de S. Jean à Éphèse. « Avec une telle logique, réplique Leuschen, on pourrait prouver que Paul n'est pas mort à cette heure », puisque les Actes ne le disent pas. « Comme si le livre des Actes, ajoute M. Godet, était une biographie des apôtres, et comme s'il ne finissait pas avant le moment où Jean a pu habiter l'Asie.» (Commentaire sur l'Evang. de S. Jean, t. 1, p. 56 de la 2ème édition. M. Godet stigmatise à bon droit la conduite de l'école rationaliste, en disant que c'est de « l'outrecuidance critique »). Mais comment expliquer le silence de S. Ignace dans sa lettre aux Éphésiens (chap. 12), celui de S. Polycarpe dans sa lettre aux Philippiens (Chap. 3) ? L'un et l'autre ils parlent de S. Paul, et sont muets sur S. Jean. De nouveau la réponse est aisée. S. Ignace avait traversé Éphèse pour aller subir le martyre à Rome, comme autrefois l'apôtre des païens (Actes 20, 17 et ss..) ; il avait donc une raison spéciale de mentionner ce trait. D'autre part, les Philippiens avaient été les disciples chéris de S. Paul : nouvelle raison spéciale de leur rappeler son souvenir. Et ces deux motifs particuliers n'existaient pas relativement à S. Jean. En vérité, « ce n'est pas avec de pareilles preuves que l'on effacera de l'histoire le séjour de Jean à Patmos et en Asie. » (Keil, Comment. über das Evang. des Johannes, p. 7).

Leurs arguments positifs ne valent également que par l'audace avec laquelle ils sont présentés. Voici les deux principaux. En premier lieu, S. Épiphane, ainsi qu'il a été dit plus haut (page 7, note 4), place l'exil de Patmos sous le règne de Claude (Έν χρονόις Κλαυδίου Καίσαρος. Haer. 51, 12), c'est-à-dire entre les années 41-54, ce qui est une impossibilité. Rien de plus vrai, et personne ne songe à défendre S. Épiphane sur ce point. Mais, parce qu'un seul témoin, l'un des moins importants, commet une erreur de détail à propos d'un élément accessoire, est‑on en droit de conclure que le fait principal, garanti par tous les autres témoins, est annihilé par là-même ? D'ailleurs, il est visible que l'inexactitude de S. Épiphane ne porte que sur le nom de l'empereur alors régnant ; car il dit à la ligne précédente que S. Jean composa son évangile au retour de Patmos, étant âgé de quatre‑vingt‑dix ans. Or le favori du Sauveur n'avait pas quarante ans sous le règne de Claude.

En second lieu S. Irénée, dont nous avons lu les assertions si formelles, aurait été trompé par ses propres souvenirs, en confondant le prêtre Jean avec l'apôtre du même nom, et en égarant ainsi toute la tradition. Le Dr Keim, qui a découvert ce nouvel argument, en est si fier qu'il le propose, nous citons ses propres paroles, « avec tout le pathos qu'inspire la certitude de la victoire », car il est sûr qu'une pareille preuve suffit « pour mettre fin aux illusions éphésiennes ». (Geschichte Jesu von Nazara, t. 1, p.161 et suiv.). Le conçoit‑on ? S. Irénée se trompant sur un fait semblable, à si peu de distance, et confondant l'un des plus glorieux apôtres avec un prêtre obscur ? Et S. Polycrate, et ses autres contemporains dont nous avons cité les témoignages, étant le jouet de la même illusion? Une erreur de ce genre est impossible, inadmissible ; aussi l'audacieuse assertion de Keim, venue après un intervalle de dix‑sept siècles, lui a‑t‑elle valu même dans son camp, et à plus forte raison de la part des exégètes croyants, des ripostes dune vivacité parfaitement excusable (Beyschlag : « C'est de la rhétorique qui croit être de la critique ». Luthardt : « Cette hypothèse se perd dans l'insanité ». Farrar : « C'est l'intempérance même de la négation... Cette tentative est un échec insigne ». Etc.). Et ni Strauss, ni Baur, ni Hilgenfeld, ni M. Renan (Les Évangiles et la seconde génération chrétienne, Paris 1877, p. 412.), ni les partisans les plus avancés et les plus indisciplinés de l'école de Tubinguen, tels que Schwegler, Zeller et Volkmar (ce qui n'est pas peu dire), n'ont voulu associer leur nom à un système dénué de tout appui et de toute science. Du reste, de doctes historiens admettent aujourd'hui que l'existence même du prêtre Jean, ce « prêtre nébuleux », comme ils l'appellent, est très problématique, et ils inclinent a l'identifier avec l'apôtre lui‑même. Du moins, le fragment suivant de Papias, conservé par Eusèbe (Histoire Ecclésiastique 3, 39. Il est utile de rappeler que Papias avait été l'ami de S. Polycarpe et probablement le disciple de S. Jean, cf. Eus. 5, 33, 4), prouve que, si le nπρεσϐύτερος Ἰωάννης a réellement existé, on savait, dès ces temps reculés, distinguer nettement sa personnalité de celle de l'apôtre S. Jean. « Je ne manquerai pas d'ajouter à mes explications tout ce que j'ai.... retenu des Anciens (παρὰ τῶν πρεσβυτέρων), en t'en garantissant la vérité. Car je ne prenais pas plaisir, comme le grand nombre, en ceux qui racontent beaucoup de choses, mais en ceux qui enseignent les chose vraies... Si parfois l'un de ceux qui ont accompagné les anciens arrivait chez moi, je m'enquérais des paroles des anciens : Qu'a dit André, ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre disciple du Seigneur ; puis de ce que disent Aristion et le prêtre Jean, les disciples du Seigneur (remarquez l'antithèse entre le temps passé: τὶ εἶπεν ce qu'a dit, et le temps présent: ἃ λέγουσιν, ce que disent ; elle semble réellement opposer l'une à l'autre deux époques différentes. En outre, la première fois, Jean est associé uniquement à des apôtres ; la seconde, à un disciple peu connu. Les partisans de l'identité prétendent que l'emploi du passé se rapporte aux écrits de l'apôtre S. Jean, tandis que le présent ferait allusion aux communications que Papias aurait personnellement reçues du disciple bien aimé) ; car je ne présumais pas que ce qui se tire des livres pût m'être aussi utile que ce qui vient de la parole vivante et permanente. »

Ainsi donc, la théorie de Lützelberger et de Keim tombe de toutes manières, et rien ne demeure mieux attesté que le séjour de S. Jean soit à Patmos, soit à Éphèse ; et, « à moins de rejeter en bloc tous les témoignages postérieurs au premier siècle, on doit le regarder comme un fait indiscutable » (Stanley, Sermons on the Apostolical Age, p. 287, cf. Davidson, An Introduction to the Study of the N. T., t. 2, p. 324).

Le caractère de S. Jean. — Nous devons nous borner à quelques éléments rapides ; du reste, mieux que personne, S. Jean lui‑même a tracé son portrait dans l'évangile qu'il nous a légué (voyez le § 5 «Jean continue à vivre. Il nous donne à contempler perpétuellement son image dans l’église, par ses écrits dorés, qu’il a laissés après lui comme un trésor précieux, pour l’érudition de tous les âges.» « Vivit interea Johannes, suamque perpetuo in Ecclesia imaginem contemplandam exhibet scriptis aureis, quae tanquam pretiosissima cimelia in omnium post se ætatum eruditionem reliquit ». Lampe, Prolegom. in Joh. lib. l, cap. 7 § l).

Le favori du Sauveur était éminemment doué, et surtout de ces qualités qui attirent toujours et partout l'affection. Sa nature était idéale, d'une délicatesse exquise ; son cœur aimant se donnait pour ne plus se reprendre et demeurait dévoué jusqu'à la mort.

Jean était au fond doux et calme, sans avoir pourtant ce je ne sais quoi de féminin que lui ont donné trop souvent les peintres (Même Ary Scheffer, dans son tableau si connu et justement célèbre, cf. Tholuck, s. v. John the Apostle, dans Kitto, Cyclopaedia of Biblical Literature) ; car à l'occasion, comme nous l'ont révélé divers épisodes de sa vie (voyez plus haut pages 3 et 6), il sut manifester l'énergie d'une âme virile, ardente, courageuse, qui ne voulait sacrifier aucun des droits de son Maître adoré, et qui ne redoutait aucun danger.

Il avait une parfaite modestie. Il ne joue qu'un rôle très effacé dans sa propre narration, ne parlant de lui‑même qu'à la troisième personne (cf. Jean 1, 35 et ss. ; 13, 13-26 ; 18, 15-16, etc), et ne citant que trois de ses paroles (Toutes les trois fort courtes : 1, 38, « Rabbi, ou demeurez-vous ? » ; 13, 25, « Seigneur, qui est-ce ? » ; 21, 7 « c’est le Seigneur » ).

Sa vive intelligence perce à travers tous ses écrits ; et si les Pharisiens, dans une circonstance officielle (Actes 4, 13), le traitèrent conjointement avec S. Pierre de « illettré » et d' « imbécile », ces mots n'exprimaient sur leurs lèvres que le manque d'une éducation rabbinique (même Platon aurait été un « imbécile » d'après les principes pharisaïques, n'ayant pas suivi les cours des rabbins, seuls savants brevetés par le judaïsme d'alors).

La pureté virginale de S. Jean est un des traits les plus marquants et les plus attrayants de sa nature ; aussi l'a‑t‑on mille fois signalé et vanté dès les premiers siècles. « Il y en a qui pensent, et ce ne sont pas des commentateurs méprisables de la sainte parole, écrivait Tertullien (De Monogam. c. 7). que Jean a été aimé plus que les autres par Jésus parce qu’il ne se maria pas, et qu’il est demeuré chaste depuis sa tendre enfance.», S. Augustin (Tract. 124 in Jean 8, cf. De bono conjug. 21). « «Jean, que la foi du Christ a trouvé vierge, demeura toujours vierge, et c’est pour cela qu’il fut aimé plus que les autres par Jésus, et qu’il reposa sur le cœur de Jésus. Et pour qu’en quelques mots, je renferme et enseigne plusieurs choses sur le privilège de Jean, c’est-à-dire sa virginité, je dirai : par le Seigneur vierge, une mère vierge est confiée à un disciple vierge.»  (S. Jérôme, Contr. Jovin. 1, 26, cf. Ad Princip. ep. 127, 5 ; etc.). De là les beaux noms de παρθένος (vierge) ou παρθένιος (virginal), par lesquels on se plaisait à désigner, d'après l'Apocalypse, 14, 4, cet angélique apôtre (Voyez d'autres citations nombreuses dans Zahn, Acta Johannis, p. 208 et ss, cf. aussi Fabricius, Codex apocr. t. 2, p. 585 et ss.). Mais, comme on s'accorde à le reconnaître, ce qui caractérise avant tout S. Jean, c'est la profondeur étonnante, la grande réceptivité (Mot barbare, mais expressif, que nous nous permettons d'employer après d'autres) de son âme. Pierre fut éminemment l'homme de l'action, tandis que Jean, à la façon de Marie (cf. Luc. 10, 39 et ss.), se plongeait dans un recueillement merveilleux (S. Augustin relève cette différence dans un intéressant parallèle entre les deux apôtres, cf. Tract. 124 in Jean, 21). « Jean, c'est la quiétude de la contemplation se reposant en silence près de l'objet qu'elle adore, et préludant aux joies calmes de l'éternité (Baunard, L'apôtre S. Jean, p. 167). » Voyez-le, sur le magnifique tableau du Dominiquin, les yeux, l'esprit et le cœur levés au ciel : c'est bien lui, vivant au dedans beaucoup plus qu'au dehors, dans l'intensité de la pensée et de l'amour.

§ 2. — L'AUTHENTICITÉ DU QUATRIÈME ÉVANGILE

(Nous avons traité la question d'intégrité dans le commentaire. La discussion porte sur les trois passages : 5, 4 ; 8, 1-11 ; 21).


Le quatrième évangile est‑il réellement l'œuvre de l'apôtre dont nous venons de décrire en quelques pages la vie et le caractère ? Cette question, si simple en elle‑même et d'une solution si facile, est devenue depuis un siècle, grâce aux rationalistes, l'une des plus compliquées comme aussi des plus graves parmi celles que l'exégète rencontre sur sa route. Véritable « champ de bataille du Nouveau Testament », a‑t‑on dit avec justesse (Plummer, The Gospel according to S. John. Cambridge, 1881, p. 16). Et cela se comprend, car c'est autour de la personne de N.-S. Jésus‑Christ que la lutte entre croyants et incrédules est engagée, et l'évangile selon S. Jean a une importance capitale pour nous faire connaître l'Homme‑Dieu, le Verbe incarné.

Que l'on juge par un détail bibliographique de l'acharnement du combat. Le Dr C. E. Luthardt, dans un des meilleurs ouvrages qui aient été composés en vue de défendre l'authenticité du quatrième évangile (Der johanneische Ursprung des vierten Evangeliums untersucht. Leipzig, 1874), a tenté de dresser la liste des travaux plus ou moins considérables qu'on avait publiés avant le sien (de 1792 à 1874 ; dans les langues allemande, anglaise, française, hollandaise et latine) sur cette même question. Quoique incomplète, sa nomenclature ne comprend pas moins de treize pages in‑octavo, et signale jusqu'à deux cent quatre‑vingt‑cinq noms d'auteurs (Nous avons eu nous‑même successivement sur notre bureau de travail, pour composer ces quelques pages, plus de cent‑dix volumes, brochures ou articles de revues mentionnés par le Dr Luthardt, et plusieurs autres encore. Il nous faudrait à notre tour composer un assez gros volume, si nous voulions traiter ce sujet avec tous les développements qu'il comporte ; mais ce n'est pas ici le cas. Du moins nous ferons en sorte que notre résumé soit nourri et solide.

Nous étudierons successivement : les preuves extrinsèques, les preuves intrinsèques et les sophismes des rationalistes.





1. LES PREUVES EXTRINSÈQUES


Il s'agit, le lecteur l'a compris, des témoignages de la tradition en faveur du quatrième évangile. C'est le plus fort de tous les arguments ; il suffit à lui seul, et nous verrons que les adversaires de l'authenticité ne pourront lui opposer rien de sérieux.

Deux observations préliminaires. 1° Comme nous le dirons plus loin (au § 4), l'évangile selon S. Jean ne parut que vers la fin du premier siècle de notre ère. Les récits des trois synoptiques, notablement plus anciens, étaient donc répandus partout quand il fut remis aux mains des fidèles, et ils avaient formé le courant de la tradition évangélique. En outre, plus abstraite, plus intime, moins épisodique par le fond et par la forme, l'œuvre de S. Jean se prêtait moins aux citations et aux emprunts, surtout à une époque littéraire dont les habitudes différaient beaucoup de celles d'aujourd'hui. Pour ce double motif, il serait naturel a priori qu'on n'eût pas cité le quatrième évangile avec tant de profusion que les trois premiers. 2° Parmi les citations des anciens écrivains ecclésiastiques, nous devons faire un choix assez restreint et donner les textes sans discussion. Mais qu'on veuille bien se souvenir, en les lisant, que nous aurions pu en remplir au‑delà de vingt pages (on trouvera des indications assez complètes dans Lücke, Commentar über das Evangelium des Johannes, t. 1, p. 41-83 de la 3° édition ; dans Westcott, A General Survey of the History of the Canon of the N. T., 2° édit, Londres,1866 ; et dans J.Langen, Grundriss der Einleitung in das N. T., Fribourg, 1868), et que de savants critiques les ont étudiés un à un, soit pour en prouver l'authenticité, soit pour en étudier le sens, soit pour répondre aux objections de détail que les rationalistes proposaient à leur sujet. C'est en effet pied par pied, pour ainsi dire, que ce terrain sacré a été défendu contre les incursions acharnées et réitérées de l'ennemi.

Et maintenant, plaçons‑nous au confluent du second et du troisième siècle. Inutile de descendre plus bas, car les adversaires les plus ardents de l'évangile selon S. Jean admettent eux‑mêmes qu'à partir de cette époque son authenticité était universellement admise : la littérature chrétienne du troisième siècle, à plus forte raison du quatrième, abonde en témoignages si clairs, si formels, qu'il ne saurait exister le moindre doute sur la foi de l'Église relativement au point qui nous occupe. Eh bien, il est aisé de démontrer que cette foi s'appuyait sur une tradition presque aussi ancienne que l'œuvre de S. Jean. Entre les années 185 et 220, nous voyons que, d'une part dans toutes les provinces ecclésiastiques, - en Gaule, à Carthage, en Asie Mineure, en Égypte, - d'autre part, dans le camp hétérodoxe, notre évangile est uniformément traité comme canonique et attribué à l'apôtre S. Jean.

A. La tradition orthodoxe. — L'historien Eusèbe est beaucoup plus récent que la date indiquée (ce « père de l'histoire ecclésiastique », ainsi qu'on le nomme à bon droit, mourut vers 340) ; mais son autorité n'en est pas moins d'une extrême valeur, car il possédait sur ces temps reculés des connaissances extraordinaires. Il avait tout lu, tout compulsé ; il cite de nombreux fragments d'écrits qui ont disparu depuis, et il expose avec une admirable fidélité le résultat de ses lectures. Or, sauf une divergence qui n'a rien de sérieux (Voyez plus bas la discussion qui concerne les Alogi), il n'a rien trouvé à signaler contre l'authenticité de l'évangile selon S. Jean. C'est un ὁμολογούμενον, c'est-à-dire un livre universellement reçu. Aussi bien, « on doit l'admettre en première ligne car il est connu dans toutes les Églises qui sont sous le ciel (Hist. Eccl, 3, 24) ». Et pourtant, Eusèbe ne craint pas, à l'occasion, de noter les hésitations qui s'étaient produites ça et là au sujet de certains écrits bibliques, par exemple, celles de Denys d'Alexandrie au sujet de l'Apocalypse.

Origène, dont les célèbres catéchèses remontent aux premières années du troisième siècle, place l'évangile de S. Jean parmi les quatre « qui sont seuls reçus sans contestation dans l'Église de Dieu qui est sous le ciel » (Ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 6, 25). Fait absolument incompréhensible dans le cas où ce livre n'eût été composé que vers l'an 450 ; car alors, comment aurait‑il conquis si vite une telle autorité ?

Avant qu'Origène tint ce langage à Alexandrie, Tertullien (né vers 150, mort vers 240) parlait à Carthage en des termes analogues, qui supposent aussi que S. Jean était partout reconnu comme l'auteur de l'évangile qui porte son nom : «Nous établissons d’abord que le manuel d’instruction évangile a les apôtres comme auteurs. Il a été composé par eux pour remplir la mission, reçue du Seigneur, de promulguer la parole de Dieu. Par les pères apostoliques, aussi, non eux seuls, mais avec les apôtres et après les apôtres… Ce sont les apôtres Matthieu et Jean qui semèrent la foi. Les pères apostoliques Luc et Marc l’implantèrent.» (Adv. Marcion, 4, 2) ». Et les nombreuses citations que Tertullien donne du quatrième évangile prouvent qu'il s'agit bien ici du livre que nous lisons encore aujourd'hui.

Revenons à Alexandrie. Clément, maître d’Origène, qui dirigeait la savante école de cette ville vers 190, qui avait parcouru la Grèce, l'Italie, la Syrie, la Palestine, recherchant partout les traditions antiques, oppose formellement aux divers évangiles apocryphes qui circulaient alors « les quatre qui nous ont été transmis » (Stromates, 3,  : ἐν τοῖς παραδεδομένοις ἡμῖν τέταρσιν εύαγγελίοις) ; et parmi ces quatre biographies authentiques du Sauveur, il signale de la façon la plus explicite celle du disciple bien‑aimé. « Jean reçut les trois premiers évangiles, et remarquant qu'ils renfermaient les faits extérieurs de la vie du Seigneur, sous l'impulsion des hommes éminents de l'église il écrivit un évangile spirituel » (Extrait des Hypotyposes, cité par Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, 6, 14). En outre, Clément d'Alexandrie ne manque pas d'ajouter qu'il tenait ses renseignements des « anciens qui remontaient jusqu'au début » (Παράδοσις τῶν ἀνέϰαθεν πρεσϐυτέρων. Ibid.), et en particulier de son maître S. Pantène, mort en 189 (Ap. Euseb., Histoire Ecclésiastique, 6, 13).

Mais, à la même époque, notre témoin principal est S. Irénée, cet autre homme de science (Il est remarquable en effet que les quatre premiers témoins allégués sont de savants théologiens), qui par son origine appartient à l'Asie‑Mineure, où il avait passé son enfance (Il naquit vers 125 ou 130), et par son âge mûr à la Gaule, où il exerça durant de longues années ses fonctions de prêtre et d'évêque. Dans son ouvrage Contre les Hérésies, publié sous le règne de Commode, par conséquent entre les années 180 à 192, il cite plus de soixante fois l'évangile selon S. Jean, et il en attribue très nettement la composition au disciple bien aimé. S. Matthieu a écrit la première partie du τετράμορφον εὐαγγέλιον (c'est-à-dire de l' « évangile aux quatre faces », par allusion à la prophétie d'Ézéchiel, 1, cf. Contre les Hérésies 3, 11, 8), S. Marc la seconde, S. Luc la troisième ; « puis Jean, le disciple du Seigneur, qui reposa sur sa poitrine, publia, lui aussi, son évangile tandis qu'il vivait à Éphèse en Asie. » (Contre les Hérésies 3, 1, l, cf. Eusèbe Histoire Ecclésiastique 5, 8. Et remarquez encore que S. Irénée s'appuie constamment sur la tradition ecclésiastique, au nom de laquelle il parle et nullement en son propres nom (Par exemple, Contre les Hérésies 3, 3, 4 : «Par la succession qui vient des apôtres dans l’église, par la tradition, l’enseignement de la vérité est parvenu jusqu’à nous.» cf. 4, 33, 8.

Et nous pouvons remonter bien plus haut qu'Origène, que Tertullien, que Clément d'Alexandrie, que S. Irénée. Les simples lettres, les courts traités, les écrits fragmentaires qui composent la littérature chrétienne des deux premiers tiers du second siècle nous permettent de contrôler les assertions que nous venons d'entendre et d'en voir la parfaite vérité (cf. Premiers écrits chrétiens, Paris, 2016, éditions Gallimard Bibliothèque de La Pléiade N° 617).

Citons d'abord, aux extrémités opposées de l'Église, en Occident et en Orient, deux traductions de la Bible entière, qui contiennent l'une et l'autre le quatrième évangile tel que nous le lisons actuellement et qui l'attribuent à l'apôtre S. Jean. Nous voulons parler de l'Itala latine et de la Peschito syriaque, qui existaient toutes deux bien avant la fin du second siècle. « Les nôtres l’ont en usage», écrivait Tertullien au sujet de l'Itala (Adv. Prax. 5. Quant à la Peschito, il est probable qu'elle avait simplement succédé à une autre version syrienne encore plus antique. A coup sûr, l'écrit original devait exister depuis assez longtemps lorsque ces traductions furent composées.

Au « fragment de Muratori » qui nous a conservé une précieuse nomenclature des livres que l'on rangeait dans le canon des Saintes Écritures durant la deuxième moitié du second siècle, nous lisons les lignes suivantes : « Au sujet du quatrième des évangiles, saint Jean dit, selon ses disciples, aux condisciples et à ses évêques qui le pressaient d’écrire : « Jeûnez avec moi aujourd’hui, pendant trois jours, et nous nous raconterons ce qui aura été révélé à chacun d’entre nous.» La même nuit il fut révélé à André, que, tous étant d’accord, Jean décrirait toutes ces choses en son nom…. Qu’y a-t-il donc à s’étonner que dans ses lettres, il précise toujours qu’il parle en son nom : ce que nous avons vu de nos propres yeux, ce que nous avons entendu de nos oreilles, ce que nos mains ont touché, voilà ce que nous écrivons (cf 1 Jean 1,1). On croit donc en lui non seulement comme celui qui a vu le Seigneur, qui a entendu sa prédication, mais aussi qui a écrit par ordre toutes les merveilles du Seigneur.»

Vers l'année 177, les églises de Lyon et de Vienne adressaient à celles d'Asie et de Phrygie une lettre admirable, où elles racontent les persécutions que Marc‑Aurèle leur avait fait subir (Eusèbe l'a conservée en l'insérant dans son Histoire Ecclésiastique 5, 1, 2. Il est possible qu'elle ait eu S. Irénée pour auteur, ainsi qu'on l'a souvent conjecturé). Or cette lettre emprunte deux citations au quatrième évangile. « Ayant le Paraclet au‑dedans de lui », dit‑elle de l'un des martyrs, cf. Jean 14, 26. Et ailleurs : «Ainsi s'accomplissait la parole prononcée par Notre‑Seigneur, que le temps viendra où celui qui vous tuera croira rendre un culte à Dieu ». Cf Jean 16, 2. Ce second passage est extrêmement frappant (Le rationaliste Scholten admet sans difficulté que la formule τὸ ὑπὸ τοῦ ϰυρίου ἡμῶν εἰρημένον introduit le passage de S. Jean comme une partie intégrante de la Bible).

Vers la même date, Théophile d'Antioche citait aussi d'une manière encore plus catégorique, un texte de l'évangile selon S. Jean. Écrivant à son ami Autolycus, il lui signale en ces termes les premiers mots du prologue, Jean 1, 1 : « C'est ce que nous apprennent les saints écrits et tous les hommes animés de l'Esprit, parmi lesquels Jean dit : Au commencement (Ad Autolyc. 2, 22)... » Bien plus, nous savons par S. Jérôme que Théophile avait réuni les quatre évangiles canoniques sous forme de Concorde (De viris illustr. c. 25 : « Comprenant en un seul livre les paroles des quatre évangiles »).

Nous avons déjà vu plus haut que S. Polycrate, évêque d'Éphèse, autre contemporain de S. Irénée, mentionne S. Jean comme « celui qui avait reposé sur la poitrine du Seigneur ». Or c'est là une citation réelle, quoique indirecte, du quatrième évangile (Ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 5, 24 : ἔτι δὲ ϰαὶ Ίωάννης ὁ ἐπὶ τὸ στῆθος τοῦ ϰυρίου ἀναπεσών, cf. Jean 13,25): Hilgenfeld a été obligé de le reconnaître.

Athénagore, dans l'apologie qu'il adressait en 176 à l'empereur Marc‑Aurèle, paraphrase et combine les paroles de S. Jean relatives au divin Logos: « Le fils de Dieu est le Verbe du Père... Toutes choses ont été faites par lui » ( Leg. 10, cf. Jean 1, 1, 3).

De Méliton, autre apologiste de cette époque, nous ne possédons que quelques fragments : l'un d'eux suppose incontestablement la connaissance du quatrième évangile. « Jésus, étant à la fois Dieu et homme parfait, a prouvé sa divinité par ses miracles dans les trois années qui ont suivi son baptême, et son humanité dans les trente années qui l'ont précédé » (Ap. Otto, Corpus apologet. t. 9, p. 415). Or ce n'est que par la narration de S. Jean que Méliton a pu évaluer ainsi la véritable durée, du ministère public de N .-S. Jésus‑Christ.

Apollinaire, évêque d'Hiérapolis, composa, vers l'année 170, un écrit relatif à la célébration de la Pâque. Faisant allusion à la divergence de sentiments qui existait dès lors parmi les exégètes au sujet du jour où le Sauveur avait mangé l'agneau pascal, il affirme que les évangiles ne sauraient être en désaccord les uns avec les autres et il est bien évident, pour quiconque connaît la question, que par les mots στασιάζειν τὰ εὐαγγέλια, il faut entendre d'une part les synoptiques et de l'autre S. Jean. Apollinaire désigne en outre Jésus‑Christ par cette périphrase, qui rappelle évidemment le quatrième évangile (Jean 19, 34): « Celui dont le sacré côté a été percé, et qui a répandu de son côté l'eau et le sang ».

Quelques années plus tôt (Vers 160), Tatien composait son célèbre Διατεσσάρων, où l'on trouvait combinés ensemble nos quatre évangiles canoniques, et qui débutait par ces mots de S. Jean : « Au commencement était le Verbe ». Dans son Discours aux Grecs, il cite plusieurs autres textes du disciple bien aimé. « Suivez le Dieu unique, par lequel toutes choses ont été faites et rien n'a été fait sans lui » (Orat. c. Graec. 19, cf. Jean 1, 3). « C'est donc ici ce qui est dit : Les ténèbres ne saisissent pas la lumière » (cf Jean 1, 5).

Tatien avait eu pour maître S. Justin, martyr, qui vivait au milieu du second siècle. Malgré eux et après des discussions retentissantes, les rationalistes (Entre autres Hilgenfold et Keim. « Nous trouvons la première trace de l'évangile de Jean, dit Hilgenfeld, Einleitung in das N. T., p. 734, chez les orthodoxes, et, quoique d'une manière isolée et subordonnée, chez Justin martyr ». Et Keim : « Il est facile de prouver que le Martyr avait sous les yeux toute une série de passages de S. Jean », Geschichte Jesu, t. 1, p. 138) ont été contraints de reconnaître que ce Père rend témoignage a l'authenticité de l'évangile selon S. Jean. Les passages qui suivent sont en effet des emprunts manifestes. « Le Verbe (ὁ λόγος) qui était avec Dieu lorsqu'au commencement il créa toutes choses par lui ». Apolog., 2, 6, cf. Jean 1, 3. « La première puissance après Dieu... est le fils, le Verbe, qui, ayant été fait mais d'une certaine manière, devint homme». Apolog.1, 45, cf. Jean 1, 14. « Jésus est appelé fils unique du Père » . Dialogue avec Tryphon c. 105, cf. Jean 1, 18. « Et (Jean- Baptiste) criait : Je ne suis pas le Christ, mais la voix de celui qui crie. » Dial, c. 88, cf. Jean 1, 21-23. « C'est à bon droit qu'il a été reproché aux Juifs, et par l'esprit prophétique et par le Christ lui‑même, de ne connaître ni le Père ni le fils ». Apolog., 1, 63, cf. Jean 8, 19 et 16, 3. « Le Christ a dit : Si vous ne naissez de nouveau, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Or, il est évident qu'il est impossible qu'une fois né on puisse rentrer dans le sein de sa mère ». Apolog., 1, 61, cf. Jean 3, 3-4. Et dix autres passages analogues.

La lettre à Diognète, antérieure peut-être à S. Justin, contient aussi divers fragments qui ne peuvent être que des échos du quatrième évangile. Par exemple : « Dieu a aimé les hommes, auxquels il a envoyé son fils unique » (c. 10, cf. Jean 3, 16). « Les chrétiens ne sont pas du monde (ἐϰ τοῦ ϰόσμου) » (c. 6, cf. Jean 15, 19). Remontons toujours, en nous rapprochant de plus en plus du premier siècle. Nous voici arrivés aux Pères apostoliques, dont les témoignages ont pour nous une valeur plus grande encore. Entre les années 160 et 100, nous trouvons aussi des traces manifestes de la croyance à l'origine apostolique de notre évangile.

Papias, que S. Irénée (Adv. Hæres. 5, 33, 4) nous présente comme un auditeur de S. Jean, comme un ami de S. Polycarpe, serait‑il muet sur l'évangile de son maître, ainsi que le prétendent nos adversaires (Touchant l'importance exagérée que les rationalistes attachent au témoignage de Papias, voyez l'Évang. selon S. Matth. Intro. §2. Authenticité du premier Évangile, et l'Évang. selon S. Marc, Intro. §2. Authenticité du second Évangile) ? Non certes ; car, dit formellement Eusèbe (Histoire Ecclésiastique 3, 40, 19), « il citait (comme partie intégrante de la Bible) la première lettre de S. Jean ». Or il est aujourd'hui reçu que cette lettre est inséparable du quatrième évangile. Divers détails des Λογίων ϰυριαϰῶν ἐξηγήσεις de Papias, notamment l'expression αὐτὴ ἡ ἀλήθεια (« la vérité même ») pour désigner N.-S. Jésus‑Christ (cf. Jean 1, 14, 17 ; 14, 6), sont des réminiscences certaines de S. Jean. Enfin, quoique relativement tardive (elle appartient au moins au 9ème siècle, l'inscription suivante, découverte dans un manuscrit du Vatican, a la plus grande importance pour le sujet qui nous occupe : «L’évangile de saint Jean a été promulgué et donné aux églises du vivant même de saint Jean, comme le rapporte Papias, du nom de Hiérapolitanus, un cher disciple de Jean, dans ses cinq derniers livres. Il a écrit l’évangile sous la dictée de Jean. Quand l’hérétique Marcion fut rejeté par lui, parce qu’il enseignait des choses contraires à l’évangile, il fut repoussé aussi par saint Jean.». La tradition regardait donc comme une chose impossible que Papias n'eût pas connu l'œuvre principale du disciple bien aimé.

A côté de Papias, S. Irénée mentionne les « anciens » de la province ecclésiastique d'Asie‑Mineure (Contre les Hérésies 5, 36, 2), qui appartenaient, eux aussi, à la seconde génération chrétienne. Il cite même plusieurs de leurs paroles ; or, l'une d'elles est empruntée textuellement à S. Jean : « Pour ce motif, ils enseignaient que le Seigneur avait dit : Il y a de nombreuses demeures dans la maison de mon Père » (Ἐν τοῖς τοὒ πατρὸς μου μονὰς εἶναι πολλάς cf. Jean 14, 2).

S. Polycarpe est pour nous, à cause de ses relations personnelles avec S. Jean (voyez le texte de S. Irénée cité plus haut), un autre témoin décisif. En effet, selon son propre langage, il « avait été associé aux apôtres en Asie, et placé à la tête de l'Église de Smyrne par ceux qui avaient été les témoins oculaires et les ministres du Seigneur » (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 3, 36, cf. Irénée, Contre les Hérésies 3, 3, 4). Martyrisé à l'âge de quatre‑vingt‑six ans (cf. Acta Polycarpi, c. 9), vers 155 ou 156, il vécut en Asie durant la plus grande partie du séjour qu'y fit l'apôtre S. Jean : il fut donc comme un lien vivant entre les deux premières générations. Ce détail est capital pour la question que nous traitons : il n'y a pas eu d'interruption entre S. Jean et nous ; la tradition est absolument sûre. Néanmoins, S. Polycarpe ne mentionne pas notre évangile d'une manière directe mais, comme Papias, il montre équivalemment qu'il le connaissait, puisqu'il cite la lettre qui en fut pour ainsi dire l'introduction et la dédicace. « Quiconque, dit‑il dans sa lettre aux Philippiens (Ad Philip. 7. S. Irénée signale cette lettre, Contre les Hérésies 3, 3, 4), ne confesse pas Jésus‑Christ venu en chair, n'est pas de Dieu, est un antéchrist ». Comparez 1 Jean 4, 3.

Que si le témoignage des disciples immédiats de S. Jean ne suffisait pas, nous avons encore d'autres preuves. Le Pasteur d'Hermas, dont on place communément l'apparition entre les années 140 et 150 (le Dr Zahn la fait remonter beaucoup plus haut. Der Hirte des Hermas, 1868, p. 467-476), a plusieurs points de contact, soit avec la première lettre de S. Jean, soit avec l'évangile. Jésus y est appelé « la porte de Dieu, l'unique entrée qui mène au Seigneur » (Similitude 9, 12, cf. Jean 10, 7 ; 14, 6). Les passages Jean 14, 21 ; 15, 10 ; 17, 8, y sont de même représentés ; bien plus, M. Keim reconnaît que « la terminologie du berger rappelle souvent le quatrième évangile » (Gesch. Jesu von Nazara, t. 1, p. 143).

Les lettres de S. Ignace d’Antioche, qui datent certainement de la première moitié du second siècle, et peut-être de l'an 110, attestent aussi qu'à cette époque le quatrième évangile existait déjà (voyez l'ouvrage important de Zahn, Ignatius von Antiochien, 1873 ; Godet, Comment. sur l'Évangile de S. Jean. t. 1, p. 276-281 de la 2° édition). Celle aux Romains, ch. 7, contient le passage suivant : « L'eau vive, parlant au dedans de moi, me dit : Viens au Père. Je ne prends pas plaisir à la nourriture de la corruption, ni aux joies de cette vie ; je veux le pain de Dieu, le pain céleste, le pain de vie qui est la chair de Jésus‑Christ. Je veux la boisson de Dieu, son sang qui est l'amour incorruptible et la vie éternelle ». N'avons‑nous pas ici une double réminiscence ? Jean 4, 14 : « L'eau que je te donnerai deviendra au dedans de toi une source d'eau jaillissante en vie éternelle ». Jean 6, 56 : « Je suis le pain de vie descendu du ciel ; ma chair est véritablement une viande et mon sang véritablement un breuvage ». La lettre aux Philadelphiens, ch. 7, s'exprime en ces termes : « L'esprit ne s'égare pas, car il est de Dieu. Il sait d'où il vient et où il va, et il condamne les choses cachées ». L'allusion à Jean 3, 8, 20, et 16, 8, n'est‑elle pas transparente? Comparez encore. Jean 10, 9 et ces autres lignes de la même lettre : « (Jésus est) la porte du Père, par laquelle entrent Abraham, Isaac, Jacob, les apôtres, les prophètes, l'Église ». Bref, Hilgenfeld, qui n'est pas facile à convaincre en pareille matière, admet que « la théologie tout entière des lettres d'Ignace repose sur l'évangile de Jean » (cité par Godet, l. c., p. 280)

Peut‑on en dire autant de la lettre de S. Barnabé, composée vers l'année 96 ? Oui, d'après les meilleurs juges et même d'après quelques‑uns de nos adversaires (entre autres Keim et Holtzmann), tant les rapprochements sont parfois saisissants. Ainsi, au chapitre 12, 5, l'auteur semble n'avoir pu emprunter qu'à S ; Jean, 3, 14-15, la comparaison qu'il établit entre le serpent d'airain et le crucifiement de Jésus. Les expressions si caractéristiques ἐλθεῖν ἐν σαρϰί, φανεροῦσθαι ἐν σαρϰί (5, 6, 10, 11 ; 6, 7, 9, 14) ; φανεροῦν ἐαυτόν (5, 6), ζωοποιεῖν (6, 17 ; 7, 2 ; 12, 5, 7) ζήσεσθαι εἰς τὸν αἰῶνα (8, 5 ; 11, 10, 11), etc., rappellent tout à fait le style du quatrième évangile (Schanz, l. c., p.6 ; Luthardt, l. c., p. 75 et suiv.).

Enfin, nous pouvons nous appuyer sur la lettre adressée aux Corinthiens par le pape S. Clément, à l'époque même où paraissait l'Évangile selon S. Jean. Elle renferme des locutions qui ne peuvent s'expliquer aussi que par une parenté très intime entre les deux écrits. Par exemple, les mots ἀληθινὸς ϰαὶ μόνος θέος (43, 6, cf. Jean 17, 3) (Divers auteurs (Luthardt, Godet, etc.) allèguent encore comme preuve d'authenticité le passage Jean 21, 24 et 25 ; mais à tort, selon nous, puisqu'il émane plus probablement de S. Jean lui‑même. Voyez le commentaire. Le titre de l'Évangile, qui remonte très haut, est une meilleure garantie).

Ainsi donc, rien de plus clair, rien de plus explicite que le témoignage de l'antique Église relativement à l'auteur du quatrième évangile. Des voix multiples se succédant à de fréquents intervalles, et remontant jusqu'à l'époque où cet écrit sublime fut composé, prononcent le nom de l'apôtre S. Jean ou le supposent. Ou cet argument est infaillible, ou la traduction est un mot vide de sens (cf. Freppel, Les Pères apostoliques, Paris, 1859, p. 416 et ss.).


B. La tradition hétérodoxe vient du reste confirmer, comme pour les autres évangiles (voyez l'Évangile selon S. Matthieu, §.2 Authenticité du premier Évangile ; l'Évangile selon S. Luc, §.2 Authenticité du troisième Évangile), le résultat que nous avons obtenu. Elle se partage ici en trois branches, selon qu'elle représente les cercles judaïsants, les cercles gnostiques, le cercle païen. Hérétiques et païens venaient chercher dans l'évangile selon S. Jean une prétendue base pour leurs attaques ou pour leurs erreurs variées.

Dans le Testament des douze Patriarches, qui est évidemment antérieur à l'an 135, nous trouvons plusieurs expressions qui sont certainement empruntées à notre Évangile : φῶς τοῦ ϰόσμου, τὸ πνεῦμα τῆς ἀληθείας, μονογενής, θεὸς ἐν σαρϰί, ὁ ἀμνὸς τοῦ θεοῦ, πηγὴ εἰς ζωὴν πάσης σαρϰός. Les Homélies Clémentines citent des fragments complets, indépendamment des allusions plus rapides qui sont au nombre de quinze. « Le Vrai prophète a dit lui‑même : Je suis la porte de la vie : celui qui entre par moi entre dans la vie... Mes brebis entendent ma voix » (Hom. Clem. 3, 52, cf. Jean 10. 3, 9, 27). « A ceux qui l'interrogeaient, et qui lui demandaient : Est‑ce celui‑ci qui a péché, ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? Notre‑Seigneur répondit : Ce n'est pas celui‑ci qui a péché, ni ses parents, mais c'est afin que par lui soit manifestée la puissance de Dieu ». Cet extrait important de l'histoire de l'aveugle‑né (Jean 9, 1-3) n'a été découvert qu'en 1853, par Dressel, dans un manuscrit du Vatican. Il a arraché ce précieux aveu à Hilgenfeld : « L'évangile de Jean est employé sans scrupule même par les adversaires de la divinité du Christ, tel que Pseudo‑Clément, l'auteur des Clémentines » (cité par Godet, l. c., p. 249 ).

Passons aux partisans de la Gnose. Eux aussi, durant la première partie du second siècle, ils font un usage presque perpétuel de l'évangile selon S. Jean. C'est le cas pour les Ophites, que l'auteur des Philosophumena signale comme la secte gnostique la plus ancienne. Ils citaient notamment ce passage : « Le Sauveur a dit : Si tu savais quel est celui qui te fait cette demande, toi‑même tu te serais adressée à lui, et il t'aurait donné à boire de l'eau vive » (Philos. 5, 9). Qui ne reconnaît ici Jean 4, 10, 14 (comparez aussi Philos. 5. 12 et Jean 3, 17, etc.) ? C'est le cas pour le fameux Basilides, mort, d'après S. Jérôme (De viris illustrib., c. 21.) vers l'année 131. Dans ses commentaires évangéliques, dont les Philosophumena nous ont pareillement conservé quelques passages, on lisait : « Voici ce qui est dit dans les évangiles : C'était la lumière véritable qui éclaire tout homme (Philos. 7, 22, cf. Jean 1, 9)... Que chaque chose ait son temps propre ; c'est ce que le Sauveur déclare suffisamment dans ces mots : Mon heure n'est pas encore venue » (Philos. 7, 27, cf. Jean 2, 4). C'est le cas pour le non moins fameux Valentin, et pour ses disciples Ptolémée, Héracléon, Théodote, qui, lorsqu'ils essayaient de défigurer l'œuvre du disciple bien aimé pour la rendre favorable à leurs doctrines, ne pensaient guère qu'ils compteraient un jour parmi les meilleurs soutiens de son authenticité. S. Irénée a écrit une fort belle parole à ce sujet (Contre les Hérésies, 3,11, 7): «L’autorité des évangiles est si fermement établie que les hérétiques eux-mêmes en rendent témoignage. Et chacun s’efforce de confirmer sa doctrine par des citations de ces mêmes évangiles. Du fait que les disciples de Valentin se servent abondamment des textes de saint Jean, ils manifestent leur parenté spirituelle... » (Leurs syzygies ou couples d'éons. Voyez le commentaire de 1, 1) «Quand ceux qui nous contredisent se servent des évangiles, ils ne font que nous rendre témoignage. » (Tertullien, De prœscript., c. 38, fait une réflexion analogue à propos de l'emploi des évangiles par Valentin). Les rares fragments que S. Hyppolyte nous a conservés des écrits de Valentin confirment à merveille le mot de S. Irénée, s’en servent abondamment. « Il dit : Tous les prophètes et la loi ont parlé d'après le démiurge, le Dieu insensé ; c'est pourquoi le Sauveur dit : Tous ceux qui ont été avant moi sont des voleurs et des brigands » (Philosoph. 6, 35, cf. Jean 10, 8). L'appellation « prince de ce monde », qui désigne plusieurs fois le démon dans le quatrième évangile, était aussi employée par Valentin (Philos. 6, 33, cf. Jean 14, 30, etc.). Quant à Ptolémée, nous avons de lui des témoignages encore plus expressifs : car, d'une part, il annonce que Jésus lui‑même (et il cite ce nom) a parlé de l'ἀρχή, du μονογένης ϰαὶ θεός (Ap. Iren. Contre les Hérésies 1, 8,5) ; d'autre part, dans une lettre que S. Épiphane nous a conservée (Hæres. 33), il dit expressément : « L'apôtre déclare que la création du monde appartient au Sauveur, vu que toutes choses ont été faites par lui et que rien n'a été fait sans lui ». Et c'est là une citation littérale de S. Jean, 1, 3. La gradation ascendante se maintient pour Théodote, puisque nous trouvons jusqu'à vingt‑six passages de l'évangile selon S. Jean mentionnés dans les débris de ses ouvrages que Clément d'Alexandrie nous a transmis. Et elle va toujours progressant pour Héracléon, qui avait composé un commentaire complet de notre évangile (Vers 150 ou 160. Origène l'a réfuté pas à pas).

Nous avons aussi, chose bien étrange, le témoignage d'un païen en faveur du quatrième évangile. Dans son livre intitulé Ὁ ἀληθὴς λόγος (« La vraie parole »), qui parut vers 175, Celse se propose d'« immoler les chrétiens par leur propre glaive », ainsi qu'il s'exprime ironiquement, c'est-à-dire, de renverser leur religion au moyen des écrits qu'ils prétendent inspirés (voyez F. Vigouroux, Les Livres saints et la critique rationaliste, t. 1, p. 139 et ss., et la réfutation d'Origène, Contra Celsum). Il y cite fréquemment les quatre narrations évangéliques, relevant, parfois avec assez d'esprit, leurs contradictions apparentes, et il mentionne de nombreux détails de l'évangile selon S. Jean, en particulier le changement de l'eau en vin aux noces de Cana, le sang qui coula du côté de N.-S. Jésus‑Christ sur la croix, la doctrine du Logos.

Maintenant résumons. De quoi se compose la littérature chrétienne ou directement anti‑chrétienne du second siècle ? De quelques lettres, d'écrits apologétiques, d'un certain nombre de traités. Or, il se trouve que toutes ces œuvres, bien que pour la plupart elles ne nous soient parvenues qu'a l'état de fragments, témoignent chacune à sa manière que S. Jean est véritablement l'auteur de l'évangile qui porte son nom. Telle est notre preuve extrinsèque. On l'a dit à bon droit, (M. F. Sadler, The Gospel according to S. John, Londres 1883, p. 25) « il n'est pas un livre composé par un auteur païen qui puisse revendiquer, en faveur de son authenticité, la cinquième partie des preuves que nous alléguons pour l'évangile selon S. Jean ».

Et pourtant, l'on a trouvé des taches dans ce soleil ; et on les a peu à peu si démesurément grossies, qu'on a prétendu qu'elles obscurcissaient tous les rayons lumineux. Voici les faits. 1° Marcion, qui vint à Rome vers l'an 140 et qui fut l'un des premiers grands hérésiarques, rejetait le quatrième évangile. 2° S. Irénée mentionne une secte qui refusait également de le recevoir: «D’autres, pour être frustrés du don du Saint-Esprit qui, dans les derniers temps, sera, selon le bon plaisir du Père, répandu sur tout le genre humain, n’admettent pas la prophétie qui se trouve dans l’évangile de Jean, à savoir que le Seigneur promet qu’il enverra le Paraclet. Ils rejettent donc en même temps l’évangile et l’Esprit prophétique.» (Contre les Hérésies 3, 11, 9) 3° S. Épiphane (Hær. 51, 3, cf. Philastrius, Hær. 60) rapporte de son côté qu'une autre secte, à laquelle il donne le nom d'Alogi (ἂλογοι) (littéralement : « ceux qui sont sans Logos »), car ils n'admettaient pas la doctrine du Verbe ; ou bien, les « insensés », ce qui serait un sobriquet injurieux), attribuait la composition de notre évangile à Cérinthe.

Ces trois faits contrebalanceraient, au dire des rationalistes, toute la masse de preuves qu'on vient de lire ! En vérité, leur répondrons‑nous d'abord avec M. Schanz (Commentar, p. 10), « il est presque comique de ne pas trouver, dans ces témoignages émanés d'écrivains ecclésiastiques distingués, la plus petite chose qui ait la valeur d'un document historique, tandis que l'on transforme en un témoignage historique de premier ordre la contradiction des Alogi, ces hérétiques inconnus, dont S. Épiphane a écrit en propres termes: ὀλίγον μὲν τῆ δυνάμει ». (« Petit en puissance »). Mais entrons dans quelques détails.

Marcion ne voulait en effet d'autre évangile que celui qu'il avait composé lui‑même en mutilant S. Luc ; mais il connaissait les autres biographies de Notre‑Seigneur « publiées sous le nom des apôtres et aussi d'hommes apostoliques » (Tertullien, Adv. Marc. 4, 3), et il avait expressément reconnu d'abord l'authenticité de l'œuvre de S. Jean, comme le lui dit encore Tertullien : « Si tu n'avais pas rejeté les écrits contraires à ton système, l'évangile de Jean) serait là pour te confondre ». (De carne Christi, c. 3) Et pourquoi les avait‑il tout à coup retranchés de son canon ? En vertu d'un préjugé dogmatique, parce qu'ils ne cadraient pas avec le système religieux dont il était l'inventeur. Donc, sa conduite est plutôt un argument favorable à notre thèse, et déjà nos adversaires renoncent en grand nombre à l'alléguer.

Pas plus que Marcion les hérétiques obscurs dont parle S. Irénée ne contestaient que S. Jean fût l'auteur du quatrième évangile ; eux aussi, ils rejetaient son volume parce qu'il contredisait leurs erreurs relatives au Paraclet. N'est‑ce pas encore une nouvelle preuve à notre actif ? Quant aux Alogi, il est vrai qu'ils font exception, mais d'une manière absolument insignifiante. Ou plutôt, ne pouvons‑nous pas dire qu'ils confirment la règle ? En effet, 1° Cérinthe étant contemporain de l'apôtre S. Jean, lui attribuer la composition du quatrième évangile, c'était en reconnaître la haute antiquité. 2° Les Alogi n'appuient pas leur négation sur des bases historiques ou critiques, les seules qui aient quelque valeur en pareil cas ; mais, comme le prologue de S. Jean leur paraissait favoriser les erreurs de Cérinthe, ils se mirent à supposer que cet hérésiarque en était personnellement l'auteur. 3° Si les anciens écrivains ecclésiastiques ont été fidèles à relever les moindres contradictions dirigées contre le quatrième évangile, à plus forte raison auraient‑ils signalé les doutes sérieux, dans l'hypothèse ou il en eût existé de leur temps.


2° LES PREUVES INTRINSÈQUES.


Mais il est pour nous une démonstration non moins victorieuse : « c'est celle que nous tirons, non du dehors, mais du dedans. Ce portrait d'un être unique tracé par un peintre unique ; ces détails si précis qui indiquent le témoin oculaire ; cette signature de S. Jean si modeste, mais d'autant plus frappante ; cet esprit, ce cœur, ce génie de S. Jean exhalant à travers toutes ces pages je ne sais quel parfum de vérité qui dissipe le doute ; d'autre part, cette figure de Jésus‑Christ si haute, si sublime, si pure, si vivante, si humaine, qui n'a pu être observée que par un témoin ayant l'esprit, le cœur, la sincérité, la tendresse de S. Jean...: voilà une autre preuve indubitable de l'authenticité du quatrième évangile » (Bougaud, Jésus‑Christ p. 106-107 de la 4e édition. JM. Bougaud dit : « voilà la preuve suprême » ; ce qui serait inexact, car l'argument intrinsèque est inférieur au témoignage de la tradition).

Quelle réponse le quatrième évangile donne‑t‑il donc lui‑même aux chercheurs honnêtes, dépourvus de tout préjugé dogmatique, qui l'interrogent sur son authenticité ? Ici encore, malheureusement, nous ne pouvons fournir que des indications sommaires et un maigre abrégé de la preuve. Mais le lecteur studieux trouvera sans peine des documents pour nous compléter (Bacuez, Vigouroux, Manuel biblique, t. 3, p. 161-166 de la 4ème édition). On trouve les preuves intrinsèques surtout dans une lecture approfondie de l'Évangile selon S. Jean. Saint Jean ne se nomme pas directement, pas plus que S. Matthieu, S. Marc, et S. Luc ne s'étaient nommés avant lui. Nous pouvons toutefois conclure de l'ensemble et des détails de sa narration : 1° qu'il était Juif, 2°qu'il était originaire de Palestine ; 3° qu'il avait été témoin oculaire de la plupart des faits consignés dans son récit ; 4° qu'il appartenait au groupe des douze apôtres ; 5° qu'il n'était autre que Jean, fils de Zébédée. Voilà des sphères concentriques qui nous conduisent peu à peu, mais irrésistiblement et sûrement, au résultat cherché. Le cercle des auteurs possibles ira se restreignant au fur et à mesure que nous nous rapprocherons du point central : la dernière conclusion sera tout à fait inéluctable (ce genre d'augmentation ne s'applique pas de la même manière aux autres rédactions ; en effet, ce que les évangiles synoptiques nous suggèrent relativement à leurs auteurs ne va pas au‑delà de simples présomptions. Ici, nous arrivons à une certitude morale par ces rayons convergents.

Mais qu'on nous permette encore une réflexion préliminaire, Ceux qui prétendent que le quatrième évangile a été composé au second siècle sous le nom de S. Jean n'ont pas vu combien les circonstances de temps et de lieu se prêtaient peu à une pareille supercherie. Un faussaire qui eût voulu créer alors de toutes pièces une œuvre de ce genre aurait rencontré des difficultés insurmontables, et il se serait promptement et infailliblement trahi. En effet, l'état de la Palestine vers l'époque de N.-S. Jésus‑Christ (de l'an 1 à l'an 50 de notre ère) est unique dans toute l'histoire et d'une complication extrême. Les trois grandes civilisations du monde ancien s'y mêlent et s'y combinent étrangement : la civilisation juive, qui était celle de la masse des habitants ; la civilisation romaine, ou celle des conquérants et des maîtres du pays ; la civilisation grecque, qui avait pénétré assez avant dans certaines régions et dans certaines classes, soit par les idées philosophiques, soit par le langage. Ces trois éléments tantôt demeuraient strictement isolés, tantôt se compénétraient dans les plus minimes détails de la vie politique, sociale et religieuse. Par exemple, le recensement s'opérait en Palestine à moitié d'après les ordonnances romaines, à moitié d'après les coutumes juives (voyez Luc. 2, 3 et notre commentaire). Pour un trait propre à S. Jean, le crurifragium, 19, 31, M. Renan a été forcé de dire : « L'archéologie juive et l'archéologie romaine de ce verset sont exactes ». Seul un Juif contemporain de Notre‑Seigneur était donc capable de se reconnaître parmi de telles minuties, et de les exposer sans commettre bévue sur bévue ; pour un écrivain païen, même de cette époque et habitant la Palestine, c'était une véritable impossibilité, vu que les Juifs vivaient fièrement à l'écart, et que les païens témoignaient de leur côté le plus grand dédain à l'égard des mœurs israélites. A plus forte raison aurait‑ce été un problème insoluble pour un païen du second siècle, alors que Jérusalem était détruite, la nation juive dispersée, l'ancien état de choses totalement disparu. Aujourd'hui les études archéologiques, si justement aimées, permettraient jusqu'à un certain point de reconstituer la situation d'une contrée à telle ou telle date ; mais elles étaient alors complètement reléguées dans l'ombre. « Comment voulez-vous, pourrions nous‑dire après chaque détail, que des sectaires hellénistes d'Éphèse eussent trouvé cela » (E. Renan, Vie de Jésus, p. 452) ?


L'auteur du quatrième évangile était Juif. — Le doute n'est pas possible à ce sujet, car le style suffirait à lui seul pour nous convaincre. La langue est extérieurement le grec, et même un grec plus pur que celui de l'apocalypse (S. Jean avait pu apprendre le grec en Galilée durant son enfance, et son long séjour à Éphèse lui avait permis de parler couramment cette langue. La lettre de S. Jacques nous donne une idée assez juste du grec qui avait cours chez les Juifs de Palestine) ; mais le ton général, mais l'esprit qui anime les expressions, mais la construction des phrases (le parallélisme est fréquent dans le quatrième évangile. Voyez le §6), mais une partie notable du vocabulaire, tout cela est juif et hébraïque ainsi que l'affirment les meilleurs juges modernes et contemporains («Moins que les autres évangélistes il parlait le grec. Son texte abonde en phrases hébraïques. De la vient que la connaissance de la langue hébraïque n’est pas moins nécessaire que celle de la langue grecque pour déterminer le sens de ses phrases.» Tolet, dans son commentaire de l’évangile sacro-saint de Jean.» p. 1. « Le langage grec de l'auteur porte les traces les plus évidentes et les plus marquées d'un parfait Hébreu, lequel..., même sous le vêtement grec dont il apprit à se revêtir, respire encore tout le souffle de son idiome maternel. » Ewald, Die Johannischen Schriften, 1861, t. 1, p. 44 et suiv, cf. Credner, Einleitung in das Neue Testam., t. 1, p. 209, et Luthardt, Das Johanneische Evangelium, t. 1, p, 48-59 de la 2ème édit. Keim lui‑même, Gesch. Jesu con Nazara, t. 1, p, 116, reconnaît ce « mélange remarquable » de grec et d'hébreu). Peu ou pas de ces particules qui abondent dans le grec ordinaire ; pas de périodes, quoiqu'elles fussent si chères aux écrivains grecs, mais des phrases simplement alignées d'après ce qu'on a appelé l'ordre paratactique. Pourtant, les hébraïsmes proprement dits ne sont pas extrêmement fréquents (les plus fréquents consistent dans l'emploi de ἴδε, ἰδού (1, 29, 36, 48 ; 3, 26 ; 4, 35 ; 5, 14, etc,), et de la formule ἀμὴν ἀμὴν λέγω (1, 52 ; 3, 3 ; 5, 11, 19, 24, 25 ; 6, 26, 32, etc.), et dans l'association du substantif υἱός à un nom qui exprime une idée générale, afin de caractériser une personne ; par exemple, υἱοὶ φωτός, « filii lucis », 12, 36 ; υἱὸς ἀπωλείας, « fils de perdition », 17, 12) ; mais aucun Grec n'aurait pu écrire de la sorte.

La forme générale de notre évangile nous conduit au même résultat. Sans être directement destiné aux Juifs, comme celui de S. Matthieu, il traite les questions à un point de vue tout à fait israélite. Ainsi, la Palestine est le pays du Christ et les Hébreux forment sa nation spéciale. 1, 11 ; le temple est le palais du roi théocratique, 2, 16 ; le salut vient des Juifs, 4, 22 ; l'Écriture Sainte a une valeur perpétuelle, 10, 35 ; Moïse a écrit au sujet de N.-S. Jésus‑Christ, 1, 45 ; 5, 46 ; Abraham a vu « son jour », 8, 56. En outre, ce qui est beaucoup plus fort, la narration du quatrième évangile est constamment appuyée sur l'Ancien Testament comme sur sa base naturelle ; elle sort de là comme une tige sort de sa racine. L'auteur puise dans les livres sacrés d'Israël ses principales images et ses comparaisons : la femme qui enfante, 16, 21 (cf. Isaïe 21, 3 ; Osée 13, 13), le bon et le mauvais berger, 10, 1 et ss., (cf. Jérémie 2, 8 ; Ézéchiel 34, 7 ; Zacharie 11, 5), l'eau vive, 4, 10 (cf. Isaïe 41, 18), etc. Divers incidents bibliques sont pour lui des types du Messie : entre autres ceux qui concernent le serpent d'airain, 3, 14, la manne, 6, 32, l'agneau pascal, 19, 36. A la façon de S. Matthieu (cf. commentaire Mth. 1, 23), il cite diverses prophéties de l'Ancien Testament comme trouvant leur réalisation en Jésus‑Christ, et il emploie aussi la formule : « pour que l'Écriture s'accomplisse», cf. 13, 18 ; 17, 12 ; 19, 24, 28, 36, 37 ; 20, 9. Aucun autre qu'un Juif ne pouvait entrer en de pareils détails.

Notre évangéliste ne connaît pas moins à fond les coutumes soit civiles, soit religieuses, des Juifs contemporains de N.-S. Jésus‑Christ. Tout est instructif sous ce rapport : voyez ce qu'il dit de la législation criminelle, 8, 17 et 18, des fêtes nuptiales, 2, 6, de la sépulture, 11, 44 ; 19, 40 des impuretés légales, 18, 28, des purifications et ablutions, 1, 25 ; 2, 6 ; 3, 22, 23, 25 ; 4, 2 ; 11, 55 ; 19, 31, de la circoncision et du sabbat, 5, 1 ; 7, 22-23, de l'excommunication, 9, 22. Il sait pertinemment depuis quelle époque on travaille à la reconstruction du temple de Jérusalem, 2, 20. Il mentionne la plupart des fêtes juives : la Pâque, 2, 13, 23 ; 6, 4 ; 13, 1 ; 18, 26 ; les Tabernacles, 7, 2 ; la Dédicace, 10, 22, etc. Non seulement il les nomme, mais il groupe autour d'elles tout son récit, et il montre par des détails que leurs cérémonies, leur histoire, leur signification sont pour lui des choses très claires. Par exemple, les « Encénies » se célèbrent en hiver, 10, 22 ; à la Dédicace on a ajouté un huitième jour, qui est le plus solennel de la fête, 7, 37, etc. Un écrivain issu du paganisme n'aurait certainement pas insisté sur des choses de ce genre.

Même réflexion enfin à propos des idées et des sentiments qui avaient cours à cette époque chez les Juifs. Élie est l'objet de l'attente universelle, 1, 21 ; il existe une haine nationale très vive entre Israël et les samaritains, 4, 9, 20, 22 ; 8, 48 ; il est inconvenant pour un docteur de s'entretenir publiquement avec une femme, 4, 27 ; les écoles rabbiniques sont en haute estime, 7, 15; les pharisiens orgueilleux ont un souverain mépris pour le peuple illettré, 7, 49 et ss. (le portrait des Pharisiens est admirablement dessiné dans le quatrième évangile) ; on discute sur les relations de causalité qui peuvent exister entre le péché et les maux temporels, 9, 2. Surtout, avec quelle fraîcheur et quelle parfaite connaissance de son sujet l'auteur signale les traditions populaires, vraies ou fausses, qui concernaient le Messie. Voyez 1, 19-28, 45-49, 51 ; 4, 25 ; 6, 14, 15 ; 7, 26, 27, 31, 40-42, 52 ; 12, 13, 34 ; 19, 15, 21, etc ; Et tout cela coule de source, à chaque chapitre.


L'auteur du quatrième évangile était un Juif originaire de Palestine. — Nous en avons deux preuves principales : ses connaissances topographiques et ses citations de l'Ancien Testament.

Pendant un certain temps il a été de mode, dans le camp rationaliste, de mettre en avant les prétendues inexactitudes du quatrième évangile sous le rapport de la topographie. Mais nos adversaires ont renoncé à cet argument, car l'évidence des faits les y oblige. « Nous nous taisons, dit Keim (Geschichte Jesu von Nazara, t. 1, p. 133), sur cette rubrique des erreurs historiques et géographiques que l'on a coutume de signaler. On peut d'autant moins y croire, que l'auteur manifeste une connaissance passable du pays ». Oui assurément, une connaissance fort « passable », soit sur l'ensemble de la contrée, soit sur la capitale. Les localités petites ou grandes sont caractérisées tout le long du récit par des notes minutieuses, pittoresques, qui sont d'un vif intérêt pour le lecteur, sans avoir jamais rien d'affecté. Un faussaire étranger se serait bien gardé d'insérer ces divers détails qui auraient pu le compromettre, ou du moins il les eût regardés comme inutiles. Notre évangéliste sait qu'il existe deux villages appelés Béthanie, situés l'un au‑delà du Jourdain, 1, 28, l'autre à quinze stades de Jérusalem, 11, 18 ; il mentionne Bethsaïde comme la patrie non seulement de Pierre et d'André, mais aussi de Philippe, 1, 44. Le détail relatif à Nazareth n'est pas moins naïf que précis, 1, 46: « De Nazareth peut‑il y avoir quelque chose de bon »)? Cana est en Galilée, 2, 1 ; 21, 2 ; Ænnon près de Salim, et il y a beaucoup d'eau en cet endroit, 3, 23 ; Éphrem, la dernière retraite de Jésus, est à proximité du désert, 11, 54. Sichar est une ville de Samarie, bâtie dans la plaine fertile qui s'étend aux pieds du Garizim : de précieux souvenirs du temps des patriarches se rattachent à cette localité, surtout le champ et le puits de Jacob (la profondeur du puits, constatée par les voyageurs, est spécialement notée, 4, 11), 4, 5, 6, 20 (« Un Juif de Palestine ayant passé souvent à l'entrée de la vallée de Sichem a pu seul écrire cela », dit M. Renan). Le plateau qui domine la rive nord‑est du lac de Tibériade est couvert d'herbe au printemps, 6, 10. Le narrateur connaît à merveille tout ce qui concerne ce beau lac : il évalue les distances, 6, 19 ; il n'ignore pas que l'on peut aller à pied ou en bateau de Bethsaïde‑Julias à Capharnaüm, 6, 22-24 (voyez aussi 21, 6-11). Et c'est d'un tel écrivain que l'on a osé dire : « La contrée ne paraît pas très familière à l'auteur » (M. Réville, cf. Nicolas, Études critiques, p. 198).

Son exactitude n'est pas moins grande au sujet de Jérusalem, et ici la précision est d'autant plus remarquable, que la ville sainte avait été détruite d'assez longues années avant la composition du quatrième évangile. Non loin de la porte probatique se trouvait la piscine de Béthesda, aux cinq portiques, 5, 2. Jésus, à tel moment précis, prêcha dans la partie du temple nommée « gazophylacium », 8, 20 ; une autre fois, il se tenait sous le portique de Salomon quand une foule nombreuse l'entoura vivement, 10, 23. Autres particularités intéressantes touchant le Cédron (18, 1, 28), Gabbatha (19, 13), le Calvaire (19, 17 et 20), le jardin où Jésus fut enseveli (19, 41-42), etc. Évidemment l'auteur a vécu et voyagé dans le pays, il s'est mêlé au peuple, il a tout contemplé de ses propres yeux : c'est un Juif palestinien.

La méthode qu'il adopte pour faire les citations bibliques mentionnées plus haut nous conduit au même résultat. Un Israélite de la « Dispersion » (Διασπορά, cf. Jean 7, 35. On appelait ainsi les Juifs dispersés à travers le monde entier, en dehors de la Palestine), comme l'on disait alors, aurait cité l'Ancien Testament d'après la version des Septante, qui avait été précisément composée pour les Juifs parlant le grec : notre évangéliste n'emprunte rien aux Septante et traduit lui‑même directement sur l'hébreu. On a calculé qu'il insère dans son récit quatorze passages de la Bible. Sept de ces citations lui appartiennent en propre (2, 17, comp. Psaumes 58, 10 ; 12, 14, 15, comp. Zacharie 9, 9 ; 12, 38, comp. Isaïe 53, 1 ; 12, 40, comp. Isaïe 6, 10 ; 19, 24, comp. Psaume 21, 18 ; 19, 36, comp. Exode 12, 46 ; 19, 37, comp. Zacharie 12, 10) ; cinq sont faites par N.-S. Jésus‑Christ lui‑même (6, 45, comp. Isaïe 54, 13 ; 7, 38, voyez le commentaire ; 10, 34, comp. Psaume 71, 6 ; 13, 18, comp. Psaume 40, 10 ; 15, 25, comp. Ps. 35, 19), une par S. Jean Baptiste (1, 23, comp. Isaïe 40, 3), une par les Galiléens (6, 31, comp. Psaume 77, 24). Or, aucune d'elles ne concorde avec les Septante, quand ceux‑ci diffèrent de l'hébreu ; trois d'entre elles, au contraire (6, 45 ; 13, 18 ; 19, 37), sont en harmonie avec l'hébreu alors que le texte primitif est en désaccord avec la traduction d'Alexandrie (voici les faits. 6. 45, S. Jean a cette citation d'Isaïe, 54, 13 : Καὶ ἔσονται πάντες διδαϰτοὶ θεοῦ. Les Septante traduisant: Καὶ (θήσω) πάντας τοὺς υἱούς σου διδαϰτους θεοῦ, faisant dépendre ces mots du verset 12, ce qui n'a pas lieu dans le texte hébreu. — Jean 13, 18, nous lisons : Ὁ τρώγων μου τὸν ᾄρτον ἐπῆρεν ἐπʹ ἐμὲ τὴν πτέρναν αὐτοῦ, ce qui est conforme à l'hébreu. Les Septante ont modifié légèrement le texte original: Ὁ ἐσθίων ᾄρτους μου ἐμεγάλυνεν ἐπʹ ἐμὲ πτερνισμόν. Mais le passage Jean 19, 37, est le plus significatif des trois : Ὂψοντι εἰς ὂν ἐξεϰέντησαν (ךקרו ). Les Septante ont manqué le vrai sens : Ἐπιϐλέψονται πρὸς με ἀνθʹ ὧν ϰατωρχήσαντο.)


L'auteur du quatrième évangile a été témoin oculaire de la plupart des faits qu'il raconte. — Nous en avons une preuve directe et plusieurs preuves indirectes. La preuve directe consiste en trois passages où l'écrivain affirme en propres termes qu'il a contemplé de ses yeux ce qu'il raconte. 1° Jean 1, 14: « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous ; et nous avons contemplé (ἐθεασάμεθα) (expression très forte : voyez le commentaire) sa gloire. Un rapprochement avec le début de la première lettre de S. Jean ( 1 Jean 1, 1-3) se fait ici de lui‑même : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché concernant le Verbe de vie, — et la vie a été manifestée, et nous l'avons vue, et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons ». 2° Jean 19, 34-35 : « Un des soldats lui perça le côté avec une lance, et aussitôt il sortit du sang et de l'eau. Et celui qui l'a vu en a rendu témoignage, et son témoignage est vrai » (que penser de Baur et de Keim, d'après lesquels il s'agirait dans ces passages d'une vision purement spirituelle ?). 3° Jean 21, 24: « C'est ce disciple qui rend témoignage de ces choses, et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai » (voyez le commentaire. Ces lignes sont probablement encore de S. Jean lui‑même ; d'autres les regardent comme ajoutées par les « anciens » d’Éphèse. Peu importe pour la preuve qu'elles nous fournissent ici).

Les preuves indirectes nous démontrent aussi de la façon la plus évidente que si un écrit quelconque porte le cachet d'un témoin oculaire, c'est assurément l'œuvre de S. Jean. Elles consistent dans la nature si vivante et souvent autobiographique du récit, dans la mention si précise des circonstances de temps et de nombre.

Nous aurons à le redire en examinant le caractère du quatrième évangile (voyez le § 5), rien de plus vivant, de plus pittoresque que ses narrations. On voit que tout est peint d'après la réalité ; les acteurs se meuvent sous nos yeux parce qu'ils s'étaient mus d'abord sous ceux du narrateur. L'art et l'imagination ne sauraient agencer les choses avec un tel mélange de vérité et de simplicité. Il faut avoir « contemplé » soi‑même les scènes pour les raconter ainsi ; du reste, l'écrivain cite fréquemment sa propre expérience. Jean 2, 11 : « Jésus manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ». 2, 22 : « Lorsqu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela, et ils crurent ». 20, 8: « L'autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi ; et il vit, et il crut ». Et vingt autres détails analogues. Aussi, quelle parfaite exactitude dans les descriptions. On voit, à une simple lecture, que les moindres détails s'étaient en quelque sorte photographiés dans la mémoire de l'auteur. Cela est frappant non seulement pour les épisodes considérés dans leur ensemble, — choix des premiers disciples, 1, 38-51, vendeurs chassés du temple, 2, 13-17, entretien avec la Samaritaine, 4, 4 et ss., la femme adultère, 8, 1-11, guérison de l'aveugle‑né, 9, 6-7, le lavement des pieds, 13, 4, 5, 12, l'arrestation de Jésus, 18, 1-13, les détails de la Passion, 18 et 19, la visite au saint sépulcre, 20, 3-8, — mais encore et surtout pour de menus détails, qui attestent à chaque instant le témoin oculaire. Jean‑Baptiste jette un regard sur Jésus qui passe à quelque distance, 1, 35 ; Jésus, entendant qu'on le suit, se retourne, 1, 38 ; quand Marie répand le précieux parfum sur les pieds du Sauveur, la maison est remplie d'une agréable odeur, 12, 3 ; c'est la nuit noire lorsque Judas quitte le cénacle, 13, 30 ; Jésus interrompt son discours d'après la cène pour donner le signal du départ : Levez-vous, partons d'ici, 14, 31. Que ces indications suffisent, car le commentaire les relèvera d'ordinaire fidèlement.

Il faudrait de même copier une partie notable du quatrième évangile, si l'on voulait signaler à fond toutes les circonstances de temps et de nombre qui émaillent le récit et lui communiquent un caractère si net, si précis. Pour le temps, l'ordre chronologique, suivi très exactement, prouve que la biographie de Notre-Seigneur était demeurée présente, sous sa forme historique et réelle, dans l'esprit de l'écrivain sacré. Les époques, les jours, les heures même se dégagent de la narration et lui donnent du relief. Ce sont les fêtes juives, dont nous avons déjà parlé. C'est, à telle ou telle période, une série de jours déterminés (voyez 1, 29, 35, 43 ; 2, 1 ; 4, 40, 43 ; 6, 22 ; 7, 14, 37 ; 11, 6, 17, 39 ; 12, 1, 12 ; 19, 31 ; 20, 1, 26, etc.). C'est, en tel ou tel jour, la dixième heure, 1, 40, la sixième heure, 4, 6, la septième heure, 4, 52, environ la sixième heure, 19, 14, de grand matin, 18, 28 ; 20, 1 ; 21, 4, le soir, 6, 16 ; 20, 19, la nuit, 3, 2, etc. L'auteur y était, car il sait tout. Rien de plus remarquable aussi que sa connaissance exacte des nombres, soit pour les personnes, soit pour les choses : deux disciples, 1, 35, six amphores, 21, 6, cinq maris, 4, 18, trente‑cinq ans de maladie, 5 , 5, cinq pains et deux petits poissons, 6, 9, vingt‑cinq stades, 6, 19, trois cents deniers, 12, 5, cent livres, 19, 39, deux cents coudées, 21, 8, cent cinquante‑trois poissons, 21, 11. Et remarquez que ces détails se présentent partout, sans recherche, incidemment et très naturellement. Non, le faussaire « le plus raffiné » n'aurait pas été capable d'arriver à un pareil résultat.


L'auteur faisait partie du groupe des douze apôtres. — Il connaît trop bien et l'entourage le plus intime de N.-S. Jésus‑Christ, et Jésus lui‑même, pour n'avoir pas été personnellement un des Douze. Sous ce double rapport, le quatrième évangile nous fournit un plus grand nombre de détails spéciaux que les trois autres réunis.

Relativement aux disciples, notre évangéliste expose leurs pensées les plus secrètes, même des pensées qui parfois nous surprennent, et qu'aucun compositeur de fictions ne leur aurait attribuées. Voyez, 2, 11, 17, 22 ; 4, 27 ; 6, 19, 60 ; 12, 16 ; 18, 22, 28 ; 20, 9 ; 21, 12. Il est aisé de voir qu'il était lié avec plusieurs d'entre eux (André, Philippe, Nathanaël, surtout Simon‑Pierre, chap. 1 et 21). De bonne heure il a percé à jour les ignobles sentiments du traître (cf. 6, 70, 71 ; 11, 6 ; 13, 2, 27). Il peut indiquer les lieux de leurs retraites (18, 2 ; 20, 19), les paroles qu'ils échangèrent dans l'intimité soit entre eux, soit avec leur Maître (4, 31, 33 ; 9, 2 ; 11, 8, 12, 16 ; 16, 17, 29, etc.).

Relativement à Jésus, quel riche trésor de souvenirs personnels il s'était formé peu à peu. Et tous ces souvenirs prouvent qu'il avait longtemps vécu lui‑même dans son entourage immédiat. Il a dû s'associer dès le début au Sauveur sur les bords du Jourdain, 1, 19 et ss., l'accompagner aux noces de Cana, puis à Jérusalem, puis en Judée et en Samarie, 2-4. Il était avec lui et avec les autres apôtres au moment de la multiplication des pains et du discours qui la suivit, 6. Il lit au cœur sacré de Jésus les sentiments qui l'animaient (11, 33, 38 ; 13, 21), les motifs qui le faisaient agir (2, 24, 25 ; 4, 1, 3 ; 5, 6 ; 6, 6, 15 ; 7, 1 ; 13, 1, 3, 11 ; 16, 19 ; 18, 4 ; 19, 28). Partout, on voit en lui le disciple, l'apôtre privilégié. Au surplus, un homme revêtu de l'autorité apostolique pouvait seul, vers la fin du premier siècle, alors que la tradition s'était formée sur la vie de Jésus avec les synoptiques pour base, publier une biographie nouvelle, si différente des anciennes sur plusieurs points et semblant même parfois les contredire.


L'auteur n'est autre que l'apôtre S. Jean. — Ici, le cercle se referme et nous arrivons à une certitude à peu près complète. En premier lieu, les relations des synoptiques nous ont appris que parmi ses apôtres, Jésus avait eu trois amis plus favorisés que les autres : S. Pierre, S. Jacques le Majeur et S. Jean. Or S. Jacques fut martyrisé dès l'année 44 (cf. Actes 12, 2) : on ne saurait songer à lui pour la composition du quatrième évangile. S. Pierre non plus ne saurait avoir écrit une telle œuvre ; car, d'une part, il reçut lui aussi la couronne du martyre avant l'époque de sa publication, et, d'autre part le style et la manière de notre évangéliste diffèrent totalement du genre de S. Pierre comme homme et comme écrivain (voyez les lettres de S. Pierre). Jean seul demeure ; et même il était l'unique survivant de tout le groupe des douze apôtres quand parut l'écrit évangélique qui porte son nom.

En second lieu, il existe un rapport de ressemblance très étroit entre l'âme si calme, si délicate, si tendre, si contemplative de S. Jean et le caractère de l'évangile que nous étudions (voyez plus bas, § 5). L'identité de style entre cet écrit et la première lettre du disciple bien aimé n'est pas moins saisissante.

En troisième lieu, l'auteur de notre évangile, qui marque avec tant de soin les distinctions de lieux et de personnes, pour éviter toute possibilité de confusion (les deux Cana, les deux Béthanie, Jude et Judas, etc.), omet totalement l'une des plus importantes, notée vingt fois par les synoptiques : celle qui concerne Jean‑Baptiste et Jean, fils de Zébédée. Pour lui, le Précurseur est Jean sans plus de précisions ; c'est qu'il est lui‑même l'autre Jean, et que, ne se nommant pas, il juge la confusion impossible.

Enfin, ce silence même qu'il garde à son propre sujet, au sujet de son frère et de sa mère, tandis qu'il nomme si volontiers les autres apôtres (S. André quatre fois, S. Philippe deux fois, Nathanaël et S. Thomas cinq fois chacun, S. Jude une fois, Judas Iscariote huit fois, S. Pierre jusqu'à trente‑trois fois), n'est‑il pas une autre clef du mystère ? Sa modestie l'a empêché de parler de lui autrement que sous le voile de l'anonyme (le récit de S. Jean est en effet complètement « subjectif », ainsi qu'on l'a dit à bon droit ; les narrations antérieures sont au contraire « objectives », et nettement liées à la personnalité de leurs auteurs) ; mais il a trahi par là-même le secret qu'il voulait taire .

Ne sommes‑nous pas maintenant en droit de conclure que les preuves intrinsèques s'associent de la façon la plus énergique aux témoignages externes, pour démontrer que le quatrième évangile est vraiment l'œuvre de l'apôtre S. Jean ?  « Si, à défaut de renseignements historiques, on devait, d'après de simples vraisemblances, découvrir parmi les apôtres ou les disciples de Jésus l'auteur de cet évangile, les savants s'arrêteraient bien vite à S. Jean, tant le caractère de cet apôtre et les circonstances de sa vie se révèlent clairement dans ce livre » (De Valroger, Introduction historique et critique aux livres du Nouveau Testament, t. 2, p. 92.).


3° LES RATIONALISTES ET LEURS SOPHISMES.


Sur ce point également, nous devrons nous borner à des indications rapides et sommaires. Le but de nos commentaires est en effet d'exposer, non pas de réfuter ; ou plutôt, nous espérons avoir souvent renversé d'une manière indirecte les fausses théories de nos adversaires, en établissant le vrai sens des textes, à la suite de nos grands maîtres les Pères et les Docteurs. D'ailleurs, pour une réfutation complète, qui suivrait pas à pas l'erreur dans tous ses méandres, c'est un volume entier qu'il faudrait (témoin M. Godet, qui a dû consacrer tout un volume de 366 pages à son introduction au quatrième évangile, parce qu'il a voulu répondre à la plupart des arguments rationalistes ; et encore est‑il forcément demeuré incomplet. Ses réponses sont du reste celles d'un savant et d'un homme de foi, quoique certaines théories protestantes se fassent jour çà et là).

Un mot d'abord sur l'historique de la question. Entre les Alogi mentionnés ci‑dessus et la fin du 17ème siècle, aucun doute, aucune attaque à signaler. Bien des hérésies se succèdent, qui nient tour à tour les dogmes les plus sacrés ; mais l'évangile selon S. Jean reçoit de toutes parts le respect traditionnel. Le déiste anglais Edouard Evanson fut le premier à prétendre que cet écrit sublime avait été composé au second siècle, par un platonicien converti (The dissonance of the four generally received Evangelists and the evidence of their respective authenticity examined, Ipswich, 1792). Deux excellentes ripostes firent rentrer Evanson dans le silence, et l'Angleterre fut pour longtemps délivrée de cette douloureuse controverse (cf. Priestley, Letters to a young man, 1793 ; Simpson, An Essay on the authenticity of the N. Test, 1793).

Mais la négation ne tarda pas à passer en Allemagne, où de nombreux opuscules, aussi hardis que peu scientifiques, la firent retentir sous les formes les plus variées : Vogel, au ton badin et léger (Der Evangelist Johannes und seine Ausleger vor dem jüngsten Gericht, 1781), et le sentimental Herder (Von Gottes Sohn, der Welt Heiland, Riga 1777) méritent seuls une mention à part dans cette foule insignifiante. Il y eut aussitôt de savantes réfutations, entre autres celles du professeur catholique L. Hug et du docteur protestant Eichhorn, dans leurs Introductions au Nouveau Testament, fréquemment rééditées (la première édition de Hug parut en 1808, celle de Eichhorn en 1810). Une réaction fut produite, et les opposants réduits au silence en Allemagne comme précédemment en Angleterre.

Environ dix ans plus tard, les fameux Probabilia de C. G. Bretschneider, audacieux sous un titre modeste (voici le titre complet : Probabilia de evangelii et epistolarum Joannis apostoli indole et origine eruditorum judiciis modeste subjecit. Leipzig 1820), recommencèrent un débat que l'on espérait à jamais terminé. Cet ouvrage était beaucoup plus sérieux que tous ceux qui avaient paru jusqu'alors, et au fond il est demeuré l'arsenal dans lequel tous les ennemis subséquents du quatrième évangile sont venus chercher des armes. Bretschneider met habilement S. Jean en opposition perpétuelle avec les synoptiques, il reproche à l'auteur de notre évangile de nombreux manquements contre l'histoire et la géographie, il prétend qu'il n'a pu être ni un témoin oculaire, ni un Juif, ni un apôtre : c'était, dit‑il, un chrétien issu du paganisme, qui vivait au début du second siècle. Un grand mal fut produit. Toutefois, il y eut aussi, et sur le champ, de si solides réfutations (« Le cœur chrétien était en cause », a dit éloquemment le Dr Lücke, qui composa alors son beau commentaire pour répondre à Bretschneider. Et quand on s'attaque au cœur chrétien, il sait défendre admirablement ce qu'il aime. Voyez J. van Oosterzee, Das Johannes‑evangelium, vier Vortræge, 1867), que Bretschneider lui‑même battit ouvertement en retraite au bout d'un an ; il assurait, avec plus ou moins de sincérité, que sa conduite avait eu pour but de rendre la vérité plus manifeste en provoquant un examen tout-à-fait sérieux de la question. A partir de ce moment, nouvelle période de calme. Un courant contraire ne tarda même pas à s'établir, grâce à Lücke et à Schleiermacher, qui firent la part trop belle à S. Jean aux dépens des évangélistes synoptiques (il est bon de remarquer que les fausses réactions de ce genre n'ont pas lieu dans l'Église catholique, dirigée par le magistère infaillible).

Mais voici qu'en 1835 la lutte éclata encore avec violence, provoquée par le trop célèbre Dr F. Strauss et sa Vie de Jésus (Das Leben Jesu kritisch bearbeitet, Tubinguen 1835-1836). Si presque tout est « mythe » dans les narrations évangéliques, leurs auteurs sont naturellement des faussaires : Strauss n'a pas daigné en dire plus long sur ce dernier point. Vers le même temps, Lützelberger se mit à nier, comme nous l'avons vu, la possibilité d'un séjour de S. Jean à Éphèse, renversant du même coup, pensait‑il, toute la tradition relative à l'auteur du quatrième évangile. Les trois principaux disciples de Strauss, F. Baur (Ueber die Composition und den Charakter des Johann. Evangeliums, dans les Theolog. Iahrbücher, 1844. Mgr Haneberg, Commentar, p. 20, regarde Baur comme étant « sans doute le plus important des adversaires de l’Évangile selon S. Jean »), Zeller (Theolog. Iahrbücher, 1845 et 1847) et Schwegler (Der Montanismus, 1841, et Theolog. Iahrbücher, 1842), se mirent d'accord, malgré des nuances très grandes d'argumentation, pour rejeter la composition de l'œuvre dite de S. Jean à la seconde moitié du 2ème siècle. De même Hilgenfeld (Das Evangelium and die Briefe Johannis, 1849 ; Der Passastreit und das Evangel. Johann. dans les Theolog. Iahrbücher 1849 ; plus récemment, Einleitung in's N. Testament, Leipzig 1873) et Volkmar (en divers articles de revues et divers opuscules), dont les motifs furent cependant tout autres. A ces attaques multiples on répondit de nouveau avec vaillance : les champions les plus remarqués de l'authenticité furent alors les Dr Thiersch (Versuch zur Herstellung des histor. Standpunktes für die Kritik der neutest. Schriften, 1845 ; Einige Worte über dis Aechtkeit der neutest. Schriten, 1846), Ebrard (Das Evangelium Johannis and die neueste Hypothese über seine Entstehung, 1845), Bleek (Beitræge zur Evangelien‑Kritik, 1846) et Luthardt (Das Evangelium Johannis nach seiner Eigentümlichkeit geschildert, 1852).

Une paix relative régna jusqu'au moment où M. Keim vint ouvrir le dernier stade de cette triste lutte. Dans l'introduction de l'ouvrage si érudit, mais si rempli d'erreurs, qui lui a valu en peu de temps une réputation européenne (Geschichte Jesu von Nazara, 1867-1872), il emploie les moyens les plus radicaux pour enlever à S. Jean son titre de rédacteur du quatrième évangile : la tradition entière a été faussée et ne mérite pas la moindre créance (voyez ci‑dessus les allégations de Keim à propos du séjour de S. Jean à Éphèse). Cependant il fut obligé, par l'existence même des témoignages, à reculer la composition jusque vers les premières années du second siècle. Le débat recommença alors en Angleterre, où Davidson (Introduction to the study o the N. Test., Londr. 1868, t. 2) et l'auteur anonyme du livre intitulé Supernatural Religion (la première édition parut à Londres en 1874 ; une sixième était déjà devenue nécessaire en 1875) se rangèrent parmi les adversaires de l'authenticité. Parmi les réfutations nombreuses suscitées par cette recrudescence d'attaques, nous citerons celles de M. l'abbé Deramey (Défense du quatrième Évangile, Paris 1868), du vénérable et infatigable Dr Luthardt (Das Johanneische Ursprung des vierten Evangeliums, Leipzig 1874), de M. E. Leuschner (Das Evangelium Johannis und seine neuesten Widersacher, Halle 1873), et de M.W. Beyschlag. Elles ont plus d'une fois forcé les « critiques », ainsi qu'ils se nomment fièrement, de chanter la palinodie et de revenir à l'opinion traditionnelle. D'autres fois, elles les ont obligés de recourir à des moyens termes par lesquels ils avouaient malgré eux leur défaite. C'est ainsi que M. Renan, dans la treizième édition de la Vie de Jésus (Paris 1867), en est venu à reconnaître que notre évangile avait été rédigé à Éphèse, d'après le récit de l'apôtre S. Jean, peut- être même dicté par lui. M. Michel Nicolas (Études critiques sur la Bible : Nouveau Testament, 1862), Weizsæcker, Schenkel et plusieurs autres ont adopté des conclusions analogues.

Passons à quelques objections de détail, et voyons quelle est leur valeur. Mais, si c'était le lieu, qu'il serait intéressant de faire ressortir, d'une part les contradictions perpétuelles dans lesquelles s'embarrassent les rationalistes au sujet de l'évangile selon S. Jean (cf. J. P. Lange, Das Evang. nach Johannes, p. 21 de la 3è édition. Les uns rejettent le quatrième évangile comme trop idéal, les autres comme trop réaliste. D'après les uns, c'est un Samaritain qui l'a composé ; d'après les autres, il est l'œuvre de l'Église même. Les uns pensent que les erreurs Valentiniennes ont eu pour base la doctrine de S. Jean ; les autres regardent au contraire ces erreurs comme la source à laquelle a puisé le faussaire. Etc. « C'est ainsi que la critique... s'anéantit elle‑même de la façon la plus frappante »), de l'autre leurs coups d'autorité et « le ton de hautaine assurance » qu'ils affectent (Le Dr Scholten écrivait dans un de ses ouvrages les plus récents, Der Apostel Johannes in Kleinasien, p. 89 : « Que le quatrième évangile ne puisse provenir de l'apôtre Jean, c'est un résultat de la critique historique, qui est reconnu avec une unanimité toujours plus grande, par tous ceux dont l'œil n'est obscurci par aucun préjugé dogmatique ». Nous avons lu plus haut des affirmations non moins pédantes du Dr Keim). Ce sont là des preuves qu'ils sentent leur extrême faiblesse.

Des objections de deux catégories nous sont présentées : les unes, très nombreuses, d'un caractère intrinsèque ; les autres, deux tout au plus, de l'ordre externe.

Les objections tirées du livre même. — Évidemment nous ne signalerons que les principales. La première, que l'on retrouve le plus fréquemment et sous des formes très variées, consiste dans la prétendue contradiction qui se manifesterait d'une manière incessante entre la narration de S. Jean et les trois récits des synoptiques. « Les faits et les discours les mieux attestés des évangiles primitifs sont de la façon la plus arbitraire séparés ou associés, diminués ou augmentés. Au lieu de la Galilée c'est la Samarie et Jérusalem ; ce sont des voyages de fête de manière à perdre haleine, au lieu de missions paisibles ; deux années d'enseignement au lieu d'une seule, un philosophe et un théologien chrétien au lieu du Baptiste national indépendant, une mère croyante au lieu d'une mère qui doute, un seul disciple favori au lieu de trois privilégiés, des énigmes sur la sagesse au lieu d'une prédication populaire, le rejet de la loi (mosaïque) au lieu de sa préservation, des retraites au lieu des vifs combats de la fin, le lavement des pieds au lieu de la dernière cène, au lieu de l'angoisse le calme et le triomphe, au lieu des sbires juifs une cohorte romaine, au lieu du Sanhédrin un tribunal impérial, au lieu du messianisme un royaume de la vérité prêché aux oreilles de Pilate ; bref, qui pourrait nommer toutes les divergences » ? Nous empruntons à Keim ce résumé qui est assez bien présenté (Geschichte Jesu, t. 1, p. 45). Tout différerait donc : les faits, la doctrine, les discours, le portrait d'ensemble. Par conséquent, si les évangiles de S. Matthieu, de S. Marc et de S. Luc sont authentiques, l'œuvre de S. Jean tombe par là même. — Nous apportons une réponse développée dans notre Introduction générale aux Saints Évangiles, où les relations des synoptiques et de S. Jean sont traitées à fond. Dès à présent, nous répondons que si les dissemblances existent, elles sont étrangement exagérées par nos adversaires, et qu'elles s'expliquent très bien, par les genres et les buts divers des écrivains sacrés (voyez plus loin, le §3 et le § 4) ; du reste, la ressemblance est encore plus saisissante, et nous reconnaissons aisément dans les deux tableaux le même Jésus, le même Christ, le même fils de Dieu. Que de détails en paroles ou en actes, dans les synoptiques, que l'on croirait empruntés à S. Jean (cf. Matth. 2, 15 ; 3, 3, 17 ; 11, 19, 26-30 ; 16, 16 ; 26, 64 ; 28, 1,8 ; Marc. 1, 2 ; 2, 28 ; 12, 35 ; 13, 26 ; 16, 19 ; Luc. 1, 16-17 ; 2, 11, etc.), et réciproquement, combien de détails du quatrième évangile qui rappellent ceux des trois premiers (cf. 2, 14 ; 5, 19 ; 6, 3, etc.). Nous avons plusieurs fois insisté là-dessus dans nos commentaires antérieurs, et pareillement dans ce volume (voyez une bonne réfutation détaillée de ces prétendues antilogies dans G. K. Mayer, Die Æchtheit des Evang. nach Johannes, 298-455, cf. Westcott, St. John's Gospel, p. 78 et ss. Sur les discours de N.-S. Jésus‑Christ dans S. Jean, voyez le § 5, et Corluy, Commentarius in Evangelium S. Joannis, p. 15-16 de la 2ème édit.). Pour les idées théologiques, il est impossible de prouver que le moindre trait daterait seulement du second siècle, et ne s'harmoniserait pas avec le reste de la prédication évangélique. Les assertions des rationalistes à ce sujet sont absolument arbitraires et sans base réelle. Nous dirons, dans le commentaire, à qui S. Jean emprunta la doctrine du divin Logos. Une seconde objection intrinsèque est tirée de la différence marquée, soit de forme, soit de fond, qui existe entre l'Apocalypse et le quatrième évangile. L'un ou l'autre de ces écrits est certainement inauthentique, nous assure‑t‑on. Ici encore, nous répondrons que les divergences ont été beaucoup trop accentuées dans l'intérêt de la cause qu'on veut soutenir, et qu'elles peuvent s'expliquer aisément. L'Apocalypse est écrite en un grec moins pur, et cela se conçoit sans peine si l'on songe qu'elle est notablement plus ancienne, et que S. Jean eut ensuite le temps d'accroître sa connaissance de la langue grecque pendant son séjour prolongé à Éphèse. Pour le fond, les idées diffèrent parce que le genre diffère aussi : un livre prophétique et un écrit historique peuvent‑ils donc reproduire identiquement les mêmes théories ? Mais malgré cela, et Baur lui‑même l'a reconnu (voyez Schanz, Commentar, p. 13), les coïncidences d'ensemble et de détail sont vraiment frappantes entre les deux écrits sacrés. De part et d'autre, langage « saturé » de l'Ancien Testament ; de part et d'autre, Jésus‑Christ, figure centrale : autour de lui un double mouvement, celui de l'amour et celui de la haine ; de part et d'autre, même richesse et profondeur de pensées. Rien ne s'oppose à ce qu'ils aient eu un seul et même auteur (cf. Westcott, l. c., p. 84 et ss. ; Drach, L'Apocalypse, Paris 1883, p. 10 et 11).

Mais S. Jean ne saurait avoir composé un évangile où il se met personnellement en scène d'une manière si peu modeste, où il manifeste en particulier « un sentiment de rivalité jalouse » à l'égard de S. Pierre (Weizsæcker, Baur, Hilgenfeld, M. Renan. Ce dernier ajoute, pour renforcer l'argument d'après un fait connexe, «la haine particulière de notre auteur contre Judas de Kérioth ». « Quelle puérilité ». nous écrierons‑nous avec un commentateur. Comment lit‑on les textes, quand on en déduit ainsi des conclusions diamétralement opposées à la vérité ? S. Jean manquant de modestie. Mais s'il était si désireux de paraître, pourquoi le voile de l'anonyme et cette manière délicate, impersonnelle de se mettre en scène? Il s'appelle, il est vrai, « le disciple que Jésus aimait » ; la gratitude ne l'y obligeait‑elle pas ? Il est du reste vraisemblable qu'on s'était mis de bonne heure dans l'Église à le désigner par ce beau nom. S. Jean froissé du rôle prépondérant que les synoptiques attribuent à S. Pierre. Mais alors, pourquoi a‑t‑il contribué autant qu'eux à exalter ce rôle ? Qu'on parcoure les passages 1, 41, 42 ; 6, 68 ; 13, 6, 24 ; 18, 10 ; 20, 2, 6-8 ; 21, 2, 3, 7 ; 2, 15-22, et l'on verra si l'écrivain qui a consigné dans son récit de telles lignes pouvait éprouver le plus petit « sentiment de rivalité jalouse » à l'égard du prince des apôtres (M. Godet se demande à bon droit s'il est permis de « tordre ainsi le sens » d'un récit).

Moins ridicule, l'objection, tirée de ce qu'on appelle l'anti‑judaïsme de l'auteur, est pareillement dénuée de tout appui. Ce qui a été dit plus haut des relations du quatrième évangile avec l'Ancien Testament suffit pour le démontrer (« Si je voulais citer tous les passages où l'on rencontre des idées, des manières de voir, des expressions figurées, des symboles venus de l'Ancien Testament, je devrais copier la moitié de l'évangile » dit à bon droit Luthardt, Commentar, t. 1, p. 131). Que s'il appelle à chaque instant les chefs de la théocratie des « Juifs » (οἱ Ἰουδαῖοι), dans un sens apparemment hostile, il ne fait que se conformer à la réalité des faits, et ce n'est certes pas lui qui ouvre le combat. Évidemment le christianisme avait brisé avec le judaïsme, mais pas dans le sens marqué par les rationalistes. Le commentaire de quelques textes incriminés (8, 17 ; 10, 34 ; 15, 25) convaincra le lecteur que les prétendues autres traces d'antinomisme disséminées, nous dit‑on, à travers le récit, ne sont rien moins que de l'antijudaïsme et de l’antinomisme (voyez Müller, De nonnullis doctrinæ gnosticæ vestigiis quœ in quarlo evangelio inesse feruntur dissertatio, Fribourg en Brisgau 1883, p. 17 et ss. Baur et ses disciples concluent de Galates 2, 9, et du livre des Actes, que S. Jean était un judaïsant très actif).

Enfin, un écrit où fourmillent les erreurs géographiques et historiques ne saurait avoir été composé par l'apôtre S. Jean. Nous avons vu précédemment à quoi il faut nous en tenir sur ce point. Un seul détail mérite d'être signalé à part : Caïphe nommé « grand-prêtre cette année là » à deux reprises, 11, 49, 51 ; 18, 13, tandis que, d'après la loi juive, les grands‑prêtres gardaient toujours leurs fonctions jusqu'à leur mort. Mais on verra aussi, au commentaire de ces passages, l'exactitude étonnante d'une telle expression.

Restent donc les difficultés de l'ordre externe. — Nous osons à peine mentionner la première, tant elle nous paraît humiliante pour ceux qui la proposent. Le quatrième évangile ne serait pas, aux yeux de l'école rationaliste, suffisamment accrédité par la tradition ; les anciens témoins n'auraient pas parlé en sa faveur d'une manière assez explicite. Nous savons, d'après la première partie de ce paragraphe, à quoi nous en tenir là-dessus. Des hommes qui vivent dix‑huit cents ans après la publication d'un ouvrage mettent en question, relativement à son authenticité, le témoignage d'autres hommes qui vivaient vers l'époque même où il paraissait. Lesquels méritent davantage notre confiance (voyez le développement de cette preuve dans Sadler, The Gospel according to St. John, p. 11, 17 et 18).

Du moins nos adversaires tiennent en réserve, comme une ancre de dernière espérance, la preuve que leur fournit la conduite des Quartodécimans. Voici le résumé de l'objection. Dans la lutte célèbre qui s'engagea au second siècle à propos du jour précis où l'on devait célébrer la Pâque chrétienne, les évêques d'Asie Mineure, en particulier S. Polycarpe et S. Polycrate, s'appuyaient sur l'apôtre S. Jean pour solenniser toujours le 14 nisan, à la façon des Juifs (cf. Eusèbe. Hist. eccles., 5, 24, 16, et les textes cités plus haut). Or, d'après le quatrième évangile (Jean. 13, 1 ; 18, 28 ; 19, 14), Jésus aurait lui‑même célébré la Pâque d'une manière anticipée, c'est-à-dire avant le 14 nisan. D'où il suit que cet évangile ne saurait avoir l'apôtre S. Jean pour auteur, puisqu'il contredit la tradition qui prenait précisément pour base la manière de faire du disciple privilégié (voyez Bretschneider, Probabilia, p. 109 et ss. ; Baur, Kritische Untersuchungen, p. 354 et ss. ; Hilgenfeld, Der Passastreit der alten Kirche, 1860). Mais, fausse hypothèse, répondrons‑nous d'abord ; car, ainsi que nous l'admettons de plus en plus avec la grande majorité des exégètes (voyez comm. sous Mth.26,17-19, l'Evang. Mc.14, 12-25 ; Luc, 22, 7-30, et le présent commentaire aux chap. 13 et 18), N.-S. Jésus‑Christ, pour la date comme pour le reste, se conforma en tous points aux coutumes juives touchant la célébration de la Pâque. Et, par impossible (du moins suivant notre opinion), quand même il deviendrait certain que Jésus anticipa la Pâque juive, l'argument de nos adversaires porterait encore à faux, comme le Dr Schürer - un rationaliste, pourtant - l'a démontré. En effet, la controverse pascale ne portait nullement sur ce point : Quand est‑ce que Jésus‑Christ a célébré la Pâque ? Mais sur celui‑ci : Les chrétiens doivent‑ils conserver pour cette fête le même jour que les Juifs, ou modifier leur calendrier.

Concluons. En regard de la preuve invincible que nous fournit la tradition, en regard de la preuve si énergique en son genre que nous pouvons puiser dans l'œuvre même de S. Jean, les rationalistes ne peuvent placer que des sophismes, lesquels, bien loin d'infirmer en rien ces deux arguments, en relèvent au contraire la force admirable (« Ceux qui, depuis qu'on a commencé à discuter cette question, ont été réellement au courant de ce qui la concerne, n'ont jamais pu avoir ou n'ont jamais eu un moment de doute. A mesure que les attaques contre S. Jean sont devenues plus violentes, la vérité, durant les dix ou douze premières années, a été de plus en plus solidement établie, l'erreur a été refoulée dans les coins les plus cachés, et en ce moment les faits que nous avons devant nous sont tels qu'aucun homme, à moins de vouloir en connaissance de cause choisir l'erreur et rejeter la vérité, ne peut avoir l'audace de prétendre que le quatrième évangile n'est pas l'œuvre de l'apôtre Jean ». C'est le Dr Ewald, un rationaliste aussi, qui écrivait naguère ces lignes à l'occasion de la Vie de Jésus de M. Renan, Gœllinge Geleherte Anzeigen, août 1883).



§ 3. — L'OCCASION, LES SOURCES, LE BUT DU QUATRIÈME ÉVANGILE.


l. L'occasion. — Une tradition non moins ancienne que permanente affirme que S. Jean composa son évangile sur la demande pressante et réitérée soit des prêtres, soit des fidèles d'Asie‑Mineure. « À la demande de ses disciples, de ses condisciples (d'après quelques auteurs, ce mot désignerait ceux des disciples immédiats de Jésu qui vivaient encore) et de ses évêques, saint Jean dit : «Jeûnez tous ensemble pour moi pendant trois jours, à partir d’aujourd’hui, et ce qui sera révélé à chacun, chacun le racontera à tous.» La nuit même, il fut révélé à l’apôtre André que, comme tous reconnaissaient que le témoignage de Jean est vrai (Jean, 21-24), c’est lui qui écrirait tout en son nom». Ainsi écrivait, dès la fin du second siècle, l'auteur du fragment de Muratori (quoique plusieurs faits, notamment l'intervention de S. André, semblent légendaires, l'attestation principale demeure). Clément d'Alexandrie, vers la même époque, nous fournit un renseignement analogue, quoique plus concis : προτραπέντα ὑπὸ τῶν γνωρίμων ( Ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 6, 14). S. Victorin de Pettau, en Pannonie, martyrisé l'an 303, s'exprime en ces termes : « Comme Valentin, Cérinthe et Ébion, et d’autres de l’école de Satan répandaient leurs hérésies dans le monde habité, tous se rendirent auprès de Jean, et le contraignirent à rendre lui-même un témoignage par écrit.» (Migne, Patrol. græca, t. 5, col. 333). Les témoignages d'Eusèbe (Hist. eccl, 3,24) et de S. Jérôme sont identiques. «Jean, dit l’auteur Des Hommes Illustres, (c. 9, ) a été contraint d’écrire par presque tous les évêques d’Asie et des délégations de plusieurs églises.» Rien de plus naturel, du reste, qu'une telle demande, à une telle époque. Le disciple bien aimé avait atteint les limites de la vie humaine, et c'était alors un temps de crise, à cause des hérésies naissantes : les évêques et les chrétiens d'Asie pensaient à bon droit qu'il y aurait une extrême utilité pour l'Église à posséder, dans un livre qui ne mourrait pas, les divins récits que S. Jean leur avait si souvent exposés de vive voix.

De ce fait rejaillit une nouvelle autorité sur le quatrième évangile. « Il résume donc le témoignage collectif d'un groupe entier de disciples du Sauveur et d'apôtres, ayant saint Jean à leur tête. Cela nous explique la conclusion du livre (Jean 21, 24), qui est une espèce de reconnaissance formelle : Ce disciple est celui qui rend témoignage de ces choses, et qui a écrit ceci ; et nous savons que son témoignage est vrai. Nous avons là, pour ainsi dire, la signature confirmative des compagnons de saint Jean » (De Valroger, Introduction historique et critique aux livres du N. T., t. 2, p. 101 et ss.).

2. Les sources. — Le cœur aimant de l'apôtre favori, sa mémoire dans laquelle tout ce qu'il avait vu et entendu « de Verbo vitæ » (1 Jean 1,1) s'était gravé d'une manière indélébile, telles furent les sources principales de ce livre unique, marqué au sceau d'une originalité si admirable. Le temps, qui efface de son aile nos meilleurs souvenirs, rajeunissait au contraire ceux de S. Jean (« Rien n'avait péri en lui de l'histoire de son Maître. Elle avait pénétré dans son âme fidèle à une telle profondeur, qu'elle n'en pouvait plus sortir. Si plus un souvenir est grand, si surtout, plus il est cher, plus il se grave et vit dans le cœur qui l'a reçu, quelle ne devait pas être la mémoire de Jésus‑Christ dans l'âme de S. Jean ».

Toutefois cela n'exclut pas, les auteurs l'admettent volontiers, quelques documents proprement dits, par exemple, des ἀπομνημονεύματα analogues à ceux qui servirent à S. Luc (Luc. 1, 1-4) pour composer sa narration.

Enfin, pour divers détails, S. Jean put recourir aux informations personnelles. Pendant les années qu'il passa dans la ville sainte après la Pentecôte, rien de plus facile que d'interroger Nicodème, Marie‑Madeleine et d'autres disciples. Surtout, combien de fois, durant ses colloques intimes avec la Mère de Jésus, devenue sa propre mère, ne dut‑il pas revenir sur les actions et les paroles de Celui qui occupait constamment leurs pensées (Nous avons été heureux de voir que des commentateurs protestants, entre autres MM. Watkins, The Gospel according to S. John, p. 23, et J. P. Lange, Das Evangelium nach Johannes, p. 24 de la 3° édition, associent sans hésiter la Ste Vierge à l'œuvre de S. Jean). De là, même pour les discours de Notre‑Seigneur cette rédaction si sûre quoique après de si longues années.

3. Le but. C'est là le plus important et un des plus intéressants des points qui concernent la composition de l'Évangile selon S. Jean. A première vue, les renseignements des anciens écrivains ecclésiastiques semblent s'écarter les uns des autres d'une façon notable, ce qui a causé quelque hésitation parmi les commentateurs : Nous verrons néanmoins que l'on peut tout concilier, en distinguant, comme le font d'ailleurs plusieurs des exégètes croyants, entre le but principal et les intentions secondaires de l'évangéliste, la tradition et l'évangile seront nos guides les plus sûrs.

1° Le but direct et principal que se proposa S. Jean en composant son évangile fut dogmatique, christologique. Il a pris soin de nous en avertir lui‑même vers la fin de son récit : « Jésus a fait encore en présence de ses disciples beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre.

Mais ceux‑ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez la vie en son nom.» (Jean 20, 30-31, cf. 19, 35). Les autres tendances sont accessoires, et subordonnées à celle‑ci, qui donne vraiment le ton à tout le récit, et qui court à travers le livre entier comme un fil d'or pour en relier les divers membres.

Plusieurs Pères de l’Église ont parlé très nettement en ce sens. Origène : « Aucun des évangélistes n’a manifesté la divinité de Jésus comme ne l’a fait Jean, en nous le présentant disant : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie, la Résurrection, la Porte, le Bon Berger.» (cf. Jean 1, 6 : οὐδεὶς γὰρ ἐϰείνων ἀϰράτως ἐφανέρωσεν αὐτοῦ τὴν θεότητα ὡς Ίωάννης ϰτλ).

S. Jérôme (Proæm. in Matth.) : «Il fut forcé d’écrire avec plus d’élévation sur la divinité du Sauveur, et de révéler le Verbe de Dieu sans témérité, mais avec une heureuse audace.» Saint Augustin : «Ces trois évangélistes (les synoptiques) ont surtout raconté ce que le Fils a fait temporellement par sa chair humaine. Mais saint Jean se proposa avant tout de décrire la divinité du Seigneur, par laquelle il est égal au Père. Et c’est elle qu’il prit d’abord soin de rapporter, autant qu’il crut nécessaire de le faire.» L ‘Accord des évangélistes 1, 4.. Titre latin : De consensu evangelist. Épiphane. « En s’y prenant le dernier, mais en s’élevant plus haut que les autres, Jean définit une fois pour toutes les choses qui précédaient l’incarnation, car ce sont des choses spirituelles qui ont été dites par lui, pour la plupart, alors que les choses qui se rapportent à la chair avaient déjà été bien rapportées par les autres (les synoptiques = Matthieu, Marc, Luc). C’est pourquoi, il entame ce récit spirituel par ce don qui, étant dépourvu de tout commencement, nous vient du Père.» (Hœr., 51, 19).

Mais, à défaut d'indications extérieures, le texte même serait pour nous, sous ce rapport, un très sûr garant. L'ensemble et les détails du récit convergent sans cesse vers ce but tout ensemble théorique et pratique : démontrer que Jésus est le Christ, le fils de Dieu (notez la force des articles dans le texte grec, ὁ χρίστος, ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ) (c'est-à-dire, prouver soit le caractère messianique, soit la divinité de Jésus), et produire par cette démonstration la foi dans tous les cœurs, afin que tous arrivent à la vie éternelle, au salut. Ces deux propositions : Jésus fils de Dieu, et la vie en son nom, s'aperçoivent à travers tout l'évangile. C'est d’ailleurs la base essentielle du christianisme, et aussi son résumé parfait. Assurément, les autres évangélistes s'étaient proposé un but analogue, mais non d'une manière si directe, si formelle, et avec autant d'énergie ; aucun d'eux n'est « théologien » comme S. Jean.

Les épisodes et les discours dont la réunion forme le quatrième évangile ont été merveilleusement choisis dans le sens que nous venons d'indiquer. Les faits ne sont pas ce qu'il y a de plus important pour l'auteur, mais il insiste de préférence sur la théorie qui s'en dégage, et cette théorie revient toujours à dire : Heureux ceux qui croient en Jésus, Messie, fils de Dieu. Malheur à ceux qui demeurent incrédules. Dès le prologue, 1, 1-18, qui est comme le portique grandiose de notre évangile, Jésus nous apparaît sous les traits du Verbe, de le Fils Unique de Dieu le Père : Jean‑Baptiste est son Précurseur et son témoin (cf. Jean 1, 6-8, 15, 19-34). Ses premiers disciples le saluent déjà par ses vrais titres : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d’Israel » (Jean 1, 49, cf. verset 45). Le temple est la maison de son Père (Jean 2, 16). Aux ignorants comme aux savants, à l'humble Samaritaine comme au juste Nicodème il révèle ouvertement sa dignité (Jean 3, 13 et ss. ; 4, 10, 26). Mais nous ne pouvons signaler ici tous les détails isolés (voyez encore 7, 30, 34 ; 8, 20, 59 ; 10, 39 ; 18, 6, 36 ; 20, 28). Parcourez les chapitres 5, 7, 8, 11 (la résurrection de Lazare), 14-16 (le discours d'adieu), 17 (la prière sacerdotale), et vous en recueillerez de très significatifs pour la thèse de S. Jean. C'est aussi en vue de son but si élevé que notre évangéliste insère les discours dogmatiques de N.-S. Jésus‑Christ plutôt que ses discours moraux et ses paraboles. C'est pour le même motif qu'il appelle les miracles de son Maître des σημεία, des signes («Livre des signes », βιϐλίον τῶν σημείων : ce nom a été donné au quatrième évangile) ; car ils manifestent admirablement sa divinité, son caractère de Messie, et excitent par conséquent la foi en sa personne (cf. 2, 11 ; 11, 41-42 ; etc.).

Non cependant, comme on l'a prétendu, que l'évangile selon S. Jean soit « en vérité un traité théologique, tout autant que l'est la lettre aux Hébreux » (E. Reuss, La théologie johannique, p. 12). Au fond, il demeure un récit, tout aussi bien que les volumes de S. Matthieu, de S. Marc et de S. Luc : la méthode historique n'est lésée en rien par l'intention dogmatique (Sur le but principal de l'évangéliste S. Jean, voyez encore Baunard, L'apôtre S. Jean, ch. 17).


2°A côté de cette intention prédominante et générale, valable pour tous les lieux, pour tous les temps, S. Jean se propose d'autres buts accessoires, et notamment un but polémique. Une tradition qui remonte jusqu'à S. Irénée mentionne en termes exprès les gnostiques parmi les adversaires qu'il avait en vue et qu'il voulait réfuter d'une manière indirecte. Voici les propres paroles du grand évêque de Lyon : «Annonçant cette foi, Jean, le disciple, qui voulait par l’annonce de l’évangile, réfuter celui qui, disséminé par Cérinthe, apportait l’erreur aux hommes, et plus anciennement encore, par ceux qui se disent Nicolaïtes, commença ainsi l’évangile.» (Contre les Hérésies 3, 11, 1). Témoignage irrécusable, provenant d'une source si sûre. Tertullien (De la Prescription, c. 33), S. Épiphane (Hær. 69, 23), S. Jérôme nous renseignent dans le même sens. « Jean, dit ce dernier (des Hommes Illustres, c.9, Proem dans Mathieu) a écrit l’évangile contre Cérinthe, et contre d’autres hérétiques, s’insurgeant surtout contre les dogmes des Ébionites, qui enseignaient que le christ n’existait pas avant Marie. Voilà pourquoi il a été comme forcé de proclamer sa nativité divine.» En effet le gnosticisme avait fait son apparition depuis quelque temps en Asie Mineure, quand S. Jean vint se fixer à Éphèse. Déjà S. Paul avait dû lutter contre les premiers germes de cette erreur, qu'il envisageait avec un véritable effroi (cf. Actes 20, 28 et 29 ; 1 Timothée 4, 1-11, etc.). Elle s’était rapidement développée, et il fallait la frapper d’un grand coup. Il suffit de lire les lignes suivantes de S. Irénée, pour comprendre que les passages 1, 1-18 ; 14, 20-31 , et d'autres textes analogues sont dirigés contre la gnose :


«Un certain Cérinthe enseigna en Asie, que le monde n’avait pas été fait par le premier Dieu,

mais par une vertu qui est très séparée de lui, et qui est très éloignée de la principauté qui est au-dessus des univers, et qui ignore le Dieu qui est au-dessus de tout. Il enseigne que Jésus n’est pas né d’une vierge, puisque cela parait impossible, mais qu’il fut le fils de Joseph et de Marie. Comme tous les autres hommes, mais beaucoup plus qu’eux, il a excellé dans la prudence, la sagesse et la justice auprès des hommes. Et, après le baptême, est descendu en lui de la principauté qui est au-dessus de tout, le Christ, sous la figure d’une colombe. Et c’est alors qu’il se mit à annoncer le père inconnu, et qu’il a porté les vertus à la perfection. À la fin, le Christ a fait des révélations au sujet de Jésus, que c’est Jésus qui est mort et a été ressuscité, mais que le Christ était demeuré impassible, en tant qu’être spirituel.» (Contre les Hérésies 1, 26). Mais la thèse de S. Jean, Jésus est le Christ fils de Dieu, renverse toutes ces absurdes théories (cf. De Valroger, Introduction t. 2, p. 102 et ss.).

On a pensé aussi, et non sans raison, que S. Jean avait encore pour objectifs de sa polémique indirecte, d'une part les « Joannites », comme on les a nommés, de l'autre les Docètes. Les premiers étaient des disciples du Précurseur, qui, longtemps après sa mort et après la manifestation de N. S. Jésus‑Christ, avaient conservé pour leur maître un culte exagéré, le regardant même comme le Messie (Les Clement. Recognitiones, 1, 54, le disent expressément). Le livre des Actes (18, 14 et 15 ; 19, 1 et ss.) nous atteste la présence d’un certain nombre d'entre eux en Asie du vivant de S. Paul. Il en existait sans doute encore à la fin du premier siècle, et il est naturel de supposer que notre évangéliste ait voulu les ramener à la vérité, en insistant, soit sur le rôle secondaire de Jean‑Baptiste, soit sur les témoignages si brillants que le Précurseur avait rendus à Jésus‑Christ (cf. 1, 6 et ss., 15, 19-34 ; 3, 26 et ss. Grotius est toutefois allé beaucoup trop loin dans cette voie. Voyez sa Præfatio ad Joan, où il affirme que telle est l'idée dominante du quatrième évangile). Quant aux Docètes, ainsi appelés parce qu’ils regardaient l'incarnation du Verbe comme une simple apparence (δοϰέσις) sans réalité externe, il est possible que les détails suivants aient été dirigés tacitement contre eux: 1, 14, « le Verbe s’est fait chair. » ; 19, 34 et 35, «Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, et aussitôt il en sortir du sang et de l’eau. C’est celui qui a vu cela qui en rend témoignage.» 20, 23. «Il leur montra ses mains et son côté.» cf. verset 27. Voyez aussi 1 Jean 1, 1 ; 4, 2-3 ; 5, 6.

C'est sans raison suffisante que le Dr Aberle de Tubinguen attribue à S. Jean l'intention directe d’attaquer le judaïsme, qui renaissait alors de ses cendres à Jamnia.

Tandis que plusieurs écrivains rationalistes, entre autre Credner (Einleitung in das N. Test. p. 213 et ss.) et M. Reuss (Geschichte der heil. Schriften N. Test, p. 219. Voyez aussi la Théologie johannique, p. 34 et ss.), niaient catégoriquement qu’il pût exister la moindre relation entre la composition du quatrième évangile et les hérésies contemporaines, d’autres critiques, de différentes nuances (voyez Davidson, Introduction, t. 1, p. 331), ont regardé ce livre comme une œuvre apologétique d'un caractère universel : il n'eût concerné, suivant eux, aucune des erreurs de l’époque, mais il les aurait toutes atteintes en même temps en décrivant le vrai christianisme. Ce sentiment est incompatible avec les textes si formels de la tradition qui ont été cités plus haut.

3° Outre la tendance polémique dont ils nous ont eux‑mêmes parlé, les Pères attribuent aussi à S. Jean le but de compléter les trois narrations antérieures à la sienne. «Quand Jean vit que, dans les autres évangiles, les choses qui appartiennent au corps (nous expliquerons cette expression en traçant le caractère du quatrième évangile) avaient été transmises, il écrivit, sous l’inspiration divine du Saint-Esprit, un évangile spirituel, après avoir été poussé par ses intimes à le faire.», dit Clément d’Alexandrie (Ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 6, 14). De même S. Éphrem : «Se rendant compte que les paroles de ceux qui avaient écrit sur la généalogie et la nature humaine du Seigneur, avaient provoqué des opinions diverses, il écrivit qu’il n’était pas seulement un homme, mais que le Verbe existait à partir du tout début (dès le principe). (Evangel. Concord. Expositio, Concordance des Evangiles Moesinger, p. 286). C'est également l’opinion de S. Épiphane (Hær. 51, 12, cf. 69, 23) : « Comme Luc avait énuméré les générations en allant des plus anciennes aux plus récentes, comme il insinuait que le Verbe divin était descendu du ciel, et qu’en même temps, pour retirer les aveugles de l’erreur, il présentait le mystère de la chair assumée par Lui, les hérétiques ne voulurent pas le suivre jusque là. Voilà pourquoi le Saint-Esprit incita Jean à écrire un évangile.» Mais le langage d'Eusèbe et de S. Jérôme est plus clair encore. «Quand saint Jean lisait les volumes de Matthieu, de Marc et de Luc, il approuvait le texte de l’histoire, et confirmait que ce qu’ils avaient dit était vrai. Mais, protestait-il, l’histoire qu’ils déroulent n’a eu lieu que pendant une seule année, celle où Jésus a souffert, après l’incarcération de saint Jean-Baptiste. Laissant donc de côté ce qui a été rapporté par les trois synoptiques, il raconta ce qui est arrivé avant l’incarcération de saint Jean-Baptiste. (De Viris illustrib, c. 9, S. Jérôme fait cependant erreur quand il dit que les synoptiques racontent seulement une année de la vie de Jésus). Et Eusèbe (Histoire Ecclésiastique 3, 24) : «Quand on apporta à saint Jean les trois évangiles en présence d’un grand nombre, il les approuva, et confirma leur véracité par son témoignage. La seule chose qui manquait, selon lui, c’étaient les actions que le Christ avait faites au tout début de sa prédication. On dit donc que c’est à la demande de ses amis, qu’il a écrit, dans son livre, sur le temps passé sous silence par les premiers évangélistes, et sur les choses que le Seigneur a accomplies pendant ce temps, comme il l’indique lui-même quand il précise : « Voici quel est le commencement des signes de Jésus.» Comment a‑t‑on pu nier un fait si bien et si anciennement attesté (M. Reuss en particulier, dans son langage assez peu courtois pour ceux qui pensent autrement que lui, cf. Théologie johannique, p. 34), et du reste si vraisemblable eu lui‑même ? Est‑il possible que S. Jean n'ait pas connu les synoptiques ? Les connaissant, peut‑il n’avoir pas complété leur œuvre ? Répétons que ce n’était qu’un but accessoire, indirect (Théodore de Mopsueste a prétendu à tort que c'était le but principal, mais ce fut pourtant une des intentions de S. Jean. On explique de la sorte pourquoi il omet de nombreux incidents, même parmi ceux qui allaient droit à son but ; par exemple, la voix du baptême (Matth. 3, 16 et s.), les aveux forcés des démoniaques (Marc. 1, 24 ; Luc. 7, 28, la Transfiguration (Matth. 17, 1 et ss.), etc. : ces choses étaient suffisamment connues d'après les récits antérieurs. On explique aussi par là pourquoi il relate un si grand nombre de détails entièrement neufs. Çà et là, d’ailleurs, apparaissent des allusions très visibles aux narrations des synoptiques, sous forme de notes rapides, qui seraient obscures pour quiconque n’aurait pas les autres évangiles entre les mains. Voyez 3, 24, pour l’emprisonnement du Précurseur ; 6, 70, pour l’élection des apôtres ; 18, 13, à propos d’Anne, l’ancien pontife, etc. Enfin, la chronologie, généralement si nette dans S. Jean, est aussi un des points sur lesquels il paraît manifeste que le quatrième évangile complète les précédents. « Quatre Pâques, quelques autres fêtes de l'année religieuse, clairement indiquées chacune en son lieu, jalonnent la route de l'historien, et assignant leur date aux événements principaux de la vie du divin Maître. Tous les synchronismes qu’on a faits de l'évangile sont partis de ces points éclairés par S. Jean » (Baunard, L'apôtre S. Jean, p. 357. Voyez notre Synopsis evangelica, Paris 1882).

4° Au lieu des motifs si relevés, si sages et si légitimes que la tradition prête à S. Jean pour la composition de son œuvre incomparable, les rationalistes en suggèrent d’étranges.

D'après Strauss et l’ « anonyme saxon », l’auteur du quatrième évangile aurait voulu faire de la polémique indirecte contre S. Pierre et donner le beau rôle à l’apôtre Jean. Nous avons vu ce qu'il faut penser de ce système.

Baur, au contraire, fait de notre évangéliste un pacificateur. L’Église avait été jusqu’alors divisée en deux camps ennemis, le montanisme et le gnosticisme ; réunir ces partis hostiles, en les amenant à admettre uniformément la théorie du Logos, voilà la vraie « tendance », qui est toute à la conciliation, à la médiation.

Pour Hilgenfeld, il s’agissait de remettre en honneur le Paulinisme, c'est-à-dire le libéralisme chrétien, et de renverser complètement les doctrines et les pratiques judaïsantes.

Et ainsi des autres, car où s’arrêter en si beau chemin ? En démontrant l'authenticité de l'évangile selon S. Jean, nous avons réfuté d’avance ces divers systèmes ; car, ils supposent tous une composition tardive, entre 125 et 175.

Et puis ne se combattent‑ils pas mutuellement, de manière à nous laisser tout à fait maîtres du terrain ?

§ 4. — TEMPS ET LIEU DE LA COMPOSITION


1. La question de temps est facile à résoudre d’une manière générale, mais difficile lorsqu'il faut fixer une date précise.

1° L'antiquité entière admet que l'évangile de S. Jean parut après les synoptiques. « Jean le dernier de tous », dit Clément d’Alexandrie (Ap. Euseb, Histoire Ecclésiastique 6, 14). « Jean fut le dernier », lisons‑nous dans S. Éphrem (Evang. Concord. expositio, ed. Mœsinger, p. 286). Et nous avons vu au paragraphe qui précède que tel est aussi le sentiment de S. Irénée (si important en toutes ces matières), de S. Épiphane, d’Eusèbe de Césarée, de S. Jérôme (« «Jean fut le dernier de tous à écrire l’évangile », écrit S. Jérôme, De viris illustr. c. 9). S. Victorin de Pettau et S. Épiphane ajoutent que S. Jean ne publia son évangile qu'après l'Apocalypse ; or S. Victorin place l’apparition de l’Apocalypse sous le règne de Domitien, comme le font S. Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie et d’autres encore (Domitien régna de 81 à 96). On voit par là combien Semler s'est volontairement trompé, quand il a mis notre évangile au premier rang sous le rapport du temps (les disciples de Semler, il est vrai, sont allés aux antipodes de leur maître, en reculant la publication du quatrième évangile jusqu'au milieu ou à la fin du second siècle).

Un examen attentif de l’ouvrage confirme parfaitement les assertions des anciens auteurs. A chaque pas, en effet, quelque trait de détail nous prouve que les faits racontés étaient depuis assez longtemps dans le domaine du passé. Ici, c’est la traduction de mots hébreux très simples (Rabbi, rabbouni, 1, 39 ; 20, 16 ; Messias, 1, 42 ; 4, 25) ; là ce sont des notes accessoires, desquelles il résulte jusqu'à l’évidence, d’une part, que le judaïsme [à travers la quasi unanimité du Sanhédrin] s’est montré entièrement rebelle à la grâce et a perdu ses premières chances de salut (cf. 1, 11 ; 3, 19, etc.) ; d'autre part, que la nation juive a péri comme peuple et que sa capitale est détruite (l'emploi des imparfaits est remarquable dans les passages 11, 18 ; 18, 1 ; 19, 41 (quoique l'emploi du présent (ἔστι) dans un autre texte, 5, 1, diminue tant soit peu la valeur de cet argument). A propos de 11, 51-52, M. Westcott a dit très justement : « Il est hors de doute que lorsque l'évangéliste écrivait ces mots, il lisait l’accomplissement de la prophétie inconsciente de Caïphe dans l’état actuel de l'Église chrétienne » (St. John’s Gospel, p. 36, cf. Jean. 10, 16). Bref, la manière de l'écrivain suppose un homme âgé, d’une profonde expérience, qui, en racontant, jette ses regards en arrière sur les événements qu’il se rappelle à merveille, mais dont un long intervalle le sépare.

2° Pour déterminer l’année précise, il y a une grande variété d'opinions. Le Dr Reithmayr (Einleitung, p. 421) remonte jusqu’en 70, mais à tort, car il est généralement reçu que l'évangile selon S. Jean ne parut qu’un temps notable après le martyre de S. Pierre (on le déduit du passage 21, 19 et ss., qui suppose aussi que la prophétie de Notre‑Seigneur relatif aux deux apôtres S. Pierre et S. Jean était depuis longtemps accompli), par conséquent après l’an 67. Comme nous l’avons dit, les rationalistes vont à l'autre extrême : Baur et Scholten, entre 160 à 170 ; Volkmar, en 155 ; Zeller et Schwegler, en 150 ; Lützelberger, Hilgenfeld, Thomas, de 130 à 140 ; Keim, vers 130 ; Schenkel, M. Renan, de 110 à 115. Il nous paraît vraisemblable, et c'est le système qui semble réunir le plus de voix parmi les exégètes croyants (S. Thomas d’Aq., Baronius, les Drs Hug, A. Maier, Tholuck, Langen, Schegg, Aberle, Pœlzl, etc.), que le quatrième évangile ne vit le jour que tout à fait aux dernières années du premier siècle. Nous adoptons même volontiers le règne de Nerva (96-98), d'après la citation suivante, qui est ancienne quoique faussement attribuée à S. Augustin (Pseudo Aug. Præf. in Jean cf. S. Epiph. Hær. 51, 12) : «Jean l’emporte sur tous les autres auteurs d’évangiles par la profondeur des mystères divins, lui qui prêcha la parole de Dieu pendant soixante-cinq ans, depuis le temps de l’ascension du Seigneur jusqu’au dernier jour de Domitien, sans s’appuyer sur un texte écrit. Mais, quand Domitien fut tué, et qu’avec la permission de Nerva, il retourna de son exil à Éphèse, il fut forcé par les évêques d’Asie d’écrire contre les hérétiques, sur la divinité du Christ coéternelle au Père.» (voici encore quelques dates admises par des auteurs : Alford, entre 70 et 85 ; W. Meyer, vers 80 ; Macdonald, vers 85 ; Bisping, M. Godet, entre 80 et90 ; M. Westcott, de 90 à 100).

2. Pour la question de lieu, les Pères les plus autorisés, entre autres S. Irénée, S. Polycrate, Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe de Césarée, S. Jérôme, se déclarent en faveur d’Éphèse. Déjà nous avons cité leurs textes ; qu’il suffise de répéter les paroles de S. Irénée: « Jean, le disciple du Seigneur, celui qui avait reposé sur sa poitrine, publia à son tour l’Évangile, tandis qu’il vivait à Éphèse, en Asie ».

Cependant le faux Hippolyte (De duodecim apostolis, Migne, Patrol. græc, t. 10, col. 952, cf. Zahn, Acta Johannis, p. 43), la suscription de la version syriaque, et plus tard Suidas, Théophylacte, Euthymius, ont regardé l'île de Patmos comme le berceau du quatrième évangile. Mais ce sentiment provient sans doute d'une confusion avec l’Apocalypse ; dans tous les cas, il ne saurait prévaloir en face du témoignage si important de S. Irénée. Le Chronicon pascale (Edit. Dindorf, Bonn 1832, p. 11) assure que le manuscrit original de S. Jean fut longtemps conservé à Éphèse, où on le tenait en grand honneur.

La Synopsis faussement attribuée à S. Athanase (Opera, édit. Bened. t. 3, p. 202) associe les deux opinions ; d’après elle, l'évangile aurait été écrit à Patmos, mais publié seulement à Éphèse. Le Dr Hug et le P. Patrizi ont accepté cette hypothèse sans raison suffisante (L. Hug, Einleitung, t. 2, p. 226-227 ; Patrizi, De Evangeliis, lib. 1 p. 110).

§ 5. — LE CARACTÈRE DE L'ÉVANGILE SELON S. JEAN.


Voici encore un sujet extrêmement riche et intéressant, qui pourrait recevoir des développements presque indéfinis. Mais nous devons nous en tenir encore à une aride nomenclature (voyez de pages pleines de charmes dans Bougaud, Jésus‑Christ, 1ère partie, chap. 3, et dans Baunard, L'apôtre S. Jean, chap. 15).

« Il n’est assurément personne, dit Tholuck en introduisant son commentaire, qui lise l'évangile de S. Jean sans en recevoir l’impression qu’il y souffle un esprit qu’on ne trouve dans aucun autre livre » (Comment. zum Evangel. Johann., p. 19 de la 5° édit.). Ewald, si excellemment doué pour apprécier les belles œuvres littéraires, résume dans cette simple ligne ce qu’il pensait du quatrième évangile : « C’est un écrit si merveilleusement parfait. » (Die johanneische Scriften übersetzt und erklaert, t. 1, p. 43. Le mot de Claudius est célèbre : « Depuis mon enfance, j’ai lu bien volontiers dans la Bible ; mais c’est surtout S. Jean que je lis avec le plus de charme. Il y a en lui quelque chose de si admirable, de si élevé, de si suave, qu’on ne peut s’en rassasier. Il me semble toujours, quand je le lis, que je le vois à la dernière cène, appuyé sur la poitrine de son Maître, et que son ange me tient la lumière » (cité par la Zeitschrift für kirchl. Wissenschaft und kirchl. Leben, 1882, p. 508).

Le Dr J.-P. Lange nous donne, en quelques mots, presque une chrestomathie complète : « Le quatrième évangile a été tout à la fois beaucoup loué et vivement attaqué comme l'évangile de Jésus lui‑même. C’est l'évangile spirituel, a dit Clément d’Alexandrie ; c’est un mélange de paganisme, de judaïsme et de christianisme, répond Evanson. C’est le premier des évangiles, un livre unique et parfait, a dit Luther ; c’est un produit sans valeur et sans utilité pour notre temps, répond le luthérien Vogel. C’est le cœur du Christ, a dit Ernesti ; c'est un écrit mystique embrouillé, une dilution, une nébuleuse, ont répondu d’autres auteurs. C’est le moins autorisé des évangiles, une œuvre décidément bâtarde, mélangée de scepticisme, se sont écriés les rationalistes du XIXème siècle, tandis que, depuis l'époque de S. Irénée, il demeure pour tous les fils de l'Esprit saint la couronne des évangiles apostoliques » (Das Evangel. nach Johannes, 3° édit., p. 19).

Véritable évangile d’or, qu’on a imprimé, en Angleterre, en lettres d’or à la manière du moyen âge (The Golden Gospel, being The Gospel according to S. John, printed in letters of Gold. Londres, 1885, un vol. in-4°).

Mais essayons de préciser davantage le caractère de l'évangile selon S. Jean, en entrant dans quelques détails et en le considérant sous ses principaux aspects.


1° Ainsi qu’il a été dit plus haut, c'est d'abord par excellence l'évangile du Fils de Dieu : appellation qu’il reproduit jusqu’à trente fois. C'est, par là même, un évangile métaphysique, l’évangile du théologien, l'évangile de l'idée. Tout y est si profond, si plein, si sublime, si rayonnant, sans négliger toutefois l'élément simple et populaire. Un regard rapide jeté sur les chapitres 1, 3, 5, 6, 7, 8, 10, 14, 15, 16, 17, suffit pour rappeler tout ce qu’ils contiennent de grandeurs théologiques. « Quelle montagne que celle‑là, s'écriait S. Augustin (In Jean tract. 1), quelle élévation que celle de ce génie. Voyez Jean qui dépasse toutes les cimes terrestres, tous les espaces éthérés, toute la région des astres, puis les chœurs célestes eux‑mêmes et la légion des anges. Que lui parlez-vous du ciel et de la terre ? Ce ne sont que des créatures. Que parlez-vous de ce que le ciel et la terre renferment ? Créatures encore. Même que font ici les êtres spirituels ? Ces êtres sont l’œuvre de Dieu, ce n’est pas Dieu lui‑même ».


2° C’est l'évangile du cœur, composé, on le voit aisément, par le disciple bien aimé, qui savait rendre amour pour amour. « Presque tout porte sur la charité. Que celui qui a en lui-même des oreilles pour entendre entende. Cette lecture lui sera comme de l’huile qui alimente sa flamme.», a dit S. Augustin (Praef. in lettre ad Parth.). Le mot « aimer » y est employé plus de quarante fois, et tout y est marqué au sceau du céleste amour. De là ces lignes d'Origène : « L'évangile de S. Jean est comme la fleur des évangiles (Dans le grec : τῶν εὐαγγελίων ἀπαρχήν, de même que les évangélistes sont ἡ ἀπαρχή de la Bible). Celui‑là seul pouvait pénétrer à cette profondeur, dont la tête reposa sur la poitrine de Jésus, et auquel Jésus donna Marie pour mère. Cet ami si intime de Jésus et de Marie, ce disciple traité par le Maître comme un autre lui‑même, était seul capable des pensées et des sentiments résumés dans ce livre »... Ne soyons donc pas étonnés, en le lisant, s'il nous parle si directement au cœur, s’il respire tant de suavité, s’il nous remplit de joie et de paix, comme la conversation d’un ami tendrement aimé.


3° C’est l'évangile du témoin oculaire, et cela encore le caractérise d’une façon spéciale. S. Matthieu avait eu aussi, comme S. Jean, le bonheur de tout contempler de ses propres yeux ; mais il nous l’a peu montré dans sa narration. Nous avons vu au contraire quel cachet intime et subjectif cette même circonstance communique au quatrième évangile. Non seulement l'histoire que S. Jean raconte se dresse pour ainsi dire toute vivante devant ses souvenirs ; mais on s'aperçoit aussitôt qu’elle a envahi, pénétré son âme entière, qu’elle est devenue sa propre vie. De là le fréquent emploi des verbes θεωρεῖν, θεᾶσθαι, ἑωραϰέναι. De là ces détails dramatiques qu'on rencontre à tout instant ; par exemple : 1, 4, 9, 11, 13, 18, 19, 20, 21, etc. Voyez où commence pour lui la vie de Jésus‑Christ sur la terre : au moment où il entra personnellement en contact avec le divin Maître, cf. 1, 19-51.


4° C’est, plus que l'œuvre des synoptiques, un évangile fragmentaire. De tous côtés les lacunes abondent ; après l'exposé très circonstancié d'un fait, un grand vide s'ouvre tout à coup ; le récit se brise presque autant de fois qu'il fait un pas en avant. Comme dans l'évangile selon S. Marc, rien sur l'enfance et la vie cachée de Jésus ; à la fin, rien sur l’Ascension. Si, comme nous le pensons, les mots « Un jour de fête des Juifs.» (voyez 5, 1 et le commentaire) désignent la Pâque, les chapitres 2-5 résumeront deux années entières (2, 13, une première Pâque ; 5, 1, la seconde ; 6, 4, la troisième : donc deux ans d'intervalle). En réalité, sur trois ans et demi que dura la vie publique du Sauveur, le récit de S. Jean n’atteint guère que trente jours distincts. Au reste, il prend soin lui‑même, par des formules générales qui reviennent de temps à autre, de nous avertir qu’il abrège étonnamment, ou plutôt qu’il supprime des périodes entières, cf. 2, 23 ; 3, 2 ; 4, 43 ; 6, 2 ; 7, 1 ; 20, 30 ; 21, 25, etc.


5° Et pourtant, c’est l'évangile de la parfaite unité. Il a été véritablement coulé d'un seul jet. Pour diviser les récits des synoptiques, il faut avoir recours a des plans fictifs : ici, le dessin est très accusé et constamment suivi (voyez le § 7). Les fêtes juives jalonnent la route. Les discours sont rattachés aux miracles, dont ils fournissent un brillant commentaire : bien loin de ralentir la marche, ils la favorisent, car ils sont comme le dialogue de ce grand drame, et ils en accentuent le mouvement. C'est autour de la divine personne de N.- S. Jésus‑Christ que tous les détails se groupent admirablement : voilà le vrai centre d'unité.


6° Disons encore: évangile du double progrès ; en dépit de Keim, qui a prétendu ne trouver dans l’œuvre de S. Jean qu'une « monotonie de plomb » (Geschichte Jesu von Nazara, t. 1, p. 117. Hilgenfeld, au contraire, admet cette double progression, Evangel, p. 325). Il y a le progrès de la foi et de l'incrédulité ; ou, ce qui revient au même, le progrès de l'amour et le progrès de la haine. Cette gradation apparaît dès le prologue (on y voit en effet se dessiner la lutte du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres, de la vie et de la mort, de la foi et de l'incrédulité), et elle se poursuit à travers toutes les pages, jusqu’à la conclusion de l'évangile. Quelques indications suffiront pour la mettre en relief. D'abord, « S. Jean a mieux vu qu’aucun autre le mystère de la haine sous lequel a succombé son Maître. Il n'en dit pas seulement, comme les synoptiques, l'explosion dernière. Il en aperçoit les premiers germes, avec quelle intuition. Il en suit les développements terribles, dans quelle lumière. Il en prédit, il en peint l’issue fatale » (Bougaud, Jésus‑Christ, p. 114 de la 4e édition). Voici, au premier chapitre, le Sanhédrin qui regarde avec défiance le ministère de Jean‑Baptiste ; au chapitre 2, Jésus lui‑même, après sa colère dans le temple, devient l’objet de la malveillance des hiérarques ; le début du chapitre 4 nous montre les Pharisiens ouvertement jaloux de son influence ; au cinquième, leur haine éclate ; au septième, les Juifs font une démarche officielle et directe, pour s’emparer de sa personne ; au huitième, ils essaient de le lapider ; au neuvième, ils excommunient ses partisans ; au dixième, nouvelle tentative pour le mettre à mort ; au onzième, à la suite de la résurrection de Lazare, le Sanhédrin décrète de le mettre à mort ; l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem amène le dénouement (voyez Godet, Commentaire, t. 1, p. 102 et 103, cf. comme passages distincts, 1, 10, 11 ; 3, 32 ; 5, 16, 18 ; 7, 1, 19, 30, 32, 44 ; 8, 20, 40, 59 ; 11, 31, 39 ; 11, 8, 53, 57). La foi et l’amour suivent une marche ascendante identique, non moins aisée à constater, soit d'une manière générale pour la masse des adhérents du Sauveur, soit en particulier dans le groupe des disciples intimes et même dans les individualités. Nous avons noté sous ce rapport les passages suivants : 1, 12, 41, 45, 49 ; 2, 11, 22 ; 3, 2, 23 ; 4, 4, 39, 41, 42, 53 ; 6, 14, 69 ; 7, 31 ; 8, 30 ; 9, 17 ; 10, 42 ; 11, 27, 45 ; 12, 11, 42 ; 16, 30 ; 19, 38, 39 ; 20, 8, 28, etc. « Voilà donc l'évangile de S. Jean. Il ne se compose pour ainsi dire, que de deux grands tableaux : le tableau de Jésus au milieu des Juifs, et celui de Jésus au milieu de ses amis ». Bougaud, l. c., p. 113).


7° Plus spécialement encore, c’est l'Évangile spirituel. L'auteur est lui‑même tout céleste, idéal, transfiguré ; de même son œuvre : elle participe entièrement à ses beaux titres d’aigle, d’ange et de vierge. « Dans les quatre évangiles, ou plutôt dans les quatre livres d’un seul évangile, saint Jean l’apôtre n’est pas sans raison, à cause de son intelligence spirituelle, comparé à un aigle. Il éleva sa prédication beaucoup plus haut, et la rendit plus sublime que les trois autres. Et dans son élévation, il a voulu élever aussi nos cœurs.» A dit saint Augustin (Traité 36 sur saint Jean). Et encore (L’Accord des Evangiles, 1,4) : « Il monte beaucoup plus haut que les trois autres, de telle sorte que les autres te paraissent, d’une certaine façon, demeurer sur la terre avec le Christ homme, mais lui traverser la nuée qui couvre toute la terre, et parvenir au ciel empyrée, où avec la pointe de l’esprit aiguë et acérée, on voit, dans le principe, auprès de Dieu, le Verbe Dieu par qui tout a été fait.» Comparez ces mots de Clément d’Alexandrie, ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 6, 14: «Revêtant les ailes de l’aigle, se hâtant vers les hauteurs, il traita du Verbe de Dieu.»). « L'évangéliste était vierge, écrivait de son côté S. Ambroise, et je ne m'étonne pas que, mieux que tous les autres, il ait pu exprimer les mystères divins, lui devant lequel était ainsi toujours ouvert le sanctuaire des célestes secrets » (cité par Baunard, L'apôtre S. Jean, p. 366). « La main d’un ange l’a écrit », disait Herder à la suite de S. Augustin (« Il commença à être un ange.». Tractat. 3 in Joan). Évangile spirituel : l'épithète est de Clément d’Alexandrie, πνευματιϰὸν εὐαγγέλιον (Ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 6, 14), et elle a paru si juste, si caractéristique, qu’on ne s’est pas lassé de la répéter depuis, pour la faire valoir. Elle contient le plus bref, mais aussi le plus bel éloge du quatrième évangile. Essayons à notre tour de la développer.


1. Les autres évangiles contenaient surtout τὰ σωματιϰά (mot intraduisible en français ; «Les choses qui se rapportent au corps du Christ.», dit la paraphrase latine) du Christ », dit Clément d’Alexandrie au même passage, pour expliquer sa pensée. C’étaient donc surtout des biographies extérieures, qui envisageaient plutôt N.-S. Jésus‑Christ par ses dehors. Avec S. Jean, nous descendons au plus profond de l'âme de l'Homme‑Dieu ; nous étudions le Christ dans sa nature la plus intime. « L'élément céleste qui forme l'arrière‑plan des trois premiers récits évangéliques est l'atmosphère habituelle du quatrième évangile.


2. Ici, les discours, les paroles l'emportent en étendue sur les faits ; et ces paroles sont d’une élévation, d’une sublimité qui n'est égalée qu’à de rares intervalles dans les évangiles synoptiques (nous citerons, dans l'Introduction générale aux SS. Évangiles, les principaux points de repère). Plus on les relit, plus on y découvre de richesses. Chaque mot suscite dans l’âme des harmonies divines, qui s’y répercutent vivement, suavement. Sans doute, au premier regard, ils ont je ne sais quoi d’abstrait, de sententieux, qui en rend l'intelligence plus difficile ; mais que l'esprit et le cœur sont récompensés lorsque, par la réflexion, on s’est ouvert un chemin parmi ces profondeurs. Évidemment, ce sont souvent de simples sommaires ; on le voit par l'entretien de Jésus avec Nicodème (chap. 3), qui, sous sa forme actuelle, aurait à peine duré trois minutes. Mais ces sommaires sont fidèles : ils contiennent vraiment le suc et la moelle des pensées du Sauveur, et même ses expressions principales. Était‑il donc bien malaisé pour S. Jean de conserver dans son âme profonde quelques discours, remarquables de fond et de forme, proférés par son Maître tant aimé, et sur lesquels ses méditations ou ses prédications le ramenaient sans cesse. Laissons donc les rationalistes se scandaliser, et dire, par exemple avec M. Renan : « Ce sont des pièces de théologie et de rhétorique, sans aucune analogie avec les discours de Jésus dans les synoptiques, et auxquelles il ne faut pas plus attribuer la réalité historique qu’aux discours que Platon met dans la bouche de son maître au moment de mourir » (Vie de Jésus, p. 520. Il dit ailleurs : « Il faut faire un choix : si Jésus parlait comme le veut Matthieu, il n’a pu parler comme le veut Jean»). Le parfait à-propos qui règne partout, les nuances admirables que revêt la parole de Jésus selon le caractère de ses interlocuteurs (quelle différence dans la manière dont il parle à Nicodème et à la Samaritaine, à la foule et aux hiérarques, à ses amis et à ses ennemis), ces petits détails historiques mêlés çà et là au discours (cf. 1, 28; 4, 9 ; 5, 18 ; 7, 37 ; 10, 22-23 ; 14, 31, etc.), tout cela prouve l'authenticité (Voyez Davidson, Introduction, t. 2, p. 300 et ss. ; Godet, Commentaire, t. 1, p. 163-200). D’ailleurs, ici encore nos adversaires prennent soin de se réfuter les uns les autres. Ainsi, M. Reuss n'admet pas que les discours de Jésus d’après S. Jean « soient inventés quant à leur contenu le plus profond » (Geschichte der heil. Schriften des N. T., p. 219 et 220) ; et, d’après Keim (Gesch. Jesu von Nazara, t. 1, p. 207), on rencontre dans le quatrième évangile « de profondes paroles de Jésus, une langue revêtue des plus riches images ; à côté de cela, une précision dialectique magistrale, et des témoignages de Jésus tantôt tendres, tantôt spirituels, tantôt élevés, sublimes ».



3. Évangile spirituel par son aspect mystique et symbolique. On voit que l'écrivain sacré ne fixe jamais son regard sur les incidents extérieurs en tant qu'incidents extérieurs, mais qu’il a constamment à la pensée leur signification pour l'histoire du salut. Aussi, de son âme contemplative s'échappent fréquemment des remarques intéressantes, du genre de celles‑ci : « Va, et lave‑toi au réservoir de Siloé (nom qui signifie envoyé) », 9, 7 (voyez le commentaire) ; « Or, il (Caïphe) ne dit pas cela de lui‑même ; mais étant souverain sacrificateur cette année‑là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation », 11, 51 ; « Judas, ayant pris le morceau, se hâta de sortir. Il faisait nuit », 13, 30 ; etc. Pour S. Jean les miracles eux‑mêmes sont des « signes », des types. Et seul il nous a conservé les touchantes allégories du bercail, du Bon berger et de la vigne (voyez aussi ce qui a été dit des citations de l'Ancien Testament par S. Jean).


4. Les personnages, peu nombreux mais si variés, qui se meuvent dans les récits de S. Jean, participent également à ce caractère spirituel. Quoique parfaitement vrais et réels, ils ont tous une touche idéale, une mystérieuse transparence. Ce serait un sujet d’étude des plus intéressants. Contemplez Marie, la mère de N.-S. Jésus‑Christ, le disciple bien aimé, S. Jean‑Baptiste, S. Pierre, S. André, S. Philippe, Nathanaël, Nicodème, la Samaritaine, l'aveugle‑né, Lazare, Marthe et Marie, S. Thomas ; dans un autre sens, Judas, Caïphe, Pilate : quels portraits exquis. Et néanmoins c'est à peine, parfois, si deux paroles ont été prononcées, si un geste a été signalé. De même pour les groupes, amis ou hostiles (les frères de Jésus, le peuple, les prêtres, les Pharisiens, les disciples), que l'évangéliste introduit souvent dans sa narration : tout est idéalement tracé, quoique avec la plus parfaite ressemblance.

5. Enfin, la figure divine du Sauveur se reflète elle‑même dans le quatrième évangile « comme dans l'eau la plus pure », servant de centre à toutes les autres. Elle se dégage de plus en plus, à mesure qu’on avance dans le récit : chaque parole et chaque trait la révèle, si belle, si aimante, si « spirituelle » partout.


§ 6. — LE STYLE DU QUATRIÈME ÉVANGILE


Comme S. Marc, S. Luc et presque tous les auteurs du Nouveau Testament, S. Jean a écrit dans la ϰοινὴ γλῶσσα τῶν Έλλήνων. ll n’y a jamais eu le moindre doute à ce sujet.

Son grec est même assez pur, du moins en ce qui concerne l'emploi des mots ; mais, ainsi qu’il a été dit précédemment, le moule est tout à fait hébreu, et ce n’est que par suite d'une forte exagération que S. Denys d’Alexandrie a pu l'apprécier en ces termes : «L’évangile et la première lettre de Jean ont été écrits non seulement sans faute, en ce qui a trait à la grammaire et au vocabulaire, mais avec une élégance suprême, tant dans les mots que dans les argumentations, et dans toute la composition de l’œuvre. L’évangéliste était doté de ces deux dons : l’art d’écrire et la science.» (Ap. Euseb, Histoire Ecclésiastique 7, 25). Qu’on lise successivement, dans le texte grec, une page du quatrième évangile, et une page de Démosthène ou de Thucydide, et l’on sera frappés de la différence.

Le style de S. Jean est en effet très simple. Au lieu des périodes tant aimées des Grecs, de petites phrases alignées sans art à la suite les unes des autres d’après le genre « paratactique », comme on l’a dénommé. 1, 1-2: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. C’est Lui qui était auprès de Dieu. » 1, 10 : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ». 4, 6 : « Là était le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait ainsi auprès du puits. C'était la sixième heure ». Etc.

Mais cette « simplicité », justement vantée par Érasme (Paraphras. in Jean Prætatio), produit le plus grand effet sans le chercher, car elle recouvre une profondeur de pensées que l’on sent bientôt inépuisable. Nulle recherche, nul pathos ; tout est simple et courant comme dans la vie ; mais partout en même temps la finesse, la variété, le progrès, les détails à peine indiqués qui se forment en tableau dans l'esprit du lecteur réfléchi. Pas d’art, et une puissance étonnante. Avec cela beaucoup de suavité. « De temps en temps, à voix basse et contenue, comme un père parle à la maison à ses fils bien-aimés.» (Flaccius Illyricus, Clavis Scripturae, Bâle 1618, p. 528 et s.).

Mais étudions quelques particularités soit des mots, soit des constructions.


1° Particularités des mots. — Plus peut-être que tout autre écrivain, S. Jean a ses expressions favorites qui reviennent à chaque instant sous sa plume. Et cela encore produit un effet saisissant. Voici les principales : ἀλήθεια (vérité), vingt‑cinq fois ; ἀληθής (vrai), quinze fois ; ἀμαρτία (péché), seize fois ; la formule ἀμήν ἀμήν, vingt‑cinq fois ; γινώσϰειν (connaître), cinquante‑cinq fois ; δόξα (gloire), vingt fois ; ἔργον (œuvre), vingt‑sept fois ; ζωή (vie), trente‑six fois ; ζῆν (vivre), seize fois ; θεωρεῖν (contempler), trente‑trois fois (deux fois seulement dans S. Matthieu, six dans S. Marc, sept dans S. Luc) ; ϰρίμα (jugement), onze fois ; ϰρίνειν (juger), dix‑neuf fois ; ϰόσμος (monde), soixante‑dix‑huit fois ; λαμβάνειν (prendre), quarante‑quatre fois ; μαρτυρεῖν (témoigner), trente trois fois ; μαρτυρία (témoignage), quatorze fois ; ὄνομα (nom), vingt‑cinq fois ; πιστεύειν (croire), quatre‑vingt‑dix‑huit fois ; σημεῖον (signe), dix‑sept fois ; φῶς (lumière) vingt‑trois fois. Le substantif πρόβατον (brebis) revient quatorze fois de suite au chapitre 10 ; ϰόσμος (monde), jusqu’à dix‑huit fois dans le chapitre 17. Signalons encore les locutions suivantes: ἔρχεισθαι (venir), pour marquer l'incarnation du Verbe (3, 2, 19, 31 ; 6, 14 ; 7, 28 ; 8, 42 ; 12, 46 ; 16, 28, 30 ; 18, 37) ; ὁ πέμψας με, pour représenter sa mission divine (7, 38 ; 8, 26, 29 ; 9, 4, 12, 49, etc.) ; ἀποστέλλω (j'envoie), dans un sens analogue (3, 17 ; 5, 38 ; 6, 29, 57 ; 10, 36 ; 20, 21).

Il est un certain nombre de mots que S. Jean est seul à employer parmi les évangélistes ; notamment : ἀντλεῖν, ἀποσυνάγωγος, ἀρνίον, γλωσσόϰομον, ϰλῆμα, σϰέλος, σϰηνοῦν, τίτλος, ὑδρία, ψωμίον, etc. M. Westcott dit en avoir compté jusqu'à soixante‑cinq (Introduction, p. 264, note 2). D'un autre côté, on est surpris de voir que d'autres expressions, très communes ailleurs, sont totalement absentes de son évangile ; par exemple, δύναμις, ἐπιτιμᾶν, εὐαγγέλιον, παραβολή, πίστις, σοφία, etc.

2° Particularités de constructions. — On conçoit difficilement du grec sans particules ; et néanmoins le style de S. Jean est d'une sobriété extraordinaire sous ce rapport. Au chapitre 15, nous avons signalé dans le commentaire vingt versets consécutifs où l’on n’en rencontre pas une seule. Elles manquent surtout dans les passages les plus émus. 11, 34 et 35 : « Et il dit : Où l'avez-vous mis? Ils lui disent : Seigneur, venez et voyez. Jésus pleura » (voyez le texte grec), cf. 1, 3, 6, 8 ; 2, 17 ; 4, 7, 10, etc. Δέ (« autem ») et ϰαὶ (« et ») suffisent presque à S. Jean ; il est vrai qu’il use largement de ces termes. Le passage qui suit est caractéristique : Μετὰ ταῦτα ϰατέβη, ... ϰαὶ ἐγγύς ἦν τὸ πάσχα..., ϰαὶ ἀνέβη..., ϰαὶ εὗρεν, ϰαὶ ποιήσας... ἐξέβαλεν, ϰαὶ εἶπεν (Jean 2, 12-16, cf. 3, 1, 2, 14, 22, 23, 35, 36 ; 5, 27 ; 8, 21, 49 ; 17, l, etc.).

L'emploi de οὖν (« ergo ») et de ἵνα (« ita ut ») est aussi une particularité du quatrième évangile. L'adverbe οὖν est remarquablement fréquent. Lisez dans le texte grec la seconde moitié du chapitre19 : οὖν revient aux versets 20, 21, 23, 24 (deux fois), 26, 29, 30, 32, 38, 40, 42. Voyez aussi 2, 22 ; 3,25, 29 ; 4, 1, 6, 46; 6, 5 ; 7, 25, 28 et ss. ; 8, 12, 21 et ss., 31, 38 ; 10, 7 ; 11, 31 et ss. ; 12, 1, 3, 9, 17, 21, etc. Quant à ἵνα, l'usage spécial qu’en fait notre évangéliste relève d’une façon étonnante les desseins providentiels de Dieu, même dans les plus petites circonstances (c’est aussi, du reste, le résultat produit par la répétition de οὖν). Voyez, entre autres passages : 1, 27 ; 4, 34 ; 5, 23 ; 6, 29, 40, 50 ; 9, 2, 3 ; 10, 10 ; 11, 42 ; 14, 16 ; 16, 7 ; 18, 9 ; 19, 24, 28, 36. Malheureusement, il est parfois impossible de reproduire dans une traduction toute la force de cet afin que.

S. Jean emploie volontiers aussi la particule ὡς (« ut » de la narration historique pour « cum », lorsque), et la formule de comparaison ϰαθὼς... οὕτως (« sicut... ita »), cf. 3, 14 ; 5, 19, 21, 23, 26, 30 ; 6, 3l, 58 ; 7, 38: 8, 28 ; 10, 15 ; 12, 36, 50 ; 13, 15, 34 ; 14, 31 ; 15, 4, 9, 10, 12 ; 17, 1, 11, 14, 16, etc.

Les pronoms sont souvent répétés d’une manière emphatique, surtout ἐϰεῖνος et οὗσος. Voyez 6, 71 ; 7, 4, 7 ; 9, 33, etc. Assez souvent, S. Jean les insère dans ses phrases pour appuyer sur le sujet, quand une proposition incidente s’est glissée entre celui‑ci et le verbe. 7, 18 : « Celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé est véridique». On trouvera des exemples analogues dans les passages 1, 18, 33 ; 3, 32 ; 5, 11, 37, 38 ; 6, 116 ; 10, 1, 25 ; 12, 48 ; 14, 21, 26 ; 15, 5, 26, etc.

Il est d’autres répétitions aimées de notre évangéliste et dont il se sert pour produire l’effet le plus saisissant. Le même mot revient trois ou quatre fois coup sur coup, et l’idée exprimée pénètre ainsi forcément dans l’esprit du lecteur. 1, 1 : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu ». 11, 33 : « Et Jésus, lorsqu'il la vit pleurant, et les Juifs qui étaient venus avec elle pleurant, frémit en son esprit et se troubla». 5, 31-32 : « Si donc je rends témoignage de moi‑même, mon témoignage n'est pas vrai. C'est un autre qui me rend témoignage, et je sais que le témoignage qu'il me rend est vrai », cf. 1, 10 ; 5, 46, 47 ; 15, 4 et ss. ; 17, 25.

De temps en temps la même pensée, exprimée d'abord en termes positifs, est réitérée sous une forme négative. 1, 3 : « Tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. » 1, 20 : « Et il confessa, et il ne nia pas. » 7, 18 : « Celui‑là est vrai, et il n’y a pas d'injustice en lui. » 10, 28 : « Je leur donne la vie éternelle, et ils ne périront jamais. » Et cinquante exemples semblables (cf. 1, 48 ; 3, 18 ; 5, 23 ; 8, 29 ; 11, 25, 26 ; 12, 48 ; 14, 6 , 23, 24 ; 15, 29, etc. ).

Les formules de transition dans les passages dialogués, si fréquentes et si concises, communiquent beaucoup de vie au discours : on est par là constamment ramené aux personnages qui forment l'objet de la scène. 4, 9, 11, 15, 19, 25 : « La femme lui dit » ; 4, 7, 10, 13 16, 17, 21, 26 : « Jésus lui dit », cf. 8, 49 et ss. ; 10, 23 et ss.: « Jésus dit, les Juifs dirent ». Parfois il arrive que les formules de ce genre sont emphatiquement redoublées, comme au livre de Job (cf. Job. 4, 1 ; 6, 1, et en tête de presque tous les discours). 1, 25 : « Ils l'interrogèrent et lui dirent » . 7, 28 : « ll criait dans le temple, enseignant et disant », cf. 1, 15, 32 ; 8, 12 ; 12, 14, etc. La phrase ἀπεϰρίθη ϰαὶ εἶπεν revient jusqu’à trente‑quatre fois dans notre évangile. Si elle paraît minutieuse à première vue, en réalité elle attire l’attention du lecteur, et donne beaucoup de solennité au récit.

Quand il cite des paroles, S. Jean use fréquemment de la forme directe, alors même que la forme dite « oblique » serait plus naturelle. 7, 40-41 : « Dans cette foule donc, lorsqu'ils eurent entendu ses paroles, les uns disaient : Celui‑ci est vraiment le prophète. D'autres disaient : Il est le Christ. » cf. 1, 19-27; 8, 22 ; 9, 3 et ss. ; 21, 20, etc. Ce sont au fond des hébraïsmes.

Même réflexion à faire au sujet du parallélisme, dont les exemples ne sont pas rares dans le quatrième évangile. Voyez 7, 6 ; 8, 14, 23, 35, 38 ; 16, 16, 28. Le commentaire en a signalé les cas les plus remarquables.

Concluons que « tout cela donne au style une physionomie d’autant plus extraordinaire, que, chez S. Jean, l'expression jaillissait immédiatement de la pensée, et se déversait dans le discours telle qu'elle venait de naître dans l'esprit... Tout cela réuni donne à l'expression et à l'exposition de S. Jean un élan et un charme extraordinaires. Le lecteur simple est captivé, et le savant éprouve le besoin d'étudier plus à fond cet évangile. (De Valroger, Introduction historique et critique aux livres du Nouveau Testament, t. 2, p. 128 et suiv.).

§ 7. — PLAN ET DIVISION.


Déjà nous avons dit un mot, car toutes ces questions se tiennent, de l’unité de plan que présente le quatrième évangile, et du progrès remarquable qu’on y rencontre. Ce sujet a été très étudié de nos jours, et les intéressantes monographies qu’il a suscitées n'ont fait que mettre en plus grande lumière l'excellence et la beauté de l'œuvre de S. Jean.

Les bases adoptées pour le partage n'ayant pas toujours été les mêmes, les divisions ont naturellement beaucoup varié pendant un certain temps.

Quelques auteurs ont pris pour principe la géographie et la chronologie combinées, (c'est-à-dire les voyages que Jésus‑Christ fit à Jérusalem à l’occasion des fêtes. C’est ainsi que Bengel, dans son célèbre Gnomom, distingue une semaine initiale (1, 19 - 2, 11), une semaine finale (12, 1 - 20, 31), et, entre ces deux semaines, trois périodes qui débutent à la première Pâque (2, 12), à la Pentecôte (5, 1) (d'après le système de Bengel. Sur cette fête, voyez le commentaire), à la fête des Tabernacles (7, 1). Olshausen a quelque chose d'analogue : 1° chap. 1-6, depuis le prélude de l'évangile jusqu’à la fête des Tabernacles ; 2° chap. 7-11, depuis la fête des Tabernacles jusqu'au voyage de Jésus à Jérusalem à l'occasion de la dernière Pâque ; 3° chap. 12-17, dernier séjour de Notre‑Seigneur à Jérusalem ; 4° chap. 18-21, la Passion et la Résurrection. — On a justement reproché à ces systèmes d’être trop extérieurs et sans appui réel.


D’autres exégètes ont cherché dans le quatrième évangile une idée essentielle, dont le développement pourrait servir de base sérieuse à l'organisme. Pour De Wette (Evangelium und Briefe des Johannes, 4ème édit., 1852) et Lücke (Commentar über das Evangel. des Johannes, 3° édit.), la δόξα ou « gloire » de N.-S. Jésus‑Christ serait cette idée centrale. Le Dr Schweizer (Das Johannesevangelium, 1851) préfère la notion de combat, et il distingue à ce point de vue trois parties : l’annonce de la lutte, chap. 1-6 ; l'explosion de la lutte, chap. 7-10 ; la solution, chap. 13-21. Mais qui ne voit combien ces « idées » sont incomplètes ? Elles négligent d’une manière absolue des éléments de la plus grande importance pour l'intelligence du quatrième évangile ; celle‑ci la foi, celle‑là l'incrédulité. Nous ne dirons rien de Baur (« Il a hégélianisé l'évangile, et a cherché, par son analyse, à lui enlever le caractère historique ». Keppler, Die Composition des Johannesevang, p. 8), et de ses adeptes, dont les systèmes idéalistes sont fabriqués de toutes pièces, et n’ont rien de commun avec le vrai plan de l'évangéliste.


Si l’on veut arriver à une division qui ne soit pas arbitraire, il faut, ainsi qu’on l’admet communément, produire un judicieux mélange des idées et des faits, associer la marche extérieure des incidents au progrès intime des pensées. Sous ce rapport, il existe dans l'œuvre de S. Jean trois facteurs principaux qui sont les manifestations de N.-S. Jésus‑Christ, avec la foi et l’incrédulité qu’elles rencontrent. Notons encore que l’auteur lui‑même, par d'importantes formules, a établi en deux endroits des « lignes de démarcation » dont il est impossible de ne pas tenir compte. Ce sont les passages 12, 37-50, et 20, 30. Ajoutons enfin à cela la séparation logique qui existe entre les versets 18 et 19 du chapitre 1.

[La division en chapitres a été inventée vers l’année 1226 par Monseigneur Étienne Langton, archevêque de Canterbury et grand chancelier de l’Université de Paris.

La division en versets a été inventée par le père Santes Pagnino (+1541). Ces découpages furent repris par l’imprimeur catholique Robert Estienne, en 1530, puis ensuite par tous les imprimeurs, y compris par les imprimeurs protestants. Il ne faut donc pas accorder d’importance à ces divisions car elles ne sont pas inspirées par Dieu. Dans les plus anciens manuscrits de la Bible, le texte est écrit en majuscules et les mots sont collés les uns aux autres, sans aucune ponctuation, sans versets numérotés et sans division en chapitres.]


Cela posé, nous avons en tête de l'écrit un Prologue, 1, 1-18, auquel correspond à la fin un Épilogue, 21, 1-26. Entre cette introduction et cette conclusion se déroule le corps même du volume, 1, 19-20, 30. Le prologue, si sublime, traite du Logos, de ses attributs divins, de son rôle avant et après l'Incarnation. L'Épilogue raconte une importante apparition de Jésus ressuscité.

La longue formule mentionnée plus haut, 12, 37-50, coupe en deux parts tout ce qui reste du récit. Nous obtenons de la sorte une première partie, 1, 19 - 12, 50, qui expose la vie publique de N.-S. Jésus‑Christ d’après le point de vue auquel s'était placé S. Jean, et une seconde partie, où sont relatés les détails de la passion et de la résurrection, 13, 1 - 20, 30.


Reprenons cette division avec quelques détails, pour montrer le rôle qu’y jouent les trois facteurs mentionnés ci‑dessus.

Dans la première partie, 1, 19 - 12, 50, Jésus manifeste par degrés, mais très ouvertement, son caractère messianique et sa divinité, soit par ses paroles, soit par ses œuvres. Deux groupes se forment autour de lui, le groupe des amis, des croyants, et le groupe des incrédules, des ennemis. La marche de la narration est des mieux accentuées. 1° Jésus est introduit sur la scène évangélique par Jean‑Baptiste, son Précurseur, dont nous entendons plusieurs témoignages ; puis, lui‑même il commence à se révéler directement à ses premiers disciples (1, 19 - 2,11). 2° Une autre subdivision (2, 12 - 4, 54) nous montre le divin Maître sur un cadre plus considérable : voici qu’il se manifeste à Jérusalem, en Judée, en Samarie, en Galilée. 3° Dans les périodes qui précèdent, les germes de la foi et de l'incrédulité n'avaient pas tardé à paraître ; mais la foi prédominait. Tout à coup le conflit éclate, et il devient menaçant pour Jésus dès le premier jour. Dans les chapitres 5-12, le narrateur en décrit admirablement les vicissitudes : crise à Jérusalem, 5 ; crise en Galilée, 6 ; la lutte devient de plus en plus violente dans la capitale juive, 7-10 ; la résurrection de Lazare et l'entrée triomphale du Sauveur à Jérusalem achèvent d'amener la catastrophe depuis longtemps prévue, 11-12.


Dans la deuxième partie, 13, 1 - 20, 30, la manifestation de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ se continue et se parfait. Quelques jours à peine sous le rapport du temps ; mais les événements et les discours sont décisifs, de la plus haute gravité ; Le double courant de la foi, et de l'incrédulité, de l'amour et de la haine, est plus visible que jamais ; finalement, toutefois, Jésus remporte un triomphe complet sur ses adversaires. 1° Dans l'intimité, Notre‑Seigneur achève de révéler sa nature et son rôle à ses disciples les plus chers, 13-17. 2° Récit de sa passion et de sa mort, 18-19. 3° Sa résurrection glorieuse, 20.

Telles sont vraiment, croyons‑nous, d’après le fond comme d’après la forme du quatrième évangile, les grandes lignes tracées par l'auteur lui‑même, et telle est la division la plus généralement admise. On retrouve du reste ce même partage chez presque tous les commentateurs qui admettent trois ou quatre sections au lieu de deux ; car les principales coupures sont si franchement marquées, qu’il n’est guère possible de les remplacer par d'autres séparations.


D’après Baumgarten‑Crusius, quatre parties : 1-4, l'œuvre du Christ ; 5-12, ses combats ; 13-19, sa victoire morale ; 20-21, sa gloire complète. M. Godet en veut jusqu'à cinq : « La foi naît, 1-4 ; l'incrédulité domine, 5-12 ; la foi atteint sa perfection relative, 13-17 ; l'incrédulité se consomme, 18-19 ; la foi arrive à sa perfection, 20-21 » (Commentaire sur l'Évang. selon S. Jean, 2° édit.,t. 2, p. 12). Les critiques qui adoptent plus de deux grandes divisions s'arrêtent d'ordinaire au chiffre de trois (Ewald se déclare pour « cinq pas en avant » (1, 1-2, 11 ; 2, 12 - 4, 54 ; 5, 1 - 6, 14 ; 6, 15 - 11, 46 ; 11, 47 - 20, 31). Il supprime le chap. 21. J. P. Lange a jusqu’à neuf sections, y compris le prologue et l'épilogue). Par exemple, le Dr Bisping (1-12, Jésus dans son activité publique et dans sa lutte avec le monde ; 13-17, Jésus dans le cercle intime des apôtres ; 18-21, Jésus souffrant et ressuscité), le Dr Luthardt (1-4, Jésus Fils de Dieu ; 5-7, Jésus et les Juifs : 8-21, Jésus et les siens) (« Dans la première partie, dit‑il, on place les fils, dans la seconde le nœud se forme ; le dénouement a lieu dans la troisième ». Das Johann. Evangel., t. 1, p. 212), M. Keppler (Die Composition des Johannesevang., p. 13) (le commencement, 1-4 ; le progrès, 5-12 ; la conclusion, 13-21) ; M. Franke (Loc. cit.) (1-6, Jésus est introduit dans le monde ; 7-12, il combat contre le monde ; 13-21, il quitte le monde). Ces divers plans nous paraissent plus ou moins factices.

§ 8. — LES COMMENTATEURS DE L'ÉVANGILE SELON S. JEAN


Il était naturel, après tout ce que nous avons dit dans cette Préface, que le quatrième évangile trouvât un plus grand nombre de commentateurs que les récits des synoptiques. Voici, indépendamment des ouvrages spéciaux qui sont signalés plus haut ou qui le seront encore à l'occasion, les meilleurs commentaires composés sur S. Jean.

1° Au temps des Pères de l’Eglise. — Pour répondre à la perfide exégèse du gnostique Héracléon, Origène composa ses Commentarii in evangelium secundum Joannem (Opera, édition de la Rue, t. 4 ; Migne, t. 14), divisés en trente‑deux τόμοι, mais dont il ne nous reste que les « tomes » 1, 2, 6, 10, 13, 19, 20, 28, 32, et quelque fragments des tomes 4 et 5. Dix d’entre eux étaient déjà perdus au temps d’Eusèbe (Hist. Eccles., 4, 24). Il y a là de riches idées et toutes les qualités d’Origène, mais aussi tous ses défauts.

S. Jean Chrysostome nous a laissé quatre‑vingt‑huit Homiliæ in evangelium Joannis, prêchées à Antioche de 388 à 398 (Tome 8 de l'édition de Montfaucon). Elles sont admirablement écrites, éloquentes, vigoureuses, et font valoir avant tout le sens littéral.

La Catena Patrum in evangelium Joannis, publiée par Corderius (Anvers, 1630) contient de précieux fragments des commentaires de Théodore de Mopsueste (cf. Migne, Patrol. grœca, t. 66 col. 727-786), d’Apollinaire de Laodicée, d’Ammonius d’Héraclée, etc.

S. Cyrille d’Alexandrie a aussi un excellent Commentarius in Joannis evangelium (Migne, Patrol. gr. t. 73 et 74), plus littéral que les œuvres ordinaires de l’école à laquelle il appartient.

Les Tractatus 124 in evangelium Joannis de S. Augustin, prêchés en 416 par le grand évêque d’Hippone sont un chef‑d’œuvre, où le génie théologique et l'art oratoire se manifestent perpétuellement, quoique le tact exégétique soit moins parfait (Migne, Opera, t. 3, p. 2, col. 1379-1976).

Nous avons en hexamètres grecs une Paraphrasis S. Evangelii sec. Joannem composée dans la première moitié du cinquième siècle par Nonnus de Panople. Elle est très utile pour l'intelligence de certains détails (Migne, Patrol. gr., t. 43).

Bède de Vénérable, Théophylacte et Euthymius Zigabenus ont commenté S. Jean d’après les principes qui avaient déjà servi de base a leur interprétation des synoptiques.

2° Au moyen âge (à cette époque, on aimait à prêcher souvent sur l'évangile selon S. Jean). — L'abbé Rupert de Deutz, « généralement un bon auteur », selon le mot de Maldonat, est l’auteur d'une pieuse et intéressante explication du quatrième évangile, divisée en quatorze livres (In evangelium Joannis commentariorum libri 14, Migne, Patrol. lat. t. 169). C’est lui qui a écrit ces belles paroles, que l’on ne saurait trop méditer avant de commencer l'étude de S. Jean: «Toutes les attaches aux affections charnelles doivent être éloignées des yeux de ceux qui, dans l’école du Christ, étudient les saintes lettres, pour qu’ils puissent suivre cet aigle ; pour qu’avec l’aide de la pureté du cœur, ils puissent, par la pointe de l’esprit, contempler la clarté du Soleil éternel».

Nous avons d'Albert‑le‑Grand une Postilla in evangelium Joannis evangelistœ, et de S. Thomas d’Aquin, une Expositio in evangelium Joannis (Opera, édit. de Venise, t. 14) où le texte sacré est vigoureusement analysé, mais expliqué d’une manière beaucoup moins heureuse.

3° Les temps modernes et contemporains. — Aux œuvres de Maldonat, de Cornelius a Lapide, de Luc de Bruges, des deux Jansenius, de Noël Alexandra, de D. Calmet, de Bisping, etc., mentionnées déjà à propos des évangiles synoptiques, nous avons un certain nombre d'excellents commentaires à ajouter.

Le chanoine Cl. Guillaud : Enarrationes in evangelium Johannis. Paris, 1550.

Le cardinal Tolet : In sacrosanctum Joannis evangelium commentarii. Cologne, 1589. Beaucoup de science, mais des longueurs ça et là.

Le jésuite Ribera : Commentarius in Johannis evangelium. Lyon, 1613.

Klee : Commentar über das Evangelium nach Johannes. Fribourg, 1843-1845. Incomplet.

Fr. X. Patrizi : In Joannem commentarium. Rome, 1857. Un peu concis.

Messmer : Erklærung des Johannes evangeliums. Innspruck, 1860.

Corluy : Commentarius in evangelium S. Joannis. Gand (nous citons d’après la seconde édition, publiée en 1880). Excellent manuel exégétique et dogmatique.

Haneberg‑Schegg : Evangelium nach Johannes, übersetzt und erklært. Munich, 1878-1880. Un des meilleurs commentaires catholiques, commencé par Mgr. l'évêque de Spire, achevé et publié après sa mort par M. le professeur Schegg.

Pœlzl : Kurzgefasster Commentar zum Evangelium des Johannes. Graz, 1882-1884. Bon manuel.

P. Schanz : Commentar über das Evangelium des heiligen Johannes. Tubinguen, 1884-1885. Le meilleur commentaire catholique de l'évangile selon S. Jean ; mais trop de science allemande, ce qui rend souvent la lecture difficile.

Pour compléter cette liste, nous devons ajouter quelques indications relatives aux commentateurs protestants et rationalistes du quatrième évangile. Nous ne mentionnerons que les plus célèbres. F. A. Lampe : Commentarius analytico ‑exegeticus tam litteralis quam realis evangelii Joannis. Amsterdam, 1724. Œuvre souvent citée par les exégètes protestants. Elle est complète, mais diffuse. F. Lücke : Commentar über das Evangelium des Johannes. Première édition en 1820, troisième édition en 1840. Bon, mais un peu long.

Hilgenfeld : Das Evangelium and die Briefe Johannis, nach ihrem Lehrbegriff dargestellt. Halle, 1849. Foncièrement rationaliste.

A. Tholuck : Commentar zu dem Evangelium des Johannes. Hambourg, 1827. Concis et bon ; souvent réédité.

H. A. W. Mayer : Kritisch. exegetisches Handbuch über das Evangelium des Johannes. Gœttingue, 1832 (6° édit. en 1880). Excellent sous le rapport philologique ; mais nombreuses concessions à l'école négative.

O. Baumgarten‑Crusius ; Theolog. Auslegung der Johann. Schriften. Iéna, 1844-1845. Tendances rationalistes ; les Pères sont souvent cités.

C. E. Luthardt: Das Johanneische Evangelium nach seiner Eigenthümlichkeit geschildert und erklœrt. Nuremberg 1852, deuxième édition en 1875. Délicat et distingué.

H. Ewald: Die Johanneischen Schriften übersetzt und erklært. Gœttingue 1861-1862. D’une part les idées ingénieuses et neuves d’Ewald ; d’autre part ses appréciations arbitraires, rationalistes.

E. W. Hengstenberg : Das Evangelium des heilig. Johannes erlæutert. Berlin, 1861-1863. Bon et croyant, mais diffus.

L. Bæumlein : Commentar über das Evangelium des Johannes. Stuttgart, 1863. Simple manuel, incomplet.

F. Godet: Commentaire sur l’Évangile de S. Jean. Neuchâtel, 1864. 2° édit. en 1876. L’un des meilleurs commentaires protestants.

Scholten : Het evangelie naar Johannes, 1867. Scholten est un ultra‑rationaliste.

E. Reuss : La théologie johannique. Paris, 1870. Tendances également très rationalistes ; souvent grande finesse exégétique, qui fait regretter un si mauvais emploi d’un beau talent.

L. Abbott: An illustrated Commentary on the Gospel according to St. John. Londres, 1879. Bon manuel.

W. Milligan et W. Moulton : A Popular Commentary on the Gospel of St. John. Edimbourg, 1880.

F. Westcott: St. John‘s Gospel (faisant partie du Speaker’s Commentary). Londres, 1880. Excellent commentaire ; profondes connaissances exégétiques.

A. Plummer : The Gospel according to St. John, with Notes and Introduction (faisant partie de la Cambridge Bible for Schools). Londres, 1881. Bon abrégé de l'ouvrage de M. Westcott.

H. W. Walkins : The Gospel according to St. John (faisant partie de The Commentary for Schools). Londres, 1881. Autre bon manuel.

C. F. Keil : Commentar über das Evangelium des Johannes, Leipzig, 1881. M. Keil est un des meilleurs exégètes du XIXème siècle. Il est croyant, solide, et résume la plupart des commentaires antérieurs.

M. F. Sadler : The Gospel according to St. John, with Notes critical and practical, Londres, 1883. Assez bon manuel.

J. Wichelhaus : Das Evangelium des Johannes, Halle, 1884. Notes souvent intéressantes, publiées par le Dr Zahn après la mort de l'auteur. Le Verbe divin (versets 1-18). - Le Précurseur rend témoignage à Jésus‑Christ devant les délégués du Sanhédrin de saint Jean‑Baptiste, devant ses propres disciples (verset. 29-34). - Les premiers disciples de Jésus (verset. 35-51).


L’Évangile selon saint Jean commenté verset par verset

CHAPITRE 1

Jean 1. 1 Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. - Commentaire général sur les versets 1 – 18, Prologue de l’Évangile selon saint Jean : 1° Dès le début, l’écrivain sacré a voulu, pour ainsi dire, orienter ses lecteurs, insister sur les idées principales et une explication : Jésus‑Christ est Dieu, il est le Verbe éternel et créateur qui s’est fait chair pour sauver la pauvre humanité. C’est donc une véritable christologie que nous trouvons ici. Toute la vie divine et toute la vie humaine de Jésus y est contenue. 2° Richesse théologique. - Le Verbe au sein du Père et le Verbe incarné, Dieu, l’Homme‑Dieu et l’homme sauvé : aussi quelle n’a pas été l’importance de ce prologue pour les théologiens de tous les temps ? « La métaphysique chrétienne, de S. Augustin à S. Anselme, de S. Thomas à Malebranche, a creusé cet abîme sans en toucher le fond » (Baunard, L’apôtre S. Jean, p. 381). « Le plus haut degré de la doctrine qui traite de Jésus-Christ vrai Dieu et Fils de Dieu se trouve concentré dans un seul chapitre de saint Jean, 1, 1-18. En ce lieu, on nous enseigne que celui qui s’est fait chair dans le temps est Dieu, Dieu éternel, Dieu créateur de l’univers, Dieu auteur de la grâce et de l’ordre surnaturel ; qu’il est le Dieu à qui est dû le culte suprême, qu’il est distinct du Père sans lui être pourtant inférieur, qu’il a été engendré par Dieu le Père, qu’il est son verbe et son Fils unique ». Franzelin, Du Verbe Incarné, th 8. Voyez aussi Mgr Ginouillhac, Histoire du dogme catholique, 1ère partie, livre 9, ch. 1. Mais rien de plus expressif que les paroles de S. Augustin, In Jean Tract. 36 : les autres Évangélistes semblaient marcher sur la terre avec Jésus‑Christ considéré comme homme ; mais Jean, en quelque sorte honteux de se traîner ici‑bas, a élevé la voix à tel point que, dès le commencement de son écrit, il s’est placé, non‑seulement au‑dessus de la terre, de l’air et des astres, mais même au‑dessus de l’armée des anges et de toutes les puissances invisibles établies de Dieu ; il est ainsi arrivé jusqu’à Celui qui a créé toutes choses, car il a dit: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe, était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Le reste de son Évangile est digne d’un si beau commencement. Comme un oiseau, il a pris son vol, et il a parlé de la divinité du Sauveur. Il n’a fait, en cela, que nous rendre ce qu’il avait puisé à la source de la vérité. Évidemment, il ne nous a pas sans raison raconté, en parlant de lui, dans son Évangile, qu’à la dernière Cène il avait reposé sur la poitrine du Seigneur. Appuyé sur le cœur de Jésus, il y puisait un secret breuvage ; mais ce breuvage ignoré, il nous l’a fait connaître en nous le distribuant. Il a enseigné à toutes les nations, non‑seulement l’incarnation du Fils de Dieu, sa passion et sa résurrection, mais ce qu’il était avant de se faire homme : Fils unique du Père, son Verbe, coéternel à Celui qui l’a engendré, égal à Celui qui l’a envoyé, mais devenu, par son incarnation, inférieur à son Père et moins grand que lui ». De même S. Jean Chrysostome : « Ne vantez plus les pensées de Platon et de Pythagore. Ils cherchent ; Jean a vu. Dès son début, il s’empare de tout notre être, il le soulève au‑dessus de la terre, de la mer et du ciel, l’emporte plus haut que les anges, par delà toute créature. Alors, quelle perspective s’ouvre devant nos yeux. L’horizon recule sans bornes, les limites s’effacent, c’est l’infini qui apparaît, et Jean, l’ami de Dieu, ne se repose qu’en Dieu ». Hom. in Jean 1, n. 2. Le lecteur trouvera d’autres magnifiques citations des pères sur le Verbe, dans le bel ouvrage de Mgr Landriot, Le Christ de la tradition. 3° Beauté de la forme. - Cette splendeur suscitait l’admiration même des philosophes païens, entre autres de ces platoniciens qui auraient voulu, raconte S. Augustin, De civit. Dei, liv. 10, 29, qu’on gravât ce prologue en lettres d’or à l’entrée des temples, cf. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 11, 18. Le langage humain n’a rien de comparable à cette « sublime ouverture », à ce « prologue qui vient du ciel » (S. Jérôme, Proem. in Matth.). C’est la plus noble association de la simplicité et de la majesté. Autant les idées sont relevées, autant le style paraît dépourvu d’ornements, avec ses petites phrases entrecoupées et rattachées les unes aux autres par la conjonction et ; mais cela même est une grande beauté et produit un grand effet. - On a signalé une autre particularité de la forme, une sorte de mouvement en spirale dans l’agencement des pensées ; C’est ainsi qu’une idée fait son apparition, se retire et réapparaît plus loin pour être développée et plus complètement définie. Pendant ce temps, une autre idée se présente à nous et se retire pour réapparaître d’une façon analogue. Par exemple, le Logos nous est montré au verset. 1, il disparaît ensuite, et nous est montré de nouveau au verset. 14. La création passe sous nos yeux au verset. 3, pour revenir au verset. 10. La lumière apparaît au verset. 4 ; elle disparaît ensuite et revient aux versets. 10 et 11. Enfin le témoignage de Jean‑Baptiste est mentionné aux versets 6 et 7, réitéré au verset. 15, pour être repris aux versets 19 et suivants. - Au commencement. Comme emporté par un ravissement…, il commence sans préambule son Évangile. C’est déjà, « le regard de l’aigle dans l’infini » (Lacordaire). Mais de quel commencement l’évangéliste a‑t‑il voulu parler ? Rien de plus clair. Il avait certainement à la pensée, le début identique de la Genèse, 1, 1 : « Au commencement ». Dieu a voulu que l’histoire de la rédemption, ou seconde création, s’ouvrît par la même formule que l’histoire de la création proprement dite. De part et d’autre, « commencement » désigne donc l’origine du monde, le commencement du temps. Mais quelle différence, toutefois. Ici, le narrateur remonte au‑delà de la création pour plonger son regard dans l’éternité divine ; là, Moïse redescend au contraire le cours des âges. Sans marquer par elle‑même et directement l’éternité, l’expression « au commencement » nous ramène donc ici, de la manière la plus nette, à cette idée. Elle équivaut à « avant que le monde existe », Jean. 17, 5. « Où vais‑je me perdre ? Dans quelle profondeur, dans quel abîme ?... Allons, marchons sous la conduite du bien‑aimé parmi les disciples, de Jean enfant du tonnerre, qui ne parle pas un langage humain, qui éclaire, qui tonne, qui étourdit, qui abat tout esprit créé sous l’obéissance de la foi, lorsque par un rapide vol fendant les airs perçant les nues, s’élevant au‑dessus des anges, des vertus, des chérubins et des séraphins, il entonne son évangile par ces mots : Au commencement était le Verbe…. Pourquoi parler du commencement, puisqu’il s’agit de celui qui n’a pas de commencement ? C’est pour dire qu’au commencement, dès l’origine des choses, il était ; il ne commençait pas, il était ; on ne le créait pas, on ne le faisait pas, il était…. Au commencement, sans commencement, avant tout commencement, au‑dessus de tout commencement, était celui qui est et qui subsiste toujours, le Verbe ». Bossuet, Élévations sur les mystères, 12ème semaine, 7e élév, cf. aussi la 8e élévation. - Était : nous venons de le voir dans cet admirable commentaire de Bossuet, est un imparfait plein d’importance, puisque c’est lui qui transforme ainsi la notion des mots « au commencement », de manière à leur faire représenter l’éternité. Il dénote la permanence, une continuité sans fin. Aussi l’évangéliste le répétera‑t‑il quatre fois coup sur coup dans ce verset et au suivant, afin de bien montrer qu’il n’y eut aucune période où le Verbe n’existait pas, cf. Colossiens 1, 15 ; Hébreux 1, 8 ; 7, 3 ; Apocalypse 1, 8. Voyez plus bas (note du verset 4) la différence qui existe entre cet « être » du Logos et le « exister » des créatures. C’est sans motif suffisant que divers exégètes anciens et modernes ont traduit le substantif grec par Père éternel, ou Sagesse divine (Origène, S. Cyrille d’Alexandrie, etc.). - Le Verbe, (avec l’article, le Logos par excellence). C’est là, évidemment, l’expression principale du prologue, lequel est dominé tout entier par elle, cf. versets 1 et 14. il importe donc de bien la comprendre et de s’en faire une juste idée. On lui a parfois attribué dans les derniers siècles de fausses significations : par exemple, quand on l’a regardée comme un synonyme de « parole, promesse », c’est-à-dire Messie ; ou de « parole révélée », c’est-à-dire le Christ en tant que docteur. Non, le terme est ici éminemment théologique et métaphysique, et il exprime les plus profonds concepts. On semble avoir hésité pendant quelque temps dans l’Église latine pour en donner une traduction adéquate : on disait tantôt « sermo », tantôt « verbum », au second siècle. Tertullien cite ces deux mots, et il en préfère à tort un troisième, « ratio ». Peu à peu « verbum » prévalut. Mais dit plus que cela : c’est une expression à double face, qui marque tout ensemble et la pensée, le « verbum mentis », et la parole par laquelle est exprimée cette pensée, le « verbum oris » (S. Augustin). Les quatre évangélistes l’emploient fréquemment (S. Jean, près de quarante fois) dans sa signification générale de « parole » , etc., et les synoptiques s’en servent aussi d’une façon plus spéciale pour désigner la parole de Dieu, la prédication évangélique. Toutefois l’usage remarquable qui en est fait, sans commentaire et d’une manière absolue, soit en ce passage à quatre reprises (versets 1 et 14), soit 1 Jean 5, 7, pour désigner le verbe personnel, le fils de Dieu, la seconde personne de la Très Sainte Trinité, est propre à S. Jean. Comparez 1 Jean 1, 1 et Apocalypse 19, 13, où on la trouve avec le même sens, mais accompagnée d’un autre substantif qui la caractérise : « le Verbe de Dieu ». Et, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que notre évangéliste la suppose parfaitement claire pour ses lecteurs, et n’ajoute pas la moindre explication. Cherchons d’abord d’où il l’avait tirée ; il sera aisé ensuite d’indiquer pourquoi il a été seul à en faire usage. - 1° D’après les rationalistes, qui ont écrit de longues dissertations à ce sujet, c’est à des sources profanes que S. Jean aurait puisé le nom et la doctrine du Logos. Nous répondons, et la démonstration est aujourd’hui bien facile, que S. Jean n’a emprunté ce nom et cette doctrine ni aux gnostiques, ni aux écrits du juif Philon, mais à la tradition juive complétée pour lui par une révélation spéciale. - 1. Nous connaissons le Logos des Gnostiques par quelques citations de S. Irénée, Contre les Hérésies 1, 24, 3. Rien de plus compliqué que les systèmes rattachés par eux à cette notion sublime. Ainsi, d’après Basilides (début de second siècle), le Verbe est la seconde des sept intelligences émanées du Dieu suprême. « L’esprit naquit en premier lieu du Père éternel ; puis de l’esprit est né le Logos, du Logos la Prudence, de la Prudence la Sagesse et la Puissance, de la Sagesse et de la puissance les Vertus, les Princes et les Anges ». Valentin (milieu de second siècle) admet un premier principe, appelé Proarkè ou premier commencement, Propator ou premier Père, Bythos ou abîme. Ce « Propator » est éternel ; avec lui coexiste l’ennoïa ou pensée de son esprit, qui conçoit et produit le nous, lequel engendre à son tour le fameux pléroma, et en premier lieu le Logos. Du Logos uni à la Vie naissent l’homme et l’Église. Ogdoade, décade, dodécade, les trente éons : vraiment, y a‑t‑il quelque rapport entre ces complications embrouillées et le prologue si simple de saint Jean ? Oui, mais « bien loin que l’auteur du quatrième évangile ait emprunté à la gnose les termes de Verbe, de Vie, de Lumière, de Fils unique, c’est la gnose qui lui a pris ces expressions métaphysiques ; elles avaient en effet le double avantage de se prêter à des interprétations subtiles, tout en étant consacrées par le respect de l’Église ». D’une source si troublée que ces grossières erreurs, on ne saurait extraire la liqueur fraîche et limpide que nous donne saint Jean. Voyez Mgr Ginouilhac, Histoire du dogme cathol., t. 2, p. 183 et s. ; Vacherot, Histoire critiq. de l’École d'Alexandrie, p. 201 et s. - 2. Philon est le représentant principal de ces théosophes d’Alexandrie, contemporains de S. Jean, dont la doctrine était un étonnant mélange de platonisme, de judaïsme, de mysticisme oriental. C’est lui surtout qu’on a regardé fin XIXème siècle comme l’inspirateur de S. Jean. Il est vrai que Philon parle fréquemment du Logos, mais d’une manière si hésitante, parfois si contradictoire, qu’on a de la peine à savoir au juste ce qu’il en pense. On ne peut même dire si son Verbe est une personne réelle ou une simple abstraction. Ce qui est vrai, du moins, c’est que le Logos de Philon n’est qu’un agent intermédiaire entre Dieu et le monde, entre la lumière céleste inapprochable et la matière : il sépare autant qu’il unit. Il est Dieu, fils de Dieu, mais Dieu inférieur, Dieu d’une manière improprement dite, par opposition au Dieu en vérité. Il ne s’est pas incarné, il ne nous a pas rachetés, il n’est pas le Messie. Quelle différence du tout au tout entre ces idées si vagues et la riche substance du prologue de S. Jean. Le Logos du quatrième évangile est au Logos de Philon ce que le discours de S. Paul devant l’Aréopage athénien était à l’inscription au Dieu inconnu - 3. Si la ressemblance entre les idées de Philon et de S. Jean au sujet du Verbe est purement extérieure, et se change en une complète opposition dès qu’on entre dans le détail et au fond des choses, nous devons admettre au contraire que la tradition juive offrait à notre évangéliste un point d’appui réel pour son prologue. Il est aisé de le prouver à l’aide soit de l’Ancien Testament, soit des Targums ou anciennes paraphrases juives de la Bible. Les première traces du Logos nous apparaissent dès l’origine du monde, car c’est par sa parole, mentionnée à dix reprises dans l’histoire de la création, que Dieu produisit tout l’univers (Genèse 1, 3, 6, 9, 11, 14, 20, 22, 24, 26, 29). Plus tard, au livre des Psaumes, cette même parole est presque personnifiée, et on lui attribue des propriétés divines (Ps. 32, 6 : « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l'univers, par le souffle de sa bouche » ; Ps. 147, 15 : « Il envoie sa parole sur la terre : rapide, son verbe la parcourt » ; Ps. 106, 20 : « il envoie sa parole, il les guérit, il arrache leur vie à la fosse »). De même dans Isaïe (cf. 40, 8 : « l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours » ; 55, 11, et ss.). Aux livres de Job (28, 12 et ss.) et des Proverbes (8 et 9), il y a encore un mouvement en avant vers la personnification, quoique nous trouvions une modification dans les termes : « Sagesse » de Dieu, au lieu de « Verbe » de Dieu ; mais ces expressions sont synonymes. Remarquez surtout ce passage des Proverbes, 8, 22 et s. : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre. Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes. Avant que les montagnes ne soient fixées, avant les collines, je fus enfantée... jouant devant lui à tout moment, jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes ». Enfin le progrès s’accentue de plus en plus dans les écrits deutérocanoniques, cf. Ecclésiastique 1, 1-20 ; 25, 1 22 ; Sagesse 6, 21-9, 18 ; Baruch 3, 9-4, 4. Il y a là des lignes extrêmement frappantes, qui font du Verbe divin une hypostase bien distincte : c’est notamment la suivante, Sagesse 18, 15, « ta Parole toute‑puissante fondit en plein milieu de ce pays de détresse », où le Verbe apparaît comme l’instrument des célestes vengeances. Les Targums nous présentent des faits analogues, non‑seulement çà et là, mais d’une manière constante. C’est par centaines de fois en effet, que la locution Mèmera da Yeya, « Parole de Dieu » y vient remplacer les noms divins ou se surajouter à eux. On la trouve plus de cent cinquante fois dans le seul Targum d’Onkélos sur le Pentateuque, près de cent fois dans le Targum de Jérusalem, environ trois cent‑vingt fois dans celui de Jonathan. Et, dans beaucoup de ces cas, la Mèmera représente non seulement Dieu en tant qu’il se révèle, mais comme une hypostase distincte dans la divinité. Les exemples suivants sont significatifs sous ce rapport. Genèse 3, 8-9, au lieu de ces mots du texte : « Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu… ; Dieu appela Adam », nous lisons dans les paraphrases aramaïques : « Ils entendirent la voix du Verbe de Dieu ; … le Verbe de Dieu appela Adam ». Genèse 9, 12, Onkélos traduit : « Le signe de l’alliance sera entre mon Verbe et vous » (c’est Dieu lui‑même qui parle). Genèse 22, 16, au lieu de : « J’ai juré par moi‑même », Dieu dit dans le Targum : « J’ai juré par mon Verbe ». Genèse 16, Agar voit « le Verbe de Dieu », qu’elle identifie ensuite avec la Schekinah ou présence divine. Deutéronome 1, 32 et 33, d’après Onkélos : « Vous n’avez pas vu le verbe de Dieu, qui fut votre guide sur la terre ». Deutéronome 26, 17 et 18, d’après le Targum de Jérusalem : « Vous avez aujourd’hui établi le Verbe de Dieu roi sur vous, afin qu’il soit votre Dieu » ; etc. Remarquons en outre que les Targums ont une autre expression, Pithgama, pour désigner le langage ordinaire de Dieu, ce qui rehausse encore la force de Mèmera. Par exemple, Deutéronome 18, 19, nous trouvons cette nuance bien marquée : « Si quelqu’un n’écoute pas ma parole (Pithgami), qu’il a proférée en mon nom, mon Verbe (mèmerati) lui en demandera compte », cf. Deutéronome 5, 5, etc. ; L. Stapfer, Les idées religieuses en Palestine à l'époque de Jésus‑Christ, 2è édit. p. 39 et ss.. - 4. Et pourtant cette tradition juive, quoique si formelle, ne put suffire à saint Jean, car elle est loin d’être aussi nette que son prologue, d’exprimer tout ce qu’il dit lui‑même. Nulle part elle n’attribue au Verbe de Dieu le caractère messianique ; nulle part elle n’exprime directement qu’il est en Dieu une personne distincte. Aussi l’apôtre bien‑aimé eut‑il besoin d’une révélation spéciale pour acquérir ces connaissances sublimes, ainsi qu’il le raconte lui‑même, Apocalypse 19.« 11 Puis je vis le ciel ouvert et il parut un cheval blanc, celui qui le montait s'appelle Fidèle et Véritable, il juge et combat avec justice. 12 Ses yeux étaient comme une flamme ardente, Il avait sur la tête plusieurs diadèmes et portait un nom écrit que nul ne connaît que lui-même, 13 il était revêtu d'un vêtement teint de sang, son nom est le Verbe de Dieu. » - 2° Répondons maintenant à la deuxième question qui a été posée plus haut : Pourquoi saint Jean est‑il seul à faire usage de ce nom remarquable ? C’était à cause des besoins particuliers de son époque, et pour opposer, sur ce sujet non moins délicat qu’important, la vraie doctrine aux erreurs qui commençaient à circuler dans l’Église. Quant à la merveilleuse convenance du mot Logos pour désigner la seconde personne de la Saint Trinité, elle ressort si bien de cette expression même, qu’il n’est pas nécessaire d’insister là-dessus. « Ce nom de Verbe ou de parole divine est l’image la plus déliée, la plus spiritualisée de la nature du Fils qui soit dans le langage » (Baunard, L’apôtre S. Jean, p. 381) ; rien ne marque mieux les relations intimes et éternelles du Père et de N.-S. Jésus‑Christ, cf. S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, partie 1, q. 34 ; Mgr Ginouilhac, Histoire du dogme catholiq., t. 2, p. 2-6, p. 386 et s., etc. « Qui dit Verbe dit la parole intérieure, la parole substantielle de Dieu, son intelligence, sa sagesse ; un discours éternellement dit, et dans lequel tout est dit, qui, dans l’infinie fécondité d’une âme, d’une parole prononcée une fois pour ne jamais cesser, renferme toute vérité, est substantiellement avec la vérité même ». Fouard, La vie de N.S. Jésus‑Christ, t. 1, p. 461 (c'est le début d'une excellente dissertation sur le Verbe de S. Jean). - Et le Verbe … On a remarqué depuis longtemps le mouvement de gradation solennelle qui existe dans le premier verset : trois propositions le composent, relatives toutes les trois à la vie du verbe au sein de son Père ; mais la seconde dit plus que la première, et la troisième plus que la seconde. Cela va montant toujours dans une admirable symétrie. - Était continue d’exprimer cinq fois de suite (versets. 1-4) une éternelle permanence ; quand nous le retrouverons pour la sixième fois (verset. 4, « la vie était la lumière des hommes »), il marquera encore la perpétuité, mais dans le temps. - En Dieu. Le choix de la préposition grecque est remarquable ; à la suite d’un verbe de repos, on attendrait plutôt autre chose. C’est à dessein que l’évangéliste a employé en cet endroit et au verset 18 une construction qui dénote non seulement la juxtaposition, la coexistence dans un même lieu, mais, en plus une activité intérieure, des énergies et des tendances ineffables, en un mot, ces communications divines qui portent dans le langage théologique les noms de processions, de relations. Voyez 3, 35, une de ces relations. Il suit évidemment de là que le Verbe possède une personnalité distincte de celle de Dieu le Père. - Et le Verbe était Dieu. Troisième proposition, qui ajoute un nouvel élément aux deux autres. Sans doute, la divinité du Verbe avait été implicitement affirmée dans les lignes qui précèdent ; néanmoins saint Jean tenait à la déclarer en formes expresses et explicites. « Dieu » est mis en avant pour mieux accentuer l’idée, quoique « Verbe » soit encore le sujet de la proposition. Cette fois l’article est omis devant le mot grec pour éviter une importante amphibologie : la phrase grecque aurait pu signifier que le Verbe possède à lui seul tout l’être divin, qu’il est la Divinité (ce fut l’erreur de Sabellius), tandis qu’il partage la nature divine avec le Père et le Saint‑Esprit. Ainsi donc, dans ces quelques mots, trois grandes vérités sont révélées : le Verbe est éternel, le Verbe jouit d’une personnalité distincte, le Verbe a part à l’essence divine. C’est bref et c’est complet.

Jean 1.2 Il était au commencement en Dieu. - Après s’être ainsi plongé dans l’abîme de la Divinité, et après avoir décrit l’état éternel du Verbe de Dieu et son action intime, l’évangéliste, avant de passer à un autre genre d’action du Logos, résume plus brièvement encore ce qu’il vient de dire. Une quatrième proposition (verset 2) résume en les combinant tous les éléments compris dans les trois autres (verset 1). - Il est un sommaire de la troisième proposition : ce Verbe‑Dieu ; était au commencement reproduit la première ; en Dieu abrège la seconde. C’est une récapitulation pleine d’énergie.

Jean 1.3 Tout a été fait par lui et sans lui n'a été fait rien de ce qui a été fait. - Nous avons contemplé le Verbe intérieur, vivant au sein du Père ; voici maintenant le Verbe se portant au dehors, se manifestant dans le monde par ses œuvres (Saint Justin, Apol. 1.). L’évangéliste indique les relations du Logos d’abord avec les créatures en général (versets 3 et 4), puis plus spécialement avec l’humanité (versets 5). - Tout : tout ce qui existe en dehors de Dieu, l’univers entier (cf. verset 10, « le monde »), dans son ensemble et dans tous ses plus petits détails. Le mot grec sans article est plus expressif que celui de saint Paul (1 Corinthiens 8, 6 ; Colossiens 1, 15 ; etc.), parce qu’il n’est limité d’aucune manière. - Par lui : Dieu le Père est la « cause efficiente » de la création, comme s’expriment les théologiens : aussi ses relations avec le monde créé sont‑elles ordinairement désignées par la préposition « de ». Quand il s’agit du Fils, du Verbe, ses rapports avec les créatures sont marqués de préférence par deux autres formules, « par » et « en ». 1 Corinthiens 8, 6, cf. Hébreux 1, 2. Il est en effet tout ensemble la « cause instrumentale » « causa instrumentalis » et la « cause exemplaire » « causa exemplaris » de la création ; l’instrument du père ou le bras du père, et un type merveilleux de toutes choses. Voyez Mgr Ginouilhac, l. c., p.320 et s. - De ce qui a été fait : Quelle différence. Le Verbe « était » ; les créatures « ont été faites » ; plus littéralement : « elles sont devenues », expression si fréquemment employée au premier chapitre de la Genèse. - Et sans lui …L’idée pourtant si claire que nous venons de lire au premier hémistiche est répétée dans le second, mais sous une forme négative qui est plus expressive encore. C’est là une particularité du style de saint Jean, cf. 1, 20 ; 3, 16 ; 10, 5, 8. ; 20, 27 ; 1 Jean 1, 5, 6 ; 2, 4, 10, 11, 27, 28 ; Apocalypse 2, 13 ; 3, 9. Elle rappelle le parallélisme antithétique de la poésie juive... Rien n’a été fait : Le grec dit avec plus d’énergie, « pas une seule chose ». Tout ce qui existe a donc passé par la volonté du verbe avant d’arriver à l’être : atome, brin d’herbe, insecte minuscule, séraphin brillant ; il n’y a pas d’exception. Tout se ressemble sous ce rapport. - De ce qui a été fait : L’aoriste grec se rapportait au fait même de la création, et nous montrait les créatures passant à l’existence sur un ordre du Verbe ; le parfait grec décrit maintenant la création comme un résultat acquis et permanent.

Jean 1.4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, - Quelle sorte de vie ? La vie sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, selon les divers degrés et propriétés des créatures : vie physique, vie intellectuelle et vie morale ; vie naturelle et surnaturelle ; vie du temps et de l’éternité. Nous n’avons aucune restriction à faire. A tous les points de vue le Verbe est une source de vie, cf. 5, 26 ; 14, 6. Et il le fallait bien, puisque « toutes choses ont été faites par lui », verset 3. La formule « en lui » dit plus que « par lui ». - Continuant de redescendre le « fleuve du temps », l’écrivain sacré passe des relations générales du Logos avec l’univers à ses relations plus spéciales avec l’homme. Il se rapproche ainsi rapidement de son sujet spécial. Le Verbe « touche tous les êtres, mais d’une manière inégale. Il a des contacts qui donnent seulement l’existence sans la vie ni le sentiment ; d’autres qui donnent l’existence, la vie, le sentiment et l’intelligence ». S. Grégoire‑le Grand. Le contact du verbe avec sa créature privilégiée, l’homme, porte ici le beau nom de lumière : et la vie était la lumière des hommes, la lumière par excellence, lumière idéale et essentielle (S. Cyr. d’Alexandrie). Magnifique symbole, que les pères et les théologiens catholiques ont si bien fait valoir. Jésus s’en fera plus tard une application personnelle (8, 12, cf. 1 Jean 1, 5). - Des hommes, au pluriel, pour montrer qu’il s’agit sans exception de tous les membres de la grande famille humaine. « Tout être raisonnable, dit encore S. Cyrille, est comme un beau vase que le grand Artiste de l’univers a formé pour le remplir de cette divine lumière ».







Jean 1.5 et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue. Encore un pas en avant. Nous allons apprendre ce qu’est le Verbe pour l’homme déchu. - Et la lumière. Le Logos suivant la belle expression de S. Pierre (1 Pierre 1, 19). Rien de plus grandiose que ces propositions si riches, simplement alignées les unes à la suite des autres. - Dans les ténèbres. Mais d’où peuvent bien venir ces ténèbres ? Que s’est‑il passé dans le monde créé par le Verbe ? Le chap. 3 de la Genèse répond à ces questions. Entre les versets 4 et 5 il faut donc intercaler la terrible catastrophe de la chute des premiers hommes, qui amena sur la terre tant de ténèbres. Malgré cela la lumière luit. Remarquez ce présent, le seul que nous trouvions dans les cinq premiers versets. Il est pittoresque et plein de signification. En dépit du démon, en dépit du péché, des passions humaines qui tendent à tout obscurcir moralement, le Verbe luit de la façon la plus sereine, conformément à sa nature et à son but. Il est là comme un réparateur après la chute. - Et les ténèbres. Hélas, il ne réparera pas tout le mal produit. Car ces ténèbres sont intelligentes ; elles résistent, et refusent de se laisser entièrement pénétrer par la lumière, cf. 3, 19 : « la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». Ce passage nous présente le premier exemple de ce que nous appellerons le « ton tragique » de S. Jean. L’évangéliste cite d’abord un fait heureux, puis il lui rattache sans transition un autre fait, extrêmement douloureux et triste, qui est en contradiction complète avec les bons résultats que l’on croyait pouvoir attendre du premier, cf. versets 10, 11 ; 3, 11, 19, 32 ; 5, 39, 40 ; 6, 36, 43, etc. Sur l’emploi métaphorique du mot « ténèbres » voyez 8, 12 ; 14, 35, 46 ; 1 Jean 1, 5 ; 2, 8, 9, 11. - Ne l’ont pas reçue. Ce tableau est vivant. On croirait voir une masse d’épaisses ténèbres qui se resserrent et se rendent de plus en plus compactes, pour empêcher le soleil de pénétrer parmi elles et de les dissoudre. Éphésiens 3, 18 : Ils ont l'intelligence obscurcie et sont éloignés de la vie de Dieu, par l'ignorance et l'aveuglement de leur cœur. C’est à tort que le verbe grec a parfois (à la suite, il est vrai, d’illustres exégètes, tels qu’Origène et S. Jean Chrysostome) été traduit par « arrêter, dominer ».

Jean 1.6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu, son nom était Jean.

« Jusqu'alors l'évangéliste traitait de la divinité du Verbe, il commence ici à traiter de l'incarnation du Verbe », S. Thomas d'Aquin. Le Précurseur ouvre la marche (versets 6-8), comme dans les synoptiques et dans la vie réelle de Notre-Seigneur Jésus‑Christ. Le verset 6 indique sa nature et sa dignité ; les versets 7-8 développent son rôle. Très peu de paroles, mais une grande richesse de pensées. S. Jean renvoie tacitement ses lecteurs aux trois premiers évangiles pour les détails. - Il y eut ; comme au verset 3 ; Le Verbe « était », le Précurseur « devint », il eut un commencement. Notez le manque absolu de transition ; le narrateur passe brusquement à son nouveau sujet. - Un homme. Le Logos était Dieu, Jean‑Baptiste n’était qu’un homme. - Envoyé de Dieu. Cet homme est caractérisé d’abord en termes généraux : c’était un apôtre, un divin messager, cf. Malachie 3, 1 ; 4, 5. La formule grecque n’est pas une simple périphrase pour « fut envoyé » ; le participe est un véritable attribut, qui doit être traduit à part : Il y eut un homme, envoyé de Dieu. - Son nom était Jean. Beau nom, tout à fait significatif (Iochanan, le Seigneur a fait grâce). voyez commentaire Luc, 1, 13. Le Précurseur est mentionné vingt fois dans le quatrième évangile ; mais jamais on n’y ajoute à son nom l’épithète de Baptiste.



Jean 1.7 Celui-ci vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui : - Celui-ci résume et récapitule le verset 6 : Cet homme, envoyé de Dieu. - Vint désigne les débuts du ministère public de S. Jean. Matth. 3, 1. « Et il vint dans toute la région du Jourdain, prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés », cf. Luc. 3, 3. - En témoignage. Voilà, sous son aspect général le rôle de Jean‑Baptiste : il devait être un témoin. Les mots suivants, pour rendre témoignage à la lumière déterminent l’objet spécial de sa mission : son témoignage concernait le Verbe‑lumière. Sur la particule grecque ἵνα (pour), dont notre évangéliste fait un si fréquent usage, surtout pour marquer une intention divine, voyez la Préface, § 6, 2 ; μαρτυρεῖν (témoigner) et μαρτυρία (témoignage) comptent aussi parmi ses expressions favorites : elles reviennent environ cinquante fois dans son évangile, près de quarante fois dans ses lettres et l’Apocalypse. - Afin que tous croient. C’était le but final du témoignage de Jean‑Baptiste : inciter tous les hommes à croire en N.-S. Jésus‑Christ. Sans doute, « tous » désigne plus directement les Juifs, car c’est d’abord à leurs oreilles que retentit la prédication du Précurseur (cf. versets 19 et ss.) ; mais cette expression convient aussi au genre humain tout entier, puisque, dans le plan divin, Jean faisait partie intégrante d’un système religieux au moyen duquel la foi devait pénétrer chez tous les peuples sans exception. Voyez du reste, Matth. 3 , 7-10, la vigueur avec la quelle il contestait l’interprétation outrée que l’Israël d’alors donnait de ses privilèges nationaux. L’emploi du verbe « croire » sans complément est très fréquent dans le quatrième évangile, cf. v. 51 ; 4, 41, 42, 48, 53 ; 5, 44 ; 6, 36, 64 ; 11, 15, 40 ; 12, 39 ; 14, 29 ; 19, 35 ; 20, 8, 29, 31. - Par lui : par l’intermédiaire du Précurseur.



Jean 1.8 non que celui-ci fût la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière. - Non que celui-ci fût… . […] Ce n’est pas lui qui était la lumière. Comparez 2, 21 ; 5, 19, 35, 46, 47 ; 6, 29 ; 8, 42, 44 ; 9, 9, 11, 25, 36, etc. Cet usage est encore caractéristique des écrits de S. Jean. - La lumière, cf. v. 4. Quelque grand que fût Jean‑Baptiste, il n’était pas lui‑même source de lumière, mais simplement il réfléchissait la lumière qu'il recevait ; ou, pour employer les expressions de Jésus lui‑même (5, 35), « la lampe qui brûle et qui brille » (voyez le commentaire). S. Augustin le dit avec son énergie ordinaire : « Qui était‑il pour rendre témoignage de la lumière? C’était quelque chose de grand, grand mérite, grande grâce, grande élévation. Admirez-le, oui, admirez-le, mais admirez-le comme une montagne. Or, une montagne demeure dans les ténèbres, à moins que la lumière ne vienne l’éclairer de ses rayons », Tract. 2, 5. - Mais il avait à rendre témoignage…Le narrateur insiste d’une manière étonnante sur cette idée : Jean‑Baptiste est un témoin du Verbe, pas davantage. Comme on l’a souvent répété, il le fait évidemment dans un but polémique, pour réfuter les erreurs qui avaient cours, même à la fin du premier siècle, sur la personnalité et le rôle du Précurseur. Voyez l’épisode significatif du livre des Actes, 19, 1-6, cf. Clement. Recognitiones, 1, 54, 60. Jean avait été pourtant si fidèle à sa mission de témoin du Christ.



Jean 1.9 La lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme, venait dans le monde. - C’était la vraie lumière. Nous revenons au Verbe‑lumière et à son action sur les hommes, cf. versets 4 et 5. « Était » (toujours ce majestueux imparfait) a « Verbe » pour sujet sous‑entendu ; « lumière » est ici un attribut. Les adjectifs vrai et parfait reviennent souvent dans le quatrième évangile et dans les autres écrits de S. Jean ; ils expriment des nuances délicates. Le premier est le contraire de menteur, trompeur ; le second caractérise un être qui correspond à son idéal, qui est par conséquent complet et parfait. Telle est la lumière du Verbe, cf. 6, 32, « le vrai pain venu du ciel » ; 15, 1, « moi, je suis la vraie vigne ». - Qui éclaire. Le présent après l’imparfait, comme aux versets 4 et 5 ; construction très expressive. L’objet des divines illuminations du Verbe est marqué par les mots « tout homme ». L’absence d’article dans le grec et l’emploi du singulier accentuent davantage la pensée : pour que personne ne soit exclu. Et non seulement personne n’est exclu, mais chaque homme est compris dans cette formule d’une manière individuelle. La plupart des versions anciennes (en particulier l’Itala, la Vulgate, le syriaque, le copte) rattachent à « homme », le qualificatif « venant en ce monde », qui est ambigu dans le texte grec et peut dépendre aussi de « lumière » : de même le plus grand nombre des commentateurs. C’est une locution générale calquée sur le mot hébreu des Rabbins (venir au monde, c’est-à-dire « naître » ), et destinée encore à placer tous les hommes sans exception sous les rayons illuminateurs du Verbe. Quelques exégètes préfèrent néanmoins l’autre liaison, et traduisent : Il était la vraie lumière.., laquelle venait (alors) en ce monde. Leur interprétation ajoute, il est vrai, une heureuse idée au texte, en préparant l’apparition historique du Verbe (vers. 10 et 11).



Jean 1.10 Il était dans le monde et le monde a été fait par lui et le monde ne l'a pas connu. Phrase analogue à celle du verset 1 : de part et d’autre trois propositions courtes, solennelles, simplement juxtaposées. - Il était dans le monde. On admet communément que l’évangéliste se reporte aux temps qui précédaient l’Incarnation, cf. versets 4 et 5. Même avant de se manifester aux hommes comme l’un d’entre eux, le verbe vivait au milieu du monde, et il était aisé de le reconnaître dans ses œuvres. L’expression «monde», l’une des plus fréquemment employées par saint Jean (quatre‑vingts fois dans son évangile, vingt‑deux fois dans sa première lettre), désigne ici d’une manière plus spéciale le monde païen, par opposition au peuple théocratique, verset 11. - Et le monde a été fait par lui, cf. verset 3 et le commentaire. - Et le monde ne l'a pas connu. Nous retrouvons le ton tragique plus encore qu’au verset 5. Le narrateur avait admirablement mis en relief les circonstances qui semblaient devoir préparer au verbe l’accueil le plus favorable de la part du monde. Le monde, où il attestait de tant de manières sa présence bienfaisante ; le monde, où il continuait d’exercer son action créatrice. Et cependant l’incrédulité, quoique impossible en apparence, a été le grand crime de ce monde ingrat : il n’a pas voulu acquérir la connaissance du Verbe.

Jean 1.11 Il vint chez lui et les siens ne l'ont pas reçu. Autre insuccès du Verbe, encore plus douloureux parce qu’il paraissait alors impossible. Les versets 9 à 11 forment comme trois cercles concentriques, qui vont se rapprochant progressivement de leur centre commun. Au verset 9, le Logos brille suspendu au firmament moral et illumine divinement tous les hommes ; au verset 10, le voilà en communications plus intimes avec le monde, mais le monde ne s’inquiète pas de lui ; au verset 11, nous le voyons rejeté même d’Israël, son peuple de prédilection. En effet, ce sont certainement les Juifs qui sont désignés par les expressions chez lui. Plusieurs passages de la Bible nous les montrent comme la nation choisie de Dieu, qui lui appartenait en propre (en hébreu littéralement : le peuple de la propriété). La Palestine est la « terre d’Emmanuel ». Aussi, les relations du Logos avec Israël sont‑elles marquées non par « était », mais par un verbe plus concret, vient. Il est venu dans la Terre‑Sainte comme « chez lui », pour avoir avec « les siens » d’étroites et amicales communications. - Le résultat de sa venue est exprimé sur un ton plus profondément élégiaque et douloureux que jamais : et les siens ne l'ont pas reçu. Les ténèbres n’avaient pas saisi la lumière (verset 5), le monde n’avait pas connu le Verbe (verset 10) ; maintenant nous avons une expression plus forte, qui correspond à une culpabilité plus grande des Juifs [les élites juives : la majorité du Sanhédrin] : ils ont opiniâtrement et volontairement refusé de recevoir leur Maître, leur Messie‑Roi. Voyez, dans le grec, le verbe composé qui est ici plein de solennité. Il signifie proprement « recevoir chez soi », et convient très bien pour décrire l’accueil que les Juifs auraient dû faire au Verbe comme nation. Et pourtant, quelle délicatesse dans cette énergie même car Israël fut loin de s’en tenir à une incrédulité négative envers N.-S. Jésus‑Christ. Voir Isaïe 53, 1-6, sur le rejet de Jésus.

Jean 1.12 Mais quant à tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, - à tous ceux… Toutefois, l’insuccès du Logos ne fut pas absolu. Il trouva soit chez les Juifs, soit dans le monde païen, des partisans fidèles qui adhérèrent à lui. La particule grecque établit un contraste entre ces croyants et les incrédules des versets 10 et 11. « à tous ceux » relève le caractère individuel, isolé des conversions. Le monde et Israël, en tant que masses, rejetèrent le Christ ; ce furent de simples particuliers qui le reçurent. On ne fit nulle part à Jésus‑Christ de réception officielle, pour ainsi dire. - Il a donné : A ses amis, le Logos sut offrir la plus magnifique récompense en échange de leur dévouement : le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Le terme grec ne désigne pas seulement une possibilité mais un vrai droit, un pouvoir réel. Et quel droit. Le glorieux et ineffable privilège de la filiation divine, dont S. Paul exposera tout au long les avantages. Remarquez pourtant la différence qui existe : le Fils unique de Dieu possède ce titre de toute éternité ; il ne « devient » pas fils comme nous. - A ceux qui croient : L’évangéliste ajoute une explication, pour dire à quelle condition les hommes pourront devenir enfants de Dieu, ou, en d’autres termes, ce que c’est que recevoir le Verbe. L’une et l’autre de ces choses se résume dans la foi, ce mot si important de l’évangile et du christianisme. - En son nom : Hébraïsme d’un usage très commun dans les deux Testaments. Le nom est considéré comme une révélation de celui qui le porte, comme l’expression adéquate de sa nature : croire au nom du verbe c’est donc croire à sa divinité. S. Jean construit le Verbe « croire », tantôt avec la préposition « en » et l’accusatif (trente‑cinq fois dans son évangile), tantôt simplement avec le datif : la première formule, employée dans ce passage, est beaucoup plus énergique, comme nous le redirons de temps à autre.

Jean 1.13 qui sont nés non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Beau développement des mots «enfants de Dieu » (verset 12) . La filiation divine, à laquelle ont droit tous ceux qui croient à N.-S. Jésus‑Christ, ne s’obtient pas par la génération humaine, ainsi que le pensaient les Juifs ; comme son nom l’indique, elle provient directement de Dieu. Ces deux idées sont mises en opposition de la manière la plus expressive. La première, sur laquelle S. Jean insiste davantage, est répétée coup sur coup jusqu’à trois fois, au moyen de synonymes énergiques placés en gradation ascendante. - Qui ne sont pas nés du sang. « non comme le fils d'un mortel, mais comme un rejeton de la race divine », Tite Live, 38, 58. Le sang était regardé chez les anciens comme le centre de la vie physique, cf. Genèse 9, 4 ; Lévitique 17, 1, 14 ; Deutéronome 12, 23, etc. D’après quelques commentateurs, le pluriel grec désignerait le sang du père et celui de la mère, communiqué à leurs enfants. D’autres le regardent comme un hébraïsme. On voit plus communément aujourd’hui dans l’expression « du sang » un pluriel idiomatique, et désignant les particules multiples dont le sang, comme tout autre liquide, est composé. - Ni de la volonté de la chair. Par chair, il faut entendre, d’après de nombreux passages du Nouveau Testament et surtout de S. Paul, l’homme animal et ses appétits inférieurs, sensuels. - Ni de la volonté de l’homme. Troisième assertion, qui reprend et résume les deux autres. La gradation est marquée en ces termes par S. Thomas : « Du sang, donc d'une cause matérielle ; de la volonté de la chair, donc d'une cause liée à la concupiscence ; de la volonté de l'homme, donc d'une cause d'ordre intellectuel ». La « volonté de l’homme », c’est la personnalité supérieure à l’instinct aveugle. - Mais de Dieu. Contraste saisissant. Un seul mot opposé aux trois qui précèdent ; une naissance toute spirituelle en face de l’origine charnelle et matérielle ; une seconde humanité qui vient remplacer la première. « Notre naissance est une naissance virginale. Dieu seul nous fait naître de nouveau comme ses enfants », Bossuet. - Sont nés. « ont été engendrés » en grec. Fait étrange S. Irénée et Tertullien protestent contre le pluriel ; ils réclament le singulier comme la vraie leçon, et appliquent ce mot au Verbe de Dieu. C’est une erreur évidente, que le contexte réfute suffisamment, sans parler de tous les documents anciens. Quelle beauté dans ce titre de « fils de Dieu » ainsi conféré aux croyants. Nous le trouvons parfois dans les écrits de l’Ancien Testament pour désigner les relations d’Israël avec Dieu ; mais il est loin d’avoir la même signification que sous la nouvelle Alliance. Là il exprime seulement une affection, une tendresse particulières, mais jamais une adoption proprement dite, cf. Exode 4, 22 et s. ; Deutéronome 14, 1 ; 32, 11 ; Isaïe 43, 1, 15 ; 45, 11 ; 63, 16 ; 64, 7 ; Jérémie 31, 9, 20 ; Malachie 1, 6 ; 2, 10, etc.



Jean 1.14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique tient de son Père, plein de grâce et de vérité. - Voici le sommet de l’histoire du monde et des divines bontés. - Et le Verbe s’est fait chair. Le Verbe fait chair. Saint Jean ne recule pas devant le réalisme de cette expression. Il aurait pu dire « il s’est fait homme », comme nous faisons dans le Symbole ; mais il a choisi à dessein le mot le plus énergique et le plus humble, afin de mieux marquer les profonds anéantissements de N.-S. Jésus‑Christ, cf. Philippiens 2, 6 et s. Il aurait pu dire aussi : « Le Fils de Dieu s’est fait chair » ; mais, pour un motif semblable au précédent, il a voulu employer de nouveau le nom de Logos, qui nous rappelle les inexprimables grandeurs marquées aux versets 1- 5. Enfin il aurait pu dire : « Le Verbe s’est uni à la chair » ; mais ici encore il a pris l’expression de l’humilité. « Dans tout le reste, (le Verbe) était, et voici qu’il commence à être fait » (Bossuet), à devenir, comme ses propres créatures, cf. versets 3, 6 12. C’est une phrase unique au monde, et digne du mystère qu’elle représente. 1 Jean 4, 2, et 2 Jean 7, nous trouvons la locution analogue « venir dans la chair », également appliquée au Fils de Dieu ; mais elle est loin d’avoir la même vigueur. Du reste, par ce langage expressif, l’apôtre donnait le coup de mort au docétisme, qui niait en Jésus‑Christ la réalité de l’Incarnation. Quant aux détails de ces deux sublimes mystères, saint Luc les a plus longuement exposés dans un récit tout virginal, 1, 28-38. - Et il a habité parmi nous Le verbe grec (littéralement : il a habité sous la tente) est plus pittoresque. Il rappelle, d’une part, le tabernacle mobile (la tente sacrée), sous lequel le Seigneur avait daigné habiter au milieu des Juifs durant de longues années, et d’autre part, le caractère transitoire du séjour que le Logos devait faire dans le monde sous la forme humaine, cf. 16, 28. Saint Jean est seul à l’employer, cf. Apocalypse 7, 15 ; 12, 12 ; 13, 6 , 21, 3. - Et nous avons vu ; en grec : nous avons contemplé, vu à notre aise. Dans sa première lettre, qui sert, ainsi qu’on l’admet généralement, d’introduction à son évangile, saint Jean développe lui‑même admirablement cette pensée : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. » (1 Jean, 1, 1-3). Il y a là un véritable accent de triomphe. L’apôtre se souvient avec émotion du bonheur qu’il a eu de contempler personnellement, avec les autres apôtres et disciples, les merveilles du Verbe fait chair. - Sa gloire. Quoique le Logos, en devenant comme l’un de nous, se fût dépouillé de ses attributs divins, néanmoins des faits nombreux, durant sa vie mortelle, attestèrent son origine et sa nature célestes. Les miracles qu’il multipliait sous ses pas, et spécialement celui de la Transfiguration (cf. Luc. 9, 32 ; 1 Pierre 1, 17), furent de brillants rayons de sa gloire. - Gloire, répétition solennelle en vue de compléter la pensée. - Comme celle qu’un Fils unique tient de son Père. Saint Jean ne fait usage de l’expression « unique » que pour désigner N.-S. Jésus‑Christ. Ici elle différencie le Verbe incarné des nombreux enfants de Dieu signalés plus haut, verset 12. Lui, il possède la filiation divine dans un sens propre et unique. « Comme » dénote çà et là dans les saints Livres, et spécialement dans ce passage, une ressemblance exacte et réelle, une complète identité. Ce n’est pas une comparaison, c’est une assertion, cf. Matth. 7, 25 ; Luc. 22, 44 etc. La gloire qui se manifestait dans la personne, et les œuvres et les paroles du Verbe incarné était de telle nature, qu’elle ne pouvait appartenir qu’au Fils de Dieu. Le contexte indique nettement quel est ce fils, quel est ce père. - Deux idées nous ont été déjà présentées dans ce riche verset : le fait de l’Incarnation, et le témoignage du narrateur en l’honneur de « l’Homme‑Dieu ». Un troisième trait révèle brièvement le caractère de l’Homme‑Dieu : plein de grâce et de vérité. La construction, un peu singulière, rend encore la pensée plus saillante. Saint Jean s’était un instant interrompu pour chanter en l’honneur du Verbe un court mais sublime cantique ; il achève maintenant sa phrase, en rattachant « plein » à « Verbe ». Deux attributs essentiels, la grâce et la vérité, ont révélé en Jésus‑Christ le Fils unique du Père. Rien ne pouvait être plus clair pour un Juif ; car l’Ancien Testament associe très souvent ces deux attributs et les signale comme un apanage exclusif du vrai Dieu, cf. Genèse 24, 27, 49 ; 32, 10 ; Exode 34, 6 ; Psaume 86, 15 ; 89, 1-2, etc. Plein de grâce en tant qu’il est la vie, le Verbe est plein de vérité en tant qu’il est la lumière par excellence.



Jean 1.15 Jean lui rend témoignage et s'écrie en ces termes : "Voici celui dont je disais : Celui qui vient après moi, est passé devant moi, parce qu'il était avant moi" En faveur de cette gloire toute divine dont il avait été l’un des premiers témoins, l’évangéliste cite dès maintenant un témoignage explicite du Précurseur. - Rend témoignage. Choisi pour rendre témoignage au Christ (versets 7 et 8), Jean‑Baptiste remplit fidèlement son rôle. L’emploi du temps présent est remarquable ; car, au moment où le disciple bien‑aimé écrivait cette ligne, il y avait plus d’un demi siècle que la bouche du Précurseur était muette ; mais le témoignage subsistait encore avec toute sa force. - Et crie. Dans le grec, au parfait, parce que la voix, au point de vue physique et matériel, avait cessé de retentir. L’expression est très énergique : elle indique une parole vive, émue, sonore. C’était la voix claire et retentissante du héraut qui proclamait publiquement son message, de sorte que tous pussent l’entendre, cf. 7, 28, 37 ; 12, 44. - C’est celui. Début pittoresque. En disant ces mots Jean‑Baptiste montrait du doigt N.-S. Jésus‑Christ, cf. versets 29, 30, 36. L’imparfait exprime une nuance délicate au point de vue du temps. Comme le Précurseur avait répété en différentes circonstances l’assertion solennelle « Celui qui doit venir après moi » (cf. v. 27 ; Matth. 3, 11 ; Marc. 1, 7 ; Luc. 3, 16), on suppose ici qu’il se reporte par la pensée au moment où il la proférait pour la première fois avant l’apparition de Jésus sur les bords du Jourdain. - Dont je disais. Voilà celui que j’avais en vue lorsque je vous disais… - Celui qui vient… Parole solennelle, qui détermine avec la plus grande netteté les relations mutuelles du Verbe fait chair et de S. Jean‑Baptiste. C’est, dans la forme extérieure, un de ces paradoxes apparents que les Orientaux ont constamment goûtés. On joue en quelque sorte avec les mots « après et avant, qui doit venir, a été fait, et était ». La pensée est très riche, très profonde. Elle revient à la phrase suivante en langage occidental : Quoique Jésus, en tant qu’homme, n’ait apparu qu’après moi sur la terre, il me surpasse néanmoins de beaucoup, car il est éternel. - On le voit, nous entendons ici « après moi » sous le rapport du temps ; « a été placé au‑dessus de moi » sous le rapport de la dignité ; « était avant moi » également sous le rapport du temps. Jean‑Baptiste explique pourquoi il dut céder aussitôt le pas à Jésus, et s’effacer peu à peu totalement devant lui : c’était le Verbe éternel.



Jean 1.16 et c'est de sa plénitude, que nous avons tous reçu et grâce sur grâce, - Dans les trois derniers versets du prologue (16-18) l’évangéliste confirme l’assertion de Jean‑Baptiste par l’expérience de tous les croyants. C’est à tort qu’on a quelquefois regardé ce passage comme la continuation des paroles du Précurseur : les mots « Et nous avons tous reçu » ne sauraient convenir à son temps spécial. - De sa plénitude… Le narrateur, revenant sur les mots « plein de grâce et vérité » du verset 14, en confirme la vérité par un ensemble de faits magnifique. Le Verbe incarné, répète‑t‑il d’abord, possède réellement une plénitude de tous biens. « Donner, pour lui, veut‑il dire, ce n'est pas partager, il est lui‑même le principe et la source de tous les biens ; il est la vie même, la lumière même, la vérité même ; il ne retient pas en lui‑même ses trésors, mais il les répand sur tous les autres ; et après qu'il les a répandus, il demeure plein ; après qu'il a donné, aux autres, il n'a rien de moins ; mais il prodigue ses biens, toujours il les répand, et en les répandant avec profusion sur les autres, il demeure dans la même perfection, dans la même plénitude », S. Jean Chrysostome Hom. 14 in h.l, cf. Éphésiens 1, 23 ; Colossiens 1, 19 ; 2, 9. - Tous. Ce ne sont pas seulement les apôtres et les disciples (verset 14) qui ont puisé à cette source abondante, intarissable, mais tous les fidèles. Et cette consolante parole est aussi vraie qu’à l’époque de S. Jean. Les grâces du Verbe ont débordé sur des siècles, et ses trésors sont pleins comme au premier jour. - Et grâce pour grâce. Ces mots ont reçu d’assez nombreuses interprétations : qu’il suffise de citer les principales. 1° La grâce de l’évangile substituée à la grâce de l’Ancien Testament (S. Jean Chrysost., S. Cyrille, S. Léonce, Théophylacte, Euthymius, etc.). Cette explication est peu en harmonie avec le verset 17, qui fait de la grâce un apanage de la nouvelle Alliance. 2° La grâce de la gloire dans le ciel, après la grâce de la foi sur cette terre (S. Augustin). Cela semble un peu recherché. 3° Grâce pour grâce ; c’est-à-dire, une série nouvelle de grâces en récompense de celles qu’on aura fidèlement mises à profit. 4° Grâce sur grâce, grâces qui débordent l’une après l’autre des trésors du Verbe. Cette dernière interprétation a nos préférences.



Jean 1.17 parce que la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. - A la façon de S. Paul, l’évangéliste établit un rapide et frappant contraste entre l’Ancien Testament et le Nouveau, pour mettre en relief la haute supériorité de ce dernier. - La loi a été donnée par Moïse : la loi par excellence. Tous les mots portent, Moïse avait donné une loi ; loi sublime, sans doute, qui avait été pour Israël un précieux avantage ; mais rigoureuse et difficile à accomplir. De plus, il ne l’avait pas donnée de son propre fond, mais comme un simple médiateur, cf. Galates 3, 19. - La grâce et la vérité (cf. verset 14), ces deux biens incomparables, voilà ce que nous tenons directement de N.-S. Jésus‑Christ. L’omission de toute particule au début de la seconde proposition rend le contraste plus saillant. - Par Jésus‑Christ. S. Jean écrit ici pour la première fois ce beau nom. Maintenant que le Verbe divin, le Fils de Dieu, s’est incarné, on lui donne sa dénomination historique, sous laquelle il demeure plus connu et à jamais adoré. - Sont venues. La grâce et la vérité « vinrent », prirent naissance en quelque sorte avec l'Incarnation ; car, auparavant, elles n'existaient que d'une manière imparfaite. Ainsi donc, le Nouveau Testament a de toutes façons la prééminence sur l'Ancien. Il l'emporte par la nature du bienfait accordé : la grâce et la vérité en place d’une législation sévère. Il l’emporte sous le rapport des médiateurs : d’une part un homme , cet homme fût‑il Moïse ; de l’autre le Logos fait chair. Il l’emporte par le mode dont fut conféré le bienfait : là Moïse reçoit des mains de Dieu les institutions théocratiques pour les communiquer aux Juifs. Ici, « Jean dit que le Christ a non seulement donné, mais encore fait la grâce… Le Christ n'a pas reçu la grâce, il l'a faite, car il est lui même fontaine de grâce ». Maldonat.



Jean 1.18 Dieu, personne ne le vit jamais : le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui l'a fait connaître. - L’évangéliste expose le but de l’Incarnation, lequel consistait à révéler, à manifester le Seigneur, demeuré en grande partie inconnu jusqu’alors. Plus haut, verset 14, Jésus‑Christ nous avait été présenté comme plein de grâce et de vérité. Le verset 16 a séparé ces deux éléments pour insister davantage sur la grâce. Le verset 17 les a de nouveau réunis. Voici que la vérité est à son tour envisagée à part. - Le substantif « Dieu » est mis en avant comme portant l’idée principale. - Personne ne le vit jamais : Grand luxe de négations. Le verbe grec est au parfait, pour mieux accentuer la chose. Non, jamais ; non, personne. Pas même Moïse, auquel l’allusion est si visible. Exode 33, 18 et ss. : Moïse dit : « Je t’en prie, laisse‑moi contempler ta gloire. » Le Seigneur dit : « Je vais passer devant toi avec toute ma splendeur, et je proclamerai devant toi mon nom qui est : LE SEIGNEUR. Je fais grâce à qui je veux, je montre ma tendresse à qui je veux.» Il dit encore : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie. » Le Seigneur dit enfin : « Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir ». Les autres théophanies de l’Ancien Testament n’ont de même manifesté que très incomplètement l’être divin. Comment donc les hommes parleraient‑ils de Dieu d’une manière exacte et adéquate ? - Quelle différence pour N.-S. Jésus‑Christ , le Fils unique du Père. Au verset 14 nous avons déjà trouvé cette épithète fils unique significative. Elle accompagne ici, dans un certain nombre de documents très anciens non pas le substantif (ainsi que portent la plupart des manuscrits, des versions et des pères grecs ou latins), mais « Deus, Dieu » (d’après […] le syriaque révisé, S. Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Didyme, etc. ). Cette seconde leçon, qui est plus difficile, et même étrange au premier regard, pourrait bien être la vraie. Elle a été adoptée fin XIXème siècle par de nombreux critiques et commentateurs. D’ailleurs, le sens est identique de part et d’autre. - Qui est dans le sein du Père. Charmant tableau, qui dénote l’intimité la plus complète, par conséquent une connaissance absolue de Dieu. L’image est empruntée aux manifestations de la tendresse humaine, cf. 13, 23 ; Nombres, 11, 12. Notez encore le temps présent, qui marque si bien l’éternité, la permanence, et, dans le texte grec, la nouvelle association du mouvement et du repos. Même après l’Incarnation le verbe demeure au sein du Père, échangeant avec lui ses communications indicibles. - Voilà celui est emphatique comme au verset 8 : Lui et aucun autre. S. Jean aime cet usage du pronom, cf. v. 33 ; 5, 11, 37, 39, 43 ; 6, 57 ; 9, 37 ; 12, 48 ; 14, 12, 21, 26 ; 15, 26, etc. - L’a fait connaître . Le verbe a été admirablement choisi, car il représente une interprétation complète, une parfaite exégèse. L’objet de ces merveilleuses narrations du verbe fait chair n’est pas directement exprimé, mais il ressort clairement du contexte : c’est Dieu, sa nature, ses attributs, ses volontés. La raison seule ne nous fournit que des lambeaux de « théologie » ; la révélation de l’Ancien Testament laisse en blanc bien des pages du magnifique traité sur Dieu. Heureusement, Jésus‑Christ qui sait tout, qui a tout vu au sein du Père, a daigné se faire notre instructeur. - Et maintenant, « taisez-vous, pensées humaines. Homme, viens te recueillir dans l’intime de ton intime… Répétons : Au commencement était le Verbe ; au commencement, au‑dessus de tout commencement était le Fils. Le Fils, c’est, dit S. Basile (Orat. De Fid., Hom. 25) un Fils qui n’est pas né par le commandement de son Père, mais qui par puissance et par plénitude a éclaté de son sein : Dieu de Dieu, lumière de lumière, en qui était la vie, qui nous l’a donnée. Vivons donc de cette vie éternelle, et mourons à tout le créé. Amen. Amen ». Bossuet, Elévat. sur les Myst.

Jean 1.19 Et voici le témoignage que rendit Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : "Qui êtes-vous ?" - Les mots voici le témoignage de Jean dominent et caractérisent ces mêmes épisodes. - Lorsque signale l’occasion du premier témoignage raconté par notre évangéliste. L’époque n’est pas directement indiquée ; mais il résulte des versets 29-34 que la scène dut se passer après le baptême de N.-S. Jésus‑Christ . - Les Juifs. Cette dénomination, qui est très rare dans les synoptiques, revient plus de soixante‑dix fois dans le quatrième évangile. D’après l’étymologie et l‘usage primitif, elle ne s’appliquait qu’aux seuls membres de la tribu de Juda ; mais, depuis l’exil, elle fut employée pour désigner indistinctement touts les descendants de Jacob, à quelque tribu qu’ils appartinssent. Quoique saint Jean la prenne parfois dans ce sens général (cf. 2, 6, 13 ; 3, 1 ; 5, 1 ; 6, 4 ; 8, 31, etc.), il lui attribue fréquemment, et c’est ici le cas, une signification particulière, selon laquelle nous devons entendre les chefs religieux de la nation juive, et, plus spécialement encore, ces chefs en tant qu’ils étaient hostiles au Seigneur Jésus, cf. 2, 18, 20 ; 5, 10, 15, 16, 18 ; 7, 1, 11, 13 ; 9, 22, etc, etc. Il s’agit en cet endroit du Sanhédrin, corps célèbre dont nous avons exposé la constitution dans notre commentaire sur saint Matthieu, 2, 4. Le rôle des sanhédristes étant avant tout religieux, ils n’outrepassaient pas leurs droits en faisant interroger saint Jean‑Baptiste à propos de son ministère ; La Mischna (tr. Sanhedr. 1, 5) réserve formellement au tribunal des Soixante‑et‑onze le jugement d’une tribu, d’un prophète et d’un grand‑prêtre. Il est à croire néanmoins que, dans la circonstance présente, leur mobile principal fut moins le véritable esprit de zèle qu’un sentiment d’aversion et de rivalité contre le Précurseur. Voyez Maldonat. Le parti pharisaïque avait alors la prépondérance dans le Grand Conseil des Juifs (cf. verset 24) ; or, nous savons par saint Matthieu, 3, 7 et suiv., que Jean‑Baptiste avait attaqué vigoureusement les vices des pharisiens dès les premiers jours de sa prédication. - De l’emploi si fréquent du mot « Juifs » dans le quatrième évangile, quelques rationalistes ont voulu conclure que son auteur n’était pas Juif de naissance, et par suite, que saint Jean ne saurait l’avoir composé. La déduction est des plus illogiques. Le fait en question prouve seulement que le quatrième évangile fut écrit pour les païens, à une époque où les Chrétiens et les Juifs formaient deux corps bien séparés, bien distincts, de sorte qu’un Juif converti n’était plus un Juif, mais un chrétien. - Les Juifs envoyèrent de Jérusalem. Ce fut une députation en forme, qui partit du cœur même de la théocratie, de la ville sainte, pour rejoindre saint Jean sur les bords du Jourdain (verset 28). Elle se composait de prêtres et de lévites : choix bien naturel, puisque le point à traiter était éminemment religieux, ecclésiastique. Les prêtres étaient par excellence les théologiens de la nation ; les lévites les accompagnent ici comme une escorte d’honneur. Au reste, plusieurs passages de l’Ancien testament (2 Chroniques 22, 7-9 ; 35, 3 ; Néhémie 8, 7) démontrent que les lévites avaient aussi pour fonction d’enseigner la Loi mosaïque ; ils pouvaient donc eux‑mêmes servir de juges, surtout si un grand nombre d’entre eux étaient des scribes ou des docteurs de la loi, comme on l’a souvent conjecturé. Il n’est fait mention d’eux qu’en trois endroits du nouveau Testament (ici, Luc. 10, 32, et Actes 4, 36). - Qui êtes-vous ? Tant de bruit s’était fait autour de la personne de Jean‑Baptiste (cf. Matth. 3, 5 et parall.), qu’on pouvait à bon droit soupçonner en lui un être supérieur. - Maldonat relève très bien le caractère solennel de cette mise en scène : « Soit que l'on considère les envoyés eux‑mêmes, ou ceux qui les avaient envoyés, certainement de la grande synagogue des Juifs, ou le lieu d'où ils avaient été envoyés, ou la personne de Jean à qui ils étaient envoyés, ou l'affaire pour laquelle ils avaient été envoyés, tout montre que cette délégation avait une importance extrême, et montre l'importance du témoignage de Jean sur le Christ. C'est pourquoi l'évangéliste la raconte de façon aussi précise ».



Jean 1.20 Il déclara et ne le nia pas, il déclara : "Je ne suis pas le Christ." - Le Précurseur répond d’abord d’une manière négative aux envoyés du Sanhédrin, cf. verset 21. La série de ses réponses est introduite par une formule remarquable (Et il confessa et il ne nia pas ; et il confessa ), dont l’insistance avait déjà frappé les anciens exégètes. « L’évangéliste dit trois fois la même chose », s’écrie S. Jean Chrysostome. Cette répétition a pour but manifeste de relever la franchise, l’énergie, la netteté, la promptitude avec lesquelles Jean‑Baptiste repoussa le titre immérité qu’on voulait à toute force lui attribuer. Comme un loyal serviteur, il refuse d’usurper l’honneur qui revenait à son maître. Voyez, 5, 33, l’éloge par lequel N.-S. Jésus‑Christ récompensa la noble confession de S. Jean. L’écrivain sacré avait sans doute de nouveau une intention polémique contre les Joannites, lorsqu’il écrivait ces mots pleins de vigueur. Comp. le v. 8 et l’explication. - Je ne suis pas le Christ. En effet, les délégués s’étaient contentés de demander au Précurseur : Qui êtes‑vous ? Mais Jean avait compris toute la portée de leur question ; car il n’ignorait pas quelles idées avaient cours parmi le peuple à son sujet : «  Comme le peuple était dans l’attente et que tous se demandaient si Jean n’était pas le Christ », Luc. 3, 15. Il répond donc vraiment à la pensée intime de ses interrogateurs. - Notez le fréquent emploi que S. Jean fait du pronom « Je » dans tout ce passage, et la force avec laquelle il l’accentue, cf. versets 23, 26, 27, 30 (dans le grec), 31, 33, 34.

Jean 1.21 Et ils lui demandèrent : "Quoi donc. Êtes-vous Élie ?" Il dit "Je ne le suis pas. Êtes-vous le prophète ?" Il répondit "Non. - On peut regarder les mots « quoi donc » comme une exclamation de surprise. Et telle paraît être la meilleure traduction. Mais il est loisible aussi de suppléer le verbe « es ». Qui êtes‑vous donc, si vous n’êtes pas le Christ ? - Êtes‑vous Élie ? Cette nouvelle question et les suivantes reflètent très bien la nature des préoccupations religieuses associées alors par les Juifs à leur attente du Messie. Ils supposaient tous, d’après Malachie, 4, 5, 6, que le prophète Élie reviendrait sur la terre peu de temps avant l’apparition du Christ (voyez Matth. 17, 14) ; or, Jean‑Baptiste avait plus d’un trait de ressemblance avec le grand prophète de Thisbé. - Je ne le suis pas. Et pourtant Notre‑Seigneur affirma un jour que S. Jean était un autre Élie (Matth. 11, 14) ; néanmoins le Précurseur et le Christ ne se contredisent pas. Après tout, Jean n’est pas Élie en personne, et, comme on l’a dit avec beaucoup de justesse, il n’a pas à entrer ici dans des distinctions théologiques entre l’Élie personnel et l’Élie figuré ; c’est pourquoi il nie purement et simplement. - Êtes‑vous le prophète ? Dans le grec avec l’article, il s’agit donc d’un prophète déterminé. Lequel ? C’est ce qu’on ne saurait dire avec certitude. D’assez nombreux exégètes ont pensé à Jérémie, auquel les Juifs attribuaient en ces temps un rôle quelconque concernant la venue du Messie, cf. Matth. 16, 14 et le commentaire. D’autres (comme S. Jean Chrysost.) voient ici une allusion au prophète innommé que Moïse promit aux Hébreux dans une célèbre prophétie, Deutéronome 18, 15. Il est vrai que ce prophète ne diffère pas du Messie ; mais la suite du récit (7, 40-41) nous apprendra que telle n’était pas alors l’opinion générale, et que plusieurs, parmi les Juifs, établissaient une distinction entre ces deux personnages. Enfin quelques commentateurs, en petit nombre, supposent que le Christ est directement désigné. Ils s’appuient : 1° sur Jean 6, 14, où nous voyons le peuple se servir de cette locution pour représenter le Messie ; 2° sur Matth. 11, 9 et Luc. 1, 76, où Jean‑Baptiste reçoit d’une manière toute divine le titre de prophète, titre qu’il ne rejetterait pas ici dans le cas où le mot « prophète » ne serait pas synonyme de « Christ ». Mais nous avons vu précédemment que les compatriotes de Notre‑Seigneur n’étaient pas d’accord touchant la nature du prophète prédit par Moïse ; d’autre part, Jean‑Baptiste ne dit pas qu’il n’est pas prophète : ce qu’il nie, c’est d’être le prophète déterminé dont on lui parle. Enfin et surtout, il suffit, pour réfuter cette opinion, de renvoyer ses partisans au verset 26e, où les délégués du Sanhédrin demandent au Précurseur : « Pourquoi donc baptisez-vous si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? ». Ils établissent ainsi très clairement entre le Messie et le prophète une distinction à laquelle le verset 2e nous avait d’ailleurs préparés. Conclusion : le prophète en question semble avoir été rattaché par les Juifs d’alors à l’avènement du Christ ; toutefois nous ne saurions préciser au juste son caractère, qui semble être demeuré assez vague pour les Israélites eux‑mêmes. - Il répondit : Non. « Non ; toujours non, et toujours non : ce n’est qu’un non partout ; et Jean n’est rien à ses yeux … Et quoiqu’il soit si excellent, il n’est rien ». Bossuet, Élévations sur les Myst., 24è sem., 2è élév. Les négations du Précurseur sont remarquables par leur énergie, remarquables aussi par leur brièveté qui va toujours croissant. « Je ne suis pas le Christ ; Je ne le suis pas ; Non. ».



Jean 1.22 Qui êtes-vous donc, lui dirent-ils, afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dites-vous de vous-même ?" - N’ayant rien obtenu de positif par leurs premières interrogations, qui étaient toutes particulières, les prêtres et les lévites en adressent une autre d’un caractère général, qui forcera leur interlocuteur de donner une réponse catégorique. - Afin que nous donnions une réponse …. Délégués officiels, ils devront présenter un rapport au Sanhédrin ; mais, pour cela, ils ont besoin de savoir nettement la manière dont Jean‑Baptiste définit lui‑même son rôle.



Jean 1.23 Il répondit : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur, comme l'a dit le prophète Isaïe." - Il répondit. La réponse désirée ne se fait pas attendre, et elle est aussi claire que possible pour quiconque avait un vrai désir de s’instruire. En effet, pour bien définir sa mission, Jean s’approprie un passage d’Isaïe (40, 3) qui l’avait depuis longtemps prédite. C’est la mission d’un précurseur, et le Seigneur précédé de son héraut n’est autre que le Messie. Voyez l’Évangile selon saint Matth.3, 3. - Je suis la voix : seulement une voix, un cri, « un souffle qui se perd en l’air ». Bossuet. Il y a un grand acte d’humilité dans cette citation, qui n’attribue au Baptiste qu’un rôle très secondaire. - Aplanissez le chemin du Seigneur. Dans les Septante : « préparez ».



Jean 1.24 Or ceux qu'on lui avait envoyés étaient des Pharisiens. - Avant de passer à la seconde partie de l’interrogatoire, le narrateur revient sur le caractère des délégués. Ils appartenaient, dit‑il, au parti pharisaïque. Le motif de cette mention rétrospective est aisé à déduire du contexte. Les Pharisiens, ces ultraconservateurs du Judaïsme, comme on les a spirituellement appelés, tenaient très fort aux traditions et ne pouvaient supporter la moindre innovation sur le domaine religieux (voyez commentaire sous Mth. 3, 7) : or voici que Jean‑Baptiste administrait un nouveau rite.

Jean 1.25 Et ils l'interrogèrent et lui dirent : "Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ?" - Pourquoi donc baptises‑vous …. ? Pourquoi. De quel droit. En signalant soudain, sans aucun détail explicatif, le baptême du Précurseur, auquel rien encore ne nous a préparés dans la narration qui précède, l’évangéliste montre qu’il s’adresse à des lecteurs familiarisés avec les écrits de S. Matthieu, de S. Marc et de S. Luc, publiés antérieurement. - Si vous n’êtes ni le Christ... Les prophètes avaient autrefois prédit une ablution messianique, qui devait avoir la vertu de remettre les péchés. « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai », dit le Seigneur à la maison d’Israël par la bouche d’Ézéchiel, 36, 25. Les Pharisiens, qui prenaient ces paroles à la lettre, auraient donc trouvé naturel que le Messie ou ses précurseurs officiellement reconnus, Élie et le prophète, instituassent un baptême ; mais aucun autre, d’après eux, ne pouvait s’arroger ce droit. Ils essaient ainsi de condamner Jean‑Baptiste par ses propres aveux. N’avait‑il pas affirmé catégoriquement qu’il n’était ni le Christ, ni Élie, ni le prophète ?

Jean 1.26 Jean leur répondit : "Moi je baptise dans l'eau, mais au milieu de vous il y a quelqu'un que vous ne connaissez pas, 27 c'est celui qui vient après moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale." - Jean leur répondit : Les rationalistes prétendent que cette réponse du Précurseur est obscure, et qu’elle ne cadre pas avec la question des délégués. Ils ne font que renouveler une vieille objection d’Héracléon, réfutée par Origène, et qu’il est facile de réfuter encore. On demandait à S. Jean de justifier son baptême, et c’est précisément ce qu’il fait ici en indiquant la nature, le caractère de cette cérémonie, et en décrivant son propre rôle par rapport au Messie. - 1° Moi, je baptise dans l’eau. Le Précurseur dut appuyer sur les mots « dans l’eau », montrant par là que ce baptême, qui inquiétait si fort les députés du Sanhédrin, n’était qu’un rite extérieur et rien de plus. - 2° Après ce début déjà très net, il poursuit son apologie indirecte en disant que le Messie a fait son apparition, et qu’il est lui‑même le serviteur, l’avant‑coureur du Christ, ce qui lui confère évidemment le droit de baptiser. Dans la proposition quelqu'un que vous ne connaissez pas, il y a insistance sur le pronom « vous » : à l’ignorance des délégués Jean oppose tacitement les lumières personnelles qu’il a reçues. Vous, vous ne le connaissez pas, mais moi je le connais. C’est au baptême de Jésus que le Précurseur avait été éclairé d’une manière toute merveilleuse sur le rôle du fils de Marie, son parent, cf. versets 31-34 et Matth. 3, 13-17. D’où il suit, comme il a été dit plus haut, qu’un certain temps s’était écoulé depuis ce mystère, quand la députation du Sanhédrin arriva sur les bords du Jourdain. Une comparaison établie entre le verset 29, Matth. 4, 2 et Luc 4, 2, permet d’évaluer ce temps à quarante jours environ. - C’est lui qui vient... Jean‑Baptiste relève très fortement la dignité supérieure du Messie, d’abord en termes positifs (passé devant moi : voyez le v. 15 et le commentaire), puis en termes négatifs : je ne suis pas digne… Voir dans l’Evang. Selon S. Matth., 3, 11, l’explication de la formule expressive : Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale

Jean 1.28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait. - Cette note, par laquelle l’évangéliste termine son premier récit, ne lui fut « certainement pas dictée par un intérêt géographique ; elle est inspirée par la solennité de la scène précédente, et par la gravité extraordinaire de ce témoignage officiel, adressé aux représentants du Sanhédrin et de la nation tout entière » (Godet, h. l.). Elle n’est pas sans célébrité dans l’histoire de la critique du texte sacré, à cause de la discussion soulevée depuis l’époque d’Origène touchant le mot Béthanie. Origène raconte qu’ayant cherché sur les bords du Jourdain une localité de ce nom, il n’en trouva pas, mais qu’en revanche il en rencontra une autre, appelée Béthabara, qu’on lui dit être sur l’emplacement où le Précurseur avait autrefois baptisé. Il pourrait se faire que Béthabara soit identique à Béthanie, ainsi qu’on l’a depuis longtemps conjecturé ; car, d’un côté, il existe entre ces deux mots une assez grande analogie dans la langue hébraïque, (beth onyah), signifiant « maison du lac », et (beth habarah), « maison du passage » ; d’un autre côté, les bouleversements politiques firent disparaître ou modifièrent bien des noms en Palestine durant les deux premiers siècles de notre ère. - Au‑delà du Jourdain. Le narrateur mentionne ces détails pour empêcher ses lecteurs, peu au courant de la géographie palestinienne, de confondre la Béthanie des bords du Jourdain avec la bourgade habitée par Lazare. Cette dernière était située en Judée, non loin de Jérusalem (cf. 11, 18) : l’autre était en Pérée, on ignore en quel endroit précis, mais plus probablement vers le sud‑ouest. - Où Jean baptisait. Cette construction est souvent employée par les évangélistes pour marquer des actes réitérés, des situations qui se prolongent.

Jean 1.29 Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui et il dit : "Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. - Il y a gradation dans les témoignages du Précurseur. Plus haut, il s’était borné à dire : Le Messie est parmi vous ; voici maintenant qu’il désigne le Christ d’une manière directe, personnelle, et qui le caractérise par le côté le plus important de son œuvre rédemptrice - Le lendemain. Traduire par « un autre jour, un peu plus tard », serait contraire à la signification habituelle de cette locution. Les dates sont très soigneusement marquées dans ce chapitre et dans le suivant, cf. 1, 35, 43 ; 2, 1, 12, 13, 23. Le narrateur se manifeste en toutes façons comme un témoin oculaire. Le mot « Jean », qu’omettent plusieurs manuscrits très anciens, pourrait bien avoir été inséré par les copistes. - Jean vit Jésus qui venait vers lui. D’où venait alors Notre‑Seigneur ? Quelle circonstance l’amenait auprès de saint Jean ? L’évangéliste néglige ces détails, parce qu’ils n’avaient qu’une importance secondaire pour son récit, et que, d’ailleurs, il ne se proposait pas de tout relater. Mais il est aisé de suppléer à son silence. D’après ce qui a été dit précédemment (note du verset 26), Jésus revenait alors du désert où il avait été tenté par le démon ; et il avait pour but de fournir à saint Jean l’occasion de lui rendre un nouveau témoignage (S. Thom. d’Aquin). - Et il dit : Cette fois, le Précurseur prend de lui‑même la parole : on a conclu du v. 35 (« Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples ») qu’il s’adressait alors à ses disciples, au moins plus spécialement. - Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte... Dans ce passage, qui est l’un des plus beaux et des plus importants de l’Évangile, chaque mot est digne de notre attention, malgré la parfaite clarté de la pensée. - La particule voici dut être accompagnée d’un geste qui montrait la personne sacrée de Jésus. - De Dieu est diversement rattaché à « agneau » par les commentateurs : l’agneau soumis à Dieu (A. Maier), l’agneau agréable à Dieu (Tholuck), l’agneau consacré à Dieu, le divin agneau (plusieurs anciens exégètes), l’agneau destiné par Dieu au sacrifice (Maldonat, Corluy...). L’interprétation la plus simple et la plus naturelle paraît être : l’agneau qui appartient à Dieu, l’agneau de Dieu. « de Dieu » est donc ce que les grammairiens appellent un génitif de propriété. Quant au doux nom « d’agneau », qui convient si bien à N.-S. Jésus‑Christ, c’est évidemment une désignation typique, basée sur l’Ancien Testament ; toutefois, il y a controverse parmi les exégètes touchant le fait particulier qui lui a servi de point de départ dans la pensée de saint Jean. L’agneau qu’on immolait chaque matin et chaque soir dans le temple au nom de tout Israël, pour offrir au Seigneur un holocauste perpétuel (cf. Exode 29, 38 ; Nombres 28, 3 et ss. ) ; l’agneau pascal, que le quatrième Évangile (19, 31) et saint Paul (1 Corinthiens 5, 7) présentent comme un type du Messie, et dont le sang avait autrefois produit d’admirables résultats de salut (Exode 12, 13) ; l’agneau décrit par Isaïe dans son célèbre chapitre 53 (verset 7), se partagent sous ce rapport les préférences des divers auteurs. Mais c’est bien à la prophétie d’Isaïe que le Précurseur faisait plus probablement allusion. Tel était déjà le sentiment d’Origène, de S. Jean Chrysostome, de S. Cyrille, suivi ensuite par Théophylacte, Euthymius, Cornelius a Lapide. L’article placé devant agneau montre que Jean‑Baptiste voulait parler d’un agneau déterminé, connu de tous les Juifs ; or l’agneau de la prophétie d’Isaïe était alors universellement regardé comme une figure du Christ souffrant, cf. Actes 8, 32. Aussi Érasme avait‑il raison d'écrire dans ses annotations : « L'article a non seulement l'emphase de la dignité, mais aussi de la relation : Voici cet agneau, dont a prophétisé Isaïe ». Comparez aussi Jérémie 11, 19, où nous rencontrons le même type : « Moi, j’étais comme un agneau docile qu’on emmène à l’abattoir ». - Les paroles suivantes, celui qui ôte le péché du monde, confirment cette explication, car elles résument tout ce qu’Isaïe, divinement éclairé, disait de l’agneau céleste qui expia nos fautes par son généreux sacrifice. « Enlève » remplace le verbe hébreu qui signifie ordinairement « porter » mais qui, rapproché d’autres mots en maint endroit de l’Ancien Testament, a le sens spécial de enlever les péchés, en offrant à Dieu un sanglante compensation, cf. Lévitique 10, 17 ; 24, 15 ; Nombres 5, 31, 14, 34 ; Ézéchiel 4, 5 ; 23, 5 ; etc. « En voyant Jésus comme l’agneau de Dieu, saint Jean le voyait donc déjà comme nageant dans son sang » (Bossuet). C’est comme s’il l’eût contemplé d’avance portant sa croix et se dirigeant vers le Calvaire. - Notez l’emploi du temps présent : « qui ôte ». L’évangéliste suppose ainsi la certitude et la continuité de notre rédemption par le Seigneur Jésus. - Le péché est mis collectivement pour les péchés ; mais ce singulier est plus expressif que le pluriel. Tous les péchés du genre humain (du monde) sont ainsi envisagés comme une horrible masse que le divin agneau doit faire disparaître. C’est donc l’universalité du salut qui est prédite par le Précurseur, de même qu’elle l’avait été autrefois par les prophètes. - Il est remarquable que ce titre d’agneau, sous lequel l’évangéliste apprit à connaître pour la première fois Jésus, soit celui par lequel le sauveur est désigné de préférence dans l’Apocalypse. La corde qui avait vibré, à cette heure décisive, au plus profond de son être, a retenti chez lui jusqu’à son dernier soupir. Et pourtant, d’après quelques écrivains rationalistes, ce beau titre, dans lequel on a vu justement un abrégé de l’Évangile, n’aurait eu d’autre but que de représenter la douceur et l’innocence de Jésus, sans aucune relation avec l’idée de  sacrifice. (Gabler, Paulus, Ewald, etc.).





Jean 1.30 C'est de lui que j'ai dit : un homme vient après moi, qui est passé devant moi, parce qu'il était avant moi." - C’est de lui que j’ai dit : Après avoir relevé la grandeur de l’œuvre de Jésus‑Christ, Jean revient à sa personne et à sa dignité. Ce qu’il avait autrefois affirmé du Messie d’une manière générale, il le répète pour l’appliquer directement à Jésus. - Un homme vient après moi : Au présent. Voyez le v. 15 et le commentaire. Homme est une expression pleine de noblesse.



Jean 1.31 Et moi, je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël, que je suis venu baptiser dans l'eau." - Dans ce verset et dans les trois suivants, Jean‑Baptiste raconte comment il lui a été donné de connaître le Messie d’une manière infaillible, toute divine. - Et moi je ne le connaissais pas. Saint Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, etc., pensent qu’en réalité le Précurseur n’avait jamais vu N.-S. Jésus‑Christ avant de le baptiser sur les bords du Jourdain, car le fils de Zacharie et d’Élisabeth semble s’être retiré au désert dès ses années les plus tendres, cf. Luc. 1, 80. On suppose néanmoins plus communément que le verbe « connaissais » ne doit pas être pris dans un sens absolu ; on a en effet de la peine à concevoir que la personne, la nature et la mission de Jésus aient pu demeurer si longtemps inconnues de son cousin. Il s’agit donc d’une ignorance relative. Jean ne connaissait pas officiellement le caractère messianique de Jésus tant qu’il n’avait pas reçu d’en haut le signe miraculeux qui devait le lui attester. Cette distinction simple et naturelle fait disparaître toute apparence de contradiction entre ce passage et Mth. 3, 14 (voyez le commentaire). - Afin qu'il fut manifestéExpression qui met en relief le but principal du baptême administré par le Précurseur. Le but secondaire était de préparer les cœurs à la venue du Messie en les incitant à la pénitence. Quel beau rôle que celui de manifester N.-S. Jésus‑Christ. - à Israël. Saint Jean‑Baptiste sait que sa mission est limitée aux Juifs et qu’elle ne concerne pas les païens, cf. Luc. 1, 16, 17, 76, 77.



Jean 1.32 Et Jean rendit témoignage en disant : "J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et il s'est reposé sur lui. - Et Jean rendit témoignage… Cette formule n’introduit pas un nouveau témoignage distinct du précédent (versets 29-31) : elle sert du moins de transition solennelle au commentaire que le Précurseur va donner lui‑même à ses dernières paroles (verset 31). Jean signale d’abord un fait miraculeux, dont il a été naguère témoin (verset 32) ; puis il montre, d’après une révélation céleste, le rapport qui existe entre ce fait et la dignité de Jésus (verset 33) ; enfin, il raconte comment il a obtempéré aux ordres divins (verset 34). - Le fait nous est connu par les narrations détaillés des synoptiques : Matth. 3, 16 ; Marc. 1, 10 ; Luc, 3, 12, et nos commentaires. C’est la troisième personne de la sainte Trinité qui est représentée par le mot « Esprit ». - Comme une colombe : c’est-à-dire, sous la forme d’une colombe. - Et il s’est reposé sur lui. est un trait important, propre à notre évangile. En planant ainsi d’une manière sensible durant un temps notable sur la tête sacrée de Jésus, la divine colombe attestait qu’en lui se trouvait réalisé la prophétie d’Isaïe, 11, 2 : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur. ». Évidemment Jésus‑Christ, en tant que Verbe de Dieu, n’avait jamais été séparé de l’Esprit saint : ce symbole d’union intime était donc destiné à éclairer d’abord le Précurseur, puis plus tard les Juifs, auxquels celui‑ci en faisait part.





Jean 1.33 Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint. - Et moi je ne le connaissais pas… Jean‑Baptiste insiste à bon droit sur ce point, cf. verset 31. Son témoignage avait d’autant plus de poids qu’il était entièrement désintéressé, n’étant fondé ni sur la chair et le sang, ni sur l’amitié ou l’inclination, mais sur un avertissement venu tout droit du ciel. - Celui qui m’a envoyé baptiser …m’a dit... Les auditeurs de S. Jean savaient bien que c’était Dieu même qui l’avait envoyé baptiser, cf. Marc. 11, 32 ; Luc. 20, 6. - C’est celui qui baptise dans l’Esprit‑Saint. Autre périphrase solennelle, qui désignait assez clairement le Messie, car Jean‑Baptiste, dans son premier témoignage rendu en face de tout le peuple (Matth. 3, 11 et parall.), s’était servi de ces mêmes expressions pour décrire le rôle du Rédempteur.



Jean 1.34 Et moi j'ai vu et j'ai rendu témoignage que celui-là est le Fils de Dieu." Et moi j’ai vu. Il y a, dans ces trois mots, comme un accent de triomphe. Un signe m’avait été promis : ce signe, je l’ai vu, je l’ai vu de mes propres yeux, et j’ai cru, cf. verset 32. - Le Précurseur se hâte d’ajouter qu’il s’est mis aussitôt à accomplir sa tâche : et j’ai rendu témoignage ; et à cet instant même il l’accomplissait fidèlement encore. - Le Fils de Dieu. Jean‑Baptiste emploie la locution « fils de Dieu » dans le sens strict, pour représenter Jésus comme le Verbe fait chair, et pas simplement dans le sens large, en tant qu’elle est parfois synonyme de Messie. Le Précurseur se fait donc l’écho de la voix céleste qui, au baptême de Notre‑Seigneur, avait publiquement proclamé sa divinité. Il n’y a rien dans tout cet épisode (versets 29-34) qui ne cadre à merveille avec la narration des synoptiques ; ceux qui prétendent y trouver des antilogies doivent faire violence aux textes pour justifier leurs assertion.

Jean 1.35 Le lendemain, Jean se trouvait encore là, avec deux de ses disciples. - Le lendemain. C’est-à-dire, le surlendemain du jour où la délégation officielle du Sanhédrin était venue trouver saint Jean, cf. verset 29. - Jean se trouvait encore là. Les anciens exégètes louent volontiers cette attitude de Jean‑Baptiste : il est debout pour témoigner de son zèle à remplir son ministère : ou bien, il est debout pour attendre le Messie, son maître. Comp. Habacuc 2, 1. - Avec deux de ses disciples. Sur les disciples du Précurseur, qui paraissent avoir été assez nombreux, voyez Matth. 9, 14 ; 11, 2 ; Marc. 2, 18 ; Luc. 5, 33 ; 7, 18 ; Actes 19, 3. Ceux d’entre eux qui vivaient alors auprès de lui devaient être animés de très ardents désirs, depuis qu’ils connaissaient la personne du Messie .



Jean 1.36 Et ayant regardé Jésus qui passait, il dit : "Voici l'Agneau de Dieu." - Ayant regardé : indique un regard fixe, pénétrant, cf. verset 42 ; Matth. 19, 26 ; Marc. 14, 67 ; Luc. 20, 17, etc. Au verset 29, nous avions simplement « vit ». - Jésus qui passait. Plus haut (verset. 29) : « venait à lui ». La nuance, qui est d’ailleurs facile à saisir, hier, Jésus venait à Jean, comme à celui qui devait l’introduire auprès des futurs croyants. Aujourd’hui le témoignage est rendu ; il n’a plus rien à recevoir de son Précurseur que les âmes que son Père a préparées ; et, semblable à l’aimant que l’on promène dans le sable pour attirer les paillettes métalliques, il se borne à se rapprocher du groupe qui entoure le Baptiste, pour décider la venue à lui de quelques‑uns de ceux qui le composent. Jésus passa donc silencieusement, à quelque distance de Jean et de son entourage. - Il dit : Voici l’agneau de Dieu. Ses disciples l’ayant entendu la veille, le Précurseur n’avait pas besoin de réitérer en entier son témoignage. Il n’en redit que la partie la plus saillante.



Jean 1.37 Les deux disciples l'entendirent parler et ils suivirent Jésus. - Les deux disciples montrèrent par leur conduite immédiate qu’ils avaient compris la signification pratique du regard et des paroles de leur maître. Ce regard et ces paroles signifiaient en effet : C’est à lui qu’il faut vous attacher désormais. Et les voilà qui se dirigent sans hésiter, quoique avec une réserve délicate (comp. le verset suivant)., à la suite de Jésus. N’était‑il pas bien juste que les premiers amis du Christ fussent des disciples de son Précurseur ?



Jean 1.38 Jésus s'étant retourné et voyant qu'ils le suivaient, leur dit : "Que cherchez-vous ?" Ils lui répondirent : "Rabbi ce qui signifie Maître, où demeurez-vous ?" - Jésus s’étant retourné et voyant... Les disciples se proposaient sans doute d’accompagner silencieusement Jésus jusqu’à sa demeure et de lui déclarer seulement alors leurs intentions ; mais sa bonté va au devant de leurs désirs, et c’est pour cela qu’il leur demande familièrement, lui qui connaissait tous les secrets des cœurs (cf. 2, 24, 25) : Que cherchez-vous ? Telle est la première parole de Notre‑Seigneur dans le quatrième Évangile. Elle est toute humaine en apparence, et marquée au coin de la plus grande simplicité ; mais, de la bouche qui la proférait sortiront bientôt des enseignements visiblement divins (versets. 42, 47, 48, 51). En rapprochant de ce passage Matth. 3, 15 ; Marc. 1, 15 ; Luc. 2, 49, on aura les quatre premières paroles de Jésus dans les Évangiles. - Rabbi. On donnait d’ordinaire ce titre à un maître révéré ; mais il était loin d’exprimer toutes les espérances que les deux disciples de S. Jean avaient conçues au sujet de Jésus. Le narrateur en donne la traduction, preuve que ceux auxquels il s’adressait étaient d’origine païenne, cf. versets 41 et 42. - Où demeurez-vous ? Ils demandent à Jésus de vouloir bien leur indiquer le lieu où il avait fixé sa résidence temporaire. C’était lui exprimer d’une manière discrète le désir de l’entretenir longuement, et non passagèrement.



Jean 1.39 Il leur dit : "Venez et vous verrez." Ils allèrent et virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. Or, c'était environ la dixième heure. - Venez et vous verrez. Leur prière est aussitôt exaucée. « Que ces paroles sont douces. et qu’il est doux de savoir où Jésus habite ». Bossuet, Elévat. sur les Myst. Viens et vois. disaient fréquemment les rabbins à leurs élèves, quand ils se disposaient à leur fournir quelques explications sur un point donné ; mais il est probable que la ressemblance des formules est ici toute accidentelle. - Ils allèrent et virent. L’évangéliste répète avec insistance, pour relater ce fait, les expressions, mêmes de Jésus. - Et ils restèrent auprès de lui ce jour‑là. C’est-à-dire, d’après le contexte, depuis la dixième heure du jour jusqu’à l’entrée de la nuit. La parole de S. André au verset 41 nous fait connaître le résultat de cette entrevue. Les deux disciples avaient, en quittant Notre‑Seigneur, des lumières complètes sur son caractère messianique. - c’était environ la dixième heure. Suivant le système alors adopté en Palestine pour la numération des heures, cela revient à 16 heures. D’assez nombreux exégètes pensent, il est vrai, que S. Jean se conforme ici au système romain, en vertu duquel les jours allaient de minuit à minuit, et, dans ce cas, la dixième heure équivaudrait à 10 heures du matin ; mais ils n’apportent aucune raison convaincante de cette dérogation aux coutumes palestiniennes.

Jean 1.40 Or, André, le frère de Simon-Pierre, était l'un des deux qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus. - André, le frère de Simon‑Pierre. Voici un fait vraiment remarquable. Il n’a pas encore été question de S. Pierre et l’on désigne son frère d’après lui. Ainsi donc, et les protestants eux‑mêmes le reconnaissent, « Pierre est traité dès l’abord comme le personnage le plus important » (Godet). Cela suppose en outre que les lecteurs auxquels S. Jean s’adressait connaissaient déjà l’histoire évangélique. - Était l'un des deux… Quel était l’autre disciple ? Son nom n’est pas mentionné mais les anciens exégètes avaient déjà très heureusement conjecturé, et la plupart des modernes admettent sans la moindre hésitation, que c’était notre évangéliste lui‑même. Trois arguments puissants démontrent la légitimité de cette croyance. 1° Tout le récit, déjà nous l’avons remarqué, est celui d’un témoin oculaire : ce sont visiblement des souvenirs personnels que l’écrivain a consignés dans ce passage intéressant. 2° S. Jean ne se met jamais directement en scène, mais il a coutume de se dissimuler de la façon la plus délicate et la plus modeste derrière le voile de l’anonyme, cf. 13, 25 ; 18, 15 ; 19, 26, etc. 3° Si le compagnon de S. André n’était pas le narrateur en personne, on ne voit pas pourquoi son nom n’a pas été mentionné tandis que tous les autres le sont, cf. versets 35 et 36. Il paraît bien difficile d’admettre à la suite d’Euthymius et de Maldonat que c’était un « un disciple insignifiant ». - Qui avaient entendu la parole de Jean cf. versets 35 et 36. Voyez plus bas, 6, 45, un emploi semblable du verbe « entendre ».









Jean 1.41 Il rencontra d'abord son frère Simon et lui dit : "Nous avons trouvé le Messie, ce qui se traduit Christ." - Il rencontra d’abord. Quelque leçon que l’on adopte dans le texte grec, il résulte assez clairement de cette locution que l’autre disciple avait aussi un frère, et qu’il s’était mis de même à le chercher pour le conduire à Jésus, mais qu’il ne réussit qu’un peu plus tard à le trouver. Telle est l’interprétation la plus rationnelle ; elle est d’ailleurs la plus commune. Il est moins bien de dire avec Klofutar, A. Maier, de Wette, Alford, L. Abbott, que les recherches simultanées de saint André et de saint Jean se rapportaient uniquement à Simon‑Pierre. Quant à la traduction du professeur américain Jacobus, « La première chose que fit celui‑ci fut de trouver son frère », elle est tout à fait insoutenable. Voilà donc les premiers disciples de Jésus qui travaillent déjà à lui gagner des cœurs ; ils préludent ainsi à leur rôle d’apôtres. - Nous avons trouvé le Messie : André parle du Messie comme d’une personne vivement désirée, longtemps et impatiemment attendue. Mais voici que l’espérance d’Israël est enfin réalisée. Le quatrième évangile est seul à employer le nom de Μεσσἰας, calqué, comme l’on sait, sur l’hébreu « Maschiach », ou, mieux encore, sur la forme araméenne « Meschicha ». Encore n’en fait‑il usage que deux fois (ici et 4, 25), ayant soin de le traduire aussitôt pour ses lecteurs : ce qui signifie le Christ. Messie est donc un mot hébreu ; Christ un mot grec, mis en honneur par la traduction des Septante. La signification est la même de part et d’autre : l’oint de Dieu, par excellence. Voyez l’Evang. selon saint Matth., 1, 16.









Jean 1.42 Et il l'amena à Jésus. Jésus, l'ayant regardé dit : "Toi, tu es Simon, fils de Jean, tu seras appelé Céphas, ce qui se traduit Pierre." - Et il l’amena. Au verset 41, le narrateur avait mis les verbes au présent ; il se sert maintenant du passé simple. Ce changement de temps donne beaucoup de vie au récit. A trois reprises, nous voyons S. André jouer dans le quatrième évangile le beau rôle d’introducteur auprès de N.-S. Jésus‑Christ, cf. 6, 8 ; 12, 22. Les écrits du Nouveau Testament ne nous racontent pas autre chose à son sujet. Selon toute vraisemblance, l’entrevue décrite au verset 42 eut lieu le même soir que celle des versets 37 et ss. - Jésus l’ayant regardé : La même expression qu’au verset 36. Peu d’heures avant sa mort, Jésus jettera sur S. Pierre un autre regard pénétrant, mais en de tristes circonstances, cf. Luc. 22, 61. Actuellement, par une intuition toute divine (cf. 2, 2), le Fils du l’homme voit le caractère intime du futur prince des apôtres, et il le signale au moyen d’une antithèse remarquable. - Tu es Simon, fils de Jean. C’est-à-dire : Jusqu’ici tu n’as été qu’un homme ordinaire, comme tous les autres fils d’Adam. Mais, à l’avenir, il n’en sera plus ainsi. Tu cesseras d’être simplement le Juif Simon, fils de Jean ; tu seras appelé Céphas. Cette transformation de nom présageait pour Pierre, comme autrefois pour Abraham, Genèse 17, 5, et pour Jacob, Genèse 31, 28, une transformation de nature et de rôle. Képha, forme araméenne de l’hébreu Keph (cf. Job 30, 6 ; Jérémie 4, 29), signifie pierre, rocher, comme l’ajoute l’évangéliste dans une note explicative : ce qui se traduit Pierre, le masculin de « Petra »). C’est là un jeu de mots à la façon orientale, pour dire que Pierre sera un jour le roc inébranlable sur lequel sera bâtie l’Église du sauveur. « Magnifique surnom, qui fait de Simon le principal personnage après Jésus ». Il nous est agréable de recueillir ce précieux aveu dans un commentaire protestant. Les synoptiques ne font jamais usage du mot Céphas, qu’il remplacent par son équivalent grec. S. Jean lui‑même ne le cite qu’en cet endroit. Mais on le rencontre assez fréquemment dans les lettres de saint Paul, cf. 1 Corinthiens 1, 12 ; 3, 22 ; 9, 55 ; 15, 5 ; Galates 1, 18 ; 2, 9, 11, 14. - Les rationalistes ont prétendu qu’il existe une contradiction entre ce récit et Matth. 16, 17, 18, où Notre‑Seigneur, environ deux ans plus tard, dit encore à Simon : « Heureux es‑tu, Simon fils de Yonas ... Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre ». Mais où est l’antilogie ? La seconde scène ne suppose‑t‑elle pas au contraire la première, comme H. W. Meyer lui‑même le reconnaît ? Ici le nom est simplement promis, là il est donné d’une manière définitive ; voilà pourquoi nous avons ici le langage de la prophétie, « tu sera appelé », là celui de l’accomplissement, « tu es Pierre ». Simon ne devint Pierre qu’en récompense de sa glorieuse confession (Matth. 16, 16).



Jean 1.43 Le jour suivant, Jésus résolut d'aller en Galilée. Et il rencontra Philippe. - Le jour suivant : Remarquez de nouveau cette indication très précise des dates. Nous avons ainsi quatre jours consécutifs : versets 19, 29, 35 et 43. De pareils détails ne s’inventent guère ; ils contribuent donc pour leur part à prouver l’authenticité du récit. - Le passé simple résolut exprime, comme on l’a fort bien dit, « une volonté réalisée » : l’évangéliste nous transporte par conséquent à l’heure même où Jésus se mettait en route pour regagner sa chère Galilée. - Aller, sortir du lieu qui lui avait servi de domicile temporaire en Judée. - Il rencontra (en grec au présent). Rencontre toute providentielle et bienheureuse pour S. Philippe. L’analogie du contexte semblerait même indiquer que le bon berger avait daigné chercher cette nouvelle brebis, cf. versets 41 et 45. -



Jean 1.44 Et Jésus lui dit : "Suis-moi." Philippe était de Bethsaïde, la ville d'André et de Pierre. - Suis‑moi. Il y a dans ces deux mots autre chose qu’une invitation à faire en compagnie de Notre‑Seigneur le voyage de Judée en Galilée. C’est la formule dont Jésus se servait habituellement pour attacher à sa personne, en qualité de disciples intimes, ceux auxquels il s’adressait, cf. Matth. 8, 22 ; 9, 2 ; 19, 21 ; Marc. 2, 14 ; 10, 21 ; Luc. 5, 27 ; 9, 59, etc. S. André, S. Jean et S. Pierre étaient allés eux‑mêmes trouver Notre‑Seigneur ; mais voici que Jésus fait maintenant les premières avances. - Philippe est un nom d'origine grecque, comme André et beaucoup d’autres noms galiléens. On voit par là jusqu’à quel point les districts du nord de la Palestine avaient été envahis par les coutumes et le langage helléniques. - Bethsaïde, la ville d’André. De ce détail, qui est propre au quatrième évangile, nous sommes en droit de conclure que S. Philippe connaissait Pierre et André, qu’il était probablement aussi un disciple de Jean‑Baptiste, et que ses compatriotes lui avaient parlé de leur entrevue avec Jésus. De la sorte, il se trouvait préparé à l’appel du Sauveur. Sur l’emplacement de Bethsaïde, voyez commentaire Mc, p. 103.



Jean 1.45 Philippe rencontra Nathanaël et lui dit : "Nous avons trouvé celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les Prophètes : c'est Jésus, fils de Joseph de Nazareth." - Philippe rencontra… Les frères ont conduit leurs frères à Jésus ; l’ami lui conduit son ami. Cette nouvelle scène eut lieu probablement au début du voyage ; mais le texte ne détermine rien à ce sujet. Notez le fréquent emploi du verbe « rencontrer » dans ce passage (versets 41-45). Jésus trouve des disciples, ceux‑ci se trouvent mutuellement et trouvent le Messie. - Nathanaël est une dénomination toute juive, qu’on rencontre plusieurs fois dans l’Ancien Testament, cf. Nombres 1, 8 ; 1 Chroniques 2, 14 ; Esdras 1, 9 ; 9, 22. Elle signifie « don de Dieu » et correspond au grec Théodore. On a toujours cru communément depuis Rupert de Deutz (douzième siècle) que le Nathanaël mentionné en cet endroit et vers la fin de notre évangile (21, 2), ne diffère pas de l’apôtre S. Barthélemy. Voyez Salmeron, Cornelius Jansenius, Cornelius a Lap., Calmet, etc. Ce sentiment est rendu pour le moins très vraisemblable par les raisons suivantes : 1° tous les personnages cités à partir du verset 37 devinrent apôtres ; 2° 21, 2, nous voyons encore Nathanaël dans une société qui se compose exclusivement d’apôtres : l’analogie demande qu’il le fût aussi ; or, dans le cercle apostolique, S. Barthélemy peut seul s’identifier avec Nathanaël ; dans les listes des apôtres, S. Barthélemy est d’ordinaire rapproché de S. Philippe, de même qu’ici Nathanaël ; 4° Barthélemy, en hébreu Bar‑tholmaï, est un nom patronymique, qui suppose généralement la coexistence d’un autre nom, personnel et privé. On peut ajouter 5° que plusieurs d’entre les apôtres et les disciples eurent deux noms distincts : Matthieu‑Lévi, Jude‑Thaddée, Jean‑Marc, etc. Les Pères ne s’occupent pas directement de cette question ; quand ils parlent de Nathanaël, ils semblent ne le pas mettre au nombre des Douze, cf. S. August., Tract. 7 in Jean, 17 ; Enarrat. In Ps. 65, 2 ; s. Greg. M., Moral. 33, 1 - Celui dont Moïse a écrit. Paraphrase solennelle du nom de Messie. Les principales prophéties messianiques contenus dans la Loi, c’est-à-dire dans le Pentateuque, sont relatives à la « descendance de la femme », Genèse 3, 15, au lion de Juda, Genèse 49, 10, à l’étoile de Jacob, Nombres 24, 17, et, Deutéronome 17, 15-19, au prophète semblable à Moïse. Ceux des livres prophétiques sont : Isaïe 7, 14 ; 9, 6 ; 53 ; Jérémie 23, 5 ; Ezéchiel 34, 23-31 ; Michée 5, 2 ; Zacharie 13, 7, etc. - Nous avons trouvé. En parlant au pluriel, Philippe montre que d’autres partagent sa croyance et qu’il n’a pas été seul à découvrir le Christ, cf. verset 41. - Jésus, fils de Joseph, de Nazareth. On voit par ces dernières paroles que S. Philippe était encore dans l’erreur sur plusieurs points très graves relativement à Jésus. Il ignore sa nature, il le croit fils de l’humble charpentier Joseph, et originaire de Nazareth. Mais la lumière se fera peu à peu. Que penser toutefois des rationalistes (de Wette, Strauss, etc.), qui osent inférer de ce passage que l’évangéliste lui‑même ne connaissait pas le mystère de la conception surnaturelle de N.-S. Jésus‑Christ ? Rien de plus arbitraire et de moins scientifique qu’une telle assertion ; car il est bien évident que l’écrivain parle ici comme un simple rapporteur, se bornant à relater, sans les apprécier, les paroles de Philippe. La seule conclusion légitime est que le secret de Dieu avait été admirablement gardé.



Jean 1.46 Nathanaël lui répondit : "Peut-il sortir de Nazareth quelque chose de bon ?" Philippe lui dit : "Viens et vois." - Peut‑il sortir (…) quelque chose… ? Nathanaël ne pouvait pas exprimer plus fortement son dédain à l’égard de Nazareth. Pourquoi avait‑il une si triste opinion de la cité de Jésus ? Peut-être parce qu’elle n’était qu’une bourgade sans importance, perdue au milieu des montagnes de la Galilée. Peut-être encore, a‑t‑on dit, mais sans alléguer de preuve positive, à cause de la morale relâchée de ses habitants. Les synoptiques nous montrent du moins les compatriotes de Notre‑Seigneur sous un jour peu favorable : à deux reprises, les Nazaréens refusèrent par orgueil de croire à la mission divine de jésus ; ils voulurent même un jour le mettre cruellement à mort, cf. Matth. 13, 58 ; Marc. 6, 6 ; Luc, 4, 29. C’est aussi par mépris que les Juifs modernes donnent au sauveur le surnom de « Hannôtzeri » (le Nazaréen). On connaît ce mot de S. Jérôme : « On appelait, par opprobre, Nazaréens, ceux que l'on appelle maintenant chrétiens ». - Peut‑il sortir quelque chose de bon, à plus forte raison le bien par excellence, le Messie. - Viens et vois. Belle réponse, qui est d’ailleurs la meilleure qu’on puisse adresser aux hommes imbus de préjugés religieux. Philippe savait par expérience qu’il suffirait de voir N.-S. Jésus‑Christ pour être aussitôt convaincu de son rôle supérieur. « Nous devons croire qu'il y avait une grâce ineffable dans les discours et les paroles du Christ, qui attirait et charmait les âmes de ses auditeurs », S. Cyrille. - Cette fois Nathanaël n’objecte rien et se laisse docilement conduire à Jésus.



Jean 1.47 Jésus vit venir vers lui Nathanaël et dit en parlant de lui : "Voici vraiment un Israélite, en qui il n'y a nul artifice." C’est toujours la même fraîcheur et la même délicatesse de récit. Quelle simplicité pourtant. - Et dit en parlant de lui : Jésus s’adressait directement à ses premiers disciples, S. Pierre, S. André et S. Jean : mais il parla de manière à être entendu de Nathanaël, qui était déjà tout auprès de lui. - Voici vraiment un Israélite. De nouveau (cf. verset 42), Notre‑Seigneur manifesta sa connaissance surnaturelle du cœur humain, en décrivant le caractère intime de Nathanaël. Bien des Juifs n’étaient alors fils d’Israël que selon la chair et par le nom (1 Corinthiens 10, 18) : l’ami de Philippe l’était, au contraire, en toute réalité. - En qui il n’y a nul artifice. Ces mots expliquent les précédents et contiennent une allusion à l’histoire du grand ancêtre des Juifs. Voyez Genèse 25, 27, où Jacob est appelé : « un homme sans détours ».







Jean 1.48 Nathanaël lui dit : "D'où me connaissez-vous ?" Jésus répondit et lui dit : "Avant que Philippe t'appelât, lorsque tu étais sous le figuier, je t'ai vu." - La candeur de Nathanaël s’est déjà révélée dans sa réponse à Philippe ; elle se révèle encore dans celle qu’il fait à Jésus : D’où me connaissez-vous ? Le voilà tout surpris, et, en effet, « rien ne frappe autant l’homme que de voir qu’un autre homme lit au plus profond de son cœur. «  Tholuck. - Pour toute explication Jésus adresse à Nathanaël une parole encore plus étonnante que la première, montrant ainsi qu’il n’y avait rien de caché pour lui. Avant que Philippe t’appelât, nous reporte, selon toute vraisemblance, aux instants qui avaient immédiatement précédé l’entrevue de Philippe et de Nathanaël, versets 45 et 46. Il est inutile et contraire au contexte de remonter à une époque antérieure indéterminée. - Après la date, Jésus fixa le lieu : lorsque tu étais sous le figuier ; sous lequel Nathanaël s’était retiré, probablement pour méditer et pour prier. Dans le Talmud de Jérusalem, traité Berachoth, 2, 8, nous voyons en effet Rabbi Akiba étudiant la loi sous un figuier, et les recueils rabbiniques mentionnent plusieurs autres cas analogues. Cet arbre est du reste célèbre dans la littérature sacrée, qui, pour décrire une ère de bonheur et de paix, en particulier l’ère messianique, représente chaque membre de la nation choisie assis à l’ombre de son figuier et de sa vigne, cf. 1 Rois 4, 25 ; Malachie 4, 4 ; Zacharie 3, 10, etc. - Je t’ai vu. Avec insistance : En ce moment précis, en cet endroit précis, je t’ai vu. Il n’est pas douteux que la perception dont parle Jésus n’ait été surnaturelle, miraculeuse. La plupart des exégètes admettent en outre que Notre‑Seigneur ne fait pas seulement allusion à un phénomène externe (« tu étais sous le figuier »), mais qu’il rappelle à Nathanaël en termes voilés une situation d’âme toute particulière dans laquelle celui‑ci s’était alors trouvé.

Jean 1.49 Nathanaël lui répondit : "Rabbi, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d'Israël." - Quand il voit que Jésus a découvert ses pensées les plus secrètes, Nathanaël est pleinement convaincu, et il n’attend pas davantage pour faire sa profession de foi. Il la fait précéder de l’appellation respectueuse de Rabbi, lui qui, antérieurement (verset 48), n’avait donné aucun titre à son interlocuteur. - Vous êtes le Fils de Dieu. Il semble difficile que Nathanaël ait pu prendre les mots « Fils de Dieu » dans leur stricte acception théologique de Dieu fait homme ; en effet, environ deux ans plus tard, quand saint Pierre affirmera solennellement la divinité de Jésus, il lui sera répondu qu’il n’avait tenu un langage si élevé qu’en vertu d’une révélation spéciale, cf. Matth. 16, 18 et suiv., et les passages parall. Aussi des auteurs importants, tels que saint Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, et fin XIXème siècle : A. Maier, le P. Corluy, etc., ont‑ils pensé que Fils de Dieu a simplement ici, comme en maint autre endroit des évangiles, le sens de Messie. Toutefois, sans aller aussi loin que d’autres exégètes anciens et modernes (saint Augustin, Maldonat, Olshausen, Milligan, etc.), qui maintiennent la signification littérale, nous croyons pouvoir admettre que Nathanaël avait au moins pressenti la nature divine de Notre‑Seigneur ; car l’Ancien Testament s’exprime d’une manière très nette sur le caractère surhumain du Messie (cf. Ps, 2, 7, 12 ; Isaïe 9, 6), et Nathanaël avait eu coup sur coup deux preuves frappantes de la science extraordinaire de Jésus. Il est vrai que les prophéties messianiques étaient souvent bien mal compris. - Vous êtes le roi d’Israël. Comme on l’a dit, le « bon Israélite » reconnaît ici son roi et lui rend un fidèle hommage. Après avoir fixé, dans sa noble confession, les relations de Jésus avec Dieu, Nathanaël indique son rôle par rapport au peuple juif. Le roi qu’Israël attendait alors n’était autre que le Christ. Malgré la clarté de ce témoignage, les rationalistes prétendent que Jésus n’en vint que beaucoup plus tard et peu à peu, poussé par ses disciples, à s’arroger le titre de Messie.



Jean 1.50 Jésus lui répondit : "Parce que je t'ai dit : Je t'ai vu sous le figuier, tu crois. Tu verras de plus grandes choses que celle-là." - Dans cette première partie de sa réponse, Notre‑Seigneur relève d’abord l’acte de foi de Nathanaël ; puis il lui fait une promesse générale, qui sera développée dans la seconde partie (verset 51). - Tu crois. Il n’est pas nécessaire de donner un tour interrogatif à la pensée (S. Jean Chrysost., etc. ). Jésus constate simplement un fait. - Tu verras des choses plus grandes… C’est-à-dire, des merveilles de beaucoup supérieures à celles qui excitent déjà ton admiration à un si haut degré, des preuves encore plus fortes de ma mission divine.



Jean 1.51 Et il ajouta : "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'homme." - L’évangéliste introduit par une nouvelle formule de transition (et il lui dit) l’importante révélation qui va suivre. Jésus l’introduit lui‑même par une assertion solennelle : En vérité, en vérité, je vous le dis. A part deux passages de l’Ancien Testament (Nombres 5, 22 ; Néhémie 8, 6), ce double « en vérité » n’apparaît que dans le quatrième évangile, où nous le rencontrons jusqu’à vingt‑cinq fois, toujours sur les lèvres du Sauveur. Il est remarquable que Jésus parle maintenant au pluriel (« vous verrez ») ; il ne s’adresse donc plus exclusivement à Nathanaël (cf. verset 50 : tu verras ») ; quoique sa prédiction le concerne d’une manière plus directe (« il lui dit »), mais aussi à Philippe et aux autres disciples qui l’entouraient alors. Voyez la note du verset 47. - Vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant. Il y a dans ces mots, tout le monde en convient, une allusion nouvelle (voir la notre du verset 47) à l’histoire du patriarche Jacob. « Il (Jacob) eut un songe : voici qu’une échelle, appuyée sur la terre, avait son sommet qui touchait les cieux et que les anges de Dieu montaient et descendaient sur elle. Et voici que le Seigneur qui se tenait debout devant lui, dit : « Je suis le Seigneur… » Genèse 28, 12 et 13. Ce que l’ancien Israël avait vu, le « véritable Israélite » son petit‑fils, devait le voir aussi ; avec cette différence que, pour l’un, tout se passait en songe, tandis que, pour l’autre, la scène mystérieuse s’était transformée en réalité. Mais quel sens faut‑il donner aux paroles de Jésus ? Devons‑nous les interpréter à la lettre, ou bien nous contenterons‑nous de les prendre au moral et au figuré ? La première opinion a été soutenue dans l’antiquité par S. Jean Chrysostome, S. Cyrille, Euthymius. Suivant ces grands commentateurs, les « anges qui montent et descendent sur le Fils de l'Homme » seraient les anges qui apparurent après la tentation de Notre‑Seigneur, durant son agonie, après sa Résurrection et son Ascension. Toutefois, sans compter que les disciples de Jésus ne contemplèrent pas la première de ces apparitions, un si petit nombre de faits semblerait réaliser bien mal une telle prophétie. Aussi d’autres exégètes ont‑ils conjecturé, mais d’une façon toute gratuite, que Nathanaël et Philippe auraient été favorisés de visions d’anges passées sous silence dans la narration évangélique. Il est donc difficile d’accepter l’interprétation littérale. S. Augustin la rejetait déjà (cf. Tract. 7 in Jean ; Contr. Faust. 12, 26) ; de même, Bède le Vénérable, Tolet, Maldonat, A. Maier, Beelen, Klofutar. Mgr Haneberg et d’autres auteurs se déclarent pareillement favorables à la signification mystique, quoique de différentes manières. Selon l’idée la plus simple et la plus naturelle, les anges figurent ici, conformément à leur rôle habituel, un échange perpétuel de relation entre le ciel et la terre, ces deux royaumes autrefois divisés, mais qui ne formeront désormais, grâce à N.-S. Jésus‑Christ, qu’un tout inséparable. Autour de Jésus, il y aura un incessant va‑et‑vient de forces divines d’étonnantes merveilles : ce qui s’était passé naguère au moment de son baptême devait se reproduire sans cesse pendant sa vie publique. De la sorte, il serait vraiment le point central du monde, un parfait intermédiaire entre Dieu et les hommes, cf. Éphésiens 1, 10 ; Colossiens 1, 20. Les apôtres furent témoins de ces miracles : « Et nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique » (verset 14). - Il paraît surprenant, au premier regard, que les anges soient représentés « montant et descendant », surtout après les mots « vous verrez le ciel ouvert », qui demanderaient la construction inverse, « descendant et montant ». Mais 1° telle était déjà la description de la Genèse (voyez les commentaires), et l’on conçoit que Jésus en ait conservé l’agencement ; 2° le Fils de l’homme est depuis longtemps sur la terre, et, partout où il se trouve, les anges l’environnent en grand nombre : il est donc juste qu’il se prenne lui‑même comme point de départ. Voyez dans Platon, Sympos. 23, un beau passage relatif aux puissances médiatrices qui contribuent à maintenir des relations entre les dieux et les hommes. Il n’est pas sans analogie avec la présente parole de Jésus. - Sur le Fils de l’homme. Nous avons expliqué ce nom mystérieux dans notre commentaire sur S. Matthieu, 8, 20.). Notre‑Seigneur se le donne à lui‑même quatre‑vingts fois environ dans les écrits évangéliques (d’après Westcott : S. Matth. trente fois, S. Marc treize fois, S. Luc vingt‑cinq fois, S. Jean douze fois. On peut noter que le Christ s’est appelé ainsi en certaines circonstances, surtout quand il s’attribue des choses qui sont divines ou qui excèdent la nature humaine. Il s’appelle autrement quand il parle des choses pour lui avilissantes, mais pour nous salutaires, qu’il endurait ou qu’il était sur le point d’endurer, cf. S. August., De cons. Evang., 1. - Combien de titres attribués à Jésus dans le cours de ce chapitre. Il est le Verbe (versets 1, 14), la lumière par excellence (verset 9), le Fils unique du Père (verset 14), le Fils de Dieu (versets 34, 49), l’agneau de Dieu (verset 36), un maître révéré (versets 38, 49), le Messie (verset 41, 45), le roi d’Israël (verset 49), enfin le Fils de l’homme.



CHAPITRE 2





Jean 2.1 Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée et la mère de Jésus y était. -Trois jours après. Cette date a été expliquée de plusieurs manières. Elle représenterait, d’après Sepp, le troisième jour de la semaine juive (le mardi) ; d’après Klofutar, Patrizi, etc., le troisième jour qui suivit l’arrivée de Notre‑Seigneur en Galilée ; d’après J. P. Lange, etc., le troisième jour à partir de 1, 19 ; d’après d’autres, le troisième jour des solennités nuptiales. Il est plus naturel et plus simple de compter les jours depuis la dernière date mentionnée en termes exprès par l’évangéliste, c’est-à-dire depuis 1, 43. Dans cet intervalle, Jésus avait pu aisément franchir avec ses nouveaux disciples la distance qui séparait Béthabara de Cana en Galilée. - Il se fit des noces. On a cherché assez anciennement à déterminer quels étaient les mariés. Des mots suivants, attribués à saint Jérôme, « Jean voulant se marier a été appelé par le Seigneur  » (Prolog. in Jean), divers auteurs ont conclu que l’époux était l’apôtre bien‑aimé. Les musulmans ont adopté cette tradition curieuse, mais difficilement justifiable. D’autres l’identifient à Nathanaël, uniquement parce qu’il était originaire de Cana ; d’autres (cf. Nicéphore, Hist. eccles. 8, 30 ) à Simon le « Cananéen », dans la fausse supposition (cf. commentaire S. Matth. 10, 4) que cette épithète le désignait pareillement comme un habitant de Cana. Quant à la mariée, ce serait Suzanne (Luc. 8, 3) ou Marie‑Madeleine : conjectures non moins gratuites que les précédentes. Il est certain du moins que les mariés étaient des amis du Sauveur et de sa mère ; la suite du récit le prouve clairement. - à Cana en Galilée. Cana serait Kefr‑Kanna situé à 6km au nord de Nazareth ; on y voit les restes d’une église bâtie, dit‑on, sur l’emplacement de la maison où eurent lieu les noces et le miracle. Il existait encore en Palestine un autre Cana, signalé au livre de Josué, 19, 28, comme faisant partie de la tribu d’Aser ; on l’a retrouvé dans une bourgade de même nom assez rapprochée de Tyr. - Et la mère de Jésus y était. Marie était donc arrivée à Cana avant son divin fils. Il est question d’elle à trois reprises dans l’Évangile selon S. Jean : ici, 6, 42 et 19, 25-27. Le silence de l’historien sacré relativement à S. Joseph amenait déjà S. Épiphane à conjecturer avec beaucoup de vraisemblance que le père nourricier de Jésus était mort pendant la vie cachée de Nazareth. cf. commentaire S. Matth. 13, 55.


Jean 2.2 Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. Jésus fut invité au moment où il arrivait à Cana ; à moins cependant qu’il n’ait trouvé l’invitation à Nazareth, qui était sur sa route. - Avec ses disciples. C’est-à-dire Simon‑Pierre, André, Jean, Philippe, Nathanaël, et probablement Jacques, frère de Jean, cf. 1, 41 et le commentaire. On ne voulait pas les séparer de leur Maître. Ce trait est d’ailleurs tout à fait en harmonie avec les mœurs hospitalières de l’Orient. - Les anciens exégètes relevaient volontiers, et à bien juste titre, la condescendance avec laquelle Notre‑Seigneur accepta d’assister même à des noces. Son but n’était‑il pas de sanctifier tous les événements de la vie humaine ? « Notre Seigneur, qui s'était fait homme, ne dédaigna donc pas la compagnie des hommes ; il ne méprisait pas les institutions de notre monde, lui qui était venu pour les réformer », S. August., Sermo 92, Appendix. Ou encore : « En venant à un mariage auquel il avait été invité, il a voulu confirmer qu'il avait établi le mariage ». Id. Tract. 19 in Jean cf. S. Epiph., Haeres. 57.

Jean 2.3 Le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : "Ils n'ont pas de vin." - Le Codex Sinaiticus et quelques manuscrits de l’Itala (a, b, etc.) ont ici une variante intéressante, mais très probablement apocryphe : « Et ils n'avaient pas de vin, car le vin des noces avait été consommé, etc. ». D’après un proverbe talmudique « Pesach, 109, a), « là où il n’y a pas de vin il n’y a pas de joie ». D’ailleurs, un tel incident en une telle occasion serait regardé n’importe où comme extrêmement fâcheux. Il prouve d’une façon bien évidente que les mariés étaient pauvres ; la présence de plusieurs serviteurs dans la maison (v. 5) était extraordinaire et transitoire. Mais, comme on avait reçu plusieurs convives inattendus, à savoir les disciples du Sauveur, on comprend que la provision ait été plus rapidement épuisée qu’on ne l’avait pensé. En outre, les réjouissances nuptiales duraient d’ordinaire plusieurs jours (souvent sept jours) chez les Juifs, cf. Genèse 29, 27 ; Juges 14,12 ; Tobie 9, 12 ; 10. Or, on peut raisonnablement supposer que la pénurie de vin ne se manifesta pas dès le premier repas. - La mère de Jésus lui dit. S. Jean est seul parmi les évangélistes à ne jamais citer expressément le nom de la Sainte Vierge ; il suppose, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, que ses lecteurs sont au courant de l’histoire sacrée. Marie, s’étant aperçue de la situation, songe aussitôt à éviter un grand embarras soit aux hôtes, soit aux convives. On voit dans ce trait toute la bonté de son cœur, de même que l’on voit dans la prière qu’elle adresse à Jésus les sentiments les plus vifs de foi et de respect à l’égard de son divin Fils. L’échange entre elle et lui eut lieu à voix basse, assurément. - Ils n'ont pas de vin. Rien de plus terre à terre que les interprétations données parfois de cette formule dans le camp protestant. D’après Bengel (Gnomon, h. l. ), Marie eût voulu dire : « Je voudrais que tu t'éloignes, pour que d'autres s'éloignent aussi, avant que le manque de vin n'apparaisse ». Selon Calvin, elle aurait ainsi conseillé tacitement à Jésus « que par une quelconque exhortation pieuse il soulage l'ennui des convives, et la honte des époux ». Comme si la signification pouvait être douteuse. Il y a dans ces mots une demande pressante, quoique indirecte et infiniment délicate (cf. 11, 3), de venir en aide aux hôtes par quelque moyen surnaturel. Sans doute N.-S Jésus‑Christ n’avait fait encore aucun miracle (v. 11) ; mais sa Mère ignorait‑elle donc sa nature divine et sa puissance ?


Jean 2.4 Jésus lui répondit : "Femme, que me veux-tu ? Mon heure n'est pas encore venue." « Parce que cette réponse du Christ semble comporter quelque chose de répréhensible, ceux dont la foi n’est pas assurée en ont tiré d’absurdes erreurs », Maldonat, h. l. Combien de fois, en effet, les hérétiques et les incrédules ont pris plaisir à retourner contre la Très Sainte Vierge ces paroles de Jésus, dont ils faussaient le sens. Il faut avouer, comme l’ajoute Maldonat, que les explications des exégètes catholiques n’ont pas toujours été heureuses, et que nos adversaires se prévalent avec fierté de quelques jugements des SS. Pères, qui semblent bien sévères pour Marie. C’est ainsi que S. Irénée écrivait (3, 16, 7) : « Marie voudrait hâter le signe admirable du vin, et partager la coupe de l'eucharistie avant le temps déterminé par le Père. Le Seigneur repousse cet empressement intempestif, et dit : Qu'y a t‑il entre moi et vous, femme ? ». S. Athanase parle dans le même sens, Sermo 3 contr. Arian., 41. S. Jean Chrysostome, Hom. 21 in Jean, va encore plus loin, et ne craint pas d’attribuer à Marie un sentiment de vaine gloire. « Ces paroles de Chrysostome vont trop loin », a dit S. Thomas d’Aquin, Somme, 3a, q. 27, art. 4. Le concile de Trente a du reste implicitement condamné, au 23e canon de la 6ème session, toute interprétation défavorable à la Très Sainte Vierge. « Si quelqu'un dit que l'homme ... peut, durant toute sa vie, éviter tous les péchés, même véniels, si ce n'est par un privilège spécial de Dieu accordé, selon le sentiment de l’Église, à la bienheureuse Vierge, qu'il soit anathème ». Maldonat et Tolet essaient d’adoucir la scène, en la présentant comme une feinte à laquelle Jésus aurait eu recours pour notre instruction. « Il faisait semblant de faire des reproches à sa mère, alors qu’il ne lui reprochait rien, pour montrer que ce n’était pas à cause des liens de parenté, mais par la seule charité qu’il faisait des miracles, et pour déclarer qui il était », Maldonat. Rien toutefois n’autorise cette supposition. Aujourd’hui, on envisage avec assez de calme la réponse de Jésus à sa Mère, et même plus d’un auteur protestant ou rationaliste sait déterminer impartialement la véritable interprétation. - que me veux-tu ?  paraît froid, dur même, au premier abord. [On peut aussi traduire plus littéralement : « qu’est-ce pour toi et pour moi ? » Ou « Quoi à toi et à moi ? »] Mais c’est la faute de nos langages modernes, qui ne peuvent la traduire littéralement avec toutes les nuances qu’elle était susceptible de recevoir. Elle correspond aux formules des Hébreux, qu’on rencontre à plusieurs reprises soit dans l’Ancien Testament (cf. Jos 22, 24 ; Juges 11, 12 ; 2 Samuel 16, 10 ; 19, 22 ; 1 Rois 17, 18 ; 2 Rois 3, 13 ; 2 Chroniques 35, 21), soit dans le Nouveau (Matth. 8, 29 ; Marc. 1, 24 ; Luc. 8, 28 ; etc), et qui n’étaient pas inconnues des classiques. Sans doute, ces formules indiquaient toujours, et parfois même d’une manière très énergique, une divergence de vues, la non‑acceptation d’une solidarité, le refus d’une proposition ; mais leur sens spécial dépendait des circonstances du moment, et nous verrons que les circonstances du moment enlevèrent toute rudesse aux mots « Que me veux-tu ». Aussi M. Farrar trouve‑t‑il à bon droit cette expression « conciliable avec la courtoisie la plus délicate et avec le plus vif respect ». Nous adoptons volontiers la traduction qu’en donne M. Reuss : « Laissez-moi faire, ma mère. ». Notre‑Seigneur signifiait donc par là que, sa mission officielle ayant désormais commencé, il devait plutôt agir en Fils de Dieu qu’en fils de Marie, qu’il était indépendant de sa mère pour ses œuvres messianiques. Aussi sa parole actuelle n’est‑elle pas sans analogie avec celle qu’il avait prononcée dans le temple à l’âge de douze ans, Luc. 2, 49 (voyez le commentaire). « Notre‑Seigneur Jésus‑Christ était Dieu et homme tout ensemble. En tant que Dieu, il n’avait pas de mère, en tant qu’homme il en avait une. Elle était donc la mère de son corps, la mère de son humanité, la mère de l’infirmité qu’il a prise à cause de nous. Or, le miracle qu’il allait faire, il allait le faire selon sa divinité, et non selon son humanité ; en tant qu’il était Dieu, et non en tant qu’il était né dans la faiblesse, etc. ». S ; August. Tract. 8 in Jean 9. On ne saurait traduire  « Qu'y a t‑il entre moi et toi », avec Euthymius et Tolet, par cette périphrase : « Le vin sera fourni en abondance non pour moi ni pour toi, mais pour les époux qui ont invité ». Ce serait aller tout à fait contre le contexte. - Femme. Il faut espérer que le jour est maintenant passé où l’on associerait à ce titre de Femme autre chose que des pensées d’honneur et de respect, surtout sur les lèvres de Celui qui a daigné revendiquer comme une gloire l’identité avec notre nature, et qui s’adressait alors à la mère à laquelle il avait été soumis. En effet, l’appellation n’a ici absolument rien de raide ni de sévère. Jésus l’emploiera plus tard sur la croix pour tenir à sa mère le langage de la plus filiale tendresse. Jean 19, 26. Il l’emploiera de même à l’égard de Marie‑Madeleine, après sa résurrection, Jean 20, 15. Elle était d’ailleurs très usuelle, non seulement chez les Juifs (cf. Jean 4, 21 ; 8, 10 ; Matth. 15, 28 ; Luc. 13, 12, passages où elle est toujours prononcée d’une manière douce et aimable », mais aussi chez les classiques. « Chez les Grecs, cet expression était usitée pour s'adresser aux femmes les plus dignes de considération » (Rosenmüller), et on l’adressait même à des reines, cf. Dio Cass., hist. 51, 12 ; Xénophon, Cyrop. 5, 1, 6 ; Hom. 2, 3, 204. Aujourd’hui même, en Espagne, « mujer », femme, est souvent un nom de tendresse, que les amies , les proches parentes se donnent mutuellement. - Mon heure n’est pas encore venue. L’heure de Jésus, dans le quatrième Évangile, c’est souvent le temps de sa Passion (cf. 7, 30 ; 8, 20 ; 12, 23, 27 ; 13, 1 ; 17, 1) ; ici néanmoins cette expression doit être prise dans un autre sens : elle désigne, d’après le v. 11, le moment précis, déterminé d’avance par le plan divin, où Notre‑Seigneur devait manifester par un premier miracle son caractère de Christ, cf. S. Irénée, Contre les Hérésies ; 3, 16 et 18. Jésus affirme que le moment n’est pas encore venu, et pourtant il va presque aussitôt faire ce que Marie lui demandait. Mais il n’y pas d’opposition réelle entre ces deux choses. On l’a fort bien dit : « Un changement de conditions morales et spirituelles ne se mesure pas à la longueur du temps » (Westcott). Ainsi, « le temps (que sa mère demandait) n'était pas encore venu ; mais le temps qu'il allait inaugurer venait, quoiqu'avec un léger intervalle », Maldonat. Cette ponctualité minutieuse de Jésus aux ordres de son Père est d’un grand exemple pour nous.

Étant donné que la Vierge Marie va dire aux serviteurs de faire tout ce que Jésus leur demandera, il faut conclure que la phrase : « femme, qu’y a-t-il entre toi et moi » ou « femme, que me veux-tu » a été prononcé à voix basse avec un grand sourire de la part de Jésus.

Saint Jean Chrysostome pense que Jésus demande un délai, le temps que les invités constatent le manque de vin pour rendre le miracle plus éclatant mais cela revient à humilier publiquement les mariés et les plonger dans un grand embarras. Une telle angoisse n’est pas un cadeau à faire à de jeunes mariés même si quelques minutes plus tard, la solution d’un vin miraculeux devait voir le jour. Le caractère éclatant du miracle ressort de l’excellence du vin miraculeusement produit par Jésus : de toute leur vie, aucune personne présente à ce mariage ne goûtera un vin aussi succulent. Saint Augustin pense que ce verset signifie que Jésus annonce à sa mère qu’il l’a reconnaîtra à la croix mais que le fait qu’il commence sa vie publique et ses miracles ne la concerne pas. Cette explication est gênante dans la mesure où elle implique qu’un reproche soit fait à la vierge Marie, un peu comme si elle avait faite une demande inappropriée ou maladroite. Cette « boulette » que la Très Sainte Vierge Marie aurait faite et que Jésus reprendrait ne me paraît pas crédible, ni digne de la Mère de Jésus. Il me semble donc que Jésus a tout de suite consenti à la demande de sa mère, d’autant qu’il était en partie responsable du manque de vin par sa présence supplémentaire avec ses premiers apôtres. Le sourire qui dû accompagner cette phrase prononcée à l’oreille de sa mère a fait comprendre à la Vierge Marie qu’il allait sortir les mariés de cette terrible humiliation d’un mariage raté faute de vin en quantité suffisante mais Jésus ajoute une allusion très profonde à sa Mère comme si elle demandait que la Passion, la Mort et la résurrection surviennent tout de suite. En effet, seule elle sait le plan de Dieu. Comme son fils, elle brûle du désir, pour la gloire de Dieu et le bien de l’humanité, que le sacrifice de son fils soit consommé, que sa mort et sa résurrection arrivent. C’est comme si Jésus et sa Mère s’échangeait un secret l’un avec l’autre : « moi aussi, je désire d’un grand désir que ma Passion, ma mort, ma résurrection et mon ascension soient consommés, puisque je suis venu sur Terre pour cela. Combien je suis heureux de cette communion entre nous pour le bien de toute l’humanité, comme je suis heureux de ce rôle que tu vas remplir comme co-rédemptrice et comme médiatrice de toute grâces pour chaque personne sur terre, mais patientons, attendons mon heure, l’heure de mon sacrifice, l’heure de ma Passion et d’ici-là inaugurons le premier miracle de ma vie publique avec ce vin merveilleux que je vais leur donner, vin délicieux qui annonce le vin miraculeusement changé en mon corps, mon âme et ma divinité à la sainte Messe.


Jean 2.5 Sa mère dit aux serviteurs : "Faites tout ce qu'il vous dira." - La confiance de Marie en son divin Fils apparaît ici dans toute sa beauté. Elle avait compris le Oui dissimulé sous un Non apparent. Au reste, en mettant en tête de sa réponse un « pas encore » emphatique, Jésus avait montré qu’il retardait simplement l’heure où il exaucerait la prière de sa mère. - Faites tout ce qu’il vous dira. Il y a une grande énergie dans le mot « tout ». La Sainte Vierge voulait préparer les serviteurs à l’ordre extraordinaire qu’elle attendait de Notre‑Seigneur. Quoi qu’il vous commande, leur dit‑elle, accomplissez-le sans hésiter. Eût‑elle agi de la sorte, si la réponse antérieure de Jésus avait été empreinte de la dureté que nos adversaires veulent y mettre ? Il est remarquable que les paroles de Marie soient ici tout à fait les mêmes que celles du Pharaon aux Égyptiens à propos de Joseph. Genèse 40, 55.


Jean 2.6 Or, il y avait là six jarres de pierre destinées aux ablutions des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. - Les détails contenus dans ce verset sont d’une précision remarquable : ils proviennent évidemment d’un témoin oculaire. Ils servent d’introduction immédiate au miracle, en même temps qu’ils servent à en relever l’étendue. - Or est ici une particule de transition. - Il y avait là : peut-être dans la salle même du festin, ou du moins dans le vestibule de la maison. - Six jarres. Le mot grec Hydriae latinisé dont la racine est « eau » désigne ces amphores, de dimensions variées, qui ont toujours fait partie intégrante d’un mobilier oriental, et qui servent, selon leur taille, soit à aller chercher, soit à conserver, et c’est actuellement le cas, la provision d’eau de chaque ménage. Le narrateur fournit tous les renseignements désirables sur leur nature, leur nombre, leur destination directe, leur capacité. - 1° Elles étaient de pierre, par conséquent grandes et massives, restant toujours à la même place : leurs larges ouvertures permettaient d’y puiser facilement au moyen de vases plus petits. - 2° Il y en avait six, bien rangées en ordre. - 3° Elles étaient surtout destinées à contenir l’eau nécessaire pour les ablutions et purifications incessantes des Juifs contemporains de Notre‑Seigneur : destinées aux ablutions des Juifs. Voyez Matth. 15, 2 ; Marc. 7, 3, et le commentaire. - 4° Leur capacité était considérable : contenant chacune environ cent litres (deux ou trois mesures ) : tellement considérable, que divers exégètes méticuleux ou rationalistes, désireux de la réduire, ont [prétendu] que l’évangéliste avait simplement noté le total du contenu des six amphores. La « mesure » était l’unité de capacité chez les Grecs : elle équivalait, d’après les Septante et d’après Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 8, 2, 9, au « bath » qui mesurait près de 40 litres. La formule « deux ou trois » semble indiquer que les amphores n’avaient pas toutes la même capacité (« entre » deux et trois  bath), mais qu’elles contenaient les unes trois, les autres seulement deux bath, c’est-à-dire, à elles toutes, de 470 litres à 710 litres environ. Vraiment, comme s’exprime de Wette, le miracle de Jésus fut tout à fait « luxueux ». Il ose en être scandalisé. L’exégète croyant admire au contraire la toute‑puissance de Jésus, et aussi la munificence royale de son « présent de noces ». La même surabondance apparaîtra dans la multiplication des pains, autre miracle matériel d’un genre analogue. Édifions‑nous avec S. Augustin de ce que celui « Quel témoignage de sa puissance ! Et pourtant il s'est abaissé jusqu'à se réduire à l’indigence. Lui qui a changé l'eau en vin, ne pouvait‑il changer des pierres en pain ? » (Serm. 123, 2) : mais le Sauveur n’a jamais voulu user directement pour lui‑même de ses divins pouvoirs.


Jean 2.7 Jésus leur dit : "Remplissez d'eau ces jarres." Et ils les remplirent jusqu'en haut. - Jésus donne un premier ordre : Remplissez d’eau ces jarres. Les jarres avaient donc été, au moins en grande partie, vidées pour les ablutions des convives. - Et ils les remplirent jusqu’en haut. Les serviteurs obéissent à la lettre, ainsi que Marie le leur avait recommandé, v. 5. Ces nouveaux détails rehaussent encore l’éclat du miracle et en démontrent la sincérité. Les vases où aura lieu la transformation miraculeuse ne recevaient jamais que de l’eau ; leur provision vient d’être renouvelée, et « jusqu’au bord », de sorte qu’on peut voir aisément ce qu’ils contiennent. Ce récit pittoresque renverse d’avance toutes les sottes hypothèses du rationalisme, cf. S. Jean Chrysostome, Hom. 22 in Jean


Jean 2.8 Et il leur dit : "Puisez maintenant et portez-en au maître du festin" et ils en portèrent. - Second ordre du Seigneur Jésus, communiqué avec une noble et divine assurance : Puisez maintenant… Le miracle est maintenant accompli. En quoi avait‑il consisté ? En une transsubstantiation rapide, opérée par la seule volonté de Jésus, qui avait produit en un instant, comme le disent à l’envi les Pères, la lente série de phénomènes par lesquels Dieu nous donne chaque année le vin. « Celui qui en ce jour de noces a changé l’eau en vin dans ces six jarres qu’il avait ordonné de remplir, est le même qui chaque année opère dans les vignes un miracle pareil. En effet, comme l’eau versée dans les jarres par les serviteurs a été convertie en vin par l’œuvre du Seigneur, ainsi par l’œuvre du même Seigneur l’eau que versent les nuées est convertie en vin. Ce dernier miracle ne nous étonne pas, parce qu’il se renouvelle tous les ans ». S. August. Tract. 8 in Evang. Jean cf. Serm. 123, 3 ; saint Jean Chrysost. Hom. 22 in Jean ; saint Greg. le Grand, Morale sur Job, 6, 15. Les interprétations naturalistes (Venturini, Paulus, Gfroerer, Renan, von Ammon), d’après lesquelles Jésus ou Marie auraient fait apporter en secret une provision de vin pour égayer et honorer les convives, l’interprétation symbolique de Strauss (ce prétendu miracle a été inventé pour prêter à Jésus un acte analogue à l’adoucissement des eaux amères par Moïse, Exode 15, 23, et par Élisée, 2 Rois 2, 19), l’interprétation symbolique de Baur (le narrateur a voulu exprimer sous une gracieuse allégorie que le temps était venu où Jésus devait laisser l’eau de son ministère préparatoire pour le breuvage plus substantiel de l’activité messianique), et toutes les autres explications du rationalisme aux abois, sont simplement absurdes. Il suffit de les exposer pour en montrer le ridicule. M. Vigouroux les a savamment réfutées en principe dans ses beaux ouvrages, La Bible et les découvertes modernes, t. 1, et Mélanges bibliques, Paris, 1883, p. 125 et suivantes. Voyez aussi Dehaut, L’Évangile expliqué, défendu, médité, 5e éd. T. 1, p. 594 et suiv. W. Meyer, peu suspect en ces sortes de choses, fait ici un aveu plein de franchise : « Le changement de l’eau en vin aux noces de Cana doit être considéré comme un vrai miracle, car c’est comme un miracle que Jean, témoin oculaire, l’expose avec la plus parfaite précision. Toute explication qui écarterait le surnaturel est contraire aux paroles et à la tendance du narrateur, blesse sa véracité, bien plus, présente sous un jour douteux le caractère de Jésus‑Christ lui‑même ». Comment., h. l. - Et portez-en au maître du festin. Autre mot grec latinisé, qui signifie : chef du « tricilinium », par conséquent du festin. Mais deux personnages très distincts pouvaient être ainsi désignés. C’eût été, cf. Ecclésiastique 32, 1, 2, le « modimperator » ou «arbiter bibendi » des classiques, choisi parmi les convives et chargé d’égayer le festin, cf. Xenoph., Anab. 6, 1, 30. Suivant une autre opinion, plus ancienne et que nous croyons beaucoup plus probable, il s’agirait seulement du premier des serviteurs (Juvencus), du maître d’hôtel, ainsi qu’on le nomme dans les grandes maisons, chargé de l’ordonnance des repas, de la succession régulière des mets et des vins. Les anciens l’appelaient « tricliniarchus », « praifectus triclinii » (Pétrone, 27). Il devait déguster d’avance tout ce qui paraissait sur la table (« praegustator »), le vin surtout, afin d’en reconnaître la qualité, cf. v. 9 Voilà pourquoi Jésus lui fait porter l’eau miraculeusement transsubstantiée. Gerlach, Watkins, etc., supposent que le miracle aurait seulement atteint la quantité d’eau puisée par les serviteurs conformément à l’ordre de Jésus dans ce verset : c’est un scrupule indigne du divin Maître.


Jean 2.9 Dès que le maître du festin eut goûté l'eau changée en vin, il ne savait pas d'où venait ce vin, mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient, il interpella l'époux et lui dit : - Le narrateur ne pouvait pas désigner plus clairement le miracle et son mode : « l’eau changée en vin ». - Il ne savait d’où venait ce vin L’ « architriclinus » n’avait pas remarqué les opérations décrites aux versets 7 et 8 ; or, comme il croyait qu’il n’y avait dans la maison que le vin mis à sa disposition, il fut naturellement fort surpris d’en trouver d’autre tout à coup. Aussi, pour avoir une explication, il interpella l’époux. Celui‑ci sans doute, dut‑il penser, aura mis une provision en réserve pour égayer les convives au dernier moment


Jean 2.10 "Tout homme sert d'abord le bon vin et, après qu'on a bu abondamment, le moins bon, mais toi, tu as gardé le bon jusqu'à ce moment." - Le langage du maître d’hôtel est joyeux, familier, en rapport soit avec la fête, soit avec la découverte agréable qu’il venait de faire. La coutume à laquelle il fait allusion n’est connue que par ce passage ; les classiques ne la mentionnent pas, à moins donc que Pline (Hist. Nat. 14, 14) ne l’ait indirectement signalée lorsqu’il dénonce la petitesse de ceux qui « servent à leurs convives d'autre vin que le leur, ou qui en substituent d'autres dans le cours du repas ». Du reste, quoique peu conforme à nos habitudes modernes, elle est parfaitement en rapport avec la nature des choses. A la fin d’un repas les convives ne sont plus aussi bons juges de ce qu’on leur sert, car, d’après le mot d’Horace (Sat. 8, L. 2, 38) : La quantité de vin étouffe le goût. - Il n’est pas nécessaire de prendre trop à la lettre l’expression après qu’on a bu abondamment, encore moins de l’appliquer à la circonstance présente. L’ « architriclinus » parlait d’une façon proverbiale. - Mais toi, tu as gardé : tu as conservé avec soin, car tel est le sens du mot grec. - Le bon vin. Rien ne manquait au présent de Jésus, ni la qualité ni la quantité. On a fait de belles réflexions morales à propos de ce verset. « Autrement agit le Christ, autrement se conduit le monde. Le monde présente d’abord à ses convives un vin plein de douceur, le vin des joies et des plaisirs ; mais ensuite, quand ils sont enivrés, il leur offre la coupe amère de la douleur. Jésus au contraire présente souvent au début un breuvage amer, pour faire participer les âmes à ses souffrances ; plus tard il donne, et à tout jamais, ce qui est bon, ce qui est doux ». Hug. de S. Victor, De Arc. Mor. 1, 1 ; Cornel. a Lap., etc.


Jean 2.11 Tel fut, à Cana de Galilée, le premier des miracles que fit Jésus et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. - L’évangéliste rompt brusquement le fil du récit. L’essentiel a été dit, car la biographie de Jésus n’a pas été révélée pour satisfaire notre curiosité, mais pour nous aider à croire en lui. Or, ce but fut admirablement atteint par le miracle de Cana, ainsi que l’ajoute l’écrivain sacré par mode de conclusion. - le premier des miracles que fit Jésus. Précieux renseignement, qu’il faut prendre à la suite des Pères d’une manière absolue, de sorte que nous avons ici, d’après le mot énergique de Tertullien, le « jour de naissance des qualités distinctives du Seigneur », la « première manifestation de sa puissance » (De bapt. 9). Aussi citait‑on dans l’antiquité ce texte aux âmes crédules, pour leur démontrer la fausseté des étranges miracles attribués à l’enfant Jésus par les évangiles apocryphes, cf. S. Epiph. Haer. 51, 20 ; S. Jean Chrysostome Hom. 16, 20 et 22 in Jean ; Thilo, Col. Apocryph. p.84 et s. Euthymius, h. l. C’est donc à tort qu’on a parfois rattaché “premier” à Cana en Galilée, comme si l’évangéliste avait voulu opposer ce premier miracle à celui que Notre‑Seigneur accomplit un peu plus tard à Cana, 4, 46 et ss. - Et il manifesta sa gloire : sa gloire incréée, la gloire qu’il possédait en tant que Verbe divin, cf. 1, 14. Ce céleste éclat était habituellement caché par le voile humain dont s’était entouré le Fils de Dieu ; mais ses miracles le faisaient de temps en temps resplendir, car les miracles de Jésus « sont des emblèmes de ce qu’il est et de ce qu’il vient faire » : aussi S. Jean aime‑t‑il à les appeler des « signes ». A la fin de son évangile, 21, 1, 14, avant d’entreprendre et en terminant la narration du dernier miracle du Sauveur, il emploiera de même le verbe grec ἐφανέρωσε auquel on doit, du reste, le rapprochement établi par la liturgie entre le miracle de Cana et la fête de l’Épiphanie. Voyez Dom Guéranger, l’Année liturgique : le Temps de Noël, t. 2. - Et ses disciples crurent en lui. Tel fut le résultat produit. Les disciples croyaient déjà, leur nom l’indique à lui seul et le chapitre 1er nous l’a prouvé ; mais leur foi ne pouvait manquer d’être confirmée, de s’agrandir à la vue d’un tel miracle. Nous lirons, vv. 17 et 22, des réflexions analogues qui dénotent le témoin oculaire. - Les Pères et les docteurs ont souvent donné de belles explications allégoriques de ce miracle. Selon S. Cyrille d’Alexandrie, 2, 1, la fiancée symbolise l’humanité, le Christ est l’époux, le « vin qui manque » représente la loi juive, le vin miraculeusement produit n’est autre que l’évangile de Jésus, l’ « architriclinus » figure les apôtres et les ouvriers évangéliques. Voyez encore S. August. Tract. 11 in Jean, 3 et ss. ; Cornel. a Lap. ; Bossuet, Sermon pour le 2e dimanche après l’Épiphanie, 1er point ; St Bernard de Clairvaux ; Eusèbe, Demonstr. Evang., 9, 8, etc. Nous avons également à signaler au point de vue artistique, mainte sculpture naïve des premiers siècles Rohault de Fleury, l’Évangile, études iconographiques et archéologiq., t. 1, p. 118 et ss.), maint vitrail du moyen-âge (notamment à S. Nizier de Troyes, où l’on voit Jésus « estant aux nopces de Cana et muant l’eau en vin au grand estonnement d’architriclin »), de riches tableaux modernes (Bassan, et surtout Paul Véronèse, au Louvre.


Jean 2.12 Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples et ils n'y demeurèrent que peu de jours. - Nous pouvons regarder ce verset comme une transition entre le miracle de Cana et l’expulsion des vendeurs. - Il descendit à Capharnaüm. Expression d’une parfaite exactitude, car du plateau élevé où est bâti Kefr‑Kenna, jusqu’aux bords du lac de Tibériade, il y a une descente rapide et perpétuelle. Jésus n’allait pas à Capharnaüm pour y établir son séjour d’une manière définitive : son changement de résidence n’aura lieu qu’un peu plus tard, après l’incarcération de S. Jean‑Baptiste, cf. Matth. 4, 12 et 13. - Ses frères. C’est-à-dire ses cousins, le mot « cousin » n’existe pas en araméen. cf. commentaire S. Matth. 13, 55. Le sentiment chrétien s’est toujours vivement indigné contre l’hypothèse d’après laquelle Jésus aurait eu des frères proprement dits. Les théologiens protestants réformés du XIXème siècle, en adoptant cette hypothèse, montrent qu’il s’est creusé un abîme entre eux et l’Église des anciens temps. De plus, les motifs sur lesquels ils s’appuient sont dénués de valeur. Le mot énergique de S. Augustin est bien connu : « Marie a pu être mère, elle n’a pu être femme », cf. Tract. 10 in Jean 2. Il est possible que les frères de Jésus aient assisté comme lui, sa mère et ses disciples, au mariage de Cana. - Et ils n’y demeurèrent que peu de jours. Le verset suivant explique la brièveté de ce séjour : la Pâque était proche, et Jésus voulait partir rapidement pour Jérusalem. Il n’avait sans doute d’autre but, en venant à Capharnaüm, que de s’associer à la caravane de pèlerins qui s’y formait à l’époque des grandes fêtes.


Jean 2.13 Or la Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. - Sur l’institution de cette solennité, voyez Exode 12 ; sur ses cérémonies, cf. commentaire S. Matth. 26, 19. C’est ici la première Pâque de la vie publique du Sauveur. S. Jean en mentionne deux autres, 6, 4 et 11, 42, peut-être même une quatrième, v, 1, mais indirectement. Voyez l’explication de ce dernier passage. - Jésus monta à Jérusalem. « Monter à Jérusalem » était une expression technique des Juifs (cf. Matth. 20, 17 ; Marc. 10, 33 ; Luc 19, 28 ; Actes 25, 1, etc.), très justifiée d’ailleurs par la topographie. Il va de soi que Jésus fit ce voyage en compagnie de sa mère et de ses cousins, quoique l’évangéliste ne signale plus bas que ses disciples (v. 17, 22). - S. Jean distingue cinq séjours de Notre‑Seigneur à Jérusalem (ici ; v, 1 et ss. ; 7, 10 et ss. ; 10, 22 et ss. ; 12, 12 et ss.) ; les synoptiques n’en citent qu’un seul durant lequel eut lieu la passion de Jésus, cf. Matth. 21, 1 et parall. Il est intéressant de noter que la vie publique du Christ, inaugurée à Jérusalem durant les solennités pascales, se terminera pareillement à Jérusalem pendant une Pâque.








Jean 2.14 Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes et les changeurs assis. - C’est à Jérusalem, la capitale de l’État théocratique, c’est dans le temple, palais de Dieu, que Jésus déploie pour la première fois sa puissance messianique par un vigoureux acte d’autorité. Il était juste et naturel que sa première manifestation « officielle » eût lieu au centre et dans le sanctuaire de la théocratie ; qu’il commençât par faire disparaître de la maison de son père, de sa propre maison, les abus que la tolérance, ou plutôt la connivence d’un sacerdoce sans piété y avait laissé s’introduire, cf. Malachie 3, 1 ; Zacharie 14, 21. - Le temple juif se composait de divers édifices dont le sanctuaire était le centre. Il s’agit ici plus spécialement de ce qu’on nommait la cour des païens. - Les marchands de bœufs, de brebis et de colombes. Sur cet étrange bazar qui déshonorait la maison de Dieu, cf. commentaire S. Matth. 19, 12. Le Talmud en parle à différentes reprises. Il était installé à demeure dans le temple, et pas seulement d’une manière transitoire ; mais, naturellement, l’époque des fêtes était celle des plus bruyants marchés. S. Jean mentionne les trois espèces d’animaux qu’on offrait le plus souvent en sacrifice, les bœufs les brebis et les colombes. - Et les changeurs assis. Trait pittoresque. D’ailleurs, le récit tout entier est un vivant tableau. Les changeurs, qui se tenaient sans doute sous les magnifiques arcades formées d’une quadruple rangée de colonnes (cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 15, 11, 5), changeant en monnaie juive les pièces grecques, romaines, etc., que leurs emblèmes païens rendaient inacceptables pour le trésor sacré (le trésor du temple ne pouvait pas garder des pièces représentant des idoles, empereurs ou rois). Ils prélevaient une marge considérable (au moins 5 % ; selon quelques auteurs, de 10 % à 12 %.



Jean 2.15 Et ayant fait un petit fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, avec les brebis et les bœufs, il jeta par terre l'argent des changeurs et renversa leurs tables. - On a parfois supposé que Notre‑Seigneur aurait ramassé très rapidement, de manière à en faire une sorte de fouet, quelques‑uns des roseaux qui servaient de litière aux animaux de cet indigne marché ; mais il n’est pas nécessaire de presser ainsi le sens, d’autant que le mot grec correspondait alors à toutes sortes de cordes. - Brandissant cet instrument comme un signe de son autorité, le divin réformateur les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs. D’où l’on a parfois conclu que Jésus chassa seulement les animaux. - Il jeta par terre l’argent des changeurs et renversa leurs tables. Le nom grec des changeurs n’est pas le même en cet endroit qu’au v. 14 ; ici il s'agit de personnes qui faisaient payer un droit de change. - Personne, parmi cette foule considérable, n’essaya de résister à Jésus. On l’a dit justement, « cette majestueuse et soudaine apparition de la sainteté indignée frappa tous les assistants d’épouvante ». Ce fut un miracle moral.


Jean 2.16 Et il dit aux vendeurs de colombes : "Enlevez cela d'ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic." - Il semble, au premier regard, que Notre‑Seigneur ait agi avec moins de sévérité à l’égard de ces marchands ; ce qui a fait dire à plusieurs exégètes que cette douceur relative provenait de ce que les colombes formaient la matière ordinaire des sacrifices pour les pauvres (de Wette, Lücke), ou de ce qu’elles étaient moins turbulentes que les autres animaux et ne profanaient pas le lieu sacré (Baumgarten‑Crusius). Mais ce sont là des théories sentimentales que rien n’appuie. Très simplement et très naturellement : les colombes étant enfermées dans de grosses cages, Jésus ne pouvait les chasser comme le reste. De là, l’ordre qu’il donne sévèrement à leurs propriétaires : Enlevez cela d’ici. « Trois mots pleins de majesté », dit Stier. - Ne faites pas… Ces paroles retombaient sur tous les coupables ; elles expliquent et justifient la conduite du Sauveur. Un fils n’a‑t‑il pas le droit et le devoir de venger l’honneur de la maison paternelle ? - De la maison de mon Père. Le P. Patrizi relève ce pronom de la première personne, comme une preuve de la divinité de N.-S. Jésus‑Christ. Plus tard, quand Jésus quittera pour toujours le temple, non sans lancer contre lui une prédiction terrible, il dira aux Juifs que c’est « leur » maison, plus celle de son Père, cf. Matth. 23, 38. - Une maison de trafic. Pouvait‑il mieux caractériser leur faute ? Qu’y a‑t‑il de plus opposé qu’une maison de prière et un vil super marché où règne le tumulte ?


Jean 2.17 Les disciples se ressouvinrent alors qu'il est écrit : "Le zèle de votre maison me dévore." - Ce souvenir vint sur le champ à l’esprit des disciples (cf. v. 22). L’impression produite en eux par le spectacle dont ils avaient été témoins leur fit découvrir, la grâce de Dieu aidant, une frappante harmonie entre le mot de David, Le zèle de votre maison me dévore, et le rôle de leur Maître. Ce mot, le psalmiste se l’était appliqué directement ; mais il convient beaucoup mieux encore au Messie, dont David était le type et la figure. Du reste, le psaume auquel il est emprunté (68, 10) est cité comme messianique en plusieurs endroits du Nouveau Testament, cf. Jean 15, 25 ; 19, 18 ; Actes 1, 20 ; Romains 11, 9, 10 ; 15, 3. - Me dévore belle métaphore. - Il est écrit. S. Jean use habituellement de cette tournure, cf. 6, 31, 45 ; 10, 34 ; 12, 14. Il n’emploie qu’une fois (8, 17) la formule grecque des autres évangélistes. - L’expulsion des vendeurs dont le quatrième évangile vient de nous fournir le récit ne doit pas être confondue avec celle que les synoptiques relateront plus tard. Comp. Matth. 21, 12 et ss. ; Marc. 11, 15 et ss. ; Luc. 19, 45 et 46. Sans doute, on a parfois proposé dans les camps protestant et rationaliste (Lücke, de Wette, Strauss, von Ammon, etc.) d’identifier les deux scènes. S. Jean, nous dit‑on, se serait permis de placer au début de la vie publique, à la façon d’un programme de son héros, ce qui n’aurait eu lieu en réalité qu’aux derniers jours de Jésus ; ou bien, cette transposition serait le fait de synoptiques. Mais une pareille opinion est absolument inadmissible. En effet : 1° ils fixent ici très nettement les dates de part et d’autre : s’il y a identité, ou S. Jean ou les synoptiques se sont trompés ; or nous ne saurions admettre une erreur de ce genre ; 2° chacun des récits, malgré des points communs, a sa physionomie individuelle et présente des différences importantes : notamment, en ce qui concerne les paroles de Jésus, l’usage du fouet, les conséquences immédiates de l’acte ; 3° la tradition a toujours distingué deux faits (cf. S. August., de Cons. Evang., 2, 67) ; 4° enfin la répétition du même incident n’a rien d’impossible, ni du côté des Juifs qui ne tardèrent pas, la première émotion une fois calmée, à reprendre leurs tristes habitudes, ni du côté de Notre‑Seigneur, qui voulut signaler le commencement et le fin de son ministère par cet acte de zèle, tout en tolérant l’abus durant les séjours intermédiaires qu’il fit à Jérusalem.


Jean 2.18 Les Juifs prenant la parole lui dirent : "Quel signe nous montrez-vous, pour agir de la sorte ?" - L’évangéliste a signalé au v. 17 un premier effet de l’acte du Sauveur : la foi des disciples s’est encore affermie (cf. v. 11), accrue même. Voici qu’il en mentionne un second, hélas ! bien funeste : les autorités juives vont se montrer incrédules et hostiles. - Les Juifs prenant la parole lui dirent... Comme nous l’avons dit à propos de 1, 19, « Les Juifs » représente les chefs religieux de la nation juive. On conçoit l’animosité des hiérarques contre Notre‑Seigneur. Sans leur permission, il avait exercé le rôle d’un réformateur sur leur propre domaine ; bien plus, ce qu’il avait fait les condamnait eux‑mêmes, puisque les criants abus contre lesquels sa conduite venait de protester si énergiquement n’avaient pu se glisser dans le temple que grâce à leur connivence indigne. - Quel signe nous montrez-vous pour agir de la sorte ? C’est-à-dire : quelle marque évidente et certaine de ta mission ? D’après la façon de parler des Juifs (cf. Isaïe 7, 14), et en particulier de S. Jean (v. 11), cela désignait nettement un miracle, destiné à justifier l’immixtion de Jésus dans les affaires religieuses. Les hiérarques n’osent pas condamner l’acte en lui‑même, car son excellence était trop manifeste : du moins ils espèrent embarrasser Jésus en l’obligeant de produire immédiatement un signe miraculeux. Voyez, 6, 30, une demande analogue. C’est la lutte qui commence contre le divin Maître.


Jean 2.19 Jésus leur répondit : "Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours." : Réponse qui devint plus tard célèbre dans le procès de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, cf. Matth. 26, 61 ; Marc. 16, 58 (Actes 6, 14). Ses ennemis en dénatureront le fond et la forme, pour la lui reprocher comme un blasphème insigne contre le temple. La mention qu’en fait S. Jean est très précieuse, parce qu’elle nous permet de contrôler exactement la calomnie des faux témoins ; elle montre en outre l’accord du quatrième évangile avec les trois premiers. - Détruisez ce temple (le temple proprement dit, composé du Saint et du Saint des saints). L’expression grecque est très pittoresque : elle représente « une destruction qui provient d’une dissolution, de la rupture d’un lien qui unissait les parties d’un tout » (Westcott) ; elle convient donc fort bien au symbole que le Sauveur voulait notifier (v. 21). Calmet, Klofutar, etc., ont conjecturé sans raison que Notre‑Seigneur, en prononçant le pronom « ce », se serait désigné lui‑même du geste ; comment expliquer alors la méprise des Juifs ? Sur la forme simplement permissive de l’impératif (pour « si vous détruisez »). - En trois jours est une formule hébraïque équivalant à « le troisième jour » - Je le relèverai. Littéralement en grec : « je réveillerai » . Belle image, qui convient à merveille pour désigner le miracle de la résurrection. Comparez Matth. 12, 38-40 ; 16, 4, où Jésus renverra pareillement ses adversaires à ce signe grandiose ; il refusa toujours de leur en donner d’autres. Dès la première Pâque de sa vie publique, il prophétise donc ce qu’il accomplira pendant la dernière (Wordsworth), car il n’ignore rien de ce qui lui arrivera ; mais, en jouant sur le mot temple, il rend à dessein la prophétie énigmatique : la réalisation enlèvera toute obscurité.


Jean 2.20 Les Juifs repartirent : "C'est en quarante-six ans que ce temple a été bâti et vous, en trois jours vous le relèverez ?" - Les Juifs semblent avoir été tout d’abord plus étonnés que choqués de cette réponse de Jésus ; du moins, ils se bornent à faire valoir dans leur riposte la disproportion qui existait entre les longues années employées à bâtir le temple et les quelques jours que demandait Jésus pour sa reconstruction. - C’est en quarante‑six ans que ce temple a été bâti ! On distingue trois temples juifs : celui de Salomon (1 Rois 6, 7 ; 2 Chroniques 3, 4), détruit par les Babyloniens ; celui de Zorobabel (Esdras 3, 8-11 ; 6, 3-5), et celui d’Hérode‑le‑Grand. Ce dernier, dont il est ici question (ce temple), était plutôt un embellissement du second temple qu’un édifice neuf de toutes pièces. Il fut commencé l’an 734-735 de Rome fondée, la dix‑huitième année du règne d’Hérode, cf. Josèphe, Guerre des Juifs 1, 21, 1 ; Antiquités Judaïques 15, 11, 1. Il ne fut achevé que sous Agrippa II, l’an 64 de l’ère chrétienne, peu de temps avant d’être détruit par les Romains (en 70), cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 20, 9, 7. On mit donc plus de 80 ans à l’élever. D’après les calculs de Wieseler, la période de 46 ans expirait précisément à la Pâque de l’année 781 U. C. [depuis la fondation de Rome]. - Et vous, en trois jours vous le releverez ? Ces mots expriment énergiquement l’incrédulité, le mépris.


Jean 2.21 Mais lui, il parlait du temple de son corps. - S. Jean éclaircit maintenant l’énigme, en opposant la pensée intime de Jésus (Mais lui, il parlait), le vrai sens de ses paroles, à la fausse interprétation des Juifs. - Du temple de son corps. Le corps sacré de Notre‑Seigneur était en effet le temple de la divinité ; le crucifiement le renversa, mais il fut rebâti par la résurrection. Voyez 7, 39 ; 12, 33 ; 21, 19, des observations analogues de S. Jean ; il aime à expliquer, à l’occasion, les paroles de Notre‑Seigneur quand elles ont été mal comprises. Ici, quelques auteurs (Paulus, Bleek, Baumgarten‑Crusius, Strauss, Reuss, Renan, etc.) ont osé protester contre l’interprétation de l’écrivain sacré : S. Jean, d’après eux, aurait défiguré le sens de la réflexion de Jésus, donné « une allégorie forcée ». Ils rétablissent comme il suit la signification véritable : Votre conduite, ô Juifs, amènera infailliblement la ruine du culte mosaïque ; mais j’établirai à sa place une religion nouvelle. L’Évangile en main, il est facile de voir où se trouve l’allégorie forcée. Admirons d’ailleurs ces hommes qui, après tant de siècles, en savent beaucoup plus que l’ami de Jésus, le témoin oculaire de sa vie.


Jean 2.22 Lors donc qu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela et ils crurent à l'Écriture et à la parole que Jésus avait dite. - La résurrection de Notre‑Seigneur est regardée comme l’œuvre immédiate de Dieu le Père, cf. Actes 3, 15 ; 4, 10 ; 5, 30 ; 10, 40 ; 13, 30, 37 ; Romains 4, 24 ; 8, 11 ; 10, 9 ; 1 Corinthiens 15, 15, etc. Plus rarement elle est envisagée comme une opération directe de Jésus lui‑même, cf. Marc. 8, 31 ; 9, 9 ; Luc. 24, 7 ; Jean 11, 23, 24, etc. - Ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela... L’application du texte « Le zèle de ta maison… » (v. 17) au Sauveur était facile, aussi les disciples l’avaient‑ils faite sur‑le‑champ. Au contraire, le signe que Jésus venait de donner aux hiérarques était mystérieux ; voilà pourquoi les apôtres ne le comprirent que beaucoup plus tard, à la lumière des événements. Du moins en avaient‑ils conservé un souvenir vivant. - Et ils crurent à l’Écriture : c’est-à-dire, aux prophéties de l’Ancien Testament qui concernent la résurrection du Christ ; entre autres, Psaume 15, 10 (cf. Actes 3, 15) ; 16, 15 ; 72, 24 ; Isaïe 26, 19 ; Osée 6, 2. Comp. Luc. 24, 26, 27 et le commentaire. - Et à la parole que Jésus avait dite c'est-à-dire « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai  », v. 19. Les Apôtres virent que cette prédiction s’était admirablement vérifiée.


Jean 2.23 Pendant que Jésus était à Jérusalem, à la fête de Pâque, beaucoup voyant les miracles qu'il faisait, crurent en son nom. A Jérusalem d’une manière générale, par opposition à l’enclos sacré du temple, où s’était passée la scène qui précède. - A la fête de Pâque. C’est la détermination du temps, après celle du lieu. Toute l’octave pascale (les huits jours) est donc désignée. - Beaucoup crurent en son nom. Détail consolant. Un grand nombre de Juifs crurent que Jésus était le Messie. Le motif de leur foi est ensuite indiqué : voyant les miracles qu’il faisait. Le verbe grec exprime un regard attentif, accompagné de réflexion, cf. 7, 3 ; 11, 45 ; 14, 19, etc. La série des miracles du Seigneur, brillamment inaugurée à Cana, se poursuivra désormais sans interruption jusqu’à l’Ascension. L’imparfait grec indique des miracles nombreux, réitérés. Comp. 4, 45 : « car ils avaient vu TOUT ce qu’il avait fait à Jérusalem pendant la fête de la Pâque ». Ces miracles opérés à Jérusalem sont notés par l’évangéliste sans détails et d’une manière incidente ; de même ailleurs, 7, 31 ; 11, 47 ; 20, 30. De telles formules supposent aussi un grand nombre de faits.





Jean 2.24 Mais Jésus ne se fiait pas à eux, parce qu'il les connaissait tous, 25 Et qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d'aucun homme, car il savait, lui, ce qu'il y avait dans l'homme. - Contraste douloureux, et, en même temps, trait des plus délicats qui révèle le fin observateur, le disciple aimant, à qui rien n’échappait dans la vie de son Maître. - Les mots ne se fiait pas à eux, sont évidemment opposés à « beaucoup crurent en son nom » du verset 23 ; c’est un jeu de mots à l’orientale. Le pronom « se » précise la pensée du narrateur : c’était sa propre personne que Jésus ne voulait pas confier à la plupart de ces nouveaux disciples ; il évitait tout rapport intime avec eux. Il ne semble pas qu’il s’agisse ici de l’enseignement chrétien, comme l’ont pensé S. Jean Chrysostome, Kuinoel, etc. - Parce qu’il les connaissait tous. Motif de cette réserve du Sauveur, si étonnante à première vue. Connaissant à fond le cœur humain, il n’ignorait pas que de grands préjugés étaient mêlés à la foi de la plupart de ses adhérents ; que, par là même, cette foi fragile, superficielle, fruit d’une impression passagère produite par ses miracles, tomberait au premier obstacle. - Et qu’il n’avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d’aucun homme. C’est là aussi une répétition pleine de vigueur, destinée à commenter la phrase « il les connaissait tous ». Si Jésus connaissait tous les hommes, ce n’était pas parce qu’on lui avait parlé d’eux ; c’était directement, personnellement : car lui‑même savait ce qu’il y avait dans l’homme. C’est-à-dire : dans chaque homme pris à part. On a toujours trouvé dans ce passage une preuve très forte en faveur de la divinité de Jésus‑Christ, et, en effet, il y est manifestement question d’une science surhumaine, divine. « Lire dans les cœurs et connaître la pensée de l’homme sans qu’aucun signe extérieur ne la déclare est propre à Dieu seul, et ne peut être attribué à aucune créature », S. Cyrille.




CHAPITRE 3



Jean 3.1 Or, il y avait parmi les Pharisiens un homme nommé Nicodème, un des principaux parmi les Juifs. - Ce verset et la première ligne du suivant contiennent la mise en scène. La particule « or » établit, par mode de contraste, un enchaînement avec les détails qui précèdent, 2, 23-25. - Un homme. Cet homme est ensuite désigné d’une manière plus complète par le parti religieux auquel il appartenait (parmi les Pharisiens), par son nom, par sa dignité (un des principaux parmi les Juifs) c'est-à-dire qu’il était membre du Sanhédrin, cf. 7, 45, 50). - Appelé Nicodème. Nicodème est un nom grec connu des classiques (Démosthène, Eschyle, Denys d’Halicarnasse), et signifiant « victoire du peuple ». C’est à tort qu’on en a fait parfois une dénomination hébraïque, dont l’étymologie serait « naki », innocent, et « dâm », sang ; car la Palestine était alors inondée de noms grecs, cf. 1. 40, 43 et le commentaire. C’est à tort aussi que divers auteurs ont voulu identifier Nicodème avec un certain Bonaï du Talmud, surnommé Nakdimôn, célèbre par ses richesses, sa générosité, son esprit de piété. D’après une étrange hypothèse de Baur, Nicodème n’aurait jamais existé ; ce serait un personnage atypique, destiné à représenter le judaïsme devenu chrétien, de même que la Samaritaine figurerait le paganisme converti. Un des évangiles apocryphes les plus instructifs porte son nom.








Jean 3.2 Il vint de nuit trouver Jésus et lui dit : "Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu, comme docteur, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui." - Il vint de nuit trouver Jésus. S. Jean ne parle de Nicodème qu’à trois reprises, et, fait surprenant, il mentionne chaque fois cette circonstance d’une manière explicite. Comparez 7, 50 (si du moins les mots « vint de nuit trouver Jésus » sont authentiques) et 19, 39. Évidemment, c’est un sentiment de crainte qui avait fait choisir à Nicodème, pour son entrevue avec Jésus, une heure qui lui permît d’échapper aux regards du public. Il ne voulait pas se compromettre en face de ses collègues du Sanhédrin, en manifestant son intérêt pour un nouveau docteur qui était loin d’avoir plu aux autorités juives. Plus tard, cependant, il avouera franchement sa foi. - Maître. La conversation (versets 2-10) à laquelle assistaient peut-être les disciples intimes du Sauveur (Meyer, etc.), s’ouvre ainsi par un petit exorde manifestant la recherche de la bienveillance. Le titre de « rabbi » (Maître) est significatif sur les lèvres d’un membre du Grand Conseil, d’autant mieux que Jésus n’y avait aucun droit strict. - Le pluriel nous savons est pareillement significatif, car il démontre que Nicodème ne parlait pas seulement alors en son propre nom, mais que d’autres membres du sanhédrin (par exemple Joseph d’Arimathie) partageaient les mêmes sentiments à l’égard de N.-S. Jésus‑Christ. Remarquez la force du mot grec : « nous savons de façon très sûre » - Vous êtes venu de la part de Dieu comme docteur. Les mots « de Dieu » sont mis en avant par insistance : de Dieu, et non des hommes ; c’est Dieu lui‑même qui vous a conféré le grade de docteur, qui vous a donné le pouvoir d’enseigner. - Car personne ne saurait faire. Nicodème expose maintenant comment lui et ses collègues étaient arrivés à la conclusion qu’il vient d’énoncer. C’était, certes, par un excellent motif. Les miracles opérés par Jésus (2, 23) étaient de telle nature, qu’ils ne pouvaient être raisonnablement attribués qu’à Dieu (si Dieu n'est avec lui), cf. Actes 10, 38. Donc, à n’en pas douter, Dieu était avec Jésus : « nous savons ». - Malgré sa timidité, son respect humain partiel, Nicodème se manifeste ici sous les dehors d’un homme candide, ami de la vérité, plein de délicatesse. Aussi Notre‑Seigneur ne le traitera‑t‑il pas comme le premier venu.



Jean 3.3 Jésus lui répondit : "En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s'il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu." - Jésus lui répondit. De prime abord, cette réponse de Jésus semble se rapporter si peu directement aux paroles de Nicodème, qu’on a parfois supposé (Maldonat, etc.) que le narrateur aurait omis en cet endroit plusieurs phrases intermédiaires. D’autres ont eu recours à des enchaînements ingénieux peut-être, mais arbitraires et forcés. On peut affirmer d’une manière générale que Notre‑Seigneur répond au moins à la pensée de son interlocuteur. Celui‑ci venait de reconnaître le caractère divin de l’enseignement de Jésus. Vous êtes l’envoyé de Dieu, avait‑il dit ; quelle doctrine nouvelle apportez-vous au monde ? Ne seriez-vous pas le Messie en personne ? La réponse du Sauveur se rapporterait à cette demande tacite. En tout cas Jésus, laissant de côté les détails secondaires, va droit à l’essentiel et frappe aussitôt un grand coup. Nicodème, imbu comme la plupart de ses compatriotes des préjugés pharisaïques, devait supposer que la participation au royaume de Dieu était un privilège exclusif d’Israël : cette erreur va être immédiatement renversée. - En vérité, en vérité, je te le dis. Formule solennelle, que Jésus emploiera trois fois de suite dans ce rapide entretien, cf. versets 5 et 11 (voyez 1, 51 et le commentaire). Elle introduit actuellement la promulgation de l’une des plus importantes vérités chrétiennes. - Nul, s'il ne naît de nouveau. Dans le grec, littéralement : « Si quelqu’un n’est engendré d’en haut », expression qui peut recevoir et qui a reçu en effet deux interprétations. La Peschito syriaque, l’éthiopien, S. Jean Chrysostome, les pères latins, etc., traduisent comme la Vulgate (comparez la leçon de S. Justin martyr, Apol. 1, 60, où toute ambiguïté a disparu) ; Origène, S. Cyrille, les versions arménienne, gothique, syrienne d’Héraclée, etc., ont avec une nuance : D’en haut, c'est-à-dire du ciel. Au verset suivant, c’est par « de nouveau » en grec que Nicodème le traduit, et les mots expressifs qu’il y ajoute (« entrer dans le sein de sa mère ») ne laissent pas le moindre doute sur la véritable portée de sa réflexion. - Ne peut… Ces mots indiquent une impossibilité absolue. - Voir le royaume de Dieu. « Voir » sera expliqué un peu plus bas (verset 5) par « entrer dans » ; le verbe voir, comme son équivalent hébreu, a dans toutes les langues la signification secondaire de participer à, expérimenter, goûter. Quant au « règne de Dieu », mentionné si fréquemment par les synoptiques, le quatrième évangile ne le cite sous cette forme qu’ici et au verset 5. C’est l’Église de Jésus, envisagée soit sur la terre à l’état militant, soit dans son glorieux achèvement du ciel, cf. commentaire S. Matth. 3, 2. - La nécessité d’une renaissance pour quiconque veut devenir citoyen du royaume des cieux est manifeste. Ce royaume n’étant pas matériel, terrestre, comme se l’imaginaient grossièrement les Juifs d’alors, mais tout spirituel dans son essence, on ne pouvait y entrer qu’à la condition de renaître spirituellement ; or, une nouvelle vision est requise pour contempler les objets d’un nouvel ordre.








Jean 3.4 Nicodème lui dit : "Comment un homme, quand il est déjà vieux, peut-il naître ? Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître de nouveau ?" - Comment un homme peut‑il… Divers exégètes assurent que Nicodème faisait alors la plus grossière méprise, et qu’il prenait vraiment à la lettre la nouvelle naissance imposée par Notre‑Seigneur à quiconque voudrait posséder le royaume des cieux. M. Reuss est de cet avis ; d’après lui, « tous les essais qu’on a faits pour sauver le bon sens de Nicodème échouent contre l’absurdité patente de cette objection ». De même Strauss, qui trouve en cela une preuve manifeste du caractère fictif de la narration. Les rationalistes ne manquent jamais d’adopter, pour déprimer l’autorité des saintes Écritures, les interprétations les plus ridicules. Mais, comme l’observait déjà fort bien Dom Calmet, Commentaire littéral sur S. Jean, p. 91 et 92, « il était impossible que Nicodème ignorât ce qu’était la renaissance (mystique) des prosélytes, usitée dans sa nation… Lorsqu’un Païen voulait entrer dans le Judaïsme, on lui donnait le baptême et la circoncision. Le baptême était une manière de nouvelle naissance, par laquelle le Païen renonçait à l’idolâtrie, à l’erreur, à ses anciennes habitudes. Il devenait un homme nouveau. S’il était esclave, il était affranchi. Les Rabbins enseignent que, par cette cérémonie, il recevait même une âme nouvelle. Il n’était plus pareil à ceux à qui il l’était auparavant ; il changeait de condition, d’état et de religion ». C’est ce que les Rabbins nommaient en hébreu « création nouvelle », en employant une belle métaphore (cf. Tite 3, 5 ; 1 Pierre 1, 3, 23). Mais Nicodème supposait sans doute, et telle nous paraît être la véritable explication, que les Juifs proprement dits n’avaient pas besoin d’une régénération de ce genre ; pour forcer Jésus de s’expliquer davantage, il plaide alors l’impossible, met en relief toute la difficulté de la condition, affectant d’attribuer au verbe renaître le sens de rentrer dans le sein de sa mère, et ajoutant, comme circonstance aggravante, les mots Quand il est déjà vieux. « L’Esprit lui parle et il n’a que des idées charnelles », S. Augustin, Traité 11 sur Jean. Nicodème avait donc été tout bouleversé par la réponse inattendue de Notre‑Seigneur.


Jean 3.5 Jésus répondit : "En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. - Dans sa réplique (versets 5-8), Jésus commence, verset 5, par réitérer purement et simplement, en y ajoutant toutefois un commentaire rapide, sa déclaration antérieure du verset 3 ; puis il expose rapidement aussi, versets 6 et 7, la nature et la possibilité de la nouvelle naissance exigée si rigoureusement par lui ; enfin il explique la régénération chrétienne à l’aide d’une analogie empruntée au domaine de la nature, verset 8. - S'il ne renaît… Répétition solennelle, qui indique le Docteur tout divin, absolument sûr de ce qu’il dit. Jésus affirme ; puis quand on lui fait une objection, il affirme encore avec une nouvelle vigueur : seulement, il explique ici l’adverbe « de nouveau » par deux expressions plus claires, de l’eau et de l’Esprit, dont l’une désigne la condition extérieure et matérielle du renouvellement, l’autre l’agent céleste qui opère cette seconde naissance. Le vrai nom de cette naissance spirituelle, c’est le « baptême », comme l’a défini le Concile de Trente (Session 7, canon 2, De baptismo : « Si quelqu'un dit que l'eau vraie et naturelle n'est pas chose nécessaire pour le baptême et si, en conséquence, il détourne au sens d'une métaphore les paroles de notre Seigneur Jésus Christ : « Si l'on ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit Saint" (Jean 3, 5) : qu'il soit anathème »), et comme l’admettent aujourd’hui les croyants de toutes les nuances. Voyez d’ailleurs les théologiens au traité du Baptême, et les dissertations exégétiques de Maldonat et du P. Corluy dans leurs commentaires, in h. l. Notre texte reçoit du reste une vive clarté de la double assertion du Précurseur, 1, 26 et 33, et l’on ne voit pas à quelle autre chose on le pourrait rapporter. Le prince des apôtres en donna un beau développement au jour de la première Pentecôte chrétienne, Actes 2, 38 : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint‑Esprit », cf. Romains 6, 4, 6, 11 ; 8, 14.


Jean 3.6 Car ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l'Esprit est esprit. - Jésus continue d’expliquer, par ce rapprochement, le « naître de nouveau » et sa nécessité. Il rappelle en deux exemples la loi des ressemblances : Les fils sont de la même nature que leurs pères ; les effets de la même nature que leurs causes. Donc, ce qui est né de la chair est chair (notez cette formule abstraite qui a beaucoup plus de force que le concret « est charnel »). Par « chair » il faut entendre la nature humaine avec ses instincts corrompus. L’état charnel se transmet de génération en génération, de telle sorte qu’il n’est possible à aucun homme naturel de sortir par sa propre force de ce cercle fatal : de là la nécessité de la régénération, cf. 2 Corinthiens 5. 3. En effet, « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu, et la corruption ne possédera pas cet héritage incorruptible », 1 Corinthiens 15, 50. - Par contre, ce qui est né de l’Esprit est esprit. L’esprit, c’est ici la nature spirituelle avec ses instincts célestes, ses aspirations supérieures. - Voilà des vérités absolues, indiscutables, tout à fait palpables : elles renversent complètement la singulière opposition de Nicodème. Que gagnerait un homme à rentrer dans le sein de sa mère, puisqu’il renaîtrait avec les mêmes faiblesses, la même nature déchue ? C’est spirituellement qu’il faut renaître, pour entrer dans le royaume de cieux.



Jean 3.7 Ne t'étonne pas de ce que je t'ai dit il faut que vous naissiez de nouveau. - Ne t’étonne pas. Trait pittoresque ; surtout dans le cas où Jésus aurait fait allusion, comme l’ont pensé plusieurs exégètes, à des gestes, à des regards, par lesquels Nicodème eût marqué en cet instant même son vif étonnement. Au reste, le sénateur juif avait suffisamment manifesté, par sa réponse du verset 4, la surprise que lui causaient les paroles de Notre‑Seigneur. - Il faut que vous… Vous tous qui participez à la nature humaine ; fussiez-vous enfants d’Abraham, vous avez besoin d’une seconde naissance. Mais il est remarquable que Jésus n’englobe pas sa propre personne dans cette nécessité universelle : c’est qu’il ne partage pas les faiblesses morales de l’humanité.


Jean 3.8 Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va, ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit." - La nature est maintenant donnée pour maître à Nicodème : un phénomène mystérieux de ce monde servira à lui faire comprendre un mystère surnaturel. - Le vent souffle où il veut. C’est ici le vent, non l’Esprit saint, dont il ne sera question qu’à la fin du verset, quand Jésus fera l’application de sa belle image. « La liaison du discours demande ce sens », disent S. Cyrille, S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, etc. En effet, si dès à présent Notre‑Seigneur parlait du divin Esprit, comme l’ont pensé Origène et d’autres illustres exégètes de l’antiquité, c’est à lui‑même que cet esprit céleste serait comparé, et l’explication perdrait ainsi beaucoup de sa force, de sa clarté. Dans le texte grec : le souffle est donc ici synonyme de vent. Or, Jésus affirme du vent qu’il souffle où bon lui plaît : il n’est pas d’être, en effet, qui paraisse jouir d’une plus grande liberté, quoiqu’il ait aussi, évidemment, des lois générales et particulières auxquelles il est soumis. - Et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où Rien de plus vrai : le vent est encore un mystère même pour la météorologie moderne. On perçoit sa présence à son bruissement, à ses effets ; mais sur bien des points il demeure imprévisible, surtout lorsqu’il s’agit de ces brises légères, sans direction apparente, qui se font seulement sentir par l’agitation qu’elles produisent dans le feuillage des arbres. Tholuck suppose qu’au moment où Jésus tenait ce langage un vent réel s’était mis à souffler sur Jérusalem ; mais, ici encore, l’interprétation trop littérale serait forcée, exagérée. - Il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit. Cette fois, c’est bien l’Esprit saint qui est en cause. Ce qu’est l’action du vent dans le monde matériel, l’action de l’Esprit de Dieu l’est donc dans le monde des âmes. Voici un homme régénéré par le baptême : un grand mystère s’est accompli, mais on ignore de quelle manière ; la vie nouvelle qui a été infusée par le Saint Esprit ne se trahit que par ses effets. On trouve dans Xénophon, Memorables. 4, 3, 14, un rapprochement qui n’est pas sans ressemblance avec celui que fait Notre‑Seigneur dans ce passage : « Les vents aussi ne sont pas visibles, mais nous voyons leurs effets, nous sentons leur présence. Enfin l’âme humaine, plus que tout ce qui est de l’homme, participe de la divinité ; elle règne en nous, c’est incontestable, mais on ne la voit pas ».


Jean 3.9 Nicodème lui répondit : "Comment cela se peut-il faire ?" - Malgré les explications de Jésus, Nicodème n’a pas encore pu comprendre le mystère de la nouvelle naissance ; il avoue du moins franchement et naïvement son ignorance.


Jean 3.10 Jésus lui dit : "Tu es docteur en Israël et tu ignores ces choses. - Notre‑Seigneur manifeste à son tour de la surprise : Comment pouvez-vous ignorer ces choses, étant maître en Israël ? Il y a visiblement une grande insistance dans ce titre, qui équivaut à Docteur de la loi, représentant de l’enseignement officiel. C’est à tort néanmoins qu’on a parfois conclu, surtout à cause du double article dans le texte grec, que Nicodème aurait été un docteur tout à fait célèbre chez les Juifs d’alors, le docteur par antonomase en quelque sorte ; ou bien, qu’il était le chakam (sage en hébreu), c'est-à-dire le troisième dignitaire du Sanhédrin. - Et tu ignores ces choses. Il aurait dû comprendre. Plusieurs prophètes, en effet, entre autres Ézéchiel, 36, 24, et Zacharie, 13, 1, n’avaient‑ils pas exprimé les effets de l’eau régénératrice ?


Jean 3.11 En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne recevez pas notre témoignage. - Ici commence le discours rattaché au dialogue. Nous y distinguons trois pensées principales : 1° le témoignage du Fils de Dieu, versets 11-13 ; 2° le salut par la croix, versets 14-17 ; 3° les damnés et les sauvés, versets 18-21. - En vérité, en vérité, je te le dis. C’est pour la troisième fois que nous rencontrons, depuis le début de l’entretien, cette déclaration solennelle (cf. versets 3 et 5). Baeumlein a raison de dire (in h. l.) que, toutes les fois qu’elle apparaît dans le quatrième Évangile, le discours, tout en se maintenant dans l’ordre des vérités déjà affirmées, prend comme un nouvel essor pour s’élever à des régions supérieures, cf. 6, 32 ; 10, 1, 7 ; 12, 24 ; 23, 16 ; 6, 20, 23. Bonne réponse à faire à Strauss, quand il prétend que Jésus procède ici par soubresauts et d’une manière anti‑pédagogique. - Ce que nous savons et nous attestons. Aux affirmations antérieures de Jésus, Nicodème a objecté un « comment cela peut‑il se faire ? » qui n’était pas complètement exempt de scepticisme ; le divin Maître lui rappelle ce principe incontestable que, relativement aux vérités supérieures, l’on doit croire des témoins dignes de foi, alors même qu’elles contiennent encore des points mystérieux. C’est par des termes fort énergiques qu’il met en relief la certitude parfaite de son enseignement. En grec « savons » désigne une connaissance sûre, qui permet de parler des choses (disons) en toute exactitude ; avons vu indique la source de cette même connaissance, qui est la vue claire et immédiate des faits, et non la simple réflexion, l’abstraction. « Chez nous, dit très à propos S. Jean Chrysostome (h. l.), le témoignage des sens le plus certain est celui de la vue, et si nous voulons faire admettre quelque chose par quelqu’un, nous disons que nous l’avons contemplé de nos propres yeux. C’est ainsi que le Christ, en parlant à Nicodème de cette façon humaine, le concilie à la foi de sa parole. » Le verbe attestons, mis en corrélation avec « avons vu », est plus expressif que « disons », de même que « avons vu » l’emporte en vigueur sur « savons ». Ce sont des idées qui se complètent, se corroborent mutuellement. - Dans la précédente partie de l’entretien (cf. versets 3, 5, 7, 12), Jésus avait employé la première personne du singulier, et voici que tout à coup il parle au pluriel : Nous savons, nous avons vu, etc. Cette différence a naturellement attiré l’attention des exégètes anciens et modernes ; mais ils l’expliquent de manières très diverses. Toutes les sortes de pluriels mentionnées dans la grammaire ont été invoquées tour à tour : le pluriel de rhétorique, qui équivaudrait simplement au singulier ; le pluriel de majesté, dont se servent les grands personnages ; le pluriel de catégorie (moi et tous les maîtres qui me ressemblent, moi et les prophètes, moi et le Précurseur, etc. ) ; le pluriel de Trinité (mon Père et moi, moi et l’Esprit saint ; telle est l’opinion de plusieurs Pères). Nous croyons aussi qu’il s’agit d’un pluriel véritable, représentant plusieurs personnes distinctes, d’autant mieux que, dès le verset suivant, Jésus reprendra le singulier ; toutefois il nous semble préférable d’admettre, à la suite d’un certain nombre de commentateurs, que ces personnes étaient, dans la pensée du divin Maître, les premiers disciples, demeurés constamment auprès de lui depuis qu’ils l’avaient reconnu pour le Messie, et venus avec lui à Jérusalem pour la Pâque, cf. 1, 40 ; 2, 25. Déjà ils « savaient », car ils « avaient vu » ; eux aussi, ils pouvaient donc parler et rendre témoignage. Jésus daigne ainsi se les associer dans cette noble déclaration, et les opposer au triste groupe des Juifs demeurés incrédules : et vous ne recevez pas notre témoignage. Une expérience toute récente (2, 12 et ss) ne justifiait que trop cette plainte douloureuse. - Notez la cadence et le rythme qui règnent visiblement dans ce passage, ainsi qu’il arrive chez les Hébreux toutes les fois que la parole est émue. On dirait un vers à trois membres :

nous disons ce que nous savons,

nous attestons ce que nous avons vu,

mais vous ne recevez pas notre témoignage.

Grande promesse : Jésus apporte au monde un enseignement nouveau et parfait, qui sera basé sur la vue claire et immédiate de la vérité. Ce qu’il affirme de lui‑même et de ses premiers apôtres persiste dans son Église, quoique, hélas, il convienne peut-être plus que jamais de dire : «vous ne recevez pas notre témoignage ».


Jean 3.12 Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont dans le ciel ? - Autre transition aux grands mystères que Jésus se propose de révéler à Nicodème ; nouvel échelon pour conduire le « maître en Israël » en des sphères de plus en plus sublimes. Je mérite éminemment votre croyance (verset 11) ; mais, si vous hésitez à me l’accorder pour des choses relativement aisées à constater, du moins dans leurs effets, comment me la donnerez-vous quand il s’agira de profonds mystères, d’obscures vérités, c'est-à-dire quand il faudra me croire sur parole (verset 12) ? - Nous avons à déterminer le sens des mots terre, ciel. Jésus appelle sur la terre non pas les choses purement terrestres, qui ne firent jamais l’objet de ses discours, mais des phénomènes religieux qui se manifestent au milieu de nous et qui ont la terre pour théâtre (comp. 1 Corinthiens 15, 40 ; 1. Corinthiens 5, 1 ; Colossiens 3, 2 ; Philippiens 2, 10, etc.) ; par exemple, et même directement d’après le contexte, le mystère de la régénération dont il a parlé plus haut. Sans doute, ces phénomènes ont au ciel leur source et leurs ramifications dernières, mais ils appartiennent à la terre par leur apparition et leur visibilité, et c’est à ce point de vue qu’ils sont nommés « de la terre ». Au contraire, dans ciel, sert à désigner des mystères supérieurs, invisibles par leur nature, et ne rentrant que grâce à des révélations expresses dans le domaine de notre expérience. Tels sont, entre autres, les mystères de la Sainte Trinité, de la génération éternelle du Verbe, le plan divin de la Rédemption. Au fond, il s’agit donc de deux catégories de choses divines et célestes ; avec cette différence que la seconde est d’une nature plus sublime, sortant davantage, comme on a dit, « des insondables profondeurs de la divinité, «  et exigeant de la part des hommes « une aptitude beaucoup plus grande que la première pour être comprise ». - Comment croirez-vous ? Cette bienheureuse hypothèse va se réaliser dans un instant. Jésus n’a jusqu’ici exposé que les rudiments de la religion nouvelle ; dès le verset 13 il passera à des choses tout à fait célestes. Les lignes suivantes empruntées au chap. 9 du livre de la Sagesse (verset 16), ne sont pas sans rapport avec la vérité exprimée dans notre passage : « Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ?  ». Elles ne s’appliquent toutefois, d’après le contexte, qu’à des faits de l’ordre naturel. - Quoique interrogé, Nicodème se tait désormais et il reste muet jusqu’à la fin de l’entretien. La vérité l’a profondément touché : il croit et adore en silence. Tout au plus pourrait‑il répondre avec Job (40, 4-5) : « Voici, je suis trop peu de chose ; que te répliquerais‑je? Je mets la main sur ma bouche. J'ai parlé une fois, je ne répondrai plus ; deux fois, je n'ajouterai rien ».


Jean 3.13 Et nul n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. - Comment me croirez-vous si je vous révèle les choses du ciel (verset 12) ? Et cependant je peux seul vous en parler avec une autorité absolue, puisque seul j’ai habité le ciel et contemplé ses secrets à découvert. Ou, plus brièvement : Celui‑là seul peut exposer les choses célestes, qui est lui même du ciel. - « Qui est monté aux cieux et en est descendu » ? est‑il dit au livre des Proverbes, 3, 4. N.-S. Jésus‑Christ fait en ce moment la réponse : nul n’est monté au ciel, si ce n’est … « Personne », pas même Moïse, ni aucun des grands Prophètes. « n’est monté » : dans le texte grec est à un parfait très énergique, que l’on doit prendre dans le sens strict et littéral ; on ne saurait nier plus vivement le fait en question. « Au ciel », c'est-à-dire dans le royaume de la vérité absolue, éternelle, de manière à la contempler face à face. Non toutefois que Jésus ait voulu marquer son Ascension par les mots « monté au ciel », comme l’ont pensé S. Augustin, Bède le Vénérable et quelques autres ; car ce glorieux mystère appartenait encore à l’avenir. C’est simplement une locution elliptique. « Tolet et Luc de Bruges ont raison de dire que quand le Christ dit qu’il monte, il s’adapte à la façon des hommes de parler, lesquels ne peuvent imaginer qu’on puisse se rendre au ciel sans monter », Corluy, p. 81. - Qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. Cette descente du ciel avait eu lieu au jour de l’Incarnation, quand le Verbe s’était fait chair dans le sein virginal de Marie, cf. Luc. 1, 26 et ss. Les Pères s’arrêtent volontiers, pour les expliquer et pour les admirer, sur ces termes si étonnamment juxtaposés : « Le Fils de l’homme est descendu du ciel ». « C’est le Verbe qui est descendu », s’écrie S. Cyrille d’Alexandrie, et cependant, « Il dit que le fils de l’homme est descendu, ne voulant pas, après l’incarnation, séparer le Christ en deux personnes, ne permettant à personne de dire qu’autre est le Fils, simple temple assumé de la Vierge, et autre le Verbe, qui procède du Père comme une lumière, sauf en ce qui concerne la distinction qui provient de leur nature ». « La dénomination de Fils de l'homme ici ne comprend pas seulement la chair du Sauveur, mais désigne toute sa personne par celle des deux natures qui est inférieure. Maintes fois Notre‑Seigneur la désigne tout entière sous le nom de sa divinité, ou sous celui de son humanité », S. Jean Chrysostome. « Bien que ce soit sur la terre qu'il soit devenu Fils de l'homme, il n'a pas jugé indigne de sa divinité qui est descendue jusqu'à nous de porter le nom de Fils de l'homme, tout en restant dans le ciel, de même qu'il a honoré son humanité du nom de Fils de Dieu, car l'unité de personne qui existe entre les deux natures fait qu'il n'y a qu'un seul Christ et fils de Dieu qui s'est rendu visible sur la terre, de même que le Fils de l'homme demeurait dans les deux », S. Augustin (voyez la Chaîne d’Or de S. Thomas d’Aquin). Voilà bien le dogme catholique dans toute sa précision. - Qui est dans le ciel. Le Verbe de Dieu, même en se faisant homme, n’avait pas quitté le ciel ; mais il continuait d’être en communion perpétuelle et intime avec le ciel ; il y résidait comme dans sa patrie. « Jésus‑Christ était sur la terre et il était au ciel ; sur la terre par son corps, au ciel par sa divinité, ou plutôt en tous lieux par sa divinité. Il était sorti du sein de sa mère, sans quitter celui de son Père », S. Augustin, Traité 12 sur S. Jean, 8. Les rationalistes rejettent naturellement ce sens, pour ne voir ici qu’une « métaphore hébraïque », laquelle attribuerait vaguement à Jésus je ne sais quelle nature « supérieure ». M. Alford leur riposte à bon droit que de pareilles tentatives sont futiles et ridicules. Olshausen réfute de même par une vigoureuse parole les exégètes qui voudraient donner à qui est la signification : qui était. Ce serait là, dit‑il, un pléonasme insupportable. - Quelle richesse dogmatique dans ce verset. On peut en rapprocher Matth. 11, 27, où Jésus exprime une idée parallèle.


Jean 3.14 Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé, - De la divinité de Jésus nous passons au plan de la merveilleuse rédemption qu’il devait opérer ; déjà la croix fait son apparition (Nous croyons inutile de chercher un autre enchaînement ; nous tomberions, comme l’a fait maint exégète, dans l’artificiel et l’arbitraire). Sans doute, cette première prédiction de la Passion du Christ dut paraître obscure à Nicodème (comp. 2, 19, relativement à la Résurrection) ; mais d’autres prophéties successives (Matth. 9, 14 et ss. ; 10, 38 ; voyez les passages parallèles de S. Marc et de S. Luc) et la voix si claire des faits la rendront aussi évidente que possible (comp. 2, 22). - Comme Moïse L’événement rappelé ici en cinq mots par Notre‑Seigneur forme l’un des miracles les plus éclatants de l’ancienne Alliance. C’était là quarantième année du séjour au désert : le peuple, fatigué, lança vers le ciel une de ces plaintes blasphématoires qui lui avaient plusieurs fois déjà coûté si cher ; Dieu se vengea en envoyant une multitude de serpents brûlants, dont la morsure produisit partout la mort dans les rangs des Hébreux. Prompt repentir des coupables, suivi, comme toujours, d’un miséricordieux pardon. Néanmoins, le Seigneur voulut attacher le salut à un signe ; sur son ordre, « Moïse fit un serpent d’airain et le plaça sur un poteau, et quiconque avait été mordu par un serpent et regardait le serpent d’airain, conservait la vie ». Voyez Nombres 21, 4-9. Étrange moyen de salut, assurément ; mais il avait l’avantage de susciter la foi, tant aimée de Dieu ; circonstance importante, que les livres juifs les plus anciens ne manquent pas de relever. « Le cœur (des malades) était fixé sur le nom de la Parole (du Verbe) de Dieu ». Targum de Jonathan. « Leurs visages devaient se diriger vers leur Père qui est au ciel. » Targum de Jérusalem. Le passage suivant de la Sagesse est encore plus frappant (16, 5 et ss.) : « Et même, quand s’abattit sur les tiens la fureur terrible de bêtes venimeuses, lorsqu’ils périssaient sous la morsure de serpents tortueux, ta colère ne persista pas jusqu’à la fin. C’est en guise d’avertissement qu’ils avaient été alarmés pour un peu de temps, mais ils possédaient un signe de salut, qui leur rappelait le commandement de ta Loi. Celui qui se tournait vers ce signe était sauvé, non pas à cause de ce qu’il regardait, mais par toi, le Sauveur de tous ». D’après la tradition juive, le serpent d’airain était donc déjà un symbole de salut. De quelle manière ? Jésus le dit en complétant la révélation unique qui semble avoir eu lieu sur ce point. - De même désigne non une ressemblance fortuite, mais un accomplissement réel, voulu par Dieu. L’acte de Moïse avait été le type de ce qui devait se réaliser aux temps messianiques pour le salut de l’humanité entière. - Soit élevé. Dans le texte grec, le verbe signifie proprement être élevé, placé sur un haut lieu, ce qui peut s’entendre de bien des manières. Toutefois, il ressort nettement du contexte qu’il ne s’agit pas ici de l’exaltation glorieuse du Messie, comme on l’a parfois prétendu fin XIXème siècle. En outre, S. Jean, d’une part, exprime régulièrement cette idée de triomphe par δοξασθηναι ; d’autre part, N.-S. Jésus‑Christ voile à plusieurs reprises sa Passion dans le quatrième Évangile sous le verbe « être élevé » (cf. 8, 28 ; 12, 32, 34). Les mots correspondants en araméen et en syriaque s’emploient précisément pour marquer le supplice de la croix. Enfin, telle est l’interprétation commune de la tradition et des auteurs modernes. Tout au plus pourrait‑on, avec quelques exégètes, associer les deux idées, l’élévation de Jésus sur la croix, et « par la croix vers la lumière » ; encore est‑il préférable de s’en tenir strictement à la première. - Soit élevé. C’était nécessaire d’après les divins et éternels décrets, promulgués à diverses reprises dans l’Ancien Testament. Voyez Matth. 16, 21 ; Luc. 24, 26 et le commentaire ; Hébreux 2, 9, 10. - Le Fils de l’homme ; Jésus répète cette humble appellation (cf. verset 13), qui convenait mieux que toute autre pour être associée au mystère de la croix. - Les points de comparaison entre la figure (« comme Moïse a élevé le serpent ») et la réalité (« de même il faut que le Fils de l'homme soit élevé ») peuvent être réunis en quelques lignes. 1° Le serpent d’airain est élevé au sommet d’un poteau, Jésus sur l’arbre de la croix. 2° De part et d’autre le salut dépend d’un regard de foi. 3° Ici et là c’est la mort qui restitue la vie. Voyez S. Justin, Apolologie 1, 60 : Dialogue avec Tryphon 94 ; S. Jean Chrysostome et Euthymius, h. l.





Jean 3.15 Afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle." But admirable et généreux de l’exaltation du Fils de l’homme : guérir les pauvres humains blessés à mort par le péché. « Tout homme » ne permet pas d’admettre une seule exception, le salut est offert indistinctement à tous les hommes. A une condition pourtant, la foi au divin Rédempteur : qui croit en lui. - Qu’il ait la vie éternelle. La vie éternelle, et pas seulement un prolongement de quelques mois ou de quelques années à passer sur la terre, ainsi qu’il arriva aux Hébreux guéris de la morsure des serpents.





Jean 3.16 En effet, Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. - Afin que quiconque. - Admirable synthèse des versets 13-15 ; « l'Évangile réduit à l'essentiel », comme l’on a dit souvent ; l’un des passages les plus beaux de la Bible ; « Peu de paroles et beaucoup de sens ». Ces trois lignes, en effet, nous déclarent tout ensemble : 1° que l’essence de Dieu consiste dans l’amour (cf. 1 Jean 3, 9, 16), 2° que la divine charité est allée à notre égard jusqu’au sacrifice le plus généreux, 3° que l’objet de ce céleste amour est le monde corrompu et pervers, 4° que Jésus est le Fils unique de Dieu, 5° qu’il a été sacrifié pour le salut du monde, 6° que le salut est offert par Dieu à tous les hommes, 7° que ceux‑là seuls, néanmoins, qui croiront en Jésus seront sauvés, 8° que tous les autres périront à jamais. - En effet relie ces différentes pensées à celle des versets 14 et 15 : Jésus va chercher jusque dans le ciel le motif de sa passion et de sa mort. - Tellement exprime l’amour infini et éternel du Père : A ce point, d'un amour si intense. - Dieu a tant aimé le monde [ce verbe aimer est l’un des mots grecs caractéristiques de S. Jean]. Il n’est pas étonnant que Dieu aime : la lumière peut‑elle ne pas briller, le feu ne pas brûler ? Mais il est étonnant qu’il ait aimé le monde, c'est-à-dire la pauvre et misérable espèce humaine tout entière, sans distinction de peuples ni de familles (Cf 1, 9, 10, 29) ; il est étonnant surtout qu’il l’ait aimé à tel point qu’il a donné son Fils unique. Quelle force dans l’expression. Et, mieux encore, quelle prodigalité dans l’amour. Chaque mot a pour but de mieux relever la pensée. « Quel plus grand témoignage d'amour et de charité que d'avoir donné pour le salut du monde un Fils, son Fils propre, son Fils unique. », S. Hilaire, La Trinité, 6. « Mais ce qui suit exprime plus fortement encore cet amour : Ce n'est pas un serviteur, ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange, c'est son propre Fils qu'il a donné. S'il eût eu plusieurs fils, et qu'il en eût sacrifié un, ce serait déjà la preuve d'un amour immense, mais c'est son Fils unique qu'il nous a donné », S. Jean Chrysostome h. l. Comp. Zacharie 12, 10 ; Romains 8, 32 ; Hébreux 11, 17 ; 1 Jean 4, 9. Précédemment, Jésus s’était simplement servi de l’expression plus vague et plus humble « Fils de l'homme » ; mais elle ne saurait maintenant lui suffire. Voyez, Genèse, 22, 2 et 16, la manière dont le Seigneur fait ressortir par cette même circonstance (« Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes » ; « parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique ») la grandeur du sacrifice d’Abraham. Mais, au moment suprême, le père des croyants put substituer une autre victime à son fils « unique et chéri », tandis que Dieu immola vraiment le sien sur le Calvaire. - A donné a évidemment ici le sens de livrer, d’abandonner comme victime, cf. Luc. 22, 19 ; Galates 1, 4 ; Tite 2, 14. Ce n’est pas, comme on l’a dit parfois, un simple synonyme de « envoyer ». Que sont nos faibles actes d’amour à côté de celui‑là. - Afin que quiconque… Après avoir si fortement désigné l’amour incomparable de Dieu pour nous comme le fondement dernier de son propre sacrifice, N.-S. Jésus‑Christ répète mot pour mot la phrase du verset 15, qui a une grande importance dans tout ce passage, cf. verset 18. On dirait « le refrain d’un cantique » (Godet), refrain plein de charmes et aimable, puisqu’il promet aux hommes un salut si facile. M. Schegg fait justement remarquer ici que le Sauveur emploie le langage le plus simple pour exprimer les idées les plus grandioses, et que cette union de la grandeur et de la simplicité confère à la parole du divin Maître « une majesté incomparable ». - L’adjectif éternel revient jusqu’à dix‑sept fois dans l’évangile de S. Jean, six fois dans sa première lettre, et toujours il est associé au mot vie. On ne le trouve qu’à huit reprises dans les synoptiques.



Jean 3.17 Car Dieu n'a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. - Jésus confirme d’une manière négative son assertion précédente. C'est, dit Maldonat, « une autre preuve d'amour ». - Car Dieu n’a pas envoyé. La « mission » du Fils de Dieu, d’après le sens strictement théologique de cette expression, est surtout marquée par S. Jean. - Le Fils. Ici, l’épithète amoureuse est supprimée ; nous n’avons que le titre qui indique la dignité (cf. versets 16 et 18) : sans doute, parce qu’il va être aussitôt question de jugement. - Pour juger le monde. Telles étaient les idées juives alors régnantes. D’après la christologie des Rabbins, le Messie, dès les premiers instants de son apparition, devait s’élancer contre les païens et les écraser sans pitié : on expliquait en ce sens les passages Psaume 2, 9 ; Malachie 4, 1, etc. Les mots « juger, jugement » sont évidemment pris en mauvaise part, soit dans ce verset, soit dans les suivants, puisqu’ils sont opposés à l’idée du salut. Quoique le mot grec χρίνω ait la signification primitive de discerner (« cerno » des Latins), différencier, séparer, il est plus ordinairement employé dans le sens de juger, et, par suite, de condamner, supposé que celui qui passe en jugement ait été trouvé coupable. - Mais afin que le monde soit sauvé par lui. C'est-à-dire : « pour qu'il aie la vie éternelle », versets 15 et 16. Le Fils de Dieu ayant été envoyé par amour, il est bien évident qu’il ne vient pas parmi les hommes pour exécuter contre eux des desseins de vengeance. Sauver, tel est son rôle ; Jésus « sauveur », tel est son nom (cf. Matth. 1, 21 et le commentaire ; voyez la lettre à Diognète, 7 ). Dans un instant, il est vrai (verset 18), et avec plus de force encore dans d’autres discours (5, 27 ; surtout 9, 39 : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement »), Notre‑Seigneur décrira sa venue comme celle d’un juge redoutable ; mais ces idées ne sont en rien contradictoires. Pour faire l’harmonie, nous n’avons qu’à distinguer entre le but direct, qui est le salut universel, et un résultat tristement nécessaire, dans l’hypothèse où l’aimable Sauveur serait rejeté par une certaine partie de l’humanité. Jésus vient pour sauver ; mais il ne sauvera pas les hommes malgré eux, et c’est précisément cette nuance délicate qui est exprimée par un changement remarquable dans la construction : pour que le monde soit sauvé. Le monde ne sera sauvé que s’il consent à s’approprier le salut. - Par lui, et par lui seul. En effet, est‑il dit ailleurs (Actes 4, 12), « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver ». La triple répétition du mot « monde » a quelque chose de très solennel.


Jean 3.18 Celui qui croit en lui n'est pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. - Nous avons ici une sorte de dilemme qui explique la pensée du verset 17. Ou les hommes croient en Jésus, ou ils ne croient pas : s’ils croient, ils ne seront pas jugés ; s’ils ne croient pas, ils sont déjà jugés et condamnés. Ainsi, « la ligne de démarcation qui sépare sauvés et non sauvés, au lieu de passer entre Juifs et païens, passe entre croyants et incrédules », à quelque nation qu’ils appartiennent. - Le mot croit est à son tour répété par trois fois ; ce qui ne saurait être un fait accidentel, car il exprime ici l’idée principale. - N’est pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé. Pensée très forte. Dans l’un et l’autre cas, tout jugement proprement dit est inutile : inutile à l’égard des croyants, puisque Jésus n’est pas venu pour les juger, mais pour les sauver (verset 17) ; inutile à l’égard des incrédules, car leur incrédulité même est déjà un jugement et une condamnation. En ne voulant pas de l’unique moyen de salut qui leur est offert, ceux‑ci prononcent eux‑mêmes leur sentence ; le souverain Juge aura seulement à la ratifier. Comparez ce dire antique des Latins : « le coupable se condamne au moment même où il commet sa faute » et ce mot peut-être encore plus ancien des lois romaines, adressé à chaque coupable : « Tu t'es toi‑même exposé à ta peine ». S. Augustin fait un beau rapprochement pour expliquer la pensée de Jésus : « le médecin s’approche du malade, pour lui rendre, autant que possible, la santé. Mais le malade se donne à lui‑même la mort, s’il refuse d’observer les prescriptions du médecin. Le Sauveur est venu en ce monde ; pourquoi l’appelle‑t‑on Sauveur du monde, si ce n’est qu’il est venu pour sauver le monde et non pour le juger? Tu refuses le salut qu’il t’apporte ? Tu seras jugé d’après ta conduite », (Tract. 12 in Jean). On peut dire aussi avec le P. Corluy (p. 84) : « Il est déjà jugé ; car il reste en effet dans son état de condamné, où il se trouvait déjà. Nous étions, de par nous‑mêmes, voués à la colère (Éphésiens 2, 3) ; et comme l'explique S. Jean (3, 36), la colère de Dieu demeure sur lui. Il n'est donc pas nécessaire qu'une nouvelle condamnation soit prononcée », cf. Hébreux 11, 6. - Le changement de temps dans les verbes est beau et significatif. D’abord le présent, pour exprimer un état permanent : « N'est pas jugé » ; puis le parfait, pour marquer un fait produit sans retour, « est déjà jugé ». - Parce qu’il n’a pas cru. - Jésus insiste sur le motif du terrible jugement des impies : ils n’ont pas cru, alors qu’ils avaient tant de raisons de croire. - Au nom du Fils unique de Dieu. Nous retrouvons la suave et forte épithète du verset 16 ; mais c’est la grandeur du crime des incrédules qu’elle a pour but de relever ici. Sur la locution « croire au nom », voyez 1, 12.



Jean 3.19 Or, voici quel est le jugement : c'est que la lumière est venue dans le monde et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. - Quoique le but de l’Incarnation soit le rachat du monde (verset 17), il y aura des méchants qui seront jugés et condamnés (verset 18) : Jésus va commenter le motif de leur condamnation. - Or, voici quel est le jugement. Cette tournure revient plusieurs fois dans le quatrième évangile ; comp. 15, 12 ; 17, 3). Voici en quoi consiste le jugement, quelle est sa nature ; ou, selon d’autres : Voici la raison d’être du jugement. La première traduction est plus grammaticale et plus conforme au contexte, puisque, d’après le verset 18, les hommes sont directement jugés par leur conduite individuelle. - La lumière (et plus bas les ténèbres) voyez 1, 4, 5 et ss.) est venue dans le monde. Cette lumière par excellence, nous avons vu que c’est le Verbe incarné ; elle s’est manifestée au monde aussi brillante que le soleil en plein midi. Mais, hélas ! Les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, cf. 1, 10, 11. Douloureux phénomène dont Jésus avait déjà fait l’expérience (2, 23-25), et qu’il constate avec un accent de vive tristesse. « Les hommes » sont envisagés ici comme classe ; au reste, ce que dit Notre‑Seigneur en cet endroit convient à un grand nombre, peut-être même au plus grand nombre d’entre eux. Préférer les ténèbres à la lumière, et surtout à une telle lumière, indique une affreuse perversion d’esprit et de cœur, que le style du divin Maître met admirablement en relief. - Ont mieux aimé…que : cette comparaison exprime un choix délibéré. « La beauté de la lumière les a étonnés ; mais ils étaient attachés à l'amour des ténèbres », Bengel, Gnomon, h.l. Par « ne croit pas » du verset 18 il ne faut donc pas entendre seulement l’absence de foi, mais le rejet direct et actif de la foi. - Parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Raison d’un choix aussi indigne. C’est une pensée profonde et constamment vraie : l’immoralité produit l’incrédulité. L’imparfait « étaient » est ici à noter, car il marque la permanence du fait ; remarquez aussi la construction renversée grecque qui produit une gradation saisissante.




Jean 3.20 Car quiconque fait le mal, hait la lumière, de peur que ses œuvres ne soient blâmées. - Ce verset et le suivant développent la réflexion profondément psychologique qui vient d’être énoncée. - Car quiconque. C’est le quatrième « car » depuis le verset 16. Tout se lie et se tient dans ce passage comme les anneaux d’une chaîne. « Quiconque », car il est question d’un loi universelle ; de là l’emploi du temps présent : qui fait, hait…, vient. Le phénomène indiqué se renouvelle sans cesse. De même au verset 21. Le « mal ».

S. Chrysostome (homélie 28.) : Cette haine de la lumière devait paraître une chose incroyable pour plusieurs (car il n'est personne qui préfère les ténèbres à la clarté), il fait donc connaître la cause de cet aveuglement : « Car leurs œuvres, ajoute-t-il, étaient mauvaises. » S'il était venu pour juger les hommes, cette haine de la lumière aurait eu quelque raison, car celui qui a conscience de ses crimes, cherche à fuir le juge qui doit le condamner, mais les coupables se présentent sans crainte devant celui qui n'a pour eux que des paroles de pardon. Quoi de plus naturel donc pour les hommes dont la conscience était chargée de si grands crimes, d'aller au-devant du Sauveur, qui leur apportait le pardon ? C'est ce que plusieurs ont fait, et nous voyons les publicains et les pécheurs venir s'asseoir à la même table que Jésus. Mais il en est dont la mollesse est si grande, que leurs mains tombent de langueur devant les travaux de la vertu, et qu'ils persévèrent dans le mal jusqu'à la fin de leur vie ; Notre-Seigneur flétrit ouvertement celte lâcheté: «Quiconque fait le mal, hait la lumière, » ce qui est vrai de ceux qui veulent obstinément persévérer dans le mal. — ALCUIN. « Tout homme qui fait le mal hait la lumière, c'est-à-dire, que celui qui est dans la résolution de pécher, qui aime le péché, hait par-là même la lumière qui découvre le péché. - Hait la lumière. Non seulement l’homme vain dont il s’agit préfère les ténèbres à la lumière (verset 19), mais il a de plus pour celle‑ci une haine positive. Comparez le beau passage de Job 24, 13-17 (surtout d’après l’hébreu), et les dires analogues des classiques : « Les méchants aiment des choses qui ont besoin du voile des toits et des rideaux », Marc‑Aurèle, 3, 7 ; « Le grand jour pèse aux mauvaises consciences », Sénèque, Lettre 122. - Et ne vient pas à la lumière. Conséquence toute naturelle, la lumière faisant ressortir à merveille ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans les choses : or, celui qui agit mal ne veut pas que l’inanité de ses œuvres apparaisse ainsi au grand jour, et devienne pour lui l’occasion d’un blâme sévère (condamnées). Qu'en sera‑t‑il de celui qui commet des œuvres absolument mauvaises ?


Jean 3.21 Mais celui qui accomplit la vérité, vient à la lumière, de sorte que ses œuvres soient manifestées, parce qu'elles sont faites en Dieu." Mais celui qui accomplitC’est un contraste. Jésus introduit une autre catégorie humaine bien distincte de la précédente. Le texte grec employant ici, pour exprimer l’action « ποιῶν » au lieu de « πράσσῶν » du verset 20, les exégètes ont souvent essayé d’indiquer les motifs de ce changement : ποιῶν indiquerait le bon résultat de l’activité, πράσσῶν une simple agitation, etc. Ces distinctions nous paraissent subtiles, et nous ne croyons pas qu’il faille attacher tant d’importance à l’emploi de ces deux synonymes. - Le substantif La vérité mérite davantage notre attention, car il paraît extraordinaire au premier regard, étant opposé aux œuvres mauvaises (verset 20). « Faire la vérité » est en effet une expression remarquable, qui devient claire pourtant si l’on se ressouvient que « toute bonne action est une pensée vraie réalisée », effectuée. Il s’agit d’ailleurs plutôt de la vérité morale que de la vérité intellectuelle. Comparez des locutions semblables dans 1 Corinthiens 13, 6 ; 1 Jean 1, 6 ; 2 Jean 4 ; 3 Jean 3, 4 - Vient à la lumière, de sorte que ses oeuvres soient manifestées. Celui qui accomplit des actions vraies et bonnes n’a rien à redouter de la lumière, tout au contraire ; il traite donc ses œuvres à la façon dont l’aigle traite, d’après la légende antique, ses aiglons nouvellement éclos. Il leur montre le soleil en face : pas par ostentation assurément, car il est prêt à les condamner lui‑même si elles apparaissent alors vaines ou mauvaises ; mais il veut connaître leur nature réelle, que l’éclat de la lumière manifeste en plein. Euripide dit semblablement la lumière de la vérité, par opposition aux hommes pervers, qui aiment la nuit (Iphig. in Taur. 1066). - Parce qu’elles sont faites en Dieu. Cette dernière parole explique pourquoi les bons s’approchent volontiers de la lumière. Ils ont agi en union avec Dieu, de concert avec lui ; il y a donc du divin dans leurs actes : pourquoi en craindraient‑ils la manifestation ? La phrase tout entière est très énergique, spécialement dans le grec (littéralement : elles sont ayant été faites ; d’où il suit qu’étant entièrement accomplies, elles ne peuvent plus être gâtées désormais). - Tel est ce magnifique entretien, qui, de degré en degré, s’est successivement élevé aux vérités les plus hautes. M. Reuss s’étonne de le voir finir si brusquement. Selon lui, l’évangéliste aurait dû signaler au moins le départ de Nicodème et le résultat de l’entrevue : de ce silence il tire, à la façon de Baur (voyez la note du verset 1), un argument contre le caractère historique de la narration. Nous opposerons à M. Reuss l’autorité d’un autre rationaliste, B. Brückner, d’après lequel ce même silence « démontre, au contraire, que S. Jean voulait uniquement raconter la réalité historique » (Kurzgefasstes exeget. Handbuch zum N. T., von de Wette, 5e éd., p. 75). « Chaque trait est vrai, continue cet auteur, et s’harmonise avec le précédent ; et un pareil portrait, qui est d’ailleurs plutôt esquissé que décrit, ne doit pas seulement avoir une base historique vague et générale ; il doit avoir un fondement qui lui corresponde de la façon la plus exacte, c'est-à-dire la personne même de Nicodème ». Baumgarten‑Crusius l’a dit aussi en termes très justes, « si l’évangéliste n’ajoute rien de plus, et n’a pas même un mot pour exposer le résultat immédiat du discours, c’est une preuve en faveur de sa simplicité et de sa loyauté historique ». Les écrivains sacrés procèdent souvent de cette sorte ; car c’est avant tout l’histoire de N.-S. Jésus‑Christ qu’ils veulent raconter, et non celle des personnages accessoires. Du reste, S. Jean fera plus tard quelques allusions fort nettes à Nicodème et à cet entretien intime, cf. 7, 50 ; 19, 39. - Sur l’immense portée dogmatique des versets 3-21, dont nos notes éparses ont pu donner au moins quelque idée, voyez Corluy, Commentar. in evang. Joannis, p. 87. Nous verrons de plus en plus S. Jean mériter l’épithète de « théologien », qui lui a été si légitimement appliquée par les premiers Pères. Voyez la Préface, § 3. Sur la nature particulière des discours de N.-S. Jésus‑Christ dans le quatrième Évangile, voyez aussi la Préface, § 5. - Nous avons renvoyé ici, pour ne pas trop troubler la suite du commentaire, une discussion assez vive qui s’est élevée à propos des versets 16-21. Les paroles que renferme ce passage sont‑elles la continuation pure et simple du discours de Jésus ? Ou bien ne doit‑on pas les regarder comme des réflexions personnelles, rattachées par l’évangéliste à l’allocution du divin Maître ? Érasme semble être l’auteur de ce second sentiment, qui a trouvé depuis un assez grand nombre d’adeptes (Kuinoel, Paulus, Tholuck, Olshausen, Milligan, Westcott, et même des exégètes catholiques, tels que A. Maier, Klofutar, Bisping). Voici les principaux arguments sur lesquels on l’appuie. 1° Plusieurs des expressions employées dans ce passage notamment « fils unique », versets 16 et 18, cf. 1, 14, 18 ; 1 Jean 4, 9), « croire au nom » (verset 18, cf. 1, 12 ; 2, verset 3 ; 1 Jean 5, 13) et « faire la vérité » (verset 21 ; cf. Jean 1, 6), sont exclusivement propres à la diction de S. Jean, et n’apparaissent nulle part ailleurs sur les lèvres de Jésus. 2° Au verset 19, les formes verbales passées « est venue », « ont mieux aimé », « marquent évidemment une crise déjà accomplie et appartiennent à la position occupée par S. Jean, mais non à celle où était alors le Sauveur, puisque la révélation de sa personne et de son œuvre n’avait pas encore été présentée ouvertement au monde » (Westcott). Ces temps passés désigneraient donc un laps de temps assez considérable, écoulé depuis l’inauguration du ministère de Notre‑Seigneur, et ne sauraient lui convenir directement. 3° La forme dialoguée a cessé tout à fait, et le discours ressemble désormais à une série de réflexions du narrateur. 4° C’est précisément la manière de S. Jean d’agir ainsi, c'est-à-dire de greffer en quelque sorte ses considérations privées sur les idées du divin Maître, qui sont par là même récapitulées, commentées. - Il est aisé de répondre à ces allégations diverses. 1° Pourquoi les locutions indiquées n’auraient‑elles pas été au service de N.-S. Jésus‑Christ ? De telles raisons ne prouvent rien parce qu’elles tendent à prouver trop. 2° Nous avons montré dans le commentaire que l’attitude des Juifs à l’égard du Sauveur justifiait suffisamment l’emploi du temps passé ; la connaissance prophétique que Jésus avait de l’avenir rendait au reste, en toute hypothèse, son langage parfaitement plausible. 3° Cela encore prouve trop, puisque la forme dialoguée a cessé dès le verset 13. Voyez le commentaire, où la vraie raison du silence de Nicodème a été exposée. 4° On se borne à nous citer 12, 37-41, passage qui n’a ici aucune valeur, l’écrivain sacré y montrant de la façon la plus évidente qu’il prend lui‑même la parole. « Ce qui est contraire à son usage constant. Car quand il intercale ses réflexions dans des phrases d’autrui, ou quand il fait des commentaires sur ce qui a été énoncé, il l’indique toujours clairement », Knapp, Opusc. ap. Hengstenberg, h. l. Ajoutons que rien n’indique une transition de ce genre ; que le lecteur serait, par suite, induit inévitablement en erreur, n’ayant reçu aucun avertissement préalable ; que S. Jean (ni aucun autre évangéliste) ne pouvait se permettre de telles libertés à l’égard des paroles de Jésus ; que le verset 15 ne termine aucunement l’entretien ; que les versets 16-21 contiennent des pensées non moins importantes que nouvelles, bien loin d’être un simple développement des versets antérieurs ; enfin que « la cohésion de toutes les parties est trop étroite pour autoriser l’idée d’une distinction entre la part revenant à Jésus et celle de l’évangéliste » (Godet). Ainsi donc, cet étrange sentiment n’a aucun fondement sérieux (voyez Meyer, Luthardt, Baumgarten‑Crusius, Stier, J.-P. Lange, Keil, etc.) ; et, si nous avons voulu le réfuter à fond, c’est à cause des dangers qu’il présente, et parce que nous le retrouverons bientôt sur notre route (verset 31).


Jean 3.22 Après cela, Jésus se rendit avec ses disciples au pays de Judée et il y séjourna avec eux et il baptisait. - Après cela désigne d’une manière vague la circonstance de temps. « Ces choses », c'est-à-dire, non seulement l’entretien avec Nicodème, mais en général tous les événements du séjour à Jérusalem racontés ci‑dessus (2, 14-3, 21). Jésus quitta sans doute la ville sainte vers la fin des solennités pascales, en même temps que la foule des pèlerins. La locution grecque correspondante est fréquemment employée dans le quatrième évangile par mode de transition, cf. 2, 12 ; 5, 1, 14 ; 6, 1 ; 11, 7, 11, 19, 28 ; 19, 38 ; 21, 1. - Jésus… avec ses disciples : les disciples mentionnés aux chapitres 1 et 2 : Pierre, André, Jacques, Philippe, Nathanael, et l’évangéliste lui‑même. - Au pays de Judée. C’est la circonstance de lieu ; elle sera précisée davantage au verset suivant. Jérusalem étant située dans la Judée, cette désignation a créé aux vieux commentateurs, dont la géographie n’était pas le côté fort, de curieux embarras, très bien décrits par Maldonat (h. l.). Il est évident qu’elle oppose simplement la province à la capitale, les districts ruraux à la cité. On ne la trouve nulle part ailleurs sous cette forme ; mais on en peut rapprocher l’expression analogue « la Judée » cf. S. Marc, 1, 5, et Actes 26, 20. Sur les limites de cette province, cf. commentaire S. Matth. 3, 1-2. Voici que la sphère dans laquelle Jésus déploie son activité de Messie s’agrandit peu à peu : le temple, la ville sainte, la province de Judée, bientôt la Galilée. - Et il y demeurait. Cet imparfait semble impliquer un séjour notable, que de nombreux exégètes évaluent à plusieurs mois. - Et baptisait. Autre imparfait, pour indiquer la réitération de l’acte. Nous trouverons plus bas, 4, 2, un important correctif à cette assertion : « Quoique ce n'était pas Jésus qui baptisait, mais ses disciples ». En grec, volontiers « on attribue l’action à celui au nom de qui elle est exécutée par d’autres ». Jésus est donc censé faire personnellement ce que ses disciples accomplissaient par son autorité. - On a beaucoup discuté, depuis l’époque des Pères, sur la nature du baptême signalé ici et 4, 1, 2. Était‑ce déjà le « baptême de feu », le baptême chrétien, sacramentel ? N’aurait‑ce pas été plutôt une imitation du « baptême d’eau » conféré par le Précurseur ? La première opinion a été plus communément admise dans l’antiquité comme dans les temps modernes, et ce motif d’autorité plaide puissamment en sa faveur. La seconde compte néanmoins, à travers les âges, d’illustres défenseurs, entre autres S. Jean Chrysostome, S. Léon, Théophylacte, et un grand nombre de commentateurs, et plusieurs raisons nous portent à l’adopter de préférence : 1° la nature préparatoire du ministère de Notre‑Seigneur durant cette période de sa vie ; 2° le texte si expressif, 7, 39, « il ne pouvait y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié », rapproché des paroles « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu », Matth. 3, 11 ; 3° cet autre message du premier évangile, qui semblerait s’appliquer beaucoup mieux à l’institution du sacrement, « Allez. De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint‑Esprit », Matth. 28, 19 ; 4° l’absence de toute autre mention relative à cette collation du baptême par les disciples de Jésus jusqu’après la résurrection, d’où l’on peut inférer qu’elle fut abandonnée bientôt. - Il ressort du moins de ce trait, et la suite du récit le montrera plus clairement encore, que la prédication du Sauveur produisait déjà des résultats importants.


Jean 3.23 Jean aussi baptisait à Ennon, près de Salim, parce qu'il y avait là beaucoup d'eau et l'on venait et l'on était baptisé, - Jean aussi baptisait. Plus encore que le simple imparfait cette tournure désigne la fréquence et la durée de l’acte. Il baptisait et baptisait encore. Pendant quelque temps, le Précurseur et le Messie travaillent simultanément, à peu de distance l’un de l’autre et de la même manière, prêchant en termes identiques (cf. Matth. 3, 2 et Marc. 1, 14, 15) et employant le même rite préparatoire. Jean‑Baptiste continue son œuvre jusqu’au dernier instant. Samuel ne cessa pas immédiatement après la consécration du Saül d’exercer les fonctions de juge en Israël ; Jean attend aussi l’heure de la Providence pour mettre un terme à sa prédication, à son baptême (voyez le verset 34). Les rationalistes, qui ne comprennent rien au plan divin, se scandalisent à tort de voir que le Précurseur ne se retire pas dès la première manifestation du Christ. - À Ennon, près de Salim. La seconde de ces localités devait être plus considérable et plus connue, puisqu’elle sert à déterminer l’emplacement de la première. Mais où étaient‑elles l’une et l’autre ? Problème géographique impossible à résoudre pour le moment. Ce ne sont pourtant pas les hypothèses qui manquent, Salim ou Salem et Ennon (pluriel de source, par conséquent : « les sources ») étant des noms très communs, qu’on retrouve sur divers points du territoire palestinien Ennon serait quelque part dans la vallée du Jourdain, peut-être à 12 km au sud de Scythopolis (Beït Shéan), à l’ouest de Jourdain et donc loin de la Judée. - Parce qu’il... introduit le motif pour lequel le Précurseur s’était transporté spécialement en ce lieu : il y avait là beaucoup d’eau, et il en fallait beaucoup pour le baptême d’immersion. Cette locution désigne des sources, des ruisseaux, et non une rivière unique comme serait le Jourdain. Du reste, la remarque de l’évangéliste serait bien naïve, si nous devions chercher Aenon au bord du fleuve. - Et l’on venait et l’on était baptisé. Encore des imparfaits, qui marquent la répétition des actes. Il y a en outre ici l’indication d’un grand concours de peuple.


Jean 3.24 car Jean n'avait pas encore été jeté en prison. - Car Jean n’avait pas encore… Ce verset forme une sorte de parenthèse explicative, qui montre la rigoureuse exactitude du narrateur. C’est une date importante pour l’harmonie des évangiles. Elle fixe en effet la place précise de Matth. 4, 12-17 et des passages parallèles, qui, dans le cours de la biographie de Jésus, doivent venir seulement à la suite de ce ministère préparatoire, accompli en Judée. On voit, par ce détail et d’autres semblables, que S. Jean n’écrivit qu’après les synoptiques, et qu’un de ses desseins fut de compléter leur œuvre, cf. Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique 3, 24, qui faisait déjà cette remarque. C’est donc sans aucun fondement que les rationalistes trouvent la chronologie de S. Jean « inconciliable avec celle du premier évangile » (Reuss, La Théologie johannique, p. 150). - Jeté en prison. Simple assertion du fait, parce que les lecteurs sont supposés le connaître plus à fond par les relations antérieures. La formule implique que l’incarcération devait être prochaine.







Jean 3.25 Or, il s'éleva une discussion entre les disciples de Jean et un Juif touchant la purification. - Or il s’éleva. La particule grecque correspondant à « or », aimée de notre évangéliste, signifie plutôt : en conséquence. C’est une transition, qui a pour but de nous faire passer de ces données générales à l’occasion particulière du dernier témoignage de Jean‑Baptiste. Ce qui résulta de l’administration simultanée du baptême par Jésus et par son Précurseur, ce fut une discussion, c'est-à-dire une contestation assez vive entre les disciples de S. Jean d’une part et « un Juif » d’autre part. - La tournure entre les disciples semble signifier que les disciples du Précurseur furent les premiers à soulever la discussion. - Touchant la purification. Cette expression, souvent employée d’une manière générale par les Juifs pour désigner les ablutions et lustrations religieuses (cf. 2, 6), représente plus spécialement ici le baptême, dont elle relève le caractère symbolique. L’historien Josèphe emploie de même le verbe grec ϰαθαίρειν pour décrire le rite qui a valu au Précurseur le surnom de Baptiste. Le baptême qu’administraient de concert Jésus et S. Jean, telle fut donc la cause déterminante du litige : toutefois, on ne saurait déterminer le point précis du débat. Vraisemblablement, selon l’antique conjecture de S. Jean Chrysostome, le « Juif » s’était vanté d’avoir été baptisé par les disciples de Notre‑Seigneur, et ceux de S. Jean avaient riposté en affirmant que le baptême conféré par leur maître était meilleur, plus efficace : du moins ils recourent aussitôt à lui pour faire trancher la question.










Jean 3.26 Et ils vinrent trouver Jean et lui dirent : "Maître, celui qui était avec vous au-delà du Jourdain et à qui vous avez rendu témoignage, le voilà qui baptise et tous vont à lui." - Et lui dirent. Leur langage est vivant, tout à fait naturel. C’est bien ainsi que durent parler des disciples tendrement dévoués à leur maître, jaloux de sa gloire, peinés de voir un rival surgir tout à coup à ses côtés et lui enlever une partie de ses admirateurs. De pareils détails ne s’inventent guère. - Maître, est le titre respectueux qui était ordinairement conféré à Jean‑Baptiste comme à Jésus, cf. Luc. 3, 12. - Celui qui était avec vous Dans leur amer dépit, les amis du Précurseur ne daignent pas même appeler Jésus par son nom ; mais ils se servent, pour le désigner, de deux circonstances qui donnaient en apparence l’avantage à S. Jean relativement à lui. Première circonstance : « Celui qui était avec toi au‑delà du Jourdain » (à Béthanie ou Béthabara, cf. 1, 28-36). La formule est très expressive : c’est Jésus qui était avec Jean comme l’on est avec un personnage distingué, supérieur. Deuxième circonstance : A qui vous avez rendu témoignage : A toi donc il doit sa mission ; il ne serait rien sans toi. - Après ce contraste rapide, qui établit la supériorité du Précurseur, la conduite de Jésus, conduite non moins ingrate qu’illégitime dans la pensée des disciples, est exposée en deux mots énergiques : le voilà qu’il baptise. Il baptise. comme si ce n’était pas votre prérogative. de quel droit ose‑t‑il usurper vos fonctions ? - La passion éclate davantage encore dans la phrase finale : Et tous vont à lui. Il y a ici une exagération considérable ; mais la jalousie ne s’exprime pas autrement : les plus petits succès d’un rival lui semblent être des conquêtes gigantesques. Voilà donc la manière dont le rôle de Jean‑Baptiste a été compris par ses propres disciples. Comparez Matth. 9, 14, où nous retrouvons un certain nombre d’entre eux dans les mêmes sentiments.

Jean 3.27 Jean répondit : "Un homme ne peut prendre que ce qui lui a été donné du ciel." - Le Précurseur a d’abord présenté Jésus comme le souverain Juge (Matth. 3, 12 et parall.) ; puis il l’a manifesté comme la victime propitiatoire qui devait expier nos crimes (Jean 1, 36) : ici, il nous le montre sous les traits d’un époux mystique dont les noces avec l’Église vont bientôt se célébrer ; bien plus, sous les traits même du Fils de Dieu. - Jean répondit … Le Précurseur va leur rappeler magnifiquement son rôle subordonné. Deux parties dans cette belle et noble réponse : versets 27-30, Jésus et Jean‑Baptiste ; versets 31-36, Jésus et le monde. - Une idée générale sert d’introduction (verset 27) : Un homme ne peut rien … C’est la vérité bien connue, que la Providence gouverne toutes choses ; que, par suite, tout succès vient de Dieu (du ciel ; métonymie. Peut exprime une véritable impossibilité ; Rien ne permet pas une seule exception), cf. 21, 11, il existe des dires analogues des Rabbins. Mais à qui faut‑il appliquer ici ce principe ? A Jésus ou à Jean‑Baptiste ? Les exégètes ont été constamment divisés là-dessus. S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, Bisping, Watkins, Plummer, B. Weisse, etc., sont pour la première hypothèse ; S. Cyrille de Jérusalem, S. Augustin, Jansenius, Bengel, Lücke, A. Maier, Alford, etc., pour la seconde. Dites de Jésus, ces paroles signifient : Vous êtes attristés de son influence croissante ; mais le succès même qu’il obtient devrait plutôt vous démontrer que sa mission est divine. Appliquées au Précurseur, elles reviennent à la pensée suivante : Je ne saurais accepter la suprématie que souhaiterait pour moi votre faux zèle, car cela n’entre pas dans les desseins du ciel. La première interprétation nous paraît s’harmoniser mieux avec le contexte. Tous viennent à lui, s’étaient écriés les disciples (verset 26). Oui, répond leur maître, et c’est Dieu même qui le veut ainsi. Plusieurs exégètes (notamment Kuinoel, Luthardt, J. P. Lange, Westcott, M. Fouard) laissent le principe dans la généralité, sans distinguer entre Jésus, et Jean. Peut-être est‑ce encore ce qu’il y a de meilleur.

Jean 3.28 "Vous m'êtes vous-mêmes témoins que j'ai dit : je ne suis pas le Christ, mais j'ai été envoyé devant lui. - Après cette explication générale, Jean‑Baptiste répond d’une manière plus directe et plus détaillée à l’observation de ses disciples. D’abord, dans ce verset, « il leur répond en reprenant leurs propres arguments » (Maldonat). - Vous‑mêmes (avec insistance ; même vous, si jaloux de ma gloire) Vous m'êtes vous-mêmes témoins… Effectivement, ils venaient de rappeler le témoignage que S. Jean avait naguère rendu à N.-S. Jésus‑Christ . - Que j’ai dit : je ne suis pas le Christ. Le chap. 1, versets 19-28, nous a fait assister à cette grandiose scène d’humilité. - Mais j’ai été envoyé… Voyez 1, 30. La conjonction est récitative à la façon hébraïque. Comme ses disciples, le Précurseur désigne Jésus par un simple pronom devant lui, qui est en cet endroit d’un bel effet. - Certes, il n’était pas possible à S. Jean d’affirmer en termes plus exprès son infériorité par rapport au Sauveur. Envoyé en avant du Messie, il n’a évidemment qu’un rôle préparatoire, et, ceux qui se plaignent que Jésus abuse du témoignage rendu en sa faveur, devraient voir au contraire que ce même témoignage lui attribuait un rôle tout à fait prépondérant.



Jean 3.29 Celui qui a l'épouse est l'époux, mais l'ami de l'époux, qui se tient là et qui l'écoute, est ravi de joie à la voix de l'époux. Telle est ma joie, elle est parfaite. - Pour démontrer de plus en plus combien il est au‑dessous de Jésus, Jean‑Baptiste emploie une frappante comparaison, empruntée aux coutumes nuptiales des anciens Juifs, cf. Matth. 9, 15 et le commentaire. - Deux personnages distincts sont notés, l’époux et l’ami de l’époux. Ce dernier, ainsi nommé parce qu’on le choisissait parmi les amis les plus intimes, ne différait guère du paranymphe des Grecs. Il était chargé, les fiançailles une fois conclues, de transmettre aux futurs époux leurs messages réciproques, la coutume ne leur permettant pas de se voir avant le mariage ; il organisait la fête des noces et y présidait, etc. : fonctions regardées tout ensemble comme très honorables et très délicates. On l’appelait en hébreu schôschben, quelquefois ôheb, ami. - La conduite extérieure du schôschben et ses sentiments intérieurs sont décrits par quelques détails caractéristiques. Qui se tient là : il a pris l’attitude d’un serviteur zélé, prêt à l’action immédiate. - et qui l’écoute : il écoute attentivement, pour saisir et exécuter aussitôt les moindres ordres de l’époux (voyez d’autres interprétations dans Meyer, etc. ). - Est ravi de joie à la voix de l’époux Dès qu’il entend cette voix, signe de la présence de son heureux ami, il est lui‑même au comble du bonheur, sans la moindre arrière‑pensée d’envie ou d’égoïsme. Sur l’hébraïsme χαρᾷ χαίρει (se réjouit, avec répétition destinée à renforcer l’idée), cf. Matth. 13, 14 ; 15, 4 ; Luc. 22, 15 ; Actes 4. 17 ; 5, 28 ; 23, 14 ; Jacques 5, 17. C’est le seul exemple de ce genre qu’on trouve dans le quatrième évangile. - Telle est ma joie S. Jean s’applique maintenant à lui‑même sa belle comparaison. Telle est, s’écrie‑t‑il d’une manière emphatique, ma propre joie relativement à Jésus : c’est la joie qu’éprouve le paranymphe auprès du fiancé durant les solennités nuptiales. - Elle est parfaite : rien n’y manque ; elle est aussi parfaite que possible (en grec, verbe plein d’énergie). Sur cette locution, aimée de notre évangéliste, voyez 15, 11 ; 16, 24 ; 17, 13 ; 1 Jean 1, 4 ; 2 Jean 12. - Bossuet, dans ses Élévations sur les mystères, 24ème semaine, 1re élévation, relève admirablement la « suavité » de ce verset. « S. Jean, dit‑il, nous y découvre un nouveau caractère de Jésus‑Christ, le plus tendre et le plus doux de tous : c’est qu’il est l’époux. Il a épousé la nature humaine, qui lui était étrangère, il en a fait un même tout avec lui ; en elle il a épousé sa sainte Église, épouse immortelle qui n’a ni tache ni ride… Il a épousé les âmes saintes… ; les comblant de dons, de chastes délices ; jouissant d’elles, se donnant à elles ; leur donnant non seulement tout ce qu’il a, mais encore tout ce qu’il est, son corps, son âme, sa divinité, et leur préparant dans la vie future une union incomparablement plus grande ». « Nous devons au plus austère des prophètes, ajoute très bien M. Fouard, La vie de N.-S. Jésus‑Christ, 2e édit., tome 2, p. 234, les plus douces images sous lesquelles les âmes pieuses aiment à contempler Jésus, celles d’Agneau de Dieu (1, 29, 36) et d’Époux. » Au reste, déjà dans l’Ancien Testament, les rapports de Dieu et de la nation choisie avaient plus d’une fois comparés à ceux qu’établit le mariage, cf. Isaïe 54, 5 ; Ézéchiel 16 ; Osée 2, 19, 20, etc. Le Nouveau Testament applique plusieurs autres fois à Jésus cette image forte : Matth. 22, 1 et ss. ; 25, 1 et ss. ; Éphésiens 5. 32 ; Apocalypse 19, 7 ; 21, 2, 9, etc. Si Notre‑Seigneur est le divin fiancé de l’Église, S. Jean‑Baptiste fut vraiment un fidèle paranymphe, son ministère n’ayant eu d’autre but que de préparer la joyeuse fête des noces et de conduire l’époux à l’épouse, cf. 2 Corinthiens 11, 2. Les foules qui commençaient à se presser autour de Jésus (verset 26) étaient une annonce évidente du prochain mariage : la voix de l’époux avait retenti, et Jean l’avait entendue avec un indicible bonheur.



Jean 3.30 Il faut qu'il croisse et que je diminue. - A chacun son rôle (verset 27). Jésus est le Christ, je ne suis que son Précurseur (verset 28) ; il est l’époux, je ne suis que le paranymphe (verset 29). Par conséquent il doit croître, et je dois diminuer. Ces quelques lignes nous paraissent bien résumer la première partie de la réponse de Jean‑Baptiste. - Il faut exprime, d’après l’analogie d’autres nombreux passages, une nécessité basée sur les divins décrets qui, une fois portés, ne peuvent pas ne pas s’accomplir. Cette nécessité concerne tout à la fois Jésus et Jean ; pour l’un et l’autre elle fixe une marche progressive, mais en sens contraire, ainsi qu’il était arrivé jadis pour David et pour Saül, 2 Samuel 3, 1 : David allait se fortifiant et la maison de Saül allait s'affaiblissant. A l’un, des agradissements quotidiens ; à l’autre, des amoindrissements successifs. D’ailleurs rien de plus juste : le ministre du schôschben prend fin quand les noces ont été célébrées. - Ce passage est sublime d’humilité. S. Jean voit non seulement sans tristesse, sans l’ombre la plus légère de désappointement humain, mais avec une joie sincère et vive, son étoile pâlir à l’éclat du divin Soleil. Quel contraste avec les sentiments étroits et mesquins de son entourage. Voyez dans S. Augustin, h. l., une étrange interprétation de « croisse » et de « diminue ».

Jean 3.31 Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous, celui qui est de la terre est terrestre et son langage aussi. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, - Nous retrouvons ici la même hypothèse qu’à propos des versets 16-21. La fin entière du chapitre (versets 31-36) contiendrait encore des réflexions de l’évangéliste, soudées par lui à la réponse de Jean‑Baptiste. Des motifs analogues sont allégués : changement de style, aoristes (verset 33) ne pouvant s’appliquer que par une expérience plus tardive, révélations trop complètes (notamment le nom de Fils de Dieu, versets 35 et 36) pour qu’elles conviennent à la situation du Précurseur, etc. (Bengel, Olshausen, Tholuck, etc., et de nouveau les exégètes catholiques A. Maier, Bisping, Patrizi). Comme plus haut, nous protestons énergiquement, avec le plus grand nombre des exégètes anciens et modernes, contre cette division arbitraire, inutile, dangereuse. Les allures variées de style s’expliquent par les mouvements divers de la pensée ; l’expérience était suffisante ; les idées, toutes profondes qu’elles soient, ne sont nullement supérieures au rôle et à la mission de S. Jean‑Baptiste, car il en avait émis antérieurement d’aussi relevées (cf. 1, 15, 30 ; Matth. 3, 14-17) ; la cohésion entre ce passage et le précédent est parfaite, le Précurseur continuant d’exposer les motifs pour lesquels il est bien au‑dessous de Jésus. Non, ce n’est pas l’évangéliste qui prend tout à coup la parole sans avertir ses lecteurs ; c’est Jean‑Baptiste qui s’envole vers des hauteurs tout évangéliques. Que le narrateur, écrivant de longues années après les faits, ait mis çà et là le coloris de son propre langage, soit. Nous n’hésitons pas à l’admettre à la suite du Bienheureux Cardinal John Henry Newman ; c’est d’ailleurs une chose évidente pour quiconque rejette la théorie de l’inspiration verbale : mais cela n’empêche pas le fond et la forme du discours d’appartenir réellement à Jean‑Baptiste. Le commentaire, nous l’espérons, ajoutera une nouvelle force à ces arguments. - L’enchaînement des pensées peut être marqué de la manière suivante : verset 31, l'origine de Jésus ; vv. 32-34, la perfection de son enseignement ; v. 35 ; sa divine filiation et sa souveraineté universelle ; v. 36, application pratique d'une grande gravité. - Le v. 31 est très expressif. Il se compose de trois petites périodes, dont la première et la dernière affirment de la manière la plus explicite l’origine céleste de Jésus, par conséquent sa prééminence absolue, universelle ; la période intermédiaire concerne Jean‑Baptiste, auquel ne sont attribuées qu’une origine, une nature et des opérations terrestres. Nous avons donc ici un court, mais saisissant parallèle, entre le docteur céleste et le docteur terrestre. Quoique l’idée soit présentée en termes généraux, l’application se fait d’elle‑même à N.-S. Jésus‑Christ et à S. Jean. - Celui qui vient d’en haut (au présent). D’en haut, c'est-à-dire du ciel, comme nous lirons à la fin du verset, cf. verset 13. S. Cyrille de Jérusalem indique fort bien la vraie pensée par une rapide paraphrase : « Lui qui est né d'une racine céleste, lui qui est de la substance du Père ». Sur la dénomination de ἐρχόμενος (celui qui vient) appliquée au Messie par les Rabbins, voyez commentaire sur Matthieu, 11, 3. - Est au‑dessus de tous : il est, en vertu de son origine, au‑dessus de tous les hommes, et plus spécialement, d’après l’idée fournie par le contexte, au‑dessus de tous les autres docteurs, au‑dessus de Jean‑Baptiste lui‑même. - Celui qui est de la terre est terrestre. De la terre, par opposition à « d’en haut », aux régions supérieures du ciel. Donc : celui qui a une origine terrestre, qui est un simple enfant d’Adam, ou un homme ordinaire. - Deux conséquences de cette origine inférieure sont ensuite marquées. D’abord et nécessairement cet homme‑là est de la terre, expression qui n’est pas le moins du monde une tautologie ; car si les mots sont à peu près les mêmes extérieurement (le grec a une nuance légère), ils représentent en réalité deux notions distinctes, celle l’origine et celle de nature, la seconde étant conforme à la première. Comparez la locution analogue de S. Paul : « Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel ».  1 Corinthiens 15, 47. Voici donc l’interprétation exacte : Quiconque a tiré sa naissance de la terre en tire aussi sa manière de vivre, fût‑il, comme l’était Jean‑Baptiste, le plus grand « entre ceux qui sont nés d'une femme » (Matth. 11, 11). La formule εἶναι ἐϰ employée pour exprimer une relation morale, apparaît fréquemment dans les écrits de notre évangéliste, cf. 7, 17 ; 8, 23, 44, 47 ; 15, 19 ; 17, 14, 16 ; 18, 36, 37 ; 1 Jean 2, 16, 19, 21 ; 3, 8, 10, 12, 19 ; 4, 1-7 ; 5, 16 ; 3 Jean 11. - Deuxième conséquence non moins rigoureuse que la première : et son langage aussi. La terre est pareillement la source dont un tel homme tire sa façon de penser et de parler ; ses discours demeurent donc terrestres, s’il est livré à ses seules facultés. Pour qu’il puisse prononcer des paroles célestes, il faut que le souffle divin l’emporte vers des sphères supérieures, que la grâce et la révélation l’éclairent. « Jean, considéré en lui‑même, vient de la terre, et parle le langage de la terre, et s'il vous a fait entendre le langage du ciel, ce n'est pas de lui‑même, mais par un effet de la grâce qui l'a rempli de ses lumières », S. Augustin. Et, même quand il avait reçu ces illuminations divines, il ne pouvait parler des choses du ciel que d’une façon terrestre, si l‘on compare son enseignement à celui de Jésus. Certes aucun prophète n’a tenu un langage comparable au langage de Notre‑Seigneur. Seul, le Verbe incarné, qui connaît directement et par intuition les mystères célestes, a pu donner au monde la révélation complète, absolue. Notez le frappant effet des mots « de la terre » trois fois répétés coup sur coup, cf. 17 ; 12, 36 ; 15, 19. - Celui qui vient du ciel. Le contraste est complet. Jean n’a qu’une origine terrestre ; mais Jésus vient du ciel, et, à ce titre, est au‑dessus de tous, ainsi qu’il avait été déjà dit plus haut.



Jean 3.32 et ce qu'il a vu et entendu, il l'atteste, mais personne ne reçoit son témoignage. - De l’origine céleste de Jésus le Précurseur déduit la perfection de son enseignement. Voyez plus haut (verset 11) une idée tout à fait semblable émise par le Sauveur lui‑même. - Ce qu’il a vu et entendu C’est par les sens de la vue et de l’ouïe que nous acquérons la connaissance la plus immédiate et la plus sûre des choses ; aussi les témoins oculaires et auriculaires sont‑ils ceux que l’on croit le plus volontiers. Or dans le ciel, qui est, d’après le verset 13, le lieu de toute science, dans le ciel où il a éternellement résidé, Jésus a contemplé et entendu des merveilles admirables, qu’il n’a été donné à aucun homme de connaître, cf. 1, 18. - il l'atteste, c’est à dire il en témoigne. Le pronom est solennel : cela même, et pas autre chose, est l’objet de son témoignage. Voyez 5, 38 ; 6, 46 ; 7, 18 ; 8, 26 ; 10, 25 ; 15, 5 des constructions analogues, aimées de S. Jean. - Personne ne reçoit. Note pathétique, qui contraste avec la joie du verset 29. C’est une hyperbole, car le Précurseur lui‑même va supposer immédiatement (verset 33) que le témoignage de Jésus ne demeurait pas tout à fait stérile ; mais les croyants étaient en réalité si peu nombreux. Donc, « personne » relativement à l’énorme quantité de ceux qui demeuraient incrédules, et vu le zèle qu’avait Jean‑Baptiste de préparer au Messie « un peuple bien disposé », Luc. 1, 17. Comme le dit très délicatement Bengel, « Jean désire si ardemment la suprématie du Christ, qu'au lieu de dire tous (un mot utilisé par ses disciples, cf. v. 36) il dit personne. Dans le texte grec, le verbe implique le maintien de ce qu’on a reçu, par opposition à la réception pure et simple, sans idée ultérieure. La locution « recevoir le témoignage » est d’ailleurs propre à notre évangéliste, cf. versets 11, 33 ; verset 34 ; 1 Jean 5, 9.



Jean 3.33 Celui qui reçoit son témoignage, certifie que Dieu est véridique. - Son témoignage : le pronom est placé en avant par emphase et mis en corrélation avec « Dieu ». - Certifie est une belle métaphore, empruntée à l’antique usage d’apposer son cachet sur un document d’une certaine importance, pour le confirmer, l’authentifier, cf. 6, 27 ; Romains 4, 11 ; 15, 8 ; 1 Corinthiens 9, 2. Quiconque accepte le témoignage de Jésus scelle donc pour ainsi dire solennellement de son sceau cette conséquence manifeste, que Dieu est véridique ; c'est-à-dire que Dieu est la vérité même et la source de toute vérité. En effet, N.-S. Jésus‑Christ s’étant présenté au monde avec tous les caractères d’un envoyé de Dieu, du Fils de Dieu, croire à sa véracité, c’est croire à la véracité de Celui qu’il représente. Ces deux choses sont inséparables. Aussi l’auteur du quatrième évangile pourra‑t‑il affirmer autre part (1 Jean 1, 10 ; 5, 10) que, ne pas recevoir le témoignage de Jésus, c’est faire de Dieu un menteur.



Jean 3.34 Car celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce que Dieu ne lui donne pas l'Esprit avec mesure. - Car celui que … Ce premier hémistiche contient une démonstration du fait attesté au verset 33. « Celui qui », d’après le contexte (cf. verset 31), désigne Jésus‑Christ d’une manière exclusive : ce n’est pas une idée générale qui est énoncée, telle que serait la communication du divin langage à tous les prophètes, etc. - Dit les paroles de Dieu. Dans le grec : les paroles de Dieu sans aucune restriction. Comparez Deutéronome 18, 18, où le Seigneur dit expressément du Messie : « Je mettrai mes paroles dans sa bouche. » - Parce Dieu ne lui donne pas Un nouveau « car » (ou « parce que ») rattache le second hémistiche au premier ; le Précurseur veut expliquer pourquoi Jésus, l’envoyé de Dieu, peut parler à son aise des choses de Dieu : c’est que Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure. Belle et forte image. Ici encore la pensée, générale dans son expression, est limitée à N.-S. Jésus‑Christ par le contexte. A ses autres représentants, Dieu répartit ses dons avec mesure ; il ne leur donne son Esprit que partiellement, dans un but spécial et restreint. « À celui‑ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles... » etc. (1 Corinthiens 12, 7-11 ; comparez ce mot du Talmud, Vajikra R. 15 : « Même l'Esprit saint n'a pas habité les prophètes sans une certaine mesure »). Quant à son Christ, « Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude » Colossiens 1, 19, cf. Isaïe 11, 1-3. Lorsqu’on mesure ce que l’on veut donner, c’est qu’on met des bornes à sa générosité (cf. Judith 7, 11). La locution pas avec mesure est donc une litote expressive, pour signifier « non avec parcimonie », et conséquemment « très abondamment ». Le temps présent donne renforce la pensée en marquant la continuité : il donne et donne encore.



Jean 3.35 Le Père aime le Fils et il lui a tout remis entre les mains. - Le Père aime le Fils. Le discours s’élève de plus en plus. Après avoir désigné Jésus par des noms qui déterminaient moins parfaitement sa nature (« l'époux, qui vient d'en haut, qui vient du ciel, que Dieu a envoyé »), S. Jean‑Baptiste mentionne la véritable appellation, celle de Fils, et de Fils bien‑aimé du Père, cf. 5, 20. Ce titre contient la clé de tous les détails antérieurs. Si les relations de Jésus avec Dieu sont celles d’un fils avec son père, on conçoit qu’il ait reçu la plénitude des dons célestes. Au reste, cela est encore répété ici même par manière de conclusion : et lui a tout remis entre les mains. « Toutes choses », sans la moindre exception, cf. 13, 3 ; Math. 11, 27 ; 28, 18 ; Éphésiens 1, 2. « Il lui a donné » : c’est un fait accompli, sur lequel Dieu ne reviendra plus. « Entre les mains » : expression pittoresque, qui manifeste admirablement l’étendue des pouvoirs de Jésus ; il dispose de tout à son gré, comme un propriétaire. Voyez le Psaume 2, dont ce passage est un excellent abrégé.












Jean 3.36 Celui qui croit au Fils a la vie éternelle, mais celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui." - Le Précurseur termine son témoignage en tirant la conséquence pratique de tout ce qu’il vient de dire. Si Jésus est tant aimé de Dieu et muni d’une telle puissance, heureux quiconque adhère à lui par la foi, malheur à ceux qui refusent de croire. - Celui qui croit : dans le texte grec la construction indique une foi durable, permanente. - Au Fils, avec l’article : le Fils par antonomase (de même plus bas, et au verset 35). - Tout homme qui remplit cette condition a la vie éternelle. Notez le temps présent (cf. verset 18) ; il a déjà, il a par anticipation ; sa foi lui garantit le ciel. - Celui qui… Douloureux contraste, sur lequel S. Jean‑Baptiste appuie davantage, dans l’intention évidente de ramener à de meilleurs sentiments ceux de ses disciples qu’il voyait incrédules à l’égard de N.-S. Jésus‑Christ. - Ne croit pas. Dans le grec, littéralement : celui qui désobéit. Ce mot, qu’on retrouve Romains 2, 8 ; 11, 30, 31 ; 1 Pierre 4, 17, etc., montre fort bien que tout incrédule est un réfractaire. Ne verra pas la vie. Hébraïsme (cf. Luc. 2, 26), significatif en cet endroit. Non seulement il ne possédera pas la vie bienheureuse de l’éternité ; mais il ne lui sera pas même permis de la voir. - Mais la colère de Dieu demeure sur lui. Le présent est aussi terrible qu’il était doux plus haut : la phrase entière, majestueuse comme la sentence d’un juge suprême, équivaut à l’épithète « éternelle » de l’hémistiche précédent. On comprend, du reste, que Dieu écrase éternellement du poids de sa colère ceux qui ne veulent pas croire en son Fils bien‑aimé, cf. Ps. 2, 12-13. Comparez, à propos de cet anthropomorphisme, Matth. 3, 7 ; Luc. 3, 7 ; 21, 23 ; Romains 2, 5 ; Éphésiens 5, 6 ; Colossiens 3, 6 ; 1 Thessaloniciens 1, 10 ; 2, 16 ; Apocalypse 11, 18 ; 14, 10 ; etc., indépendamment des nombreux textes de l’Ancien Testament qui parlent de Dieu irrité. - Après cette effrayante menace, le Précurseur disparaît tout à coup de la scène du quatrième évangile. Il finit ainsi son ministère comme il l’avait commencé, en relevant le caractère judiciaire du Messie, cf. Matth. 3, 12.



CHAPITRE 4



Jean 4.1 Quand le Seigneur connut que les Pharisiens avaient appris que Jésus faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean, - Nous sommes ramenés vers le milieu du précédent chapitre, 3, 22-26. Plusieurs exégètes (même protestants), alléguant l'opposition qui semble, de prime abord, avoir été établie par l'écrivain sacré entre le verbe su et la locution avaient appris, pensent qu'il s'agit ici d'une connaissance miraculeuse (cf. 2, 25) ; toutefois, comme rien, dans le texte, ne signale directement un effet surnaturel, il est possible aussi que Jésus ait été averti par ses amis des craintes qu'il inspirait aux Pharisiens. A la place des mots ὁ Ἰησοῦς admis dans le texte par Tischendorf (dernière édition) sur le témoignage des manuscrits, de la Vulgate, d'Origène, etc…, il est probable qu'il faut lire ὁ ϰύριος (Seigneur) avec la Recepta, d'après A, B, C, L, T, etc. Ce noble titre est assez rarement donné à Jésus avant sa résurrection, si ce n'est dans le troisième évangile (Luc 10, 1 ; 11, 39 ; 12, 42 ; 17, 5, 6 etc.). Comp. pourtant Jean 6, 23 ; 11, 2. - Le motif pour lequel Notre‑Seigneur va changer tout à coup de résidence est clairement indiqué dans ce passage. Les Pharisiens, ce parti si remuant, si puissant du Judaïsme, ces farouches zélotes sous le rapport religieux, ont appris à leur tour la nouvelle qui avait causé tant de peine aux disciples du Précurseur (3, 25-26) ; et voici que leur jalousie contre Jésus est pareillement excitée de la façon la plus vive. Déjà ils s'étaient inquiétés de S. Jean et de son baptême (1, 19 et ss.) ; à plus forte raison durent‑ils se troubler de la popularité rapide de Jésus, soit parce qu'ils le connaissaient moins, soit parce qu'ils redoutaient ses réformes (cf. 2, 14 et ss.), soit parce qu'il ajoutait l'autorité des miracles à celle de ses discours, etc. Ils manifestaient sans doute par de violentes paroles leur haine et leur envie. - Plus de disciples. C'était beaucoup dire, vu le concours énorme qui s'était fait durant des mois entiers autour de S. Jean‑Baptiste, cf. Matth. 3, 5 et les passages parallèles. - Les verbes faisait et baptisait sont expressifs et pittoresques : ils indiquent des actions réitérées. Peut-être faut‑il regarder la phrase comme une reproduction littérale de la nouvelle, telle qu'elle fut apportée aux Pharisiens. La répétition du sujet (« Jésus ») est un fondement sérieux pour cette hypothèse. Voyez, Galates 1, 23, une citation analogue.



Jean 4.2 toutefois ce n'était pas Jésus lui-même qui baptisait mais ses disciples, - La parenthèse que l'on trouve ici dans la plupart des éditions grecques et latines est tout à fait inutile, puisque la phrase continue régulièrement et même élégamment son cours. L'équivalent grec n'apparaît qu'en cet endroit du Nouveau Testament. - Toutefois ce n'était pas Jésus lui-même qui baptisait. Voyez 3, 22, et le commentaire. Nonnus, dans sa paraphrase, exprime d'une manière concise et énergique le motif pour lequel Jésus ne conférait pas personnellement le baptême. Tertullien, De Bapt., c. 11, avait déjà développé la même pensée en disant que, ce baptême n'étant encore que préparatoire, il ne convenait pas à Notre Seigneur de l'administrer.





Jean 4.3 Il quitta la Judée et s'en alla de nouveau en Galilée. - Quitta. Expression forte et pittoresque ; littér. « il laissa aller ». Le départ du Sauveur fut immédiat, ainsi qu'il résulte du contexte. Nous verrons souvent, dans l’Évangile, Jésus‑Christ se retirer ainsi devant ses ennemis, tant que son « heure », comme il l'appelle, ne sera pas venue. Comp. 7, 1 ; 10, 39 et 40 ; 11, 54, etc. Lorsqu'un terrain a cessé d'être propice à son ministère, ou est devenu dangereux pour sa personne, il l'abandonne lui‑même et s'en va en d'autres parages, pratiquant ainsi la recommandation qu'il fit un jour à ses apôtres (Matth. 10, 23). - Et s'en alla de nouveau. Notre évangéliste avait mentionné plus haut, 1, 43, un premier retour de Jésus en Galilée ; il en signale maintenant un second avec son exactitude habituelle, en vue de compléter la narration des synoptiques. En effet, il est tout à fait vraisemblable que le voyage de Notre‑Seigneur raconté ici par S. Jean ne diffère en rien de celui qu'on lit dans S. Matth., 4, 12, dans S. Marc, 1, 14-15, et dans S. Luc, 4, 14-15. - En Galilée. En combinant les quatre récits sacrés, on voit que deux raisons s'unirent pour éloigner Notre‑Seigneur de Jérusalem et de la Judée, où régnaient en maîtres des hiérarques jaloux, et pour le conduire dans la tranquille Galilée : 1° S. Jean‑Baptiste ayant été incarcéré par Hérode Antipas, le ministère de Jésus allait commencer ; 2° ce ministère, qui eût été alors infructueux aux alentours de la capitale juive, devait pour un temps réussir à merveille chez les bons Galiléens.



Jean 4.4 Or, il lui fallait passer par la Samarie. Note géographique qui, de l'occasion générale du récit, nous conduit à l'occasion particulière (v. 5 et 6). Il pourrait bien avoir ici, comme en d'autres passages des évangiles, une signification intime et mystique, relative au plan divin. « Il fallait » que Jésus traversât la Samarie, pour exécuter les desseins miséricordieux de son Père sur les habitants de Sichar. Il est cependant beaucoup plus naturel de s'en tenir au sens immédiat des termes. Étant, ainsi qu'on l'a dit fort justement, serrée comme un îlot entre les deux grandes provinces du Judaïsme (la Judée et la Galilée), la Samarie formait en Palestine une espèce d'enclave : aussi, dans l'hypothèse où Jésus prendrait le chemin le plus court pour aller de Judée en Galilée, « il fallait » bien passer par la Samarie. L'historien Josèphe emploie la même expression dans des circonstances analogues. « Ceux qui voulaient, dit‑il, Vita, § 52, aller rapidement (de la Galilée à Jérusalem), devaient nécessairement traverser la Samarie. » Antiquités Judaïques 20, 6, 1. Cette province, la plus petite des quatre qui composaient la Palestine au temps de Notre‑Seigneur, était bornée au N. par le Carmel et la plaine d'Esdrelon, à l'E. par le Jourdain, à l'O. par la Méditerranée, au S. par les anciennes frontières septentrionales de la tribu de Benjamin. Elle englobait donc les territoires qui avaient autrefois appartenu à la tribu d'Éphraïm et à la demi‑tribu (cis‑jordanienne) de Manassé. Josèphe en décrit la physionomie dans les termes suivants : « Le caractère de la Samarie ne diffère pas de celui de la Judée. L'une et l'autre, elles abondent en montagnes et en plaines, et conviennent fort bien pour l'agriculture, sont fertiles, boisées et remplies de fruits soit sauvages, soit cultivés. Elles ont peu de cours d'eau, mais il y tombe beaucoup de pluie. Les sources ont un goût extrêmement agréable, et, grâce à la quantité comme à la qualité du fourrage, le bétail y donne plus de lait que partout ailleurs. La meilleure preuve de leur richesse et de leur fécondité, c'est qu'elles sont toutes deux très peuplées. » Guerre des Juifs 3, 3, 4.



Jean 4.5 Il vint donc en une ville de Samarie, nommée Sichar, près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. - Ces mots introduisent l'occasion particulière, qui est admirablement décrite avec les plus minutieuses circonstances de lieu et de temps. Littéral. « en une ville de la Samarie ». La préposition en a ici, comme en d'autres endroits, le sens de « auprès de ». Jésus en effet n'entra que plus tard dans la ville (v. 40, cf. v. 8). - Nommée Sichar. (Les manuscrits grecs varient entre Συχάρ et Σιχάρ : la première leçon paraît devoir être préférée). Ce nom, qu'on ne rencontre en aucun autre passage de la Bible, a de tous temps divisé les commentateurs et les palestinologues. Désigne‑t‑il l'antique Sichem, ou une localité voisine ? Tel est le point litigieux. S. Jérôme tranchait déjà la difficulté en faveur de Sichem, le mot Sichar n'étant, selon lui, qu'une faute de copiste : toutefois le motif allégué n'est pas valable. Les partisans de l'identification, et ils ont toujours été très nombreux (citons parmi les plus récents Lücke, Hilgenfeld, Olshausen, Furrer, Porter, V. Guérin, etc.), expliquent de deux manières le changement de Sichem en Sichar. Suivant les uns, cette substitution aurait été faite à dessein et malicieusement par les Juifs, quelque temps avant l'époque de Notre‑Seigneur, en haine des Samaritains : Sichar serait donc un sobriquet populaire, rattaché soit au mot mensonge, et à un texte d'Habacuc, 2, 18, comme l'a pensé Reland, soit au substantif ivrogne, et à un passage d'Isaïe, 27, 1, d'après Lightfoot, etc. Comparez Béthel devenant Beth‑aven par suite d'une ironie semblable (Osée, 10, 5), Achan transformé en Achar (1 Chroniques 2, 7), et, chez les Latins ou chez les Grecs, Vigilantius appelé Dormitantius, Ephiphanès nommé Epimanès, etc. Il est à remarquer néanmoins que le Talmud, qui contient tant de bons mots, tant d'histoires contre les Samaritains, est complètement muet sur ce point ; que S. Étienne, dans son discours (Actes 7, 16), emploie la dénomination ordinaire de Sichem ; enfin, que l'évangéliste aurait difficilement adopté le sobriquet de préférence au véritable nom. D'autres auteurs ont donc simplement supposé que le changement en question serait une « variation dialectique » opérée peu à peu, et analogue à bar dérivé de ben (fils), à Béliar pour Bélial, à Nebucadrézar pour Nebucadnézar (Nabuchodonosor), etc. - Les auteurs qui distinguent Sichem de Sichar (entre autres Hug, Meyer, Delitzch, Caspari, Klofutar, etc.) appuient leur opinion sur des preuves auxquelles on ne saurait refuser l'épithète de plausibles. Ils allèguent : 1. L'autorité de l'évangéliste, qui, non seulement appelle la ville « Sichar », mais qui semble indiquer de plus qu'il avait en vue une localité obscure. Eût‑il songé à désigner ainsi une cité aussi antique et aussi connue que Sichem ? 2. Le témoignage de plusieurs anciens écrivains, notamment d'Eusèbe (Onomasticon, aux mots Sichar et Luza), du pèlerin de Bordeaux (Itinerar. Hierosol, édit. Wessel. p. 587), plus tard d'Arculf et de Phocas, qui distinguent très nettement Sichar de Sichem (ou de Naplouse, comme on l'appelait aussi). 3. La topographie. Naplouse (de Neapolis), bâtie sur l'emplacement de l'ancienne Sichem, est à une demi‑heure environ du puits de Jacob ; au contraire, à dix ou douze minutes et au nord du même puits, se trouve le village d'Askar, dont le nom a certainement une grande analogie avec Συχάρ : aussi, des géographes n'hésitent‑ils pas à identifier les deux localités. Nous admettons aussi cette seconde opinion, sans vouloir cependant affirmer sa parfaite certitude ; elle nous a semblé du moins plus probable. Le mot ville ne désigne pas nécessairement une ville considérable, cf. 11, 54 ; Matth., 2, 23. - Que Jacob avait donné à son fils. Ce don spécial, fait par Jacob au plus aimé de ses douze fils, n'est pas mentionné directement ailleurs ; mais il est en parfaite harmonie avec plusieurs notes consignées dans les premiers livres de l'Ancien Testament. Genèse, 33, 18-20, nous lisons : « Venant de Paddane‑Aram, Jacob arriva sain et sauf à la ville de Sichem, au pays de Canaan, et il campa en face de la ville. Pour cent pièces d’argent, il acheta aux fils de Hamor, père de Sichem, la parcelle de champ où il avait dressé sa tente. Là, il érigea un autel qu’il appela El, Dieu d’Israël ». Et un peu plus loin, Genèse 48, 21-22 : «  21 Israël dit à Joseph : Voici que je vais mourir. Mais Dieu sera avec vous, et il vous ramènera dans le pays de vos pères. 22 Je te donne, de plus qu'à tes frères, une portion que j'ai prise de la main des Amorrhéens avec mon épée et mon arc. ». Enfin, au livre de Josué, 24, 32 : « Quant aux ossements de Joseph, que les fils d’Israël avaient emportés d’Égypte, on les ensevelit à Sichem, dans la parcelle du champ que Jacob avait acheté pour cent pièces d’argent aux fils de Hamor, père de Sichem. Ils devinrent un héritage pour les fils de Joseph. Comp. Josué 16, où l'on voit en effet que le pays de Sichem devint la part des Éphraïmites, descendants de Joseph, quand la Terre promise fut divisée entre les tribus israélites. On conçoit que Jacob ait voulu attribuer au plus cher de ses fils le lieu qui avait été en quelque sorte le premier sanctuaire de la théocratie : car c'est à Sichem qu'Abraham avait érigé pour la première fois un autel au Dieu de la promesse et de la révélation, cf. Genèse 12, 6-7. Rien de plus fertile, du reste, que ce district magnifique. Voyez l'explication du verset 35. Les voyageurs décrivent le « val du campement » (Ouadi el Moknah), comme l'appellent les Arabes, c'est-à-dire, la riante vallée qu'enserrent à l'E. une série de collines, au N. le mont Ebal, à l'O. le Garizim. La nudité presque entière des montagnes ne fait que mieux ressortir la verdure éclatante de la plaine, entretenue par des sources nombreuses, abondantes et intarissables. « On avance à l'ombre du feuillage, le long d'eaux vives, charmé par les mélodies d'une multitude d'oiseaux », Van de Velde, Reise durch Syrien, t. 1, p. 291. C'est « comme une scène d'enchantement féerique ; nous n'avons rien vu de comparable dans toute la Palestine ». Robinson, Palaestina, t. 3, p. 315. - Entre le village d'Askar et la fontaine de Jacob se trouve le tombeau de Joseph, humble monument à demi ruiné, mais objet d'une grande vénération dans le pays.



Jean 4.6 Or, là était le puits de Jacob. Jésus fatigué de la route, s'assit au bord du puits, il était environ la sixième heure. - Là était le puits de Jacob. Le grec porte également source ; dans les versets 11 et 12 nous lisons puits. S. Augustin explique fort bien la différence de ces deux expressions : « tout puits est une fontaine ; mais toute fontaine n’est pas un puits. Car dès qu’une eau sort de terre et qu’on la puise pour en faire usage, on l’appelle une fontaine ; toutefois, s’il est facile de la voir et qu’elle se trouve à la surface de la terre, elle s’appelle simplement une fontaine. Si, au contraire, elle se voit dans les profondeurs de la terre, on l’appelle un puits, bien qu’alors le nom de fontaine puisse encore lui convenir », Traités sur l'évangile de Jean, 15. La fontaine de Jacob était donc tout ensemble, d'après cette définition, un puits et une source. Les deux noms subsistent encore dans la dénomination populaire : Aïn-Yakoub, « source de Jacob », ou Bîr el Yakoub, « puits de Jacob ». Une église fut construite de bonne heure au‑dessus de cette fontaine célèbre (on la mentionne dès le 4ème siècle) ; mais elle était déjà en ruine à l'époque des croisades. Le puits est donc en plein air, comme au jour où nous transporte le sublime récit de l'évangile ; de sorte que, pour ce qui concerne le décor extérieur, la scène s'est à peine modifiée dans le long intervalle des âges. Fait bien rare dans l'histoire des saints Lieux, c'est avec une remarquable unanimité que les palestinologues anciens et modernes, que les Samaritains, les Juifs, les musulmans, les chrétiens de toute dénomination, que les touristes protestants ou rationalistes les plus sceptiques, reconnaissent l'authenticité de cet emplacement : elle ne saurait être contestée. Le puits de Jacob n'est cependant pas signalé dans la Genèse, et, d'autre part, il existe tout autour de nombreuses sources d'eau vive. Mais, chacun sait que c'était la coutume des patriarches de creuser des puits qui leur appartenaient en propre (voyez, pour Abraham, Genèse 21, 25 et ss. ; pour Isaac, Genèse 26, 18, 32), et, dans ces contrées souvent arides, où l'élevage du bétail jouait autrefois un si grand rôle, l'usage d'une source était souvent loin d'être libre, surtout pour des étrangers : rien de plus naturel, par conséquent, que Jacob ait voulu assurer son indépendance sous ce rapport. L'orifice du puits n'est pas visible extérieurement : on y arrive à travers les ruines d'une ancienne église et par une voûte encore bien conservée. Le diamètre est d'environ 2 m. 30 ; la forme générale, celle d'un cylindre. La profondeur, qui était de 32 mètres quand Maundrell la mesura (en 1697), n'atteignait plus au XIXème siècle que 23 mètres. Les décombres qui s'accumulent et les pierres jetées par chaque voyageur ont produit peu à peu cette différence de niveau. Le puits est habituellement à sec : la source, en partie obstruée, s'écoule sans doute ailleurs. La partie supérieure, creusée dans une sorte de tuf, porte un revêtement de grossière maçonnerie ; on n'a pas encore reconnu la nature du terrain qui est à la base. - 2° La personne, Jésus. La fontaine étant située sur le grand chemin de communication qui unit la Judée à la Galilée, il était tout naturel que Jésus la rencontrât. - Fatigué de la route, cf. Exode 2, 15, un trait parallèle dans la vie de Moïse. N.-S. Jésus‑Christ avait adopté notre nature humaine avec toutes ses faiblesses ; une longue et pénible marche à travers les montagnes d'Éphraïm l'avait donc épuisé. Il est possible, comme on l'a conjecturé, qu'il fût parti de grand matin de Khân Lubban. Rien de plus touchant que ce simple détail ; aussi, dans l'office des morts, l’Église le rappelle‑t‑elle au Sauveur pour susciter sa miséricorde : « En me cherchant, vous vous êtes assis de fatigue » - s’assit au bord du puits. Trouvant l'endroit favorable, il s'assit, tel qu'il était, sans ostentation, seul, ... désireux de se reposer de sa grande fatigue. Le caractère sociable et aimable de la vie de Jésus mérite notre admiration. Cette note indique évidemment le témoin oculaire. Remarquez l'imparfait : Jésus était dans la situation décrite, au moment où ses disciples le quittèrent (v. 8), au moment où la Samaritaine arriva auprès de lui. - 3° La circonstance de temps. Rien ne manque à la scène, pas même le moment précis. Pas plus qu'au chap. 1, v. 39, nous ne sommes autorisés à croire que S. Jean marque les heures à la façon des Romains. Son système de numération est celui des Juifs, et celui des trois autres évangélistes : la sixième heure équivaut par conséquent à midi, non à six heures du matin, ou du soir. En Orient, les voyageurs ont toujours eu la coutume de s'arrêter au milieu du jour pour se reposer et prendre leur repas : la halte a lieu autant que possible auprès d'une fontaine, comme c'est actuellement le cas.













Jean 4.7 Une femme de Samarie vint puiser de l'eau. - Le calme et la solitude qui régnaient autour de Jésus sont tout à coup troublés. La Samarie peut désigner la province, comme aux versets 4 et 5 : ces mots sont donc synonymes de la Samaritaine du v. 9. La ville de Samarie, à laquelle d'anciens exégètes ont songé, était à deux heures de là, dans la direction du Nord. - Puiser de l’eau. Cette femme s'en venait, la cruche sur la tête ou sur l'épaule, chercher sa provision d'eau à la fontaine de Jacob. Pourquoi si loin, puisqu'il y avait, à Sichar même, d'excellentes sources ? Pourquoi à une heure si incommode et si inhabituelle ? C'est en effet le matin que les femmes orientales vont d'ordinaire à la fontaine, comme autrefois Rébecca, Genèse 24, 11. Mais il est évident, d'après le v. 12, qu'elle avait une dévotion spéciale pour le puits de Jacob ; d'un autre côté, sa situation irrégulière (v. 16-20) n'était‑elle pas un motif suffisant pour elle de venir à la fontaine précisément quand elle espérait n'y rencontrer personne ? Enfin combien de motifs imprévus de renouveler la provision d'eau dans un ménage ? Ce sont les rationalistes qui nous obligent d'entrer dans ces minutieux détails, car ils les ont signalés pour attaquer l'authenticité du récit. Les préliminaires ont pris fin : S. Jean les a retracés en véritable artiste. Bien des peintres ont dessiné après lui Jésus et la Samaritaine tels que nous les avons vus s'aborder ; mais il n'a été égalé ni par Philippe de Champagne, ni par Garofolo, ni par Giorgione, ni par le Titien, etc, cf. Rohault de Fleury. L’Évangile, études iconographiq. et archéologiq. t. 1, p. 232 et ss. - Jésus lui dit. « La femme vint au puits, dit S. Augustin, Serm. 93, et trouva une fontaine qu'elle n'espérait pas ». Mais celui qui devait lui procurer ces eaux vives et jaillissant pour la vie éternelle (v. 13 et 14), commence par lui demander d'abord à elle‑même quelques gouttes de l'eau fraîche et naturelle dont elle avait sans doute déjà rempli sa cruche. Faveur fréquemment implorée en Orient auprès des fontaines par les voyageurs altérés, et bien rarement refusée. Il faut prendre à la lettre les mots : Donne‑moi à boire. Jésus était réellement altéré par suite de sa longue marche. Nous pouvons néanmoins ajouter mystiquement avec S. Augustin : « Celui qui lui demandait à boire avait soif de la foi de cette femme ». C'est par ces termes d'une extrême simplicité que s'engage l'un des plus sublimes dialogues évangéliques ! Le Maître rattache, suivant sa coutume, une leçon toute céleste à un évènement banal. Plus haut (2, 1-21) nous l'avons vu s'entretenir avec un sage d'Israël, membre du Sanhédrin juif ; ici, c'est une femme du peuple, une pécheresse qu'il instruit. Quelle différence dans les interlocuteurs ! Il y a aussi une grande différence dans les choses qui leur sont révélées, dans le fond du sujet ; et pourtant c'est bien la même méthode générale d'enseignement, ce sont des procédés pédagogiques analogues. De part et d'autre Jésus profite des circonstances immédiates, il passe admirablement du naturel au surnaturel, il se contente de répéter des paroles incomprises afin de susciter ainsi l'attention et la foi, il essaie de toucher après avoir convaincu, etc. Modèle tout divin de la manière dont le prêtre doit s'adresser aux âmes pour susciter le foi chez elles. Pour d'autres rapports de N.S. Jésus‑Christ avec les femmes, mentionnés çà et là dans les saints Évangiles, voyez Matth. 9, 20 et parall. ; 15, 22 et parall. ; 27, 55 et parall. ; 28, 9-10 ; Luc. 8, 2-3 ; 10, 38 et ss. ; 11, 27-28 ; 13, 11 et ss. ; Jean 11 ; 20, 14 et ss.











Jean 4.8 Jésus lui dit : "Donnez-moi à boire" car ses disciples étaient allés à la ville pour acheter des vivres. - Note rétrospective du narrateur, pour mieux déterminer encore la situation : le dialogue se passa sans témoins. S. Jean veut expliquer en outre la requête adressée par Jésus à la Samaritaine. Les disciples étant tous allés à la ville, Notre‑Seigneur n'a rien pour puiser dans ce puits profond l'eau dont il a besoin. Ils ont en effet emporté avec eux l' ἄντλημα (cf. v. 11 et l'explication).



Jean 4.9 La femme samaritaine lui dit : "Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis Samaritaine ?" Les Juifs, en effet, n'ont pas de relations avec les Samaritains. - Par ces paroles, la Samaritaine n'oppose pas un refus formel à la demande du Sauveur, ainsi qu'on l'a quelquefois prétendu, mais elle manifeste un grand étonnement. - Vous, qui êtes Juif. Le costume de Jésus, ou mieux encore son accent, avait suffi pour trahir sa nationalité. Il avait seulement prononcé quelques mots (v. 7) ; mais il n'en fallait pas davantage, car ils contenaient la lettre caractéristique sch, qui, pour les Samaritains d'alors comme pour les anciens Éphraïmistes (cf. Juges 12, 5, 6), équivalait sans doute à la simple sifflante s. La finesse d'observation a toujours été renommée chez les femmes. - À moi qui suis Samaritaine. Une femme, et, en outre, une femme de Samarie. Remarquez l'opposition parfaite qui règne entre ces expressions et celles qui précèdent. - Les Juifs en effet… Phrase certainement authentique, quoiqu'elle ait été omise par le Cod. Sinait. Plusieurs exégètes supposent qu'elle fut prononcée, comme les paroles précédentes par la Samaritaine ; mais on la regarde plus communément et plus justement comme une note explicative, ajoutée par l'évangéliste pour ses lecteurs issus issu du paganisme. Le verbe συγχρῶνται (être en relation) n'apparaît en aucun autre endroit du Nouveau Testament : il désigne des relations amicales, familières, et pas seulement un commerce quelconque, cf. v. 8. D'ailleurs, rien n'est mieux démontré que l'antagonisme national auquel cette remarque fait allusion : on en trouve des traces manifestes soit dans l'Ancien Testament, soit dans les récits évangéliques, soit dans le Talmud, soit dans les récits de l'historien F. Josèphe. Son origine remonte à la formation même du peuple samaritain, racontée au 2ème livre des Rois, chap. 17. Après avoir dépeuplé l'ancien royaume d'Israël, en déportant dans les lointaines provinces de l'Assyrie ceux des habitants que la guerre et la misère avaient épargnés, Salmanasar songea à lui donner une population nouvelle. Pour cela, dit le texte sacré, « il fit venir des habitants de Babylone, et de Cutha, et de Avath, et de Emath, et de Sepharvaim, et il les établit dans les villes de Samarie à la place des enfants d'Israël. Ces peuples possédèrent la Samarie, et habitèrent dans les villes » (v. 24). C'était là, naturellement, une origine toute païenne ; et, quoiqu'elle se fût convertie plus tard (d'une manière plus ou moins parfaite, il est vrai) au culte de Dieu, les Juifs ne lui pardonnèrent jamais ce vice originaire. Aussi quand, après le retour d'exil, elle offrit à Zorobabel de coopérer au rétablissement du Temple, sa demande fut‑elle ignominieusement rejetée (Esdras 4). Indignés de cet affront, les Néo‑Samaritains mirent tout en œuvre pour ruiner la colonie naissante, et il y eut dès lors entre eux et les Juifs une haine irréconciliable. « Il est deux nations que mon âme abhorre, lisons‑nous dans l'Ecclésiastique (50, 25 et 26, d'après le texte grec), et la troisième n'est pas même une nation : ceux qui sont établis sur la montagne de Samarie, les Philistins, et la folle populace qui habite à Sichem". Cette haine reçut encore un aliment nouveau lorsque le prêtre Manassé, expulsé de Jérusalem par Néhémie parce qu'il avait contracté un mariage illicite, vint se réfugier chez les Samaritains (vers 400 av. J.-C.), et les aida à construire sur le mont Garizim un temple considérable. Il y eut dès lors autel contre autel, et ce furent, des deux parts, vexations et représailles sans cesse réitérées. Comp., comme trait spécial dans la vie de Jésus, Luc, 9, 52 et ss. De là le nom de Samaritain employé par les Juifs comme une sanglante injure, Jean 8, 48 ; de là ces malédictions solennelles dont les « Cuthéens » (hommes venus de Cutha) sont l'objet dans le Talmud ; de là l'interdiction de les recevoir au rang des prosélytes, de dire Amen à leurs prières, de manger leur pain (mieux eût valu, au dire des Rabbins, manger de la chair de porc), etc. L'exemple des disciples (v. 8) nous montre pourtant que la pratique mitigeait bien des choses ; au reste, les dires rabbiniques étaient contradictoires sur plusieurs de ces points, et il ne manquait pas de docteurs pour assurer qu'il était licite de se procurer au moins des fruits et des œufs auprès des Samaritains. Après 2500 ans, l'hostilité dure encore entre les deux peuples. Les Samaritains ni ne mangent ni ne boivent ni ne contractent d'alliances matrimoniales avec les Juifs ; ils n'entretiennent avec eux que de simples relations d'affaires.



Jean 4.10 Jésus lui répondit : "Si vous connaissiez le don de Dieu et qui est celui qui vous dit : Donnez-moi à boire, vous-même lui en auriez fait la demande et il vous aurait donné de l'eau vive. - Jésus ne répond pas directement à la Samaritaine, et pourtant sa réponse est pleine d'à-propos. Dans cette première partie du dialogue, il s'adresse davantage à l'intelligence de son interlocutrice, tâchant de susciter en elle un pressentiment de la dignité de celui avec qui elle s'entretenait ; plus loin (v. 16 et ss.) c'est à son cœur et à sa conscience qu'il fera surtout appel. - Si vous connaissiez le don de Dieu. Le substantif grec correspondant à don ne se rencontre qu'en cet endroit des Évangiles ; il est tout à fait noble, et représente ailleurs, tantôt le don de l'Esprit saint (Actes 2, 38 ; 8, 20 ; 10, 45 ; 11, 7), tantôt le bienfait de la Rédemption (Romains 5, 15 ; 2 Corinthiens 9, 15, etc.). Il est difficile de déterminer ici sa signification spéciale, des opinions multiples s'étant formées à ce sujet depuis les premiers jours de l'exégèse (l'Esprit Saint, le don que Dieu a fait aux hommes en la personne de son Fils, le don par excellence, etc.). Peut-être est‑il mieux, d'après le contexte, de ne l'envisager que par rapport à la Samaritaine : « la faveur insigne que Dieu t'accorde présentement par cette conversation » (Maldonat, Fr. Luc, etc.). Jésus dut appuyer sur ces mots si graves et si solennels. Prends garde ce n'est pas un Juif ordinaire qui te parle. - Vous-même lui en auriez fait la demande… Si tu savais qui je suis, c'est toi qui, au lieu de t'arrêter à des mesquines considérations d’origines, te hâterais de demander rafraîchissement et vigueur au voyageur fatigué, altéré ; car, au spirituel, nos situations sont complètement renversées. - Il vous aurait donné de l'eau vive. Métaphore d'autant plus belle qu'elle convient à merveille à la situation. Mais à quelle hauteur nous sommes déjà transportés par cette image pleine de charme. L'eau vive, c'est à proprement parler l'eau courante, par opposition à celle qui demeure stagnante dans les citernes et dans les puits. (cf. Genèse 26, 19 ; Lévitique 14, 5 ; Jérémie 2, 13 ; Baruch 3, 12, etc.) ; elle est d'autant plus précieuse en Palestine qu'elle y est plus rare. Au moral, et dans le sens le plus relevé, il s'agit de la connaissance de Jésus, de la foi en Jésus, qui donneront la vraie vie à cette femme. - La lettre de S. Ignace aux Romains, chapitre 7, contient une allusion manifeste à ce verset : c'est donc un témoignage qui remonte jusque vers l'an 115.



Jean 4.11 Seigneur, lui dit la femme, vous n'avez rien pour puiser et le puits est profond, d'où auriez-vous donc cette eau vive ? - Elle demeure dans le sensible, ne pouvant s'élever encore à la signification spirituelle, à laquelle du reste elle n'était pas préparée. Mais, trait remarquable, tandis que précédemment (v. 9) elle n'avait donné à Jésus aucun titre de respect en lui adressant la parole, elle l'appelle maintenant Seigneur, impressionnée qu'elle a été par les mots « et quel est celui qui vous dit… » et par la distinction, la noblesse de Jésus. « Elle sent la présence de quelqu'un qui parle avec autorité". - Rien pour puiser. Dans le texte grec, ἄντλημα désigne non seulement la cruche mentionnée plus loin (v. 28), mais aussi la corde au moyen de laquelle on la descendait dans le puits. Les voyageurs orientaux se munissent d'ordinaire d'un seau en peau ou une gourde remplaçant la cruche ; on s'enroule la corde autour du corps. Les disciples avaient emporté le leur à Sichar, de sorte que Jésus n'avait en réalité rien pour puiser. - Et le puits est profond. Allégation que justifient parfaitement les chiffres cités dans la note du v. 6. - D'où auriez-vous donc… Cette eau vive à frappé la Samaritaine. Son étonnement ressort d'avantage dans le texte grec qui emploie deux articles. S. Jean aime à répéter ainsi l'article pour appuyer sur une idée, cf. 5, 30 ; 6, 38, 42, 44, 50, 51, 58, etc.



Jean 4.12 Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ?" - Ces paroles furent sans doute prononcées avec un sourire d'incrédulité et d'orgueil national. Il y a une emphase manifeste dans le pronom et dans le comparatif. Comment cet homme, qui n'est en apparence qu'un pauvre voyageur, peut‑il afficher la prétention de faire ce que le grand patriarche lui‑même n'avait pu opérer ? Espère‑t‑il donner de l'eau vive, quand Jacob a dû se borner à creuser un puits ? - Notre père Jacob. Elle appelle Jacob l'ancêtre des Samaritains, et pourtant nous avons vu que leur origine n'était rien moins que juive : c'est tout au plus (quoi que disent fin XIXème siècle en sens contraire plusieurs exégètes d'Allemagne), si quelques éléments israélites s'étaient peu à peu fondus avec les populations païennes déportées du Nord‑Est. N.-S. Jésus‑Christ lui‑même les appelle des étrangers relativement à sa nation (Luc. 17, 18), et l'on a observé que leur physionomie, assez intéressante, n'a rien de commun avec celle des vrais enfants de Jacob. Mais on conçoit qu'il leur fût agréable de s'attribuer ce glorieux privilège ; surtout, comme le dit l'historien Josèphe d'une manière piquante, lorsque tout prospérait chez les Juifs (Ant. 9, 14, 3 ; 11, 8, 6, etc.). Aujourd'hui encore leurs prêtres se targuent d'être issus de Lévi. A nous, ses héritiers naturels. - Qui nous a donné. Les détails suivants sont plein de charmes dans leur naïveté : ils comptent parmi ceux qu'un faussaire ne saurait inventer après coup. Le sens est que le puits de Jacob avait suffi aux besoins d'une nombreuse famille de bergers : que pourrait‑on demander ou donner en plus ? Le mot grec employé dans ce seul passage du Nouveau Testament, désigne aussi parfois les esclaves ; mais on admet qu'il est beaucoup mieux traduit ici par « troupeaux ».



Jean 4.13 Jésus lui répondit : "Quiconque boit de cette eau aura encore soif, mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura plus jamais soif. - Jésus suit encore, s'il est permis de parler ainsi, le même jeu qu'au v. 10. De nouveau il se garde de répondre directement au langage extérieur de la Samaritaine, quoique en réalité il réponde à sa pensée intime (De quelle eau voulez-vous parler, Seigneur ?). Il développe donc l'allégorie commencée, et signale les grandes qualités de son eau vive. En pédagogue tout divin, il laisse de côté les points secondaires, qui auraient interrompu le cours du dialogue sans produire d'utiles résultats, et il va droit au principal. Quelle merveilleuse charité pour réveiller doucement l'étincelle qui couvait sous la cendre. - Quiconque boit. Jésus atteste d'abord un fait général : l'eau matérielle du puits de Jacob n'étanche que transitoirement la soif ; aussi bien, celui qui s'y était désaltéré avec joie aura soif de nouveau : la Samaritaine, sa cruche à la main, en était une preuve vivante. Bel abrégé, du reste, de l'histoire de toutes les satisfactions humaines. - Celui qui boira. Notez le changement de temps et de tournure (quiconque aura bu une fois pour toutes), afin de mieux marquer le contraste. - L'eau que je lui donnerai. La femme avait opposé Jacob à Jésus ; Jésus accepte et relève l'opposition, mais pour se montrer supérieur à Jacob. Son eau mystique assouvit la soif à tout jamais. Ici une expression extrêmement énergique, qui réapparaît 8, 51, 52 ; 10, 28 ; 11, 26 ; 13, 8, cf. 1 Corinthiens 8, 13. « De quelle eau donnera donc le Sauveur, sinon de celle dont il est écrit : « En vous est la source de vie ? » Comment, en effet, auront soif « ceux qui seront enivrés de l’abondance de votre maison ? », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean, 16. Comp. Apocalypse 7, 16 et 17 : « Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur berger pour les conduire aux sources des eaux de la vie » .



Jean 4.14 Au contraire l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau jaillissant jusqu'à la vie éternelle." - Après avoir exposé les qualités négatives de l'eau vive qu'il se charge de fournir, Jésus en décrit positivement les avantages. L'image dont il se sert est d'une parfaite beauté : « qui saute », qui s'élance. Les eaux tendent, suivant un principe bien connu d'hydrostatique, à remonter jusqu'à leur niveau primitif. L’eau qui jaillit des sources terrestres, quelle qu’en soit l’impétuosité, ne s’élève que de quelques pieds dans les airs. Mais ici sont creusés des puits qui, par une force surnaturelle, montent jusqu’au ciel lui-même, et jusqu’à la vie éternelle. Venues du ciel, elles veulent rejaillir jusqu'au ciel, et y transporter avec elles celui qui a le bonheur de les posséder au fond de ses entrailles. On comprend que, dans ces conditions, la soif soit étanchée pour toujours. Donc, « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau. », Isaïe 55, 1 et ss. Voyez plus bas, 7, 38, une autre parole analogue de Jésus ; comparez aussi ce mot de Rabbi Méir : L'homme qui se livre avec affection à l'étude de la loi « est fait comme une source qui ne cesse jamais de jaillir, et comme une rivière qui va toujours augmentant ». Pirké Aboth, 6, 1.



Jean 4.15 La femme lui dit : "Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. - Enfin elle change de ton et de langage. Si elle prend encore la parole (on a souvent fait la remarque qu'elle la prend beaucoup plus que Nicodème ; mais cela est si naturel), ce n'est pas désormais pour faire une objection, c'est pour adresser à Jésus la demande par laquelle avait débuté l'entretien (v. 7) : Donnez-moi de cette eau. Cri touchant, dans lequel on a vu parfois très à tort une pointe d'ironie. Non, quoique basée sur deux motifs bien terrestres, la requête est sérieuse et sincère. Comment, d'ailleurs, les désirs de la Samaritaine n'auraient‑ils pas été suscités par la description qui précède ? - Afin que je n'aie plus soif. C'est le premier avantage qu'elle obtiendra, si elle arrive à posséder en elle‑même cette source intarissable, perpétuellement rafraîchissante. - Et que je ne vienne plus… Second avantage : elle ne sera plus obligée de venir chaque jour péniblement renouveler sa provision au puits de Jacob. Le verbe, déjà employé au chapitre 2, 8 et 9, est propre au quatrième évangile.



Jean 4.16 Allez, lui dit Jésus, appelez votre mari et venez ici." Ici commence la seconde partie du dialogue. Après avoir attiré l'attention de la Samaritaine sur la chose mystérieuse qu'il se proposait de lui faire gagner, après lui avoir fait pressentir sa propre dignité, Jésus donne tout à coup à l'entretien une direction inattendue, surprenante : allez, appellez votre mari. Faut‑il dire avec Rosenmüller, pour expliquer cette brusque transition : « peut-être manque‑t‑il une partie du dialogue » (Scholia in h. l.) ? Faut‑il se demander avec certains exégètes quelles pouvaient bien être les intentions de Notre‑Seigneur à l'égard de cet homme ? Supposer, par exemple, qu'il désirait se révéler aux deux conjoints en même temps ? Ou bien, qu'il ne voulait pas violer davantage les lois de la bienséance telles que ses compatriotes les entendaient (voyez la note du v. 27) ? Tout cela est peu naturel. En réalité, Jésus ne se proposait pas de faire venir immédiatement le mari, sachant bien, du reste, qu'il ne méritait pas ce nom (v. 18) : il employait cette sorte de stratagème pour « éveiller une conscience endormie », et, en même temps, pour manifester de plus en plus son caractère supérieur. Voilà dans quel but il frappe ce grand coup.



Jean 4.17 La femme répondit : "Je n'ai pas de mari." Jésus lui dit : "Vous avez raison de dire: Je n'ai pas de mari, 18 car vous avez eu cinq maris et celui que vous avez maintenant n'est pas votre mari, en cela, vous avez dit vrai." - La loquacité féminine des versets antérieurs a pris fin. Trois mots, c'est tout ce que la Samaritaine trouve à dire actuellement, et elle dût les prononcer la rougeur au visage, avec un profond embarras. Mais est‑ce bien une confession qu'elle fait ? Elle espère plutôt, par cette réponse ambiguë, éluder toute interrogation subséquente, pensant que son interlocuteur ne parviendrait pas à découvrir le reste. Cela peut signifier, en effet : Je ne suis pas mariée ; ou bien, je n'ai pas de mari légitime. - Vous avez raison de dire… Inutile de chercher à tromper celui qui sonde les reins et les cœurs par sa science divine : il sait tout, le passé comme le présent. D'un mot Jésus fait cesser l'équivoque. Il y a ici un changement remarquable dans le texte grec. La femme avait dit, en appuyant sur le verbe : JE N'AI PAS de mari (voir plus haut) ; Jésus appuie au contraire sur le substantif, qu'il déplace pour le mettre en tête de la phrase, comme l'expression principale : DE MARI, je n'en ai pas. - Le verset 18 commente, en la développant, cette triste révélation. Le Sauveur fait à la Samaritaine un saisissant portrait de la misère morale dans laquelle elle croupit. - Tu as eu cinq maris. Tout porte à croire qu'il ne s'agit ici ni d'un nombre rond (Ewald) pour signifier « plusieurs », ni d'unions criminelles (S. Jean Chrysost., Maldonat), mais d'unions légitimes (S. Augustin, Bède le Vénérable et la plupart des commentateurs) ; « car le Christ distingue entre les cinq premiers maris, qui avaient été légitimes, et le sixième, qui n'est pas légitime », dit fort bien Corn. a Lapide. La chose était facile alors, grâce au divorce. Sur ce simple chiffre, les rationalistes (Strauss, Keim, etc.) ont bâti le système le plus étrange, qu'il suffit d'exposer pour le renverser. Partant de ce fait, que le peuple samaritain d'alors tirait son origine de cinq nations différentes (voyez 2 Rois 17, 30, 31 et la note du v. 9), « qui avaient apporté chacune son dieu et adopté, de plus, Dieu, le Dieu du pays », ils prétendent que « la femme, avec ses cinq maris et l'homme avec lequel elle vivait maintenant comme sixième, serait le symbole du peuple samaritain tout entier » ; nous aurions donc là « une preuve du caractère idéal (mythique) de tout le récit ». Voilà l'exégèse de ceux qui ne veulent pas admettre le sens simple et évident du texte. Nous leur répondrons : dans le passage de l'A. Testament, 2 Rois 17, 30, 31, il est bien question de cinq peuples, mais de sept dieux, deux peuples en ayant importé deux. De plus, ces sept dieux étaient adorés simultanément, et non successivement, jusqu'au moment où ils firent place à Dieu. Enfin, serait‑il concevable que Dieu fût comparé au sixième mari, qui était évidemment le pire de tous dans la vie de la femme ? ». - N'est pas votre mari. La place attribuée au pronom renforce la pensée. C'est de même par emphase que, dans la proposition suivante, précède les deux autres mots. Quelle énergie également de l'adverbe vrai, qui fait allusion à la confession à moitié fausse de la Samaritaine !



Jean 4.19 La femme dit : "Seigneur, je vois que vous êtes un prophète. - En face d'allégations aussi nettes, que lui restait‑il à faire? Elle ne pouvait qu'avouer en toute simplicité que les choses étaient dans l'état où Jésus les avait décrites. Si cet aveu n'est qu'implicite sur ses lèvres (vous êtes un prophète), il est cependant réel, les prophètes étant censés lire au fond des cœurs. Voyez la note sous Luc, 7, 39. C'est pour la troisième fois que le titre Seigneur revient depuis le v. 11. L'équivalent grec de je vois dénote la contemplation, une vision progressive, et non la perception immédiate. Au reste, c'est peu à peu et admirablement que la foi de cette femme s'était développée. Comp. les v. 9, 11, 13 et celui‑ci.







Jean 4.20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites que c'est à Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer." - Dans cette réflexion de la Samaritaine, de Wette ne voit qu'une « ruse féminine », destinée à détourner la conversation d'un sujet désagréable, et plusieurs exégètes partagent son sentiment. Mais c'est là sûrement une idée arbitraire, surajoutée au texte. Non, l'interlocutrice du Sauveur est sérieuse et de bonne foi en tenant ce langage : elle n'essaie pas de faire une diversion habile ; mais comprenant, comme elle l'a dit, que Jésus est un prophète, elle utilise sa présence pour acquérir une connaissance certaine sur un point capital, très discuté entre les Juifs et les Samaritains. Tout porte à croire, en outre, qu'elle se proposait un but pratique, celui d'honorer Dieu à l'endroit voulu par lui, afin de mieux obtenir ainsi le pardon de ses fautes. Par « nos Pères », les uns entendent les grands patriarches Abraham et Jacob (Euthymius, Schegg, Trench, etc.) ; les autres, plus probablement, ceux des Samaritains qui avaient construit le temple de Garizim. - Les mots sur cette montagne furent accompagnés d'un geste qui désignait la montagne située immédiatement au‑dessus du puits de Jacob. Elle surplombe la plaine d'environ 865 mètres. Son sommet présente de magnifiques ruines, dans lesquelles certains pensaient voir les restes du temple samaritain détruit par Jean Hyrcan, l'année 129 avant J.-C., environ 200 ans après sa construction. - Ont adoré. Est pris dans un sens absolu, cf. 12, 30, etc., pour désigner l'ensemble du culte divin. fin XIXème siècle encore le Garizim est étroitement associé à la religion des 150 personnes environ qui forment les restes de la population samaritaine : elles l'appellent la sainte montagne, se tournent de son côté pour prier, lui rattachent toutes sortes de traditions légendaires (par exemple : le paradis terrestre, la création d'Adam, l'autel de Noé après le déluge, le sacrifice d'Abraham, etc.), vont enfin immoler et manger l'agneau pascal sur sa cime. Les Samaritains ont de tout temps appuyé leur vénération spéciale pour le Garizim sur Deutéronome 27, 4-8 : « Quand vous aurez passé le Jourdain, vous dresserez ces pierres sur le mont Ébal, comme je vous le commande aujourd’hui, et tu les enduiras de chaux. Là, tu bâtiras un autel au Seigneur ton Dieu, un autel de pierres que tu n’auras pas travaillées avec le fer. C’est avec des pierres brutes que tu bâtiras l’autel du Seigneur ton Dieu ; sur cet autel, tu offriras des holocaustes au Seigneur ton Dieu. Tu offriras aussi des sacrifices de paix, et là, tu mangeras, tu te réjouiras en présence du Seigneur ton Dieu. Puis, tu écriras sur les pierres toutes les paroles de cette Loi, bien lisiblement. ». Ils ont prétendu que les Juifs ont altéré le texte primitif, et qu'on doit lire « Garizim » au lieu de « Hebal ». - Et vous, vous dites. Vous, Juifs, cf. v. 9. - Que Jérusalem (et pas ailleurs) est le lieu… Le Talmud contient, sur cette rivalité, plus d'un curieux passage. « Rabbi Yochanan, lisons‑nous dans Bereschith Rabba, § 32, allant à Jérusalem pour prier, passa auprès (du Garizim). Un Samaritain, le voyant, lui demanda : Où vas‑tu? Je vais, répondit‑il, Jérusalem pour prier. Le Samaritain riposta : Ne serait‑il pas mieux pour toi de prier sur cette sainte montagne que dans cette maison maudite (le temple de Jérusalem) ? » - Notez la délicatesse du langage de la Samaritaine. Aucune question directe n'est formulée (v. g. : Qui a tort? Où est le lieu véritable?) ; le problème est simplement signalé sous ses deux faces : on laisse à Jésus toute liberté pour le résoudre.









Jean 4.21 Jésus dit : "Femme, croyez-moi, l'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem, que vous adorerez le Père. - Précédemment, il avait pris garde de se laisser entraîner dans aucune digression ; il suit maintenant l'humble femme sur le terrain choisi par elle, ce terrain se prêtant à merveille aux importantes révélations qu'il voulait faire : mais à quelles hauteurs sublimes il porte aussitôt la question. - Il y a, dans le mot femme, quelque chose de pathétique et de sérieux tout ensemble. La petite introduction croyez‑moi fait un pressant appel à la foi de la Samaritaine ; Jésus relève par là sa propre autorité : Tu dis que je suis un prophète, crois donc à ma parole, sans hésiter, quelle que soit la décision. - L'heure vient. Le temps messianique, alors si impatiemment attendu (cf. v. 25). S. Jean emploie volontiers ce mot 2, 4 ; 5. 25, 28, 35 ; 8, 20, etc. (Jésus dut faire à son tour le même geste que la Samaritaine, v. 20), ni sur cette montagne... Bientôt donc tout particularisme religieux aura cessé, parce qu'il régnera un culte supérieur, universel, qui sera l'abrogation de celui des Juifs et de celui des Samaritains. Comme l'avait prédit Malachie, 1, 11 : « En tout lieu, on brûle de l’encens pour mon nom et on présente une offrande pure ». La prophétie ne tarda pas à s'accomplir : peu d'années après ce dialogue, le temple juif subissait le même sort que le sanctuaire samaritain et devenait un monceau de ruines. - Vous adorerez. Jésus aurait pu dire d'une manière générale ; mais il était plus naturel qu'il appliquât directement sa prédiction au peuple dont faisait partie son interlocutrice. Voyez aux v. 39-42 et Actes 8, 1-26, les rapides succès du christianisme en Samarie. - Le Père. Ici une expression significative (au lieu de l'abstrait Dieu), qui indique à elle seule le caractère de la religion nouvelle. Ce n'est guère à la façon d'un Père que Dieu avait été honoré jusque‑là ; mais voici que la religion de Jésus créera entre le Seigneur et les hommes les relations les plus intimes, les plus douces. Ce nom de Père est souvent donné à Dieu dans le quatrième évangile, rarement dans les autres écrits du Nouveau Testament. - Ainsi, d'après cette première partie de la réponse du Sauveur, le vrai culte ne sera désormais ni dans le judaïsme schismatique de Samarie, ni dans le judaïsme orthodoxe de Jérusalem : ces limites étroites vont tomber.



Jean 4.22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. - Après avoir ouvert cet horizon grandiose, Jésus résout directement, d'après l'histoire sainte, la question de la Samaritaine. Il revendique franchement le droit des Juifs et de leur sanctuaire. - Vous adorez… nous adorons. Même antithèse qu'au v. 20. Il est touchant de voir Notre‑Seigneur se ranger parmi les Juifs : c'était en effet son peuple de toutes manières, cf. Galates 4, 4. - Ce que vous ne connaissez pas. Quoique étrange à première vue, la leçon (au neutre) est bien la vraie. Dieu est ici envisagé dans sa nature, et non dans sa personne. Voyez, Actes 17, 23, une formule analogue. Les Samaritains ignoraient Dieu d'une manière relative, car en réalité ils étaient séparés de la théocratie. N'acceptant pas d'autres livres sacrés que le Pentateuque, ils avaient totalement négligé les révélations ultérieures, c'est-à-dire le développement de la connaissance divine : l'arbitraire avait pris chez eux la place des célestes volontés ; leur religion était mutilée, tronquée et imparfaite. - Ce que nous connaissons. Les Juifs, au contraire, connaissaient le Seigneur tel qu'il s'était révélé, par conséquent d'une manière aussi intégrale que possible. Ses manifestations avaient été multiples à travers les âges, et, consignées dans les écrits inspirés, elles étaient toujours une vivante école où l'on apprenait à le connaître. - Le salut vient des Juifs. Le salut par excellence, le salut messianique, cf. Luc 1, 77 ; Actes 4, 12 ; Romains 11, 11. Par cette parole Jésus motive le second jugement qu'il vient de porter ; dans sa vie nous le voyons toujours fidèle à mettre en relief les prérogatives de son peuple ; or celle‑ci était assurément la plus noble. Elle s'est réalisée sous deux formes distinctes : d'abord, en tant que les Juifs avaient seuls le dépôt complet de la révélation et qu'ils ont formé, durant toute leur histoire, comme une chaîne par laquelle a été transmis le salut promis jadis à Abraham, Genèse 12, 1 et ss. ; puis en tant que le Sauveur lui‑même devait être un Israélite selon la chair, cf. Isaïe 2, 1-3 ; Romains 3, 1, 2 ; 9, 4, 6, etc. - Donc les Samaritains ont tort sur la question pratique qui a été proposée à Notre‑Seigneur ; leur culte n'est pas celui que Dieu désire ; le Garizim n'est pas le lieu du véritable sanctuaire. Avec quelle force et aussi avec quelle délicatesse cela est insinué.



Jean 4.23 Mais l'heure approche et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, ce sont de tels adorateurs que le Père demande. - Jésus revient maintenant à sa première réponse (v. 21), c'est-à-dire au magnifique idéal religieux qui était sur le point de devenir une réalité historique. Il exprime en termes positifs ce qu'il avait d'abord proposé négativement ; de plus, il développe davantage sa pensée (v. 23 et 24). - Mais : Par contraste avec ce qui a été dit soit du culte juif, soit du culte samaritain. - L'heure vient… Ces derniers mots sont empreints d'une touchante solennité. Voici que le nouvel état de choses commence, le Messie ayant inauguré son ministère. L'heure du vrai culte a sonné. Déjà Notre‑Seigneur avait autour de lui, dans la personne de ses disciples, un petit groupe de vrais adorateurs. Les vrais adorateurs sont ceux qui honorent Dieu conformément à son œuvre, à ses attributs, à sa volonté ; ceux qui réalisent pour le mieux la notion du culte véritable. Les Juifs étaient, certes, de vrais adorateurs, mais d'une manière imparfaite encore, leur religion devant être portée beaucoup plus haut par le Messie : des adorateurs plus « vrais » qu'eux étaient donc possibles. - Adoreront le Père. Jésus va signaler les deux principaux caractères de la religion nouvelle, qui sont la spiritualité, la vérité. - 1° Ce culte de l'avenir aura lieu en esprit, par apposition à « dans la chair ». Ce qu'il ne faut pas entendre du Saint‑Esprit, mais de la partie la plus relevée de l'être humain, de ces régions supérieures de notre âme par lesquelles S. Paul dit avoir été surtout en communication avec Dieu, Romains 1, 9, cf. 1 Thessaloniciens 5, 23 ; Jean 6, 64. Jusqu'alors le culte avait été extérieur, attaché à des localités spéciales ; il faut qu'il devienne intérieur avant tout, les restrictions locales cessant d'exister. « Nous étions allés au dehors, et nous avons été renvoyés à l’intérieur.... c’est dans ton cœur que tout doit se passer. S’il te faut quelque lieu élevé, quelque lieu saint, fais de toi‑même et intérieurement un temple au Seigneur. Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. Veux‑tu prier dans un temple ? Prie en toi‑même ; mais auparavant, sois le temple de Dieu ; car c’est dans son temple qu’il écoute ceux qui le prient », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean, 25. La préposition en marque fort bien l'atmosphère dans laquelle devra se mouvoir le culte perfectionné par Jésus. - 2° En vérité, par opposition à en apparence, symboliquement : ce qui veut dire que l'on n'offrira pas seulement au Seigneur des sacrifices figuratifs, à la façon des Juifs, mais la réalité, la victime par antonomase dont ils n'étaient que l'ombre. M. Reuss a bien raison de dire que « la déchéance de la Loi » est proclamée publiquement dans ce verset. Motif pour lequel la religion sera désormais ainsi transformée : Dieu ne veut plus d'autres adorateurs.



Jean 4.24 Dieu est esprit et ceux qui l'adorent, doivent l'adorer en esprit et en vérité." - Et pourquoi Dieu cherche‑t‑il, pour ainsi dire avec empressement, des hommes qui l'honorent en esprit et en vérité ? Nous l'apprenons très nettement ici. - Dieu est esprit. Le texte grec le dit avec plus de concision et de vigueur. Rien de plus concluant que cette déduction. Dieu a une nature toute spirituelle ; à cette nature doivent correspondre les hommages qu'on lui rend. « Dieu est invisible, incompréhensible, non mesurable ; le Seigneur a dit que le temps était venu où Dieu devait être adoré non pas sur une montagne ou dans un temple. Car l'Esprit ne peut être circonscrit ou confiné ; il est partout présent dans l'espace et dans le temps, présent en plénitude en toutes conditions. C'est pourquoi, a‑t‑il dit, les vrais adorateurs sont ceux qui adorent en Esprit et en vérité », S. Hilaire, De Trinit. 2, 31. - Chacun sait le bruit que les protestants ont fait à propos de ces versets 23-24 et du culte catholique, lequel a‑t‑on osé prétendre, serait ici directement condamné, attendu qu'il se compose en grande partie de rites extérieurs. Mais les préjugés et la passion ont seuls pu aveugler nos adversaires jusqu'à ce point. Tant que l'homme n'aura pas changé de nature, tant qu'il sera composé d'un corps et d'une âme, son adoration devra nécessairement avoir quelque chose d'extérieur : il n'y a que les esprits purs qui puissent adorer d'une manière toute spirituelle. Ce que Jésus réprouve, c'est donc ou un culte purement extérieur, ou un culte limité à un sanctuaire unique. Au reste, les protestants n'ont‑ils pas aussi leurs temples et leurs cérémonies, le tout bien vide, hélas ! Tandis que, par le saint sacrifice de la messe et la présence réelle, la plus humble église catholique possède la religion en esprit et en vérité ?





Jean 4.25 La femme lui répondit : "Je sais que le Messie, celui qu'on appelle Christ, va venir, lorsqu'il sera venu, il nous instruira de toutes choses." - Assurément, la Samaritaine n'avait pas compris toute la portée des paroles de Jésus ; elle en sait du moins maintenant assez pour voir qu'elles annoncent de grandes réformes au point de vue du culte, et naturellement elle rattache ces réformes à la personne du Messie. Les Samaritains, en effet, attendaient comme les Juifs un Messie, qu'ils nommaient (ha‑Schâheb), (ha‑Thâheb), « celui qui revient » (d'après d'autres, « celui qui convertit »). Leurs descendants de Naplouse l'attendent encore sous l'appellation de El‑Muhdi, « le Guide ». Ils se le représentent surtout comme un prophète éminent, d'après Deutéronome 18, 15, et supposent qu'il rétablira en tous lieux la vraie foi. - Le Christ (…) nous instruira de toutes choses. Toutes choses dans le sens populaire de cette expression : tout ce qu'il nous importe de savoir sous le rapport religieux. Le verbe grec est fort bien employé ici, car il désigne proprement les nouvelles apportées par une personne qui revient.



Jean 4.26 Jésus lui dit : "Je le suis, moi qui vous parle." - Sublime révélation, qui forme le point culminant de tout l'entretien. La première parole de Jésus dans ce dialogue avait été « Donne‑moi à boire » (v. 7) ; la septième, quelques instants plus tard, est celle‑ci : « Je le suis ». Je suis moi‑même le Messie. Les rationalistes s'offusquent de cette marche rapide, et ils en tirent, mais de quel droit ? Des conclusions contre la véracité du récit. Jésus était maître de se manifester à l'heure choisie par lui, et cette humble femme, malgré sa misère morale antérieure, était maintenant bien préparée pour recevoir cette révélation. Les inconvénients, les dangers même qui portèrent en d'autres circonstances Notre‑Seigneur à tenir caché son caractère messianique (cf. Matth. 16, 20 ; Marc. 8, 30, et les commentaires) n'existaient pas alors en Samarie. - Sur les traditions grecques et latines relatives à l'histoire subséquente de la Samaritaine (on la nomme Photina), voyez le « Menaeum » grec au 26 février, les Bollandistes au 20 mars, Cornelius a Lapide, in Jean, 4, 7. Le martyrologe romain (20 mars) a simplement les lignes suivantes « A Photine la samaritaine, ses fils Joseph et Victor, et au duc Sébastien, morts en martyrs en confessant le Christ ».



Jean 4.27 Et à ce moment arrivèrent ses disciples et ils s'étonnèrent de ce qu'il parlait avec une femme, néanmoins, aucun ne dit : "Que demandez-vous ?" ou "Pourquoi parlez-vous avec elle ?" - Et à ce moment arrivèrent ses disciples. Ils revenaient de Sichar, rapportant les provisions qu'ils étaient allés acheter (v. 9). - Et ils s'étonnaient. C'est bien l'imparfait qu'il faut lire, d'après les meilleurs manuscrits et non l'aoriste avec la Recepta. Ce changement de temps, est très expressif : l'aoriste raconte, l'imparfait peint. - Ils s'étonnaient… L'étonnement des disciples tenait à la sévérité des idées juives sur les relations extérieures des hommes avec les femmes. Le Talmud est très explicite à ce sujet. « Il ne faut pas parler avec une femme sur les places publiques, pas même avec votre propre épouse », Joma, fol. 240, 2. M. A. Weil, Juif, relève, en termes parfois trop cyniques (Moïse et le Talmud, Paris, 1864, p. 270 et ss.), le mépris que les vieux Rabbins témoignaient pour la femme. - Néanmoins, aucun ne dit… Trait délicat, qui montre combien les disciples respectaient leur Maître, et quelle haute idée ils avaient de lui, de sa conduite. - Que demandez-vous. Quel service demandez-vous à cette femme? Ils ne pensaient guère que c'était la foi de la Samaritaine que Jésus avait cherchée. D'après une conjecture bizarre de quelques auteurs (Alford, etc.), les disciples auraient adressé à l'interlocutrice même de Jésus cette première parole. - Ou pourquoi parlez-vous avec elle. Quel enseignement avez-vous à lui donner ?



Jean 4.28 La femme, alors, laissant là sa cruche, s'en alla dans la ville et dit aux habitants : - Comme au v. 3 ; voyez le commentaire. Ce détail, qui dénote évidemment un témoin oculaire, est tout à la fois pittoresque et significatif. Sa conversation avec Jésus étant ainsi interrompue, la Samaritaine s'éloigne ; mais elle est tellement émue, qu'elle oublie ce qu'elle était venue faire en ce lieu et laisse sa cruche auprès du puits. Elle possède maintenant au fond de son cœur une source d'eau vive (v. 14) ; que lui importe l'eau naturelle, même l'eau fournie par Jacob à son peuple (v. 12) ? Voyez S. Jean Chrysostome, Hom. 15 in Jean - S'en alla. On devine avec quelle joie et quel empressement. - Et dit aux habitants. C'est-à-dire, à tous les habitants de Sichar. Jésus lui avait dit (v. 16) : « Appelle ton mari », et voici qu'elle appelle toute la ville. Comme l'écrit très justement M. Schegg, t. 1, p. 251, l'arrivée soudaine des apôtres au moment le plus intéressant de l'entretien était une épreuve pour la Samaritaine : cette épreuve fut noblement surmontée. A quoi bon d'autres paroles ? Jésus n'en avait‑il pas dit assez pour démontrer ce qu'il attestait ?



Jean 4.29 "Venez voir un homme qui m'a dit ce que j'ai fait, ne serait-ce pas le Christ ?" - Comp. 1, 46, où nous avons vu S. Philippe conduire Nathanaël au Sauveur par les mêmes expressions. - Un homme qui m'a dit… Elle décrit Jésus par la circonstance qui l'avait le plus frappée, c'est-à-dire par son intuition prophétique. - Ce que j'ai fait. En mauvaise part : toutes mes fautes. En réalité, Jésus n'avait touché qu'à un point de la conduite de cette femme ; mais c'était un point essentiel, qui comprenait presque tout le reste. D'ailleurs l'hyperbole est bien naturelle en pareil cas. La confession publique de la Samaritaine a un caractère naïf et touchant ; elle est en conformité parfaite avec l'ensemble de l'entretien, durant lequel Photina nous est apparue vive, alerte, ayant toujours, sa pensée sur les lèvres. - Ne serait‑ce pas le Christ ? Elle n'éprouve personnellement aucun doute ; si elle présente sa pensée comme une simple conjecture, c'est par délicatesse, « pour que l'ignorance d'une femme ne risque pas de porter préjudice à une chose si importante », Maldonat ; voyez Euthymius. Elle ne veut pas affirmer d'une manière trop positive en face d'hommes qui n'ont pas encore vu et entendu comme elle ; toutefois, elle forme d'avance leur jugement par cette interrogation non moins habile que polie (placé en tête d'une question, ne suppose pas toujours une réponse négative.



Jean 4.30 Ils sortirent de la ville et vinrent à lui. - Toute la ville est bientôt en émoi, et se dirige au plus vite vers le puits de Jacob, pour contempler le mystérieux étranger. Notez de nouveau ce changement de temps, qui met la scène sous nos yeux. L'aoriste indique une action immédiate et rapide ; l'imparfait, au contraire, un acte dont l'exécution demandait un certain temps.



Jean 4.31 Pendant l'intervalle, ses disciples le pressaient, en disant : "Maître, mangez." - Cependant : Tandis que les choses se passaient ainsi à Sichar ; entre le départ de la Samaritaine et son retour avec ses compatriotes. - Les disciples le pressaient. Le narrateur nous ramène à Jésus et aux disciples. L'imparfait exprime la répétition, l'insistance. Voyant que Jésus semblait ne pas faire attention aux humbles mets étalés devant lui, plongé qu'il était dans ses réflexions, ils l'invitaient tour à tour respectueusement à manger.



Jean 4.32 Mais il leur dit : "J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas." - Jésus va employer à leur égard son procédé favori : du sensible il les élèvera, comme il avait fait pour la Samaritaine, aux plus hautes régions du surnaturel. - J'ai à manger… Je n'ai pas besoin de la nourriture que vous m'offrez ; j'ai d'autres mets plus savoureux. De même qu'il avait oublié précédemment sa soif brûlante, de même il oublie sa faim et sa fatigue : la prochaine conversion de toute une ville suffit pour le nourrir en ce moment. Les Rabbins recommandent souvent d'associer aux repas des conversations saintes, portant sur des choses spirituelles : nul, mieux que Jésus, n'a donné l'exemple de cette pratique. Voyez, outre ce passage, Luc. 5. 29-39 et parall. ; 7, 36-50 ; 10, 38-42 ; 11, 37-50 ; 14, 1-24, etc.



Jean 4.33 Et les disciples se disaient les uns aux autres : "Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ?" - Les disciples se disaient… A voix basse, sans doute, pensant n'être pas entendus de leur Maître. - Quelqu'un lui aurait‑il apporté... Les apôtres n'ont pas compris, et certes il leur était difficile de comprendre sur‑le‑champ ; leur Maître ne les avait‑il pas envoyés à Sichar dans le but exprès d'acheter des vivres ? « Y a‑t‑il rien d’étonnant à ce que cette femme n’ait pas compris de quelle eau il s’agissait, quand les disciples eux‑mêmes ne comprenaient pas de quelle nourriture le Sauveur leur parlait ? », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean. S. Jean raconte candidement ce quiproquo, auquel il prit part lui‑même. Apparaît dans ces choses la simplicité native de la vérité ; et on reconnaît facilement que l’écrivain rapporte des choses qui se sont passées en sa présence.



Jean 4.34 Jésus leur dit : "Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre. - Jésus s'explique, comme il avait fait pour la Samaritaine ; c'est à une nourriture spirituelle qu'il pensait. Cette image exprime fortement la consolation intime, la pleine satiété que Notre‑Seigneur trouvait dans l'accomplissement de sa mission : il en oubliait ses fatigues et les nécessités les plus pressantes de la vie. - Faire la volonté… Les critiques hésitent entre les leçons du texte grec, qui sont appuyées à peu près également par les documents anciens. Le temps présent indiquerait la perpétuité de l'action : que je fasse et que je fasse encore à tout instant. - De celui qui m'a envoyé. C'est-à-dire : de Dieu, de mon Père, comme Jésus dit ailleurs. Cette locution est toujours solennelle, cf. 2, 17, etc. - D’accomplir son œuvre. Ici, le verbe grec est sans doute au subjonctif aoriste : l'acte est ainsi regardé d'avance comme accompli dans l'avenir, comme « la consommation finale de la tâche, qui n'aura lieu qu'au terme de l'obéissance incessante » (Godet). Jésus ne dit pas quelle est cette œuvre ; c'est, en général, la rédemption du genre humain ; en particulier, dans la circonstance présente, la conversion des Samaritains. Le divin Maître avait donc toujours sa vocation à la pensée, pour s'y conformer d'une manière intégrale : la volonté de son Père était toute chose pour lui. Cette admirable parole revient souvent sur ces lèvres dans le quatrième évangile, cf. 5, 30 ; 6, 38 ; 7, 18 ; 8, 50 ; 9, 4 ; 12, 49, 50 ; 14, 31 ; 15, 10 ; 17, 4.







Jean 4.35 Ne dites-vous pas vous-mêmes : Encore quatre mois et ce sera la moisson ? Moi, je vous dis : Levez les yeux et voyez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. - A l'idée qu'il vient d'énoncer, et, d'une manière générale, à l'ensemble de la situation dans laquelle il se trouvait alors, Jésus rattache quelques belles réflexions, portant sur l'avenir entier de son œuvre et sur la collaboration de ses disciples. Il ouvre à ces derniers un vaste et magnifique horizon. - Ne dites‑vous pas… Peut-être avaient‑ils réellement tenu ce langage ; plus probablement, Notre‑Seigneur le leur prête comme très naturel dans l'occasion : En voyant ces champs verdoyants, vous dites sans doute… - Encore quatre mois. « Un temps de quatre mois ». D'après un certain nombre de commentateurs (Maldonat, Grotius, Lücke, Tholuck, Alford, de Wette, etc.), ces paroles formaient un adage alors usuel en Palestine, pour signifier qu'une fois la semence confiée à la terre, il fallait attendre pendant quatre mois la récolte. Mais on leur objecte à bon droit qu'un proverbe de ce genre n'eût pas manqué de mentionner les semailles, et surtout, qu'entre cette opération, accomplie en octobre, et la moisson qui commence en Palestine vers la mi‑août, il existe un intervalle d'au moins cinq mois. Le mieux est donc, à la suite de S. Augustin et avec la plupart des exégètes, d'appliquer uniquement ce passage à la circonstance actuelle, et de dire qu'à la lettre quatre mois encore devaient s'écouler avant la moisson. Nous obtenons ainsi une précieuse donnée pour l'harmonie et la chronologie des évangiles. D'après ce qui a été dit ci‑dessus, c'est vers la seconde moitié de décembre que Jésus aurait séjourné en Samarie. Comme il était allé Jérusalem pour la Pâque précédente, 2, 13, par conséquent en avril, son séjour en Judée avait duré environ huit mois. - Je vous dis. Jésus oppose son propre dire à celui des disciples. Non. Il n'y a pas un aussi longtemps avant la prochaine récolte. La particule annonce, selon la coutume, un fait extraordinaire, surprenant. - Levez les yeux. Une autre introduction pittoresque à la pensée qui va suivre. Voyez de vos propres yeux si les choses ne sont pas telles que je les affirme. - Voyez les champs. La contrée si belle et si fertile qui les entourait. Comme alors, le fond de la vallée est couvert de champs cultivés, et de prairies de la verdure la plus fraîche et la plus éclatante. C'est comme un champ unique, que n'interrompent ni haies, ni murs, une vraie masse verdoyante qui ondule avec charmes. - Qui blanchissent déjà. L'expression est toute classique et d'ailleurs très exacte, car le blé blanchit quand il est sur le point de mûrir. Déjà contraste avec encore : cet adverbe étant placé à la fin de la phrase dans le texte grec, on l'a parfois rattaché dès l'antiquité à la proposition suivante (v. 35). Naturellement, c'est au figuré qu'il faut prendre cette parole de Jésus (contre Olshause, Caspari, etc., qui l'interprètent littéralement, et qui infèrent de là qu'on était alors en avril ou en mai). « Vous autres, vous comptez quatre mois jusqu’à la moisson (la moisson matérielle), moi je vous en montre une autre (une moisson mystique) qui a déjà blanchi et qui est toute prête », S. Augustin, Traité 15 sur Jean. « Ils voyaient effectivement alors les Samaritains accourir en foule vers lui ; leur volonté ainsi disposée et soumise, c'est ce qu'il appelle les campagnes blanches », S. Jean Chrysostome, Hom. 34. Jésus et ses disciples n'avaient plus qu'à prendre la faucille pour recueillir ces excellents épis. Fertile moisson assurément, mais elle présageait celle que les apôtres allaient bientôt faire dans le vaste champ du monde païen.









Jean 4.36 Le moissonneur reçoit son salaire et recueille du fruit pour la vie éternelle, afin que le semeur et le moissonneur se réjouissent ensemble. - Jésus continue sa belle allégorie. La suite générale des pensées est aisée à indiquer : Le champ est mûr pour la moisson (v. 35) ; soyez de zélés moissonneurs (cf. Joël, 4, 13), car vous trouverez dans ce rôle de très grands avantages. « Le Sauveur brûlait du désir d'accomplir son œuvre, et avait hâte d'envoyer des ouvriers recueillir cette moisson », S. Augustin. - Le moissonneur Ce fait est vrai de ceux qui travaillent à la moisson des âmes, aussi bien que des moissonneurs ordinaires. Seulement, quelle récompense magnifique Dieu ne donnera‑t‑il pas aux hommes qui l'auront aidé à rentrer sa récolte spirituelle ! - Et recueille du fruit. Ce n'est pas dans des greniers temporels, où le grain se corrompt que les moissonneurs de Jésus placent les glorieuses gerbes recueillies péniblement, mais dans les magasins invisibles du ciel. Leur salaire consistera par conséquent en des biens éternels. Voyez Cornelius a Lapide et Maldonat. - Afin que le semeur. Dans le domaine matériel, l'action de semer et celle de moissonner sont souvent accompagnées de sentiments très divers. « On sème dans les larmes », à cause des risques redoutables que l'on encourt ; « on moissonne dans la joie », (Ps. 125, 5, 6), quand tout a réussi. Lorsqu'il s'agit du champ des âmes, la joie est commune et au semeur et au moissonneur, puisqu'ils se retrouvent dans le ciel pour posséder, ainsi qu'il vient d'être dit, une récompense qui n'aura pas de fin.



Jean 4.37 Car ici s'applique l'adage : Autre est le semeur et autre le moissonneur. - Ici : Dans la moisson dont je parle. La particule car rattache ce verset à la seconde moitié du précédent, que Jésus se propose de développer et d'expliquer ; la distinction établie entre le semeur et le moissonneur va être plus fortement accentuée. - L’adage équivaut ici à proverbe, adage populaire. - Se vérifie : complètement, trouve son exacte application. - Le proverbe est ensuite cité. On le rencontre pareillement chez les classiques grecs. « Il n'a semblé être un homme que quand il a moissonné la récolte d'autrui ; maintenant les épis qu'il a amenés tout engerbés de là-bas, il les fait sécher et il veut les vendre », Aristophane, Les cavaliers, 391. Il exprime un fait qui se reproduit fréquemment dans la vie humaine, soit au propre, soit au moral.



Jean 4.38 Je vous ai envoyés moissonner ce que vous n'avez pas travaillé, d'autres ont travaillé et vous, vous êtes entrés dans leur travail." - Application du proverbe aux disciples. Jésus « rend l'avenir présent d'une manière prophétique » : du reste, le rôle dont il parle était compris dans leur appel à l'apostolat. - Travaillé : Le verbe grec est très énergique. Il désigne un travail pénible. S. Paul aussi l'emploie pour exprimer les rudes labeurs de l'apostolat, 1 Corinthiens 15, 10, etc. - D'autres… C'étaient les prophètes, S. Jean‑Baptiste, N.-S. Jésus‑Christ lui‑même durant son ministère public. - Vous êtes entrés dans leur travail. Locution élégante et pittoresque, pour dire que, du moins en ce qui concernait l'évangélisation des Juifs, les apôtres n'auraient pas à exécuter les premiers travaux. Avant eux on avait labouré, ensemencé les champs : ils venaient joyeusement faire la moisson.



Jean 4.39 Or, beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus sur la parole de la femme qui avait rendu ce témoignage : "Il m'a dit tout ce que j'ai fait." - Nous sommes ramenés par cette transition aux versets 28-30. - Les mots crurent en Jésus (ils crurent à la dignité messianique de Jésus) expriment le premier degré et le premier motif de la foi des Samaritains. Cette promptitude à croire sur un simple témoignage fait l'éloge de leur esprit religieux ; mais nous les verrons s'élever beaucoup plus haut dans un instant.



Jean 4.40 Les Samaritains étant donc venus vers lui, le prièrent de rester chez eux et il y demeura deux jours. - Les Samaritains… le prièrent. D'après le grec, comme au v. 31, pour marquer une pressante invitation. - De rester. Beau contraste avec la conduite des hiérarques de Jérusalem, 5, 10 et s., des habitants de Nazareth, Luc. 4, 29, et des Gadaréniens, Matth. 8, 34 et parall. Les Samaritains voulaient voir et entendre longuement Jésus. - Le divin Maître daigna accéder à leur requête : il y demeura deux jours.



Jean 4.41 Et un plus grand nombre crurent en lui pour l'avoir entendu lui-même. - Ce séjour produisit les plus heureux résultats. Un double progrès est ici constaté par le narrateur : le nombre des croyants s'accrut d'une manière notable, et la foi fut assise sur une base plus solide (à cause de sa parole, par opposition à sur la parole de la femme, v. 39). L'évangéliste ne mentionne aucun miracle ; il est probable que Jésus n'en accomplit aucun dans cette circonstance (S. Jean Chrysostome, Théophylacte, etc.) : raison de plus d'admirer la foi des Samaritains. La personne et la parole du Sauveur suffirent pour les attacher à lui.



Jean 4.42 Et ils disaient à la femme : "Maintenant ce n'est plus à cause de ce que vous avez dit que nous croyons, car nous l'avons entendu nous-mêmes et nous savons qu'il est vraiment le Sauveur du monde." - Trait magnifique pour conclure le récit. Les Samaritains font ressortir eux‑mêmes le caractère supérieur de leur foi (cf. v. 39 et 41). - A cause de ce que tu nous as dit. Plus haut, quand il avait été question du langage de Notre‑Seigneur, nous lisions une expression plus noble équivalant à discours. - Nous l'avons entendu nous‑mêmes. Auparavant leur connaissance était imparfaite ; désormais ils savent de source certaine, infaillible. - Il est vraiment le Sauveur du monde. C'est là un titre magnifique qu'ils décernent à Jésus (on ne le rencontre qu'ici et 1 Jean 4, 14). Ils ont compris par le ministère qu'il a bien voulu exercer auprès d'eux, peuple abhorré des Juifs, et ils décrivent à merveille par ces deux mots la catholicité de son œuvre : il est venu pour sauver le monde entier et pas seulement une nation privilégiée.

Jean 4, 43-54 =


Jean 4.43 Après ces deux jours, Jésus partit de là pour se rendre en Galilée. - Dans le grec, avec l'article : les deux jours passés à Sichar (v. 40). - Et s'en alla. (Ces mots sont omis par le copte, le syriaque Cureton, Origène, etc.). Nous revenons ainsi au v. 3, où se trouve la même formule : le séjour à Sichar n'avait été qu'un épisode. Il est à remarquer qu'il n'est plus question des disciples jusqu'à 6, 3. Peut-être auront‑ils quitté Jésus à leur entrée en Galilée, pour rejoindre chacun sa famille.

Jean 4.44 Car Jésus avait déclaré lui-même qu'un prophète n'est pas honoré dans sa patrie. - Jean 4, 43-45. = Matth. 4, 12 ; Marc. 1, 14-15 ; Luc. 4, 14-15. Ces trois versets forment une sorte d'introduction, analogue à celles que nous avons rencontrées 2, 13, 23-25, 4, 1-4. Sur la très grande probabilité du parallélisme des quatre évangiles en cet endroit, voyez la note du v. 3. - Lui‑même. Il ressort de cette particule et aussi de tout l'agencement de la pensée (comp. les versets 43 et 45), que l'historien veut indiquer ici le motif spécial qui conduisait alors Jésus dans la province de Galilée. Ce motif est immédiatement condensé dans un proverbe placé sur les lèvres du Sauveur lui‑même : un prophète n'est pas honoré dans sa patrie. Mais y a‑t‑il vraiment là un lien logique? De ce qu'un prophète n'est pas honoré dans son propre pays, ne s'en suivait‑il pas, au contraire, que Jésus aurait dû tourner le dos à la Galilée ? On a essayé de résoudre la difficulté de plusieurs manières. 1° L'évangéliste désignerait la Judée par les mots « dans sa patrie » (Origène, Patrizi, Klofutar, Ebrard, Plummer, Westcott, Keil, etc.), et dès lors on comprendrait sans peine que, mal reçu dans cette province, Notre‑Seigneur eût cherché un refuge auprès des Galiléens. Mais, quoique Jésus fût né à Bethléem, c'est toujours la Galilée qui nous est présentée comme sa patrie dans l’Évangile, cf. 1, 45-46 ; 7. 41-42 ; Matth. 13, 54 ; Marc. 6, 1 ; Luc. 4, 16, 23. Et puis, malgré la haine naissante des prêtres et des pharisiens, n'avait‑il pas été, au fond, assez bien reçu en Judée? cf. 2, 23 ; 3, 22 ; 4, 1. 2° S. Cyrille d'Alexandrie, le Dr Klee, le P. Corluy, etc., sous‑entendent, en tête du verset : « et passant par Nazareth, il alla au‑delà ». 3° S. Jean Chrysostome, Euthymius, etc., supposent une ellipse analogue, mais qui se rapporterait à Capharnaüm, nommée par S. Matthieu (9, 1), la cité de Jésus. Ces deux opinions ont le tort de restreindre le sens du substantif « patrie », qui désigne une province d'après le contexte, et pas seulement une bourgade. 4° Selon d'autres (Gfroerer, Meyer, etc.), le sens serait que Jésus ne vint en Galilée que lentement et en hésitant, parce qu'il n'ignorait pas qu'il y serait mal vu. Mais la narration dit à peu près le contraire de cela. 5° Luthardt a trouvé une explication ingénieuse, mais forcée. Jésus, dit‑il, après avoir été si parfaitement accueilli en Samarie, passa en Galilée précisément pour y vivre oublié, tranquille ; il comptait sur la réalisation du proverbe cité. Les synoptiques, qui nous montrent Notre‑Seigneur déployant une grande activité dès son retour en Galilée, réfutent cette hypothèse. 6° Nous aurions ici une explication anticipée du fait signalé plus bas (v. 45) : « les Galiléens l'accueillirent, parce qu'ils avaient vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem ». Pour ces miracles opérés à Jérusalem, les Galiléens n'eussent témoigné aucun honneur à Jésus, conformément à l'adage populaire (Lücke, de Wette, Tholuck, Bisping, etc.). Ou, avec une nuance (Watkins), le Sauveur voulait expliquer ainsi pourquoi il n'ouvrait son ministère en Galilée qu'après avoir partiellement évangélisé la Judée et la Samarie. Il savait qu'aucun prophète n'est honoré de ses compatriotes : il apportait donc du dehors une réputation toute faite. Nous nous rangeons de préférence à cette dernière interprétation. Quant au proverbe même, Voyez la note sous Matthieu, 13, 57, et l'Evang. selon S. Marc, 6, 4. L'allusion de S. Jean aux récits des synoptiques est évidente ; mais il abrège et il généralise, et c'est pour cela que la pensée présente moins de clarté.





Jean 4.45 Lorsqu'il fut arrivé en Galilée, les Galiléens l'accueillirent, ayant vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem pendant la fête, - Accueillirent désigne une réception enthousiaste. S. Luc l'a décrite plus au long, 4, 14-15 : « Alors Jésus retourna en Galilée... et sa renommée se répandit dans tout le pays. Et il enseignait dans leurs synagogues, et il était glorifié par tous ». - ayant vu tout ce qu’il… Ils avaient vu les signes, cf. 2, 23 et 3, 2.











Jean 4.46 car eux aussi étaient allés à la fête. Il retourna donc à Cana en Galilée, où il avait changé l'eau en vin. Or, il y avait un officier du roi dont le fils était malade à Capharnaüm. - à la fête. Le mot grec désigne, comme d'ordinaire, la fête et son octave. Les Galiléens s'étaient trouvés à Jérusalem en même temps que Jésus. Ils y étaient venus en qualité de pieux pèlerins, pour célébrer, conformément à la loi (Deutéronome 16, 16), la Pâque dans le sanctuaire de Dieu. Voyez la note sous Luc, 2, 41. - Ce miracle ne doit pas être confondu avec la guérison de l'esclave du centurion, que relatent de concert S. Matthieu, 8, 5-13, et S. Luc, 7, 1-10. S. Irénée paraît déjà avoir identifié les deux faits (« puis il guérit le fils du centurion à distance, d'une simple parole, en disant : « Va, ton fils vit »), Contre les Hérésies 2, 22. Le même sentiment trouva quelques adeptes à l'époque de S. Jean Chrysostome et de S. Augustin ; fin XIXème siècle, il n'a été soutenu que par un très petit nombre d'exégètes (entre autres, Ewald, Semler, de Wette, Baur, quatre rationalistes). Voici en quels termes S. Augustin le réfutait : « Voyez la différence qui se trouvait entre eux. L’officier désirait voir le Sauveur descendre jusque dans sa maison : le centurion, de son côté, s’en disait indigne. A celui‑ci, Jésus disait : « J’irai et je le guérirai » et à l’autre : « Va, ton fils est guéri ». Il promettait de visiter l’un, et il guérissait l’autre d’une parole ; l’officier cherchait à lui arracher la faveur d’une démarche, le centurion s’en proclamait indigne », Traité 16 sur l'évangile selon S. Jean. Il serait aisé de multiplier les divergences. Ici la scène se passe à Cana, là à Capharnaüm ; ici le malade est le fils du suppliant, là son esclave ; ici la foi paraît avoir été imparfaite, là elle est d'une admirable vivacité, etc. Dans les deux cas, pourtant, le miracle fut opéré à distance ; mais c'est l'unique point de ressemblance. - Il retourna donc… Il est dans les habitudes de S. Jean de signaler, en même temps que le nom d'une personne ou d'une localité, quelque circonstance extraordinaire qui les a rendus à jamais célèbres dans l’Église (Trench), cf. 7, 50 et 19, 39 ; 1, 44 et 12, 21 ; 13, 23, 25 et 21, 20. D'ailleurs, pour Cana il s'agissait d'un miracle récent, qui vivait dans toutes les mémoires. - Il y avait un officier du roi. Le mot grec βασιλιϰός est formé de βασιλεύς, roi, et est souvent employé substantivement par Plutarque, Polybe et l'historien Josèphe, pour désigner des officiers ou fonctionnaires royaux. C'est ici (et au v. 49) le seul endroit du Nouveau Testament où il apparaît avec cette signification. S. Jérôme le traduit par « officier du palais ». Il désigne donc un officier civil ou militaire d'Hérode Antipas ; car, bien que ce prince ne fût que tétrarque, on continuait néanmoins à lui appliquer, dans le langage populaire, le titre de βασιλεύς, qui avait été celui de son père Hérode‑le‑Grand, cf. Matth. 14, 9 ; Marc. 6, 14. C'est sans la moindre preuve que plusieurs auteurs ont identifié notre βασιλιϰός à Chuza (Luc. 8, 3) ou à Manahen (Actes 13, 1). Ce détail nous introduit au cœur même du récit.



Jean 4.47 Ayant appris que Jésus arrivait de Judée en Galilée, il alla vers lui et le pria de descendre, pour guérir son fils qui était à la mort. - Le bruit du retour de Jésus, le grand thaumaturge, s'était immédiatement répandu dans toute la contrée. - Il alla vers lui. De Capharnaüm, où il avait sa résidence, l'officier royal vint rejoindre Notre‑Seigneur à Cana, sur le plateau de Galilée. - Le pria de descendre. Expression très exacte : entre Cana et Capharnaüm, la ville du lac, la différence d'altitude est de 400 mètres. - Son fils… était à la mort. Ce touchant détail explique l'insistance du pauvre père. La traduction littérale de la phrase grecque, serait « car il devait mourir ». Le malade était si bas, que, vu le cours ordinaire des choses, c'était pour lui une presque nécessité de mourir.



Jean 4.48 Jésus lui dit, "Si vous ne voyez des signes et des miracles, vous ne croyez pas." - Jésus fait à l'officier une réponse bien sévère. Mais il procéda de la même façon en d'autres circonstances analogues (cf. Matth. 15, 23, 24 et parall. ; Matth. 17, 16 et parall.). Il aimait à susciter la foi des suppliants ; or, comme on l'a maintes fois répété à la suite de S. Jean Chrysostome et de S. Grégoire le Grand, celle du βασιλιϰός semble avoir été entachée de plus d'une imperfection. Cet homme croyait probablement, d'après le v. 49, que la présence de Jésus était nécessaire pour la guérison, que sa puissance ne s'étendait que sur les maladies et non sur la mort, etc. Au surplus, Notre‑Seigneur s'adresse moins au malheureux qu'à l'ensemble des assistants : c'est donc sur toute la foule que retombe le reproche. - Des signes et des miracles (Ce dernier mot n'est pas employé ailleurs par S. Jean). Deux substantifs souvent combinés dans le Nouveau Testament, pour représenter les miracles sous leurs aspects divers, cf. Matth. 24, 24 ; Marc. 13, 22 ; Act 2, 22, 43 ; 4, 30 ; 5, 12 ; 6, 8 ; 7, 36 ; 8, 13 ; 14, 3 ; 15, 12 ; Romains 15, 19 ; 2 Corinthiens 12, 12 ; Hébreux 2, 4, etc. « Le premier désigne le miracle relativement au fait du monde invisible qu'il manifeste ; le second le caractérise relativement à la nature extérieure dont il brave les lois ». Le premier suggère aux témoins du miracle une vérité supérieure garantie par lui ; le second s'en tient aux effets éclatants qui sont produits. Voyez la note sous Matth., début chap. 8. - Si vous ne voyez… vous ne croyez. « Les Juifs demandent des signes », dira pareillement S. Paul, 1 Corinthiens 1, 22. Déjà le v. 45 l'a insinué, à ces Galiléens il fallait des miracles avant tout ; pas de foi sans miracle ; voir d'abord et croire ensuite. Jésus préférerait au contraire la foi indépendamment des miracles : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », Jean 20, 29. Telle avait été celle des Samaritains, v. 39 et 41.

Jean 4.49 L'officier du roi lui dit : "Seigneur, venez avant que mon enfant meure. - Le suppliant, soutenu par l'amour paternel, ne se laisse pas rebuter, mais il renouvelle humblement sa requête ; d'un autre côté, il s'en tient aux mêmes expressions (cf. v. 47), supposant encore que la présence de Jésus était indispensable : il n'a pas su profiter complètement de la leçon. - Mon enfant. Le grec a le diminutif qui exprime si bien ici l'affection et la douleur du père, cf. Marc. 5, 23, 35. Le malade n'était d'ailleurs qu'un enfant. Jésus et le narrateur emploient un terme plus noble, (v. 47, 50, 53) ; les serviteurs, un mot familier (v. 51).



Jean 4.50 Va, lui répondit Jésus, ton enfant est plein de vie." Cet homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et partit. - Va, Répondit le divin Maître, accordant et refusant tout ensemble. Je ne t'accompagnerai pas à Capharnaüm ; néanmoins, ton fils est plein de vie. C'est-à-dire, il est sauvé, il est guéri. Voyez, v. 51 ; Isaïe 38, 1 ; 2 Rois 1, 2, la répétition de cet hébraïsme. - Cet homme crut. La conduite de Jésus était une épreuve, que l'officier subit noblement cette fois. Sur le champ, il crut et se mit en route. Notez encore la pittoresque variation des temps : il crut, ce fut l'affaire d'un instant ; et partit : son voyage devait durer plusieurs heures.



Jean 4.51 Comme il s'en retournait, ses serviteurs vinrent à sa rencontre et lui apprirent que son enfant vivait. - Comme il s’en retournait. Pour la troisième fois nous avons cette locution si exacte. - Vinrent à sa rencontre. Les serviteurs s'étaient tout naturellement dirigés du côté de Capharnaüm après la guérison, afin d'apprendre plus promptement à leur maître l'heureuse nouvelle. - Son enfant vivait. D'après la Recepta, que ton fils vit.

Jean 4.52 Il leur demanda à quelle heure il s'était trouvé mieux et ils lui dirent : "Hier, à la septième heure, la fièvre l'a quitté." - Il leur demanda à quelle heure... C'est un contrôle assurément, mais qui provenait de la foi, non du doute. L'officier royal veut être à même de rattacher à Jésus, et à lui seul, la guérison de son enfant. - Il s'était trouvé mieux : gracieuse formule qu'Arien, Dissert. Epict. 3, 10, 13, place dans la bouche d'un médecin. Le détail hier semble tout d'abord assez étonnant, quoiqu'il y ait six ou sept heures de marche entre Cana et Capharnaüm. En effet, la septième heure, interprétée à la façon ordinaire des Juifs, équivaut à une heure de l'après‑midi : comment donc le maître et ses serviteurs ne se seront‑ils rencontrés que le lendemain, en supposant même que ces derniers se fussent seulement avancés à une petite distance de Capharnaüm ? Divers commentateurs profitent de cette difficulté pour faire prévaloir le système d'après lequel S. Jean compterait les heures d'après la mode romaine, non d'après celle des Juifs : dans ce cas, la septième heure correspondrait à sept heures du soir, et le mot hier s'expliquerait sans peine. Mais il n'est nullement démontré que ce système soit vrai (nous le discuterons plus tard ; voyez 1, 39 ; 4, 6 ; 19, 14, et les commentaires. D'autres, pour éliminer la difficulté, supposent, malgré le contexte (v. 50) et malgré les vraisemblances psychologiques, que le père passa la nuit à Cana ou dans quelque hôtellerie intermédiaire, et ne rentra chez lui que dans la matinée du jour suivant. La meilleure solution consiste à dire, avec la plupart des exégètes, que la rencontre du maître et des serviteurs n'eut lieu qu'après le coucher du soleil ; or, la journée juive commençant précisément le soir, à l'heure où cet astre disparaît à l'horizon, on pouvait dire sans qu'une nuit se fût nécessairement écoulée dans l'intervalle. - La fièvre l'a quitté. L'expression suppose une guérison complète et instantanée.

Jean 4.53 Le père reconnut que c'était l'heure à laquelle Jésus lui avait dit : "Ton fils est plein de vie" et il crut, lui et toute sa maison. - Après avoir consigné ce procès‑verbal du miracle (v. 51-52), l'évangéliste en expose le magnifique résultat. - Il crut. Plus haut (v. 50) l'officier royal avait cru à la parole de Jésus ; maintenant, s'élevant à un degré supérieur, il croit en sa dignité messianique. Tel est ici le sens de il crut. S. Jean aime à signaler le développement de la foi de ses personnages, cf. 1, 38, 41 ; 4, 39, 41, etc. - Et toute sa maison. C'est-à-dire, toute sa famille dans l'ancienne acception de ce mot (femme, enfants, serviteurs).

Jean 4.54 Ce fut le second miracle que fit Jésus en revenant de Judée en Galilée. - La phrase est étrange à première vue, mais la signification est claire d'après 2, 1 et ss. Deux fois déjà Jésus‑Christ était revenu de Judée en Galilée, et chacun de ses retours fut marqué par un grand miracle opéré à Cana. Heureuse bourgade, tant honorée. S. Jean tient à compléter les synoptiques, et à montrer que ce qui, dans leur narration, paraissait être le premier retour de Notre‑Seigneur en Galilée, était de fait le second. Voilà pourquoi il insiste sur ce détail.



CHAPITRE 5





Jean 5.1 Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem. - Après cela… C'est la circonstance de temps qui est surtout indiquée par cette première ligne. On a cru reconnaître une petite nuance dans l'emploi que fait S. Jean des deux formules chronologiques μετα τοΰτο (cf. 2, 12 ; 11, 7, 11 ; 19, 28, etc.) et μετα ταΰτα (au pluriel, cf. 3, 22 ; 5, 14 ; 6, 1 ; 13, 7 ; 19, 38 ; 21, 1, etc.). La première, qui est plus précise et plus serrée, exprimerait une relation assez étroite de succession, de dépendance entre les faits ; la seconde, plus vague et générale, n'indiquerait rien de semblable et se bornerait à coordonner les événements. Distinction que nous croyons exacte au fond, mais qu'il ne faudrait pas trop presser. - Il y eut une fête des Juifs. Maldonat écrivait avec un brin d’impatience : « Jean nous aurait épargné beaucoup de peine et d'effort, s'il avait ajouté un seul mot pour préciser de quelle fête des Juifs il s'agissait » (h. l.). Que dirait aujourd'hui ce grand et vénéré commentateur, si, après avoir lu quelques cents pages de plus sur la question, il la trouvait plus complexe et plus embrouillée que jamais ? Mais adorons plutôt les desseins mystérieux de l'Esprit‑Saint, qui n'a pas voulu qu'une seule ligne de la quadruple biographie de Jésus fût composée pour satisfaire notre curiosité. On a pourtant de la peine à retenir un regret ; car, de cette date dépend entièrement la chronologie de la vie publique de Notre‑Seigneur, et en même temps la fixation de l'époque de sa mort. Quoi qu'on fasse, l'on gagne ou l'on perd une année : d'un côté deux ans et demi pour le ministère public du Messie, de l'autre trois ans et demi. Le dissentiment est, du reste, non moins ancien que profond ; il existait au temps des premiers Pères, et il n'est pas possible qu'il puisse jamais cesser. Notre modeste et rapide explication s'occupera tour à tour du texte, des points de repère pour la fixation de la fête, des opinions. 1°) Le texte prête déjà matière à la discussion, à propos d'un détail minime en apparence, mais qui, selon divers auteurs, contribuerait grandement à trancher la question dans un sens ou dans l'autre. Il s'agit de savoir si la leçon primitive du grec était ή έορτή , LA fête, ou simplement έορτή (sans article), UNE fête. L'article est omis par Origène et par la plupart des manuscrits, notamment par A, B, D ; il existe au contraire en d'autres documents anciens et importants (les man. א, C, E, L, Δ, etc., et les versions égyptiennes). Les autorités diverses s'équilibrent à peu près ; aussi les meilleurs exégètes sont‑ils en désaccord, les uns supprimant l'article, les autres l'insérant au contraire. Il nous semble que les copistes l'auront plutôt ajouté qu'enlevé, dans l'espoir de faire disparaître l'obscurité du texte. Quelle serait en effet « la fête » par excellence, sinon la Pâque ? Ainsi raisonnent beaucoup d'auteurs anciens et modernes ; ils allèguent les passages suivants, où les solennités pascales sont désignées par l'expression ή έορτή : Matth. 26, 5 ; 27, 15 ; Luc. 2, 42 ; Jean 4, 45 ; 11, 56 ; 12, 12. Toutefois, ce raisonnement n'est pas nettement convaincant à nos yeux, attendu que dans tous les passages cités, le sens des mots ή έορτή est déterminé de la façon la plus claire par le contexte, qui nomme positivement la Pâque. D'où il résulte que même la présence de l'article nous apprendrait ici bien peu de chose (le manuscrit V ajoute των άζύμων ; un autre, désigné par le nombre 131, ajoute ή σκηνοπηγία : interpolations manifestes). 2°) Dans ce que nous appelons les points de repère il n'y a rien non plus de bien saillant pour dirimer la controverse, puisque les partisans de toute opinion y sont venus puiser tour à tour quelques unes de leurs preuves contradictoires. Voici du moins les principaux. a) Le récit de S. Jean signale deux dates fixes, soit avant, soit après notre passage : savoir, la première Pâque de la vie publique du Sauveur, 2, 23, et le miracle de la multiplication des pains, qui eut lieu à proximité d'une autre Pâque, 6, 4 (voyez la note critique rattachée à ce second texte). Entre ces deux Pâques aucune autre fête n'est signalée, sinon notre « fête des Juifs ». b) A la suite de la première de ces Pâques, Jésus quitta Jérusalem et demeura quelque temps en Judée (3, 12) ; assez longtemps, d'après l'ensemble de la narration, pour qu'aient pu se produire les événements qui suscitèrent la jalousie des disciples de Jean‑Baptiste et des Pharisiens. c) D'après 4, 45, quand Notre‑Seigneur rentra en Galilée, le souvenir des miracles qu'il avait opérés à Jérusalem pendant la Pâque précédente était encore très vivace chez ceux qui en avaient été témoins : ce qui suppose que l'intervalle mentionné plus haut, tout en ayant une certaine durée, n'avait pas été très considérable. d) La parole de Jésus, 4, 35, fut vraisemblablement prononcée au mois de décembre qui suivit la première Pâque. e) 5, 1-6, nous voyons les malades en plein air sous les portiques. f) Le ministère de S. Jean‑Baptiste, qui durait encore au chap. 3, vv. 26 et ss., a maintenant pris fin (cf. 5, 35). g) La tournure « il faisait cela le jour du sabbat », 5, 16, par laquelle le narrateur résume le motif de l'hostilité des Juifs contre Jésus, semble faire allusion aux épisodes réitérés que mentionnent les synoptiques (cf. Matth. 12, 1-8 ; Luc. 6, 6-11, et parall ) : elle supposerait donc aussi un intervalle de temps assez notable entre 4, 54 et 5, 1. h) D'un autre côté, d'après 6, 2 et s., on voit qu'au moment où Jésus revint à Jérusalem pour la fête des Tabernacles postérieure à la seconde Pâque directement nommée par S. Jean (6, 4), par conséquent huit ou neuf mois après cette même Pâque, les pèlerins ont encore très vivante à l'esprit la mémoire du miracle de Béthesda. Donc, il paraîtrait peu naturel de trop séparer cette fête inconnue et cette solennité des Tabernacles. Voilà les renseignements que fournit une lecture attentive des premières pages de S. Jean : n'y trouve‑t‑on pas aussi un peu le pour et le contre, ainsi que nous l'affirmions ? Ils ont du moins leur prix, et nous aurons l'occasion d'y revenir plus bas. 3°) Les opinions. Il en existe presque autant que de solennités religieuses chez les Juifs. Caspari est pour le Yôm Kippour, fête de l'Expiation ou du Grand Pardon, qu'on solennisait en octobre (voyez sa Chronolog.-géograph. Einleitung in das Leben J.-C., p. 112 et s.) ; Képler et le P. Pétau pour la Dédicace (décembre) ; Krafft, Ewald, Ebrard, les PP. Patrizi et Curci pour la fête des Tabernacles (septembre ou octobre) ; Westcott pour la fête dite des Trompettes (nouvelle lune de septembre), sous prétexte que la double idée de cette solennité, la création et la révélation de la loi, correspond très bien au discours subséquent de Jésus (vv. 19 et ss) ; S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d'Alexandrie, Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Erasme, etc., pour la Pentecôte (vers le mois de mai) ; Wieseler, Tholuck, Hug, A. Maier, Bisping, Schegg et un grand nombre d'autres, pour la fête des Purim ; S Irénée, Théodoret, Eusèbe, Lightfoot, Cornelius a Lap., Luc de Bruges, Calmet, Klee, Neander, Greswell, Grimm, M. Fouard, le P. Corluy, etc., pour la Pâque ; enfin quelques exégètes, et des meilleurs, désespérant d'arriver même à une simple probabilité, renoncent complètement à rien déterminer. Ce n'est pas ici le lieu de discuter tous ces systèmes ; nous nous bornerons à dire quelques mots des deux principaux, ceux qui concernent la Pâque et les Purim, car il méritent seuls d'attirer notre attention, les autres étant arbitraires pour la plupart ou ne pouvant concorder avec l'ensemble du récit. Cette dernière remarque s'applique à la Pentecôte, qui n'était distante de la Pâque que de cinquante jours ; or il est impossible de placer dans un intervalle si restreint tous les événements racontés dans les chap. 3 et 4. - La fête des Purim (ימיהפורים ), ou des Sorts, avait été instituée par les Juifs en reconnaissance de la manière providentielle dont ils avaient échappé aux projets sanguinaires d'Aman, cf. Esther 3, 7 ; 9, 24, etc. Elle avait lieu en mars, peu de semaines avant les solennités pascales. Sans doute, il n'était pas nécessaire de venir la célébrer à Jérusalem, pas plus que la Dédicace ; mais elle avait alors chez les Juifs une très grande importance et jouissait d'une extrême popularité (cf. Joseph., Ant. 11, 6, 13). Comme elle avait un caractère exclusivement israélite, S. Jean la supposait à bon droit inconnue de ses lecteurs - c'est pourquoi elle est la seule fête qu'il ne désigne pas nommément ; c'est pour le même motif que les anciens écrivains ecclésiastiques n'ont jamais pensé à elle, tandis que les commentateurs les plus récents, mieux au courant des usages judaïques, se sont fréquemment décidés en sa faveur. Il nous plairait vivement que ce sentiment fût certain, car la fête des Purim cadrerait au mieux avec les données chronologiques dont nous avons donné précédemment le résumé. Placée à dix ou onze mois de la première Pâque (avril à mars), elle laisse tout le temps nécessaire pour les faits racontés depuis cette époque ; séparée par quelques semaines seulement de la seconde Pâque (6, 4 et ss.), et par quelques mois de la fête des Tabernacles de la même année (7, 2 et ss.), elle s'harmonise très bien aussi avec les événements subséquents, lesquels, disions‑nous, ne semblent pas supposer un long intervalle. On a objecté, il est vrai, le mode souvent assez profane de sa célébration ; mais il est possible que les extravagances relatées à ce sujet dans le Talmud fussent de date plus récente : au reste, cela n'a rien de commun avec le voyage de N.-S. Jésus‑Christ et avec son apparition dans le temple. - Une objection distincte de celle‑là nous paraît beaucoup plus importante, si grave qu’elle suffit pour entraîner notre adhésion d'un autre côté : c'est le sentiment de S. Irénée, le plus ancien des Pères qui se soit occupé de cette question. Pour lui, il n'hésite pas à dire, que l' ἑορτὴ τῶν Ίουδαίων était la Pâque. « Après quoi il monta une deuxième fois à Jérusalem pour la fête de la Pâque, et c'est alors qu'il guérit le paralytique qui gisait aux abords de la piscine depuis trente‑huit ans, en lui ordonnant de se lever, de prendre son grabat et de s'en aller », écrit‑il, Contr. Hær. 2 ; 22, cf. Theodoret, Comment. in Daniel 9. S'il s'est trompé sur l'ensemble de la vie publique de Notre‑Seigneur en l'allongeant outre mesure, l'erreur était plus difficile sur un détail particulier, dont la tradition devait avoir mieux conservé le souvenir, et qui se rattachait à un texte évangélique. Nous ne nions pas que cette solution ne laisse de sérieuses difficultés. Par exemple, S. Jean, qui nomme si exactement et si nettement les autres Pâques (cf. 2, 13 ; 6, 4 ; 11, 55), et même les autres fêtes moins importantes (7, 2 ; 10, 22), aura laissé cette solennité dans le vague ; sans qu'on puisse expliquer pourquoi. En outre, il mentionnerait deux Pâques coup sur coup, ici et 6, 4, et laisserait pour ainsi dire en blanc toute une année du ministère messianique de Jésus. Mais, sur ce second point, nous pouvons répondre que S. Jean suppose dans ses lecteurs la connaissance des trois premiers évangiles, où l'on trouve assez de faits à intercaler entre ces deux Pâques. D'ailleurs, nous ne parlons que d'une plus grande probabilité, puisque une décision certaine est et demeurera toujours impossible. - Jésus monta à Jérusalem. On ne saurait dire si Jésus vint seul ou accompagné de ses disciples, deux opinions qui ont été tour à tour soutenues. Nous avons eu occasion de le dire, ces voyages de Notre‑Seigneur à Jérusalem ont une importance capitale dans le quatrième évangile, où ils sont mis en relief avec une intention visible. C'est que la capitale juive fut le centre où se forma l'opposition au rôle messianique de Jésus, et qu'à chacun des séjours qu'y fit le divin Maître, elle alla toujours développant sa résistance contre lui. Chaque voyage du Sauveur à Jérusalem prépara donc la catastrophe finale, et marqua « un degré nouveau dans l'endurcissement des Juifs », comme aussi un nouveau degré dans la manifestation de sa propre mission et de sa divinité. On comprend, d'après cela, que ces voyages soient devenus le fil historique auquel S. Jean a rattaché son récit de la vie publique tel qu'il l'avait conçu.



Jean 5.2 Or, à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il y a une piscine qui s'appelle en hébreu Béthesda et qui a cinq portiques. - Après la circonstance du temps, nous trouvons celle des lieux. De l'emploi du temps présent, ἔστιν, on a parfois tenté de conclure que le quatrième évangile aurait été écrit avant la ruine de Jérusalem ; mais l'argument n'est pas décisif. La piscine pouvait fort bien n'avoir pas été détruite par les Romains (le réservoir n'avait certainement pas disparu, et S. Jérôme, à la suite d'Eusèbe, parle des murs comme existant encore de son temps). Surtout le narrateur, à la façon de beaucoup d'autres anciens historiens, a pu simplement décrire le local tel qu'il existait au moment du fait raconté. - La piscine des brebis. Les meilleures autorités grecques ont ici une variante d'une certaine importance : ἐπὶ τῇ προβατιϰῇ, (littéral. : « super probatica », comme traduit Ammonius) ϰολυμβήθρα ; de sorte que l'adjectif est complètement isolé du substantif suivant, n'étant pas au même cas que lui. Après προβατιϰῇ on sous‑entend πύλῃ, porte, mot omis par ellipse, ou par suite d'une abréviation populaire dont on rencontre des exemples analogues chez les classiques, et l'on traduit : Il existe à Jérusalem, auprès de la porte probatique, une piscine... Telle est certainement la véritable interprétation, quoique plusieurs manuscrits lisent : ἐπὶ τῇ προβατιϰῇ ϰολυμβήθρα, auprès de la piscine probatique ; ou, comme la Vulgate : προβατιϰῇ ϰολυμβήθρα, une piscine probatique. Cette porte de l'antique Jérusalem nous est bien connue par l'Ancien Testament, où elle est trois fois mentionnée (Néhémie 3, 1, 32 ; 2, 39 : שער הצאן). Son nom lui venait des troupeaux de moutons qu'on introduisait fréquemment par elle dans la ville, et surtout dans le temple pour les sacrifices. La porte des Brebis était en effet située au N.-E. de Jérusalem, non loin de la porte actuelle de S. Etienne, par conséquent tout auprès du sanctuaire juif. C'était encore par là, au XIXème siècle, que les Bédouins amènaient aux habitants de Jérusalem les moutons engraissés dans les steppes du district oriental. L'expression προβατική n'apparaît qu'en cet endroit du N. T.. - Piscine (ϰολυμβήθρα, « où l'on se baigne »)... Ses restes furent découverts au XXème siècle. Elle mesurait 120 mètres sur 60, était entourée de 4 portiques et le 5ème portique la divisait en son milieu en 2 bassins. Située au nord du Temple de Jérusalem, elle était proche des ruines actuelles de la Basilique Sainte Anne. - Qui s'appelle : ἡ έπιλεγομένη (le manuscrit Sinaït. a seul τὸ λεγόμενον) : « surnommée », d'où il suit qu'elle avait eu à l'origine et qu'elle avait peut-être encore alors un autre nom. - En hébreu (έβραΐστι ; quatre autres fois dans le quatrième évangile : 19, 13, 17, 20 ; 20, 16 ; deux dans l'Apocalypse : 9, 11 ; 16, 16). L'hébreu parlé à cette époque n'était plus la langue de Moïse, de David et d'Isaïe ; mais un idiôme chargé d'aramaïsmes : le syro‑chaldéen, comme on le nomme souvent. - Au lieu de Bethsaida, la plupart des manuscrits grecs portent Béthesda (βηθεσδά), qui est la leçon probable ; Eusèbe écrit βηζαθά. On n'est pas d'accord sur l'étymologie et, partant, sur le sens de ce nom. On l'a fait dériver tantôt de Beth‑aschâda ( כית-אםטיו ), « lieu de l'effusion » ; tantôt de Beth‑estâv (ביתאסטיו), οϊκος στοης , « maison du portique » ; tantôt de Beth-zêtha (ביתזיתא), « maison des oliviers » (à cause de la colline située en face) ; tantôt, plus communément et à bien plus juste titre, de Beth‑chesdah (בית־חסזא), « maison de merci », soit que cette dénomination fît allusion à la miséricorde divine qui se manifestait miraculeusement à Béthesda (vv. 3 et s.), soit qu'elle caractérisât simplement l'œuvre bienfaisante de celui qui avait érigé les portiques dans l'intérêt des pauvres malades. Nulle part ailleurs il n'est question de la piscine de Béthesda dans les écrits juifs, sacrés ou profanes. - Qui a cinq portiques : c'est-à-dire cinq galeries couvertes, et disposées en croix avec un portique au centre sur la piscine, qui la divisait en deux bassins. La partie extérieure était sans doute complètement murée pour mieux abriter les infirmes.



Jean 5.3 Sous ces portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux et de paralytiques. [Ils attendaient le bouillonnement de l'eau. - Sous ces portiques... Nous passons maintenant aux circonstances de personnes. - étaient couchés (κατέκειτο, l'imparfait de l'habitude et de la durée). Tout cela forme un tableau pittoresque, que le pinceau de Murillo a si bien reproduit. Voyez aussi la description d'anciennes peintures, sculptures, ou mosaïques représentant ce miracle, dans Rohault de Fleury, L’Évangile, Études iconograph. et archéologiq., t. 2, p.273 et s.,et dans Grimouard de S. Laurent, Guide de l'Art chrétien, t. 4, p. 227 et s. On a aussi de beaux tableaux de Carrache, de Jean Restout et d'Overbeck. - Un grand nombre de malades (των άσθενούντων) : terme général, qui est ensuite expliqué, développé par les trois expressions suivantes, lesquelles désignent des espèces particulières d'infirmités. La présence de l'article devant ce premier mot seul rend du moins ce sentiment très probable. - d'aveugles, de boiteux (κωλών) : ceux qui ont les jambes estropiées, les boîteux. - de paralytiques ( ξηρών ) Littéralement : les amaigris, c'est-à-dire les perclus et les paralytiques, cf. Matth. 12, 10 ; Luc. 6, 6, 8.



Jean 5.4 Car un ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine et agitait l'eau. Et celui qui y descendait le premier après l'agitation de l'eau, était guéri de son infirmité quelle qu'elle fût.] - L'évangéliste explique ce qu'il faut entendre par le « mouvement des eaux » qu'attendaient si impatiemment les malades rassemblés autour de la piscine. Mais quelles difficultés n'a pas suscitées son récit, qui paraît si simple au premier regard. Difficultés soit au point de vue du texte, soit sous le rapport de l'interprétation. - 1° Le texte est‑il authentique, ou bien n'avons‑nous ici, selon le mot de Meyer, qu'une «interpolation légendaire» ? Le verset entier a été omis par les manuscrits א, B, D, q, et par les versions de Memphis et de Thèbes ; il est marqué de l'obèle ou de l'astérisque, signe du doute ou du caractère apocryphe, en d'autres documents assez nombreux. Là où on le cite intégralement, il apparaît avec des variantes notables. Ces divers faits ont été cause que certains éditeurs renommés du Nouveau Testament grec, entre autres Alford, Tregelles, Tischendorf, MM. Westcott et Hort, l'ont éliminé comme une glose marginale insérée à tort dans le texte. « Cependant, allons‑nous répondre en empruntant les paroles d'un exégète ordinairement hostile à S. Jean, il y a aussi des arguments à faire valoir dans le sens opposé... II faut voir si l'ensemble du texte demande que les phrases suspectes (le v. 4 et les derniers mots du v. 3) y soient comprises, ou si l'on peut les omettre sans déranger le reste. Or, on voit plus loin (v. 7) que l'auteur parle de l'agitation de l'eau comme d'une chose connue de ses lecteurs ; il met dans la bouche du malade des paroles qui supposent que le lecteur sait déjà de quelle condition toute exceptionnelle dépendait la guérison. Nous demanderons donc si l'auteur, qui ailleurs explique à ses lecteurs des détails que tous les Juifs pouvaient savoir, et cela par la simple raison qu'il n'écrivait pas pour les Juifs, si l'auteur, disons‑nous, a pu supposer que des étrangers connaissaient la nature particulière de la source de Béthesda, si différente pourtant, par les phénomènes qu'elle présentait, de toutes les autres qui servaient alors à des bains hygiéniques ? Évidemment non. Il a dû donner des explications préalables, et le v. 7 reste inintelligible si l'on efface le 4e et la moitié du 3e. Nous admettons donc que le retranchement s'est fait après coup ». Reuss, La Théologie johannique, p.167. On ne saurait mieux raisonner « a priori » et d'après les motifs intrinsèques. Mais ce n'est pas tout : aux documents qui omettent ce texte, nous en pouvons opposer d'autres, plus nombreux encore, non moins anciens et non moins importants, qui le connaissent ; par exemple, Tertullien (De Baptism. c. 5) et tous les Pères, les manuscrits A, L, et la plupart des autres, grecs ou latins, la version italique, la Vulgate, dont personne ne méconnaît l'autorité, la première traduction syrienne, etc., etc. Notre passage remonte donc au moins au second siècle, et, dans les temps anciens comme maintenant, c'est la difficulté d'interprétation qui a occasionné sa suppression. - 2° Et cette autre difficulté, d'où provient‑elle à son tour ? Du fait extraordinaire, ou plutôt du grand miracle raconté au v.4. Exposons en effet le sens littéral des mots. Car un ange - le grec porte γάρ (car), c'est une explication que l'historien se propose de donner. du Seigneur n'existe nulle part dans le texte primitif. - Descendait à certains temps : mieux, en temps opportun ou à son heure (κατά καιρόν). Jointe à l'imparfait, cette formule désigne évidemment un phénomène qui se renouvelait de temps à autre ; par suite, une coutume, sans qu'il soit possible néanmoins de préciser la fréquence des « descentes » bienfaisantes de l'ange, non plus que l'origine du miracle. Rien n'indique dans le texte que le divin messager se manifestât souvent (quelques Pères restreignent ce fait aux grandes solennités) ou visiblement. Pour ce qui est du second point, il est beaucoup plus probable que l'ange demeurait invisible, sa présence n'étant signalée que par l'agitation des eaux (et agitait l'eau). - Et (ούν en conséquence) celui qui y descendait le premier… Le narrateur appuie évidemment sur cette circonstance, ό ούν πρώτοσ, pour montrer qu'à chaque fois la vertu miraculeuse des eaux ne s'étendait qu'à un seul malade, celui qui réussissait à se jeter le premier dans la piscine. - Était guéri, de son infirmité quelle qu'elle fût. Rien de plus net encore : quelle que fût la maladie, le résultat était infaillible, immédiat. Voilà bien le sens naturel des expressions : or, chacun voit que, d'après cette interprétation très simple, l'évangéliste raconte un grand miracle, ainsi qu'il a été dit plus haut. La tradition chrétienne a d'ailleurs ainsi compris la narration, et c'est avec peine que nous aurons à mentionner plus bas les hésitations et les commentaires embarrassés de plusieurs exégètes catholiques. - Quant aux rationalistes, ils nient carrément le miracle, suivis en cela par un grand nombre d'exégètes protestants, et ils échafaudent sur quelques données de l'antiquité tout un système d'explication, d'après lequel les choses se seraient passées de la façon la plus ordinaire et la plus naturelle. D'abord on nous cite l' « Onomasticon » d'Eusèbe, où cet auteur dit en propres termes que la piscine de Béthesda avait par moments des eaux merveilleusement rouges (παραδοξως πεφοινιγμενον δείκνυσι το ύδωρ ; « les eaux étaient extrêmement rouges, comme si on y avait mêlé du sang », comme traduit S. Jérôme). On nous cite encore les vers suivants de Prudence, Apotheosis, 680 et ss., auxquels nous avons fait allusion plus haut (note du v. 2) : « Les eaux de Siloe coulent irrégulièrement ; le courant n'est pas continu, mais la piscine reçoit par intervalles de grandes quantités d'eau. Des groupes de malades attendant l'apparition de l'eau, dans l'espoir de laver leurs taches corporelles dans sa pureté. Ils attendent impatiemment le grondement qui annonce l'arrivée de l'eau, en restant assis sur le bord sec de la piscine ». Donc Béthesda ou Siloé était une source minérale et gazeuse, à jets intermittents, qui produisait ses effets les plus prompts et les plus sûrs au moment de chaque ébullition temporaire, et dont la vertu curative diminuait ensuite. « C'est ainsi, par exemple, dit Tholuck lui‑même, qu'il existe à Kissingen une fontaine gazeuse qui, après une agitation préalable, se met à couler chaque jour à peu près aux mêmes heures, et qui est surtout efficace quand a lieu l'échappement gazeux » (Comm. in h. l.). Mais le peuple tenait ces phénomènes pour miraculeux, et S. Jean aura purement et simplement accommodé son récit à cette interprétation populaire. D'une façon analogue, ajoute‑t‑on pour conclure, les grossiers habitants du village de Siloam attribuent les mouvements irréguliers de la fontaine de la Vierge à un dragon, qui tantôt retient, tantôt laisse couler les eaux. - Nous répondrons à ces différentes objections en rappelant les lignes si claires de l'évangéliste, qui, à la façon dont il expose le fait, en prend pour ainsi dire la responsabilité personnelle et exclut toute interprétation naturelle. Un seul malade est guéri, celui qui descend le premier dans le réservoir après chaque ébullition, et n'importe quel genre d'infirmité trouve un soulagement complet, immédiat : qu'on trouve à Jérusalem ou à Kissingen des sources ferrugineuses et gazeuses capables de pareils effets ! La couleur rouge dont parle Eusèbe n'y fait absolument rien ; quant à la description de Prudence, elle abonde en hyperboles, et n'a rien de commun avec le récit sobre et concret de S. Jean. - Entre ceux qui admettent franchement le miracle et ceux qui le rejettent franchement aussi, nous trouvons depuis quelques années une opinion mixte, qui a pour principaux adhérents le Dr Olshausen, protestant plongé dans le mysticisme, et plusieurs commentateurs catholiques, tels que MM. Bisping, A. Maier, tous les deux assez larges parfois, et même M. Schegg, si savant et d'ordinaire si solide. Suivant eux, ce n'est pas un miracle proprement dit qui est relaté au v. 4. L'écrivain sacré ne veut pas exprimer autre chose qu’un événement naturel, résultats des propriétés minérales et gazeuses de la piscine ; seulement, il s'exprime à la façon des Juifs (et plus tard des chrétiens), d'après lesquels une origine supérieure, un ange délégué par Dieu, existe à la base de tout phénomène sensible. A ce propos on mentionne de beaux passages des Saints Pères. « Toute chose visible en ce monde est sous la garde de quelque puissance angélique », S. Augustin, lib. 83 questions. c. 79. « Il existe neuf ordres d’anges... Les anges qui réalisent des choses admirables et opèrent des miracles d’une grande puissance appartiennent à l'ordre des Vertus », S. Gregoire le Grand, Homélie 34 in Evang. Ici encore la réponse est facile. Vous dites trop et vous ne dites pas assez : trop, car vous faites aux rationalistes une concession inutile ; pas assez, attendu que le texte demande davantage, un vrai miracle.



Jean 5.5 Là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans. - Après tous ces détails généraux et préliminaires, que les discussions entre exégètes ont si notablement et si péniblement allongés, nous arrivons directement au fait. - Là se trouvait un homme. Parmi tous les malades qui s'empressaient autour de la piscine, le narrateur mentionne à part celui que la Providence avait choisi pour en faire l'objet d'un nouveau miracle. Les mots trente‑huit ans ne désignent pas l'âge de l'infirme ; ils doivent être rattachés à malade (έν τηάσθενεία), et marquer le temps qu'avait duré la maladie. Trente‑huit ans, cela suppose un mal invétéré, incurable par les moyens humains ; ce qui met en relief la grandeur du miracle. Le caractère spécial de la maladie n'est pas déterminé ; du verset 8, on a conclu parfois, et assez légitimement, que c'était une paralysie au moins partielle (ξηρῶν du v. 3).



Jean 5.6 Jésus l'ayant vu gisant et sachant qu'il était malade depuis longtemps, lui dit : - L'ayant vu couché (κατακείμενον, comme au v. 3) : misérablement étendu sur son grabat, et à peu près sans espoir de guérison (v. 7). - Et sachant, γνούς. D'ordinaire, c'est le verbe οιδα qui est employé par l'évangéliste pour marquer la science surnaturelle de Jésus et son intuition divine (cf. 13, 1, 3, 7, etc), d'où l'on a quelquefois conclu qu'en cette circonstance le Sauveur aurait pris des informations au sujet du malade ; mais une pareille déduction est contraire à l'esprit du récit, car nous voyons plus loin (v. 14) que Jésus lisait au fond du cœur de l'infirme comme dans un livre ouvert, cf. 4, 18.



Jean 5.7 "Veux-tu être guéri ?" Le malade lui répondit : "Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine dès que l'eau est agitée et pendant que j'y vais, un autre descend avant moi." - Veux‑tu être guéri ? Étrange question, ce semble : le malade n'était‑il pas précisément auprès de la piscine pour recouvrer la santé ? Et pourtant cette question a un but très accentué : Jésus voulait susciter l'attention du paralytique, faire naître en lui la foi et l'espérance, ainsi qu'en d'autres occasions analogues. Voyez S. Jean Chrysostome, Hom. 36 in Jean. C'est comme s'il lui eût dit : N'y a‑t‑il pas pour toi d'autre moyen d'être guéri que celui qui t'a manqué jusqu'ici ? Aussi use‑t‑il du verbe le plus expressif, θέλεις, qui indique une volonté bien arrêtée, au lieu d'employer βούλει, qui marque souvent une intention, une velléité. Cette première parole de Jésus au malade est donc simplement préparatoire. Nous en entendrons deux autres : un commandement (v. 8) et une exhortation (v. 14). - Le malade lui répondit (ο ασθενων cf. XI, 1). Il ne répond pas directement à la question de Jésus, mais bien à sa pensée telle que nous venons de l’exprimer. Notez l'appellation respectueuse Seigneur, κύριε, qu'il lui adresse tout d'abord. - Je n'ai personne. Parole si simple, et pourtant plus éloquente qu'un long discours. On ne saurait plus vivement décrire une détresse profonde et un complet abandon. Oui, il voulait la guérison, comme le manifestait sa présence auprès de la merveilleuse piscine ; mais la condition indispensable n'existait pas pour lui, d'après son naïf et douloureux commentaire. - Pour me jeter dans la piscine (ταραχθη comme au v. 4). Le verbe βάλλειν, jeter, dépeint d'une manière toute graphique le mouvement rapide qui était nécessaire pour profiter du céleste bienfait. - Pendant que j'y vais : sans aide, en me traînant péniblement et lentement. Il est touchant de lui entendre raconter sa navrante histoire sur un ton de grande résignation ; il avait dû lui‑même être profondément touché de voir un inconnu lui témoigner de l'intérêt. Mais sa misère va enfin cesser.



Jean 5.8 Jésus lui dit : "Lève-toi, prends ton brancard et marche." - Voyez une parole identique dans S. Marc, 2, 9, mais prononcée en une occasion très différente. Elle se compose de trois ordres brefs, irrésistibles et dramatiques, qui marquent admirablement les trois phases de la complète guérison. - Lève‑toi, car le malade était couché. Prends ton brancard ; le substantif κράβαττος, que l'on dit être d'origine macédonienne, servait ordinairement à désigner les couchettes des pauvres, formées de lattes et de courroies, et recouvertes d'un mince matelas, cf. Marc. 2, 4 et ss. ; 6, 55 ; Actes 5, 15 ; 9, 33.



Jean 5.9 Et à l'instant cet homme fut guéri, il prit son brancard et se mit à marcher. C'était un jour de sabbat. - Et à l’instant... Jésus avait parlé avec un accent auquel il n'était pas possible de résister. La foi et l'obéissance du malade furent promptes et complètes, sa guérison aussi. - Il prit son brancard et se mit à marcher. Il y a dans cette répétition un écho manifeste du commandement de Jésus. « En rapportant un fait miraculeux, l’évangéliste répète les mêmes mots dont le Christ avait coutume de se servir quand il commandait à la maladie ou à l’infirmité, pour montrer qu’aucune parole du Christ n’était sans effet. Comme s’il disait : dit et fait », Maldonat. La différence des temps dans le texte grec mérite aussi notre attention : fut guéri est à l’aoriste, se mit à marcher à l'imparfait, parce que le premier de ces deux actes fut seulement l'affaire d'un instant, au lieu que le second eut une certaine durée. - C’était un jour de sabbat... Note importante pour la suite du récit ; nous allons passer du miracle à ses conséquences immédiates, vv. 10-18.



Jean 5.10 Les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : "C'est le sabbat, il ne t'est pas permis d'emporter ton brancard." - Les Juifs dirent (l'imparfait de la réitération, de l'insistance)... Nous avons vu plus haut (cf. 1, 19 et le commentaire) que ce nom, dans le, quatrième évangile, désigne habituellement le parti hostile à Jésus parmi ses compatriotes. Des versets 15 et 33, il semblerait même résulter qu'ici il est question des membres du Sanhédrin, ou du moins de personnages importants (Rosenmüller). - Celui qui avait été guéri. ( τῷ τεθεραπευμένῳ. Au verset 13, nous trouverons un autre verbe à un autre temps, ίαθείς ). Les « Juifs » n'avaient pas été témoins de la guérison miraculeuse. Rencontrant tout à coup à travers la ville l’ancien paralytique chargé de son léger fardeau, ils lui rappellent, en tant que ministres théocratiques, un fait et un principe. - Un fait : C'est le Sabbat. Ils constatent que c'était une fête chômée. - Un principe : Il ne t'est pas permis... Ils avaient pour eux la lettre de la Loi, cf. Exode 23, 12 ; 31, 14 ; 35, 2-3 ; Nombres 15, 32 ; Néhémie 13, 15 ; Jérémie 17, 21. Conformément au langage rabbinique, cet homme agissait contre le trente‑neuvième des abôth, d'après lequel il était interdit, aux jours de sabbat, de porter un objet d'un endroit à un autre. Voyez la note sous Matthieu, 12, 2-3. « Si quelqu'un, disent les Rabbins, porte autant de paille qu'une vache en peut prendre dans sa bouche,... autant d'épis qu'en peut prendre un agneau, assez de feuilles d'ail ou d'oignon pour constituer la grosseur d'une figue, il viole la loi du sabbat. » Surenhusius, t. 2, p. 31, etc.



Jean 5.11 Il leur répondit : "Celui qui m'a guéri m'a dit : Prends ton brancard et marche." - Il leur répondit. Il a sa réponse toute prête, réponse très simple et parfaitement légitime. - Celui qui m'a guéri. (ὁ ποιήσας με ὑγιῆ). Combien ces mots disaient pour lui. Guéri d'un mal qui avait duré trente‑huit ans. - Il m'a dit. Lui, lui‑même. C'est là le mot important de la proposition. Sur cet emploi emphatique du pronom ἐϰεῖνος, si fréquent dans S. Jean, voyez la Préface, § 6, 2, cf. 1, 18, 33 ; 9, 37 ; 10, 1 ; 12, 48 ; 14, 21, 26, etc. On devine sans peine le sous‑entendu qui est caché sous ce rapprochement entre le miracle et l'ordre de Jésus. Celui qui a manifesté si visiblement son autorité divine en me guérissant n'était‑il pas en droit de me permettre d'emporter mon lit malgré le repos du sabbat ? « Celui qui m’a rendu la santé n’avait‑il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres? » S. Augustin d'Hippone Traité 17 in h. l. Les Rabbins l'enseignaient eux‑mêmes : « Si un prophète te dit de transgresser un article de la loi, écoute‑le, sauf s'il t'engage à l'idolâtrie ». Sanhédr, f. 90, 1.



Jean 5.12 Ils lui demandèrent : "Qui est l'homme qui t'a dit : Prends ton brancard et marche ?" - Ils lui demandèrent. Le dialogue se poursuit, aussi vivant dans la narration qu'il dut l'être dans la réalité. « Ils l'interrogent sur un ton menaçant » (Maldonat). - Qui est l’homme... Expression pleine de mépris : « l’homme ». De quel droit a‑t‑il pu te commander ce que Dieu défend ? - qui t'a dit... Tous les exégètes remarquent ici, et à juste titre, que la question est posée avec toute l'étroitesse habituelle des hiérarques juifs. Ces formalistes à outrance ne s'inquiètent en rien du grand miracle qui vient d'être opéré. Ce qui les frappe avant tout, c’est qu'un homme, peu importe qu'il fût thaumaturge, a osé dire à un autre homme en un jour de sabbat : Prends ton brancard et marche. Ils saisissent donc l'incident par son côté le plus défavorable, tandis qu'il était si noble et si relevé. Évidemment, ils se proposaient de faire un procès en règle à celui qui était « la cause de la cause », dès qu'ils le connaîtraient directement. Il est même probable qu'ils soupçonnaient quel était l'auteur de ce miracle, cf. 2, 23.









Jean 5.13 Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c'était, car Jésus s'était esquivé, grâce à la foule qui était en cet endroit. - Cet homme, depuis longtemps malade, habituellement sur son grabat auprès de la piscine de Béthesda, ne connaissait pas encore Jésus de vue. L'évangéliste ajoute un motif particulier d'une ignorance qui parait de prime abord assez extraordinaire : Jésus s'était esquivé... Le verbe grec ἐξένευσε, usité en ce seul endroit du Nouveau Testament, est tout à fait pittoresque. Quelques auteurs le rattachent à la racine νέω, suivant en cela l'exemple d'Hésychius (ἐϰνεύσας, ἐϰϰολυμβήσας), ce qui lui donnerait la signification de « nager, émerger », par suite « évader » ; mais il est préférable de le faire dériver de ἐϰ et νεύω, « je plie, je m'incline » ; il signifie alors proprement : « le corps incliné, la tête penchée », ainsi que cela arrive quand on veut sortir d'une foule pressée. - grâce à la foule. Les mots grecs correspondants ( ὄχλου ὄντος ἐν τῷ τόπῳ), qui sont au génitif absolu, peuvent désigner un motif ou un moyen. Dans le premier cas ils exprimeraient pourquoi Jésus s'échappa si rapidement après le miracle : il voulait éviter la foule ; dans la seconde hypothèse, qui nous paraît la plus vraisemblable, ils indiqueraient comment le Sauveur put aisément s'éloigner : il n'eut pour cela qu'à disparaître dans la masse du peuple.















Jean 5.14 Plus tard, Jésus le trouva dans le temple et lui dit : "te voilà guéri, ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire." - Plus tard, μετὰ ταῦτα. Quelques jours plus tard, d'après divers exégètes. Comp. la note du v. 1. Mais le détail qui suit, Jésus le trouva (au présent, εὑρίσϰει ) dans le temple, semble mieux convenir au jour même de la guérison ; le paralytique, en effet, n'aura rien eu sans doute de plus pressé que d'aller remercier Dieu dans le temple. - Et lui dit : te voilà guéri... Jésus lui rappelle d'abord l'immense bienfait qu'il venait de recevoir ; de là il tire ensuite une grave conséquence pour sa vie morale. Ainsi fait le prêtre charitable et zélé : il n'oublie jamais de soigner les plaies de l'âme, quand il a conquis la confiance en pansant les blessures extérieures. - Ne pèche plus, µηκέτι ἁµάρτανε. Il suit évidemment de cette recommandation que la maladie avait été, dans le cas présent, un châtiment providentiel car Jésus établit une connexion étroite, celle qui unit l'effet à sa cause, entre les souffrances passées de l'infirme et ses fautes privées. La voix de sa conscience disait à ce dernier de quels péchés spéciaux il s'agissait. Néanmoins Notre‑Seigneur enseignera plus tard, 9, 1-3 (voyez le commentaire), que l'on jugerait d'une façon très téméraire si l'on regardait en toute occasion les peines et les souffrances comme un indice de culpabilité individuelle. - De peur qu'il ne t'arrive quelque chose..., χεῖρόν. Quelque chose de pire qu'une maladie de trente‑huit ans ! Oui, car la Justice de Dieu peut infliger pire. « Personne n'est si malheureux qu'il ne puisse devenir plus malheureux encore », Hengstenberg. Cette parole de Jésus s’applique au purgatoire et à l'enfer car on ne voit pas qu’il puisse subir pire ici bas que 38 ans paralysé sur une civière. Celui qui retombe dans le péché après avoir reçu de grandes grâces, devient passible de peines plus lourdes à cause de son ingratitude : comme le dit saint Pierre, dans sa seconde lettre, chap. 2, 21 En effet mieux valait pour eux n'avoir pas connu la voie de la justice, que de retourner en arrière, après l'avoir connue, en abandonnant la loi sainte qui leur avait été enseignée. En outre, après être retombé une première fois dans le péché, l’homme pèche ensuite plus facilement : Le dernier état de cet homme devient pire que le premier (Matthieu 12, 45.) ».



Jean 5.15 Cet homme s'en alla et annonça aux Juifs que c'était Jésus qui l'avait guéri. - Cet homme s’en alla. Sur le champ ; trait pittoresque. - Et annonça aux Juifs... Tout naturellement, les exégètes ont essayé de déterminer le mobile de ce prompt message. Quelques‑uns n'ont pas craint de voir ici un acte de profonde malice, une odieuse dénonciation ; mais rien absolument ne justifie dans le texte une pareille conjecture. On est allé, ce semble, trop loin aussi dans un sens opposé, quand on a fait du paralytique un courageux apôtre, comme s'il eût voulu directement convertir les Juifs à Jésus. Le plus naturel consiste à dire que cet homme, d'un naturel timide et simple (comparez l'aveugle‑né par mode de contraste, 9, 9-27), songea tout d'abord à porter aux hiérarques la réponse qu'il n'avait pu leur faire au premier moment, v. 12 : il se lavait ainsi de l'accusation qu'ils avaient lancée contre lui (v.10), et en même temps il dégageait la responsabilité de Jésus, dont l'autorité se trouvait attestée par un miracle éclatant. Remarquez, à ce point de vue, la manière délicate dont il annonça la chose : qui l'avait guéri (comme au v. 11). Les Juifs (v. 12) lui avaient demandé : « Qui est l'homme qui t'a dit : Prends ton brancard » ?









Jean 5.16 C'est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus parce qu'il faisait ces choses le jour du sabbat. - C'est pourquoi, διὰ τοῦτο. Formule très souvent usitée dans le quatrième évangile.cf. v. 18 ; 6, 65 ; 7, 21-22 ; 8, 47 ; 9, 23 ; 10 ; 17 ; 12, 39 ; 13, 11 ; 15, 19 ; 16, 15, etc. Elle est plus expressive et plus explicite que le simple οὖν, que S. Jean emploie plus souvent encore. - Persécutaient, ἐδίωκον. Imparfait très significatif : poursuivre Jésus était leur acte permanent. Le verbe διωϰῶ est quelquefois une expression judiciaire qui équivaut à « chercher querelle », mais il a ici une signification plus générale et est pris en mauvaise part. - Parce qu'il faisait ces choses. Autre imparfait important, qui, ajouté au pluriel « ces choses », désigne plusieurs procédés analogues de la part de Jésus, une sorte de coutume. C'est sans doute une allusion aux autres miracles qu'il avait déjà opérés en des jours de sabbat, cf. Marc. 1, 21-28 ; Luc. 4, 31-37.



Jean 5.17 Mais Jésus leur dit : "Mon Père agit jusqu'à présent et moi aussi j'agis." - N.-S. Jésus‑Christ, devant ces mêmes adversaires, s'était proclamé le maître du temple, 2, 17 ; il se présente maintenant devant eux comme le roi et le maître du sabbat. Et de quelle manière profonde il le fait. Comparez Matth. 12, 11 ; Luc. 13, 15 ; 16, 5, où il alléguait simplement comme excuse les nécessités de la vie quotidienne, et Marc.2 25, où s'élevant plus haut, il était loin d'atteindre la région supérieure dans laquelle nous allons le contempler. - Leur dit. Sur cet emploi tout hébraïque du verbe, Voyez la note sous Matthieu, 11, 24-25. En fait, Jésus répondait ici aux accusations des Juifs, v. 16. Quelques commentateurs nous transportent de nouveau, mais sans raison suffisante, à une époque distincte de celle qui a été marquée aux versets 1 et ss. - Mon Père. C'est-à-dire : Dieu, le Créateur souverain, ainsi qu'il sera nettement affirmé au verset suivant. Toute la réponse de Jésus est contenue en abrégé dans ces deux mots : Mon Père. Il va droit au cœur de la question, afin de trancher l'erreur des Juifs à la racine. On le regarde comme un homme ordinaire, mais il montrera qu'il a des droits supérieurs, inattaquables, en tant que Fils de Dieu. - Agit jusqu'à présent (ἕως ἄρτι) : Notez le temps présent, ici et à la fin du verset. C'est un fait toujours vrai : il n'y a pas de sabbat absolu pour Dieu. Depuis l'instant où il s'est mis à l'œuvre pour appeler le monde à la vie, il n'a pas cessé de travailler, d'agir, car il faut son action perpétuelle pour conserver et gouverner ses créatures physiquement et moralement. Bien des Juifs refusaient d'y croire, prenant à la lettre des passages tels que Genèse 2, 1-2 ; Exode 20, 8, desquels ils concluaient que Dieu était, depuis le septième jour, un spectateur inerte de la création. D'autres Juifs croyaient à cette activité, mais ils osaient en être scandalisés. Pourquoi Dieu n'observe‑t‑il pas le sabbat ? demandaient‑ils d'une manière insensée. Et on parvenait à peine à les calmer par cette réponse non moins triviale : Est‑ce qu'un homme n'a pas le droit de se promener dans sa maison le jour du sabbat ? Or, la maison de Dieu, c'est tout le royaume d'en haut (le ciel) et tout le royaume d'en bas (la terre). Voyez le traité Schemoth Rabba, 30. D’autres enfin disaient noblement, comme Philon, Legis Allegor, 1, 3 : « Dieu ne cesse jamais d'agir ; mais, de même que le feu a la propriété de brûler, et que la neige a celle d'être froide, de même, agir est la propriété de Dieu, et cela d’autant mieux qu’il est à l’origine de l’activité pour tous les autres ». - Et moi aussi. Moi, son Fils ; moi aussi, ϰαὶ étant en cet endroit une particule de comparaison. - J'agis. Comme mon Père céleste je suis perpétuellement actif, sans avoir à m'inquiéter des jours, ni d'une loi qui a été faite par moi, non pour moi. - L'argument est court, à la façon d'une prophétie ; mais il est si riche, et si fort, et si « incommensurablement profond! » (Godet). Aussi cette ligne est‑elle, pour ainsi dire, le texte qui sera développé dans le sermon de Jésus (vv. 19-47). Remarquez en outre le sentiment tout filial, tout dévoué, que le Sauveur manifeste ici pour son Père. Lui, travaillant, pourrais‑je demeurer en repos ? Non, car je me dois entièrement à son œuvre.



Jean 5.18 À cause de cela, les Juifs cherchaient encore avec plus d'ardeur à le faire mourir, parce que, non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son père, se faisant égal à Dieu. Jésus reprit donc la parole et leur dit : - À cause de cela, διὰ τοῦτο οὖν (il y a une emphase visible dans la place donnée à ces mots). Comment riposteront les Juifs à cet argument de Jésus ? Par un redoublement de haine et d'hostilité. - Ils cherchaient encore avec plus d'ardeur... (à l'imparfait) : preuve que le verbe « persécutaient » du v. 16 exprimait déjà des désirs et des tentatives de meurtre. « C'est là le fil sanglant que nous apercevons à travers toute cette partie du quatrième évangile (7, 1,19, 25 ; 8, 37, 40, 59 ; 10, 31 ; 11, 53 ; 12,10. » (Plummer, h. l.). - Parce que non content de violer le sabbat ἔλυε, il dissolvait, il relâchait ; par conséquent, il tendait à abroger d'une manière générale. « Non content de » marque fort bien une gradation dans la prétendue faute ; à la violation du sabbat Jésus ajoutait, suivant eux, un crime autrement grand, celui de blasphème, qui ne méritait rien moins que la mort, cf. Lévitique 24, 16. - Il disait encore que Dieu était son Père (ἴδιον, « son propre », est plus expressif). Les Juifs avaient donc bien saisi la signification des paroles qu'ils venaient d'entendre. Jésus avait appelé Dieu « son Père » dans le sens strict, et non à la façon ordinaire des justes. S. Augustin disait, In evang. Jean Tract. 17 : « Voilà que les Juifs comprennent ce que ne comprennent pas les Ariens ». Comment les rationalistes peuvent‑ils refuser d'admettre, en face de pareilles assertions, que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ait réellement revendiqué la nature divine ? cf. 10, 30, 36. - Les mots se faisant égal à Dieu (ἑαυτόν, par opposition à Dieu) corroborent la pensée en la réitérant sous une forme plus nette encore. Se faisant l'égal de Dieu, c'est-à-dire, s'attribuant les mêmes opérations, les mêmes prérogatives, se mettant au même niveau que la divinité. - Jésus reprit donc la parole (οὖν) (les mots ὁ Ίησοῦς sont omis par quelques manuscrits )... Comme plus haut v. 17, Jésus répond aux pensées injustes des Juifs et à leurs poursuites haineuses.



Jean 5.19 "En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au Père et tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement. - Discours d'une extrême importance, même dans le quatrième évangile où toutes les paroles de N.-S. Jésus‑Christ ont une si haute gravité. Pour la première fois, le Sauveur se met à parler longuement de lui‑même, et il résume tout son enseignement sur sa propre personne. Non seulement il est le Messie, mais il est Dieu. Nous avons ici un témoignage personnel de Jésus qui est sans parallèle dans l'histoire évangélique. Le calme du divin orateur est admirable, digne du Fils de Dieu. On dirait un fleuve qui roule tranquillement ses eaux claires comme un miroir. Le raisonnement est serré, vigoureux ; l'expression est parfois tellement concise, l’idée si relevée et si abstraite, qu'il faut une attention spéciale nour saisir l'enchaînement des preuves : mais on se plonge avec délices dans cet océan insondable. Jésus va démontrer aux Juifs qu'étant le Messie, le Fils de Dieu, il n'est pas un violateur du sabbat, ni un vulgaire blasphémateur, comme on l'en accusait. Sa thèse a deux parties égales : dans la première, vv. 19-30, il expose la nature et les prérogatives du Fils ; dans la seconde, vv. 31-47, il parle des témoignages rendus au Fils et de l'incrédulité des Juifs. - Première partie du discours, vv. 19-30. C'est aussi la plus importante des deux sous le rapport théologique. Elle commente les paroles du v. 17, qui lui servent de thème et de texte. La nature et les prérogatives du Fils sont expliquées dans une série d’affirmations solennelles, que la particule car, quatre fois répétée, unit ensemble comme les anneaux d'une chaîne. Les attributs du Fils sont envisagés d'abord relativement à Dieu, vv. 19-23, puis relativement aux hommes, vv. 24-29 ; le v. 30 est une récapitulation. Ou encore, les vv. 19 et 20 nous montrent la communauté d’opérations qui existe entre le Père et le Fils ; nous voyons ensuite, vv. 21-27, le Fils chargé par le Père de vivifier moralement ou de condamner les hommes (d'abord générale, vv. 21-23, l’idée se particularise aux vv. 24-27) ; enfin le Fils nous apparaît comme souverain Juge à la fin des temps, vv. 28 et29 ; après quoi, le v. 30 nous ramène au point de départ, l'identité d'action du Père et du Fils. Résumé: le Fils est égal au Père, le Fils est Dieu : voilà sa nature ; ses prérogatives sont d'agir en union avec Dieu, d'être aimé de Dieu, d'avoir droit aux honneurs divins, de procurer aux hommes la vraie vie, de juger et de condamner les pervers. - En vérité... A trois reprises nous entendrons cette majestueuse formule dans la première partie du discours (comp. les versets 24 et 25). Voyez 1, 50 et le commentaire. Ayant à proclamer des vérités si importantes, Jésus en appelle au témoignage de Dieu ; il donne pour garantie à sa parole l'infaillibilité absolue du Père. Remarquons‑le bien : Jésus ne conteste pas le moins du monde le sens que les Juifs ont donné à son assertion du v.17 (comp. le v. 18) ; il y revient au contraire pour l'accepter, le confirmer pleinement. - Le Fils ne peut rien faire. La pensée est énoncée négativement dans la première moitié du verset, et réitérée dans la seconde en termes positifs. « Il ne peut pas » : c'est une impossibilité radicale et absolue ; non assurément à cause des limites qui seraient imposées à l'activité du Fils, car elle n'en connaît d'aucune sorte, mais par suite de ses relations intimes avec le Père, cf. Hébreux 1, 3. Un homme ordinaire pourrait séparer sa volonté et ses opérations de la volonté et des opérations de Dieu ; le Fils jamais, vu qu'il n'est avec le Père qu'un seul et même Dieu. - Le Fils. Nuances intéressantes à signaler : plus haut, v. 17, Jésus avait parlé à la première personne, et il reprendra d'une manière habituelle le pronom je à partir du v. 30 ; au v. 25, il emploie l'expression complète, « Fils de Dieu » ; au v. 27 il se désigne comme le « Fils de l'homme ». On conçoit qu'au début du discours il ait évité de se mettre directement en scène, de crainte de soulever aussitôt les passions déjà si vives de ses auditeurs. - De lui‑même, άφ' έαυτοῦ. Mots très importants dans ce passage : de lui‑même et contre la volonté du Père. C'est une expression propre à S. Jean. Voyez le verset 30 ; 7, 17, 28 ; 8, 28, 42 ; 9, 51 ; 14, 10 ; 15, 4 ; 16, 3. Sur l'objection que les Ariens tiraient autrefois de tout ce passage contre la divinité de N. S. Jésus‑Christ, voyez D. Calmet, Maldonat et les théologiens. Les « Unitariens », qui n'admettent qu'une seule personne divine, l'ont renouvelée fin XIXème siècle : il suffit de leur opposer les arguments par lesquels les Pères ont renversé l'arianisme. - mais seulement ce qu'il voit faire au Père (βλεπη). L'accent est ici sur Père, comme auparavant sur Fils. Ce que fait mon Père céleste, moi, son Fils, comment pourrais‑je ne pas l'opérer aussi ? Cette manière de parler ne désigne donc pas une imitation pure et simple, analogue à la conduite que les enfants tiennent souvent à l'égard de leurs pères ; c'est un anthropomorphisme, une métaphore, pour marquer une parfaite et intime connaissance des décrets de Dieu. - Tout ce que fait le Père, ᾃ γὰρ ἅν, toutes choses, quelles qu'elles soient. C'est la même pensée, exprimée d'une manière positive : non seulement l'amour filial met obstacle à ce que le Fils agisse par lui‑même, il le fait entrer directement dans l'œuvre de son Père (ίlle, ἐϰεῖνος) ; non seulement son action coïncide avec celle du Père, qu'elle imite, mais elle a en outre la même extension. - Le Fils aussi le fait pareillement. S. Cyrille d'Alexandrie. in h. l., lib. 2, c. 6, tire à merveille la conclusion théologique qui ressort de ces lignes si profondes : « Il peut accomplir tout ce que Dieu le Père peut accomplir, et il l'accomplit comme le Père lui‑même l'accomplit : Cela montre qu'ils sont de même nature... Donc, comme vrai Dieu engendré de Dieu le Père, Il dit qu'il peut accomplir toutes choses comme Lui ; qu'il jouit d'une puissance égale à celle du Père, en ayant en toutes choses la même Volonté que Lui ; et donc qu'il ne peut rien faire de lui‑même, si ce n'est ce qu'il voit faire au Père », cf. S. Augustin d'Hippone, In evang. Jean, h. l. Il y a donc une nécessité intrinsèque à ce que le Fils agisse en même temps et de la même manière que le Père, et cette nécessité s'appelle l'identité de nature. Ce verset 19 contient la clé de tout ce qui va suivre.



Jean 5.20 Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, qui vous jetteront dans l'étonnement. - Car le Père… Motif de la communauté d'opérations qui vient d'être signalée : c'est le lien d'amour qui unit le Père et le Fils. - Aime le Fils. D'ordinaire, l'affection de Dieu le Père pour son Fils, ou celle du Fils pour le Père, est marquée en grec par le verbe ἀγαπᾶν (cf. 3, 35 ; 10, 17 ; 14, 31 ; 15, 9 ; 17, 23, 24, 26), qui exprime ordinairement un sentiment plus relevé ; ici nous avons φιλεῖ, le verbe de la tendresse, de l'émotion. Le temps présent indique le caractère inaltérable, éternel de cette dilection. - On dit tout à ceux qu'on aime profondément : le Père, qui aime son Fils d'un amour unique, n'a pas de secrets pour lui : et (par suite de son affection) lui montre tout ce qu'il fait. « Montre » est en corrélation avec « voit » du verset précédent. C'est encore une image familière, empruntée aux communications intimes qui ont lieu ici‑bas entre les pères et leurs fils. - Mais, continue Jésus, l'avenir tient en réserve, sous ce rapport, des révélations supérieures à celles du passé, du présent : Il lui montrera des œuvres plus grandes. Le pronom lui, sur lequel repose la comparaison, désigne les grands miracles qu'avait opérés N.-S. Jésus‑Christ, et spécialement le dernier, occasion de ce discours ; ou mieux encore, toutes les œuvres communes au Père et au Fils depuis la création jusqu'au moment où le Sauveur parlait ainsi. Bientôt nous saurons ce qu'il faut entendre par « œuvres plus grandes ». Ἒργα est un mot cher à S. Jean pour dénoter les détails de l'œuvre de la rédemption par le Christ, cf. v. 16: 9, 4 ; 10, 25, 32, 37 ; 14, 11, 12 ; 15, 24. - qui vous jetteront dans l'étonnement (emphase : même vous) dans l'étonnement, l'admiration, θαυµάζητε. La conjonction ἵνα doit plus probablement se traduire ici par « de sorte que », car elle est synonyme de ωστε. Ιl n'est pas surprenant en soi que le Fils de Dieu fasse des miracles ; mais ceux qu'il accomplira seront si éclatants, que ses ennemis eux‑mêmes en seront émerveillés, ou plutôt stupéfaits, car tel est le sens de θαυμάζω dans ce passage.



Jean 5.21 Car, comme le Père ressuscite les morts et donne la vie, aussi le Fils donne la vie à qui il veut. - Car, comme... annonce de nouveau une explication. Ici et au v. 22, Jésus mentionne en termes généraux deux des « œuvres plus grandes » que son Père lui a donné pour mission d'exécuter ; il entrera ensuite sur elles dans des détails plus complets jusqu'à la fin de la première partie de son discours. - Première œuvre : la résurrection des morts. La manière dont le Père l'accomplit est décrite au moyen de deux verbes, qui en marquent les deux mouvements successifs. 1° le Père ressuscite, ἐγείρει ; littéralement : « il réveille ». La mort est tout d'abord chassée, 2° et donne la vie, ζωοποιεῖ ; une vie nouvelle est donnée, à l'état de mort succède celui de la reviviscence. - aussi (en corrélation avec « Car, comme ») le Fils donne la vie. Par abréviation, le second verbe seul est maintenant cité, mais c'est le plus important des deux - A qui il veut (scil. « au Fils ») est une note délicate à divers points de vue. D'abord, ces mots mettent en relief la toute‑puissance confiée au Fils par le Père : leurs volontés étant, du reste, identiques, ce que veut le Fils, le Père le veut aussi. En second lieu, ils montrent que le Fils n'exerce pas pour ainsi dire en aveugle, arbitrairement, ce sublime pouvoir de vivifier les morts ; car vouloir c'est choisir, et il ne peut choisir qu’avec une sagesse infinie. Enfin, hélas ! Ces mots déclarent que le Fils ne pourra exécuter envers tous les hommes son action vivificatrice ; car il en est qui « ne voudront pas », qui mettront obstacle, et c'est alors qu'il ne voudra pas lui‑même. Notez que les quatre verbes sont à l'indicatif présent, ce qui marque une puissance perpétuelle et permanente. Notez encore que la résurrection est, dans l'Ancien Testament, un attribut réservé exclusivement à Dieu : Deutéronome 32, 39 ; 1 Samuel, 2, 6 ; Tobie 13, 2 ; Sagesse 16, 13, etc. Les Juifs avaient inséré ce dogme dans leur symbole (13e article ; voyez le Précis élémentaire d'instruction morale et religieuse pour les jeunes Français israélites, 5e leçon). - Avant d'aller plus loin, nous avons à préciser le sens des expressions « vivifier, ressusciter » dans tout ce passage, en ce qui concerne le Fils. Il s'est formé en effet à leur sujet différentes opinions, et il n'est pas sans importance, pour la parfaite intelligence des vv. 21-27, de savoir au juste à quoi s'en tenir sur ce point. De quelle résurrection Jésus a‑t‑il donc voulu parler ici ? De la résurrection générale à la fin des temps, d'après S. Cyrille, Maldonat, etc. De la résurrection de Lazare, de la fille de Jaïre et du fils de la veuve de Naïm, au dire de S. Jean Chrysostome et de quelques autres exégètes. Enfin, de la résurrection spirituelle et mystique, d'après S. Augustin, le Ρ. Patrizi, Olshausen, Α. Maier, le Ρ. Corluy, etc. Nous adoptons sans hésiter ce dernier sentiment, qui paraît beaucoup mieux s'adapter soit aux expressions, soit à la pensée de Jésus. Dans cette série de versets (21-27), il parle au présent ; ou bien, au futur il ajoute un qualificatif (v. 25, « l'heure vient » ) pour montrer qu'il a en vue une action très prochaine ; plus loin (vv. 28 et 29), où tout le monde admet qu'il s'agit de la fin du monde, il emploie le futur. Ici, il met lui‑même des limites à la résurrection, comme nous l'avons insinué plus haut : « Il donne la vie à qui lui plaît » ; là, pas de limites, car tous les hommes sans exception seront ressuscités. Ces deux raisonnements, auxquels on ne saurait se soustraire, renversent l'opinion de S. Cyrille : quant à celle de S. Jean Chrysostome, elle est évidemment beaucoup trop restreinte pour épuiser la signification d'une parole qui est si vaste et si profonde dans ses conséquences.



Jean 5.22 Car le Père lui-même ne juge personne, mais il a donné au Fils le jugement tout entier, - Seconde œuvre supérieure du Fils : le jugement. - Une nouvelle connexion de pensées nous est annoncée par le « car »  : au pouvoir de ressusciter correspond en effet celui de juger, que nous prendrons par conséquent au moral et au figuré dans cette même série de versets (22-27). - Car le Père lui-même ne juge personne... C'est-à-dire le Père seul, à l'exclusion du Fils. L'expression grecque κρίνειν réunit trois notions : juger, séparer, condamner. Ici, c'est la dernière qui prévaut, par opposition à vivifier, cf. 3,17 et 18. - Mais il a donné au Fils le jugement tout entier. C'est le Fils qui est chargé de juger les hommes au nom du Père et en son propre nom. Donc, à ce point de vue encore ils ont communauté et identité d'opérations. S. Jean se sert fréquemment du verbe « donner» pour désigner les prérogatives du Fils de Dieu, cf. v. 36 ; 3, 35 ; 6, 37, 39 ; 10, 29 ; 17, 2, 4, 22, etc. - Jésus avait affirmé plus haut, 3, 17, que « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour le sauver » ; se contredirait‑il actuellement ? Non certes, car il parlait seulement alors du but direct et immédiat de son Incarnation, lequel consiste dans le salut des hommes, mais qui n'exclut pas le droit et le pouvoir de condamner ceux qui rejetteront le salut.



Jean 5.23 afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé. - Ce verset se rattache étroitement aux deux qui précèdent ; il exprime la fin pour laquelle Dieu a confié au Fils la puissance judiciaire, savoir : afin que tous honorent le Fils ; les hommes seront amenés par là à reconnaître sa nature, et à lui adresser des hommages dignes de lui, l'adoration évidemment, d’après le contexte : comme (expression importante) ils honorent le Ρère. - Celui qui n'honore pas. Jésus reprend sa proposition, et il la retourne pour en déduire une grave conséquence. Refuser au Fils, c'est-à-dire à N.-S. Jésus‑Christ, les honneurs qui lui sont dus, c'est les refuser au Père ; de même que, d'après l'allusion contenue dans la proposition finale (qui l'a envoyé), on outrage un monarque en refusant d'honorer l'ambassadeur auquel il a confié une mission. L'expression « envoyer » est propre à S. Jean pour désigner une des relations spéciales qui existent entre le Père et le Fils, cf. 4, 34 ; 5, 29, 31 ; 6, 39 et 39 ; 7, 16, 28, 33 ; 8, 26, 29 ; 9, 4 ; 12, 44, 45 ; 13, 20 ; 15, 21 ; 16, 5, etc.



Jean 5.24 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et n'encourt pas la condamnation, mais il est passé de la mort à la vie. - La formule « qui l'a envoyé » nous a en quelque sorte transportés du ciel en terre, car elle ouvrait la période de l'Incarnation. Aussi passons‑nous maintenant (vv. 24-29) aux rapports directs du Fils avec l'humanité. Nous le voyons à l'œuvre : il vivifie, il juge. Lui‑même il nous apprend de quelle façon et envers qui il exerce ce double pouvoir. Les notions exprimées se particularisent ainsi de plus en plus. Après l'universelle communauté d'énergie et d'opérations attribuée au Père et au Fils (vv. 19 et 20), nous avons vu (vv. 21-23), mais d'une manière abstraite, deux points spéciaux de leur activité commune. Chacun de ces points spéciaux est maintenant repris en sous-œuvre, et étudié à part en deux phases distinctes de l'histoire des hommes : 1° la résurrection mystique et le jugement spirituel de l'humanité dans l'ère présente (vv. 24-27) ; 2° la résurrection et le jugement extérieurs, généraux à la fin des temps (vv. 28 et 29). Ces intuitions sublimes, présentées d'abord sous la forme la plus synthétique et la plus sommaire, se décomposent successivement en leurs éléments principaux, et finissent par apparaître sous la forme précise de faits concrets et distinctement analysés. - En vérité, en vérité, je vous le dis. Jésus met sous la sauvegarde de la divine infaillibilité (voyez la note du v. 19) une promesse magnifique, qu'il réalisera pour quiconque voudra remplir deux conditions très simples. - Celui qui écoute ma parole. C'est la première condition : écouter la parole, l'enseignement du Fils ; et, bien évidemment, s'y soumettre, y obéir d'une manière prompte et complète. - Deuxième condition : et qui croit en celui qui m'a envoyé ; c'est-à-dire, de l'effet remonter à la cause, de la parole du Fils remonter au Père qui la sanctionne ; en d'autres termes, croire à la mission de N.-S. Jésus‑Christ. - Quiconque réalisera cette double condition, pratiquer et croire (la morale et le dogme.), celui‑là a la vie éternelle :« il a », il la possède déjà dans son principe, en attendant le bienheureux achèvement du ciel. Sur cette vie éternelle, voyez 3, 15, 16, 36. - Et ne vient pas en jugement (encore le présent, έρχεται). Comme en plusieurs autres endroits, Jésus appuie sur l'idée, en la réitérant en termes négatifs. De ses deux attributs divins, vivifier et juger, il n'en exercera qu'un seul à l'égard de ses amis, puisque ce sont deux attributs contraires. - Mais il est passé : Quelle insistance étonnante mais consolante aussi. Nous avons maintenant le temps parfait : µεταβέβηκεν ; la promesse est d'un effet si sûr qu'on peut la regarder comme étant déjà réalisée, « certitude assurée d'une chose future », Ρatrizi. - Il est passé de la mort à la vie. De la mort spirituelle à une vie de même nature, cf. 1 Jean 3, 14. La mort physique qui interviendra plus tard, ne changera rien à ces relations, si ce n'est pour ce qui concerne les formes extérieures, et par conséquent secondaires, de l'existence.



Jean 5.25 En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l'auront entendue vivront. - La formule En vérité... souligne une pensée plus particulière encore : Ce dont je parle s'effectue déjà pour un grand nombre. En effet l'heure vient, et elle est déjà venue ! Dès cet instant, il suffit de croire en moi et de vivre selon mes enseignements pour avoir part à la vie éternelle. - Les morts désigne les morts spirituels, ainsi qu'il a été dit. - Ceux qui l'auront entendue vivront. Le monde est semblable au moral à un vaste cimetière, où les hommes sont étendus sans vie à cause de leurs péchés ; mais la voix du Fils de Dieu retentit, et la vie pénètre à travers les appartements de la mort, et ceux qui entendent et qui obéissent sortent régénérés de leur tombeau.

Jean 5.26 Car, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, - Car, comme... « comme » exprime ici comme plus haut (v. 21) une similitude de la dernière conséquence, qui se résout dans l'identité de nature pour le Père et pour le Fils. « Car » introduit une nouvelle explication : comment il suffira d'écouter la voix du Fils de Dieu pour revivre aussitôt. La réponse est très claire : le Fils possède en lui‑même la plénitude de la vie. - A la vie en lui‑même . C'est ce que nous appelions, dans l'explication du chap. 1, v. 4, être πηγὴ ζωης, une source de vie sans l'avoir reçue de personne, ce qui ne peut être vrai que de Dieu seul. - Ainsi il a donné au Fils Le Fils pareillement, soit comme Verbe incréé, soit comme Verbe incarné, possède la vie dans son intégrité, d'où il suit qu'il peut aisément vivifier les morts. « Pour nous, si nous avons la vie, ce n'est pas en nous mais en notre Dieu ; tandis que le Père a la vie en lui et qu'en engendrant son Fils il lui a accordé d'avoir aussi la vie en soi, d'être lui‑même une source de vie à laquelle nous devons puiser, oui, d'avoir la vie en lui‑même, d'être lui‑même la vie. », S. Augustin, Serm. 127, 9. Énorme différence : nous ne possédons, nous, qu'une vie dérivée, qu'une vie de seconde main. Le Fils au contraire a, comme son Père, la vie en lui‑même (expression principale du verset).



Jean 5.27 Et il lui a aussi donné le pouvoir de juger, parce qu'il est Fils de l'homme. - Le pouvoir de juger. Pouvoir corrélatif à celui de vivifier, comme nous l'avons vu plus haut, v. 22 : un juge a pour rôle de discerner les bons qui méritent la vie et les méchants qui méritent la mort. Remarquons toutefois qu'après avoir assez longuement insisté sur son action vivificatrice (vv. 24-26), Jésus ne mentionne que d'une manière rapide ses droits judiciaires. - Parce qu'il est le Fils de l'homme. « Fils de l'homme », par opposition à « Fils de Dieu » (v. 25) ; c'est ici un synonyme de Messie, cf. 1, 51 ; 3, 13, 14 ; 6, 27, 53, 62 ; 14, 14 ; Apocalypse 1, 13. Voyez l'explication de ce nom dans l’Évangile selon S. Matth., 8, 20. L'article étant omis dans le texte grec, plusieurs commentateurs regardent ce titre comme le simple équivalent de « homo », membre de la famille humaine. Quoi qu'il en soit de ce détail, il est frappant de voir que celui qui se nommait le Fils de Dieu quand il parlait de résurrection, s'appelle simplement Fils de l'homme lorsqu'il est question de jugement. Le juge, en effet, comme le médiateur, comme le prêtre (cf. Hébreux 5, 1-3), semble devoir mieux remplir ses fonctions délicates quand il participe à la nature de ceux qu'il conduit à sa barre. Un Homme‑Dieu qui a souffert, qui a été tenté comme nous, qui connaît par expérience nos infirmités, sera donc excellemment pour nous un juge juste.



Jean 5.28 Ne vous en étonnez pas, car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. - La vivification et le jugement accomplis d'abord par le Fils d'une manière successive et partielle, vont trouver maintenant leur achèvement dans une résurrection et un jugement qui auront un caractère universel. - Ne vous étonnez pas : de ce que je viens de vous expliquer. Et pourtant Jésus disait plus haut, v. 20 : « pour que vous soyez dans l'admiration ». Mais il va parler de merveilles plus étonnantes encore, qui susciteront à un degré supérieur l'admiration et l'étonnement. - Car l'heure vient. Quoique le verbe soit encore au présent (ἔρχεται), Notre‑Seigneur n'ajoute plus : « et elle est déjà venue » (cf. v. 25), parce que le fait qu'il va signaler ne devra pas s'accomplir immédiatement. - Tous : tous sans exception, les méchants aussi bien que les saints (« à qui il lui plaît », v. 21) ; nouvelle preuve qu'il n'est plus question de phénomènes spirituels et mystiques, mais des grandes assises de la fin des temps. - Ceux qui sont dans les tombeaux : dans leurs tombeaux de divers genres. - Entendront sa voix. Cette voix toute puissante les fera tous sortir du sommeil de la mort, et les appellera tous au jugement, cf. 1 Corinthiens 15, 54-55.



Jean 5.29 Et ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de condamnation. - Tous les hommes seront ressuscités, mais ils ne partageront pas le même sort. Comme dans le grand discours eschatologique conservé par S. Matthieu, 25, 32 et ss., nous voyons aussitôt l'humanité divisée en deux groupes distincts, dont l'un est destiné à la gloire éternelle, l'autre à une éternelle réprobation. - En sortiront. 'Eκπορεύσονται, expression pittoresque ; littéralement : ils sortiront. Comme en des tableaux célèbres, on les voit s'échapper avec joie de leurs tombeaux. - Ceux qui auront fait le bien. C'est le motif de leur prédestination bienheureuse. - Pour une résurrection de vie. C'est leur magnifique récompense. « Résurrection de vie » est une ellipse pour : résurrection qui conduit à la vie (ζωῆς, au lieu de εἰς τὴν ζωήν). - Ceux qui auront fait le mal. Terrible contraste. Mais les damnés ne pourront attribuer qu'à eux‑mêmes leur triste sort. Pourquoi auront‑ils fait le mal ? Remarquez une petite nuance dans les verbes : ici πράξαντες ; là ποιήσαντες. Nous avions déjà plus haut, 3, 20 et 21, cette même distinction. Comp. Romains 1, 32 ; 7, 15,19 ; 13, 4. - La résurrection de condamnation : c'est-à-dire de damnation. Kρίσεως équivaut encore à εἰς τὴν κρίσιν.





Jean 5.30 Je ne peux rien faire de moi-même. Selon que j'entends, je juge et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. - Avant de passer à la seconde partie de son discours, Jésus résume et conclut la première. Au fond, il ramène ses auditeurs à la pensée par laquelle il avait inauguré le tout, v. 19. - Je ne peux rien faire... Jusqu'ici le divin orateur avait employé la troisième personne : ce Je est vraiment remarquable. C'est donc de lui‑même et pas d'un autre que Jésus avait parlé auparavant (cf. v. 17). Il s'identifie clairement avec celui qu'il a tour à tour appelé le Fils, le Fils de l'homme, le Fils de Dieu. - De moi‑même. De cette notion générale, Le Fils ne peut rien sans le Père, il tirera une conclusion particulière, directement en rapport avec ce qui vient d'être dit : Donc mon jugement sera juste. Rien sans le Père, la seule idée de filiation impliquant une certaine dépendance. - Selon que j'entends, je juge. « Entends » est ici l'équivalent de « voit » au v. 19, de « montre » au v. 20, et exprime également d'une manière figurée l'harmonie parfaite qui règne entre la volonté du Père et celle du Fils. - Et (par conséquent) mon jugement est juste. Même quand c'est un jugement de réprobation, car il est conforme aux intentions de Dieu, de ce Dieu qui est toute justice et toute vérité. - Pour qu'un jugement soit parfaitement équitable deux conditions sont requises : 1° une condition négative, qui est l'oubli du moi, et qu'on appelle l'impartialité ; Jésus la remplit : je ne cherche pas ma propre volonté (il désigne ici sa volonté humaine, sa volonté en tant que Fils de l'homme) ; 2° une condition positive, qui consiste dans un absolu dévouement à la volonté de Dieu, et Jésus la remplit encore : mais la volonté de celui qui m'a envoyé. - Quoique les évangiles synoptiques fassent rarement allusion aux relations qui règnent entre Dieu le Père et son Fils, voyez pourtant dans S.Matthieu, 11, 25-27, un passage analogue à celui‑ci (vv. 17-30).

Jean 5.31 Si c'est moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas véridique. - Deuxième partie du discours, vv. 31-47. De sa dignité sublime, Jésus passe très naturellement aux témoignages qui en démontrent la réalité, vv. 31-40 ; après avoir exposé à ses adversaires ce qu'il est relativement à Dieu, il leur dit ce qu'ils sont, eux, par rapport à lui, vv. 41-47. Donc deux subdivisions : 1° les témoignages, 2° les Juifs demeurent incrédules malgré ces témoignages. - Première subdivision : vv. 31-40. C'est Dieu lui‑même qui témoigne en faveur de Jésus, v. 32, et ce divin témoignage s'est manifesté de trois manières : par la voix de Jean‑Baptiste, vv. 33-35 ; par les œuvres de Jésus, vv. 36-38 ; par les écrits de l'Ancien Testament, vv. 39-40. - Si c'est moi qui rends témoignage. Les pronoms portent l'idée principale : moi, témoignant sur mon propre compte. On le voit, N.-S. Jésus‑Christ prévient une objection, celle‑là même que les Juifs ne tarderont pas à lui opposer, 8, 13 : « Tu te rends témoignage à toi‑même, ce n’est donc pas un vrai témoignage ». Nous voulons des preuves autres que votre témoignage personnel. Ces preuves, ils les auront. - Mon témoignage n'est pas véridique. Quelques‑uns traduisent comme s'il y avait une interrogation : Dans ce cas, mon attestation ne serait‑elle pas légitime et valide ? Mais il est mieux de conserver le sens affirmatif : Selon vous, dans ce cas, mon témoignage n'est pas véridique. C'est en effet un principe très universellement admis par les hommes, que l'on ne saurait être tout à la fois juge et témoin dans sa propre cause, notre nature faible et perverse nous portant trop aisément à nous favoriser nous‑mêmes. Le Talmud a plus d'un axiome sur ce poin : « Ceux qui portent témoignage d'eux‑mêmes ne sont pas crus », Chetuboth, f. 23, 2 cf. Halicoth Olam, c. 1. Le Sauveur consent, pour le moment, à se laisser appliquer ce principe (voyez 8, 14, où il le rejettera en se plaçant à un autre point de vue) : concession qui ne fera que mieux ressortir la vigueur de l'argumentation subséquente.



Jean 5.32 Il y en a un autre qui me rend témoignage et je sais que le témoignage qu'il me rend est véridique. - Proposition générale, qui sera ensuite développée de trois manières. - Il y en a un autre. Dans cet « autre » (par opposition au témoignage personnel de Jésus), plusieurs commentateurs anciens et récents ont vu S. Jean‑Baptiste, qui est mentionné aux versets suivants : c'est le sentiment de S. Jean Chrysost., de Théophylacte, d'Euthymius, de Grotius, d'Erasme, d'Ewald, etc. Mais nous croyons, à la suite du plus grand nombre des exégètes, et notamment de S. Cyrille, de S. Augustin, de Bède le Vénérable, de Patrizi, etc., que le contexte demande l'application du mot « autre » à Dieu le Père, cf. 8, 18. - Qui me rend témoignage, ὁ μαρτυρῶν (l'article désigne un témoin bien déterminé). Le verbe est au présent : ce qui ne saurait convenir au Précurseur dont le rôle était désormais achevé. Comparez le v. 33, où sa prédication est citée comme un fait accompli, et le v. 35, où Jésus parle de lui de façon à faire entendre qu'il avait quitté la scène évangélique. - Et je sais. Cette expression est solennelle. Je le sais avec certitude, moi qui ai la même nature et la même volonté que Dieu. Il s'agit ici d'une intuition supérieure ; plus loin, v. 42, le verbe ἔγνωϰα désignera une connaissance expérimentale. - Le témoignage qu'il me rend (ἡ µαρτυρία ἥν µαρτυρεῖ, répétition emphatique). Dieu ne peut rendre en effet qu'un témoignage absolument véridique. - Me, Moi. Ces mots reviennent trois fois de suite dans les versets 31 et 32. Comme tout est expressif dans ce divin langage.





Jean 5.33 Vous avez envoyé vers Jean et il a rendu témoignage à la vérité. - Le témoignage de Jean‑Baptiste, vv. 33-35. Jésus signale d'abord deux faits de date relativement récente : savoir, un acte de ses adversaires eux‑mêmes et un acte de S. Jean correspondant au leur. - Premier fait : vous (encore un pronom accentué) avez envoyé vers de Jean. Allusion évidente à 1, 19 et ss. Officiellement, en tant que membres du Sanhédrin, ils avaient envoyé une délégation à Jean‑Baptiste, prête à le reconnaître pour le Messie ou du moins à accepter son témoignage. - Second fait : Il a rendu témoignage à la vérité. Son rôle consistait à être un témoin (cf. 1, 7 et 8) ; il a été fidèle à ce rôle en disant la vérité : c'est-à-dire, en affirmant qu'il n'était pas le Messie, mais que je l'étais, moi, cf. 1, 26 et ss. Le Seigneur confond ses adversaires en leur opposant leurs propres paroles, leurs propres actes. Eux‑mêmes ils avaient cru pendant un temps à la mission divine du Précurseur, celui‑ci les avait renvoyés à Jésus comme au Christ promis.



Jean 5.34 Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage, mais je dis cela afin que vous soyez sauvés. - Pour moi... C'est une sorte de restriction en apparence, mais en réalité on peut dire que cette restriction a pour but de renforcer la preuve tirée du témoignage de Jean‑Baptiste. - Ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage. L'attestation d'un homme ordinaire, d'un homme en tant qu'homme. Un tel témoignage serait au‑dessous de la dignité du Messie ; il n'en a nul besoin et il ne l'accepterait à aucun prix, οὐ λαµϐάνω. Conclusion manifeste : donc Jean n'a pas parlé comme le premier venu et sans autorité, mais par l'inspiration du ciel et comme prophète ; c'est Dieu, par conséquent, qui avait témoigné en faveur de Jésus par la bouche du Précurseur. En effet, d'après le passage auquel nous venons de renvoyer le lecteur, 1, 7 et 8, Notre‑Seigneur ne saurait dire que le Christ peut se passer du témoignage de Jean‑Baptiste, puisque celui‑ci était précisément envoyé en qualité de témoin. - Mais je dis cela... Le pronom cela retombe sur la seconde moitié du v. 33. Si Jésus dit aux Juifs que Jean a rendu un témoignage fidèle à la vérité, c'est moins pour lui‑même que dans leur intérêt propre : afin que vous soyez sauvés ; il espère encore qu'ils finiront par se rallier à l'enseignement de cet homme de Dieu, qu'ils croiront au Messie.



Jean 5.35 Jean était la lampe qui brûle et luit, mais vous n'avez voulu que vous réjouir un moment à sa lumière. - Pour leur faciliter ce salut par la foi, Jésus fait un splendide éloge de S. Jean. - Jean était... L'imparfait, attendu que le Précurseur avait été emprisonné, sinon déjà mis à mort par Hérode Antipas ; la glorieuse lampe est maintenant éteinte. - La lampe. Belle et vivante image. Mais remarquons bien que l'on compare seulement Jean‑Baptiste à une lampe, λύχνος ,tandis que le Christ est appelé la lumière, φῶς, cf. 1, 7. Dans le texte grec, l'article (ὁ λύχνος) semble dire que S. Jean devait être, relativement au Messie, la lampe par antonomase destinée à éclairer pour les Juifs le chemin qui conduisait à leur Libérateur. Comp. 2 Samuel 21, 17, où David est appelé la lampe d'Israël, et surtout Ecclésiastique 48, 1, où il est écrit d’Élie, type du Précurseur : « Le prophète Élie se leva ensuite comme un feu, et sa parole brûlait comme une torche ». - Qui brûle et luit, ὁ καιόµενος ϰαὶ φαίνων : allumée et brillante. Ces épithètes ne font pas allusion à deux qualités distinctes de Jean‑Baptiste, car elles n'expriment qu'une seule et même idée : la lampe, une fois allumée, continue de luire jusqu'à ce qu'elle soit éteinte. - La fin du verset caractérise, et en même temps flagelle admirablement, la conduite qu'avaient tenue les hiérarques envers le Précurseur. - Et vous n’avez voulu... Aux si graves desseins que Dieu s'était proposés en envoyant Jean‑Baptiste, Jésus oppose les projets futiles et frivoles des Juifs. A ces hommes pleins de légèreté, le rôle de Jean n'avait fourni qu'une heure d'amusement. Quelle ironie, mais aussi quelle vérité historique dans ces mots vous réjouir un moment. « Pour un moment » : en effet, leur enthousiasme du premier moment avait été une émotion transitoire ; quand, au lieu d'une joie mondaine, ils ne trouvèrent que des reproches à recueillir auprès de Jean‑Baptiste (cf. Matth. 3, 7-12 et parall.), ils se mirent à le haïr de toute leur âme. ’Aγαλλιασθῆναι, « tressaillir d'allégresse », car ils pensaient que leurs vaines espérances messianiques allaient s'accomplir : ils allaient à l'austère Précurseur pour jouer autour de lui comme font les enfants autour du feu et de la lumière (à sa lumière). Comparez dans Ézéchiel, 33, 30 et suiv., une manière de faire analogue et non moins insensée.



Jean 5.36 Pour moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean, car les œuvres que le Père m'a données d'accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, me rendent témoignage, que c'est le Père qui m'a envoyé. - Témoignages que rendent à Jésus ses propres œuvres, vv. 36-38. Ce nouveau témoignage est encore plus fort que celui du Précurseur, car il est plus manifeste, plus à la portée de tous. - Moi est mis en opposition avec « vous » du verset précédent. - Un témoignage plus grand que celui de Jean. Il y a une grande emphase dans ces paroles, après ce qui avait été dit de S. Jean. - Car les œuvres (Jésus va prouver son affirmation) que le Père m'a données d'accomplir... D'après quelques rationalistes, ces « œuvres » consisteraient uniquement dans la doctrine de N.-S. Jésus‑Christ ; mais le mot ἔργα les réfute à lui seul, car il désigne plus que des discours. Les œuvres de Jésus, c'est tout l'ensemble de sa vie publique, car le mot est général ; mais ce sont plus particulièrement ses miracles, œuvre divine entre toutes les autres, et témoignage éclatant de sa mission, selon qu'il le dit lui‑même, cf. Matth. 11, 4-5. La circonstance « le Père m'a données... » nous ramène à nouveau aux vv. 19, 20, 30. - Les œuvres mêmes, αὐτὰ τὰ ἔργα. Jésus, et l'évangéliste à sa suite, appuie fortement sur cette pensée, soit ici, soit ailleurs, cf. 10, 25, 32 ; 14, 11 ; 15, 24. Et pourtant, nous ne trouvons qu'un petit nombre de miracles explicitement racontés dans le quatrième évangile : l'existence antérieure des synoptiques est visiblement supposée dans ces passages. - Me rendent témoignage : c'est évident, car le miracle, quand tout démontre qu'il vient du ciel, est comme la signature de Dieu attestant une mission particulière en ceux qui les opèrent.



Jean 5.37 Et le Père qui m'a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi. Vous n'avez jamais entendu sa voix, ni vu sa face. 38 Et vous n'avez pas sa parole demeurant en vous, parce que vous ne croyez pas à celui qu'il a envoyé. - Ces deux versets ne sont pas sans difficulté au point de vue de l'enchaînement des idées ; aussi les commentateurs en ont‑ils interprété les détails en sens très divers, selon la connexion qu'ils adoptaient. Pour les uns, il s'agit d'un nouveau témoignage rendu par Dieu à N.-S. Jésus‑Christ, notamment de la voix qui se fit entendre au baptême du Sauveur : « Tu es mon Fils bien‑aimé ; en toi je me suis complu », Luc. 3, 22, cf. Jean 1, 32-34. C'est l'opinion de S. Jean Chrysostome, de Jansénius, du P. Patrizi, etc. ; mais elle semble peu fondée. Selon d'autres (S. Cyrille, Théophylacte, Euthymius, Bède le Vénérable, etc.), dès maintenant Jésus aborderait le troisième témoignage, celui des Écritures. Nous préférons, avec S. Augustin, Maldonat, Hengstenberg, Bisping, etc., rattacher ces deux versets au 36e et les regarder comme un complément du second témoignage ; le contexte en effet nous y invite, puisque N.-S. Jésus‑Christ réitère ses dernières paroles, en disant : Le Père qui m'a envoyé... (comparez la fin du v. 36). Remarquez les changements de temps : « rendent témoignage ; rendu témoignage » ; les attestations du Père en faveur de son Fils avaient eu lieu dans le passé, et elles avaient encore lieu dans le présent. - Jésus s'interrompt pour reprocher rapidement aux Juifs leur incrédulité, en attendant qu'il en montre bientôt plus en détail, la culpabilité, les dangers (vv. 41 et ss.). Ces hommes pervers ne se sont laissé impressionner et convertir par aucun des moyens dont Dieu s'était servi pour faire pénétrer sa révélation jusqu'à eux. Le Sauveur va signaler trois de ces moyens, qui s'adressaient au sens de l'ouïe, au sens de la vue, au cœur ; qui sollicitaient par conséquent la conscience humaine de toutes manières, et par le dehors et par le dedans. — 1° Vous n'avez jamais entendu sa voix. Dieu leur avait parlé, il leur parlait encore par les œuvres de son Christ ; ils refusaient d'entendre ou de comprendre cette voix. - 2° Ni vu sa face (εῖδος). Dieu s'était en quelque sorte manifesté visiblement à leurs regards, en leur montrant non plus les vagues et mystérieuses théophanies de l'Ancien Testament, mais la douce et auguste face de son Fils (cf. 1, 14) ; ils fermaient volontairement les yeux pour ne pas voir. - 3° Et, vous n'avez pas sa parole... Dieu leur avait accordé de nombreuses révélations intérieures, frappant à la porte de leur cœur pour se faire ouvrir ; mais le divin langage n'avait atteint que la surface, il n'avait pas pris possession de ces âmes endurcies ; ou, comme le dit si fortement Jésus, il n'était pas demeuré en eux. Cette expression est propre à S. Jean dans ce sens, cf. 15, 7 ; 1 Jean 2, 14, 24 ; 3, 9, 12. - Parce que... Motif de ces trois refus impies : vous ne croyez pas à celui qu'il a envoyé (et ce celui était Dieu). Jésus ramène ainsi ses auditeurs à la parole du v. 36, au témoignage que Dieu lui rend par ses œuvres personnelles.



Jean 5.39 Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle, - Troisième témoignage rendu à N.S. Jésus‑Christ, vv. 39-40. C'est celui de la Bible, et, vu le caractère religieux et la science des auditeurs de Jésus, il est à coup sûr le plus frappant des trois, de sorte qu'il y a gradation ascendante dans cette série de témoignages. - Vous scrutez : Le grec έρευνᾶτε (quelques manuscrits ont έραυνᾶτε) peut se traduire par l'indicatif présent et par l'impératif, ce qui a occasionné de tout temps une petite divergence d'interprétation : c'est ainsi que S. Cyrille d'Alexandrie était pour la première opinion, S. Jean Chrysostome pour la seconde. Dans le premier cas, Jésus constaterait un fait ; dans le second, il donnerait un ordre. Les partisans de l'impératif allèguent le passage analogue, 7, 52 ; les autres, et à meilleur titre, s'appuient sur le contexte immédiat, « et vous ne voulez pas » (v. 40), qui dépend de « scrutez ». Vous étudiez les Écritures, et cependant, malgré leur témoignage si clair, vous refusez de croire en moi. D'ailleurs, il était très vrai que les Juifs lisaient sans cesse et scrutaient minutieusement leur Bible ; ils la disséquaient même pour y trouver les sens les plus divers et les plus étranges. Cette dissection laborieuse est fort bien exprimée par le verbe ἐρευνᾶν, l'équivalent du דרש hébreu (darasch, d'où vient le substantif midrasch מדרש, qui désigne les commentaires rabbiniques). Elle est également fort bien décrite, d'une part dans les livres de l'historien Josèphe (De Bello Jud. 2, 8, 14 ; Antiq. 17, 2, 4), où nous entendons les Pharisiens se vanter (« considérés comme les interprètes exacts des lois..., rattachant tout au destin et à Dieu »), d'autre part dans le « Dialogues avec Tryphon » de S. Justin (112, 4), qui reproche aux Juifs de scruter les minuties et de négliger les choses importantes (« pourquoi l'usage de tant de mesures de farine, de tant de mesures d'huile, dans les offrandes prescrites par la loi »). - Parce que vous pensez... Dans cette croyance ils ne se trompaient pas, quoique leur foi fût entachée de mille superstitions qui durent encore. - Trouver en elles la vie éternelle. Dieu l'avait dit par la bouche de Moïse, Lévitique 18, 5 : « Vous observerez mes décrets et mes ordonnances ; l’homme qui les mettra en pratique y trouvera la vie », cf. Romains 7, 12 ; 10, 5. Et les Rabbins l'ont aussi fréquemment répété : « Quiconque s’approprie les paroles de la Loi s'approprie la vie éternelle ». En effet, la sainte Écriture est la vie en tant qu'elle est un flambeau qui éclaire la foi et les mœurs : elle est surtout la vie parce qu'elle conduit au Sauveur : aussi est‑il vivement à regretter que les prêtres n'y viennent pas puiser, autant qu'aux anciens jours, de quoi vivifier, soit eux‑mêmes, soit les âmes qui leur sont confiées.



Jean 5.40 or, ce sont elles qui me rendent témoignage et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie. - Or ce sont elles ... Résultat de toute enquête biblique conduite sérieusement et de bonne foi : qui me rendent témoignage (au présent, le témoignage demeurant perpétuel). N.-S. Jésus‑Christ est le centre des saints Livres, qui parlent de lui à tout instant, et en termes directs dans les prophéties messianiques, et au figuré par des types nombreux. Voyez l'indication des principaux passages dans la note sous Luc, 24, 27 ; dans Bacuez et Vigouroux, Manuel biblique, t. 2, p. 471 et ss. de la 3e édit., et dans Edersheim, The Life and Times of Jesus the Messiah, Londres 1883, t. 2, p. 707-738 (longue et curieuse liste des textes sacrés que les Rabbins appliquaient au Messie). - Tout ce verset démontre jusqu'à l'évidence l'inspiration des écrits de l'Ancien Testament, qui autrement ne formeraient qu'un livre humain, absolument incapable de rendre témoignage au Christ de la part de Dieu. - Et (et pourtant. malgré une attestation si céleste) vous ne voulez pas. Expression énergique et significative, qui rattache l’incrédulité des Juifs à leur volonté comme à sa cause morale. Ils comprenaient, mais ils ne voulaient pas se rendre à la vérité comprise : ils n'en étaient ainsi que plus coupables. - Venir à moi (à moi en tant que Messie) pour avoir la vie... Allusion à Isaïe 55, 3, et antithèse douloureuse avec l'idée qui précède (v. 39). Vous pensez à bon droit trouver la vie dans les Écritures ; or, elles vous disent de venir à moi qui vous donnerais cette vie, et vous refusez de venir.



Jean 5.41 Ce n'est pas que je demande ma gloire aux hommes. - Seconde subdivision de la deuxième partie du discours, vv. 41-47 : causes de l'incrédulité des Juifs et sa déplorable issue. Jésus va d'abord expliquer à ses auditeurs pourquoi ils s'obstinent à ne pas croire en lui malgré des témoignages si formels et si pleins d'autorité, vv. 41-44. Le v. 41 contient l'entrée en matière ; le suivant indique un premier motif d'incrédulité : les Juifs n' aiment pas Dieu ; les deux autres indiquent un second motif : l'orgueil des hiérarques. - Ma gloire ( παρὰ, de la part de) aux hommes. Jésus réfute d'abord tacitement une nouvelle objection qu'auraient pu lui adresser ses adversaires. En parlant comme il vient de le faire, il n’a aucunement cédé à des préoccupations ambitieuses, à des visées de gloire personnelle. Qu'a‑t‑il besoin de cette pauvre gloire humaine, lui qui possède celle d'un « Fils unique du Père »(1, 14) ?





Jean 5.42 Mais je vous connais, je sais que vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu. - Mais je vous connais. Il retourne l'accusation contre eux. « Emphase est sur ce vous. Vous êtes tels que vous pensez que je suis. » Ἔγνωϰα au parfait est aussi très énergique : Je vous connais à fond, et je sais ce qui se passe en vous. - A ces hommes qui prétendaient être, et dans cet instant même (cf. v. 18), les soutiens de l'honneur et du culte divins, Jésus adresse le plus cinglant des reproches : Vous n'avez pas l'amour de Dieu... Et c'est de leur manque d'amour que provenait leur incrédulité.



Jean 5.43 Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas, qu'un autre vienne en son propre nom, vous le recevrez. - Le Sauveur motive son reproche : ils n'aiment pas Dieu, ils le démontrent eux‑mêmes en rejetant l'envoyé de Dieu. - Je suis venu au nom de mon Père (il en fournissait les preuves), et (le ϰαὶ du contraste tragique, comme au v. 40) vous ne me recevez pas. Les Juifs ne s'en tenaient pas à cette conduite indigne ; mais autant ils se montraient difficiles pour reconnaître l'autorité divine de Jésus, autant ils étaient faciles et coulants pour accepter de faux Christs, cf. Matth. 24, 24. - Cette antithèse est présentée de la façon la plus saisissante. - Si un autre ; n'importe lequel, le premier venu. - Vient en son propre nom (le grec insiste en mettant deux articles : ἐν τῷ ὀνόματι τῷ ἰδίῳ), tandis que Notre‑Seigneur était venu « au nom du Père ». - Vous le (ἐϰεἷνον en mauvaise part, et en avant de la proposition) recevez. Il est vrai que ces faux Messies flattaient les passions de leurs adhérents. - Chacun sait jusqu'à quel point ce langage de Jésus est historiquement exact : depuis le vrai Christ, on a compté jusqu'à soixante‑quatre Messies imposteurs, qui ont réussi a séduire un nombre plus ou moins considérable d'Israélites. Voyez Lémann, La question du Messie, Lyon, 1869, p. 22 et suiv., où l'on en signale nommément vingt‑cinq.



Jean 5.44 Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres et qui ne recherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ? - L'orgueil des hiérarques est une seconde cause de leur incrédulité. Nous avons ici la contre‑partie du v. 41. - Comment pouvez-vous croire... : avec emphase, comme plus haut. Étant tels que vous êtes, comment pourriez-vous arriver à croire. - Vous qui recevez votre gloire les uns des autres. Cet orgueil étouffe les germes de la foi semés divinement en eux. - Et (et par contre) qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu. Leur ambition est trop mesquine pour s'élever jusqu'à ces sphères supérieures ; ils ne pensent qu'à eux‑mêmes, et nullement à Dieu. - Seul, d'après la construction grecque (παρὰ τοῦ μόνου Θεοῦ), est une épithète pour relever l'unité de Dieu, cf. Deutéronome 6, 4 ; Jean 17, 13 ; Romains 16, 27 ; 1 Timothée 6, 15. Il faut donc traduire : la gloire qui provient du Dieu unique, et non : la gloire qui provient de Dieu seul.



Jean 5.45 Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserai devant le Père, votre accusateur, c'est Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. - Jésus va maintenant prophétiser aux hiérarques le terme affreux auquel aboutira leur incrédulité : la damnation, vv. 45-47. - Ne pensez pas que ce soit moi (pronom emphatique)... Il les avait attaqués vigoureusement dans les versets qui précèdent ; il leur annonce néanmoins qu'il ne se fera pas leur accusateur auprès de Dieu, son Père. C'est inutile, car un autre sera là pour les accuser. Cette image, toute dramatique, est empruntée à ce qui se passe dans les tribunaux humains, où l'on voit, entre le juge et l'accusé, l'accusateur officiel et l'avocat. Donc le défenseur manque ici. - Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. Le grec a ἠλπίϰατε, au parfait ; ce qui signifie : « en qui vous aviez mis toute votre espérance ». La pensée acquiert ainsi plus de force, quoique elle soit déjà bien énergique par elle‑même : Moïse, l'avocat né des Juifs, leur grand législateur et prophète, leur plus grand espoir après Dieu et le Messie, Moïse devenant la cause intermédiaire de leur condamnation.



Jean 5.46 Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu'il a écrit de moi. - Si vous croyiez à Moïse. Jésus a cité précédemment le témoignage de l'Écriture en général, il signale celui de Moïse en particulier pour appuyer la menace qu'il vient de proférer (car). - Vous me croiriez aussi. La particule ἄν du texte grec serait mieux traduite en cet endroit par « assurément, certainement » ; car elle n'exprime pas un doute, mais une chose qui doit s'accomplir, telle condition étant posée. - En moi. Tout vrai Juif devrait donc passer au christianisme par une transition toute naturelle. - Raison pour laquelle croire à Moïse, c'est croire à Jésus : parce qu'il a écrit de moi. En prononçant cette phrase courte, mais vigoureuse (les deux pronoms sont fortement accentués), Jésus avait surtout à la pensée la célèbre prophétie messianique du Deutéronome, 18, 15-19, sans écarter pourtant les autres passages du Pentateuque relatifs au Christ, soit directement, soit d'une manière typique.



Jean 5.47 Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ?" - Conclusion douloureuse : si l'on croyait à Moïse, on croirait au Christ ; on n'accepte pas les paroles de Moïse, comment acceptera‑t‑on la parole de Jésus ? L'idée est concentrée dans une double antithèse : écrits, paroles ; ses, mes. Des écrits qui demeurent de simples paroles ; et principalement : Moïse dont l'autorité était reconnue depuis des siècles, Jésus qui avait récemment commencé à se manifester. - Remarquez le pas d'interrogation alarmant et solennel, la question désespérée qui clôt ce discours. Les Juifs ne répondent pas ; mais quelle réponse eussent‑ils pu faire ? Peut-être, d'ailleurs, « après ces paroles foudroyantes, Jésus s'éloigna‑t‑il du temple, laissant là les Pharisiens. Il leur fallut donc quelque temps pour sortir de leur stupéfaction. Aucun d'eux ne songea plus à l'homme qui avait été guéri le jour du sabbat ; ils avaient maintenant autre chose à méditer et à accomplir. - Voici, sur ce grand et beau discours, des appréciations en sens divers, émanées de deux coryphées du rationalisme ; l'une concerne le fond, l'autre la forme. Strauss, Vie de Jésus, trad. de E. Littré, t. 1, 2e part. p. 675 : « Il ne se trouve dans la teneur... rien qui fasse difficulté, rien que Jésus n'eût pu dire lui‑même, puisque l'évangéliste rapporte dans le meilleur enchaînement… des choses que, d'après les synoptiques aussi, Jésus s'est attribuées ». L'aveu a certes son prix. Quelle légèreté, au contraire, dans les lignes suivantes de M. Renan. « Le thème (le fond) peut n'être pas sans quelque (!!) authenticité ; mais, dans l'exécution la fantaisie de l'artiste se donne pleine carrière. On sent le procédé factice, la rhétorique, l'apprêt. » (Vie de Jésus, p. 78). Nos lecteurs ont‑ils remarqué rien de semblable dans ces lignes sublimes ? La vérité se défend suffisamment elle‑même, en face d'attaques si futiles, pour ne pas dire si dénuées de sens ?



CHAPITRE 6

Jean 6.1 Jésus s'en alla ensuite de l'autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade. - Jean 6, 1-15 = Matth. 14, 13-21 ; Marc. 6, 30-44 ; Luc. 9, 10-17. C’est ici le seul miracle du Sauveur que les quatre évangélistes racontent de concert. Quoique S. Jean omette plusieurs détails et suppose comme en d'autres endroits, l’existence de narrations plus anciennes connues de ses lecteurs, il note cependant quelques circonstances nouvelles. Le récit des synoptiques est plus général, plus condensé ; le sien revêt une forme plus individuelle et dessine admirablement les personnages. Laissons dire aux rationalistes, selon leur habitude, que les narrateurs sont en contradiction les uns avec les autres. Pour quiconque lit sans idées préconçues, les divergences ne font qu’accentuer l’unité, car la narration est essentiellement la même. - Jésus s'en alla ensuite. Cette brusque et vague transition caractérise notre évangéliste, cf. 3, 22 ; 10, 22 ; 12, 1, etc. Ici, elle dissimule une lacune notable, que les synoptiques nous aident à combler. La durée de l’intervalle passé sous silence dépend de la nature de la « Fête des Juifs », 5, 1. Pour nous, qui avons regardé cette expression comme synonyme de Pâque, il s’écoula presque une année entière entre 5, 47 et 6, 1. Comp. le verset 4. Le caractère fragmentaire du quatrième évangile est ainsi de plus en plus visible (voyez la Préface, § 5). S. Jean se borne à décrire un certain nombre de faits typiques, admirablement appropriés à son but ; il passe les autres sous silence. - Jésus s’en alla exprime l’idée de retraite ; et nous lisons en effet dans les autres évangiles que Jésus quittait alors la rive occidentale et si peuplée du lac, pour se retirer avec les siens dans les solitudes du nord‑est. Ce départ, disent les synoptiques, avait une double cause : d’un côté, le bon Maître voulait accorder un peu de repos à ses apôtres qui revenaient d’une mission fatigante (Marc. 6, 30-31 ; Luc, 9, 10 ) ; de l’autre, Hérode Antipas, qui avait naguère décapité Jean‑Baptiste, commençait à nourrir relativement à Jésus des projets dangereux (Matth. 14, 13). - De l'autre côté la mer de Galilée. Sur ce lac enchanteur, qui joue un si grand rôle dans la vie de N. -S. Jésus‑Christ, Voyez la note sous Matthieu, 4, 18. S. Jean n’en parle que deux fois, cf. 21, 1. S. Matthieu et S. Marc l’appellent habituellement « mer de Galilée » ; S. Luc le nomme toujours le « lac de Génésareth » : à la dénomination la plus ordinaire qu’il avait en Palestine, S. Jean ajoute une explication, destinée à le mieux faire reconnaître de ses lecteurs païens : ou de Tibériade. La plupart d’entre eux, en effet, avaient entendu parler de la cité de Tibériade, tout récemment bâtie par le tétrarque Antipas sur la rive S.-O. du lac, et ainsi nommée en l’honneur de l’empereur Tibère, cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 18, 2, 3. Josèphe emploie parfois cette même appellation de « mer de Tibériade » ; le géographe grec Pausanias, V, 7, mentionne pareillement la λίμνη Τιϐερίς, que les Arabes désignent aussi par le nom identique de Bahr‑Tubaryeh.



Jean 6.2 Et une foule nombreuse le suivait, parce qu'elle voyait les miracles qu'il opérait sur ceux qui étaient malades. - ..le suivait.. Cet imparfait, qui contraste avec les présents des versets 1 (« s'en alla ») et 3 (« monta »), marque comme d’ordinaire un fait réitéré : il rend le tableau très vivant. - Une foule nombreuse « de toutes les villes », ajoute S. Marc. Le Précurseur venait d’être martyrisé, les Douze avaient prêché dans tout le pays l’avènement du Messie : tout le monde accourait donc maintenant auprès de Jésus. - Parce que introduit un autre motif principal de ce concours : elles voyaient les miracles qu’il opérait. Les foules ont toujours été nombreuses autour des thaumaturges, et Jésus était le plus grand et le plus compatissant de tous. Les deux nouveaux imparfaits sont encore à noter, parce qu’ils supposent des miracles fréquents, qui attiraient constamment des multitudes grossissantes. S. Jean résume par cette formule le ministère galiléen du Sauveur ; du reste, il en avait exposé antérieurement le début, 4, 43 et ss. Interrompu par un voyage à Jérusalem, 5, 1-27, ce ministère se poursuit maintenant. Les synoptiques ont aussi de temps à autre des formules analogues pour abréger et résumer : Matth. 4, 24 ; 8, 16 ; 9, 35 ; 15, 30 ; Mar. 6, 56 ; Luc. 9, 11 etc. « Ils voyaient » ne rend pas toute l’énergie du grec ἐθεῶρουν, qui exprime toujours un regard réfléchi, attentif, cf. 2, 23 ; 7, 1 ; 12, 45 ; 14, 19 ; 16, 16, etc.



Jean 6.3 Jésus monta sur la montagne et là il s'assit avec ses disciples. - Ce dernier trait est propre à S. Jean. Avec l’article en grec (de même au verset 15) peut se rapporter à une montagne spéciale, que les souvenirs de l’évangéliste lui rendaient présente au moment où il écrivait ; mais ces mots pourraient bien convenir aussi à tout le district montagneux du N. E. du lac, par opposition aux rives beaucoup plus basses. S. Matthieu se contente de dire que Jésus s’était retiré en une lieu désert ; S. Luc précise la localité en la plaçant non loin de Bethsaïde‑Julias. - Et là il s’assit avec ses disciples. Simple et touchant tableau, que l’imparfait met en relief. Le repos de Jésus ne sera pas de longue durée, cf. verset 5.



Jean 6.4 Or la Pâque, la fête des Juifs, était proche. - Or la Pâque. Note chronologique précieuse, ajoutée aux détails qui concernaient les lieux et les personnes. S. Jean est seul à la donner. - Était proche. Le grec a ἐγγύς (proche), la Pâque semble avoir été très rapprochée. - La fête des Juifs : la fête par excellence. C’était, d’après notre explication de 5, 1 (comp. 2, 13), la troisième Pâque de la vie publique du Sauveur ; selon d’autres, seulement la seconde. S. Jean, comme nous en avons déjà fait trois fois l’expérience, aime à grouper les événements de sa narration autour des grandes fêtes juives, cf. 7, 2 ; 10, 22. On a pensé, qu’indépendamment du soin de fixer une date, d’autres motifs l’ont porté à mentionner ce détail du verset 4. Il aurait voulu, a‑t‑on dit, expliquer d’une autre manière encore (voyez le verset 2) la présence d’une foule si considérable auprès de Jésus : avant la Pâque, les caravanes de pèlerins galiléens se groupaient et se formaient en vue d’un voyage commun à Jérusalem. Ou bien, selon d’autres, cette date aurait pour but de préparer le discours eucharistique (versets 26 et ss.), et d’opposer ainsi la Pâque nouvelle, c’est-à-dire le corps et le sang de N.-S. Jésus‑Christ, à l’agneau de l’ancienne Pâque.



Jean 6.5 Jésus donc ayant levé les yeux et voyant qu'une grande foule venait à lui, dit à Philippe : "Où achèterons-nous du pain pour que ces gens aient à manger ?" - Donc ayant levé les yeux. La particule « donc » renoue le fil du récit, qui avait été brisé par le verset 4. Trait graphique. Jésus était alors sur « la montagne » (verset 3) qui domine Bethsaïde‑Julias. - Voyant qu'une grande foule Dans le grec, comme au verset 2, il y a seulement « une grande multitude ». - Venait à lui. Le présent grec ajoute au pittoresque : la foule rejoignait N.-S. Jésus‑Christ en ce moment, après avoir parcouru à pied l’espace qui sépare Capharnaüm de la Bethsaïde transjordanienne. Voyez notre commentaire de l’Évangile selon S. Marc, 6, 33-34. - Jésus dit à Philippe. S. Jean nous a conservé de nombreux fragments de conversation, qu’on ne trouve que dans son évangile. Il donne ici un court dialogue entre Jésus et l’apôtre Philippe, une réflexion de S. André et deux ordres consécutifs du divin Maître. Pourquoi la remarque suivante fut‑elle adressée spécialement à S. Philippe ? On a fait à cette question toutes sortes de réponses : 1° Philippe se trouvait alors le plus rapproché de Jésus. 2° Il était chargé de l'approvisionnement pour le groupe des douze apôtres. 3° Originaire des bords du lac, d’après 1, 44, il connaissait mieux la contrée (mais plusieurs autres apôtres habitaient également le pays). 4° Enfin, esprit inquiet et curieux (on l’a du moins conclu de 14, 8), il aurait eu besoin entre tous d’être convaincu de son entière impuissance. Peut-être ce dernier sentiment correspond‑il pour le mieux à la réflexion communiquée plus bas par le narrateur (verset 6). - Où achèterons‑nous… Jésus regarde toute cette multitude comme des convives que la Providence lui envoie ; en père de famille prévoyant, il songe aussitôt au moyen de les nourrir. Si les synoptiques laissent aux Douze l’initiative de cette prévoyance, tandis que S. Jean l’attribue à Jésus, la différence est très minime. Les récits se complètent mutuellement, et la réflexion des apôtres conserve toute valeur après celle du Maître.


Jean 6.6 Il disait cela pour l'éprouver, car lui, il savait ce qu'il devait faire. - Il disait cela pour le mettre à l'épreuve. Trait touchant de la « pédagogie » du Sauveur : nous avons ici en abrégé toute sa méthode d’éducation envers les apôtres. Dans le cas actuel il mettait à l’épreuve la foi de l’un d’entre eux. Comme dit S. Augustin, Tract. in Joan, h.l., « en Philippe il recherchait non pas le pain mais la foi » - Car. Le narrateur va expliquer plus au long la demande de Jésus à Philippe. - Il savait ce qu’il devait faire. Notre‑Seigneur n’avait donc pas besoin qu’on le conseillât réellement. Il est frappant de voir combien souvent le disciple privilégié signale les motifs les plus intimes de la conduite de Jésus, cf. 3, 24, 25 ; 4, 1-3 ; 5, 6 ; 7, 1 ; 13, 1, 3, 11 ; 16, 19 ; 18, 4 ; 19, 28, etc.



Jean 6.7 Philippe lui répondit : "Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun en reçoive un morceau." - Philippe lui répondit. La difficulté proposée dépassait la compétence d’un simple mortel ; aussi l’apôtre interpellé ne répond‑il pas directement à la question. Du moins il montre d’une certaine manière son esprit pratique par une prompte évaluation : Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas… On a une assez grande quantité de pain pour deux cents deniers ; mais qu’était‑ce pour une telle multitude ? D’après Grotius, cette somme serait mentionnée parce qu’elle eût été alors contenue dans la bourse du groupe des apôtres. - Pour que chacun en reçoive un morceau « Un morceau » par opposition à une somme qui était alors relativement considérable, surtout pour des hommes si peu fortunés que les apôtres.



Jean 6.8 Un de ses disciples, André, frère de Simon-Pierre, lui dit : - Un de ses disciples : détail propre au quatrième évangile. La formule d’introduction est remarquable, car Philippe aussi était « un des disciples ». On dirait que S. Jean, après avoir écrit cette indication générale, se reprend et se complète lui‑même en désignant l’apôtre par son nom. - André, frère de Simon‑Pierre. Presque toujours on rappelle le grand titre de gloire de S. André. Une fois déjà, 1, 44, nous avons trouvé son nom à côté de celui de S. Philippe ; nous les trouverons encore associés, 12, 22. Comparez la liste des apôtres dans S. Marc, 3, 18 et au livre des Actes, 1, 13.



Jean 6.9 "Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d'orge et deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ?" Autres détails propres à S. Jean. Les synoptiques se contentent de signaler le fait en général : « Nous n’avons ici, disent les apôtres à Jésus, que cinq pains et deux poissons », Matth. 14, 17. Ici au contraire, nous avons plusieurs circonstances particulières. - 1° Les pains et les poissons sont la propriété (qui a) d’un jeune enfant (diminutif expressif en grec) qui les avait sans doute apportés pour les revendre avec quelque profit. - 2° Remarquez en outre l’adjectif un, qui n’est nullement synonyme de un certain en cet endroit, mais auquel il faut laisser la signification emphatique de un seul. - 3° Les pains sont qualifiés par S. Jean : pains d’orge ; nourriture des pauvres, ainsi qu’on le voit par la Bible, Juges 7, 13, et par de nombreux passages du Talmud. 4° Les poissons portent le nom de ὀψαρία, que nous retrouverons au v. 11, et 21, 9, 10, 13. Ce terme s'employait primitivement pour représenter toutes nourritures pouvant accompagner le pain, peu à peu l'usage en fut limité aux petits poissons, dont les anciens étaient très friands, cf. Plutarque, Sympos. 4, 4. - Mais qu’est‑ce que cela (en avant avec emphase) pour tant de monde ? Philippe a relevé la grandeur de la difficulté, André fait ressortir la petitesse des moyens.



Jean 6.10 Jésus dit : "Faites-les asseoir." Il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu. Ils s'assirent donc, au nombre d'environ cinq mille. - Or il y avait beaucoup d’herbe … C’était en effet le printemps. - Ils s’assirent donc « par groupes de cinquante et de cent », ajoute encore le second évangéliste, dont le récit est très pittoresque en cet endroit - Hommes est la traduction très exacte du mot grec ἄνδρες, qui désigne exclusivement les hommes. - Au nombre d’environ cinq mille hommes. Les richesses de Jésus étaient inépuisables.



Jean 6.11 Jésus prit les pains et ayant rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis, il leur donna de même des deux poissons, autant qu'ils en voulurent. - Après ces divers préliminaires, nous arrivons au miracle proprement dit : la narration de S. Jean tient le milieu entre celles de S. Marc et S. Luc. - Ayant rendu grâces, en tenant les pains dans ses mains divines. Cette circonstance a été notée de concert par les quatre évangélistes ; le nôtre y reviendra plus bas encore (v. 23) d’une manière emphatique, pour montrer que le miracle fut vraiment opéré durant cette prière adressée par Jésus à son père. Comparez les récits de la seconde multiplication des pains (Matt. 15, 36 ; Marc. 8, 6), où l’on voit un trait identique. De même, avant l’institution de la saint Eucharistie (Matt. 26, 26 ; Marc. 14, 22 ; Luc, 22, 17, 19 ; 1 Corinthiens 11, 24), qui a tant d’analogie avec la scène présente, comme nous le montrera bientôt le discours du Sauveur. - Il les distribua à ceux qui étaient assis. Littéralement en grec « il donna à travers, de main en main » ; cette expression est propre S. Jean. La recepta a ici une variante assez notable : « Il les distribua aux disciples, puis les disciples à ceux qui étaient assis ». L’addition du « texte reçu » provient sans doute de Matth. 14, 19. - De même des deux poissons. Trait commun à S. Marc et à S. Jean. Ce dernier est seul à ajouter l’intéressant détail autant qu'ils en voulaient, qui rehausse beaucoup la grandeur du miracle. Deux petits poissons partagés entre cinq mille hommes, et ceux‑ci en recevant autant qu’ils en voulaient. Sur la nature de ce miracle, voyez commentaire Mth, 14, 20-21. Dans le changement de l’eau en vin, Jésus avait agi sur la substance ; il agit maintenant sur la quantité.



Jean 6.12 Lorsqu'ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : "Recueillez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde." - Il dit à ses disciples. Cet ordre du Sauveur n’est mentionné que par S. Jean ; les synoptiques se contentent d’en raconter l’exécution. - Recueillez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde. Nous trouvons ici un mélange non moins étonnant que délicat de sainte économie et de générosité. On n’aurait jamais inventé un détail semblable.


Jean 6.13 Ils les recueillirent et remplirent douze corbeilles des morceaux qui étaient restés des cinq pains d'orge, après qu'ils eurent mangé. - Dociles à l’ordre du Maître, les apôtres se mirent à l’œuvre, et ils remplirent (expression propre à S. Jean dans ce passage) douze corbeilles ; c’est-à-dire que chacun remplit sa corbeille de voyage. A propos de la corbeille, voyez le commentaire sur S. Matthieu. - Avec les morceaux qui étaient restés des cinq pains d’orge « Et aussi des poissons », comme ajoute S. Marc.






Jean 6.14 Ces hommes ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : "Celui-ci est vraiment le Prophète qui doit venir dans le monde." - Ce verset et le suivant contiennent des détails nouveaux pour la plupart et d’une grande importance. Ils complètent une donnée de S. Matthieu (14, 22) et de S. Marc (6, 45), qui eût été difficilement explicable sans leur secours ; en même temps, ils décrivent la vive impression produite dans la foule par cet éclatant miracle. - Ces hommes... donc Ici, l’expression la plus générale du mot homme, et non l'acception restreinte ἄνδρες comme au verset 10. - Ayant vu le miracle que Jésus avait fait. Ils disaient et redisaient encore, dans leur ardent enthousiasme. - Celui‑ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. Dans le grec au participe présent, avec deux articles qui accentuent les mots principaux : « Le prophète, le venant » des Juifs. La foule entendait évidemment par là le Prophète par excellence (cf. Deutéronome 18, 25), le Messie. Voyez 1, 21 et le commentaire.



Jean 6.15 Sachant donc qu'ils allaient venir l'enlever pour le faire roi, Jésus se retira de nouveau, seul, sur la montagne. - Sachant donc L'évangéliste fait allusion, selon toute vraisemblance, à une perception surnaturelle et miraculeuse. - Qu’ils allaient venir pour l’enlever. Le verbe grec pour « enlever » exprime l’idée d’une façon très énergique, cf. 10, 12, 28, 29 ; Actes 8, 39 ; 2 Corinthiens 12, 2 ; 1 Thessaloniciens 4, 17. On voulait s’emparer violemment de la personne de Jésus, pour l’entraîner ensuite malgré lui à Jérusalem et au temple. - Pour le faire roi : le roi théocratique, le roi‑Messie, au sujet duquel on nourrissait partout dans le Judaïsme de si fausses et de si folles espérances. Ce jour même, d’après S. Luc, 9, 11, Notre‑Seigneur avait parlé du royaume de Dieu à la foule, et cette circonstance, jointe au miracle subséquent, n’avait pas peu contribué à surexciter des hommes qui prenaient feu si facilement sur un pareil sujet. - Se retira de nouveau. Ce fut une vraie fuite, une fuite noble. L’adverbe de nouveau nous ramène au verset 3 : « Jésus monta donc sur une montagne ». Quand il vit la multitude s’approcher (verset 5), Jésus descendit au devant d’elle pour lui parler et la nourrir ; maintenant, il gagne de nouveau sa retraite. - Seul. Auparavant il était sur la montagne avec les Douze ; mais, craignant que ses apôtres, imbus eux‑mêmes des préjugés judaïques, ne s’associassent à l’enthousiasme de la foule, il les avait « forcés » (Matth. 14, 23 ; Marc. 6, 46) de s’embarquer sur le champ et de prendre le large. La tentation eut été trop forte pour les apôtres.



Jean 6.16 Le soir venu, les disciples descendirent au bord de la mer, - Jean 6, 16-20 = Mth. 14. 22-23 ; Mc. 6, 45-52. S. Luc est seul à ne pas raconter ce second miracle. La relation de S. Jean est, ici encore, tout à la fois plus complète et moins complète que celles de ses devanciers ; car d’une part il cite divers détails qui lui sont propres, et de l’autre il abrège notablement. - Le soir venu. S. Matthieu mentionne consécutivement deux « soirs » distincts dans le même jour (14, 15 et 23 ; voyez le commentaire) ; il s’agit ici du second, qui allait de 18h à 21 heures. - Les disciples descendirent au bord de la mer. Ils étaient déjà descendus de leur montagne déserte ; mais le plateau où eut lieu la multiplication des pains est encore notablement plus élevé que les rives du lac.


Jean 6.17 et étant montés dans une barque, ils traversaient la mer dans la direction de Capharnaüm. Il faisait déjà nuit et Jésus ne les avait pas encore rejoints. - Et étant montés dans une barque. Dans la Recepta le mot grec correspondant à barque est avec l’article ; ce qui désignerait le même bateau qui les avait amenés. Cet article est toutefois omis par d’excellents témoins. - Ils traversaient. Le grec a l’imparfait pour marquer qu’ils étaient simplement en route pour Capharnaüm. S. Marc mentionne Bethsaïde, la patrie de Simon‑Pierre, d’André, etc., comme le but direct que Jésus avait indiqué aux apôtres ; mais cette bourgade était très rapprochée de Capharnaüm : S. Jean désigne donc le terme final du voyage. - Il va relever coup sur coup trois circonstances pénibles de la traversée. 1° Il faisait déjà nuit. Ce trait et le suivant se rapportent au moment du départ : il faisait nuit quand ils s’embarquèrent. - 2° Et Jésus ne les avait pas encore rejoints. Sur ses ordres, il avait fallu partir sans lui ; mais, d’après ces mots, il semblerait que les apôtres l’eussent attendu quand même durant quelque temps.



Jean 6.18 Cependant la mer, soulevée par un grand vent, était agitée. Une tempête violente s’élève tout à coup. Elle est brièvement décrite par le narrateur, mais d’une façon très expressive. - Soulevée par un grand vent. Un voyageur du XIXème siècle nous a laissé ce récit : « Il faut toujours prendre les plus grandes précautions lorsqu’on navigue sur ce lac perfide, où les tourbillons, d’une rapidité excessive, succèdent tout à coup à un calme plat et soulèvent, dans l’espace de quelques minutes, des vagues monstrueuses. Les vents redoutables sont surtout ceux du nord‑ouest, qui se précipitent des hauteurs de Safed, et celui du sud, le Khamsîn, qui parcourt avec une violence inouïe la grande vallée du Ghôr… Deux fois, pendant nos séjours, nous avons éprouvé les plus vives inquiétudes en nous sentant secoués sans trêve ni merci sur les vagues furieuses… La moindre fausse manœuvre pouvait nous faire chavirer en plein lac. Nous embarquions une telle quantité d’eau que deux hommes suffisaient à peine pour l’épuiser avec des seaux en fer. De gros nuages noirs remplis d’électricité s’amoncelaient à l’horizon, le vent qui descendait de la montagne soufflait en tempête ; la surface du lac, blanche d’écume, devenait livide dans les parties plus calmes. En fuyant rapidement devant les lames, nous pûmes, après plusieurs heures d’efforts pénibles, regagner sains et saufs les criques abritées de la côte occidentale ». Dr Lortet, Archives du Muséum d’histoire naturelle de Lyon, t. 3, p. 103 et s.


Jean 6.19 Quand ils eurent ramé environ vingt-cinq à trente stades, ils virent Jésus marchant sur la mer et s'approchant de la barque et ils eurent peur. Par une tempête si violente, il est bien évident que les voiles devenaient dangereuses ; les disciples durent donc avancer lentement et péniblement à la rame. - Environ vingt‑cinq ou trente stades. Trait spécial, qui dénote un témoin oculaire habitué à naviguer sur le lac, puisqu’il connaît les distances malgré la nuit. Le environ est délicat. Le stade équivalant à 184,84 mètres, la distance approximative indiquée par S. Jean est de 5 ou 6 kilomètres. S. Matthieu, autre témoin oculaire, dit en termes généraux que la barque se trouvait alors au milieu de la mer de Galilée. Le lac ayant environ 40 stades, ou 7,5 kilomètres, d’après Josèphe, on était en réalité plus rapproché du rivage occidental. - Ils virent Jésus. Dans le texte grec, le temps présent est pittoresque : tout à coup, ils voient Jésus, ou plutôt ils le contemplent, si nous voulons rendre entièrement l’expression grecque : ils sont absorbés comme on l’est par une vision terrible. En effet, disent les deux autres narrateurs, ils croyaient que c’était un fantôme. - Marchant sur la mer. Majestueusement, tranquillement, comme le roi de la nature. Plus loin, 21, 1, la locution signifiera : « sur le bord de la mer » ; mais elle désigne évidemment ici la mer elle‑même, d’après l’ensemble du contexte, malgré les prétentions vraiment absurdes de quelques exégètes rationalistes. - S’approchant de la barque. Jésus s’approchait de la barque pour y monter. - Et ils eurent peur. ; « et ils poussèrent des cris de frayeur », Matth. 14, 26. La scène se passait entre trois et six heures du matin, lisons‑nous encore dans les autres narrations (« à la quatrième veille de la nuit »). La barque, à cause de l’ouragan, avait mis un temps très long pour franchir une courte distance.


Jean 6.20 Mais il leur dit : "C'est moi, ne craignez pas." 21 Ils voulurent donc le prendre dans la barque et aussitôt, la barque se trouva au lieu où ils allaient. - Il leur dit (encore le temps présent)… Jésus rassure d’un mot, identiquement cité par les trois évangélistes, ses apôtres épouvantés : C’est moi, ne craignez pas. - Ils voulurent donc.... Cette conclusion revêt dans le quatrième évangile une forme particulière. Si nous n’avions pas les narrations parallèles pour l’expliquer en la complétant, elle semblerait dire que les apôtres se proposaient de recevoir Jésus dans leur barque, mais qu’il ne leur en laissa pas le temps. Nous savons au contraire par S. Matthieu et par S. Marc que le Sauveur monta auprès d’eux. Du reste, S. Jean emploie parfois le verbe grec ἐθέλω (vouloir) qui exprime une volonté réalisée, cf. 1, 44 ; 5, 35 ; 7, 17 ; 8, 44. S’il eût opposé le désir des disciples à un refus tacite de leur Maître, il aurait dit ensuite : mais aussitôt, et non pas et aussitôt. Il signale donc simplement une disposition, tandis que les deux autres écrivains sacrés racontent l’acte même. Est‑ce là une contradiction, comme le prétendent les rationalistes ? - Et aussitôt la barque se trouva… Ce serait un nouveau miracle d’après quelques exégètes. S. Chrysostome, (homélie 43.) le Sauveur voulut apparaître aux yeux de ses disciples pour les convaincre que c'était lui-même qui allait apaiser la tempête, circonstance que l’Évangéliste nous fait comprendre, en ajoutant : « Ils voulurent le prendre dans leur barque, et aussitôt ils abordèrent au rivage vers lequel ils se dirigeaient. » C'est donc à Jésus qu'ils furent redevables de cette heureuse traversée. Cependant il ne voulut pas monter dans la barque pour faire mieux ressortir la grandeur du miracle et la puissance divine qui l'opérait. — Théophylacte. Vous voyez ici, en effet, trois miracles réunis : Jésus marche sur la mer, il calme la fureur des flots, et fait aborder aussitôt la barque au rivage dont les disciples étaient encore fort éloignés, lorsque le Seigneur apparut. — S. Chrysostome (homélie 43.) Jésus ne permit pas que la foule le vît marcher sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, il ne voulut pas même qu'il se prolongeât longtemps aux yeux de ses disciples, et il disparut presque aussitôt de leurs regards. Bède le Vénérable. Mais cette barque ne porte pas d'hommes indolents et paresseux, elle veut des rameurs vigoureux ; c'est ainsi que dans l’Église ce ne sont pas les âmes molles et nonchalantes mais les âmes fortes et qui persévèrent dans la pratique des bonnes œuvres qui parviennent au port du salut éternel.


Jean 6.22 Le jour suivant, la foule qui était restée de l'autre côté de la mer, avait remarqué qu'il n'y avait là qu'une seule barque et que Jésus n'y était pas entré avec ses disciples, mais que ceux-ci étaient partis seuls. - Premier fait : le peuple a remarqué que les apôtres se sont embarqués sans leur Maître sur l’unique bateau qui se trouvait alors au N.-E. du lac. - La foule ne désigne plus les cinq mille hommes témoins de la multiplication des pains (verset 10), car une partie d’entre eux s’étaient évidemment dispersée quand Jésus les eut congédiés (cf. Matth. 14, 23 ; Marc. 6, 46). Il s’agit donc seulement de ceux qui étaient restés. Le narrateur les représente pittoresquement debout sur la rive orientale, au moment où les apôtres l’avaient quittée. En effet, l’expression de l’autre côté de la mer ne désigne plus, comme au verset 17, la partie ouest du lac, mais la partie nord‑est, d’après le contexte. - Avait remarqué nous reporte au soir du jour précédent. - Il n’y avait eu là qu’une seule barque : celle qu’avaient prise les disciples.


Jean 6.23 D'autres barques, cependant, étaient arrivées de Tibériade près du lieu où le Seigneur, après avoir rendu grâces, leur avait donné à manger. Second fait : d’autres barques étaient survenues depuis de Tibériade. - D’autres barques. Toute cette phrase est incidente, et forme comme une parenthèse. Elle a pour but d’expliquer comment la foule put retourner par mer à Capharnaüm. - étaient arrivées. Tout naturellement, les bateliers s’étaient portés là où ils savaient qu’ils trouveraient des passagers à conduire et quelques bénéfices à retirer. - Le Seigneur, après avoir rendu grâces. Cette formule rappelle le moment décisif du grand miracle de Jésus. Voyez la note du verset 11.


Jean 6.24 La foule donc, ayant vu que Jésus n'était pas là, ni ses disciples non plus, entra dans ces barques et se rendit à Capharnaüm pour chercher Jésus. Troisième fait : Ne trouvant ni Jésus ni les apôtres, la multitude profite de ces embarcations pour venir à Capharnaüm, où elle espère revoir le bienfaisant thaumaturge. - Ayant vu que. Ces mots nous ramènent au début du verset 22. - se rendit à Capharnaüm pour chercher Jésus. Trait bien délicat, rendu plus saillant par l’emploi du participe présent, qui indique des recherches persévérantes, cf. Luc. 2, 45 ; Jésus avait depuis longtemps (Matth. 4, 13) établi sa résidence habituelle à Capharnaüm ; la foule pensait donc sûrement l’y rencontrer.


Jean 6.25 Et l'ayant trouvé de l'autre côté de la mer ils lui dirent : "Maître, quand êtes-vous venu ici ?" - Première partie de l’entretien, versets 25-34. C’est une conversation rapide et animée, qui se compose de plusieurs questions de l’auditoire et de plusieurs réponses de Jésus. Nous avons dans les versets 25-27 le premier de ces petits dialogues. - Et l’ayant trouvé. D’après le verset 60, ils le rejoignirent dans la synagogue de Capharnaüm. - De l’autre côté de la mer doit encore être interprété au point de vue de la multitude (comparez la note du verset 22). - Maître, lui demandent‑ils respectueusement et familièrement tout ensemble, quand êtes‑vous venu ici ? Ils ignoraient la marche miraculeuse de Jésus sur les eaux, et ils ne pouvaient comprendre, eux qui avaient constaté l’absence de bateau et surveillé toute la nuit la rive septentrionale du lac, à quel moment et de quelle manière Notre‑Seigneur s’était transporté à Capharnaüm. Leur « quand » implique évidemment un « comment » tacite.


Jean 6. 26 Jésus leur répondit : "En vérité, en vérité je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. - Ce verset et le suivant contiennent l’exorde et le thème général de tout le discours. Jésus nous y apparaît déjà avec sa majesté habituelle, comme un noble prince qui renverse les préjugés de ses admirateurs, dut‑il ainsi perdre tous les suffrages. Mais en même temps, et c’est son but principal durant tout l’entretien, avec quelle bonté il éclaire cette foule ignorante, lui montrant dans sa personne et dans ses institutions célestes un sûr moyen d’arriver au salut. Selon sa coutume, il va rattacher à un très simple incident les instructions les plus élevées, cf. 4, 10 ; Matth. 11, 7 ; 16, 6 ; Luc. 13, 1 ; 14, 7. - Jésus leur répondit. Il ne répond pas directement à la question qu’on lui posait, n’ayant pas à satisfaire une vaine curiosité ; mais il entre à fond dans la pensée qui avait inspiré cette question, cf. 4, 16, etc. - En vérité, en vérité, je vous le dis. Sa formule solennelle, inaugure ce beau discours. Nous la retrouverons trois fois encore : versets 32, 47, 54. - Vous me cherchez. Ce profond scrutateur des esprits et des cœurs va montrer aux Galiléens combien il les connaît : il leur révélera tout ce qu’il y a de charnel, d’extérieur dans l’enthousiasme qui les fait courir à sa suite. - Non parce que vous avez vu des miracles. « Miracles » est un pluriel de catégorie, si ce mot retombe seulement sur le miracle de la veille ; sinon, il désigne tous les miracles antérieurement opérés en Galilée par Notre‑Seigneur d’après S. Jean, 4, 47-54, et les synoptiques. Le substantif grec σημειᾶ est très significatif à cet endroit, et il serait mal traduit par « miracles ». Jésus, en effet, reproche à ses auditeurs d’avoir vu ses miracles, mais de ne les avoir pas regardés comme des « signes » de sa mission. Ces hommes superficiels s’en étaient tenus aux dehors, aux apparences ; ils n’avaient pas pénétré au fond des choses : c’est pourquoi ils ignoraient la signification supérieure des pouvoirs surnaturels de Jésus. - Mais parce que vous avez mangé des pains et que avez été rassasiés. Ils le cherchaient donc « poussés par la chair, et non par l’esprit », dit excellemment S. Augustin. Ils couraient moins après sa personne qu’après ses dons, espérant encore de lui d’autres bienfaits temporels. Et combien de chrétiens leur ressemblent. « Combien cherchent Jésus seulement en raison du bien qu’ils désirent recevoir de lui suivant les circonstances !... C’est à peine si quelqu’un cherche Jésus pour lui‑même », S. Augustin, Traité 25 sur S. Jean, 10. - Des pains. Dans le texte grec, l’article souligne l’allusion aux pains miraculeux du désert. - Et avez été rassasiés. Expression d’une grande énergie, qui se dit habituellement des animaux gorgés de nourriture, cf. Luc. 15, 16 ; 16, 21 ; Apocalypse 19, 21. Toutefois, S. Matthieu , 14, 20, et les récits parallèles l’emploient sans y attacher aucune idée de blâme.







Jean 6.27 Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle et que le Fils de l'homme vous donnera. Car c'est lui que le Père, Dieu, a marqué d'un sceau." - Après le reproche, une exhortation pressante. Du pain matériel, Jésus passe tout à coup à l’aliment spirituel de l’âme, et il invite ses auditeurs à se le procurer. - Travaillez est le mot dominant de tout ce passage (versets 27-30) ; il est très classique et très expressif. Sa signification exacte est « acquérir une chose par le travail » ; il désigne donc la mise en œuvre des énergies de notre nature, en vue d’un certain but à réaliser. Jésus l’oppose à vous me cherchez du verset précédent, qui supposait un moindre développement de forces. - Non pour la nourriture périssable Il nomme ainsi la nourriture matérielle, dont l’usage et les effets sont si transitoires. Promptement détruite par le phénomène de la manducation et de la digestion, elle a besoin d’être renouvelée sans cesse, cf. Matth. 15, 17 ; 1 Corinthiens 6, 13. non qu’il ne faille s’en inquiéter ; une telle apathie serait contraire aux lois providentielles (cf. Actes 18, 3 ; Éphésiens 4, 28 ; 1 Thessaloniciens 4, 10-12) : l’antithèse qui suit montre que Dieu condamne simplement des préoccupations exclusives, exagérées, qui nuiraient à l’entretien beaucoup plus important de l’âme. - Mais pour celle qui demeure… Cet autre aliment diffère essentiellement du premier : il est incorruptible et contient en soi un principe de vie éternelle. A plus forte raison faut‑il se donner de la peine pour l'acquérir, car : Il ne donnera pas de mets éternels sans peine, celui qui commande de manger son pain quotidien dans la sueur. Voyez des pensées analogues, Matth. 6, 25, et dans l’entretien avec la Samaritaine, 4, 13-14. - Et que le fils de l’homme vous donnera. Jésus dira bientôt, et de deux manières, quelle sera la nature de ce pain précieux. Il se contente pour le moment d’en indiquer l’origine céleste : c’est le Fils de l’homme, le Messie (cf. 5, 27), qui le procurera à tous ceux qui s’en rendront dignes par un travail personnel d’appropriation. - Vous donnera. Des manuscrits ont le présent mais le futur est beaucoup mieux garanti. - Car c’est lui que Dieu le Père a marqué de son sceau. Ce verbe fait image et exprime très fortement la pensée. Dieu le Père a marqué le Messie de son sceau, l’accréditant ainsi auprès des hommes, se faisant garant de sa mission, cf. 3, 33. L’idée est toute orientale : c’est de leur cachet, non d’une signature, que les Orientaux ont presque toujours muni les documents de quelque importance. Voyez 1 Rois 21, 8 ; Esther, 3, 12 ; 8, 8, 10 ; Jérémie 32, 10, etc. Les Rabbins disent que le sceau de Dieu est le mot hébreu אמת , qui signifie vérité : ici, le sceau dont il avait marqué son Fils consiste dans les miracles antérieurs de Jésus. - le Père, Dieu. Dieu est une apposition à Père : le Père l’a marqué de son cachet, lui qui est Dieu. Ce mot ajouté à la fin de la phrase acquiert une plus grande force : Dieu, qui est la suprême garantie et la plus haute autorité.


Jean 6.28 Ils lui dirent : "Que devons-nous faire, pour faire les œuvres de Dieu ?" - Deuxième petit dialogue : versets 28 et 29. Le premier avait opposé l’une à l’autre les deux intentions avec lesquelles on peut chercher Jésus, la charnelle et la spirituelle ; il ne s’agit maintenant que de cette dernière, qui est plus nettement déterminée : elle s’appelle la foi (verset 29), et elle contraste avec les œuvres purement extérieures (verset 28). - Ils lui dirent. La foule interrompt déjà Notre‑Seigneur. A coup sûr, elle n’a pas compris toute la signification de sa précédente parole : mais des Juifs ne pouvaient manquer d’être frappés, dès lors qu’il était question d’œuvres à accomplir. - Que devons-nous faire, pour faire les œuvres de Dieu ? C’est-à-dire, des œuvres qui plaisent à Dieu. Les interlocuteurs de Jésus pensaient sans doute à des œuvres légales, telles que des aumônes, des jeûnes, des sacrifices.


Jean 6.29 Jésus leur répondit : "Voici l'œuvre que Dieu demande, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé." - L’œuvre de Dieu. (et non, comme le veulent S. Augustin, S. Thomas d’Aquin, etc., l’œuvre que fait Dieu). La foule demandait des œuvres à accomplir ; Jésus en signale une seule, l’œuvre par excellence, celle qui est, d’après l’enseignement du Concile de Trente, Session 6, chap. 8, le principe, le fondement et la source du salut. La foi réunit toutes nos actions isolées et en peut former un agrégat parfait, cf. Jacques 1, 25. - Que vous croyiez. Selon les manuscrits au présent ou au futur ; cependant l’emploi du présent marque mieux la nécessité d’une foi constante et invariable, cf. Actes 16, 31. - L’objet de cette foi est ensuite marqué ; c’est la personne même de Jésus : en celui qu’il a envoyé. (cf. 5, 24). Évidemment, la meilleure manière de plaire à Dieu, de faire « son œuvre », consiste à croire en son envoyé, lequel n’est autre que son divin Fils.


Jean 6.30 Ils lui dirent : "Quel miracle faites-vous donc afin que nous le voyions et que nous croyions en vous ? Quelles sont vos œuvres ? - Troisième dialogue, versets 30-33, un peu plus long que les deux précédents. Jésus y expose la nature du don céleste que chacun peut s’approprier par la foi. - Ils lui dirent. Ces fréquentes interruptions de l’auditoire montrent jusqu’à quel point l’entretien présenta de vie et d’intérêt : à peine une réponse a‑t‑elle été sommairement donnée, que de nouvelles questions se précipitent. - Quel miracle faites‑vous donc… « donc », car c’est une conclusion que la foule prétend tirer en ce moment. Elle a compris que Jésus parlait de lui‑même et se donnait personnellement comme l’envoyé de Dieu (verset 29) : elle lui demande maintenant ses titres. Le pronom « tu » fut prononcé avec emphase : toi qui as de telles prétentions. - Quel miracle faites‑vous ? Comme si ceux de la veille et des jours antérieurs (cf. verset 2) ne suffisaient pas pour l’accréditer. On voit à merveille, dans le récit, le va‑et‑vient perpétuel de ces esprits mobiles, qui auraient voulu de leur Messie des miracles sans fin, et sans autre raison que leurs désirs de plus en plus exaltés. Hier ils étaient satisfaits ; ils parlent aujourd’hui comme si Jésus n’eût accompli aucun miracle. - Afin que nous le voyions et que nous croyions en vous. Ils verront et, bien entendu, ils se réservent d’apprécier le signe, de juger s’il répond à leur attente et à l’idée qu’ils se font de la puissance du Messie. Au verset précédent, Jésus avait employé l’expression plus forte « croire en celui... », avoir foi en la personne et au caractère de quelqu’un ; ils se servent de l’expression plus faible « croire quelqu’un », croire au témoignage d’un individu. Voyez 4, 20 ; 5, 24, 38, 46 ; 14, 11, etc., des changements analogues. - Quelles sont vos œuvres ? Demandent‑ils encore en insistant. Il est à noter qu’ils retournent insolemment contre Jésus ce verbe (verset 27). Tu nous as recommandé l’action ; agis toi‑même pour te manifester.


Jean 6.31 Nos pères ont mangé la manne dans le désert, ainsi qu'il est écrit : Il leur a donné à manger le pain du ciel." - Nos pères ont mangé. Ils insinuent, par un rapprochement emprunté aux débuts de la théocratie, quelle sorte de miracle pourrait les satisfaire, et en même temps ils opposent à Jésus l’autorité de Moïse, qu’ils croient, jusqu’à preuve contraire, bien supérieure à la sienne. - La manne dans le désert. Sur ce célèbre miracle, voyez Exode 16, 4 et ss. ; Nombres 11, 6 et ss. ; Sagesse 16, 20 et 21 ; F. Vigouroux, la Bible et les découvertes modernes, t. 2, p. 489 et ss. de la 4ème éd. - Ainsi qu’il est écrit. Ils relèvent la grandeur du miracle au moyen d’une citation biblique tirée du psaume 78, verset 24 (cf. Néhémie 9, 15). - Il leur a donné à manger le pain du ciel (pour marquer le lieu d’origine de la manne). Tandis que le pain de Jésus, tout miraculeux qu’il fût, provenait de la terre comme les autres pains. S’il désire gagner leur foi, qu’il leur donne un signe du ciel, lui aussi. Il n’est pas sans intérêt d’ajouter que, d’après l’enseignement rabbinique, Moïse étant le type du Messie, ce dernier devait renouveler en leur donnant plus d’éclat tous les miracles de Moïse, et en particulier celui de la manne. « Tel fut le premier rédempteur, tel fut le dernier. Le premier a fait descendre la manne, le dernier la fera descendre aussi », Midrasch Koheleth. Les anciens écrivains juifs parlent d’ailleurs très volontiers de la manne : par exemple Philon, De Profugis, § 25.


Jean 6.32 Jésus leur répondit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel, c'est mon Père qui donne le vrai pain du ciel. - Jésus leur répondit. Dans sa réponse, Jésus‑Christ fera voir à ses interlocuteurs qu’il a parfaitement compris l’insinuation par laquelle ils le plaçaient au‑dessous de Moïse. Il n’aura, pour cela, qu’à opposer son propre pain à la manne. - En vérité, en vérité, je vous le dis. Sous la sauvegarde de cette formule solennelle il place deux dénégations successives. - Ce n’est pas Moïse qui vous a donné. En réalité, la manne ne provenait pas de Moïse, mais de Dieu : le grand législateur n’était personnellement pour rien dans ce don céleste, cf. Exode 16 ; 4 et ss. Le pronom « vous » identifie aux anciens Hébreux du désert les Galiléens qui écoutaient Notre‑Seigneur à Capharnaüm : ancêtres et descendants ne formaient qu’un peuple unique. - c’est mon père qui donne le vrai pain La manne n’avait eu qu’une durée limitée ; elle cessa de tomber quand les Israélites arrivèrent dans la Terre promise : le pain céleste donné aux hommes par l’intermédiaire du Sauveur ne connaîtra aucune limite de ce genre. De là l’emploi du présent, par opposition au parfait, lequel marquait un fait qui avait pris fin depuis longtemps. - Le vrai pain du ciel. Ce pain nouveau est le seul vrai, c’est-à-dire le seul parfait, le seul qui corresponde à l’idéal qu’on peut se former d’un aliment supérieur. La manne n’était qu’un symbole et un type, et pas une complète vérité.


Jean 6.33 Car le pain de Dieu, c'est le pain qui descend du ciel et qui donne la vie au monde." - Car le pain… Jésus revient sur les mots « Mon Père qui vous donne » pour les développer et les expliquer. - Dieu est ici le terme principal de la phrase : Dieu par contraste avec Moïse, le pain de Dieu par contraste avec la manne que les Juifs prétendaient venir de Moïse. - Le « vrai pain » est ensuite défini de deux manières : par son origine et par ses effets. Son origine est réellement céleste, beaucoup plus que celle de la manne : celui qui descend du ciel. Remarquez que plus loin, verset 41, lorsque Jésus sera regardé comme une seule et même chose avec ce pain, nous lirons le parfait, qui marquera un fait accompli, tandis qu’en cet endroit, où le pain demeure impersonnel, c’est le participe présent qui est employé. - Les effets du « pain véritable » sont ramenés au principal et au plus grand de tous : qui donne la vie, et cette vie spirituelle n’est plus l’apanage d’un seul peuple, choisi parmi tous les autres ; elle est donnée au monde entier, tout particularisme religieux étant désormais supprimé. Ces deux derniers versets (32 et 33) nous ont introduits au cœur du discours qui traite si noblement de Jésus en tant que pain de vie, soit au figuré par la foi, soit au propre par la divine Eucharistie.


Jean 6.34 Ils lui dirent donc : "Seigneur, donnez-nous toujours de ce pain." - Quatrième dialogue, encore un peu plus long que le troisième, versets 34-40. Il éclaircit et développe de plus en plus l’idée dominante : le Sauveur donnera toutes choses à ceux qui croiront fermement en lui. - Ils lui dirent… Nous n’admettons pas, avec quelques commentateurs, que ce serait là une prière ironique, toute marquée au coin du scepticisme ; ni, à la suite d’autres exégètes, que les interlocuteurs de Jésus auraient compris la portée entière de ses paroles. Ils n’étaient ni si méchants, ni si profonds. Comme autrefois la Samaritaine (cf. 4, 15), quoique superficiels ils voyaient dans l’aliment proposé par Jésus quelque chose d’utile, de désirable, et ils le demandaient avec une bonne foi naïve, mais avec des aspirations égoïstes d’un ordre peu élevé. Ils songeaient avant tout à satisfaire des espérances matérielles. - Seigneur. Plus haut, verset 25, ils avaient dit « Rabbi ». - Donnez-nous toujours de ce pain. C’est d’une manière également emphatique que l’adverbe toujours est mis en avant de la phrase grecque, et le pronom ce à la fin. Non pas une fois en passant, mais toujours ; ce pain de beaucoup supérieur à la manne, tel que tu viens de le décrire.


Jean 6.35 Jésus leur répondit : "Je suis le pain de vie : celui qui vient à moi n'aura jamais faim et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. Tout à coup (et nous avons dit que cette idée forme une gradation importante dans l’entretien ; voyez la note du verset 24) N.-S. Jésus‑Christ s’identifie lui‑même, versets 35 et suivants, au pain dont il avait parlé. Les identifications de ce genre sont un des caractères particuliers du quatrième évangile. Voyez 8, 12 : Je suis la lumière du monde ; 10, 7 : Je suis la porte des brebis ; 10, 11 : Je suis le bon berger ; 11, 25 : Je suis la lumière du monde ; 14, 6 : Je suis la voie, la vérité et la vie ; 15, 1 : Je suis la véritable vigne. - Je suis le pain de vie. Jésus dut appuyer fortement sur ce « je », que nous entendrons encore aux versets 48 et 51, et dont les Juifs furent si frappés (cf. verset 41). Il rappelle le passage 4, 56. - Le pain de vie, c’est-à-dire, qui donne la vie (verset 33). Comparez, Genèse 2, 9 ; 3, 22, 24, l’expression analogue « l’arbre de vie », et, Apocalypse 21, 6, « l’eau de la vie ». Plus loin, verset 51, il y aura, avec une légère modification, « le pain vivant ». - Mais comment s’approprier ce pain sacré qui est le Christ lui‑même ? De la façon la plus simple : en allant à Jésus (celui qui vient à moi), et c’est par la foi, continue‑t‑il, qu’on vient à lui, qu’on se rapproche intimement de lui (celui qui croit en moi). Remarquez le parallélisme des membres, selon la mode hébraïque ; la seconde assertion (celui qui croit en moi n’aura jamais soif) explique et complète la première. « Vient » désignait la foi mise en œuvre au dehors ; « croit » l’envisage au‑dedans, comme un fait intime. - Aura faim était plus en rapport avec le pain que promettait Notre‑Seigneur ; mais un festin serait incomplet sans breuvage ; de là le « aura soif » qui sera, du reste, commenté vers la fin du discours, verset 53. - Les deux participes présents du texte grec (« venant, croyant ») et les négations, doublées d’abord puis triplées relèvent fortement d’une part l’universalité de la promesse, de l’autre sa certitude absolue. Quiconque viendra, quiconque croira, verra ses besoins spirituels immédiatement et à tout jamais satisfaits. Voyez 4, 14 et le commentaire. La manne ne nourrissait que pour un jour (verset 43), et il n’avait été donné qu’à un petit nombre d’hommes de la goûter.


Jean 6.36 Mais, je vous l'ai dit, vous m'avez vu et vous ne croyez pas. - Les Juifs n’avaient donc qu’à saisir le pain de vie placé à la portée de leurs mains, et qu’à se l’assimiler ensuite ; malheureusement, comme Jésus le leur dit ici avec tristesse, ils refusaient de le toucher ; ils refusaient de croire, malgré tous les moyens employés par Dieu pour faciliter leur foi. - Mais je vous l’ai dit… Cette ligne ne se trouvant pas dans les pages qui précèdent, Ewald a conclu, bien à tort, qu’une feuille du manuscrit aurait été perdue entre les chapitres 5 et 6. Mais Notre‑Seigneur ne prétend pas citer textuellement une de ses paroles antérieures ; il se contente de rappeler à son auditoire l’esprit et le sens du langage qu’il avait tenu au début de l’entretien actuel. En effet, au verset 26, il accusait formellement les Juifs de voir les miracles qu’il opérait, et néanmoins de ne pas croire en lui. - Vous m’avez vu… La répétition de « et » renforce l’idée, et met en relief le « contraste choquant » qui existe entre les deux faits rapprochés l’un de l’autre. Ne pas connaître seulement par ouï-dire, mais avoir contemplé de ses propres yeux, jouir par conséquent de la plus parfaite évidence, et ne pas croire, c’est le comble de la perversité. Et voici que naguère, verset 30, ils promettaient d’avoir la foi à la condition qu’il leur fût donné de voir. - Et vous ne croyez pas, cf. 5, 38, 40, 43. Ce reproche n’était que trop légitime.


Jean 6.37 Tout ce que le Père me donne viendra à moi et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors. - Le défaut de liaison que l’on remarque entre ce verset et le 36e indique une pause douloureuse après la constatation d’un phénomène si étrange. Toutefois, détournant son regard de ceux qui refusent de croire, Jésus le repose avec joie sur tous ceux qui venaient à lui, qui croyaient en lui, et sur les faveurs dont il se proposait de les combler, versets 37-40. - Tout ce que… Ce changement de genre, le neutre au lieu du masculin (cf. versets 36 et 40), est significatif. Le genre humain est donné pour ainsi dire en bloc à N.-S. Jésus‑Christ par son Père, comme une totalité impersonnelle ; au contraire, quiconque vient à lui le fait volontairement, librement, sous l’impulsion d’une foi personnelle. - Viendra à moi, et celui qui vient… Deux verbes différents, et aux nuances intéressantes, sont employés dans le texte grec. Le premier signifie atteindre un but, et dénote l’arrivée ; le second ne désigne que la marche, l’action de s’acheminer vers le terme proposé. - Je ne le jetterai pas dehors : hors du temple messianique, hors de l’Église. Belle et consolante litote du Sauveur ; car non seulement il ne rejettera pas quiconque se dirige vers lui, mais il l'introduira dans « son sanctuaire inviolable, sa douce retraite », S. Augustin, Traité 25 sur S. Jean. Il le comblera de bonheur et de bénédiction, cf. 10, 28, et la paraphrase de Nonnus.


Jean 6.38 Car je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. - Car… Jésus va maintenant expliquer la raison de cet accueil qu’il fait à tous les croyants (versets 38-40). Comment pourrais‑je les rejeter, dit‑il, puisque je me suis incarné pour accomplir la volonté de mon Père, et que cette volonté consiste précisément dans le salut de ceux qui croient en moi ? En cet endroit et en beaucoup d’autres de l’Évangile, le Verbe divin décrit l’attitude d’obéissance et d’humilité qu’il a prise à l’égard de son Père au moment où il se faisait chair. - Je suis descendu du ciel. On retrouve cette expression au v. 42. Le sens n’est pas tout à fait le même : ici l’idée proéminente est celle de quitter le ciel pour revêtir notre nature, là de posséder en propre la nature divine ; ce sont deux points divers qui sont marqués par les interlocuteurs. Jésus répète jusqu’à quatre fois dans ce discours qu’il est descendu des cieux en terre ; comparez les versets 50, 51, 58. - Pour faire non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Rien de plus vrai que cette parfaite et adorable soumission ; aussi Notre‑Seigneur y revient‑il souvent, cf. 4, 34 ; 7, 30, etc.


Jean 6.39 Or la volonté de celui qui m'a envoyé, est que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. - Or la volonté… Après le principe général, l’application détaillée. Quelle est‑elle donc, la volonté du Père à l’égard de son Fils (du Père est omis par certains manuscrits ) ? Elle est décrite coup sur coup en deux versets, et presque dans les mêmes termes, quoique avec de légères modifications utiles à signaler. - Ce qu’il m’a donné. Le neutre comme plus haut (verset 37) ; mais le temps parfait au lieu du présent, parce que la chose cesse d’être envisagée dans sa réalisation actuelle ou à venir, et qu’on la contemple comme un fait accompli. - Que je ne perde aucun. Nouvelle litote délicate et touchante. Lui, qui ne pouvait laisser perdre de simples morceaux de pain, verset 12, comment tolérerait‑il la ruine d’âmes fidèles et aimantes ? - Mais que je les ressuscite… C’est la même pensée en termes positifs. Douce et consolante perspective, que Jésus fera briller trois fois encore dans la suite de l’entretien (versets 40, 44, 54). Il avait déjà montré antérieurement (verset 29) la résurrection des morts comme la consommation de l’activité du Christ. - Au dernier jour. Expression propre à S. Jean, cf. versets 40, 44, 54 ;11, 24 ; 12, 48, etc.



Jean 6.40 Car c'est la volonté de mon Père [qui m'a envoyé], que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle et moi je le ressusciterai au dernier jour." - La volonté… Le Sauveur continue de commenter les paroles du verset 38. - Que quiconque… Sur l’emploi du masculin après celui du neutre, voyez l’explication du verset 37. Le Père a « tout » donné à son Fils, mais il faut que « chacun » se présente individuellement et de lui‑même pour être admis dans le royaume messianique. - Qui voit… et croit (au participe présent en grec, cf. verset 35). Ici, l’idée de voir remplace celle de venir ; elle suppose donc qu’on est arrivé heureusement jusqu’au Christ. De plus, il ne s’agit pas d’une vue quelconque, mais d’une contemplation attentive et profonde, selon le sens complet du verbe grec θεωρῶ, si aimé de S. Jean. - Et moi je le ressusciterai. C’est moi qui le ressusciterai.







Jean 6.41 Les Juifs murmuraient à son sujet, parce qu'il avait dit : "Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel." - Les Juifs murmuraient (en conséquence des paroles prononcées par Jésus). En cet instant, de vifs murmures interrompirent le divin orateur : les Juifs étaient coutumiers du fait, car ils avaient si souvent murmuré contre Dieu, cf. Nombres 11, 1 ; 14, 1 ; 1 Corinthiens 10, 10, etc. Le verbe grec signifie d’abord parler à mi‑voix, chuchoter (cf. 7, 12, 32), puis murmurer en signe de mécontentement ; il a fréquemment ce second sens dans la traduction des Septante. Suivant quelques exégètes, le mot « Juifs » représenterait ici une classe d’auditeurs distincte de la « foule » des versets 22 et 24 ; par exemple, des docteurs de la loi, des sanhédristes ; bien plus, d’autres vont jusqu’à placer en cet endroit le début d’une nouvelle scène. Mais rien n’indique de pareils changements. Il s’agit toujours de même auditoire ; seulement, l’écrivain sacré lui donne actuellement le nom de « Juifs » à cause de l’hostilité qu’il manifestait contre Jésus, cf. 1, 19 et le commentaire. - A son sujet : à son sujet, et non pas « contre lui » ; d’après le contexte (verset 43), c’est les uns contre les autres qu’ils murmuraient, deux partis s’étant formés dans la foule à propos des paroles du Sauveur. - Je suis le pain vivant… Le Sauveur n’avait pas prononcé littéralement cette phrase (il a dit : je suis le pain de vie), mais elle résumait d’une manière bien exacte ses précédentes affirmations, cf. versets 33, 35 et 38. - Qui est descendu du ciel. Ces paroles surtout blessaient et irritaient la foule, car leur conclusion directe et naturelle était la divinité de Jésus. Il est remarquable de voir que cette multitude illettrée comprend parfaitement, d’un bout à l’autre de l’entretien, la pensée du Maître ; elle se scandalise, elle murmure, elle se fâche, mais elle saisit toutes choses. Tout, du reste, était si limpide dans le fond comme dans la forme.



Jean 6.42 Et ils disaient : "N'est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment donc dit-il : Je suis descendu du ciel ?" - Et ils disaient : A l’origine céleste que s’attribuait Notre‑Seigneur, ils opposent malignement ce qu’ils connaissent de sa généalogie humaine et de sa parenté si humble, si pauvre. Comment cet homme (cet, avec dédain, deux fois de suite dans ce verset), dont le père et la mère n’ont rien que de commun (car les privilèges et les vertus de Marie et de Joseph étaient ignorés de la foule), peut‑il communiquer une vie impérissable et certifier qu’il vient du ciel ? Sa naissance, à elle seule, contredit ses audacieuses prétentions, cf. 1, 46, où le bon Nathanaël faisait un raisonnement analogue. Voyez aussi Matth. 13, 35 ; Marc. 6, 3 ; Luc. 4, 22. - Fils de Joseph. C’est l’opinion générale que S. Joseph était mort à cette époque de la vie du Sauveur. - Dont nous connaissons… Le pronom est emphatique, et met en saillie la connaissance personnelle que ces Galiléens avaient des parents de Notre‑Seigneur.


Jean 6.43 Jésus leur répondit : "Ne murmurez pas entre vous. - Jésus leur répondit… Jésus va répondre à la foule mécontente (versets 43-46). Il n’entrera toutefois dans aucune explication sur son origine terrestre, sur l’erreur grossière dont il était l’objet ; mais, selon sa coutume, il réitère ses assertions en termes plus énergiques encore. Voyez les entretiens avec Nicodème (3) et avec la Samaritaine (4). La pensée fait néanmoins un pas en avant, car les Juifs apprendront comment ils pourraient venir à Jésus et ce qui les empêche de s’unir à lui. - Ne murmurez pas entre vous. C’est tout ce que Notre‑Seigneur dira de l’objection : il se borne à reprocher doucement à l’auditoire son opposition injuste.




Jean 6.44 Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire et moi, je le ressusciterai au dernier jour. - Nul ne peut… Voici, dans ce verset et les deux suivants, le vrai motif de l’incrédulité des Juifs : ils ne veulent pas se laisser conduire au Fils par le Père. « Personne » correspond à « tout » du verset 37. L’impossibilité signalée est de même nature que celle dont il est question aux passages 3, 3, 5 ; 5, 44 ; 8, 43 ; 12, 39 ; 14, 17 ; 15, 4 et 5 : c’est une impossibilité morale. - Si le Père, qui m’a envoyé... L’allusion à la mission du Verbe incarné est tout à fait opportune en ce passage : le Père envoyait précisément son Fils pour qu’il cherchât ces malheureux égarés. - Ne l’attire. Il y a une belle et délicate expression dans le texte grec. Le verbe diffère d’un synonyme qui implique toujours l’idée de coaction, de violence, qu’il s’agisse de choses ou de personnes (cf. 21, 11 ; Actes 8, 3 ; 14, 19 ; 17, 6), tandis que le nôtre ne la suppose pas d’ordinaire ; elle peut y être , mais pas nécessairement (cf. Actes 16, 19 ; 21, 30 ; Jacques 2, 6). Or, l’attraction mentionnée par Jésus consiste dans les douces sollicitations de la grâce, de laquelle la théologie enseigne : « La grâce de Dieu n’oblige pas » (comparez le mot de S. Bernard : « Personne n’est sauvé malgré lui », De la grâce et du libre arbitre, 11) ; de laquelle Dieu lui‑même a dit dans Jérémie, 31, 3 : « Je t’ai aimé d’un amour perpétuel, c’est pourquoi je t’ai attiré dans ma miséricorde ». Citons quelques lignes choisies parmi les plus charmantes du commentaire de S. Augustin sur ce passage : « Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi ; car l’amour entraîne les âmes. Nous n’avons nullement à craindre que l'on nous dise : Si je suis entraîné, comment pourrai‑je avoir une foi parfaitement libre ? Car je le dis : ce n’est pas assez d’être entraînés volontairement, nous le sommes encore avec plaisir. Qu’est‑ce, en effet, qu’être entraîné avec plaisir ? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton cœur ». Le cœur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir... Tu montres à une brebis une branche de feuillage, et tu l’attires ; offre des noix aux regards d’un enfant, et tu l’attireras : et il est attiré à l’endroit où il court, par l’affection, sans dommage pour son corps, sous l’empire des sentiments de son cœur. S’il est vrai qu’un homme se laisse entraîner vers un objet dont les attraits et les délices sollicitent son affection, suivant cet incontestable adage : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants » ; le Père, en faisant connaître le Christ, n’aurait aucun empire sur les cœurs ? Mais rien n’a plus de force que la vérité pour susciter dans une âme d’ardents désirs », Traité 26 sur S. Jean, 4. Et c’est de la même sorte que le Christ dira plus tard qu’à son tour il attirera tout à lui (12, 32). Notons encore que les mots ne l’attire sont l’équivalent de ce que le Père me donne au verset 37 ; avec cette différence, que là c’est le résultat final qui était marqué, au lieu que nous avons ici l’indication du moyen. - Et moi je le ressusciterai… Jésus répète sa solennelle et consolante promesse (verset 39) ; mais avec une légère modification dans l’arrangement de la phrase, de manière à fortifier la pensée. Le Père commence donc l’œuvre du salut en conduisant les hommes à son Fils, celui‑ci l’achèvera. Aller au Christ est une œuvre surnaturelle et au‑dessus des forces humaines, qui demande par conséquent un secours spécial d’en haut ; une glorieuse et éternelle récompense est néanmoins réservée à ceux qui se laissent attirer.




Jean 6.45 Il est écrit dans les Prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque a entendu le Père et a reçu son enseignement, vient à moi. - Jésus va expliquer de quelle manière on est conduit par son Père céleste : le Père attire en éclairant. « Remarquez bien la manière dont le Père nous attire : il nous instruit, et, par là, il nous délecte, mais il ne nous force pas », S. Augustin, Traité 26 sur S. Jean, 7. - Il est écrit dans les prophètes : c’est-à-dire, dans la partie de la Bible hébraïque qui portait chez les Juifs le nom de Nebiim ou Prophètes. Voyez la note sous Luc, 24, 44. “Le Sauveur rend un très grand honneur aux écrits de l’Ancien Testament toutes les fois qu’il y renvoie. Il indique ainsi la ressemblance de sa doctrine avec la foi de l’Ancien Testament », Lampe, h. l. - Ils seront tous… Le texte est emprunté à Isaïe, 54, 13, et cité assez librement. Les exégètes s’accordent à le regarder comme une prophétie qui annonce le Messie : il prédit pour les jours du Christ la plénitude des révélations divines, et l’admirable enthousiasme avec lequel celles‑ci seront accueillies. Il y a des passages semblables dans Jérémie, 31, 33-34, et dans Joël, 2, 28-29. - Enseignés par Dieu. D’après l’hébreu : « les élèves de Dieu » ; dans les Septante : « les instruits de Dieu ». C’est sur ces mots que porte l’idée principale et non sur « tous ». Recevant les leçons de Dieu lui‑même, les hommes seront évidemment « dociles » à l’égard d’un pareil maître ; et, par suite, comme va le dire la paraphrase suivante de Jésus, ils parviendront à croire en son Christ. - Quiconque a entendu.... C’est la première condition de la foi : il faut prêter l’oreille à la doctrine céleste. Mais cela seul ne suffirait pas : il faut en outre se laisser convaincre et persuader par les enseignements du Seigneur, y adhérer du fond de l’âme. Comme l’on voit bien, dans ces quelques lignes, les deux éléments nécessaires au salut. Il y a la grâce du ciel qui attire, il y a aussi une détermination libre et individuelle de l’homme pour profiter de la grâce. - Vient à moi. Les auditeurs pouvaient tirer cette conséquence, que, n’étant pas encore venus à Jésus, ils ne s’étaient pas montrés de dociles élèves envers Dieu.




Jean 6.46 Ce n'est pas que personne ait vu le Père, sinon celui qui est de Dieu, celui-là a vu le Père. - Ce n’est pas que personne. Tournure elliptique : Je ne veux pas dire que… Les Juifs auraient pu mal interpréter la pensée qui précède, et répondre, afin de s’excuser : Mais nous n’avons pas vu Dieu ; comment donc aurions‑nous été enseignés par lui ? C’est pourquoi Jésus en donne une courte explication. Non vous n’avez pas vu Dieu, et il ne s’agit pas de leçons émanées directement de sa bouche ; mais vous devriez vous laisser instruire par son Fils, qui l’a vu. - Personne ait vu le Père. Voyez, 1, 18, une phrase toute semblable, à part le Fils unique et bien aimé. - Celui qui est de Dieu : expression qui ne désigne pas une simple mission, mais une relation permanente, donc la préexistence éternelle et la divinité de Jésus- Christ. - Celui‑là a vu le Père : il l’a vu durant cette cohabitation sans fin. La conclusion est manifeste : Écoutez-le.


Jean 6.47 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle. - Après avoir ainsi démontré aux Juifs l’injustice et la folie de leurs murmures, le Sauveur reprend sa thèse du verset 40, pour la compléter. Les phrases seront pour la plupart courtes, sans liaison, solennelles comme des prophéties. La formule « en vérité, en vérité, je vous le dis » introduit ce passage si important, où nous allons entendre l’une des plus douces révélations de la loi nouvelle. - Celui qui croit en moi a la vie éternelle : il l’a déjà en sa possession d’une manière anticipée, cf. 3, 6 ; 5, 4. Promesse admirable.


Jean 6.48 Je suis le pain de vie. - Cf. les conférences magistrales du Card. Wiseman intitulées : La Transsubstantiation et la présence réelle du corps et du sang de N.-S. Jésus‑Christ dans la divine Eucharistie prouvée par l’Écriture (Migne, Démonstration évangélique, t. 15, col. 1073 et s.) ; les grands traités théologiques sur l’Eucharistie (Perrone, Rosset, etc.), et les commentaires de Tolet, Maldonat, Cornélius a Lapide. - Deux points appellent ici successivement notre attention : N°1 Est‑il vraiment question de l’Eucharistie dans le sixième chapitre de S. Jean ? N°2 A partir de quel endroit précis Jésus passe‑t‑il de la manducation par la foi à la communion proprement dite ?

N°1 ) L’interprétation commune. Sur le premier point, qui est le plus grave des deux, la tradition n’est pas absolument unanime ; c’est à peine néanmoins si l’on trouve quelques pères qui appliquent à la foi en Jésus le discours tout entier. Tels sont Origène (Homil. in Levitic. 7, §5 et ailleurs), Eusèbe (De theol. Eccl. 2, c. 12), S. Athanase (Ad Serap. 4, 19), S. Augustin (De doctr. Christ. 3, 16) ; et encore leurs textes sont‑ils plus ou moins obscurs, ou bien ils sont pris soin de se rétracter ailleurs, comme S. Augustin (Tract. In Jean 26, 15, et De civit. Dei, 20, 25). Les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles regardent à une immense majorité la dernière partie de ce discours comme une preuve manifeste de la présence réelle du corps et du sang de Jésus dans l’Eucharistie. Voyez, entre autres, S. Ignace martyr, Lettre aux Ephésiens c. 20), S. Irénée (Contre les Hérésies 4, 28, 5 ; 5, 2, 2), Tertullien (De Oratione, 6), S. Cyprien (De orat. Domin., 18), S. Hilaire (De Trinit. 8, 17), S. Cyrille de Jérusalem (Orat. Myst. 4, 3, 4), S. Basile (Moral. Reg. 21, 1), S. Jean Chrysostome (Homil. 46 et 47), S. Ambroise (De sacram. 6, 1), S. Jérôme (Ep. 120, ad. Hebid.), etc. Tous les exégètes du moyen-âge, à part Bérenger, ont suivi ce sentiment ; et la plupart des exégètes catholiques des temps modernes se sont naturellement ralliés à leur tour au « consensus moralement unanime des Pères » (Corlui), bien que le Concile de Trente (Session 21, cap. 1), à cause de la légère hésitation signalée plus haut, ne les y ait pas obligés d’une façon rigoureuse (« C’est ainsi qu’on le comprend d’après les interprétations diverses des saints Pères et des docteurs »). Et malgré l’opinion contraire des principaux fondateurs du protestantisme, Luther, Zwingle et Calvin, d’assez nombreux calvinistes (Oster, Kahnis, Olshausen, Stier, F. Delitzsch, Luthardt, Koestlin, Hengstenberg) ont eux‑mêmes admis l’interprétation catholique ; car, écrit l’un d’eux (Plummer, The Gospel according to St John, p. 146), « dans un cas de ce genre, qui requiert une pénétration spirituelle et la tradition apostolique.., l’autorité des Pères a un très grand poids ». Bien plus, Karl Hase, Strauss et d’autres rationalistes n’hésitent pas à admettre qu’au moins les versets 52 et suivants traitent de l’Eucharistie. Ils ajoutent aussitôt, il est vrai, que c’est l’auteur anonyme du quatrième évangile qui a introduit cette idée ; mais l’aveu a quand même son prix, puisqu’il prouve que tel est bien le sens manifeste du texte.

2°) Le texte considéré en lui‑même. Rien de plus clair en effet que l’application de ces paroles de Notre‑Seigneur à la transsubstantiation et à la présence réelle, d’après les lois habituelles du langage. Il n’est pas possible, malgré l’affirmation opposée de nos adversaires, d’en atteindre la signification directe, à plus forte raison d’en épuiser la portée, en les envisageant comme une simple continuation de l’idée qui précède ; elles sont trop explicites, trop fortes, pour ne convenir qu’à la foi. « On ne comprend pas bien, à ce point de vue (celui de la foi ), dans quel but Jésus donne à cette conception tout à fait spirituelle une expression de plus en plus paradoxale, matérielle, et par conséquent inintelligible pour ses interlocuteurs. Si c’est là tout ce qu’il veut dire, même dans les derniers mots d’entretien, ne semble‑t‑il pas jouer sur les termes et scandaliser inutilement les Juifs » ? Godet, h.l. Remarquons bien que nous avons, à partir d’ici, une phraséologie différente de celle qui a été employée précédemment, preuve que le sujet traité change aussi d’une manière totale (Wiseman, l.c., col. 1182 et ss.). Plus haut, versets 32 et ss., la nourriture mystique mentionnée par Jésus et à laquelle il s’identifiait était du pain, un pain donné dès ce temps‑là par son Père ; il s’agira bientôt (versets 53 et ss. ) de chair et de sang, de la chair et du sang du Fils de l’homme, qu’il distribuera lui‑même personnellement à ses disciples, quoique à une époque plus tardive ; et quiconque refusera de manger cette viande, de boire ce breuvage, n’aura pas part à son royaume, à sa vie. Évidemment, ces expressions nouvelles entraînent une modification dans la pensée ; elles ne sauraient désigner uniquement la foi, comme celles que nous venons d’étudier. Et qu’on ne vienne pas alléguer que le langage du Sauveur, qui a été symbolique et figuré jusqu’ici, est encore symbolique et figuré ; car il est des figures qui induiraient le public en erreur si elles n’étaient expliquées sur le champ, et telles sont celles qu’emploie ici Jésus sans aucune explication, lui qui a commenté longtemps le symbole du pain relatif à la foi. « Il est probable que dans aucune littérature, même dans celles de l’Orient où l’imagination est si luxuriante, on ne trouverait un autre exemple d’un docteur qui désigne la réception de son enseignement par une métaphore aussi étrange que celle de manger sa chair et de boire son sang. Il doit donc y avoir ici quelque chose de plus ». Plummer, l.c. Ailleurs, en effet, manger la chair de quelqu’un équivaut à lui faire du tort, le détruire (cf. Ps. 26, 2 ; Jacques 5, 3), significations qui ne sauraient convenir ici. En un mot, l’interprétation littérale, obvie, est celle que l’Église catholique a toujours attribuée à ce passage, et nous n’avons aucune raison suffisante de nous en écarter.

) Le contexte nous conduit à une conclusion identique. Les auditeurs prennent tout à la lettre (verset 53), et beaucoup d’entre eux, même dans les rangs des disciples (versets 61, 67), sont scandalisés, au point de se séparer de Jésus. Que fait le divin Maître ? Au lieu de faire cesser d’un mot leur erreur, si c’eût été une erreur, il réitère sa pensée à plusieurs reprises en employant les mêmes expressions qui les avaient tant choqués. C’est donc qu’il savaient bien compris, du moins pour le fond.

) Nous avons encore une excellente preuve dans la ressemblance qui existe entre les paroles de l’institution de l’Eucharistie, Matth. 26, 26-28 et parall., et celles de la promesse. Le détail suivant est surtout à noter. Luc, 22, 19 : « Puis, prenant du pain et rendant grâces, il le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi. » ; Jean 6, 52 : « Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde ». De part et d’autre, du pain transformé au corps sacré de Jésus, et donné pour le salut des hommes. C’est donc du même mystère que le Seigneur parlait dans les deux circonstances, avec la seule différence qu’il y a entre un projet d’avenir et sa réalisation.

5°) Terminons par une induction. N.-S. Jésus‑Christ avait prédit d’avance tous les grands événements de sa propre histoire ou de l’histoire de l’Église, afin d’y préparer ses disciples : sa passion et sa mort, Matth. 10, 38 ; 16, 24 ; Jean 3, 14, etc. ; sa résurrection et son ascension, Matth. 16, 21 ; Jean 6, 62 ; l’institution du baptême, Jean 3, 5 ; la primauté de S. Pierre, Jean 1, 42 ; 21, 15 ; Matth. 16, 17 et ss. Ne serait‑il pas bien surprenant qu’il fût demeuré muet jusqu’à la fin sur le sacrement de son amour ? Comment s’expliquer aussi le silence de S. Jean sur l’institution de la sainte Eucharistie ? Il la tait parce qu’elle avait été suffisamment racontée par les synoptiques, et parce qu’il avait longuement exposé lui‑même le discours de la divine promesse.

N°2 Il est donc parfaitement certain que Jésus a daigné promettre l’Eucharistie dans ce discours de Capharnaüm, et il y aurait une suprême témérité à le nier ; toutefois, il y a quelque difficulté à indiquer l’endroit précis où Notre‑Seigneur passe du pain qui représente la foi au pain qui doit être un jour transsubstantié en son corps et en son sang. D’après d’importants commentateurs (citons le P. Patrizi, le Dr Schanz), Jésus ne parlerait de l’Eucharistie qu’à partir des versets 51 ou 52, quand il mentionne sa chair pour la première fois. Nous préférons, à la suite du Card. Wiseman, placer dès le verset 48 le début de la promesse. Le discours en effet semble recommencer ici : prenant pour point de départ une assertion solennelle déjà présentée plus haut, verset 35, il s’élance rapidement vers un idéal supérieur. Ce n’est pas le seul endroit où Jésus, par mode de transition, répète identiquement les mêmes paroles. « En S. Jean , 10, 11, il dit : Je suis le bon berger, et il s’étend alors sur ce caractère par rapport à lui‑même, établissant un contraste entre le mercenaire et lui… Au verset 14, il répète encore une fois les paroles : Je suis le bon berger, et les explique par rapport à ses brebis, en disant qu’elles l’écoutent et lui obéissent… De même, en S. Jean, 15, 1, il commence son discours en disant : Je suis la véritable vigne, puis il applique la figure négativement au sort de ceux qui ne sont pas unis à lui ; ensuite, au verset 5, il répète les mêmes mots et les explique positivement des fruits produits par ceux qui demeurent en lui. Il en est de même exactement dans notre passage : Notre‑Seigneur, après avoir parlé de lui comme pain, Je suis le pain de vie, et s’être étendu sur cette pensée en tant qu’il est la nourriture spirituelle de l’âme par la foi, emploie la même forme de transition pour se comparer au pain dans un autre sens, en tant que sa chair est réellement notre nourriture ». Wiseman, l.c., col. 1179. L’éminent cardinal s’appuie encore, pour établir une coupure après le verset 47 et non après le 50e, sur le parallélisme poétique qui rend inséparables les versets 48-52. Rien de plus facile à constater que ce parallélisme, et que la cohésion intime des pensées reliées par lui.

v. 48-49 : Je suis le pain de vie.

v. 50 : Voici le pain

v. 51 : Je suis le pain vivant

v. 48-49 : Vos pères ont mangé la manne (le pain du ciel, versets 31 et 32) dans le désert ;

v. 50 :qui est descend du ciel

v. 51 : qui suis descendu du ciel.

v. 48-49 : et ils sont morts.

v. 50 : afin que si quelqu’un en mange il ne meure pas.

v. 51 : Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde.

Assurément, tout se tient ici et ne saurait être disjoint sans gâter l’admirable parallélisme et la délicate progression des pensées. - Je suis le pain de vie. C’est tout à fait la même parole qu’au verset 35 pour ce qui est de la forme extérieure ; mais le sens est bien différent, ainsi que Jésus va l’expliquer.


Jean 6.49 Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. - Vos pères… Voyez le verset 31 et l’explication. Les Juifs avaient opposé fièrement la manne du ciel au pain que Notre‑Seigneur leur avait fourni d’une façon miraculeuse ; à son tour il oppose la manne au pain eucharistique, plus merveilleux encore. - Et ils sont morts. La manne, en effet, n’avait pas été suffisante pour prolonger leur existence à tout jamais ; elle n’était pas un pain de vie dans le sens strict, c’est-à-dire un pain qui rend immortel.


Jean 6.50 Voici le pain descendu du ciel, afin qu'on en mange et qu'on ne meure pas. - Voici le pain… Ce pain est de telle nature, que si l’on en mange on ne peut mourir. - descendu du ciel : par contraste avec la manne, qui ne venait pas vraiment du ciel, cf. versets 32 et 33. - Afin qu’on en mange. L’idée est exprimée dans les termes les plus généraux ; l’offre aimable du Sauveur s’adresse sans exception à quiconque voudra l’agréer. - on ne meure pas. Ce pain devant conférer l’immortalité : autre frappant contraste avec la manne.






Jean 6.51 Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement et le pain que je donnerai, c'est ma chair, pour le salut du monde." - Je suis. C’est pour la troisième fois que Jésus réitère cette proposition dans un bien court intervalle, cf. versets 35 et 48. Il veut insister sur des vérités essentielles et de premier ordre. - Le pain vivant, qui possède en soi la plénitude de la vie ; plus haut, versets 35 et 48, le pain « de vie », qui communique la vie. Là on marquait le résultat produit, ici on indique la nature du pain. - Qui est descendu du ciel. Encore une nuance à signaler (et nous aimons à relever ces petits détails, qui sont tous significatifs sur les lèvres de Notre‑Seigneur, et sous la plume des écrivains sacrés qui racontent sa vie ) : au lieu du temps présent (verset 50, dans le grec), nous avons maintenant le passé. C’est qu’il est question dans notre verset du mystère de l’Incarnation, de la personne même du Verbe ; or le Fils de Dieu ne s’est incarné qu’une fois pour toutes, le fait est depuis longtemps accompli. La « descente du pain céleste », mentionnée au verset 50, est d’un autre genre et a lieu continuellement. - Si quelqu’un mange… La promesse qui naguère avait été faite en termes négatifs (verset 50) est actuellement renouvelée d’une manière positive, avec une grande vigueur. - Il vivra éternellement dit en effet beaucoup plus que « ne mourra pas ». - Mais quel est‑il donc au juste, ce pain qui crée des immortels ? Jésus va le définir avec une grande clarté. C’est un pain qu’il donnera lui‑même, c’est sa propre chair, ce sera le salut du monde. Chaque expression mérite un bref commentaire. - Et le pain que je... Je, le Fils de Dieu, et pas seulement Moïse. - Donnerai ; le futur, car Jésus formule une promesse qui ne sera tenue que plus tard. - C’est ma chair. Hier, j’apaisais votre faim avec un pain matériel, quoique miraculeux ; demain je vous nourrirai de ma propre chair. Expression humble pour désigner le Christ tout entier, l’Homme‑Dieu, cf. 1, 14. - Pour le salut du monde : fin si aimable pour laquelle N.-S. Jésus‑Christ donnera aux hommes sa chair en nourriture. La plupart des auteurs protestants appliquent tout ce passage à la Passion, durant laquelle Jésus donna sa chair, c’est-à-dire, prétendent‑ils, sa vie, pour notre salut. Mais ils sont réfutés par le langage même du Sauveur, qui ne fait ici aucune allusion à ses souffrances et à sa mort, mais qui se maintient strictement dans les notions de pain et de viande à manger, de breuvage.


Jean 6.52 Là-dessus, les Juifs disputaient entre eux, disant : "Comment cet homme peut-il donner sa chair à manger ?"- Les Juifs disputaient entre eux (en conséquence de cette révélation qui dépassait toutes les autres). C’est une vraie lutte, un débat tumultueux qui succède aux murmures du verset 41. Les auditeurs combattaient les uns contre les autres (entre eux), parce que les partis déjà formés dans leurs rangs pour ou contre Jésus (verset 43) étaient allés s’accentuant davantage au fur et à mesure qu’il parlait. Tous ces détails sont pittoresques et font revivre la scène, en même temps qu’ils dénotent le témoin oculaire, comme tant d’autres détails du quatrième évangile. - disant... C’était la faction hostile et incrédule qui tenait ce langage : Comment cet homme (avec dédain) peut‑il (ce qu’il affirme n’est‑il pas impossible, ou révoltant ?) nous donner sa chair à manger ? Ils avaient donc bien saisi la proposition de Jésus ; mais ils la prenaient tout à fait à la lettre, dans son acception la plus crue, comme s’il eût voulu faire couper sa chair en morceaux et la leur donner en nourriture.


Jean 6.53 Jésus leur dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'avez pas la vie en vous-mêmes. - Jésus leur dit… Notre‑Seigneur, sans s’expliquer davantage, non seulement renouvelle sa promesse sous le sceau de serment, pour ainsi dire (en vérité, en vérité, je vous le dis), mais il la transforme en un urgent précepte, affirmant de la façon la plus énergique la nécessité de la communion sacramentelle. A la mention de sa chair, il ajoute même celle de son sang ; mais il reste muet sur le mode de sa présence dans le divin sacrement, car ce devait être plus tard l’objet d’une révélation spéciale. - Si vous ne mangez … et si vous ne buvez... Ce tour négatif donné au commandement le rend plus expressif et plus universel. - La chair du Fils de l’homme … son sang. Ordre bien étrange de toutes manières, mais particulièrement lorsqu’il s’adressait à un peuple auquel le sang était interdit comme nourriture. - Vous n’avez pas la vie en vous. Le présent marque mieux la certitude). Comment pourraient‑ils vivre sans s’approcher de la source de la vie, sans consommer le pain de vie (versets 48-52) ?


Jean 6.54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et moi, je le ressusciterai au dernier jour. - Celui qui mange… Sans se lasser, Jésus continue de répondre au « comment » de ses interlocuteurs (verset 53), en renchérissant sur sa première affirmation. Il s’exprime maintenant sous une forme positive, et il revient à la promesse gracieuse après avoir lancé une terrible menace (verset 54). Le verbe grec correspondant à manger n’est pas ici le même qu’aux versets précédents (versets 49 à 53 du texte grec). On a fait justement observer que le temps présent est encore très significatif, car il indique qu’il ne suffirait pas de participer une fois pour toutes au corps et au sang du Christ ; il faut renouveler souvent ce festin sacré, cf. verset. 57. - A la vie éternelle, et je le ressusciterai… Mêmes heureux effets que pour la foi, verset 40, et « a fortiori », évidemment.




Jean 6.55 Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. - Car ma chair… Raison pour laquelle on trouve la vie et l’immortalité quand on vient s’asseoir à la table où Jésus s’immole et se donne. - Ma chair est vraiment une nourriture. Notez l’énergie et la clarté de plus en plus grandes du discours ; la métaphore disparaît, et il ne reste que la réalité : Ma chair est une nourriture parfaite, mon sang un breuvage parfait, qui produisent une vie parfaite en ceux qui les goûtent.


Jean 6.56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. - Autre face de la même démonstration. Par la sainte communion, le chrétien s’identifie à N.-S. Jésus‑Christ ; or, Jésus‑Christ est éternel. - Celui qui mange, comme au verset 55. - Demeure en moi. Remarquez de nouveau l’emploi du présent : il demeure et demeure encore. L’expression « demeurer en quelqu’un » est une de celles dont S. Jean se sert le plus volontiers pour marquer une union très étroite entre deux êtres, cf. 14, 10, 20 ; 15, 4, 5 ; 17, 21 ; 1 Jean 3, 24 ; 4, 15, 16, etc. - Et moi en lui. Réciprocité pleine de condescendance et de douceur.


Jean 6.57 Comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi par moi. - Les effets merveilleux qui viennent d’être décrits reposent sur l’intimité qui existe entre le Père et le Fils. Ce sont les mots « vivant » et « vis » qui établissent la transition. - Comme le Père qui est vivant m’a envoyé… D’une part, le Père est  « le vivant » par excellence, c’est-à-dire l’être qui possède essentiellement la vie, qui en est la source inépuisable, éternelle (cf. verset 26) ; d’un autre côté, Jésus vit « par le Père », c’est-à-dire parce qu’il est le Fils du Père et Dieu comme lui, ce qui fait qu’il possède également la vie absolue. La conclusion est claire : celui qui me mange (c’est la condition nécessaire) vivra aussi (avec emphase : lui aussi, comme moi) par moi. (parce qu’il se sera nourri de moi, source de vie). Il est à noter que le Sauveur mentionne ici sa propre personne (me mange) et pas seulement sa chair et son sang ; car c’est son être tout entier qu’il donne au communiant. Quelle force encore dans ces paroles célestes. Et comme on en dégrade le sens en les appliquant à la seule foi.


Jean 6.58 C'est là le pain qui est descendu du ciel : il n'en est pas comme de vos pères qui ont mangé la manne et qui sont morts, celui qui mange de ce pain vivra éternellement." - En terminant l’entretien, Jésus réunit dans trois propositions brèves et solennelles les pensées fondamentales qu’il avait développées. - C’est le pain. Voyez les versets 32-35, 48-52. «  », ce pain dont je viens de déterminer clairement la nature. - Celui qui mange de ce pain... (« Ce pain » qui est ma chair, qui est moi‑même)… Voyez les versets 50 et ss. Vivra éternellement. Sa puissance est de donner la vie éternelle. Il vivra non seulement dans le présent par la foi et la justice, mais éternellement : Quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour l’éternité (Jean 11, 26).


Jean 6.59 Jésus dit ces choses, enseignant dans la synagogue à Capharnaüm. - Note historique qui complète un détail antérieur, verset 25. - Jésus dit ces choses : le pronom ces retombe sur le discours entier (versets 25-29) ; car, nous l’avons vu, il n’est pas possible de le scinder. - Dans la synagogue : dans une des synagogues de Capharnaüm, car les villes importantes possédaient toujours plusieurs édifices de ce genre. On a retrouvé à Tell‑Houm, emplacement probable de Capharnaüm (Voyez la note sous Matthieu sur le même épisode), les ruines d’une belle synagogue qui pouvait contenir jusqu’à mille personnes (le mur du nord a 33 m. de long, celui de l’ouest 26 m. ) ; sur une des pierres qui jonchent le sol, on voit une urne à manne bien sculptée. - Enseignant. Expression importante, surtout à cause du lieu où le discours avait été prononcé : c’était un sermon solennel ; Jésus avait parlé comme docteur, d’une manière officielle.


Jean 6.60 Beaucoup de ses disciples, l'ayant entendu, dirent : "Cette parole est dure et qui peut l'écouter ?" - La scène qui suit se passa vraisemblablement en dehors de la synagogue. L’évangéliste ne dit plus rien au sujet de la foule des « Juifs », qui se dispersa sans doute peu à peu, en voyant ses espérances messianiques désappointées ; mais il expose en quelques lignes profondément senties la crise qui éclata alors parmi les disciples de Jésus. - Beaucoup de ses disciples l'ayant entendu. Par conséquent, la multitude est exclue ; mais les versets 68 et ss. démontrent qu’il s’agit des disciples dans le sens large, qui étaient alors fort nombreux en Galilée, comme nous l’ont appris les synoptiques. - Cette parole est dure. Les paroles de Jésus qu’ils se permettaient de caractériser d’une manière si irrespectueuse étaient celles de la fin, l’ordre de manger sa chair et de boire son sang (c’est à bon droit l’opinion commune des exégètes ). Ils osent leur appliquer l’épithète grec qui signifie proprement : sec, dur ; au figuré : désagréable, pénible à accepter, choquant, « intolérable », dit Tertullien (« obscur » ne serait pas une bonne traduction, car l’auditoire avait fort bien compris et n’avait demandé aucun commentaire à l’orateur), cf. Genèse 21, 11 dans les Septante ; 43, 7 ; Proverbes 15, 1 ; Matth. 25, 24 ; Juges Verset 15. - Et qui peut l’écouter ? Comment entendre un discours si révoltant sans en être scandalisé ? Qui est de force à l’écouter de sang‑froid ?





Jean 6.61 Jésus, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit : "Cela vous scandalise ? - Sachant en lui‑même : indépendamment des circonstances extérieures, par conséquent d’une science divine. Voyez, Matth. 12, 25 ; Marc 12, 15 ; Luc 6, 8 ; 11, 17 ; Jean 1, 42, 47 ; 4, 18 ; 5, 14, 42, etc ; d’autres cas analogues où Jésus avait lu surnaturellement les secrets des cœurs. - Leur dit. Comme l’écrit le P. Patrizi, c’était, pour N.-S. Jésus‑Christ, le moment de s’expliquer s’il avait employé plus haut un langage figuré ; « Il fait plutôt le contraire. Non seulement le Christ ne rejette pas le sens qu’ils avaient déduit de ses paroles, mais il confirme, en renchérissant, que c’est le sens propre de ses paroles. » Cela corrobore étonnamment l’interprétation traditionnelle. - Cela. Avec emphase, comme dans la phrase précédente. Ce que je vous ai dit au sujet de ma chair et de mon sang donnés en nourriture. - Vous scandalise. L’enseignement du Sauveur s’était ainsi transformé pour ces âmes incrédules en une pierre d’achoppement ; mais Jésus vient aimablement au secours de leur foi chancelante.


Jean 6.62 Et quand vous verrez le Fils de l'Homme monter où il était auparavant ? - Et quand vous verrez. Remarquons que ce verbe ne désigne pas nécessairement une vision extérieure et matérielle, mais qu’on l’emploie aussi dans le sens de « savoir », pour marquer une perception interne. Hébreux 4, 19 ; cf. 7, 4, etc. - Monter, d’après l’interprétation commune et la seule naturelle, ne peut s’appliquer qu’au mystère de l’Ascension du Christ. Quelques exégètes, il est vrai, ont essayé de démontrer que le mot grec représenterait ici d’une manière figurée la passion de Jésus, laquelle, disent‑ils, devait plus que l’Eucharistie scandaliser les disciples ; mais leur opinion est complètement en désaccord avec l’usage biblique de cette expression (cf. 20, 17), et réfutée dans notre verset même par les mots qui suivent : où il était auparavant. Ces mots, en effet, sont évidemment synonymes de « ciel », quoique de façon à exprimer en même temps la préexistence de Jésus (cf. 1, 52), et à prouver la divinité de celui qui daigne, dans une aussi glorieuse prophétie, s’appeler humblement le Fils de l’homme. La phrase n’est pas achevée et le langage est elliptique, tel que le produit l’émotion. De là une grande divergence de vues parmi les commentateurs. Les uns suppléent à la fin du verset (S. Cyrille, Nonnus, Euthymius, Tolet, Jansénius, Godet, etc) : Que ne direz-vous pas alors ? Les autres (S. Augustin, Rupert de Deutz, etc. ) : Alors vous comprendrez, vous cesserez d’être scandalisés. Dans la premier cas, Jésus grandirait encore la difficulté, et rendrait la mystère plus obscur ; car comment communier à sa chair et à son sang après qu’il sera remonté au ciel ? Dans le second cas, il la diminuerait au contraire, en manifestant d’avance sa puissance divine et en précisant le mode de la présence réelle et de la sainte communion ; comme s’il disait : Quand vous aurez été témoins de mon ascension, vous verrez que rien ne dépasse mes pouvoirs, et, d’un autre côté, que mon corps ne sera plus soumis aux lois ordinaires de la nature ; vos préjugés disparaîtront alors. « Ils s’étaient imaginés qu’il leur distribuerait son corps, et il disait, lui, qu’il monterait au ciel dans tout son entier : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Oui, vous verrez, même alors, qu’il ne distribue pas son corps de la manière que vous vous imaginez : oui, vous comprendrez, même alors, que l’on ne broie pas sa grâce sous les dents », S. Augustin, Traité 27 sur S. Jean, 3. Cette seconde interprétation nous paraît de beaucoup préférable. La seule objection sérieuse qu’on puisse lui opposer est tirée de « si vous voyez », car les apôtres seuls paraissent avoir été témoins oculaires de l’Ascension (cf. Marc. 16, 19 ; Luc. 24, 51 ; Actes 1, 9) ; mais déjà nous l’avons prévenue. On peut ajouter que l’idée principale ne porte pas sur ce verbe, mais sur « monter », et que Jésus fait une simple hypothèse : S’il vous était donné de voir… ? D’ailleurs les apôtres faisaient alors partie de l’auditoire qui entendait la parole du Maître (versets 68 et ss.), et eux, du moins, ils contemplèrent son triomphe, ce qui suffit pour la réalisation de la parole « Et si vous voyez ».


Jean 6.63 C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. - Verset plus difficile encore, dont on a pu dire : « De combien d’interprétations ce texte n’a‑t‑il pas donné lieu, il est difficile de l’imaginer » (Théodore de Bèze). Les protestants en ont en effet mille fois abusé, pour ramener la promesse de l’Eucharistie à une simple métaphore. Il se compose de deux parties : une locution proverbiale, l’application de ce proverbe au discours de Jésus. Déjà (verset 63) Notre‑Seigneur a notablement amoindri, en faisant appel à un glorieux événement de la vie future, la difficulté qui menaçait d’ébranler la foi des disciples ; il va la diminuer de plus en plus par une explication empruntée au domaine du présent. - L’esprit, la chair sont ici les mots importants, qu’il faut tout d’abord définir. Il a toujours existé à leur sujet, parmi les commentateurs catholiques, une double interprétation. 1° D’après S. Cyrille et d’autres à sa suite, l’esprit c’est l’âme de Jésus unie à la divinité ; la chair « ne sert de rien, mais dans le sens que les Juifs y attachaient ; car, dans leur idée, il s’agissait, non d’une chair animée, vivante, mais d’une chair morte, comme celle d’un cadavre, que l’on partage par morceaux, ou que l’on vend sur le marché », S. Augustin, Traité 27 sur S. Jean, 5. Le Sauveur aurait affirmé, d’après cela, que sa chair seule, sans l’union hypostatique, est incapable de donner la vie ; tandis que son esprit, uni à la divinité et communiqué aux fidèles par l’intermédiaire de son corps et de son sang, vivifie merveilleusement (tournure énergique en grec). 2° Jésus s’exprimant en termes généraux et ne disant pas « mon esprit, ma chair », S. Jean Chrysostome, S. Thomas, Jansénius, Calmet, etc., ont pensé qu’il valait mieux écarter complètement de ce verset l’idée de manducation, d’après l’analogie du passage célèbre : « la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie », 2 Corinthiens 3, 6. L’esprit représenterait donc l’explication spirituelle (non pas figurée toutefois ) des promesses du Sauveur, la chair leur signification charnelle et matérielle. Or ceux‑là donnaient un sens charnel aux paroles de Notre‑Seigneur, qui les entendaient de la façon grossière indiquée plus haut, et qui partaient de là pour se scandaliser ; au contraire, par l’interprétation spirituelle, on prenait ces mêmes paroles dans le sens relevé que Jésus lui‑même avait en vue, tout en laissant à ce bon Maître le soin de le fixer plus nettement un jour par les faits. « Ce que le Christ leur reproche donc, ce n’est pas qu’ils appréhendaient la manducation réelle de sa chair, mais c’est qu’ils concevaient sa manducation future d’une façon charnelle, comme les autres viandes, chacune selon son espèce. Il leur reproche donc de la manger sans l’esprit, ou sans la vie. Car la façon de manger la chair du Christ (toute réelle qu’elle soit) sera spirituelle et cachée, c’est-à-dire, sous l’espèce du sacrement, lequel, il faudra le croire, contient réellement le corps du Christ », Salmanticensis. De Euchar. Disput. 1, cap. 1, §1, n° 2. - Les paroles que je vous ai dites. Allusion nouvelle à la seconde partie du discours, versets 48 et ss. Jésus, comme tant d’autres fois dans le cours même de l’entretien, insiste sur sa divine autorité. Moi, par opposition aux docteurs terrestres. Voyez les versets 35, 40, 41, 44, 48, 51, 54. Le discours était achevé complet ; l’emploi du temps présent serait donc moins justifiable. - Jésus applique à ses paroles le principe qu’il vient de citer : sont esprit et vie, peut‑il dire à leur sujet en toute vérité. « Esprit » dans le sens que nous avons adopté plus haut ; « vie » puisqu’elles produisent la vie en ceux qui les croient. Que les disciples vacillants cessent donc d’être choqués, scandalisés, comme si on prétendait les nourrir d’un corps humain coupé en morceaux sanglants. Le Christ leur donnera sa chair en aliment d’une manière toute autre, quoique réelle. Quant à conclure de ce verset avec Calvin, que Notre‑Seigneur lui‑même y proteste contre la doctrine catholique relative à l’Eucharistie, Bossuet dit fort bien qu’il ne voit pas cela dans « l’évangile » ; car Jésus « ne rabat rien du littéral, mais y ajoute le spirituel et le divin ».

Jean 6.64 Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient pas." Car Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le trahirait. - Malheureusement ils devaient s’endurcir dans leur incrédulité. Quelques‑uns est d’une grande délicatesse ; il adoucit la tristesse de la situation. - Qui ne croient pas. Jésus dévoile la vraie cause de ce schisme imminent : c’est le manque de foi, beaucoup plus que la difficulté de comprendre, qui allait éloigner de lui un certain nombre de ses disciples. S’ils avaient consenti à croire, tout fût devenu facile. - Car Jésus savait…Observation d’une grande profondeur psychologique, qui rappelle 2, 24 et 25. L’évangéliste se propose de montrer que Notre‑Seigneur n’avait pas été trompé par les disciples indignes qu’il s’était associés. « Savait » désigne comme au verset 62 une science divine. - Dès le commencement ne signifie pas ici « de toute éternité », depuis l’origine des temps, ni « dès l’exorde de son discours », mais « depuis le commencement de sa vie publique », dès l’instant où il était entré en relations avec ses disciples. - Ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le trahirait. Le traître est là sous les yeux de Jésus, mais son acte inique ne s’accomplira que plus tard : de là ce mélange intéressant du présent et du futur). Nous avons en cet endroit la première allusion au crime de Judas ; bientôt S. Jean ajoutera de nouveaux détails sur cette prescience de Jésus relativement au traître, cf. versets 70 et 71. Même en ce temps de ses plus beaux succès, le Sauveur avait fréquemment devant les yeux son ignominieuse passion, avec toutes les péripéties de ce drame sanglant.


Jean 6.65 Et il ajouta : "C'est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a été donné par mon Père."- Et il ajouta. S. Jean, après cette courte interruption, reprend la suite des paroles adressées par Jésus à ses disciples incrédules. - C’est pourquoi (parce que je savais qu’il y en a parmi vous qui ont une foi faible) je vous ai dit que… Non seulement le Sauveur n’est pas surpris de la crise actuelle, mais il a averti d’avance les siens. - Nul ne peut venir à moi si cela ne lui a été donné par mon Père. C’est la pensée des versets 37 et 44, avec une légère modification. Elle forme ici comme un douloureux adieu de Notre‑Seigneur à ses amis ingrats et infidèles.


Jean 6.66 Dès ce moment, beaucoup de ses disciples se retirèrent et ils n'allaient plus avec lui. - Conclusion tragique. Dès ce moment, locution propre à S. Jean (ici et 19, 12), indique plus probablement la durée et non la cause. « A partir de cet instant même », beaucoup… se retirèrent. Jésus avait pallié délicatement la triste réalité en parlant de « quelques » incrédules (verset 61) ; l’historien n’avait pas le même motif de faire cette réduction ; il dit « beaucoup » comme plus haut (verset 61). Hélas ! les derniers avertissements du bon Maître n’avaient pas opéré de conversions. - Se retirèrent, expression très significative et très pittoresque tout ensemble. Ces malheureux reviennent à leur état antérieur, après avoir abusé des plus grandes grâces. - Ils n’allaient plus : imparfait de la durée, rendu plus saillant encore par le prétérit qui le précède immédiatement. Ces apostats, une fois éloignés, ne revinrent plus ; la séparation fut définitive, et Jésus les abandonna à leur malheureux sort. Le verbe « aller » exprime fort bien aussi la vie errante du Sauveur, qui allait sans cesse d’un lieu à l’autre, suivi de ses disciples et évangélisait tout le pays, cf. 7, 1 ; 11, 54 ; Luc 8, 1 ; 9, 58, etc.


Jean 6.67 Jésus donc dit aux Douze : "Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ?" Ce « donc » est très expressif. Jésus voit les Douze rangés autour de lui, après ce schisme désolant pour tous. Il connaît leurs sentiments intimes ; mais il veut leur fournir l’occasion de les affirmer publiquement. D’ailleurs, parmi eux aussi, comme parmi les autres disciples, il tient à provoquer la crise ; car si elle sépare les indignes, elle affermit les bons et les rend stables à tout jamais. Judas sera séparé à son tour, quoique d’une manière latente. - Aux Douze. Fait étrange, que les rationalistes ne peuvent expliquer, mais qui est en harmonie parfaite avec ce que la tradition nous enseigne touchant la composition et l’authenticité du quatrième évangile (voyez les paragraphes 2 et 3 de la Préface) : S. Jean n’a pas encore parlé des Douze en tant qu’ils formaient le groupe des douze apôtres, et il nous les présente brusquement ici comme des personnages familiers au lecteur ; preuve qu’il les suppose connus, grâce aux récits antérieurs et à la catéchèse. Il fera de même pour Pilate, pour Malchus, etc. - Et vous, ne voulez-vous pas aussi... Jésus a confiance dans leur fidélité, mais il leur rappelle leur volonté libre. « Comme s’il eût dit : Je n’ai rien à augmenter ni à diminuer à mon discours ; je n’y veux rien ajouter, ni je n’en puis rien rabattre : prenez maintenant votre parti ; je ne veux pas de disciple qui n’aille jusque là et je mets leur foi à ce prix », Bossuet, Médit. sur l’Evang., La Cène, 40è jour. - En effet, que cette conduite de Jésus confirme admirablement tout ce qu’il a dit, s’il s’agit de la sainte Eucharistie dans son discours. Et comme elle est incompréhensible s’il a tenu en langage figuré. Aurait‑il perdu tant de disciples à propos d’une métaphore mal comprise ?


Jean 6.68 Simon-Pierre lui répondit : "Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. - Il y a longtemps qu’on l’a fait observer, S. Pierre est bien le même dans le quatrième évangile que dans les trois premiers : le même au point de vue du rôle prépondérant, qui deviendra plus tard la primauté d’honneur et de juridiction ; le même sous le rapport du caractère ardent, prompt, résolu, et de l’âme tendrement attachée à son Maître, cf. 13, 6 et s., 24-36 ; 18, 10 ; 20, 2 ; 21, 3, etc. Ici comme en tant d’autres occasions il prend la parole au nom de tous. Les quelques mots qu’ils prononce renferment trois puissants motifs d’adhérer étroitement à Jésus. - 1° Seigneur, il n’y a que vous au monde à qui nous puissions nous attacher : à qui irions‑nous ? Jean‑Baptiste, l’ancien maître de S. Pierre et de plusieurs des Douze, était mort à cette époque ; où aller si l’on abandonnait Jésus ? - 2° Les apôtres trouvaient auprès de Notre‑Seigneur la satisfaction de tous leurs besoins intellectuels et moraux : vous avez (vous les possédez en propre et abondamment, de manière à les distribuer toujours et toujours) les paroles (sans article, des paroles) de la vie éternelle (qui procureront la vie éternelle). On croirait entendre un écho du verset 64. S. Pierre avait compris et goûté la richesse des enseignements de son second Maître. - 3° Jésus était à leurs yeux le Messie, le Fils de Dieu. Le langage de S. Pierre a ici une emphase et une solennité particulières, ainsi qu’il convient à une énergique profession de foi. C’est la première de ses confessions glorieuses ; on trouvera la seconde dans S.  Matthieu, 16, 16 : elles sont tout à fait explicites l’une et l’autre. - Et nous pour répondre à la question de Jésus (verset 68) Est‑ce que vous voulez aussi vous en aller ? - Nous avons cru : le parfait exprime « des faits acquis, sur lesquels il n’y a plus à revenir ».

Jean 6.69 Et nous, nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Saint de Dieu." - Et nous avons cru. La connaissance n’est mentionnée qu’après la foi. Les apôtres avaient commencé par croire en Jésus ; unis à lui par une foi docile, ils avaient vu ensuite leurs connaissances grandir de plus en plus à son sujet. « Nous avons cru, afin de connaître ; car si nous voulions connaître d’abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu’avons‑nous cru, et qu’avons‑nous connu? « Que vous êtes le Saint de Dieu », c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que vous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes », S. Augustin, Traité 27 sur S. Jean, 9. - Le Saint de Dieu, équivaut à Messie.


Jean 6.70 Jésus leur répondit : "N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et l'un de vous est un démon."  Le pronom est naturellement au pluriel, puisque S. Pierre avait parlé au nom de tous. La foi des Douze était admirable ; néanmoins Jésus va leur dire qu’ils ne doivent pas s’en attribuer personnellement le mérite, car n’est‑ce pas lui‑même qui leur a fait la grâce de les choisir ? Et d’ailleurs, quoiqu’ils soient si peu nombreux, n’y a‑t‑il pas un traître parmi eux ? - N'est-ce pas moi qui vous ai choisis…? « Moi » et « vous » sont mis en opposition, et placés en avant par emphase. Le verbe composé exprime un triage soigneux, un choix délibéré. Cf Luc. 6, 13. - Douze ; douze seulement, et (« et pourtant », le ton tragique) l’un de vous (encore l’emphase) est un démon. (δίαϐολός sans article ; un démon). Quel nom pour un apôtre directement choisi par Jésus. Mais, en réalité, il fallait être de nature diabolique pour commettre le crime de Judas. Comparez les passages non moins expressifs 13, 2, 27 et Luc 22, 3.




Jean 6.71 Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote, car c'était lui qui devait le trahir, lui, l'un des Douze. - Il parlait (en grec, avoir quelqu’un en vue, le désigner intérieurement, cf. 8, 54 ; 9, 19, etc.). Notre‑Seigneur ne cita pas le nom du traître, car il aurait dû alors l’expulser immédiatement, ce qui n’entrait pas dans les plans providentiels. Mais aucune réserve de ce genre n’était imposée au narrateur, et S. Jean se hâte de dénoncer Judas, comme s'il eût craint que le soupçon d'un crime si abominable atteignît pour un instant un autre apôtre. - Judas, fils de Simon Iscariote. Sur ce surnom, Voyez la note sous Matth. 10, 4. S. Jean aurait pu s'arrêter après la proposition qui précède ; mais il veut stigmatiser encore l'infâme action de Judas. « Il devait trahir », marque une prévision certaine et infaillible ; au v. 65, nous lisions avec une nuance « celui qui le trahirait », cf. 12, 4 ; Matth. 11, 14 ; Luc 24, 21. Voyez cette formule infamante pareillement ajoutée au nom du traître dans Matth. 26, 14, 47 ; Marc 14, 10, 43 ; Luc 22, 3, 47. Dès cet instant, sans doute, Judas se sépara intérieurement de Jésus (v. 71, est un démon) ; mais il sut si bien cacher son jeu que les autres apôtres le regardèrent comme un ami jusqu'à ce qu'il consommât son crime, cf. 13, 21-28.



CHAPITRE 7


Jean 7.1 Après cela, Jésus parcourut la Galilée, ne voulant pas aller en Judée parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. - A la suite de la double crise que nous venons d'étudier (chap. 5 et 6), nous allons voir le conflit s'accentuer de plus en plus entre N.-S. Jésus‑Christ et ceux qui lui ont juré une haine à mort. Jésus continue son œuvre et achève ses révélations divines, attirant ainsi les âmes bien disposées, mais suscitant par là même l'hostilité des "Juifs", qui, déjà, prennent des mesures actives pour se défaire de lui. L'ombre de la croix se projette très visiblement. Les luttes ont lieux à Jérusalem, S. Jean les rattache à deux séjours de Notre‑Seigneur dans la capitale juive, à l'occasion de deux fêtes successives, la solennité des Tabernacles et celle de la Dédicace. Tous ces détails sont propres au quatrième évangile. Lors de la fête des Tabernacles (7, 1-10, 21), nous voyons la masse du peuple, spécialement les pèlerins venus de Galilée, penchant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, sachant à peine quel parti prendre, au fond portés à croire, mais retenus par l'exemple des habitants de la métropole. Ceux‑ci font usage des fragments de leur science rabbinique pour mettre à l'épreuve les actions du nouveau prophète. A l'arrière‑plan l'on entrevoit les hiérarques eux‑mêmes qui épient, retranchés derrière leurs préjugés et qui se disposent à une action décisive contre Jésus. Notons en particulier, dans la foule, les alternatives rapides des sentiments les plus multiples à l'égard de Jésus : curiosité (7, 11), crainte (7, 13, 30, 44), étonnement (7, 15, 46), embarras (7, 25 et ss.), foi vive (7, 31 ; 8, 30), hostilité ouverte (7, 32), etc. Les caractères individuels sont aussi retracés à merveille : les frères de Jésus (7, 3 et ss.), la multitude (7, 12, 20, 31, 40, 43, 49), les habitants de Jérusalem (7, 25), les "Juifs" (7, 1, 11, 13, 15, 35 ; 8, 22, 48, 52, 57), les Pharisiens (7, 32, 47 ; 8, 3, 13), les membres du Sanhédrin (7, 32, 45), Nicodème (7, 50), et surtout N.-S. Jésus‑Christ. Le divin Maître sera presque constamment interrompu quand il prendra la parole : on ne l'écoute plus avec la patience et l'attention qui caractérisaient son auditoire au chap. 5 et même au chap. 6. - Ce verset et le suivant nous apprennent l'occasion de la controverse ; nous trouverons ensuite la discussion même (v. 3-8) et son résultat final (v. 9). - Après cela, c'est-à-dire, après les graves incidents du chapitre 6. Cette vague formule embrasse tout le temps écoulé entre la Pâque, 6, 4, et la Fête des Tabernacles, 7, 2, par conséquent environ six mois (du milieu de Nisan, ou premier mois, au milieu de Tischri, ou septième mois de l'année ecclésiastique des Juifs). - Jésus parcourut (cf. 6, 67). Imparfait de la continuité, de la durée, qui résume la vie de Jésus durant les six mois dont S. Jean ne raconte pas l'histoire : ce fut une vie de courses à travers la Galilée, en vue de continuer la prédication évangélique et la formation des Douze, cf. Matth. 15-18 et parall. - La Galilée. C'est pour la dernière fois que S. Jean mentionne ici la Galilée, dont il parle d'ailleurs si rarement. - Ne voulant pas… Le narrateur explique pourquoi le Sauveur fit un aussi long séjour loin du centre de la théocratie. Si Jésus avait voulu habiter en Judée, rien ne l'en aurait empêché, car il était plus puissant que tous ses ennemis ; mais précisément il ne le voulait pas : son heure n'étant pas encore venue, pourquoi s'exposer au danger d'une manière stérile? Rien, en lui, de cet enthousiasme humain que lui prêtent les commentateurs rationalistes. Il est vrai que d'autres écrivains de la même école se scandalisent de voir en Notre‑Seigneur un "manque de courage". La suite du récit les réfutera. Signalons une étrange variante adoptée par S. Jean Chrysostome et par quelques manuscrits de l'Itala. Comme si l'Esprit‑Saint lui‑même eût fermé à Jésus‑Christ la route de la Judée. Mais cette leçon ne mérite aucune créance. - Aller en Judée. D'où il suit que vraisemblablement Jésus n'avait pas assisté à la dernière Pâque, cf. la note de 6, 4. - Parce que les Juifs… Motif de cet éloignement volontaire et extraordinaire, cf. 5, 18. Les "Juifs" s'étaient donc affermis de plus en plus dans leur projet homicide. Du reste, ils ne perdaient pas de vue leur ennemi, car ils avaient des émissaires pour épier ses démarches même en Galilée, cf. Matth. 15, 1 et ss. ; 16, 1 et ss. Il ne s’agit pas de tous les juifs mais de la très grande majorité des élites, notamment des membres de Sanhédrin.



Jean 7.2 Or, la fête des Juifs, celle des Tabernacles, était proche. - La solennité avec toute son octave, et pas simplement un jour isolé. [Octave : période de huit jours complets, faisant suite à chacune des grandes fêtes liturgiques chrétiennes, et durant laquelle on continue de solenniser cette fête] - La fête des Tabernacles ou des Tentes, cf. Lévitique 23, 33-36 ; Deutéronome 16, 13-15 ; Néhémie 8, 15 ; 2 Maccabées 10, 6-7. C'était, avec la Pâque et la Pentecôte, une des grandes solennités religieuses des Juifs. On la célébrait au septième mois, nommé Tischri, pendant huit jours complets (du 15 au 22, vers le commencement d'octobre) ; car à l'octave ordinaire on avait ajouté un huitième jour, qui était rigoureusement chômé comme le premier, tandis que les autres étaient simplement traités à la façon d'une "demi‑fête". Le premier but de son institution avait été de conserver le souvenir des longues pérégrinations des Israélites à travers le désert avant leur installation dans la Terre promise : c'est pour cela qu'on la passait tout entière sous des cabanes de feuillage, dressées dans les rues, sur les places publiques, dans les cours ou sur les toits plats des maisons, afin d'imiter ainsi les ancêtres qui avaient vécu près de trente‑neuf ans sous la tente. De là son nom principal. C'était aussi la fête des récoltes, qui alors étaient totalement rentrées dans la cave ou au grenier. De là son caractère extrêmement joyeux, vanté par l'historien Josèphe et par les Talmudistes. Ces derniers la mentionnent fièrement comme "la fête" par antonomase, ajoutant que "quiconque n'y a pas assisté ne sait pas ce que c'est qu'une fête". Ceux qui y prenaient part se livraient à de telles manifestations d'allégresse, agitant leur loulab (bouquet composé d'une palme, de branches de myrte, etc.), chantant bruyamment, etc., que Plutarque, Sympos. 4, 6, 2, témoin de ces cérémonies, crut qu'elles avaient pour fin le culte de Bacchus. Aujourd'hui encore, la fête des Tabernacles est chère à ceux les Juifs qui ont gardé la plupart de leurs anciens rites.



Jean 7.3 Ses frères lui dirent donc : "Partez d'ici et allez en Judée, afin que vos disciples aussi voient les œuvres que vous faites, - Ses frères lui dirent... A cause de la proximité de la fête des Tabernacles, qu'on devait, à moins de raison sérieuse, aller célébrer à Jérusalem aussi bien que la Pâque et la Pentecôte. Sur les "frères" de Jésus, voyez 2, 12, et Matth. 13, 55, avec les commentaires. En leur qualité de proches parents, ils croient pouvoir adresser au divin Maître un avertissement sévère et critiquer rudement sa conduite. - Partez d’ici. Déjà cet impératif est "bien hardi", d'après la juste observation de Stier. Ces hommes désirent un théâtre plus glorieux que la Galilée pour le ministère de leur frère. - Allez en Judée. Dans la province la plus centrale et la plus importante du judaïsme. Au conseil, ou plutôt à l'ordre, ils joignent un motif pour le légitimer : afin que vos disciples... Ils veulent évidemment parler des disciples que N.-S. Jésus‑Christ avait autrefois conquis à Jérusalem et en Judée (cf. 2, 13, etc.) ; il faut, d'après leur pensée, que ceux‑ci également aient l'occasion de contempler des miracles semblables à ceux que Jésus avait multipliés sous ses pas en Galilée. En effet, l'expression œuvres, accentuée dans le grec par l'article, par le pronom, et davantage encore par les mots que vous faites, ne désigne pas autre chose que les éclatants miracles du Sauveur, accomplis surtout jusque là dans la Palestine septentrionale. L'emploi du temps présent les actualise d'une manière pittoresque, cf. 6, 40 et la note. - Voici que ces proches, ignorants et vaniteux, pensent mieux connaître que Jésus la voie qu'il doit suivre pour remplir sa mission divine.



Jean 7.4 Car personne ne fait une chose en secret, lorsqu'il désire qu'elle paraisse. Si vous faites ces choses, montrez-vous au monde" - Ils motivent maintenant leur si pressante requête. Qui veut la fin veut les moyens, disent‑ils à Jésus, en lui appliquant un principe général de conduite, très vrai en lui‑même, mais dont ils font une si mauvaise application. - En secret doit se prendre d'une manière relative. D'après le contexte (voyez la note des v. 1 et 3), agir en secret c'était demeurer en Galilée et ne pas aller se manifester à Jérusalem. Au reste, à cette époque de sa vie, le Sauveur fuyait habituellement les foules et demeurait plus volontiers dans l'intimité de ses apôtres. - Lorsqu’il désire.... Il est très accentué : c'est-à-dire celui qui opère ses œuvres secrètement et mystérieusement. La personne est ainsi mise en contraste avec les œuvres. Quelle inconséquence de rechercher une éclatante notoriété, de vouloir faire du bruit autour de son nom, et d'accomplir dans le secret, comme si on avait peur de se montrer, les actions d'éclat par lesquelles on désire se rendre célèbre. « Il n’y a personne qui agisse en secret parmi ceux qui veulent être connus », Lücke. Mais les frères de Jésus étaient dans la plus grossière erreur quand ils lui attribuaient une intention humaine de cette sorte. - lorsqu'il désire qu'elle paraisse. Ouvertement, hardiment, cf. 16, 29. - Si vous faites ces choses. "Si" ne suppose pas le moindre doute relativement aux miracles de Jésus ; il équivaut à "puisque". Dès lors que tu accomplis de pareilles œuvres pour accréditer ta mission, fais‑les, non dans un coin obscur, mais à la face du pays tout entier. - Manifeste‑toi. Telle est leur conclusion : que Jésus sorte enfin de la situation équivoque dans laquelle il s'est mis, du moins d'après leur jugement ; qu'il se présente enfin comme le Messie. Ils voudraient une manifestation prompte et décisive, dont le résultat, croient‑ils, ne serait pas douteux. - Monde désigne ici le monde juif, qui avait Jérusalem pour centre. C'est donc dans la capitale théocratique que le Sauveur devait se manifester, afin d'y faire confirmer officiellement par la hiérarchie son rôle et sa mission. La suite des événements prouvera qu'à leur point de vue étroit les frères de Jésus n'avaient pas tort. Notre‑Seigneur n'avait qu'à le permettre, et dès lors on l'eût acclamé Roi‑Messie à Jérusalem, comme on le fera dans quelques mois, 12, 12-18, cf. 6, 15.



Jean 7.5 car ses frères mêmes ne croyaient pas en lui. Entre cette étrange demande et la réponse du divin Maître, S. Jean intercale une courte, mais significative réflexion, qui cadre si bien avec son plan : Ses frères mêmes ne croyaient pas. Pas même eux, quoique ils eussent dû se trouver au premier rang parmi les croyants. Douloureuse et tragique allusion à l'incrédulité de tant d'autres Juifs. L'imparfait dénote encore la coutume, la durée. Cependant, ce serait exagérer que de prendre ces mots dans le sens d'un manque absolu de foi ; les versets 3 et 4 ont réfuté d'avance une telle opinion. Aussi est‑il difficile de comprendre comment S. Jean Chrysostome, S. Augustin, Théophylacte, Euthymius et d'autres en sont venus à penser que la démarche des "frères" était un piège pour attirer Jésus à Jérusalem et l'y faire tomber entre les mains de ses ennemis. Leur foi existe, mais vacillante et très imparfaite ; frappés des miracles de Notre‑Seigneur, ils soupçonnent en lui le Messie : toutefois ils partagent les préjugés de leurs contemporains, et ils rêvent à un Christ humainement glorieux, qu'ils voudraient voir au plus tôt à la tête de la nation. C'est pour cela qu'ils le pressent d'aller se faire introniser dans la capitale. Nous retrouverons plus tard les frères du Christ parmi les vrais croyants, Actes 1, 14 ; 1 Corinthiens 9, 5 ; Galates 1, 19. Leur foi s'était purifiée après la résurrection.



Jean 7.6 Jésus leur dit : "Mon temps n'est pas encore venu, mais votre temps à vous est toujours prêt. - Réponse pleine d'énergie, mais aussi de douceur et de bonté, comment l'ont remarqué à l'envi les anciens exégètes. - Mon temps. Non pas le temps de la Passion, comme le voudrait S. Jean Chrysostome ; mais, d'une manière générale, le temps d'aller se manifester à Jérusalem. Indépendamment du contexte, qui demande cette interprétation, on peut ajouter que notre évangéliste emploie de préférence le mot heure pour désigner la passion du Christ. - N’est pas encore venu. Littéralement, « n'est pas encore présent ». Pour eux, ils peuvent aller à Jérusalem quand bon leur semble, et sans le moindre inconvénient.



Jean 7.7 Le monde ne saurait vous haïr, moi, il me hait, parce que je rends de lui ce témoignage, que ses œuvres sont mauvaises. - A son tour (cf. v. 4) Jésus développe et motive son assertion. - Ne saurait vous haïr. Les frères avaient dit : Manifeste‑toi au monde. Il relève cette dernière expression, mais en lui donnant un sens plus profond, conforme à la triste réalité des choses. C'est d'ailleurs presque toujours en mauvaise part que le substantif le monde est employé dans le quatrième évangile. L'impossibilité signalée par Notre‑Seigneur repose sur le principe bien connu (Platon, Lys. 214) : tout ce qui est homogène s'attire, les choses hétérogènes se repoussent (Bisping), cf. 3, 3, 5 ; 5, 19 ; 6, 44, etc. - Vous haïr. Vous qui lui ressemblez, qui partagez ses goûts et ses sentiments, qui lui appartenez comme ses membres, cf. 15, 19. - Il me hait. Moi qui suis en guerre perpétuelle avec lui, moi qui le critique et le condamne sans cesse. Les faits étaient là pour démontrer la haine implacable du monde contre N.-S. Jésus‑Christ. - Et pourquoi Jésus était‑il détesté du monde? Car je rends de lui ce témoignage... Et ce témoignage consistait à dévoiler nettement, sans ambages (cf. 1 Jean 5, 19), que ses œuvres sont mauvaises.



Jean 7.8 Montez, vous, à cette fête, pour moi, je n'y vais pas, parce que mon temps n'est pas encore venu." - La réponse de Jésus continue d'être calquée sur la demande. C'est donc ici une conclusion, comme dans la seconde moitié du v. 4. - Montez, vous Le pronom « vous » est très emphatique. Vous pouvez, vous, aller à Jérusalem sans aucun danger ; vous êtes même sûrs d'y être bien reçus. - A cette fête. Les parents du Sauveur n'avaient pas mentionné la fête, mais c'était bien à l'occasion de la Fête des Tabernacles qu'ils lui avaient suggéré d'aller en Judée. - Pour moi, je n’y vais pas… Et pourtant, nous allons voir presque aussitôt Jésus prendre le chemin de Jérusalem (v. 10), et nous le trouverons (v. 14, 36). Comment expliquer cette contradiction ? Le païen Porphyre s'en prétendait choqué, et il relevait avec ironie l'inconstance prétendue de Notre‑Seigneur (cf. S. Jérôme, Adv. Pelag. 2, 17), et plus d'un rationaliste a formulé fin XIXème siècle la même accusation. On a essayé de plusieurs manières d'écarter la difficulté. 1° D'autres, mais sans raison suffisante, ont donné au verbe « monter » le sens de partir avec la caravane des pèlerins. Jésus, d'après le verset 10, alla à Jérusalem non pas publiquement, mais comme en secret. 2° On a fait porter l'idée principale sur « fête ». Je ne monte pas à la fête, aurait dit Jésus ; et en effet il n'arriva qu'au milieu de la solennité (v. 11, 14). 3° C'est le pronom cette qui parfois a été plus particulièrement accentué. Je ne vais pas à « cette » fête avec l'intention que vous me proposez. 4° La meilleure interprétation nous paraît être celle qu'adoptait S. Jean Chrysostome : Je ne vais pas maintenant à la fête, je n'y vais pas avec vous. L'emploi du temps présent et la réflexion qui suit prouvent en effet que Notre‑Seigneur avait dès lors l'intention arrêtée d'assister à la solennité ; mais il ne voulait se mettre en route que lorsque aurait sonné l'heure précise du plan providentiel, cf. 2, 3 et l'explication.



Jean 7.9 Après avoir dit cela, il resta en Galilée. - Il resta, lui, pour quelque temps encore, tandis que ses frères partaient.



Jean 7.10 Mais lorsque ses frères furent partis, lui-même monta aussi à la fête, non publiquement, mais en secret. - Les versets 10-13 servent d'introduction. Son heure étant alors venue, Jésus à son tour se mit en route pour Jérusalem. Jésus n'était pas seul absolument : ses disciples les plus intimes l'accompagnaient sans doute.





Jean 7.11 Les Juifs donc le cherchaient durant la fête et disaient : "Où est-il ?" - Cependant, une émotion très vive régnait à Jérusalem au sujet de Notre‑Seigneur : peuple et hiérarques, amis et ennemis, tous s'occupaient et parlaient de lui. L'évangéliste en trace un tableau pittoresque, v. 11-13. - Les juifs. Par "Juifs" il faut entendre les chefs spéciaux de la nation théocratique, à peu près universellement hostiles au Sauveur, cf. v. 13. - Le cherchaient. (Par suite de l'absence de Jésus) Notez cet imparfait et tous les suivants, qui marquent des actions réitérées. Ils se disaient entre eux, ou bien ils disaient aux pèlerins en les questionnant : Où est‑il ? Jésus remplissait si bien tous les esprits qu'on n'avait pas même besoin de prononcer son nom. Sous la question des hiérarques on voit poindre un double sentiment : l'étonnement causé par son absence, puisqu'il s'agissait d'une fête obligatoire, et le désir inquiet, hostile, de connaître le lieu de sa retraite.



Jean 7.12 Et il y avait dans la foule une grande rumeur à son sujet. Les uns disaient : "C'est un homme de bien. Non, disaient les autres, il trompe le peuple." - Une grande rumeur… Des rumeurs à mi‑voix, cf. 6, 41 et le commentaire. - Dans la foule. C'est le peuple par opposition aux hiérarques. - Les uns… Parmi cette multitude agitée, le narrateur distingue deux catégories, dont l'une est favorable, l'autre défavorable à N.-S. Jésus‑Christ. Il nous fait assister aux conversations engagées entre les divers groupes. - Les uns disaient donc un homme de bien, équivalant à loyal, sincère, par opposition à séducteur : « C'est un homme droit ». Éloge bien modeste ; les ennemis du Sauveur ne seront pas aussi modérés dans leur appréciation. Non, répondent‑ils carrément, il trompe, il fait errer. Voyez Luc 23, 2, 5, où une accusation identique sera portée au tribunal de Pilate. Pour ce parti hostile, Jésus était donc un faux docteur, qui séduisait les masses populaires par sa conduite et ses discours, en faisant croire qu'il était le Christ.



Jean 7.13 Cependant personne ne s'exprimait librement sur son compte, par crainte des Juifs. - Restriction intéressante, qui nous permet de juger de l'état moral des Juifs à cette époque. « Personne », à quelque groupe qu'il appartînt. - Ne s’exprimait librement sur son compte. On n'osait donc pas exprimer tout haut un jugement quelconque au sujet de Jésus. Remarquez la crainte permanente, universelle qu'inspiraient les hiérarques. Ces hommes terrorisaient vraiment la foule sous le rapport religieux ; or, bien que leur hostilité contre Notre‑Seigneur fût assez vieille, néanmoins, ils ne s'étaient pas encore prononcés ouvertement contre lui (cf. v. 26) : le peuple craignait donc d'afficher d'avance, en ce point délicat, une opinion qui pouvait être en désaccord avec celle de ses chefs.



Jean 7.14 On était déjà au milieu de la fête, lorsque Jésus monta au temple et il se mit à enseigner. - Les versets 14-39 contiennent le résumé des discours que le Sauveur, tout à coup, se mit à prononcer sous les galeries du temple, et des controverses qu'ils occasionnèrent. Nous distinguerons, avec le narrateur, les discussions engagées durant la seconde moitié de la solennité (v. 14-36), et la prédication du dernier jour (v. 37-39). Le récit est très condensé. - Première partie, v. 14-36 : Pendant la fête. Trois idées principales sont mises en relief et dominent le fond de la controverse : la doctrine de Jésus vient de Dieu, v. 14-24 ; la personne de Jésus est elle‑même divine, v. 25-31 ; Jésus retournera bientôt vers son Père céleste, v. 32-36. - 1° La doctrine de Jésus vient du Père, v. 14-24. - Au milieu de la fête. Par conséquent, vers le troisième ou le quatrième jour. Les Rabbins ont une expression identique. - Jésus monta au temple. Ne faisait‑il alors qu'arriver à Jérusalem ? Ou bien, venu plus tôt, s'était‑il tenu soigneusement caché ? Il est impossible de le déterminer avec certitude. - Et il enseignait. S. Jean n'indique pas l'objet de cette prédication prolongée du Sauveur ; mais on le devinera sans peine d'après les paroles qui vont être citées bientôt. Tout dut porter sur la personne, l'œuvre, la doctrine de N.-S. Jésus‑Christ. Et la foule si mêlée qu'on a décrite n'avait pu s'empêcher d'écouter en silence.



Jean 7.15 Les Juifs étonnés disaient : "Comment connaît-il les Écritures, lui qui n'a pas fréquenté les écoles ?" - Effet produit par ce divin enseignement (nouvel imparfait). Autrefois déjà, dans ce même temple, Jésus, âgé de douze ans, avait suscité l'étonnement des docteurs de la loi par ses questions et ses réponses (Luc 2, 46) ; aujourd'hui encore l'admiration est à son comble, atteignant jusqu'à ses orgueilleux ennemis. - Disaient. Malheureusement, ce qui les frappe, ce n'est pas la puissance intime de la vérité, c'est une circonstance tout à fait accessoire. Jésus, quoique si éloquent, si instruit, n'a pas passé par leurs écoles, il n'est pas un des disciples des sages, comme on les appelait. Rien de plus caractéristique que leur réflexion dédaigneuse, comme 6, 32. Ne disaient‑ils pas fièrement : « Si quelqu’un est versé dans l’Écriture et dans la Mischna, mais ne sert pas les sages avec dévouement, il est un plébéien » ? - Écritures ne désigne pas directement les saintes Écritures, mais, d'après le sens classique, les lettres et les sciences en général, le résultat d'une éducation soignée, cf. Actes 26, 24. Voyez aussi v. 39 et 2 Timothée 3, 15, où la Bible est appelée « les saintes écritures ». Néanmoins, comme toute l'éducation rabbinique se ramenait aux saints Livres, ils sont compris d'une manière indirecte dans l'expression. - Lui qui n'a pas fréquenté les écoles. « Sans s'en douter, les Juifs rendaient ainsi à Jésus‑Christ un précieux témoignage. En effet, ils ont renversé d'avance, par cette simple parole, toutes les hypothèses rationalistes d'après lesquelles Notre‑Seigneur aurait puisé sa doctrine à quelque école juive.



Jean 7.16 Jésus leur répondit : "Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé. - La réponse va droit à l'objection et la renverse. Jésus insiste d'abord sur l'origine entièrement céleste de ses connaissances et de sa doctrine (v. 16-18) ; partant de là, il justifiera ensuite sa conduite (v. 19-24). - Ma doctrine n’est pas de moi. La pensée revêt une forme paradoxale. C'est sa doctrine, et pourtant ce n'est pas absolument sa doctrine. Elle est sienne parce qu'il la prêche et que nul autre avant lui ne l'a donnée ; mais en tant qu'il est homme, elle ne lui appartient pas comme s'il l'eût acquise au prix d'efforts personnels : il n'en est pas proprement l'inventeur. Les Juifs avaient donc tort de supposer qu'il n'avait reçu aucune instruction du dehors. A ce point de vue, rien de moins original que son enseignement, puisqu'il le tenait tout entier d'un autre. - Celui qui m’a envoyé. Dieu, voilà son seul Maître, infiniment supérieur aux plus savants Rabbins, cf. 5, 19, 30. Les Juifs, dans le Talmud, citent leurs sources avec une minutie tout à fait monotone : Un tel a dit ceci, Un tel a dit cela. Jésus leur a cité sa propre source.









Jean 7.17 Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il saura si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de moi-même. - L'assertion qui précède (v. 16) est développée, démontrée (v. 17-18). Jésus‑Christ prouve successivement par un témoignage interne (v. 17) et par un témoignage extérieur (v. 18) l'origine divine de sa prédication. - Le critère interne, subjectif, consiste dans l'expérience personnelle des auditeurs : Si quelqu’un (sans aucune exception) veut faire… Le mot principal de la phrase est veut, qui exprime un vif attrait intérieur, un généreux acquiescement ; en effet, Jésus demande ici beaucoup plus que l'accomplissement machinal et forcé de la volonté du Père ; il met pour condition que la volonté humaine se rallie volontiers et avec amour aux divins désirs : c'est seulement alors que l'on recevra les grâces d'illumination qu'il promet ensuite. - La volonté. Remarquez l’association énergique de veut faire la volonté. Suave harmonie. - Il saura. Aussitôt qu'existera cette sainte harmonie, l'homme sera divinement doué comme d'un nouveau sens, qui lui permettra de juger par intuition la doctrine de N.-S. Jésus‑Christ ; il la reconnaîtra de la même manière qu'un enfant reconnaît la voix de son père. Heureux ceux qui possèdent ce don de perception spirituelle ! - Si elle est de Dieu. Si elle a vraiment Dieu pour auteur. Dans le texte grec, la locution correspondant à si … ou si… n'est pas employée ailleurs dans le Nouveau Testament ; elle est d'un fréquent usage chez les classiques. - Ou si je parle de moi‑même. Changement de prépositions, comme v. 19, 30 ; 15, 4. Par conséquent, si ma doctrine est simplement celle d'un homme. Le Juifs ne « voulaient » pas accomplir en toute loyauté la volonté de Dieu ; ils n'avaient donc pas à leur disposition cette lumière dont parle Jésus. « Qu’ils rejettent la haine, qu’ils aiment le Père et fassent sa volonté. Ce n’est pas difficile. Une fois écartées les ténèbres, ils verront en toute clarté la vérité de la doctrine du Christ », Maldonat, h.l. Et de même pour tous les autres incrédules. D'ordinaire, les choses de la foi se démontrent d'une autre façon que les vérités mathématiques. Les préjugés, la haine religieuse obscurcissent l'esprit et l'empêchent de comprendre.



Jean 7.18 Celui qui parle de soi-même, cherche sa propre gloire, mais celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, est véridique et il n'y a pas en lui d'imposture. - Il existe un autre critère, celui‑ci extérieur et objectif, pour juger une doctrine et voir si elle est réellement divine : c'est la conduite personnelle du prédicateur et le but qu'il se propose en prêchant. Jésus emploie presque la forme syllogistique pour exposer ce nouveau raisonnement. Il ne se met pas directement en scène, mais il est aisé de comprendre qu'il parle de lui à la troisième personne. - Majeure de l'argument : celui qui parle de soi‑même. Tout homme qui parle en son nom privé, qui prêche sans aucune mission supérieure un enseignement provenant de son propre fond, celui‑là cherche sa propre gloire. Le caractère de son enseignement, c'est l'ambition ; non pas, sans doute, d'une manière nécessaire et absolue, mais d'après ce qui arrive très souvent parmi les hommes, à cause de leur égoïsme et de leur orgueil. Elle est innombrable, la multitude des faux prophètes, des faux philosophes, des faux réformateurs en religion, qui ont avant tout parlé pour faire du bruit autour de leur nom, pour conquérir des suffrages, pour briller, comme l'on dit. Et quand il arrive que ces beaux parleurs sont les ambassadeurs d'un autre, leur attitude est doublement odieuse, puisqu'ils s'exaltent eux‑mêmes aux dépens de celui dont ils tenaient leur mission. Reproche tacite à l'adresse des docteurs juifs qui entouraient alors Notre‑Seigneur, cf. v. 44. - Celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé. Mineure et conclusion. « Celui qui l'a envoyé » représente Dieu, d'après l'ensemble du contexte. - Est véridique. Le pronom est fortement accentué. Quand un envoyé a pour unique souci la gloire de son maître, il est infailliblement véridique, car il oublie ses propres intérêts et s'efface pour mettre en relief celui qui l'accrédite : quel intérêt aurait‑il à mentir ? - Et il n’y a pas en lui d'imposture. Répétition de l'idée sous une forme négative. A première vue, on s'étonne de trouver ici le mot imposture, au lieu de « mensonge », que semblerait exiger le parallélisme ; mais S. Jean emploie à dessein l'expression la plus étendue, qui est en même temps la plus énergique et qui relève l'impure racine du mensonge, cf. Romains 1, 18 ; 2, 8 ; 1 Corinthiens 13, 6.



Jean 7.19 Est-ce que Moïse ne vous a pas donné la Loi ? Et aucun de vous n'accomplit la loi. - La conduite morale de Jésus, v. 19-24. La transition est assez brusque ; mais rien n'autorise à conjecturer, comme l'ont fait divers commentateurs, qu'une pensée intermédiaire aurait été omise par l'évangéliste. Après s'être tenu pendant quelques instants sur la défensive, v. 16-18, Jésus pousse maintenant l'attaque sur le terrain de ses adversaires. Il va droit au fait, et divulgue le véritable motif de leurs objections : ils en veulent à sa vie. Partant de là, il donne une courte mais solide apologie de sa conduite, de même qu'il a plus haut défendu sa doctrine. Moïse… Ce grand nom porte l'idée principale. Moïse, de qui vous vous recommandez sans cesse, sera le premier à vous condamner. Voyez, v. 45, un raisonnement semblable. - Donné la loi. La loi par excellence, la loi mosaïque en général, et pas seulement tel ou tel précepte particulier (la loi relative au sabbat, à l'homicide, etc.), comme on l'a prétendu sans raison. - Et aucun de vous… Parmi vous qui avez reçu cette loi et qui en êtes si fiers, cf. Galates v. 3, la même expression. Accusation bien grave, mais parfaitement justifiée car si les Juifs observaient alors minutieusement la plupart des détails de la loi, ils demeuraient étrangers à son esprit contre lequel ils allaient sans cesse, cf. Matth. 5, 17-47 et le commentaire. Et c'étaient ces mêmes hommes qui voulaient mettre à mort Jésus‑Christ, sous prétexte qu'il était un contempteur de la loi. - Nous avons adopté le sentiment des exégètes qui mettent un point d'interrogation au milieu du verset et un simple point à la fin. La pensée nous paraît ainsi tout à la fois plus coulante et plus énergique.



Jean 7.20 Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ?" La foule répondit : "Vous êtes possédé du démon, qui est-ce qui cherche à vous faire mourir ?" - Pourquoi cherchez-vous… Pour quel motif ? Quel crime ai‑je donc commis? Les "Juifs" (cf. v. 15) que visaient les dernières paroles de Jésus gardent un silence significatif. Qu'auraient‑ils pu répondre ? Mais la foule naïve riposte : composée en majeure partie d'étrangers venus à Jérusalem pour la fête, elle ignore les desseins des hiérarques. Comparez le v. 25, où nous voyons les habitants de la capitale parfaitement instruits du véritable état des choses. - Qui est‑ce qui cherche... Aucun de ces bons provinciaux ne nourrissait un pareil projet, et ils jugent tous leurs coreligionnaires d'après leurs propres sentiments. Il n'y a donc, suivant eux, qu'une manière d'expliquer l'apostrophe lancée par Jésus contre l'auditoire ; il est en proie à une idée fixe, à une hallucination qui a le démon pour auteur : vous êtes possédé du démon. Par ces mots, ils ne voulaient pas indiquer une possession proprement dite (comparez 8, 48, et le commentaire), mais une forte dépression morale, produite par le malin esprit, et analogue à ce que les Grecs nommaient mauvais esprit, cf. 10, 20 ; et aussi Matth. 11, 18 ; Luc 7, 33, où le même dire est appliqué à Jean‑Baptiste, que l'on trouvait trop sombre et trop austère. Ici Jésus laisse tomber sans y répondre ce propos d'ignorants ; plus loin il relèvera l'accusation parce qu'elle aura un caractère plus grave.



Jean 7.21 Jésus leur dit : "J'ai fait une seule œuvre et vous voilà tous hors de vous-mêmes ? - Allusion évidente (voyez le v. 23) au miracle que Jésus avait opéré auprès de la piscine de Béthesda, v. 1 et ss. L'époque en était assez lointaine ; mais Notre‑Seigneur n'était pas revenu depuis lors à Jérusalem, et ce miracle avait été si éclatant par toutes ses circonstances, que le souvenir en vivait encore dans toutes les mémoires : voilà pourquoi le Sauveur l'appelle hyperboliquement son « unique » miracle de Jérusalem, quoiqu'il en eût accompli plusieurs autres dans la capitale juive, cf. 2, 23. - vous voilà tous hors de vous-mêmes (tous avec emphase). Comme l'observe S. Jean Chrysostome, ce verbe désigne moins ici l'admiration proprement dite qu'un étonnement plein de malveillance. Le miracle, en effet, avait eu lieu en un jour de sabbat, cf. v. 23, et 5, 9.



Jean 7.22 Moïse vous a donné la circoncision, non qu'elle vienne de Moïse, mais des Patriarches, - Mais qu'ils ont tort de se scandaliser. Jésus le leur démontre en faisant une vigoureuse apologie de sa conduite, v. 22-23. - Moïse vous a donné la circoncision, cf. Lévitique 12, 3. Si Moïse vous a donné la circoncision, ce n'est pas qu'elle vienne de lui à proprement parler, car il l'a reçue de nos ancêtres ; et néanmoins vous pratiquez la circoncision même aux jours de sabbat. Ce fait va servir de base à l'argumentation du Sauveur. Le parfait a donné exprime un don accordé une fois pour toutes, et qui demeure. - Non qu’elle vienne de Moïse ouvre une parenthèse qui se termine après patriarches, et qui contient une restriction historique. Jésus venait de dire que la circoncision avait été donnée aux Juifs par Moïse ; mais en réalité il n'en était pas le premier auteur, et elle ne datait pas seulement de son temps : elle remontait jusqu'aux patriarches si chers à Israël, plus spécialement à Abraham, qui l'avait reçue de Dieu même comme un signe d'alliance, cf. Genèse 17, 20 ; Actes 7, 8 ; Romains 4, 11. Ce trait relève singulièrement l'importance de la circoncision. - Et vous la pratiquez… Avec emphase : le jours du sabbat. D'après la loi, on devait circoncire tout enfant mâle huit jours après sa naissance, et il arrivait souvent que le huitième jour coïncidait avec le sabbat : dans ce cas ; malgré la rigueur avec laquelle ils observaient le repos sabbatique (Voyez la note sous Matth., 12, 2), les Juifs avaient très justement pensé que ce signe sacré de leur alliance avec Dieu devait passer avant tout le reste. « La circoncision chasse le Sabbat », dit un adage rabbinique. Les disciples d'Hillel ajoutaient que « la loi relative au sabbat était négative, tandis que le précepte qui concernait la circoncision était positif : or, le positif détruit le négatif ».



Jean 7.23 et vous la pratiquez le jour du sabbat. Si, pour ne pas violer la loi de Moïse, on circoncit le jour du sabbat, comment vous indignez-vous contre moi, parce que, le jour du sabbat, j'ai guéri un homme dans tout son corps ? - Jésus va conclure son argumentation par un rapprochement inattendu, qui démontrera d'une façon péremptoire la légitimité de sa conduite personnelle. - pour ne pas violer la loi de Moïse. Même aux jours de sabbat on pratiquait la circoncision, sans le moindre scrupule, attendu que l'ordonnance qui la prescrivait aurait été viciée par un retard. Selon le langage de la Mischna, traité Schabb. 19, 1, 2, cette cérémonie avait été « rendue dépendante du huitième jour ». Voyez S. Jean‑Chrysostome et S. Augustin, h.l. - Pourquoi vous indignez-vous contre moi… remarquez la place du pronom moi employé en ce seul endroit du Nouveau Testament, exprime un ressentiment très amer. - J’ai guéri un homme dans tout son corps. « Tout son corps » aussi est emphatique, et la conclusion est de celles qu'on nomme « du mineur au majeur ». Les Rabbins disaient : retrancher le prépuce par la circoncision, c'était donc guérir une partie censée malade du corps humain. Or voici que Jésus avait rendu la santé complète, non‑seulement à un organe isolé, mais au corps tout entier du paralytique. Si une cure partielle et totale était permise le jour du sabbat, à plus forte raison une guérison totale.



Jean 7.24 Ne jugez pas sur l'apparence, mais jugez selon la justice." - Simple appel au bon sens des Juifs, pour mettre fin à toute cette discussion. - Juger selon l’apparence, c'est juger d'après ce qui apparaît au premier regard, par conséquent avec partialité. Envisagé d'une manière superficielle, l'acte de Jésus pouvait passer pour une violation du sabbat, surtout aux yeux d'hommes imbus de si grands préjugés ; mais le divin Maître demande précisément que l'on veuille bien le juger d'après une autre norme : jugez selon la justice. Le grec a l'article « le juste jugement » ; il n'y en a en effet qu'un seul de cette sorte, cf. Tobie 3, 2 ; Zacharie 7, 5. Les jugements basés sur les seules apparences sont si fréquemment iniques et erronés.



Jean 7.25 Alors quelques habitants de Jérusalem dirent : "N'est-ce pas là celui qu'ils cherchent à faire mourir ? - 2° La véritable origine de Jésus, v. 25-30 (voyez la note du v. 14). Parce qu'ils voyaient N.-S. Jésus‑Christ parler si librement, à la face de ses adversaires bien connus. - Quelques habitants de Jérusalem, cf. Marc 1, 5, le seul autre passage où soit employée cette expression. Comme nous l'avons vu (v. 20), les habitants de Jérusalem contrastent ici avec les pèlerins venus de province : ceux‑ci ignoraient les vrais sentiments du parti pharisaïque à l'égard du Sauveur ; ceux‑là au contraire sont au courant de tout. De là leur réflexion si nette : N’est‑ce pas là celui... (pronom accentué).



Jean 7.26 Et le voilà qui parle publiquement sans qu'on ne lui dise rien. Est-ce que vraiment les chefs du peuple auraient reconnu qu'il est le Christ ? - Ouvertement et librement, cf. v. 13. - Sans qu’on ne lui dise rien. Eux qui lui étaient si hostiles, ils le laissent faire, ils ne l'interrompent même pas. - Sur cette tolérance qui les étonne ils bâtissent une hypothèse plus étonnante encore : Est‑ce que vraiment... Comme en maint autre passage du quatrième évangile, la question suppose une réponse négative. Les chefs du peuple auraient reconnu qu'il est le Christ ? cf. 1, 48 et l'explication ; 4, 29, 33 ; 7, 31, etc. Au v. 25, où la question ne suggérait aucun doute, nous lisions N’est‑ce pas là… Plus haut, v. 15, la foule n'osait parler ouvertement de Jésus parce que ses chefs ne s'étaient pas encore prononcés d'une manière officielle à son sujet ; nous trouvons ici quelque chose d'analogue. Chacun tenait à savoir quelle était la pensée des hiérarques. - Qu’il est le Christ. Cette supposition, chuchotée timidement, prouve combien avait été grande l'impression produite par les paroles de Jésus. Son nom et celui du Messie étaient aussitôt rapprochés l'un de l'autre dès qu'il était question de lui.







Jean 7.27 Celui-ci, néanmoins, nous savons d'où il est, mais quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est." - Les auteurs de l'hypothèse se hâtent de la renverser eux‑mêmes. L'objection qu'ils vont formuler est en parfaite harmonie avec toute la tradition rabbinique. - Nous savons d’où il est. « Où » ne représente pas ici le lieu de la naissance, ni les ancêtres en général, mais la parenté immédiate et actuelle. Cet adverbe a une signification identique dans les deux moitiés du verset ; or, dans la seconde il est appliqué à l'origine du Messie, et les prophéties avaient annoncé dans les termes les plus clairs qu'il naîtrait à Bethléem et qu'il appartiendrait à la famille de David, cf. v. 41 et 42. - Quand le Christ viendra, personne ne saura… Le verbe grec n'est plus le même, parce que l'on veut indiquer un autre genre de connaissance. « Nous savons » quels sont les parents de Jésus : c'est une science complète et toute acquise ; « personne ne sait » quels sont ceux du Christ : c'est une science que l'on suppose ne devoir venir que lentement et peu à peu. Rien de plus intéressant que ces délicatesses du langage évangélique. Voyez, 8, 55 ; 13, 7 ; 14, 7 ; 21, 17, d'autres exemples d'un emploi alternatif des deux mêmes verbes. - D’où il est. Au dire des Rabbins, après être né secrètement à Bethléem, le Messie devait vivre on ne sait en quel lieu et dans le plus profond mystère, jusqu’au jour où il ferait une soudaine et brillante apparition. S. Justin Martyr mentionne aussi cette singulière opinion dans son Dialogue avec Tryphon, § 8. D’où pouvait‑elle bien provenir ? Probablement de quelques‑uns des prophéties suivantes, qu’on avait mal interprétées : Isaïe 53, 8 : « Qui racontera la génération éternelle du Messie? » ; Daniel 7, 13 : « Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme » ; Michée 5, 2 : « Celui qui doit régner dans Israël, dont la génération est dès le commencement, dès l’éternité » ; Malachie, 3, 1 : « Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez ».



Jean 7.28 Jésus, enseignant dans le temple, dit donc à haute voix : "Vous me connaissez et vous savez d'où je suis et pourtant ce n'est pas de moi-même que je suis venu mais celui qui m'a envoyé est vrai, vous ne le connaissez pas.- Jésus dit à haute voix (A l'occasion de leur grossière erreur)… le verbe grec (à l'aoriste) est tout à fait expressif. Jésus crie à haute voix pour se faire entendre de tous, parce qu'il va se rendre un témoignage des plus importants, cf. v. 37 ; 1, 45 ; 12, 44. « « Les acclamations que Jésus a soulevées avaient des causes importantes », dit Bengel, et S. Jean est fidèle à les signaler. - Enseignant dans le temple, cf. v. 14. L'instruction sera courte, mais significative. Le style en est rapide, entrecoupé, et laisse deviner l'émotion du divin Maître. - Vous me connaissez. Vous connaissez ma personne ; vous savez d’où je suis : vous connaissez mon origine extérieure, ma parenté selon la chair. Jusqu'ici Jésus concède tout ; il admet que ses interlocuteurs ont de lui une connaissance extérieure et superficielle ; mais il relève ensuite leur profonde ignorance relativement à sa vraie nature et à son rôle. - ce n'est pas de moi-même que je suis venu. Bien loin d'être venu de lui‑même, il est, comme on l'appelle ailleurs (Hébreux 3, 1), « le grand apôtre », le grand envoyé de Dieu. - Celui qui m’a envoyé est vrai, cf. 8, 26. D'où il suit que la mission de Jésus est elle‑même « vraie », solide et réelle. - Et vous ne le connaissez pas. Honteuse ignorance, pour des hommes qui se figuraient au contraire avoir avec Dieu les plus intimes relations. Mais le reproche n'était que trop fondé. Ne connaissant pas le Père, ils ne pouvaient non plus connaître son Fils, N.-S. Jésus‑Christ, quoi qu'il leur plût de dire sur ce point, cf. v. 27.

Jean 7.29 Moi, je le connais, parce que je suis de lui et c'est lui qui m'a envoyé." - Jésus appuie sur le pronom. « Moi » est opposé à « vous » du v. 28. La particule parce que annonce une preuve : et en effet, Notre‑Seigneur va indiquer deux motifs de la parfaite connaissance qu'il a de Dieu. Le premier motif consiste dans sa génération divine et son unité de nature ; le second dans sa mission divine. Un fils ne connaît‑il pas son père ? L'ambassadeur ne connaît‑il pas celui qui l'accrédite ?



Jean 7.30 Ils cherchèrent donc à le saisir et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue. - Ils cherchèrent donc... (Parce qu'il affirmait si nettement sa mission céleste)… C'est pour la troisième fois que nous trouvons cette formule, cf. v. 1 et v. 18. Notez l'imparfait de la durée : se saisir de Jésus pour le mettre à mort, voilà désormais le désir constant de ses ennemis, cf. v. 32, 44 ; 8, 20 ; 10, 39 ; 11, 55. Seule, sa ruine totale assouvira leur rage. Dans le texte grec, le verbe a pour primitif « presser, opprimer », c’est une des locutions favorites de S. Jean. - Personne ne mit la main sur lui. Expression pittoresque, cf. Actes 12, 1, etc. Qu'est‑ce donc qui empêcha les hiérarques de mettre sur Jésus leurs mains puissantes? Peut-être ne l'osèrent‑ils pas, impressionnés qu'ils étaient par sa majesté, par le nombre croissant de ses adhérents. Mais l'évangéliste donne de leur échec une raison plus profonde : parce que son heure n’était pas encore venue. L'heure de Jésus, c'est ici le temps de sa passion (cf. 8, 20 ; 13, 1, etc.) ; or cette heure n'avait pas encore sonné. Au fond, c'est donc le plan de Dieu lui‑même qui contrariait le plan des pharisiens ; le Seigneur gouvernait les destinées de son Christ jusque dans les plus petits détails.



Jean 7.31 Mais beaucoup, parmi le peuple, crurent en lui et ils disaient : "Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en a fait celui-ci ?" - 3° Le prochain départ de Jésus v. 31-36 (voyez la note du v. 14). - Beaucoup...crurent en lui. La haine va croissant, mais aussi l'amour. La foule est mise en contraste avec ses chefs qui cherchaient à s'emparer de Jésus. - Crurent en lui est beaucoup plus fort que le crurent. C'était la foi en la personne même, et pas seulement à la parole de Jésus. - Et ils disaient. (L'imparfait après l'aoriste ; un fait qui se continue, après un fait complet en soi). Les pieux croyants s'encourageaient mutuellement, en se communiquant le motif principal qui les avait gagnés au Sauveur ; ou bien, on peut regarder aussi leurs paroles comme une réponse adressée par eux à ceux des Juifs demeurés incrédules qui leur proposaient des objections contre Jésus. - Le Christ, quand il viendra… Plus haut, v. 27, le présent exprimait le caractère subit de la venue du Christ ; ici on la regarde comme un fait accompli. Quand il viendra : ce langage n'implique pas le moindre doute relativement à la dignité messianique de Jésus, puisque ceux qui le tiennent croyaient en lui. « Ils ne doutent pas qu’il soit venu. Mais c’est sous forme interrogative qu’ils proposent le motif de leur conviction, attendant une réponse négative », Corluy, h.l. - Fera‑il‑plus de miracles ? La preuve de la vraie religion par les miracles est admirablement résumée dans cette parole si simple. - Que...celui‑ci. Le pronom est énergique et pittoresque. Nous avons ici une nouvelle démonstration indirecte des innombrables miracles accomplis par Jésus‑Christ : on conçoit qu'en jetant un coup d'œil rétrospectif sur tant de miracles, les âmes droites en fussent vivement frappées, et qu'elles en tirassent la légitime conclusion ; Ce Jésus ne peut être que le Messie, cf. Isaïe 35, 5, 6 ; 53, 4 ; Matth. 11, 2-6.



Jean 7.32 Les Pharisiens entendirent la foule murmurant ces choses au sujet de Jésus, alors les Princes des prêtres et les Pharisiens envoyèrent des gardes pour l'arrêter. - Mais ceux qu'aveuglaient la haine et l'orgueil étaient loin d'un pareil raisonnement. - Murmurant ces choses… (ces paroles favorables à Jésus). Retenus par la crainte qu'inspiraient universellement les hiérarques, les amis du Sauveur avaient échangé leurs sentiments à voix basse (cf. v. 12 et la note) ; néanmoins ils furent entendus, et quelque espion ou délateur alla aussitôt avertir l'autorité. - Les princes des prêtres (qui font ici leur première apparition dans le quatrième évangile) et les Pharisiens représentent le Sanhédrin ou grand Conseil. Comme nous l'avons dit ailleurs (Évangile selon S. Matth., 2, 4.), cette assemblée célèbre, qui avait la juridiction la plus étendue en matière religieuse et qui siégeait à Jérusalem, se composait de trois catégories de membres : les princes des prêtres, les anciens ou notables, et les docteurs de la Loi. Ces derniers appartenaient pour la plupart au parti pharisaïque ; c'est pour cela que S. Jean les mentionne ici par l'appellation générale de pharisiens, cf. v. 45 ; 11, 47, 57 ; 18, 3. Les notables sont passés sous silence, comme en d'autres endroits des évangiles (Matth. 21, 45 ; 27, 62, etc.). Pour la première fois, les ennemis de Jésus essaient de prendre contre lui des mesures actives et extérieures ; du « le cherchaient » ils vont passer aux faits. Leurs « gardes » étaient les employés secondaires qui formaient leur police et exécutaient leurs mandats d'arrêt. - Pour l’arrêter. Non pas sur le champ, autrement on ne comprendrait pas le retard qui fut mis à l'exécution de l'ordre (cf. v. 44 et suiv.), mais dès qu'une heure propice se présenterait.





Jean 7.33 Jésus dit : "Je suis encore avec vous un peu de temps, puis je m'en vais à celui qui m'a envoyé. - La parole de Jésus fut occasionnée par la démarche de ses ennemis, qui souleva tout naturellement en lui la pensée de sa mort prochaine. Parole solennelle, profonde, grosse de menaces pour ceux qui parmi les Juifs demeureront incrédules. L'évangéliste ne dit pas en quel lieu ni à quel moment elle fut prononcée : vraisemblablement c'est une continuation pure et simple de la scène qui précède, v. 14-32. - Avec vous un peu de temps. Six mois seulement le séparaient de sa Passion, puisqu'on célébrait alors la fête des Tabernacles, et que la Pâque suivante, il le lisait dans les divins décrets, amènerait la catastrophe finale. - Puis je m’en vais. Le présent de la certitude et du prompt accomplissement. Rien de plus clair actuellement que ces mots : Jésus va retourner au ciel, vers son Père ; mais ses auditeurs les trouvèrent pleins d'obscurité, cf. v. 35-36. Avec quel calme et sous quel magnifique aspect Notre‑Seigneur envisage son cruel supplice. C'est que dans la mort ignominieuse il contemple son noble triomphe. Jésus emploie trois verbes distincts dans le quatrième évangile pour exprimer l'idée du départ. Le premier verbe appuie sur le côté personnel du départ, sur la séparation qui en est la conséquence (8, 14, 21 et ss. ; 13, 3, 33, 36 ; 14, 4 et 5, 28 ; 16, 5, 10, etc.) ; le second associe à l'éloignement un but, une mission, quelque œuvre à accomplir (7, 35 ; 14, 3, 12, 28 ; 16, 7, 28) ; le troisième indique le départ purement et simplement (16, 7). Voyez le chap. 10, v. 7-10, où ils viennent successivement sur les lèvres de Notre‑Seigneur avec ces diverses nuances. - A celui qui m’a envoyé. Dans une autre conversation avec les Juifs, 5, 18 et ss., Jésus avait souvent appuyé sur sa nature divine ; cette fois il parle surtout de sa mission, cf. v. 16, 18, 28, 29, etc. « je m'en vais » et « celui qui m'a envoyé » sont des expressions corrélatives : un ambassadeur n'est envoyé que pour un temps ; sa mission achevée il retourne auprès de son maître.



Jean 7.34 Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas et où je suis vous ne pouvez venir." - Le départ de N.-S. Jésus‑Christ aura un terrible résultat pour ceux qui auront refusé de croire en lui. Ses ennemis le cherchent actuellement pour le faire mourir, v. 1 et 30 ; des jours approchent où ils le chercheront d'une tout autre manière, comme leur unique Sauveur au milieu de la plus affreuse détresse ; par exemple, à la ruine de Jérusalem, quand les divins jugements éclateront contre eux : mais ce sera trop tard. Nous pensons, à la suite de S. Jean Chrysostome, de Théophylacte, d'Euthymius, etc., que tel est ici le véritable sens du verbe « chercher ». Il ne signifie pas « chercher d'une façon hostile » (Origène, etc. : après ma mort vous me persécuterez dans mes disciples), interprétation qui serait forcée et peu naturelle. - Et vous ne me trouverez pas. Plus loin, 8, 21, Jésus s'exprimera plus énergiquement encore : « Et vous mourrez dans votre péché ». - Et pourquoi ne le trouveront‑ils pas ? Parce qu'il y aura entre eux et lui un abîme infranchissable : où je suis, vous ne pouvez venir. « Je » et « vous » sont rapprochés l'un de l'autre dans le texte grec et fortement accentués. Notez le présent : Jésus se voit déjà dans le ciel par anticipation, ou plutôt il n'a jamais cessé d'y avoir son séjour. « Il ne dit pas : Où je serai ; mais « Où je suis », parce que le Christ était toujours là où il devait retourner ; il en était venu, sans pour cela s’en éloigner », S. Augustin, Traité sur S. Jean 31, 9. Et il n'est pas douteux que l'adverbe « où » ne désigne le ciel en cet endroit. Et les ennemis de Jésus ne sauraient le rejoindre là-haut, alors même qu'ils l'imploreront instamment parmi leurs rudes angoisses, à moins donc qu'ils ne se convertissent tout d'abord. Hélas ! La prophétie du Christ se réalise encore pour Israël, qui persévère dans le refus de reconnaître Jésus comme Christ et Messie ; les Juifs cherchent vainement leur Messie sans le trouver, parce qu'ils refusent de le voir en N.-S. Jésus‑Christ.



Jean 7.35 Sur quoi les Juifs se dirent entre eux : "Où donc ira-t-il, que nous ne le trouverons pas ? Ira-t-il vers ceux qui sont dispersés parmi les païens et ira-t-il les instruire ? - Les Juifs se dirent : à cause de cette parole qu'ils n'avaient pas comprise, ou pas voulu comprendre. - Entre eux. Dans le sens les uns aux autres. Ils échangent entre eux une méchante ironie ; mais d'autres détails beaucoup plus mordants sont venus s'émousser sur la pierre angulaire qui est le Christ. - Où donc ira-t-il Voyant la partie perdue chez nous, s'en ira‑t‑il jouer son rôle en quelque autre pays? - que nous ne le trouverons pas : puisque, d'après son assertion, il nous sera désormais impossible de le trouver. - Là-dessus, ils hasardent une hypothèse, mais tellement étrange à leurs propres yeux, qu'ils en masquent tout d'abord l'invraisemblance au moyen de l’interrogation : Il n'ira pourtant pas…? Voyez la note du v. 31. - vers ceux qui sont dispersés parmi les païens : Était une expression alors en usage chez les Juifs pour désigner ceux des leurs qui, depuis la captivité, étaient « dispersés » en si grand nombre à travers le monde païen (le monde grec, d'après toute la force du texte primitif), cf. Jacques 1, 1 ; 1 Pierre 1, 1, etc. C'est l'abstrait pour le concret. On a cru quelquefois bien à tort que la "dispersion des païens" représente les païens eux‑mêmes (Calmet, Allioli, etc.). - ira-t-il les instruire ? Les païens. Ils supposent que Jésus, prenant pour point d'appui ses coreligionnaires se mettra ensuite à enseigner les païens. Ces derniers mots mettent en relief ce qu'il y avait de piquant dans l'ironie : les païens abhorrés devenant, par la prédication de Jésus, membres de la théocratie. Et pourtant, ceux qui ne pensaient alors qu'à lancer contre Jésus‑Christ une grossière injure, étaient prophètes sans le vouloir, à la façon de Caïphe (cf. 11, 50). En réalité, comme le montre chaque page de la vie de S. Paul (Actes 14 et ss.), la propagation de l'évangile eut lieu de la manière ironiquement exprimée dans ce passage : les apôtres iront bientôt "enseigner les païens", et c'est après avoir passé par les synagogues juives que la prédication chrétienne retentira ensuite aux oreilles de païens. Il avait aussi un pressentiment de la vérité, ce Rabbin qui écrivait, Pesach, 87, 2: "R. Eliézer a dit que le Seigneur a dispersé les Israélites parmi les autres nations, afin que les païens puissent s'attacher à eux".



Jean 7.36 Que signifie cette parole qu'il a dite : Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas et où je suis, vous ne pouvez venir ?" - Les railleurs de Jésus ont beau faire : sa parole (v. 33-34) a pénétré si avant dans leurs âmes, comme une menace terrible, qu'ils y reviennent encore, inquiets et vexés. Ils la répètent intégralement, telle qu'elle avait été formulée.



Jean 7.37 Le dernier jour de la fête, qui en est le jour le plus solennel, Jésus debout, dit à haute voix : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. - Nous passons à la deuxième partie des discours que le Sauveur prononça dans le temple à l'occasion de la fête des Tabernacles, v. 37-39 : c'est ce que nous avons appelé plus haut (note du v. 14) la prédication du dernier jour. S. Jean n'en a conservé qu'un sommaire extrêmement abrégé, qui est néanmoins d'une grande richesse. Tandis que les autres grandes fêtes des Juifs ne duraient qu'une semaine ou sept jours, Dieu lui‑même avait ajouté à celle des Tabernacles un huitième jour, nommé ou conclusion (Lévitique 23, 36 ; dans les écrits de Philon), qui était regardé comme des plus solennels : de là l'épithète grand qu'il reçoit ici (avec l'article, le jour particulièrement grand), cf. Lévitique 23, 35 et s. ; Nombres 29, 35 ; Néhémie 8, 18. D'après les Rabbins : « le huitième jour est une fête par lui‑même », Succ. 48, 2. - Jésus debout. Trait graphique et majestueuse introduction. - dit à haute voix. Nouveau cri impétueux qui sortait du plus profond de son âme, cf. v. 28. - Si quelqu’un a soif. Déjà, dans son entretien avec la Samaritaine, 4, 14, et dans son discours de Capharnaüm, 6, 35, le divin Maître avait signalé cette soif mystique, et il s'était offert lui‑même comme un breuvage exquis pour l'assouvir. Voici qu'il réitère son offre généreuse avec plus d'insistance. - Qu’il vienne à moi. Qu'il vienne à moi par la foi et par l'amour (cf. v. 38), comme à une source rafraîchissante. - Et qu’il boive : « d’un seul trait », car cette source n'est pas moins intarissable que délicieuse. - Les exégètes admettent que ce frappant symbole fut alors employé par Jésus‑Christ, parce qu'une cérémonie spéciale de la fête des Tabernacles en rendait à son auditoire l'intelligence plus nette et plus profonde. Chaque jour, vers l'heure du sacrifice du matin, une procession sortait du temple au son de la musique : elle accompagnait un prêtre qui allait remplir à la fontaine de Siloé une amphore d'or contenant trois logs (environ 0,87 litre). Elle rentrait au moment où les membres de la victime étaient placés sur l'autel des holocaustes. Salué par les trompettes sacrées, le prêtre se dirigeait vers l'autel, où venait le rejoindre un de ses collègues qui portait le vin des libations ; ils vidaient alors simultanément, aux acclamations enthousiastes du peuple, leurs deux amphores dans deux conduits d'argent qui aboutissaient au bas de l'autel. Puis le grand Hallel (Ps. 113-118 du texte hébreu ; Vulgate 112-117) était pieusement chanté. « Celui qui n’a pas éprouvé de joie en puisant de cette eau n’en a jamais éprouvé ailleurs », Talmud. On voulait, par cette libation, remercier Dieu d'avoir fait couler l'eau du rocher pour abreuver son peuple dans le désert. C'est donc vraisemblablement à ce rite que Jésus rattacha son langage figuré.



Jean 7.38 Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive." - Celui qui croit en moi est un nominatif absolu, à la façon hébraïque. Le Sauveur interprète ainsi lui‑même les mots vienne à moi du verset précédent. La formule comme dit l’Écriture se rapporte aux paroles qui suivent : des fleuves d’eau vive… (et non pas à celui qui croit en moi, comme l'ont pensé S. Jean Chrysost., Théophylacte, etc.). Mais elle paraît annoncer une citation biblique, or ces paroles ne se trouvent nulle part de manière littérale dans l'Ancien Testament. Cela ne crée toutefois aucune difficulté sérieuse, car Isaïe (41, 18 ; 44, 3 ; 55, 1 ; 58 ; 11), Ézéchiel (36, 25 ; 39, 29), Joël (2, 28) et Zacharie (14, 8) ont des passages qui correspondent assez à la pensée de Jésus pour qu'il ait pu les avoir en vue soit isolément, soit tous ensemble. - Des fleuves. Des fleuves entiers, et pas seulement une source, comme au chap. 4, v. 14. Figure énergique de grâces surabondantes, qui débordent. - De son sein. Cette autre image est encore plus expressive. Jésus fait du substantif sein ou cœur un usage analogue à l'emploi de son équivalent chez les Hébreux, pour désigner l'intérieur de l'homme, cf. Proverbes 20, 27 ; Ecclésiastique 19, 12 ; 51, 21. - Couleront. Portant même au dehors le rafraîchissement et la vie, cf. 4, 14 et le commentaire. Sur l'eau vive et sa valeur en Orient, voyez la note de 4, 10. « Par manque d’eau, Jérusalem souffre de la soif. Voilà pourquoi elle a coutume d’utiliser l’eau de pluie, et elle supplée à la rareté des sources par la construction de citernes », écrivait S. Jérôme, In Isaiam 49, 14.

Jean 7.39 Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui, car l'Esprit n'était pas encore donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. - Note exégétique de S. Jean pour commenter ce dire mystérieux, dans lequel il nous montre une douce et consolante promesse d'avenir. - L'Esprit. Il est à remarquer que les Rabbins aussi voyaient dans la cérémonie décrite plus haut un symbole de l'effusion du divin Esprit. L'haphtharah, ou lecture tirée des prophètes, qui terminait l'office du premier jour de l'octave des Tabernacles contenait ces lignes significatives de Zacharie (14, 8) : « Ce jour‑là, des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale : il en sera ainsi en été, comme en hiver ». - Que devaient recevoir ceux qui croient en lui : au jour de la première Pentecôte chrétienne, et constamment depuis. - L’Esprit n'était pas encore donné . S. Jean va expliquer pourquoi les croyants n'avaient pas reçu plus tôt l'Esprit saint. C'est que, dit‑il, d'après la leçon la plus probable, « il n'y avait pas encore d'Esprit ». Évidemment l’évangéliste n'a pas en vue l'existence de l'Esprit saint, mais le rôle spécial que la troisième personne de la Sainte Trinité devait exercer dans l’Église après la mort de N.-S. Jésus‑Christ, comme l'exprime la fin du verset. - Jésus n'avait pas encore été glorifié. Par sa résurrection et par son ascension, cf. Actes 19, 2. Jésus dira bientôt lui‑même qu'il n'enverra son Esprit qu'après être remonté au ciel, 17, 5, cf. 16, 7.



Jean 7.40 Parmi la foule, quelques-uns, qui avaient entendu ces paroles, disaient : "C'est vraiment le prophète." - qui avaient entendu ces paroles. Il semblerait donc que le narrateur a eu en vue toutes les paroles que N.-S. Jésus‑Christ avait prononcées depuis son arrivée à Jérusalem (v. 14-35), et pas seulement celles du dernier jour (v. 37-38). - C’est vraiment le prophète. (avec emphase : lui et pas un autre), avec l'article, comme aux passages 1, 21, et 6, 14. Moïse, Deutéronome 18, 15, avait autrefois promis au nom de Dieu ce prophète qui devait être le Messie ; mais ici on fait de lui, quoique à tort, un personnage distinct du Christ (cf. v. 41).



Jean 7.41 D'autres : "C'est le Christ. Mais, disaient les autres, est-ce de la Galilée que doit venir le Christ ? - Cette deuxième catégorie seule assigne à Jésus son vrai rôle. - Une troisième classe d'auditeurs demeure dans l'indécision et ne sait au juste à quoi s'en tenir. Elle formule pourtant une objection à l'adresse de ceux qui admettaient pleinement le caractère messianique de Jésus, car le Christ ne vient pas de la Galilée cf. v. 31 et 35. Ces hommes savaient que N.-S. Jésus‑Christ avec vécu en Galilée depuis son enfance et qu'il y avait passé la plus grande partie de sa vie publique ; ils supposaient donc qu'il y était né : or, continuent‑ils, le Messie ne sera certainement pas originaire de la Galilée, cf. 1, 46.



Jean 7.42 L'Écriture ne dit-elle pas que c'est de la race de David et du bourg de Bethléem, où était David, que le Christ doit venir ?" - Ils citent deux assertions de la Bible relatives à la naissance du Messie. 1° Il aura David pour ancêtre, cf. Ps. 88, 4 ; Isaïe 11, 1 ; Jérémie 23, 5 ; etc. 2° C'est à Bethléem, dans la patrie de David, que sera le berceau du Christ : du village de Bethléem (un simple bourg, cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 5, 2, 8) où était David, cf. 1 Samuel, 16 ; Michée 5, 1.





Jean 7.43 C'est ainsi que le peuple était partagé à son sujet. - Premier résultat de ces opinions variées ou contradictoires. était partagé, dit le texte grec, en faisant usage d'un mot qui marque toujours une division sérieuse ; littéralement « une déchirure ». Chacun s'en tenait donc à son sentiment favorable ou défavorable à Jésus. Voyez plus loin 9, 16 et 10, 19, des mentions analogues, du narrateur.



Jean 7.44 Quelques-uns voulaient l'arrêter, mais personne ne mit la main sur lui. - Selon quelques exégètes, ces quelques‑uns ne serraient autres que les gardes du Sanhédrin envoyés précisément pour arrêter Jésus, v. 32, 45. Mais il est plus conforme à l'ensemble du récit de voir en eux quelques zélotes du peuple, plus spécialement hostiles à Jésus, plus irrités par ses discours, et qui voulaient l'arrêter sous leur propre responsabilité. - Mais personne... Pas un seul. cf. le v. 30 et le commentaire. Ils n'osèrent pas mettre à exécution leur projet, en voyant la foule si vivement impressionnée ; et surtout, « son heure n’était pas encore venue ».



Jean 7.45 Les gardes étant donc revenus vers les Pontifes et les Pharisiens, ceux-ci leur dirent : "Pourquoi ne l'avez-vous pas amené ?" - N'ayant pas réussi à exécuter la mission dont on les avait chargés (v. 32), ils reviennent auprès de leurs supérieurs pour rendre compte de leur mission. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis les événements racontés au v. 32 (cf. v. 14 et 37). - Les Pontifes et les pharisiens. Dans le grec, les deux substantifs sont rattachés à un seul et même article parce qu'ils représentent les membres maintenant connus d'un seul et même corps. Plus haut, v. 32, chacun d'eux était précédé de son article. - Ceux‑ci leur dirent… Quoique nommés en dernier lieu, les Sanhédristes sont désignés ; mais ils étaient les plus éloignés dans la pensée de l'écrivain, qui allait aussitôt revenir aux ministres. - Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? La question est adressée d'un ton rude et superbe, comme à d'humbles subalternes ; on y voit toute l'amertume d'une vive déception.



Jean 7.46 Les gardes répondirent : "Jamais homme n'a parlé comme cet homme." - Ces âmes honnêtes répondent avec la plus grande franchise et simplicité, sans chercher d'autre excuse que l'impression profonde par laquelle ils n'ont pu s'empêcher d'être dominés. Durant ces derniers jours, ils se sont tenus aux côtés de Jésus pour le faire prisonnier au moment favorable ; ils l'ont vu de près, ils ont entendu sa parole : sa sainteté, son éloquence divine ont dompté ces esprits grossiers et sans éducation, qui n'étaient cependant pas complètement gâtés comme leurs maîtres. - Jamais homme n’a parlé… La force de leur conviction éclate dans cette phrase redondante et emphatique. C'est là un des éloges les plus beaux et les plus vrais qu'ait reçus N.-S. Jésus‑Christ.



Jean 7.47 Les Pharisiens leur répliquèrent : "Vous aussi, vous êtes-vous laissés séduire ? - On sent une sourde colère s'agiter dans cette nouvelle question ; les Pharisiens sont seuls mentionnés (cf. v. 45), soit parce qu'ils furent les porte‑parole, soit à cause de la part prépondérante qu'ils avaient prise dans la tentative avortée d'arrestation, v. 32, soit enfin à cause de leur orthodoxie jalouse, qu'irritait vivement l'influence exercée par Jésus. - Vous êtes-vous laissés séduire ? Même vous, les serviteurs du Sanhédrin, qui devriez être loyaux entre tous les hommes. L'hypothèse leur paraît tellement forte qu'ils l'introduisent en grec, comme au v. 35, par la particule Μή, cf. v. 52. - Le qualificatif correspondant à séduits dans le grec ne désigne pas une simple erreur, mais un éloignement essentiel et fondamental de la vérité, cf. v. 12 ; 1 Jean 1, 7 ; 2, 26 ; 3, 7.



Jean 7.48 Y a-t-il quelqu'un parmi les Princes du peuple qui ait cru en lui ? Y en a-t-il parmi les Pharisiens ? - C'est-à-dire parmi les membres du Sanhédrin ; car ils étaient comme les "archontes" des Juifs. - quelqu'un… qui ait cru. L'emploi du singulier est très expressif. Est‑ce qu'un seul des Sanhédristes a cru en lui ? On vient de citer les membres du Grand Conseil, en tant qu'ils étaient les chefs de la nation théocratique ; on cite maintenant les Pharisiens, comme les modèles d'une vie et d'une croyance parfaites selon la Loi. Étrange procédé d'intimidation. Il n'était permis à personne de penser ou d'agir autrement que ces deux catégories d'individus, qui prétendaient être une règle vivante de foi et de conduite.



Jean 7.49 Mais cette populace qui ne connaît pas la Loi, ce sont des maudits." - Cette populaceExpression pittoresque et de profond mépris. En faisant ainsi la leçon à leurs agents, les Pharisiens passent brusquement d'un extrême à l'autre. Nous, vos chefs et vos modèles, nous ne croyons pas à ce Jésus ; voyez maintenant ceux qui croient. - Qui ne connaît pas la loi. (La loi par excellence). Autre expression dédaigneuse pour caractériser le peuple. Le texte grecque, qui marque mieux encore la coutume, un état d'ignorance prolongé. - Sont des maudits. Voilà jusqu'où l'orgueil et la passion haineuse conduisaient les Pharisiens : à leurs yeux, la foule sans instruction était maudite. Le Talmud contient plusieurs détails semblables, qui garantissent la parfaite véracité de celui‑ci. Nulle part l'orgueil scientifique n'a été poussé aussi loin que chez les Juifs, surtout à cette époque. Les docteurs se nomment un "peuple saint" par opposition au vil "peuple de la terre", qui n'est après tout, osent‑ils dire, qu'abomination et "vermine".



Jean 7.50 Nicodème, l'un d'eux, celui qui était venu de nuit à Jésus, leur dit : - Voyez 3, 1 et le commentaire. - L’un d’eux. C'est-à-dire, tout à la fois membre du Sanhédrin et membre du parti pharisaïque. L'évangéliste appuie sur cette circonstance, pour montrer que, parmi les adhérents de N.-S. Jésus‑Christ, il y avait même de ces personnages influents et célèbres qui, au dire des Pharisiens, devaient être comme nécessairement incrédules. Nicodème ne prend pas encore ouvertement l'attitude d'un disciple de Jésus ; son langage calme, sobre, simple et droit est celui d'un homme honnête qui rappelle à la justice des collègues égarés par la passion. Voyez Actes 5, 32 et ss., la conduite semblable de Gamaliel.



Jean 7.51 "Notre loi condamne-t-elle un homme sans qu'on l'ait d'abord entendu et sans qu'on sache ce qu'il a fait ?" - Cette loi divine que les docteurs s'étaient implicitement vantés de connaître et de pratiquer à fond (v. 49), et qu'en ce moment même ils violaient de la manière la plus indigne. - Condamne‑t‑elle… L'homme quel qu'il soit qui se trouve dans la situation dont il s'agit. "Juger" a ici le sens de condamner. - Sans qu’on l'ait d'abord entendu. La loi, personnifiée, est censée prendre elle‑même des informations, et faire subir un sérieux interrogatoire à l'accusé. - Sans qu’on sache… (Se dit d'une connaissance sûre et complète). Nicodème faisait allusion aux prescriptions formelles de l'Exode, 23, 1, et du Deutéronome, 1, 16 et ss. « Entendre l’autre côté » a été partout et toujours un principe élémentaire de justice.

Jean 7.52 Ils lui répondirent : "Toi aussi, es-tu Galiléen ? Examine avec soin les Écritures et tu verras qu'il ne sort pas de prophète de la Galilée." - Le coup a porté juste, comme le prouve cette sortie violente. Au lieu de répondre à l'argument de Nicodème et de justifier leur conduite, ils s'échappent aussitôt en injures. - Es‑tu galiléen ? Nous trouvons de nouveau la tournure usitée dans les questions de ce genre. Tu n'es pourtant pas… ? Galiléen, sur les lèvres des Sanhédristes, ne peut être qu'un nom de suprême dédain. Ils supposaient, eux aussi (cf. v. 41), que Jésus était originaire de Galilée ; or cette province était l'objet des railleries perpétuelles des habitants de la Judée. Les rabbins vont jusqu'à dire que "tout Galiléen est un soliveau". La Galilée ayant fourni jusqu'alors le plus grand nombre des disciples de Notre‑Seigneur, le mot Galiléen était déjà sans doute devenu un terme de mépris pour les désigner. - Examine avec soin les Écritures. Voyez v. 39 et le commentaire. - Et tu verras : résultat tout à fait certain, suivant eux, du "scruter". Cet impératif est très énergique. - il ne sort pas de prophète de la Galilée. Ils vont citer ce qu'ils croient être une règle absolue dans l'histoire d'Israël : de Galilée (mis en avant par emphase) il ne sort pas de prophète expression pittoresque). L'emploi du temps présent marque ici la perpétuité : jamais de prophètes galiléens. Ces savants oubliaient de la façon la plus grossière un fait important de l'histoire juive ; car certainement Jonas était Galiléen, cf. 2 Rois 14, 25. Peut-être El‑Kosch, la patrie de Nahum, était‑elle aussi une bourgade de Galilée, comme le pense S. Jérôme. Mais quels étranges aveuglements la passion n'est‑elle pas capable de produire. C'est donc à tort que divers exégètes, trouvant une erreur si grossière invraisemblable de la part des membres du Sanhédrin, font dire à ceux‑ci que désormais aucun prophète ne viendra de la Galilée méprisée. Cette explication est forcée, et en contradiction avec les mots "scrute et vois": le fanatisme religieux suffit pour tout expliquer. Nous trouverons bientôt, 8, 33, une erreur semblable provenant de la même source.



Jean 7.53 Et ils s'en retournèrent chacun dans sa maison. - Conclusion du récit. Embarrassés malgré leur rage violente, les Sanhédristes levèrent la séance et s'en allèrent chacun chez soi, sans prendre aucune décision contre Jésus. Ce détail final rend leur défaite très saillante. On a parfois rattaché "et ils s'en retournèrent" à "foule" du v. 43 ; mais alors le verbe serait bien séparé du sujet. Nous avons suivi le sentiment le plus naturel et le plus commun.

CHAPITRE 8



Jean 8.1 Jésus s'en alla sur la montagne des Oliviers. - Les versets 1 à 11 étant omis dans certains manuscrits, c'est ici le lieu de discuter la question controversée de leur authenticité. Nous signalerons les arguments défavorables avec autant de franchise et de loyauté que les arguments favorables, et nous verrons lesquels l'emportent dans la balance de la critique. Disons d'abord que la foi ne nous semble pas engagée en cette affaire. Sans doute, le concile de Trente (Session 4) a défini que la Bible Vulgate entière est authentique ; mais il ne semble pas que les Pères du Concile de Trente aient voulu désigner par ces mots une série quelconque de versets : ils avaient directement en vue les livres ou parties deutérocanoniques des Saintes Écritures que les protestants rejetaient comme apocryphes. Or, l'épisode de la femme adultère (8, 1-11) ne rentre pas dans cette catégorie. - Nous examinerons en premier lieu les arguments extrinsèques, en second lieu les arguments intrinsèques qui sont proposés soit par les adversaires, soit par les défenseurs de l'authenticité.

1. Les arguments extrinsèques consistent dans les manuscrits, les versions et les écrits des Pères.

1° Les manuscrits anciens les plus importants, c'est-à-dire les plus anciens, omettent complètement les douze versets dont nous parlons (א, A, B, C, L, T, X, Δ ; il est vrai que A et C sont incomplets et mutilés en cet endroit ; mais on a calculé que les pages disparues seraient insuffisantes pour contenir l'épisode). De nombreux manuscrits en écriture cursive (soixante environ) les ont pareillement omis ; de même une trentaine d'évangéliaires. Là où on les trouve, tantôt ils sont notés comme douteux au moyen de l'astérisque ou de l'obèle (par exemple dans E, M, S, Λ, II,) ; tantôt ils occupent des places extraordinaires (les minuscules 1, 19 et 20 les renvoient à la fin du quatrième évangile ; 13, 69, 124, 346 les insèrent après Luc 21, 38) ; toujours le texte en est très flottant et présente des variantes multiples : nouvelle preuve, assure‑t‑on, du peu de cas que l'on faisait de tout ce passage. - A cela que répondre ? Sans doute, parmi les manuscrits de premier ordre, nous n'en pouvons citer qu'un seul, le Codex D, qui contienne l'histoire de la femme adultère, et encore ne remonte‑t‑il qu'au 6ème siècle ; mais il est à peu près démontré qu'il est lui‑même une copie d'un texte très antique, du 3ème ou du second siècle (voyez des preuves dans Hug, Einleitung in die Schriften des N. Test., t. 1, p. 124 et ss. ; Études relig., philos., historiq., 1877, n° de février, p. 147 et ss.) : son autorité est donc réellement très sérieuse. D'autres manuscrits anciens contiennent aussi notre fragment (F, G, H, K, V, T, du 7ème au 9ème siècle). Quant aux "minuscules" nous en pouvons alléguer plus de trois cents. Plusieurs évangéliaires et livres liturgiques prescrivent la lecture de ces [onze] versets aux fêtes de quelques saintes pénitentes. Certes, tout cela vaut bien quelque chose. Et les manuscrits qui déplacent l'épisode ou qui le notent d'un signe quelconque sont‑ils donc si défavorables à l'authenticité ? Le fait de l'insertion n'est‑il pas le principal ? Même remarque pour L et Δ, qui laissent un espace blanc après 7, 52 ; les copistes montraient ainsi que l'omission leur causait une certaine répugnance. Les variantes du texte n'ont rien d'étonnant dans un pareil état de choses.

2° Les versions. Un fait analogue se reproduit ici, comme il est naturel de s'y attendre, les versions dépendant des manuscrits qui leur servirent de base. La Peschito et la traduction syriaque de Philoxène, le copte, l'arabe, l'arménien, le gothique, le sahidique et plusieurs manuscrits très anciens de l'Itala n'ont pas ce célèbre récit ; par contre on le trouve dans la Vulgate, dans la plupart des exemplaires de l'Itala, dans les versions persane, éthiopienne, syriaque de Jérusalem, etc.

3° Même phénomène encore pour les Pères ; leur autorité se contrebalance extérieurement, car si l'Orient est muet pendant un certain temps, l'Occident parle très haut en faveur de l'authenticité. Voici du reste la manière dont les voix se répartissent. Rien dans les écrits de Tertullien et de S. Cyprien, là même, nous dit‑on où ils auraient dû citer notre fragment s'ils l'eussent connu (Tertull. de Pudicit, 6 ; S. Cypr. Ep. 55) ; rien dans Origène, dans Théodore de Mopsueste, dans S. Jean Chrysostome, dans S. Cyrille d'Alexandrie, dans S. Basile, dans Nonnus, dans Théophylacte, quoique plusieurs d'entre eux aient commenté le quatrième évangile ; rien non plus dans les anciennes "Catenae" [chaînes] grecques. Euthymius (au 12ème siècle) explique ce passage, en ayant soin toutefois de dire qu'il manque dans les manuscrits les plus exacts ou qu'il y est marqué d'un obèle. D'autre part le recueil intitulé Constitutions apostoliques, qui date du 3ème siècle, mentionne en propres termes (2, 24, 4) le pardon accordé à la femme adultère. Non seulement S. Jérôme cite le morceau contesté, mais il a soin d'ajouter, Adv. Pelag. 2, 17 :« Dans plusieurs manuscrits grecs et latins de l’évangile de saint Jean, on trouve le récit de la femme adultère qui a été accusée devant le Seigneur ». On le trouve à la même époque dans les œuvres de S. Pacien (Ep. ad Sympr. 3a, n°2), de S. Augustin, de S. Ambroise, de S. Léon le Grand, de Jacques de Sarug (5ème siècle). Le silence des autres peut avoir été simplement accidentel : ainsi, S. Jean Chrysostome a omis de commenter le passage 7, 46-8, 21, et Théodore de Mopsueste ne nous a également laissé que des fragments de commentaires. Mais voici qui est tout à fait positif et significatif. La Providence a permis que S. Augustin et S. Ambroise, non contents de rendre témoignage à l'authenticité de cet épisode, indiquassent en outre le motif pour lequel un si grand nombre de documents l'ont éliminé. « Qui ne comprend pas que le mari doit pardonner ce qu’il voit que le Seigneur a pardonné. Mais cela, le sens des infidèles l’a en horreur. Au point que certains dont la foi est faible, ou qui sont plutôt des ennemis de la vraie foi, ayant peur, je crois, d’accorder à leurs femmes une impunité dans le péché, enlèvent de leurs Bibles l’indulgence dont a fait montre le Seigneur envers la femme adultère, comme s’il avait accordé la rémission du péché, quand il a dit : ne pèche plus désormais. » cf. S. Ambroise lettre 26, 2. L'omission provint donc, au début, de la crainte exagérée que les incrédules, ou les ignorants, et surtout les faibles, ne vinssent à abuser de cette histoire. Nicon, quoique venu beaucoup plus tard (13ème siècle), confirme le fait lorsqu'il reproche aux Arméniens d'avoir supprimé dans leurs traductions l'épisode en question. On comprend, après cela, que, dans certains manuscrits grecs, l'omission ne commence qu'à partir de 8, 3. - De tout ce qui précède, il résulte que "dès le 3ème et même dès le 2ème siècle, l'histoire de la femme adultère faisait partie de l'évangile de S. Jean ; que, vers le commencement du 6ème siècle au plus tôt, elle disparut peu à peu de la plupart des exemplaires grecs et de quelques exemplaires latins ; que plus tard, c'est-à-dire au 7ème siècle, on recommença à la reprendre, de manière qu'au 10ème siècle elle se retrouvât en possession de la place que lui avait autrefois assignée l'antiquité ecclésiastique". Corluy, Études religieuses, 1. c., p. 153. Or, jamais une pareille réintégration n'a eu lieu pour un texte apocryphe une fois éliminé. Si les versets 7, 53-8, 11 furent rayés pendant quelque temps dans un certain nombre de manuscrits, ce n'est donc pas parce qu'on les croyait d'une autre main que celle de S. Jean.

2. Les arguments intrinsèques allégués par les adversaires de l'authenticité concernent le style et le sujet traité.

1° Le style de ce fragment, a‑t‑on dit, ne serait pas en rapport avec la manière habituelle de S. Jean comme écrivain. Les particules οὖν et ϰαὶ, si fréquentes partout ailleurs, sont à peine employées ici (une seule fois), et c'est δέ qui prend leur place (onze fois). Les autres expressions favorites de notre évangéliste feraient également défaut, tandis qu'on en trouve plusieurs autres dont il ne se sert jamais ou qu'en de rares circonstances (nous signalerons les principales dans le commentaire). Mais ces sortes d'arguments sont d'ordinaire très subjectifs, pour ne pas dire arbitraires ; aussi plusieurs des critiques qui rejettent ce passage comme apocryphe, ont‑ils avoué que beaucoup d'exemples cités ne prouvent absolument rien (voyez une bonne réfutation dans Patrizi, In Joannem comment., p. 94 et 95). Combien d'autres épisodes du quatrième évangile où l'on rencontre des mots qui ne reviennent plus ensuite !

2° A propos du sujet traité, nous avons d'abord à recueillir plusieurs aveux précieux, échappés à des auteurs qui traitent cette histoire d'apocryphe. "Malgré les difficultés archéologiques, le récit contient tant de choses conformes au caractère et à la conduite habituelles de Jésus, qu'on incline à le regarder comme un fragment de tradition orale, qui aura eu pour base un fait réel." Lücke. "C'est un fragment de la tradition apostolique, de l'authenticité duquel personne n'eût jamais douté, si on l'avait trouvé dans un des évangiles synoptiques". Keil. "Il porte tout à fait le cachet de la vérité intrinsèque, et ne présente pas la moindre trace d'une invention tardive". Weiss‑Meyer. "C'est une portion authentique de l'histoire évangélique". Plummer. On s'étonne, après cela, d'entendre formuler des objections. Voici les principales, avec l'indication de la réponse. - Première objection. L'épisode de la femme adultère rompt l'organisme des chap. 7 et 8, qui contiennent un sommaire perpétuel des discours de Jésus‑Christ durant la fête des Tabernacles. Réponse : l'épisode n'interrompt absolument rien, car il est placé au début d'une nouvelle journée, 8, 1-3, et ce n'est qu'après l'avoir raconté que l'évangéliste se met à résumer d'autres discours, 8, 12 et ss. - Deuxième objection. Le conflit entre Jésus et ses ennemis est devenu de plus en plus vif, au point que ceux‑ci ont voulu faire arrêter N. -S. ; ils ne sauraient donc être rentrés si promptement en rapports avec lui. Réponse : au contraire, le récit abonde en vérité psychologique. Les Pharisiens, frustrés dans leur espoir, 7, 40-53, font maintenant une démarche personnelle pour « tenter » Jésus (8, 6) ; leur conduite est très naturelle, et ils agiront de même aux derniers moments, alors que le conflit se sera bien autrement accentué, cf. Matth. 21, 23, et parall. - Troisième objection. Jamais, dans le quatrième évangile, les Juifs ne tentent Jésus en lui posant des questions légales. Réponse : Et qu’importe ? Qui avait interdit à S. Jean de citer un exemple de ce genre, si conforme à la conduite habituelle des Pharisiens ? cf. Matth. 22, 15, 34, etc.

Pour conclure cette longue mais nécessaire discussion, qu’on nous permette de donner la parole à un écrivain qui, le plus souvent, n’éprouve pas beaucoup de gêne relativement aux questions d’authenticité. S’il ne rejette pas notre épisode, c’est qu’il aura eu de fortes raisons pour cela. « Le récit de la femme adultère laisse place à de grands doutes critiques. Ce passage manque dans les meilleurs manuscrits ; je crois cependant qu’il faisait partie du texte primitif. Les données topographiques des versets 1 et 2 ont de la justesse. Rien dans le morceau ne fait disparate avec le style du quatrième évangile. Je pense que c’est par un scrupule déplacé, venu à l’esprit de quelque faux rigoriste, sur la morale en apparence relâchée de l’épisode, qu’on aura coupé ces lignes qui pourtant, vu leur beauté, se seront sauvées, en s’attachant à d’autres parties des textes évangéliques… On comprend en tout cas beaucoup mieux qu’un tel passage ait été retranché qu’ajouté. » E. Renan, Vie de Jésus, 13e édit., p. 500 et s. On voit par là si Tregelles, Tischendorf, MM. Westcott et Hort étaient en droit de retrancher nos douze versets du texte sacré, comme ils l’ont fait d’un trait de plume dans leurs éditions. - La particule grecque δὲ traduite ici par or rattache ce verset à 7, 43 ; aussi eût‑il été mieux de ne pas séparer des lignes si étroitement unies. - Jean 8. 1 Jésus s'en alla sur la montagne des Oliviers, cf. Matth. 21, 1 ; 24, 3, etc.). S. Jean ne mentionne le mont des Oliviers en aucun autre endroit de ses écrits. Sur cette colline célèbre, cf. commentaire S. Matth. 21, 1-2. Jésus allait en ce moment y chercher un refuge pour la nuit, cf. Luc. 21, 37 et le commentaire.


Jean 8.2 Mais, dès le point du jour, il retourna dans le temple et tout le peuple vint à lui. Et s'étant assis, il les enseignait. - Mais, dès le point du jour (La racine grecque est « je me lève matin »). C’était le lendemain du huitième jour de la fête, cf. 7, 37 et ss. - Il retourna dans le temple. L’adverbe de nouveau nous ramène à 7, 14 et 37. N.-S. Jésus‑Christ, lorsqu’il était à Jérusalem, passait la plus grande partie de ses journées dans le temple, priant et enseignant. - Et tout le peuple vint à lui. Trait non moins touchant que pittoresque. L’adjectif tout est accentué : toute la masse du peuple accourt auprès de Jésus, dès qu’elle l’aperçoit, pour goûter encore sa parole que personne ne se lassait d’entendre. - Et s’étant assis, il les enseignait. Autres détails très vivants. L’imparfait, à la suite du prétérit (« vint »), exprime la durée. Les évangélistes nous montrent souvent Jésus s’asseyant pour adresser la parole au peuple (cf. Matth. 5, 1 ; Marc. 9, 35 ; Luc. 5, 3, etc.) ; c’est l’attitude du maître qui enseigne avec autorité.


Jean 8.3 Alors les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère et l'ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : - Alors … lui amenèrent (transition )… Le Sauveur et son auditoire furent bientôt douloureusement troublés dans leur sainte occupation. -  Les scribes (l’expression grecque n’est employée nulle part ailleurs par S. Jean ) et les Pharisiens… une femme surprise en adultère… prise sur le fait en grec - Et l'ayant fait avancer. C’est-à-dire, au milieu de cercle formé autour de Jésus par les auditeurs, de manière à attirer tous les regards sur cette malheureuse, qui était là, confuse, comme une pièce à conviction. Le tableau est graphique ; mais la conduite des Pharisiens et des Scribes était bien cruelle.


Jean 8.4 "Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère." - Ils commencent par exposer le fait (verset 4) ; puis ils signalent le châtiment prescrit dans la loi mosaïque pour le crime en question ; enfin ils demandent à Jésus son propre sentiment (verset 5). - Maître : ils cherchent à s’attirer son attention bienveillante pour mieux dissimuler leurs perfides intentions, cf. Matth. 22, 16, 36 ; etc. - Cette femme (avec emphase dans le grec) a été surprise en flagrant délit L’expression grecque si classique qui signifie étymologiquement « dans l’acte même », puis d’une manière générale « en flagrant délit », n’apparaît qu’en cet endroit du Nouveau Testament.


Jean 8.5 Or Moïse, dans la Loi, nous a ordonné de lapider de telles personnes. Vous donc, que dites-vous ? - Dans la loi (ils appuient sur ce mot) Moïse (ils appuient de nouveau sur le nom sacré du grand législateur) nous a ordonné de lapider de telles personnes : le mot grec est tout à fait dédaigneux : les misérables de cette catégorie. - De lapider. Ce supplice spécial n’est pas marqué en propres termes pour l’adultère dans les deux passages du Pentateuque auxquels les Scribes faisaient allusion, Lévitique 20, 10 et Deutéronome 22, 22 ; la mort pure et simple y est édictée. Néanmoins, il ressort évidemment des cas analogues signalés dans le contexte que le législateur avait eu en vue le lapidation. Lévitique 20, 2 et Deutéronome 22, 21, on condamne à cette peine la jeune fille qui n’a pas été trouvée vierge au jour de son mariage ; plus bas, Lévitique 20, 27 et Deutéronome 22, 23, la fiancée qui s’est laissée déshonorer dans une rue sans appeler à son secours est aussi condamnée à être lapidée : pour les époux adultères, mentionnés dans l’intervalle de ces deux cas, le supplice aura dû être le même « a fortiori ». On a donc affirmé sans raison, d’après un texte talmudique, que les adultères n’étaient pas lapidés, mais étranglés ; car Ézéchiel, 16, 38-48, suppose formellement le contraire. Peut-être le châtiment aura‑t‑il été mitigé plus tard, après l’époque de Notre‑Seigneur. - Vous donc : Lui Jésus, par opposition à Moïse et à sa législation.


Jean 8.6 C'était pour l'éprouver qu'ils l'interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt. - Ils l'interrogeaient ainsi… Encore une de ces notes précieuses dont S. Jean entrecoupe son récit pour interpréter certaines situations. - Pour l'éprouver : En quoi consistait précisément la « tentation », ou l’embûche tendue à N.-S. Jésus‑Christ ? D’après la plupart des anciens exégètes, les pharisiens et les Scribes supposaient avec assez de fondement que l’ « ami des publicains et des pécheurs » se montrerait moins sévère que Moïse, et alors ils l’accuseraient auprès du Sanhédrin comme un violateur de la loi (afin de pouvoir l’accuser). Les commentateurs modernes pensent que le jeu des interrogateurs était plus habile encore, et qu’en toute hypothèse Jésus devait tomber dans un piège : s’il renvoyait la coupable absoute, on le faisait condamner lui‑même par le grand Conseil ainsi qu’il vient d’être dit ; s’il la déclarait digne de mort, on le livrait à l’autorité romaine, qui avait retiré aux Juifs le droit d’exécuter les sentences capitales. Mais cette dernière conjecture nous paraît un peu compliquée et hors de la situation ; nous nous en tenons donc à l’opinion ancienne. - Mais Jésus… Pas plus qu’en vingt autres occasions semblables le divin Maître ne se laissera « tenter » par ses ennemis. Il use d’abord contre eux de l’arme la plus puissante en pareil cas, l’arme du silence. - S'étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt. Délicieux tableau, quoique la circonstance soit si triste. On croirait voir chacun des gestes du Sauveur. Assis sur un de ces sièges peu élevés qu’affectionnent les Orientaux, il n’a qu’à s’incliner médiocrement pour atteindre le sol. L’imparfait marque la durée. - Sur la terre : sur la poussière qui recouvrait les dalles du parvis ou de la cour. Par cet acte, Jésus donnait à entendre à ses interrogateurs qu’il ne voulait pas entrer dans le détail de leur question, qu’il ne faisait pas même attention à ce qu’ils lui disaient. C’est en effet, comme maint exemple classique le prouve, le geste d’un homme qui s’absorbe ou feint de s’absorber dans ses pensées, et qui demeure étranger aux choses qui se passent autour de lui. « Sans prononcer une syllabe, en vous bornant à froncer les sourcils, en vous inclinant, ou en fixant les yeux sur le sol, vous pouvez déjouer des importunités fâcheuses », dit Plutarque, 2, 532, cf. Aristophane, Acharn. 31. Il écrivait les péchés de ceux qui l’interrogeaient, disait déjà S. Jérôme. [Écrivait-il les prénoms des femmes avec lesquelles les accusateurs furent eux-mêmes adultères ?].





Jean 8.7 Comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit : "Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre." - Comme ils continuaient à l’interroger : formule énergique en grec, qui exprime une vive insistance. - Il se releva : il se redresse à demi, sans quitter son siège. - Et leur dit. Il daigne enfin parler, mais pour donner au cas de conscience une solution complètement inattendue. - Que celui de vous qui est sans péché. L’adjectif grec est d’un assez fréquent usage chez les classiques, mais on ne le rencontre qu’en cet endroit du Nouveau Testament. Il faut lui laisser son sens le plus général, et ne pas le restreindre, avec quelques commentateurs, aux péchés d’immoralité, ou plus exclusivement encore à l’adultère. - La première pierre fait allusion à une prescription mosaïque, en vertu de laquelle les accusateurs dont le témoignage avait fait prononcer contre quelqu’un la peine capitale, devaient assumer toute la responsabilité de la sentence en jetant eux‑mêmes la première pierre, cf. Deutéronome 17, 7 ; Actes 7, 58. - Lui jette. (avec un article en grec qui rend la scène graphique). Voilà la réponse du divin Maître, avec un art admirable sous l’apparence de la plus grande simplicité. Il laisse à la loi toute sa vigueur contre le crime, mais il dévoile aux Pharisiens leur profonde méchanceté : élevant en effet la question du domaine juridique à la sphère de la morale, il rappelle aux accusateurs, qu’à moins d’un rôle officiel ou d’autres circonstances spéciales, l’homme qui a conscience de sa propre culpabilité ne devrait pas condamner si aisément les autres, cf. Matth. 7, 1. « Cette voix est celle de la justice : la pécheresse est punie, mais pas par les pécheurs ; la loi est observée, mais pas par les prévaricateurs de la loi », S. Augustin. Veulent‑ils assumer toutes les conséquences de leur acte ? Qu’ils le montrent en agissant comme le leur demande Jésus.



Jean 8.8 Et s'étant baissé de nouveau, il écrivait sur la terre. - Il reprend sa première attitude, afin de bien faire voir qu’ils n’auront pas de lui d’autre réponse.


Jean 8.9 Ayant entendu cette parole, [et se sentant repris par leur conscience] ils se retirèrent les uns après les autres, les plus âgés d'abord, [puis tous les autres] de sorte que Jésus resta seul avec la femme qui était au milieu. - Quel autre merveilleux tableau. L’effet d’une aussi simple parole fut aussi puissant que rapide. C’est que, dit Shakespeare, « la conscience fait des lâches de nous tous ». - Ils se retirèrent l’un après l’autre (imparfait pittoresque en latin). Venus en masse et fièrement, car ils étaient sûrs de la victoire, ils s’esquivent maintenant un à un, battus et humiliés. - les plus âgés d'abord. Les plus âgés (non « les plus dignes », ainsi qu’on a parfois traduit) donnent l’exemple de la fuite, ils sont, grâce à leur expérience de la vie, les premiers à comprendre qu’ils se sont fourvoyés dans cette affaire, et qu’il vaut mieux ne pas se compromettre davantage. - Jésus resta seul, pas absolument seul, car le cercle d’auditeurs était là, tout haletant d’attention et d’intérêt ; mais seul relativement aux accusateurs qui avaient tous disparu. - Avec la femme qui au milieu. Elle est toujours à sa place, comme Jésus. “Il ne reste que deux choses : la misère et la miséricorde”, S. Augustin.


Jean 8.10 Alors Jésus s'étant relevé et ne voyant plus que la femme, lui dit : "Femme, où sont ceux qui vous accusaient ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ?" - Jésus, s'étant relevé. Il faisait ce mouvement pour la seconde fois, cf. verset 7. jetant un regard de compassion sur la malheureuse qui se tenait debout devant lui, il lui demanda, comme s’il ignorait ce qu’ils étaient devenus : où sont ceux qui vous accusaient ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ? - Personne est accentué : Quoi ! pas un seul ne vous a condamnée ?


Jean 8.11 Elle répondit : "Personne, Seigneur", Jésus lui dit : "Je ne vous condamne pas non plus. Allez et ne péchez plus." - Personne, Seigneur. Les Pharisiens avaient en effet clairement fait voir, par leur prompte retraite, qu’ils renonçaient à poursuivre l’affaire. - Je ne vous condamne pas non plus. Avec une grande emphase sur « Moi ». Pourquoi, lui, la condamnerait‑il, alors que des juges si sévères n’avaient osé le faire, bien que la loi leur en donnât le droit ? - Allez et ne péchez plus. Il la congédie par cette parole, non sans une recommandation pressante : ne pèchez plus. Cf 5, 14. « Le Seigneur a donc condamné lui aussi, mais le péché, non l’homme », conclut à bon droit S. Augustin. Voyez Luc. 7, 48 et ss., où Jésus traite avec plus de bonté une autre pécheresse, qui était venue à lui poussée par des sentiments de repentir et de foi. Il n’y avait rien, dans ces paroles, qui pût offusquer les Novatiens les plus sévères, et les porter à supprimer de l’écrin évangélique cette perle d’un prix incomparable. - Plusieurs peintres ont été attirés par l’épisode que nous venons d’interpréter, et quelques‑uns d’entre eux en ont assez heureusement traduit les principaux détails, surtout la majesté de N.-S. Jésus‑Christ, sa hardiesse et son calme (le Bassan, le Titien, A. Carrache, Giogione, Rembrandt, Nicolas Poussin, Signol, etc).


Jean 8.12 Jésus leur parla de nouveau, disant : "Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie." - Jésus leur parla de nouveau. « de nouveau » nous ramène au verset 2 de ce chapitre : Jésus reprend sa prédication interrompue momentanément par l’épisode de la femme adultère. Le pronom « leur » désigne les auditeurs d’une manière générale ; d’après le contexte, c’étaient au fond les mêmes que les jours précédents, c’est-à-dire un mélange d’amis et d’ennemis, quoique ceux‑ci paraissent avoir formé l’élément dominant (cf. versets 13, 20, 21, 30, 31, 44, 48, 52, 59). - Je suis. Ces premières paroles de Jésus, énergiquement accentuées, seront aussi les dernières par lesquelles il terminera l’entretien, verset 58. - La lumière du monde. (en grec, la lumière par excellence du monde entier, et pas seulement de la nation théocratique). Admirable symbole du salut apporté à la terre par N.-S. Jésus‑Christ. Nous avons vu que le prologue était rempli de cette idée (1, 4-9), mais le divin Maître n’en avait pas fait encore un usage personnel. Du reste, l’Ancien Testament déjà comparait le Messie à une lumière éclatante (cf. Isaïe 9, 1-2 ; 42, 6 ; 49, 6 ; 50, 3, etc.), et c’est en s’appuyant sur les divines prophéties que les évangiles synoptiques appellent le début de son règne une belle et douce aurore (cf. Matth. 4, 14-16 ; Luc. 1, 78 ; 2, 32, etc). Le Talmud fait aussi le même rapprochement. « R. Biba Sangorius a dit : La lumière est le nom du Messie, comme il est dit dans Daniel 2, 22 ». Echah Rabbathi, f. 68, 4. Que si « le premier Adam était la lumière du monde », Hier. Schabbath, ch. 2, à plus forte raison le second Adam ou le Christ. - Celui qui me suit… Mais il faut que chacun s’approprie, individualise en quelque sorte la lumière qui brille pour tous. Et comment cela ? En suivant Jésus par la foi, de même qu’on marche à la lumière du soleil. Voyez dans l’Imitation de Jésus‑Christ, livre 1, ch. 1, un beau commentaire pratique de cette parole. - A suivre ainsi Jésus on obtient deux merveilleux avantages, qui sont exposés tour à tour en termes négatifs et positifs. Premier avantage : ne marchera pas dans les ténèbres. Les deux négations du texte grec appuient fortement sur la pensée : Il est impossible que… « marcher » représente très bien le douloureux pèlerinage de la vie. L’article devant le mot grec oppose les ténèbres morales du péché, de l’ignorance, à l’unique vraie lumière. - Avantage positif : mais (au contraire) il aura… Cette lumière précieuse, les amis de Jésus n’auront pas seulement le bonheur de la contempler, ils la posséderont en propre et l’auront toujours avec eux pour se faire guider par elle. - La lumière de la vie. « La vie était la lumière des hommes », était‑il dit plus haut, 1, 4 ; maintenant c’est la lumière qui est vie, qui communique la vie supérieure. Voyez, 6, 35 ; Apocalypse 21, 6 ; 22, 14, des locutions analogues : le pain de vie, l’eau qui donne la vie, l’arbre de vie. - De même que l’on avait rattaché le passage 7, 37 et 38 à un rite de la fête des Tabernacles, de même on attribue assez communément pour origine au noble témoignage que nous venons d’expliquer une autre cérémonie de la solennité. Tous les soirs de l’octave, ou du moins le soir du premier jour, on allumait dans le parvis des femmes quatre énormes candélabres d’or, hauts de cinquante coudées [22 mètres], dont les lumières jetaient sur la ville entière un éclat resplendissant. Les prêtres, les anciens du peuple et un grand nombre de simples Israélites, faisaient autour de ces luminaires gigantesques une procession aux flambeaux, en chantant joyeusement des chants sacrés. Ce rite rappelait la colonne de feu qui avait éclairé les Hébreux à travers le désert ; c’était en outre un type de l’illumination morale du monde par Israël, Isaïe 2, 2, etc ; Il est vrai que la fête était terminée depuis la veille, quand Jésus tint ce langage dans le temple ; mais les candélabres étaient encore debout, et l’allusion ne perdait rien de sa force.



Jean 8.13 Sur quoi les Pharisiens lui dirent : "Vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n'est pas digne de foi." - Les Pharisiens lui dirent. A ce témoignage magnifique (verset 12) plusieurs Pharisiens, mêlés comme toujours à la foule (cf. 7, 12), opposent aussitôt la question préalable ; ils interrompent brusquement le Sauveur, l’empêchant de développer sa pensée. - Vous vous rendez témoignage à vous‑même. C’est un fait dont ils prennent acte ; puis ils en déduisent une conséquence, d’après un principe généralement admis et dont Jésus avait lui‑même antérieurement reconnu la vertu, 5, 31 : votre témoignage n’est pas digne de foi, juridiquement valable ; car « Faire son propre éloge est malséant », disaient les Latins. Le Talmud abonde en assertions semblables : « L’homme est partial en sa faveur », Sanhedr. Fol. 9, 2 ; « Personne ne peut être son propre garant », Mischna, Ketuboth, 2, 9 ; etc. Hommes de parti pris, qui se tenaient en pleine lumière du jour, mais qui voulaient une preuve formelle du lever du soleil.



Jean 8.14 Jésus leur répondit : "Quoique je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est véridique, parce que je sais d'où je suis venu et où je vais, mais vous, vous ne savez d'où je viens, ni ou je vais. - Réponse si vigoureuse, et si brillante d’à propos (versets 14-18). Jésus rejette d’abord (versets 14-16) purement et simplement le principe qu’ils ont allégué, car ce principe ne saurait s’appliquer à lui ; il prouve ensuite (versets 17-18) qu’en toute hypothèse il satisfait rigoureusement à la loi qui exige plusieurs témoins. - Quoique je me rende témoignage à moi‑même. Il reprend leurs propres paroles, en appuyant à son tour sur celles qu’ils avaient le plus accentuées : « à moi‑même ». Même quand il est personnel, son témoignage à lui est toujours parfait, conforme à la vérité objective (vrai est mis en avant de la proposition d’une manière emphatique). Est‑il besoin de dire qu’il n’y a pas la moindre contradiction entre cette phrase de N.-S. Jésus‑Christ et celle qu’il avait prononcée quelques mois auparavant devant un auditoire composé des mêmes éléments, 5, 31 ? Là, par une concession transitoire, Jésus daignait permettre qu’on jugeât son témoignage d’après les règles ordinaires ; ici au contraire, il se met à sa vraie place, qui est une place tout divine, et il nie majestueusement que ces règles puissent lui être applicables. Et il donne une preuve péremptoire qu’il ne saurait en être ainsi : Car je sais Son argumentation repose sur l’union essentielle qu’il possède avec Dieu et sur la science adéquate qu’il a de cette union. Je sais est en effet un mot très important dans ce passage : à l’ignorance de ses adversaires (voyez la fin du verset), le Sauveur oppose ses profondes connaissances, la claire évidence dans laquelle il est plongé relativement à ce qu’il est et à ce qu’il affirme. - L’objet de sa toute science est double : 1° d’où je suis venu (au passé en grec, au moment de l’incarnation), c’est son origine céleste (cf. 5, 36 ; 7, 28, 29 ; 8, 42, etc.) ; 2° et où je vais (au présent en grec ; voyez 7, 3 et le commentaire), c’est sa divine destinée : parti du ciel, il y retourne. Ce qui revient clairement à dire : Je sais que je suis Dieu. Donc, puisqu’il est Dieu, non seulement il a le droit de se rendre témoignage à lui‑même, mais personne autre que lui n’est compétent pour témoigner à son sujet. Les hommes sont rarement impartiaux quand ils sont en cause, parce qu’ils se trompent ou parce qu’ils ont intérêt à tromper ; « La lumière fait voir les autres et soi‑même. La lumière se rend témoignage à elle‑même ; elle ouvre les yeux sains ; elle est à elle‑même son propre témoin », S. Augustin, Traité sur S. Jean 35, 4. - Mais vous , vous ne savez pas… Sur les deux mêmes points, les Pharisiens étaient dans une totale ignorance, ainsi que le démontrait leur conduite à l’égard de Jésus. De quel droit essayaient‑ils donc d’invalider son témoignage ? - D’où je viens… Il n’y a qu’un instant Jésus envisageait sa venue comme un fait accompli ; maintenant qu’il la considère relativement à ses ennemis qui ne la connaissent pas, il la sépare du domaine du temps, et il en parle au présent, d’une façon toute générale. C’est aussi en se plaçant au point de vue de leur ignorance qu’il emploie la particule disjonctive ni ; car bien loin de savoir l’une et l’autre de ces deux choses ils n’ont connaissance ni de l’une ni de l’autre.


Jean 8.15. - Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. - Après avoir repoussé le jugement des pharisiens, parce qu’il était entaché d’injustice, Jésus‑Christ signale la cause de leur erreur. - Vous (encore très fortement accentué) jugez selon la chair. L’idée de connaissance (verset 14) se transforme ici en notion de jugement ; mais ce sont des idées connexes, et qui ne connaît pas juge mal. « Selon la chair » signifie, comme au chap. 7, verset 24 (voyez la note), selon les apparences extérieures, par conséquent : d’une manière toute superficielle. Prenant Jésus pour un homme ordinaire, les Juifs devaient nécessairement se tromper dès lors qu’ils prétendaient l’apprécier. - Moi je ne juge personne. Il met sa conduite en parallèle avec la leur : eux qui jugent sans savoir ; lui qui a en mains tous les éléments nécessaires pour juger, et qui cependant s’abstient.


Jean 8.16 Et si je juge, mon jugement est véridique, car je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m'a envoyé. - Et si je juge… Par cette restriction, le Sauveur indique que sa dernière parole ne devait pas être prise dans un sens absolu. Il est juge, c’est un de ses glorieux privilèges (cf. 5, 22, 27) ; mais, il n’exercera ce rôle que plus tard, car actuellement, durant sa vie terrestre, il est avant tout Rédempteur (S. Jean Chrysostome ). Ou bien avec une nuance : quoiqu’il ait le droit de juger, il ne condamne directement personne, car le jugement s’opère de lui‑même (cf. 3, 18). Ou encore, d’après le contexte, et 5, 30 : quand il juge il n’est pas seul mais son Père prononce avec lui la sentence. - Mon jugement est véridique… Mon jugement est conforme à l’idée même de la justice, à son essence. - Car je ne suis pas seulEt pourquoi son jugement est‑il essentiellement infaillible ? C’est que ce n’est pas un simple jugement individuel, mais un jugement auquel Dieu prend part en même temps que lui : mais moi et le Père qui m'a envoyé cf. 5, 30 et le commentaire. « Ne juge pas seul, disent les Pirké Aboth, 4, 12, car personne ne peut juger seul sinon l’unique  (Dieu) ».


Jean 8.17 Il est écrit dans votre Loi, que le témoignage de deux hommes est digne de foi. - Dans votre loi. Nouvelle direction de la plaidoirie du Sauveur. Il va prouver qu’il satisfait pleinement à la loi mosaïque qui réclamait plusieurs témoins. Le pronom « votre » n’est pas le moins du monde « antinomique », comme l’ont prétendu quelques rationalistes, d’après lesquels le quatrième évangile manifesterait des tendances hostiles au Judaïsme ; mais Jésus emploie et accentue ce pronom, parce que les Juifs prétendaient toujours prendre la loi pour base quand ils dirigeaient quelque attaque contre lui, et aussi parce qu’ils attachaient tant d’importance aux prescriptions mosaïques, cf. 7, 49 ; Romains 2, 17. - Il est écrit : c’est le seul endroit où S. Jean se serve de cette formule, par laquelle les autres livres du Nouveau Testament reproduisent d’ordinaire les citations bibliques. - Le témoignage de deux hommes… Le texte hébreu de Deutéronome 17, 6, porte « de deux témoins » ; mais Notre Seigneur fait à dessein ce léger changement pour donner plus de relief à l’argument. Si le témoignage de deux hommes est vrai, combien plus le mien et celui de mon Père, c’est-à-dire le témoignage de deux personnes divines. cf. 1 Jean 5, 9.


Jean 8.18 Or, je rends témoignage de moi-même et le Père qui m'a envoyé rend aussi témoignage de moi." - Jésus présente explicitement ses deux témoins. Le premier, c’est lui‑même : Je rends témoignage de moi-même, s’écrie‑t‑il avec une majesté divine ; le second, c’est son Père céleste, qui l’a envoyé. Jésus lui‑même, par son enseignement et par tout l’ensemble de sa vie ; Dieu le Père, par les miracles qui attestaient si visiblement la mission du Sauveur, cf. 5, 36. - Ce verset est allégué à juste titre par les théologiens pour démontrer la distinction réelle des personnes divines dans la sainte Trinité. Mais prouve‑t‑il bien la thèse de Jésus ? En effet, Notre‑Seigneur annonce deux témoins, et finalement il n’en montre qu’un seul qui remplisse les conditions de la loi, puisqu’il s’appuie de nouveau sur son propre témoignage. Aussi faut‑il admettre que l’argumentation n’a de force complètement probante que pour ceux qui croyaient à la nature supérieure de N.-S. Jésus‑Christ. Les Pharisiens avaient du reste toute facilité pour comprendre et se convaincre à leur tour ; mais ils ne voulaient pas en user.


Jean 8.19 Ils lui dirent donc : "Où est votre Père ?" Jésus répondit : "Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père : si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père." - Ils lui dirent donc : Où est votre père ? Quelques commentateurs anciens et modernes supposent que les Juifs, en adressant cette question, pensaient à S. Joseph, qu’ils regardaient comme le père de Notre‑Seigneur selon la chair : hypothèse qui nous paraît très improbable. Non, les Pharisiens n’ignoraient pas que Jésus faisait allusion à Dieu lui‑même ; et c’est précisément pour cela qu’ils lui demandaient d’une manière ironique : Montre‑nous ton père, car ils savaient bien qu’il ne leur montrerait pas Dieu. Remarquez les termes de la question : Où est votre père ? et non pas : Quel est votre père ? - Jésus leur répondit : Jésus ne fait pas de réponse directe à ces incrédules, et pourtant ils leur donne tous les renseignements qu’ils désirent. - Vous ne connaissez ni moi… cf. verset 14, où cette ignorance avait été déjà reprochée aux Pharisiens. Voyez aussi, 7, 28, une concession contradictoire, mais faite ironiquement et dans un autre sens. - Si vous me connaissiez... S’ils le connaissaient selon sa véritable et divine nature, ainsi qu’ils le pouvaient d’après ses œuvres (5, 36) et son enseignement (7, 16-18), alors ils connaîtraient aussi son Père. « Car, il y a entre le Père et le Fils une relation mutuelle, et, en outre, l’identité de la nature divine (10, 30 ; 14, 7, 9-10 », Corluy, h.l.


Jean 8.20 Jésus parla de la sorte dans le parvis du Trésor, lorsqu'il enseignait dans le temple et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue. - Jésus parla de la sorte Les récentes paroles de Jésus (versets 12-19) ont une telle importance aux yeux de l’évangéliste, qu’il croit devoir, par une de ces notes rapides dans lesquelles il excelle, indiquer le lieu où elles furent prononcées. - dans le parvis du Trésor. Sur cette expression voyez Marc. 12, 41 ; Luc. 21, 2, et nos commentaires. Elle ne désigne pas ici la chambre dans laquelle étaient enfermés les trésors du temple (cf. 1 Maccabées 14,. 49 ; 2 Maccabées 3, 6, 28, etc.), mais la partie spéciale du parvis des femmes où étaient suspendus les troncs destinés à recevoir les pieuses offrandes du peuple - lorsqu'il enseignait dans le temple, cf. verset 2. Le témoignage du Sauveur eut donc toute sorte de circonstances pour le rehausser : la sainteté du lieu, un nombreux auditoire, le rôle magistral de Jésus lui‑même. - Et personne ne mit la main sur lui, refrain historique, avec un certain accent de triomphe cf. 7, 30, 44. Cependant, sous le rapport extérieur, rien de plus facile aux Pharisiens que de mettre la main sur Notre‑Seigneur. Mais de nouveau la Providence veillait à l’immunité du Christ : parce que son heure n’était pas encore venue. Voyez la note de 7, 30.




Jean 8.21 Jésus leur dit encore : "Je m'en vais et vous me chercherez et vous mourrez dans votre péché. Où je vais, vous ne pouvez venir." - Jésus leur dit encore (personne ne l’ayant arrêté) cf. 8, 12. Sans doute dans le même lieu, et devant le même auditoire (leur), et au même jour, après une courte interruption. - Je m’en vais, et vous me chercherez. Peu de jours auparavant, Jésus avait proféré ces mots lourds de menaces. Voyez 7, 33-34 et le commentaire. Mais il les reproduit avec plus de vigueur et de netteté. Bientôt il aura disparu, car il retournera vers son Père ; et alors on le cherchera (c’est l’expression principale) dans la souffrance et dans l’agonie, comme un Sauveur vivement désiré. - Et (malgré vos recherches) vous mourrez dans votre péché. Horrible résultat, expliqué en termes clairs et positifs (au lieu de et vous ne me trouverez pas, 7, 34). Ce sera trop tard alors, le temps de la grâce étant passé, et d’ailleurs ils ne chercheront pas le Christ avec un vif sentiment de foi, mais par un sentiment de désespoir. Mourir dans le péché équivaut à mourir sans contrition et sans pardon, dans l’impénitence finale. - Où je vais, vous ne pouvez venir. Le contraste des pronoms je, vous est plus que jamais accentué, pour bien mettre en relief l’idée d’une éternelle séparation. L’emploi du temps présent indique en effet une chose fixe, qui demeure.


Jean 8.22 Les Juifs disaient donc : "Est-ce qu'il va se tuer lui-même, puisqu'il dit : Où je vais, vous ne pouvez venir ?" - Les Juifs disaient donc (à cause de cette parole qui les avait profondément irrités)… - Est‑ce qu'il va se tuer Voyez plus haut, 7, 35, l’hypothèse analogue que la même menace du Sauveur avait occasionnée ; celle‑ci est plus méchante encore. Comme on l’a dit, ces Pharisiens travestissent odieusement l’élément le plus sublime de l’Évangile. - Puisqu’il dit : Où je vais… D’après l’enseignement des Juifs, les suicidés étaient aussi coupables que les homicides, et la partie la plus sombre de l’enfer leur était réservée : « Ceux ... dont les mains insensées se sont tournées contre eux‑mêmes, le plus sombre enfer reçoit leurs âmes, et Dieu, le père commun, venge sur leurs enfants l'offense des parents » (Josèphe, Guerre des Juifs Livre 3, 8, 5). Et l’on conçoit que les Pharisiens ne voulussent pas suivre Jésus jusque là.


Jean 8.23 Et il leur dit : "Vous, vous êtes d'en bas, moi, je suis d'en haut, vous êtes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce monde. - Et il leur dit. Jésus ne répond pas à ce grossier sarcasme, et il garde son calme majestueux ; mais il rétablit, par une antithèse saisissante, la vérité des faits. C’est pour des causes bien différentes de celle qu’ils ont indiquée que ses ennemis seront incapables de le suivre. - Première cause : la diversité d’origine. Eux et lui appartiennent à des sphères totalement distinctes. Ils sont, eux, d’en bas, et terrestres comme le lieu si bas si vil, si corrompu de leur origine, cf. 3, 6. Il est, lui, d’en haut, et aussi élevé au‑dessus d’eux que le ciel l’est au‑dessus de la terre, cf. 3, 31. - Deuxième cause : la diversité non moins saillante de leurs natures morales. Eux, ils sont de ce monde, et presque partout dans le quatrième évangile cette expression est prise en mauvaise part, pour marquer l’éloignement de Dieu, le siège et le centre du péché. Lui au contraire, il n’a rien de commun avec le monde : je ne suis pas … ; il y a plutôt entre le monde et lui une guerre à outrance.


Jean 8.24 C'est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés, car si vous ne croyez pas que je suis le Messie, vous mourrez dans vos péchés." - Je vous ai dit (cf. verset 21) : à cause de leur origine et de leur nature si mauvaises, ils ne pourront échapper au péché, et ils mourront impénitents. - vous mourrez dans vos péchés. Plus haut nous lisions le singulier dans votre péché, parce que Jésus considérait le péché collectivement dans son affreux ensemble ; ici, le pluriel exprime les manifestations diverses du crime, ses actes spéciaux individualisés dans chaque homme. - Car si vous ne… Notre‑Seigneur explique sa pensée. Il n’était que trop en droit de parler comme il venait de le faire, car il ne restait à ses ennemis qu’une seule ressource pour obtenir le pardon de leurs péchés, et ils semblaient si peu disposés à en profiter. - si vous ne croyez pas que je suis le Messie. Cette unique ressource, c’était la foi à son caractère messianique.


Jean 8.25 "Qui êtes-vous ?" lui dirent-ils. Jésus leur répondit : "Absolument ce que je vous déclare. - Ils lui dirent : Qui êtes‑vous ? Ils durent appuyer avec dédain sur le pronom « vous ». Toi qui fais dépendre la rémission des péchés et le salut éternel de la croyance en ta mission, qui es‑tu donc ? - Jésus leur répondit : "Absolument ce que je vous déclare. Maldonat : « Je suis celui que je vous ai dit être, depuis le début ; que je vous dis toujours, que je vous ai toujours dit : le Christ ». Tholuck et d’autres se rangent à cette interprétation, dont on peut rapprocher le passage analogue de Plaute, Captiv. 3, 4, 91 : « Qui est donc celui‑ci ? Celui que je t’ai dit dès le début ». Autre interprétation : S. Cyrille, et fin XIXème siècle Fritzsche, Stier : « Je suis, depuis le début des choses, de la nature que je déclare être ». Autre interprétation : « Je suis tout à fait cela même que je déclare ». Comme si Jésus disait : Vous me demandez qui je suis. Mais rien de plus facile à connaître. Écoutez ma parole ; elle me révèle absolument, car je suis tout ce que renferment mes propres discours : ma personne est identique à ma doctrine. Ainsi donc, « il en appelle à ses témoignages comme à l’expression adéquate de son être. Ils n’ont qu’à sonder la série de ses déclarations sur lui‑même ; ils y trouveront l’analyse complète de son essence et de sa mission », Godet, h. l.


Jean 8.26 J'ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous, mais celui qui m'a envoyé est véridique et ce que j'ai entendu de lui, je le dis au monde." - Après avoir ainsi nettement répondu à la question de ses adversaires, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ revient sur son assertion du verset 24, afin de légitimer le droit qu’il avait d’adresser aux Juifs de sévères reproches. - J’ai beaucoup de choses… en avant et au pluriel. Ce n’est seulement pas pour une chose, mais pour des fautes multiples qu’il peut les blâmer. - À dire de vous et à condamner en vous. Le second verbe explique le premier et en détermine le sens exact : parler d’eux, c’est les condamner aussitôt, tant leur conduite est manifestement coupable. - La particule adversative mais n’est pas sans quelque obscurité dans ce passage. D’après le sens le plus probable, Jésus opposerait vivement et fortement à l’incrédulité des Juifs le témoignage véridique de Celui qui l’a envoyé, par conséquent sa propre vérité. Même quand je parle contre vous je suis véridique, comme mon Père dont je consulte constamment la pensée . - Ce que j’ai entendu de lui, je le dis. Le pronom grec correspondant à ce que est très emphatique. Ce que j’ai vu, et seulement cela. - Je le dis au monde. Par cette dernière expression Notre‑Seigneur relève de nouveau l’universalité de son enseignement ; il prêche pour le monde entier et pas seulement pour les Juifs, cf. Matth. 28, 19-20. « Monde » n’est pas pris ici en mauvaise part, comme au verset 23.


Jean 8.27 Ils ne comprirent pas qu'il leur parlait du Père. - Douloureuse réflexion de l’évangéliste. Malgré tant de preuves ils ne comprirent pas, aveugles volontaires qu’ils étaient. - Qu’il leur parlait du Père. Court et saisissant commentaire de S. Jean : lorsque Jésus parlait de celui qui l’avait envoyé, il désignait clairement Dieu, dont il procédait par une génération éternelle.


Jean 8.28 Jésus donc leur dit : "Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez qui je suis et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ce que mon Père m'a enseigné. - Jésus donc leur dit. Parce que les Pharisiens n’avaient pas reconnu à son langage sa nature et sa mission divines, Jésus va leur indiquer des événements prochains qui leur dessilleront les yeux. - Lorsque vous aurez élevé... Nous avons vu plus haut (3, 14 ; voyez le commentaire, et comparez aussi 12, 32-33) que le Sauveur désigne par ce verbe son exaltation sur la croix. Il attribue sa mort aux chefs Juifs, dont elle fut l’œuvre en réalité, les Romains n’ayant joué dans le crucifiement de Jésus que le rôle de bourreaux secondaires, cf. Actes 3, 13-35. - Alors vous connaîtrez... met en contraste la science future des Pharisiens avec leur ignorance présente. - qui je suis : que je suis le Messie, le Fils de Dieu, cf. verset 24. Notre‑Seigneur désigne‑t‑il ici une connaissance pratique, basée sur la foi, en d’autres termes une conversion réelle ? Beaucoup d’exégètes l’ont admis, et ils allèguent le passage Luc 23, 48, où l’on voit en effet quelques Juifs croire en Jésus‑Christ immédiatement après sa mort ; mais il nous semble plus conforme à l’ensemble du contexte de laisser au verbe « connaître » sa signification générale : Malgré vous, et forcés par les événements, vous reconnaîtrez alors qui je suis, cf. 7, 33, 34 ; 8, 21. je ne fais rien de moi-même. - La fin du verset, de moi‑même dépend encore de connaîtrez - Je ne fais rien cf. 5, 19. Nouvelle preuve de l’entière conformité qui existe entre la manière d’agir du Christ et celle de Dieu son Père. - Mais je dis ce que mon Père m'a enseigné, cf. 7, 16. « Ce que » est en corrélation avec « selon », et fortement accentué, comme au verset 26. De ses actes, accomplis en union avec Dieu, Jésus revient à sa prédication qui reflète intégralement la pensée divine. Mais il y a plus encore, ainsi que l’exprime si bien S. Augustin, Traité 40, 5 : Pour le Fils, être et savoir sont une seule et même chose : il tient donc la science de celui de qui il tient l’existence : il n’en a pas reçu, d’abord l’être, et ensuite le savoir ; mais, en l’engendrant il lui a communiqué la science, de la même manière qu’en l’engendrant il lui a communiqué l’existence ».


Jean 8.29 Et celui qui m'a envoyé est avec moi et il ne m'a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît." - Quelques commentateurs rattachent encore ce verset au verbe connaîtrez (verset 28) ; il est plus simple de commencer ici une nouvelle phrase. - Celui qui m’a envoyé… Le premier hémistiche (jusque après seul) concerne, d’après la majorité des anciens exégètes, l’union toute divine qui ne cessa d’exister entre le Père et le Verbe incarné. Même après les humiliations de ma naissance humaine, est avec moi, s’écrie le Logos en parlant de son divin Père : rien n’est changé dans nos relations intimes. - Il ne m’a pas laissé seul : la séparation que l’Incarnation semble avoir établie entre Dieu et son Fils n’est en effet qu’apparente. - Parce que introduit la démonstration d’un autre genre d’union, l’union que Jésus en tant qu’homme a perpétuellement avec Dieu. - Je fais toujours ce qui lui plaît. Notre‑Seigneur dut appuyer sur tous les mots ; car ils ont tous ici une grande énergie, surtout fais toujours à la fin de la phrase. Quand on fait toujours ce qui plaît à quelqu’un, qu’on accomplit sa volonté dans les plus petits détails, cela ne prouve‑t‑il pas la plus parfaite harmonie ? Lebrun, dans son suave tableau de l’intérieur de Notre Seigneur Jésus‑Christ, composé sous la direction de M. Olier, a traduit admirablement cette pensée de jésus.


Jean 8.30 Comme il disait ces choses, beaucoup crurent en lui. - Comme il disait ces choses, et en vertu même de ses paroles. Le narrateur, qui avait mentionné quelques lignes plus haut un résultat bien triste, verset 27, en signale maintenant un second, de tout autre nature : beaucoup crurent en lui. Il use de l’expression la plus forte pour marquer la foi (voyez le verset suivant). Partout, dans cet évangile, on voit la double catégorie des croyants et des incrédules relativement à Notre Seigneur Jésus‑Christ, cf. Préface § 5.


Jean 8.31 Jésus dit donc aux Juifs qui avaient cru en lui : "Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, - Jésus dit donc… Malgré l’avis contraire de divers commentateurs, nous ne voyons pas de raison suffisante pour admettre ici un changement de temps ou de lieux. C’est la suite d’un seul et même épisode, cf. versets 2 et 12 . - Aux Juifs qui avaient cru en lui. Quoique légère, cette modification de la formule est significative, car c’est l’indice d’une foi moins énergique, cf. verset 30. Notez en outre le nom de Juifs donné à des hommes devenus croyants ; on ne trouve nulle part ailleurs cette association qui équivaut presque, dans le quatrième évangile, à « une contradiction dans les termes » (Plummer), puisque les croyants sont des amis de Jésus, tandis que, pour S. Jean, les « juifs » sont habituellement ses adversaires les plus acharnés. Du reste, dans toute la suite de l’entretien, ces Juifs devenus fidèles traitent Jésus en ennemi. Ils différaient donc des beaucoup mentionnés au verset précédent. En réalité ils avaient commencé à croire, mais ils retenaient encore la plupart de leurs anciens préjugés ; ils étaient tout ensemble des chrétiens et des Juifs, et c’est ce que l’évangile a ainsi délicatement exprimé. Notre Seigneur Jésus‑Christ essaie d’élever plus haut leur foi ; mais elle fléchit presque aussitôt et se brise, ne pouvant supporter l’épreuve à laquelle il la soumettait. - Si vous demeurez… La conjonction grecque indique que Jésus veut leur imposer une condition. Leur foi n’était qu’à son début, et, en cette matière, « il ne suffit pas de commencer » (Bengel) car tout dépend de la persévérance. A une émotion passagère le divin Maître oppose donc ce qu’il appelle d’une manière énergique et pittoresque « demeurer dans sa parole », y établir en quelque sorte un domicile perpétuel. L’expression est tout à fait dans le style du quatrième évangile (Préface, § 6, 2). - Dans ma parole. (avec emphase sur le pronom grec : « la doctrine qui est mienne »). La parole de Jésus a été la base de leur foi naissante, il faut qu’elle le demeure toujours. Voyez, 5, 38, une pensée analogue, avec un renversement des expressions : « vous n’avez pas sa parole demeurant en vous ». - Cette condition étant remplie, vous êtes vraiment mes disciples. Le mot « vraiment » est visiblement le mot principal : en toute vérité, d’une façon sérieuse, et pas seulement en apparence. Dans le grec, le verbe est au présent (de même dans quelques manuscrits de l’Itala) ; dès cet instant vous êtes des disciples parfaits, si vous êtes décidés à prendre totalement pour guide ma parole infaillible.


Jean 8.32 vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres." - Autre avantage que leur procurera la doctrine de Jésus acceptée avec foi, pratiquée avec obéissance : vous connaîtrez la vérité… Ces hommes connaissaient déjà la vérité révélée dans l’Ancien Testament, mais c’était une vérité imparfaite ; de là l’emploi de l’article grec pour marquer la vérité complète, essentielle, qui est contenue dans l’enseignement de Jésus, ou plutôt qui est Jésus lui‑même, cf. verset 36 ; 14, 6. Nous aimons en effet à voir ici, à la suite de S. Cyrille et de S. Jean Chrysostome, la vérité concrète et vivante, plutôt que la vérité abstraite, envisagée en général (S. Augustin, Bède le Vénérable, Rupert de Deutz, etc.). - Et la vérité vous rendra libres. Les heureux effets vont se multipliant, grandissant. C’est le quatrième qui est mentionné depuis le verset 31 : le début de la foi, la croyance affermie qui demeure, le progrès dans la connaissance de la vérité, une sainte et glorieuse liberté. Bientôt (versets 34-36) nous apprendrons plus complètement en quoi consiste la liberté promise par Jésus comme une récompense de la foi.


Jean 8.33 Il lui répondirent : "Nous sommes la race d'Abraham et nous n'avons jamais été esclaves de personne, comment dites-vous : Vous deviendrez libres ? - Ils lui répondirent… Le sujet clairement indiqué par le récit est les Juifs qui avaient cru en lui du verset 31. Ces disciples imparfaits sont déjà blessés par la réflexion cependant si encourageante du Seigneur Jésus. La vérité vous délivrera. Ils n’étaient donc pas libres, d’après lui. Cela suffit pour surexciter leur orgueil national, et faire reprendre le dessus aux sentiments hostiles qu’ils venaient à peine de dominer et de refouler. - Le lecteur supposera aisément avec quelle fierté ils durent s’écrier : Nous sommes les descendants d’Abraham ; fierté jusqu’à un certain point légitime, puisque Abraham et sa descendance avaient été particulièrement bénis du ciel. - Ils ajoutent, en accumulant les négations : et (en conséquence de notre glorieuse naissance) nous n’avons jamais été esclaves de personne. Ils croient que Jésus leur parle de liberté sous le rapport politique, et la servitude politique n’était‑elle pas incompatible avec leur titre de descendants d’Abraham ? Mais, comme la passion les aveugle de nouveau (cf. 7, 52), et quel pouvoir illimité a l’esprit humain de se faire illusion. Ils oubliaient tout à la fois l’esclavage de leurs pères en Égypte, l’oppression si humiliante que les Philistins et les Cananéens avaient fait sentir à Israël au temps des Juges, la captivité de Babylone, le joug des Grecs, et surtout le joug de Rome, qui en ce moment même pesait si douloureusement sur leurs têtes. « La Judée fut la partie la plus méprisable des esclaves des Assyriens, des Mèdes et des Perses », écrit d’eux Tacites avec une mordante ironie, Hist. lib. 5. Voilà bien ces hommes dont l’historien Josèphe disait à son tour, Ant. 18, 1, 6 : « Ils ont une passion inébranlable pour la liberté, et ils maintiennent que Dieu est leur seul gouverneur et maître ». C’était un principe de l’école pharisaïque que « tous les Israélites sont des enfants de rois » (Sabbath, f. 67, a), et aujourd’hui encore, chaque Israélite répète à sa prière du matin cette bénédiction : « Soyez loué (Seigneur) de ce que vous ne m’avez pas créé esclave ». L’erreur historique où tombaient alors les interlocuteurs de Jésus a paru impossible à quelques exégètes modernes (Tholuck, J. P. Lange, etc.) ; aussi a‑t‑on pensé qu’ils songeaient seulement à revendiquer la liberté de droit, en vertu de laquelle ils demeuraient un peuple libre malgré les circonstances extérieures, et pas la liberté de fait ; mais cette interprétation est forcée et peu rationnelle. - Comment dites‑vous … Le souvenir de sa parole les révolte. Ne sommes‑nous pas libres suffisamment ?


Jean 8.34 Jésus leur répondit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque se livre au péché est esclave du péché. - Jésus leur répondit… Non, ils ne le sont pas, dira Jésus dans sa réponse (versets 34-36), et il le démontrera clairement. - En vérité, en vérité je vous le dis. Par cette formule solennelle, qui équivaut à un serment (« ces paroles sont un jurement », S. Augustin d'Hippone, Traité sur S. Jean 41, 3), le Sauveur amène ses auditeurs au vrai point de vue de la question. Ils pensent à un esclavage politique, tandis qu’il pensait, lui, à des chaînes autrement honteuses et lourdes. - Quiconque se livre au péché. Expression opposée à « faire la vérité » (3, 21), et à « faire la justice » (1 Jean 2, 29 ; 3, 7). Quiconque est accentué : tout homme sans exception, fût‑il Israélite. La tournure grecque, « commettant », désigne très bien l’habitude du péché, une vie passée dans le mal. - Est esclave du péché. C’est là le plus dégradant de tous les esclavages, cf. Proverbes 5, 22 ; Romains 6, 16 et ss. ; 7, 14 et ss. ; 2 Pierre 2, 19. « O la misérable servitude. Le plus souvent, quand les hommes ont de méchants maîtres, ils cherchent à se vendre : non qu’ils ne veuillent avoir aucun supérieur, mais parce qu’ils désirent en changer. Mais l’esclave du péché, quelle ressource a‑t‑il à sa disposition ? Qui peut‑il appeler à son secours ? Devant qui porter ses plaintes ? A quel maître se vendre ? Parfois, l’esclave d’un homme, fatigué des exigences exorbitantes de son maître, trouve le repos dans la fuite. Mais où peut fuir l’esclave du péché ? Partout où il dirige sa course, il se trouve avec lui. Une conscience mauvaise n’échappe jamais à elle‑même... », S. Augustin d'Hippone, Traité sur S. Jean 41, 4). Vérité si manifeste, que les païens eux‑mêmes l’ont souvent et énergiquement exprimée. « D’autant de maîtres que de vices », disait un proverbe romain. « Seul est libre celui qui n’est soumis à aucune domination, et qui n’est l’esclave d’aucune cupidité », Cicéron.


Jean 8.35 Or, l'esclave ne demeure pas toujours dans la maison, mais le fils y demeure toujours. - Quand on est tombé dans cette misérable servitude, il reste pourtant un espoir de délivrance, qui n’est autre que Jésus lui‑même (versets 35-36). Notre Seigneur énonce cette consolante vérité, d’abord au moyen d’un fait général qui sert de transition (verset 35), puis par une application directe de ce fait (verset 36). - Le fait consiste en un exemple emprunté à la vie civile : Or l’esclave… C’est-à-dire, tout esclave en général, et pas seulement l’esclave du péché. - Ne demeure pas toujours dans la maison… cf. 14, 2 ; Hébreux 3, 6. Sans droits reconnus, les esclaves étaient complètement livrés aux caprices de leurs maîtres, qui pouvaient les donner, les vendre, les échanger, les expulser quand bon leur semblait. Pas de domicile permanent pour ces malheureux. - Mais le fils… Tout fils en général, par opposition à l’esclave. Ce serait une erreur de restreindre ici l’expression, pour ne l’appliquer qu’au Fils de Dieu. - Y demeure toujours. En sa qualité d’héritier, le fils demeure toute sa vie dans la maison paternelle. Et c’est ainsi que s’étaient passées les choses sous la tente d’Abraham lui‑même, pour Isaac, le vrai fils, et pour Ismaël, l’enfant de l’esclave, cf. Genèse 21, 10 et ss. ; Galates 4, 22-31.


Jean 8.36 Si donc le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres. - Jésus applique maintenant à sa propre personne et aux Juifs cette vérité universelle. - Si donc (déduction) le fils vous affranchit. Ici, nous croyons qu’il est préférable de ne voir dans « le fils » que Notre Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu par conséquent, l’auteur unique de toute émancipation morale. - Vraiment. Fortement accentué, oppose la vraie liberté à celle que les Juifs se vantaient si faussement de posséder (verset 33). « Liberté pleine et parfaite », dit S. Augustin. Au lieu de l’adverbe grec qu’il emploie si fréquemment, S. Jean se sert ici de « réellement », cf. Luc. 23, 47 ; 24, 34 ; 1 Timothée 5, 3, 5 et 15. - Serez … libres. Des « affranchis » dans la plus noble des significations. « En effet, la loi de l’esprit de vie t’a libéré dans le Christ Jésus de la loi du péché et de la mort », Romains 8, 2. 


Jean 8.37 Je sais que vous êtes enfants d'Abraham, mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne pénètre pas en vous. - Jésus revient à l’objection de ses interlocuteurs (verset 33), pour la réfuter encore d’une autre manière. Laissant de côté les notions corrélatives de liberté et d’esclavage dont il avait fait un si frappant usage (versets 31-36), il passe à l’idée connexe de filiation. Par une série d’arguments irréfutables, il démontre aux Juifs de plus en plus irrités que, bien loin d’être les enfants d’Abraham et de Dieu, ils sont au contraire les fils du démon, versets 37-47. - Je sais que vous êtes enfants d’Abraham. Jésus leur concède ce privilège, mais uniquement sous le rapport extérieur, et dans le sens étroit auquel ils s’arrêtaient eux‑mêmes. Soit, vous êtes, historiquement et naturellement, les descendants d’Abraham ; mais vous n’êtes pas plus que cela. « Pour être postérité d’Abraham, ils n’en sont pas tous les enfants », Romains 9, 7. - Mais… Le Sauveur fait immédiatement une grave restriction. La preuve que vous n’êtes pas les vrais fils d’Abraham, c’est que vous cherchez à me faire mourir, cf. 7, 1, 25, 30, 32, etc. Et Jésus indique le motif de leur haine cruelle et homicide : parce que ma parole ne pénètre pas en vous. Littéralement : « ma parole ne prend pas en vous », comme nous disons en français ; mais la locution équivalente du grec a plus de force encore, le verbe signifiant plutôt « pénétrer ». Donc, « mon langage ne fait pas de progrès en vous ». La divine doctrine est en effet un germe déposé dans les cœurs, pour qu’il y croisse à la façon du sénevé dont Notre Seigneur Jésus‑Christ raconte ailleurs l’intéressante histoire.


Jean 8.38 Moi je vous dis ce que j'ai vu chez mon Père et vous, vous faites ce que vous avez vu chez votre père." - Et pourquoi les Juifs, après avoir reçu la parole du Sauveur (verset 31), ne lui laissaient‑ils pas gagner en eux le moindre espace ? C’est à cause de la différence fondamentale qui régnait entre eux et Jésus‑Christ. Remarquez, dans ce verset et les suivants, l’opposition perpétuelle et saisissante des pronoms « je » et « vous », déjà mentionnée antérieurement, et le fréquent parallélisme, soit des pensées, soit des expressions. - Moi, je vous dis ce que j’ai vu chez mon Père, désignerait collectivement toutes les choses saintes, et sublimes, et parfaites, que Jésus contemplait auprès de son Père céleste, réunies dans une adorable unité. - Ce que j’ai vu Concept tout à fait caractéristique du quatrième évangile, cf. 3, 11, 32 ; 5, 19.- Je dis : il proclamait cela et seulement cela, ainsi qu’il l’a déjà dit à plusieurs reprises, cf. 5 et 7, en plusieurs endroits. - Vous, antithèse pleine de vie. - Vous faites ce que vous avez chez en votre père. La multiplicité des choses mauvaises qu’ils ont contemplées à leur tour auprès de leur père. Ceux des Juifs qui étaient assoiffés de domination charnelle, matérielle, sur les païens et refusaient de reconnaître le Messie, avaient le démon pour père ; ils avaient entendu ses suggestions malsaines. - Vous faites. Est aussi un changement notable. En parlant de lui‑même, Jésus avait dit : je déclare et j’annonce ce que je vois auprès de mon Père ; car la prédication formait la partie centrale de sa vie publique. Maintenant il fait allusion aux œuvres malignes et perfides de ses ennemis : voilà pourquoi il dit : vous faites. - Quelques auteurs anciens et modernes traitent le verbe faire comme un impératif, ce qui est possible grammaticalement ; dans ce cas c’est Abraham qui serait désigné par Jésus comme un modèle : Vous aussi, imitez votre Père et ses œuvres excellentes. Mais le contexte (cf. verset 44) montre que Jésus avait en vue le démon comme le père de ces Juifs là au point de vue moral [nous nous opposons à toute interprétation antisémites des Évangiles]. « Un peu auparavant, il a parlé d’Abraham, mais comme source de leur existence charnelle, et non comme modèle de leur vie spirituelle ; il nommera leur autre père, celui qui ne les a pas engendrés, celui qui ne les a pas faits hommes, mais dont ils étaient les fils, sinon en tant qu’hommes, du moins en tant qu’hommes méchants ; sinon en tant que sa descendance, du moins en tant que ses imitateurs. » S. Augustin, Traité 42, 2 sur S. Jean.


Jean 8.39 Ils lui répondirent : "Notre père, c'est Abraham." Jésus leur dit : "Si vous étiez enfants d'Abraham, vous feriez les œuvres d'Abraham. - Ils lui répondirent. Ils ont compris que Jésus a parlé d’un père différent d’Abraham ; mais, n’ayant pas d’autre réponse à donner, ils se contentent de réitérer leur première assertion (verset 33), en insistant sur leur glorieuse origine : Notre père, c’est Abraham. - Jésus leur dit. Le Sauveur aussi revient sur son affirmation antérieure (verset 37), pour la développer et la mieux démontrer. Sa parole revêt ici la forme d’un vrai syllogisme, dont le verset 39 contient la majeure, et le verset 40 la mineure. Les enfants d’Abraham doivent agir comme ce saint patriarche ; or, vous cherchez à me donner la mort, ce qu’Abraham n’eût jamais fait… - Si vous étiez enfants d’Abraham (plus haut, versets 33 et 37, nous lisions « semen : semence »), vous feriez les œuvres d'Abraham. Tel père, tel fils. C’est du moins ce qui devrait être, quand le père est si recommandable qu’Abraham l’avait été. Jésus rappelle aux Juifs ce principe moral, pour en tirer une triste conclusion.


Jean 8.40 Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j'ai entendue de Dieu. Ce n'est pas ce qu'a fait Abraham. Vous faites les œuvres de votre père." - Mais maintenant… De ce bel idéal qu’il vient de leur proposer, Notre‑Seigneur passe à la réalité des choses, qui contrastait si vivement avec la conduite du père des croyants : vous cherchez à me faire mourir. - Et pour établir leur crime dans un relief plus saisissant encore, il indique l’unique raison qui a suscité contre sa propre personne leur haine mortelle : moi, un homme qui vous ai dit la vérité. Voilà tout son crime ; il leur a dit la vérité en toute franchise. - Et cette vérité qui aurait pu leur faire tant de bien, elle était aussi sainte qu’authentique dans sa source : que j’ai entendue de Dieu. Il y a une forte gradation dans ce reproche : Vous, les prétendus fils d’Abraham, me tuer, moi qui vous dis la vérité, la vérité que j’ai puisée en Dieu. « Elle monte la prière, elle monte de plus en plus », Grotius. Remarquez aussi l’expression si humble, ἄνθρωπον, « homme », par laquelle Jésus définit l’un des côtés de sa nature ; c’est l’unique fois qu’il parle ainsi de lui . - Cela est en avant d’une manière très emphatique : ce meurtre de la pire espèce. - Abraham (votre père.) ne l’a pas fait. Quelle énergique litote. Abraham n’a pas été homicide. Vous faites les œuvres de votre père. - Vous est également très accentué : vous qui prétendez être les fils d’Abraham, mais qui ne l’êtes pas en réalité. - Faites les œuvres de votre père. Leur vrai père, en effet, c’est le démon, comme Jésus l’a déjà insinué, verset 38, et comme il va le déclarer plus formellement encore, verset 44.


Jean 8.41 Ils lui dirent : "Nous ne sommes pas nés de la prostitution, nous avons un seul Père, qui est Dieu." - Ils lui dirent. Ils parlent avec une indignation croissante, car ils soupçonnent maintenant quel est le père dont l’on prétend qu’ils descendent au moral. Eux aussi, ils se mettent à tenir un langage figuré, et ils ne revendiquent plus seulement Abraham, mais Dieu lui‑même, pour père. - Nous ne sommes pas nés de la prostitution… Il n’existe pas le plus léger motif de supposer qu’il y avait, sous cette vive dénégation, une accusation tacite et ignoble lancée contre Notre Seigneur Jésus‑Christ. Le secret de sa naissance miraculeuse avait été admirablement gardé, et tout le monde lui donnait S. Joseph pour père (cf. Luc. 4, 22 et parall.) ; plus tard seulement, quand ils eurent entendu parler de son incarnation, les Juifs inventèrent cette grossière injure qu’ils ont si souvent répétée, cf. Origène, Contr. Cels. 1, 32. D’après le contexte, les interlocuteurs de Jésus prennent ici prostitution comme synonyme d’idolâtrie, acception que ce mot a si fréquemment dans l’Ancien Testament, cf. Exode 34, 15-16 ; Lévitique 17, 7 ; Juges 2, 17 ; 2 Rois 9, 22 ; Ps. 72, 27 ; Isaïe 1, 21 ; Jérémie 3, 1, 9, 20 ; Ézéchiel 16, 15, et surtout Osée 2, 4, 5. - Nous avons un seul père, Dieu. Dans le grec, avec l’article, l’unique vrai Dieu. Noble prétention, et fondée jusqu’à un certain point, ainsi que le prouvent les passages Deutéronome 32, 6 ; Isaïe 23, 9 ; 64, 8 ; Malachie 2, 19, où Dieu daigne lui‑même s’appeler le père d’Israël.


Jean 8.42 Jésus leur dit : "Si Dieu était votre Père, vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens et je ne suis pas venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé. - Et pourtant Jésus doit la détruire encore, de même qu’il a renversé la première. La preuve très catégorique qu’ils ne sont pas les fils de Dieu, c’est qu’ils ne l’aiment pas, lui qui est le « Fils de Dieu » par antonomase, cf. 15, 23 ; 1 Jean 5, 1. - Vous m’aimeriez : il leur serait impossible de n’avoir pas ce sentiment au plus profond de leur cœur, car l’amour règne entre les enfants d’un même père (c’est de Dieu que je suis sorti). - Je suis sorti et que je viens. Locution solennelle, qu’on ne retrouve qu’une autre fois dans la bible, 16, 28. Le premier verbe exprime l’origine divine de Jésus‑Christ ; le second, son apparition historique en tant qu’Homme‑Dieu. S. Augustin en donne un très beau commentaire : « Il en est donc venu comme Dieu, comme son égal, comme son Fils unique, comme Verbe du Père ; et le Verbe est venu vers nous ; parce qu’il s’est fait chair pour habiter parmi nous. Son avènement, c’est son humanité ; sa permanence ; c’est sa divinité », Traité sur S. Jean, 42, 8. - Je ne suis pas… Jésus explique plus complètement sa venue mystérieuse en ce monde : elle est divine tout aussi bien que sa nature, car ce n’est pas de lui‑même qu’il est venu. - C’est lui qui m’a envoyé. Notre‑Seigneur se présentait donc à la fois comme le Fils et comme l’ambassadeur du Très‑Haut.


Jean 8.43 Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez entendre ma parole. - Les choses étant ainsi, demande‑t‑il maintenant à ses auditeurs, pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? L’équivalent grec de « langage », désigne le langage considéré dans son expression extérieure, cf. 4, 42 ; Matth. 26, 73 (« Certainement tu es aussi de ces gens‑là car ton accent te fait reconnaître. »), etc. - Comment donc ne reconnaissent‑ils pas l’accent tout divin de Jésus ? Il va le leur dire lui‑même : Parce que vous ne pouvez… Simple impossibilité morale, assurément, et dont ils sont entièrement responsables. « Ils ne peuvent pas parce qu’ils ne veulent pas », S. Jean Chrysostome. - Entendre ma parole. L’organe de l’ouïe mystique leur manque, et ils ne comprennent pas la prédication du Sauveur.


Jean 8.44 Le père dont vous êtes issus, c'est le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été homicide dès le commencement et n'est pas demeuré dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, car il est menteur et le père du mensonge. - Jésus‑Christ finit par dire ouvertement à ses interlocuteurs juifs ce qu’il leur avait laissé entrevoir d’une manière implicite aux versets 38 et 41 : ils ne sont ni enfants d’Abraham, ni enfants de Dieu, mais fils du démon. - Le père dont vous êtes issus, c'est le diable. Le langage n’est pas moins expressif que la pensée. On ne pouvait adresser à des descendants d’Abraham, à des membres de la nation théocratique, un blâme plus sévère, cf. 1 Jean 3, 8, 10. Le gnostique Héracléon, voulant trouver ici un appui pour son système, rattacha autrement le second génitif au premier, de manière à pouvoir traduire : Vous descendez du père du diable ; d’où il concluait que les Juifs et le démon n’avaient pas été créés par Dieu, mais par le mauvais principe. Nous n’aurions rien dit de cette aberration étrange, si un rationaliste, Hilgenfels, ne l’eût rééditée, cf. Die Evangelien nach ihrer Entstehung und geschicht. Bedeutung, 1854, p. 289. - Et par suite. Jésus rattache naturellement leur conduite à leur origine : celle‑ci est la meilleure explication de celle‑là. - Vous voulez accomplir les désirs de votre père : les passions violentes ; spécialement, d’après le contexte, la haine homicide et l’envie. Les Juifs ne se contentent pas d’agir à l’instar du démon leur père ; ils l’imitent avec un plein consentement : ses exemples funestes ont toute leur sympathie - Il a été homicide (expression grecque qu’on ne rencontre nulle part ailleurs) dès le commencement. C’est-à-dire, dès l’apparition de l’homme sur la terre, aussitôt que l’homicide fut possible. Le démon, en effet, par ses insinuations perfides, a causé la désobéissance d’Adam et d’Eve, d’où est résultée la mort pour tout le genre humain, cf. Genèse 3 ; Sagesse 2, 23-24 ; Romains 5, 12 ; Apocalypse 12, 9 ; 20, 2. Les écrits rabbiniques sont pareillement remplis de cette idée : « L’antique serpent, qui a tué Adam », Sohar Chadasch. Etc. Aussi est‑ce à tort qu’on a parfois appliqué ce dire de Jésus au meurtre de Caïn, cf. 1 Jean 3, 12. Notez l’imparfait de la continuité : l’homicide a toujours fait partie de la nature morale de Satan. Un rapprochement se fait de lui‑même : il n’est pas étonnant que les fils du démon entretiennent aussi des désirs meurtriers, cf. verset 40. - Et n’est pas demeuré dans la vérité (sans article dans le grec). Autre trait caractéristique du diable : il ne s’est pas tenu ferme dans la sphère de la vérité. Ces mots contiennent une allusion évidente à la chute de Satan, comme l’admettent tous les commentateurs catholiques, cf. Jude, v.6. Du reste, tout ce passage est justement classique en théologie : Notre Seigneur Jésus‑Christ n’a rien dit de plus net ni de plus formel sur le chef des démons. - Parce qu’il n’y a pas de vérité (encore sans article : il n’y a pas de vérité) en lui. C’est la même pensée, exprimée en termes positifs et plus énergiques. - Lorsqu’il profère le mensonge... Jésus tire la conséquence des paroles qui précèdent. Un être qui est sorti de la vérité, ment d’une façon perpétuelle, et, quand il ment, il est tout à fait dans son rôle : il dit ce qu’il trouve en lui‑même (expression grecque très forte) cf. 1, 11 ; 2 Corinthiens 3, 5. - Car il est menteur et le père du mensonge. Cette répétition de la même pensée a quelque chose de saisissant.


Jean 8.45 Et moi, parce que je vous dis la vérité, vous ne me croyez pas. - Du père, Jésus‑Christ revient aux enfants, qui ne valaient guère mieux. - Et moi, est une antithèse emphatique. - Quand je dis la vérité, vous ne me croyez pas. Remarquez le ton tragique. D’ordinaire, on croit un homme véridique ; mais les Juifs, fils du menteur par excellence, refusaient naturellement toute créance à Jésus, quoique tout attestât sa véracité.


Jean 8.46 Qui de vous me convaincra de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? - Absolument et fièrement, Notre‑Seigneur proteste contre leur manière d’agir, et il revendique un privilège que personne autre n’a jamais songé à s’arroger. - Qui de vous me convaincra de péché ? Qui d’entre vous pourra prouver que j’ai péché ? Défi vraiment divin et quoique Jésus eût en face de lui des ennemis si acharnés, aucun d’eux n’osa relever le gant. Et pourtant, sa vie était publique et connue de tous. « Jour et nuit, dans les situations les plus diverses, on pouvait l’observer et l’épier, ce que ses adversaires ne manquèrent pas de faire ; malgré cela, personne ne pouvait le convaincre d’un seul péché… En d’autres circonstances, ils l’avaient accusé, mais par derrière, d’être un gourmand, un violateur du sabbat et un révolutionnaire. Pourquoi donc en ce moment aucun de leurs anciens griefs ne leur vint‑il à l’esprit ? C’est qu’ils n’osaient le faire en face même de Jésus, auquel il aurait été si facile de retourner leurs accusations contre eux avec une puissance écrasante ». Schegg, h. l. Il faut laisser au mot « péché » toute son étendue : on enlèverait à la pensée presque toute sa force si on le restreignait au mensonge. - Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Pourquoi le traiter, lui si saint et si divinement parfait, comme le dernier des menteurs ? Voyez, 7, 18, la connexion intime qui existe entre l’innocence et la vérité, le mensonge et le péché.


Jean 8.47 Celui qui est de Dieu entend la parole de Dieu, c'est parce que vous n'êtes pas de Dieu que vous ne l'entendez pas." - Après une courte pause, durant laquelle il attendit vainement leur réponse, Jésus reprit, se chargeant d’indiquer lui‑même le vrai motif de leur conduite si indigne à son égard : Celui qui est de Dieu, Celui dont l’être tout entier dérive de Dieu ; c’est-à-dire, le Sauveur lui‑même, en tant que vrai Fils de Dieu, cf. verset 23 ; 3, 31 ; 15, 19 ; 17, 14, 16 ; 18, 36, 37. - Entend la parole de Dieu (il écoute avec foi et obéissance, comme au verset 43) : et tel était bien le cas pour Notre Seigneur Jésus‑Christ , cf. 3, 34 ; 7, 16 ; 8, 26 ; 17, 8. - Après le principe, l’application : C’est parce que vous n'êtes pas de Dieu que vous ne l'entendez pas. Cette conséquence était indéniable. Donc Jésus leur a une fois de plus démontré qu’ils ne sont pas les vrais enfants de Dieu, parce qu’ils refusent d’écouter l’envoyé du ciel.


Jean 8.48 Les Juifs lui répondirent : "N'avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain et que vous êtes possédé d'un démon ?" - Les Juifs lui répondirent. Ils n’ont cependant rien de sérieux à répondre ; c’est pourquoi ils recourent à la réplique des gens grossiers et vulgaires, l’injure. - N’avons‑nous pas raison de dire (cf. 5, 17). L’emploi du présent semble marquer que l’outrage en question était fréquemment sur leurs lèvres. - Que vous êtes un Samaritain. Un suprême dédain est indiqué soit par ce pronom répété à la fin de la phrase, soit par l’épithète de Samaritain, dont nous avons vu précédemment tout le caractère odieux. Voyez la note de 4, 9. - Et que vous êtes possédé d'un démon ? Comparez 7, 20 et le commentaire. Dans leur haine aveugle, ils en viennent jusqu’à traiter de possédé du démon Notre Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu.


Jean 8.49 Jésus répondit : "Il n'y a pas en moi de démon, mais j'honore mon Père et vous, vous m'outragez. - Jésus répondit. Il se défend, mais avec un calme tout divin. Laissant de côté la première partie de l’injure (« vous êtes un Samaritain »), il se borne à protester contre la seconde, qui était plus odieuse et plus opposée à sa sainteté. - Il n'y a pas en moi de démon. Tout au contraire (mais), de parole et d’action il honore le Seigneur (au présent de la durée), tandis qu’ils osent eux‑mêmes occupés à déshonorer Dieu en maltraitant son envoyé (vous, vous m'outragez ; encore au présent dans le texte grec).


Jean 8.50 Pour moi, je n'ai pas souci de ma gloire : il est quelqu'un qui en prend soin et qui fera justice. - Après cette assertion majestueuse (verset 49) Jésus fait un nouvel appel à la foi des Juifs, d’abord sous la forme d’une menace implicite (verset 50), puis au moyen d’une attrayante promesse (verset 51). - Pour moi. L’antithèse se prolonge et se perpétue, comme nous l’avons dit, jusqu’à la fin du chapitre. - Je n'ai pas souci de ma gloire. Ses adversaires l’injurient et cherchent à lui enlever son honneur. S’il s’en plaint, ce n’est pas qu’il tienne à la gloire. Cherchez en effet ce souci dans la vie de Notre Seigneur Jésus‑Christ. - il est quelqu'un qui en prend soin. C’est à Dieu, évidemment, que Jésus fait allusion. Pourquoi le Christ s’inquiéterait‑il de sa gloire personnelle ? Il sait que son Père s’en occupe, et cela lui suffit. - Et qui fera justice. (même construction au participe présent). Résultat de la divine enquête : le Seigneur prononcera comme un juge suprême entre les parties intéressées, Jésus‑Christ et les Juifs, et il condamnera ces derniers, qu’il trouvera grièvement coupables. L’idée de condamnation n’est ici qu’implicite ; néanmoins elle n’en paraît que plus terrible. C’était un glaive perpétuellement suspendu sur la tête des ennemis de Jésus. Un jour le glaive tomba et les mit en pièces.

Jean 8.51 En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort." - En vérité, en vérité, je vous le dis. Mais le bon Maître a aussi de douces promesses, dont il annonce l’infaillible accomplissement par sa formule habituelle. Aux yeux des croyants (verset 30) et des demi‑croyants (verset 31) et des incrédules qui l’entouraient, il fait briller les précieux avantages de la foi et de l’obéissance à ses paroles. - Si quelqu’un (il n’y a pas d’exception) garde ma parole. Locution très fréquente dans les écrits de S. Jean : versets 52, 55 ; 14, 23 ; 15, 20 ; 174, 6 ; Apocalypse 3, 8, 10. Comparez les expressions analogues : 14, 15, 21 ; 15, 10 ; 1 Jean 2, 3, 4, 5 ; 3, 22, 24 ; 5, 2, 3 ; Apocalypse 12, 17 ; 14, 12 et 14, 24 ; Apocalypse 22, 7, 9 etc. Garder, non seulement au fond du cœur comme un trésor enfoui, mais comme une règle perpétuelle de conduite. - Il ne verra jamais la mort : en grec avec deux négations pour mieux marquer la certitude. L’expression grecque n’existe pas ailleurs dans le Nouveau Testament. Elle dit plus que les deux locutions analogues « il ne verrait pas la mort » (Luc. 2, 26 ; Hébreux 11, 5 ; le « ne pas voir la mort » du Ps. 89, 49) et « tu ne peux m’abandonner au séjour des morts » (Actes 2, 27, 31 ; 13, 35), car elle suppose une contemplation prolongée et une pleine expérience de la mort. - Jamais. Il ne mourra jamais, cf. 11, 26 et le commentaire. Quelques‑uns traduisent à tort : Il ne mourra pas pour toujours. Sans doute il faudra passer par la mort, puisque c’est un châtiment universel ; mais le bonheur éternel lui succédera si promptement, qu’on ne fait d’elle pour ainsi dire aucun compte : car celui qui marche du côté du soleil n’aperçoit pas l’ombre qui est derrière lui.







Jean 8.52 Les Juifs lui dirent : "Nous voyons maintenant qu'un démon est en vous. Abraham est mort, les prophètes aussi et vous, vous dites : Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. - Les Juifs lui dirent... Réponse bien rude après un si touchant appel ; aussi ceux qui la font reçoivent‑ils sans détour le nom de Juifs, cf. verset 31 et la note. Interprétant la promesse de Jésus comme si elle concernait la mort physique, ils sont heureux de trouver dans la puissance qu’il prête à sa parole la confirmation de leur récente injure, verset 48. - Maintenant. Ils appuient sur ce mot. Précédemment ils n’avaient énoncé qu’une hypothèse ; actuellement le doute n’est plus permis, ils ont une complète certitude. Au verset 48 ils se contentaient de dire : « N’avons‑nous pas raison ». - Qu'un démon est en vous . A moins de subir une influence démoniaque, pourrait‑il soutenir une assertion contredite par l’expérience non interrompue de l’humanité depuis la création ? - En preuve de cette expérience, l’orgueil théocratique leur suggère surtout l’exemple d’Abraham, le fondateur de la nation juive, et l’exemple des prophètes : Abraham est mort… L’aoriste grec nous ramène d’une façon pittoresque au moment même où mourait ce grand et saint personnage ; le parfait aurait exprimé l’état de mort. - vous dites. Le pronom est tout à fait dédaigneux, et la formule entière introduit bien la conclusion par l’absurde que tirent ici les Juifs. - Si quelqu’un. Ils citent textuellement les paroles de Jésus. Tous, en effet, goûteront la mort, même les plus fidèles amis du Sauveur ; mais, ainsi qu’il a été dit, tous ne la « contempleront » pas. Sur cette expression pittoresque, qui revient assez souvent dans le Targum et les écrits rabbiniques. Voyez Matth. 16, 18 et le commentaire ; Hébreux 2, 9.





Jean 8.53 Êtes-vous plus grand que notre père Abraham, qui est mort ? Les Prophètes aussi sont morts, qui prétendez-vous être ?" - Les ennemis de Jésus insistent sur leur argument du précédent verset. Est‑ce qu’il penserait à s’attribuer à lui‑même la vie éternelle ? - Êtes‑vous... Avec un redoublement de mépris et de haine (Tu n’es pourtant pas… ?) - Plus grand que notre père Abraham qui est mort ? Et Jésus serait plus grand qu’Abraham, s’il lui était donné d’échapper personnellement à la destinée fatale qui atteignit le père des croyants aussi bien que les hommes ordinaires. Voyez, 4, 12, un rapprochement analogue établi par la Samaritaine entre Notre Seigneur et Jacob. - Les Prophètes aussi sont morts. La construction est irrégulière mais cela est en parfaite harmonie avec l’émotion du langage. - Qui prétendez-vous être ? Autre parole de souverain mépris. Elle est bien dans le style du quatrième évangile, cf. 5, 18 ; 10, 33 ; 19, 7, 12 ; 1 Jean 1, 10.


Jean 8.54 Jésus répondit : "Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien, c'est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites qu'il est votre Dieu, - Jésus répondit. C’est une apologie directe que Notre Seigneur entreprend. Il réplique d’abord (versets 54-55) à l’accusation de vaine gloire qui était contenue dans les dernières paroles de ses interlocuteurs : Qui prétendez-vous être ? Puis (verset 56) il démontre qu’il est véritablement supérieur à Abraham. - Si je me glorifie moi‑même. L’accent est sur « moi‑même ». Si je cherche moi‑même à « me faire » quelque chose, comme vous le prétendez. Dans ce cas, en tant qu’il est homme et d’après ce qui se passe habituellement chez les hommes, qui essaient personnellement de se faire valoir, sa gloire se réduirait à rien. - C’est mon Père qui me glorifie. Tout son honneur venait de Dieu même, ainsi qu’il l’avait déjà dit quelques lignes plus haut, verset 50. Son père, en effet, le glorifiait de mille manières, attestant à chaque pas son origine et sa mission divine. La tournure grecque marque très bien la continuité. - Lui dont vous dites qu’il est votre Dieu. L’ironie perce à travers cette formule, qui, en outre, relève la forme du témoignage rendu à Notre Seigneur Jésus‑Christ par son père. Quel est celui qui me glorifie ? Précisément ce Dieu auquel vous prétendez être unis par des liens si étroits.


Jean 8.55 et pourtant vous ne le connaissez pas, mais moi, je le connais et si je disais que je ne le connais pas, je serais menteur comme vous. Mais je le connais et je garde sa parole. - Et pourtant vous ne le connaissez pas. Quelle différence entre leurs prétentions (vous dites) et la réalité. Jésus ne pouvait adresser au peuple de la vraie religion et du vrai Dieu un plus dur reproche. Mais le Talmud est là pour prouver que le reproche était fondé : la théologie rabbinique abondait en idées fausses, injurieuses à la nature et aux attributs de Dieu. - Mais je le connais. Leur ignorance rappelle au Sauveur sa science si parfaite, sur laquelle il insiste pendant quelques instants. Le mot grec utilisé ici, Οἶδα, exprime une connaissance intuitive et parfaite ; un autre mot aurait indiqué le savoir progressif que procurent l’étude, ou l’expérience, ou une révélation partielle, cf. 17, 25. - Et si je disais que je ne le connais pas, je serais menteur comme vous. Jésus revient à ses paroles antérieures, verset 44, pour grouper en un faisceau, à la fin des discours, les principales accusations qu’il avait lancées contre les Juifs. Quelle noble énergie de langage. - Mais je le connais. Répétition emphatique. - Et je garde sa parole, cf. verset 29. Jésus fait pour son Père ce qu’il demande aux âmes fidèles de faire relativement à lui‑même (15, 10 ; 17, 11, 18). Sur l’expression, voyez la note du verset 51.





Jean 8.56 Abraham votre père, a tressailli de joie de ce qu'il devait voir mon jour, il l'a vu et il s'est réjoui." - Notre Seigneur montre d’un mot combien il est supérieur à Abraham, cf. versets 52 et 53. - Abraham, votre père. Il avait contesté ce titre au point de vue moral, versets 39 et 40 ; il l’admet sous le rapport extérieur et historique, pour renforcer sa démonstration. Abraham, dont vous vous vantez d’être les fils, cf. versets 33, 37, etc. - A tressailli. le mot grec correspondant est une expression très énergique. Voyez Luc. 1, 47 et le commentaire. - de ce qu'il devait voir mon jour Votre père a tressailli d’allégresse en vue de voir… C’était une allégresse anticipée, dont le but, l’objet était de contempler de ses propres yeux le jour du Christ. On conçoit que cette magnifique perspective ait d’avance rempli le cœur d’Abraham des plus suaves délices. - Mon jour. il ne faut pas seulement entendre tel ou tel jour isolé de la vie de Notre Seigneur Jésus‑Christ ; par exemple son Incarnation ou sa Passion (S. Jean Chrysostome) ; c’est un terme collectif, qui désigne la période entière de son apparition et de sa manifestation parmi les hommes (S. Cyrille), cf. 17, 22. C’est la grande et glorieuse époque du salut, vers laquelle tout convergeait dans l’Ancien Testament. Les Rabbins la nommaient aussi « jours du Messie ». - Il l’a vu… Le souhait si ardent d’Abraham a eu sa pleine réalisation. Mais quand et de quelle manière ? Les exégètes ont de tout temps discuté sur ce point, sans pouvoir arriver à se mettre d’accord. D’après Jansénius (qui est, croyons‑nous, le créateur de cette opinion), Maldonat, Cornelius a Lap., et un certain nombre d’auteurs, c’est seulement après sa mort, et du sein des limbes où il prenait encore part aux destinées joyeuses ou tristes de sa nation (cf. Luc. 16, 12 et ss.), qu’Abraham aurait assisté à la vie de Notre Seigneur Jésus‑Christ. Mais le verbe « a vu » paraît demander plus que cela. Nous croyons, avec les pères et la majorité des commentateurs anciens et modernes, que le Sauveur fait ici allusion à un événement qui se passa du vivant même d’Abraham, cf. Hébreux 11, 13. Toutefois, un nouvel embarras surgit pour déterminer l’événement spécial auquel il a pensé. Presque tous les passages messianiques de l’histoire du Père des croyants ont été allégués : sa vocation et la promesse qu’en lui seraient bénies toutes les générations de la terre, Genèse 12, 1-3 ; l’apparition célèbre des trois anges, parmi lesquels aurait été Dieu lui‑même ou le divin Logos, Genèse 18 ; la naissance d’Isaac, en qui Abraham aurait contemplé par la foi le Messie, son descendant, Genèse 21, 1 et ss. ; le sacrifice d’Isaac, acte d’obéissance héroïque qui fut récompensé par les plus glorieuses promesses, Genèse 22, 1-18. Le mieux serait peut-être de réunir ensemble tous ces faits, dont la masse forme un brillant panorama de la vie future du Christ, au propre et au figuré. Chose étonnante, le Targum de Jérusalem (in Genèse 15) et les écrits talmudiques supposent qu’Abraham eut des visions divines, qui lui manifestèrent l’avenir entier de ses enfants jusqu’au jour du Messie inclusivement. - Et il s’est réjoui. Il se réjouit, ses aspirations les plus intimes étant satisfaites. Le verbe marque une joie calme, qui pénètre l’âme, mais qui ne se manifeste pas nécessairement au dehors.


Jean 8.57 Les Juifs lui dirent : "Vous n'avez pas encore cinquante ans et vous avez vu Abraham." - Les Juifs lui dirent. Les Juifs ont compris que Jésus avait été contemporain du fait cité par lui ; mais de là découlait une conséquence étrange, qu’ils lui objectent avec indignation. - Vous n’avez pas encore cinquante ans. S. Jean Chrysostome et quelques rares manuscrits ont lu « quarante » ; mais c’est une correction évidente, pour diminuer le nombre des années, que plusieurs avaient trouvé trop considérable. A cette époque, en effet, le Sauveur n’avait pas trente‑cinq ans (voyez, dans notre Introduction générale aux SS. Évangiles, le chapitre consacré à la chronologie). Toutefois, si les Juifs citent un chiffre si élevé, ce n’est pas, comme on l’a dit, parce que Jésus paraissait âgé d’environ cinquante ans, et moins encore parce qu’il avait en réalité cet âge (ainsi que l’ont pensé S. Irénée, Contre les Hérésies 2, 22, 5, et fin XIXème siècle Bunsen, Keim, etc.). C’est un nombre rond, représentant la moyenne générale de la vie humaine et la maturité (Nombres 4, 39 ; 8, 24 et s.). Il équivaut, d’après l’excellente interprétation de Grotius, à cette autre proposition : « Vous n’avez pas un demi‑siècle ». Qu’importaient quelques années de plus ou de moins, relativement aux vingt siècles qui s’étaient écoulés depuis Abraham ? - Et vous avez vu Abraham ? Notre Seigneur avait dit : « Abraham a vu mon jour ». Ses ennemis retournent la phrase, pour conclure plus aisément que lui aussi avait dû voir Abraham et vivre de son temps. Ils ne se trompaient pas.


Jean 8.58 Jésus leur répondit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fut, je suis." - En vérité, en vérité, je vous le dis. C’est pour la troisième fois que nous lisons ces mots depuis le verset 31 (cf. versets 33 et 51) ; ils avaient rarement introduit une affirmation aussi solennelle, aussi décisive. - Avant qu’Abraham fût. Littéralement en grec «  avant qu’il devînt », avant sa naissance. - Je suis. Changement remarquable d’expressions et de temps. “Reconnaissez le Créateur, et discernez la créature”, dit admirablement S. Augustin. Il y a en effet dans ces mots si simples toute la différence qui sépare Dieu de l’homme. Il fut un temps où Abraham n’existait pas ; un jour, il « devint », il naquit. Rien de semblable pour Notre Seigneur Jésus‑Christ : il « est » d’une manière permanente, éternelle ; donc il est Dieu, cf. 1, 1, 6. Voyez au Ps. 89, 2, une antithèse identique : « Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi, tu es Dieu ». N’ajoutons rien, la parole de Jésus est aussi claire que possible, et son auditoire en saisit toute la portée.


Jean 8.59 Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter, mais Jésus se cacha et sortit du temple. - Ils prirent des pierres... Dans un paroxysme de rage ils s’élancent sur lui comme sur un blasphémateur, pour le lapider sommairement, cf. Lévitique 24, 16. - Des pierres. Les « armes de la foule » (Bengel) furent le dernier argument des Juifs contre Jésus. Le temple d’Hérode était toujours en construction, et les pierres ne manquaient pas dans les cours. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 17, 9, 3, mentionne une lapidation qui eut pareillement lieu, cf. 2 Chroniques 24, 21. - Mais Jésus se cacha. D’après Euthymius et d’autres exégètes, Notre Seigneur se serait rendu invisible par un miracle de sa toute‑puissance. Nous préférons prendre le texte évangélique à la lettre, avec S. Jean Chrysostome et S. Augustin : « En tant qu’homme, il se sauve des pierres » : c’est plus humble, mais aussi plus conforme à la situation et à la conduite de Jésus en d’autres circonstances analogues, cf. 5, 13 ; 12, 36, etc. Notre Seigneur se perdit sans doute dans la foule, et il lui fut ensuite aisé de disparaître. - Et sortit du temple.


CHAPITRE 9



Jean 9.1 Jésus vit, en passant, un aveugle de naissance. - S. Justin fait deux allusions manifestes à la guérison de l'aveugle‑né : Apol. 1, 22 et C. Tryph. 69. - Il y a d'abord d'assez long préliminaires, vv. 1-5, puis le fait est raconté, vv. 6 et 7. Jésus vit, en passant. - Il est probable qu'il y eut quelque intervalle entre la tentative ratée de lapidation de Jésus et la rencontre de l’aveugle de naissance. - Jésus vit. Ce dut être un regard particulier et prolongé, puisque l'attention des disciples fut aussitôt suscitée. Jésus ne contemplait jamais avec indifférence les misères humaines, et, dans cet aveuglement, il voyait l'objet spécial des miséricordes et de la gloire de son Père. - Un aveugle de naissance. Notez cette circonstance, qui n'est pas mentionnée pour les cinq autres guérisons d'aveugles opérées par Notre‑Seigneur (Matth. 9, 27, 31 ; 12, 22 ; 20, 30 ; 21, 14 ; Marc. 8, 22-26) ; elle a pour but de relever la grandeur du miracle. Ainsi qu'il sera dit plus bas (v. 32) en termes exprès, « Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance ». D'après le v. 8, le pauvre infirme était assis et mendiait.



Jean 9.2 "Maître, lui demandèrent ses disciples, est-ce que cet homme a péché, ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?" - lui demandèrent ses disciples. Vingt exemples analogues en font foi : c'était la coutume des disciples d'interroger familièrement leur Maître toutes les fois qu'ils voulaient élucider un point obscur. Souvent leurs questions furent bien étranges, et tel est précisément le cas ; Jésus répondait toujours avec la plus grande bonté, et profitait de ces diverses occasions pour éclairer leurs intelligences, mais encore et surtout pour améliorer leurs cœurs. - Maître, qui a péché... ? Ils n'éprouvent pas le moindre doute à ce sujet : un péché, évidemment un péché grave, a dû être commis, puisque le châtiment est là sous leurs yeux, si terrible et si manifeste : pour qu’il soit né aveugle (dans le texte grec, ἵνα exprime un résultat direct, voulu de Dieu). Tel avait été déjà le raisonnement des amis de Job : Tu es un grand coupable malgré tes protestations d'innocence ; autrement Dieu ne t'aurait pas traité de la sorte (voyez Vigouroux, Manuel biblique, t.2, p.220 et ss de la 3e édit.). C'est là, du reste, un préjugé populaire qu'on rencontre dans tous les temps et dans toutes les contrées. Jésus l'avait antérieurement réfuté devant les siens, car il était très commun chez les Juifs d'alors. Luc. 13, 1-4. Les païens de l'île de Malte, quand ils virent S. Paul, à peine sauvé du naufrage, mordu par une bête venimeuse, ne manquèrent pas de penser aussi qu'il avait gravement offensé les dieux, Actes 28, 4. C'est le dogme de la rétribution poussé jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes ; car, s'il est vrai d'affirmer que tous les maux dont nous souffrons ici bas ont eu le péché pour cause, on tomberait fréquemment en d'étranges erreurs si l'on préférait faire des applications individuelles de ce principe. Il existe une chaîne qui unit les crimes des hommes et leurs calamités, mais ses anneaux ne sont pas visibles à nos regards. - Cet homme, ou ses parents ? Alternative non moins singulière que la supposition à laquelle elle sert de développement. Pour les péchés des parents, passe encore, attendu que le Seigneur menace expressément dans les saints Livres de visiter les iniquités des pères sur leurs enfants (cf. Exode 20, 5, etc.) ; mais comment les disciples pouvaient‑ils admettre que la culpabilité personnelle du mendiant avait été la vraie cause de son malheur, puisqu'ils le représentent eux‑mêmes comme aveugle de naissance ? On a fait plusieurs hypothèses pour expliquer le langage des apôtres. 1° Ils auraient cru d'une manière plus ou moins vague à la préexistence des âmes, ou à la métempsycose, doctrine dont on trouve des traces chez les écrivains juifs de leur temps (Josèphe, Philon, les Rabbins. Etc.) : on conçoit alors des péchés commis dans une existence antérieure et châtiés pendant la vie subséquente. Toutefois, il est peu probable que les disciples, simples hommes du peuple, soient entrés dans ces raffinements théologiques qui ne devaient guère franchir les murs des écoles. 2° Ils auraient eu à la pensée, d'après d'autres exégètes, une anticipation des fautes de la part de Dieu. Prévoyant que cet homme l'offenserait un jour gravement, Dieu l'aurait puni d'avance en le faisant naître aveugle. Mais cela aussi paraît trop recherché. 3° On a supposé, à la suite d'Euthymius, que les disciples plaidaient le faux pour savoir le vrai. Quelqu'un a péché, voulaient‑ils dire au fond ; qui est‑ce donc, vu que ce ne peut être ni lui ni ses parents ? La simplicité du récit et la réponse de Jésus s'opposent à cette solution. 4° Prenant pour base Genèse25, 22 (la lutte de Jacob et d'Ésaü dans le sein de leur mère) et Ps. 50, 7 (« Moi, je suis né dans la faute »), divers Rabbins ont émis l'opinion que les enfants étaient capables de commettre des péchés personnels même avant leur naissance. Cette théorie semble s'adapter pour le mieux à la question des apôtres, et en donner la clef. Le mendiant avait pu naître aveugle en punition de ses fautes, puisqu'il avait pu commettre des fautes. Telle est l'explication la plus commune. - On s'est demandé aussi comment les apôtres pouvaient savoir que la cécité était « de naissance » ? La réponse est cette fois plus facile. Ils le surent ou par le propre récit de l'aveugle ou par la rumeur, son histoire étant connue des habitants de Jérusalem qui le voyaient depuis longtemps à la même place.



Jean 9.3 Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents n'ont péché, mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. - Jésus répondit. Le Sauveur va corriger doucement, quoique très catégoriquement, l'erreur des siens. - Ni lui… ni ses parents. Il passe sans peine entre les « cornes » du dilemme, aucune des deux hypothèses n'étant correcte ; il nie qu'il existe, dans le cas présent, une connexion particulière entre l'infirmité et le péché, soit de la part de l'aveugle, soit de la part des parents. C'est ailleurs qu'il faut chercher la solution du problème, comme il va le dire bientôt. Évidemment, a péché doit être restreint au point litigieux, c'est-à-dire, « pour qu’il soit né aveugle ». Οὐ παντελῶς ἀναμαρτήτους αὐτούς φησιν, ἀλλʹὅσον εἰς τὸ τυφλωθῆναι αὐτόν, Euthymius. - Mais c’est pour que... (nouvel ἵνα, qui correspond à celui du v.2, et qui indique le vrai but providentiel, au lieu de celui qui avait été mentionné d'une manière erronée) les œuvres de Dieu soient manifestées... Oui, Dieu a permis qu’il naisse aveugle dans une intention spéciale, mais intention toute d'amour et de salut (οὐ ϰολαστιϰῶς ἀλλʹ οἰϰονομιϰῶς, dit encore fort bien Euthymius), puisque ce qui semblait n'être de prime‑abord qu'un affreux malheur pour cet homme, devait faire de lui un instrument (en lui) grâce auquel brilleraient du plus vif éclat les œuvres de Dieu, et notamment la bonté divine, la puissance divine, qui allaient opérer le miracle. Voyez dans les Homélies clémentines (19, 22), qui datent de la moitié du second siècle, une allusion très nette à ce passage. Comparez aussi la parole analogue prononcée par N.-S. Jésus‑Christ durant la maladie de Lazare, 11, 4. - Les disciples, assurément, n'avaient pas songé à ce côté de la question. Et pourtant il n'est pas rare que Dieu permette les épreuves de ses amis pour tirer sa gloire au moins de leur généreuse résignation. Quel noble encouragement à la patience.

Jean 9.4 Il faut, tandis qu'il fait jour, que je fasse les œuvres de celui qui m'a envoyé, la nuit vient, où personne ne peut travailler. - Il faut, tandis qu'il fait jour, que je fasse les œuvres… Ces œuvres de Dieu qu'il vient de signaler, cette manifestation brillante des attributs de son Père, Jésus les rattache maintenant à sa propre personne et à sa mission sur la terre. C'est par mon intermédiaire, s'écrie‑t‑il dans la pleine conscience de son rôle, que tout cela doit s'accomplir. - les œuvres de celui qui m’a envoyé. Chrysostome : "Il faut que je me manifeste moi-même et que je fasse des œuvres qui puissent montrer que je fais les mêmes choses que le Père, non les mêmes œuvres, mais les œuvres mêmes du Père, pour employer une expression signifiant la plus grande similitude à dire qu’elles n’ont pas la moindre dissemblance avec celles du Père." - tandis qu’il fait jour. Jésus appelle jour le temps désormais si limité de son ministère public et de sa vie, cf. v.5. Or, c'est durant le jour qu'on travaille (cf. Ps. 103, 23), et l'on travaille avec d'autant plus d'activité que l'ouvrage presse davantage et que la fin de la journée approche. - La nuit vient : l'opposé du jour, par conséquent la mort du Seigneur Jésus. Cette métaphore existe dans toutes les langues ; il n'est donc pas nécessaire de supposer avec Rosenmüller, Scholia in h.l., que « C’était peut-être déjà le crépuscule, et la nuit allait bientôt arriver » et que Jésus tira de là « l’occasion de dire cette phrase ». - personne ne peut travailler. Aucun homme, pas même N.-S. Jésus‑Christ en ce qui concernait la partie directement personnelle de son ministère. De tout ce verset l'on peut rapprocher un intéressant passage du Pirkè Aboth, 2, 19 : « Rabbi Tarphon dit : Le jour est court, et la tâche est grande, et les ouvriers sont paresseux, et la récompense est considérable, et le maître de la maison est puissant ».



Jean 9.5 Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde." - Tant que je suis dans le monde. Jésus se rappelle qu'il n'a plus que peu de temps à demeurer sur la terre. - Je suis la lumière du monde, cf. 1. 4 et ss. ; 8, 12 (9, 39). Sublime parole, que le Sauveur réitéra plusieurs fois pour la mieux inculquer. Hélas. « la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie », 1, 5.



Jean 9.6 Ayant ainsi parlé, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, puis il l'étendit sur les yeux de l'aveugle et lui dit : - Ayant ainsi parlé. Après ces préliminaires (vv. 1-5), Jésus passe au miracle, qui est dramatiquement quoique succinctement raconté (vv. 6 et 7). - Le rôle du thaumaturge consiste dans trois actes et dans une parole. Premier acte : il cracha à terre ; second acte : il fit de la boue avec sa salive ; troisième acte : il l'étendit sur les yeux de l'aveugle (quelques manuscrits ont ἐπέθηϰεν, « posa » au lieu de ἐπέχρισεν). C'est là, il faut l'avouer, un étonnant moyen de guérison. Ne dirait‑on pas que Jésus ferme et scelle d'abord les yeux qu'il veut ouvrir ? Cependant, en deux autres circonstances (Marc. 7, 33, pour un sourd‑muet, et Marc. 8, 22-26, pareillement pour un aveugle) nous le voyons employer un peu de salive pour opérer de grands miracles. D'un autre côté, nous savons, soit par les classiques latins (Pline, Hist.nat. 28, 7 ; Tacite, Hist. 4, 8 ; Suétone, Vespas. 7), soit par les Rabbins, que la salive d’un homme à jeun et même la boue était alors regardées comme des remèdes pour les yeux malades. Mais il est bien évident que ce n'est pas à cause de leur vertu curative, vraie ou supposée, que N.-S. Jésus‑Christ fit usage de ces deux substances. Ce n'est pas un peu de terre mêlée de salive qui eût pu rendre la vue à un aveugle‑né. Quels motifs spéciaux le guidaient ? Tantôt il guérit par un seul contact ou même par une seule parole, et que tantôt il use de tel élément ou de tel geste. Jésus agissait probablement ainsi pour faciliter l’acceptation par l’aveugle-né du miracle : même s’il est en soi irrationnel de penser que de la boue puisse aider au miracle des yeux, cela peut faciliter l’accueil du miracle. On se souvient qu’à Nazareth, les gens par leur manque de foi, diminuèrent en nombre les miracles que Jésus put faire chez eux. Par ailleurs, plusieurs Pères y voient plutôt un symbole lié à la création de l’homme. S. Irénée a là-dessus un beau passage : « L’écriture dit que Dieu prit du limon de la terre et façonna l’homme. C’est pourquoi le Seigneur cracha sur la terre, en fit de la boue et l’appliqua sur les yeux. Il montra ainsi comment avait été faite la première création, et manifesta à ceux qui étaient capables de le comprendre, la main de Dieu qui avait formé l’homme du limon ». Cf S. Jean Chrysostome Hom. in h.l., et Prudence. Apotheosis, 689 et ss. Jésus aurait donc complété à l'égard de l'aveugle l'acte du Créateur, et par un procédé semblable.



Jean 9.7 "Va, lave-toi dans la piscine de Siloé, mot qui se traduit : Envoyé." Il partit, se lava et s'en retourna voyant clair. - Va. C'est la parole à la suite des actes, et encore a‑t‑elle pour but de prescrire un nouvel acte, mais qui émanera cette fois de l'infirme lui‑même, et non de Jésus. - Lave‑toi. Cela aussi est un symbole, comme l'évangéliste va le dire, et nullement un remède direct, cf. 2 Rois 5, 10. La tradition populaire et légendaire qui attribue, à Jérusalem, une influence heureuse aux eaux de Siloé pour les maladies des yeux, est probablement née de ce miracle. - Dans la piscine de Siloé (εἰς τὴν xολυμδήθραν, à la piscine, au réservoir). La piscine de Siloé est une des rares localités de Jérusalem sur la situation desquelles il existe un accord parfait entre les topographes. La tradition est d'ailleurs claire et certaine à son sujet : avec les détails donnés par l'historien Josèphe, par l'itinéraire du Pèlerin de Bordeaux, par S. Jérôme et par la longue chaîne des auteurs plus récents, il faudrait que l'erreur fût volontaire pour être possible. Le réservoir est situé à peu près en face du village qui porte le même nom, à l'angle S.E. de la ville sainte, « au pied du mont Moriah », suivant l'expression de S. Jérôme, et à l'entrée de la vallée de Tyropéon. Elle est depuis longtemps à ciel ouvert ; toutefois, on y voit encore plusieurs tronçons d'antiques citernes. Ses dimensions sont environ 15 mètres pour la longueur, 5m. de large, et autant pour la profondeur. Elle n'est jamais remplie ; elle ne contient même d'ordinaire que quelques dizaines de centimètres d'eau. Cette eau venait autrefois de plusieurs directions, comme le montrent des conduits souterrains découverts ; mais aujourd'hui le réservoir n'est plus alimenté que par la fontaine dite de la Ste Vierge (comp. le commentaire de 5, 2), située plus au Nord. Son aspect n'est au reste rien moins que romantique, tant elle s'est détériorée dans la suite des siècles ; mais ce n'en est pas moins une relique vénérable, chère aux Juifs (à cause des passages Isaïe 8, 6, et Néhémie 3, 15), aux musulmans et aux chrétiens. Son nom apparaît dans le texte grec sous la forme euphonique de Siloam (Σιλωάμ ; cf. Luc. 12, 4), également employée par les Septante, Flavius Josèphe (qui a pourtant aussi Σιλώα et Σιλόϰ), et les anciens écrivains de l’Église grecque. - Le narrateur interprète ce nom, d'origine hébraïque, à l'intention de ses lecteurs non‑juifs : mot qui se traduit : Envoyé. Mais il se proposait surtout d'indiquer par là-même le motif spécial pour lequel Jésus voulut que la guérison de l'aveugle ne fut complète qu'après un lavage opéré avec les eaux de Siloé, cf. S. August., In Evang. Jean tract. 44, et S. Jean Chrysost., Hom. 57 in Jean En effet, le mot שלוה (Schiloah ; voyez Isaïe, 8, 6) peut très légitimement se traduire par le passif, comme s'il équivalait au participe שלוה (Schaloah) ; il n'a pas nécessairement ici la signification active que lui donnent Roediger et d'autres auteurs. Or, Jésus étant l'envoyé de Dieu par excellence, le « grand apôtre » de notre religion (Hébreux 3, 11), il existait entre lui et la fontaine de Siloé un rapport prophétique et mystique, que S. Jean signale parce qu'il avait occasionné cette circonstance particulière du miracle. Au lieu de ce sens supérieur, relevé, qui est communément admis, Euthymius et Nonnus dans les temps anciens, fin XIXème siècle Bisping, A. Marie, etc., en proposent un autre qui est presque trivial. « Envoyé », d'après eux, représenterait l'aveugle envoyé par Jésus à Siloé. Il n'est pas sans intérêt d'ajouter que la piscine de Siloam jouait alors un rôle important dans le culte juif, durant l'octave de la fête des Tabernacles : chaque matin, on allait en procession solennelle y puiser de l'eau pour le service du Temple, cf. Mischna Yucca, 4, 5, 9, 10. - Il partit, se lava. L'infirme s'en va plein de foi et de docilité ; comme tant d'autres aveugles, il connaissait suffisamment les rues pour pouvoir exécuter cet ordre. - et s'en retourna voyant clair.. Où alla‑t‑il ? Le texte ne le dit pas d'une manière expresse. Chez lui, ce semble, d'après le v. 8 (« voisins ») ; au reste, Jésus ne lui avait pas dit de revenir, et s'en était aussitôt allé lui‑même (cf. v. 35). Selon d'autres, il s'agirait de sa place habituelle, auprès de laquelle il pouvait espérer rencontrer son libérateur. On devine les sentiments de joie qui l'animaient : tout un monde nouveau s'était ouvert à lui. Mais les évangélistes ne s'arrêtent pas à ces détails et s'en vont toujours droit aux faits.










Jean 9.8 Les voisins et ceux qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône, disaient : "N'est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ?" 9 Les uns répondaient : "C'est lui, " d'autres : "Non, mais il lui ressemble." Mais lui disait : "C'est moi." - Les voisins... Des voisins, avec qui l'on a de si fréquents rapports, remarquent un changement - Et ceux qui l’avaient vu... Ces mots désignent une autre catégorie de personnes qui connaissaient aussi fort bien l'aveugle : depuis longtemps on l'avait vu mendier à tel endroit de la ville, son infirmité et la pauvreté des siens l'ayant réduit à ce triste sort. - N’est‑ce pas .. Il résulte de ce tour interrogatif donné à la question que ceux qui la posaient éprouvaient des doutes sérieux, et d'ailleurs bien naturels, sur l'identité du mendiant. « Les yeux ouverts avaient modifié le visage », écrit S. Augustin avec autant de délicatesse que de vérité ; il en faut beaucoup moins pour transformer l'expression d'une physionomie. - Qui était assis et mendiait. Trait pittoresque, surtout dans le grec, où les verbes sont au participe présent (ό ϰαθήμενος ϰαὶ προσαιτῶν), comme si l'aveugle occupait encore cette place où on l'avait si longtemps et si souvent contemplé. Sur cette posture habituelle des pauvres aveugles, voyez Matth. 20, 30. - D’autres... C'est bien lui, disent les uns ; mais l'opinion négative est pareillement représentée : il lui ressemble ; il n'y a là qu'une ressemblance de hasard, ce n'est pas le même homme. - Mais lui... Quant à lui, il tranche fièrement la difficulté, et certes il en avait le droit : oui, c'est bien moi.











Jean 9.10 Ils lui dirent donc : "Comment tes yeux ont-ils été ouverts ?" 11 Il répondit : "Un homme, celui qu'on appelle Jésus, a fait de la boue, il l'a étendue sur mes yeux et m'a dit : Va à la piscine de Siloé et lave-toi. J'y ai été et, m'étant lavé, j'ai retrouvé la vue. - Comment tes yeux... ? L'identité une fois constatée, on veut savoir de quelle manière a été opérée la guérison : c'est la question du mode après celle du fait. - Il répondit : un homme... Le mendiant raconte purement et simplement ce qu'il connaît du miracle. D'après le grec, le pronom ἐϰεῖνος devrait plutôt se rattacher au verbe ἀπεϰρἱθη ; il désignerait par conséquent l'aveugle. Les articles placés devant ἄνϐρωπος et devant λεγόμενος d'après les meilleurs manuscrits, mettent suffisamment en relief la personne du thaumaturge. Notez la manière dont la foi de cet homme va toujours s'accentuant et grandissant. Ici, il ne connaît Jésus que par son nom célèbre et il semble s'être peu inquiété de la mission que le Sauveur pouvait bien remplir ; plus loin, v.17, il le regarde comme un prophète ; puis quelque temps après, v.33, il ira jusqu'à dire que Jésus vient de Dieu ; enfin, v.38, il l'adorera sous le titre de Fils de Dieu. - A fait de la boue. Dans son rapport, il omet naturellement le premier acte de Jésus, « il crachat » (v.6), dont il n'avait pas été témoin. Il ignorait de quelle façon avait été produite la boue mise sur ses yeux. - Va à la piscine de Siloé. - J’y ai été et, m'étant lavé, j'ai retrouvé la vue. Le récit de l'aveugle ne nous fait connaître sa guérison instantanée. ἀνέδλεψα signifie « voir de nouveau », ce qui est exact si l'on se place à un point de vue général. Pausanias, Messen. 4, l'emploie d'une manière identique, cf. l’Évangile de Nicodème, chap. 6 (ap. Thilo, Codex apocr. p. 558).


Jean 9.12 Où est cet homme ?" lui dirent-ils. Il répondit : "Je ne sais pas." - Troisième question, à laquelle le mendiant ne peut répondre que par un simple : Je ne sais pas.


Jean 9.13 Ils menèrent aux Pharisiens celui qui avait été aveugle. - Nous passons à la seconde partie de l'enquête (voyez la note du v.8), dans laquelle nous distinguerons trois phases : l'aveugle subit un premier interrogatoire de la part des Pharisiens, vv. 13-17 ; ses parents sont examinés à leur tour, vv. 18-23 ; il comparaît lui‑même de nouveau devant ses juges, vv. 24-34. La beauté, la vie et la véracité de la narration s'accentuent de plus en plus. - Ils menèrent... Les Pharisiens sont mentionnés d'une manière générale, comme parti, cf. 1, 24. Mais, naturellement, ils ne furent représentés ici que par quelques membres de la secte. Pourquoi l'aveugle fut‑il conduit devant eux par ses voisins ? Ces derniers étaient‑ils, comme on l'a supposé, de farouches zélotes, ou même des espions qu'on avait lancés contre Jésus, et qui, pour donner plus de force à leur dénonciation, amenaient avec eux leur pièce à conviction ? Rien de cela ne ressort du récit, qui ne nous montre en ces hommes aucune disposition malveillante. Il faut donc dire simplement qu'émerveillés du miracle, ils s'en vont, emmenant avec eux celui qui en avait été l'objet, auprès de leurs docteurs révérés, pour leur exposer le cas, et sans doute pour avoir leur appréciation sur un phénomène religieux si remarquable.


Jean 9.14 Or, c'était un jour de sabbat que Jésus avait ainsi fait de la boue et ouvert les yeux de l'aveugle. - C’était un jour de sabbat. Note rétrospective du narrateur, pleine d'importance pour la suite du récit, ainsi qu'on le verra dès l'ouverture de l'enquête (v.16). Au premier regard, l'imparfait « était » pourrait faire croire, et c'est l'opinion de plusieurs auteurs, que les détails racontés dans les versets 13-41 n'eurent pas lieu le même jour que le miracle ; mais l'enchaînement des divers faits démontre que tout se passa en une seule journée. Cf vv. 1, 6, 7, 8, 12, 13, 14. L'imparfait est mis par rapport à l'écrivain. - Fait de la boue. La narration appuie sur cet acte qui, au point de vue pharisaïque, était particulièrement scandaleux en un tel jour. « Faire de la boue avec de la salive est une manière de pétrir, et par conséquent une action contraire au sabbat, suivant l'idée des Juifs » Calmet, h.l. Voyez la note sous Matthieu, 12, 10-12. D'après le traité Schabbath, fol. 108, 2, faire une onction sur un seul œil avec de la salive constituait une violation du repos sabbatique ; or Jésus était allé bien au‑delà. - Les évangiles signalent sept miracles opérés le samedi par Notre‑Seigneur (Matth. 12, 9 ; Marc. 1, 21 ; Marc. 1, 29 ; Luc. 13, 14 ; Luc. 14, 1 ; Jean 5, 10 ; Jean 9, 6) : deux seulement de ces miracles, le second et le troisième, ne furent pas attaqués comment attentatoires à la sainteté du Décalogue.


Jean 9.15 A leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait retrouvé la vue et il leur dit : "Il m'a mis sur les yeux de la boue, je me suis lavé et je vois." - lui demandèrent... On comprend que, pour porter un jugement plus sûr, les Pharisiens voulussent avoir une connaissance personnelle des faits : voilà pourquoi, ne se contentant pas du rapport des voisins, ils interrogent l'infirme lui‑même. - Comment il avait retrouvé la vue. C'est le mode du miracle qui attire tout d'abord l'attention de ces hommes pointilleux. Ils supposaient sans doute, d'après les événements antérieurs (cf. Jean v. 9 et ss.), que Jésus avait traité librement leurs prescriptions relatives au sabbat et qu'ils pourraient s'en prévaloir contre lui. - Il leur dit... Le mendiant recommence sa petite histoire du v. 11 ; mais il est remarquable qu'il la rend encore plus concise, car il ne raconte cette fois ni que Jésus a fait lui‑même la boue appliquées ensuite sur ses yeux (il m’a mis de la boue..., ni qu'il l'a envoyé se laver à Siloé (je me suis lavé). Il trouve étrange, évidemment, qu'on le presse ainsi de questions sur le fait le plus simple. Comparez le v. 27, où son impatience éclate totalement.


Jean 9.16 Sur cela, quelques-uns des Pharisiens disaient : "Cet homme n'est pas envoyé de Dieu, puisqu'il n'observe pas le sabbat." D'autres disaient : "Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ?" Et la division était entre eux. - Quelques‑uns...disaient. Tableau dramatique, comme aux vv. 8 et 9. Les Pharisiens se mettent à discuter entre eux sur la personne du Thaumaturge. Deux opinions contradictoires se font jour, selon les deux points de vue distincts auxquels se placent les enquêteurs. Les uns jugent d'après leurs superstitions sabbatiques, et, considérant que Jésus les a négligées (il n’observe pas le sabbat), ils induisent de là qu'il ne saurait être de Dieu (notez de nouveau le dédaigneux ουτος, hic, cf. 3, 26 ; 6, 42, 52 ; 7, 15, 35, 49 ; 12, 34), par conséquent que le miracle provient du démon, s'il n'est pas une complète imposture. La loi avant tout. Tel est leur raisonnement. Il n'y a pas de miracle qui puisse tenir contre elle (cf. Reuss, La théologie johannique, p.27). Et, par un tel sophisme, ces esprits étroits, prétendent imposer des limites à Dieu, le maître du sabbat, sur son propre terrain. - D’autres... Les autres prennent au contraire le miracle pour base de leur appréciation. Voilà, disent‑ils, un homme qui accomplit des actes évidemment merveilleux (de tels miracles au pluriel ; le plus récent leur rappelle tous les autres, que chacun connaissait à Jérusalem) ; il n'est pas possible que ce soit un homme pécheur, attendu que, en règle générale, Dieu ne communique pas sa puissance miraculeuse, surtout à un pareil degré, à ses ennemis les pécheurs. De grands péchés et de grands miracles s'excluent ordinairement (cf. Ribet, La mystique divine distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines, t. 3, p. 59 et ss.). La violation du sabbat de la part de Jésus n'est qu'apparente, et elle a dû être autorisée par Dieu. Ceux qui argumentaient avec tant de justesse étaient timides, par malheur (cf. 3, 1, 2 ; 12, 42), et ils n'osaient qu'insinuer faiblement leurs convictions : cela ressort avec netteté de la forme interrogative qu'ils emploient (comment pourrait‑il...) au lieu d'une affirmation énergique. - Conclusion : Et la division était entre eux, aucun des deux partis n'ayant réussi à faire prévaloir ses idées, cf. 7, 43 ; 10, 19.


Jean 9.17 Ils dirent donc de nouveau à l'aveugle : "Et toi, que dis-tu de lui, de ce qu'il t'a ouvert les yeux ?" Il répondit : "C'est un prophète." - Ils dirent donc de nouveau... Après ce petit épisode, ils reviennent au mendiant, dans l'espoir d'obtenir de lui quelques informations nouvelles. - Et toi : ils appuient sur ce pronom ; toi qui dois être renseigné là-dessus mieux que tout autre, quelle est ton opinion personnelle ? - La suite de la phrase, que dis tu de lui, c-à-d. : quelle conclusion tires‑tu de là à son sujet ? - C’est un prophète (προφήτης ἐστίν). Sans hésiter, il affirme, comme autrefois la Samaritaine, que Jésus est un prophète et, à ce titre, doué du pouvoir d'opérer des miracles. Ce mendiant est admirable de bon sens et de courage ; il saura bientôt le prouver mieux encore.


Jean 9.18 Les Juifs ne voulurent donc pas croire que cet homme eut été aveugle et qu'il eût retrouvé la vue, jusqu'à ce qu'ils eussent fait venir les parents de celui qui avait retrouvé la vue. - Les Juifs ne voulurent donc pas croire. La particule οὖν rattache le doute des Pharisiens que l'aveugle‑né venait de porter sur Jésus. De cette opinion si favorable ils conclurent qu'il y avait eu une entente préalable entre le thaumaturge et le mendiant. - Les Juifs : au lieu de « les Pharisiens » (vv. 13, 16), et de même plus bas, v.22, pour désigner ceux d'entre les Pharisiens qui nous sont apparus tout à l'heure comme hostiles à N.-S. Jésus‑Christ, cf. 1, 19 et le commentaire. - Jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir... Non qu'ils soient revenus ensuite à de meilleurs sentiments ; mais « jusqu’à » est employé ici, comme tant d'autres passages de la Bible, pour marquer ce qui eut lieu jusqu'à une date déterminée, sans rien préjuger de l'avenir. Voyez la note sous Matthieu, 1, 25. Ce fut par suite de leur incrédulité que les Juifs firent comparaître devant eux les parents de l'aveugle : ils comptaient bien que la fausseté du miracle serait mise en lumière par cet autre interrogatoire. - Qu’il eût retrouvé la vue, en grec ἀναβλέπω.


Jean 9.19 Ils leur demandèrent : "Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ?" - Ils leur demandèrent... Les juges posent coup sur coup aux parents trois questions : Est‑ce là votre fils ? Est‑il vrai qu'il soit né aveugle ? Comment voit‑il actuellement ? Les deux premières sont réunies en une seule phrase : Est‑ce là… né aveugle ? La locution que vous dites est étonnante, puisque les parents n'ont encore rien dit. Elle équivaudrait à ceci, d'après quelques exégètes : Votre fils, sur la cécité duquel vous allez nous donner des renseignements.


Jean 9.20 Ses parents répondirent : "Nous savons que c'est bien là notre fils et qu'il est né aveugle, 21 Mais comment il voit maintenant, nous l'ignorons et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Interrogez-le lui-même, il est assez grand, lui-même parlera de ce qui le concerne." - Ses parents répondirent. Ils font preuve, dans leur réponse, de faiblesse et de ruse tout ensemble. Ainsi qu'il peut arriver quand on est intimidé par des juges puissants (cf. v.22) et ils ne consentent à dire que des choses incapables de les compromettre. - Est‑ce votre fils ? Oui, c’est notre fils. Était‑il vraiment aveugle de naissance ? Oui, il est né aveugle. Il n'y avait aucun risque à affirmer ces deux faits, aussi les parents parlent ; mais, dès qu'ils voient une apparence de danger, ils se taisent, et à leur savons antérieur ils opposent deux ignorons énergiques (remarquez l'emphase du pronom nous la seconde fois). - Comment il voit maintenant... Que pourrions‑nous savoir de ça ? Nous n'assistions pas à la scène. C'est ainsi qu'ils déclinent toute responsabilité, ou plutôt qu'ils la rejettent sur leur fils, en ajoutant : interrogez-le (avec emphase sur « lui‑même » : C'est lui qu'il faut interroger). Après tout, il est assez grand (ἠλιϰία, c.-à-d., la maturité convenable ; par conséquent : lui-même parlera de ce qui le concerne (ils appuient encore sur le pronom). Du reste, l'aveugle montrera bien qu'il n'avait pas besoin d'avocat : en réalité il saura parler de lui‑même à merveille.


Jean 9.22 Ses parents parlèrent ainsi, parce qu'ils craignaient les Juifs. Car déjà les Juifs étaient convenus que quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ serait exclu de la synagogue. - Ses parents parlèrent ainsi... L'évangéliste intercale une note. vv. 22-23, pour expliquer cette singulière conduite des parents. Ils craignaient les Juifs, dit‑il, et ce qu'il ajoute montre bien que leurs craintes n'étaient pas vaines, sans objet. - Car les Juifs étaient déjà convenus... (répétition emphatique de ce nom). Le verbe grec συνετέθειντο (convenir) n'est employé qu'en deux autres occasions du N. Testament : Luc. 22, 5, à propos de l'infâme contrat de Judas avec les Sanhédristes, et Actes 23, 20, pour désigner le complot formé par les Juifs en vue d'assassiner S. Paul. Il indique un échange préalable d'idée sur un point donné et une sorte d'arrangement officieux, non toutefois un décret officiel et solennel. Cette convention, qui datait d'un certain temps (ἤδη), s'était peu à peu ébruitée dans la ville. - Quiconque reconnaîtrait Jésus... Naguère déjà cette question avait été soulevée et débattue publiquement à Jérusalem, 7, 26 et ss. : Jésus n'est‑il pas le Messie ? Bien plus : Les hiérarques ne l'ont‑ils pas reconnu en cette qualité ? - Exclu de la synagogue (ἀποσυνάγωγος) : ces mots désignent ce que nous appellerions en langage chrétien l'excommunication, cf. 12, 42 ; 16, 2 ; Matth. 18, 17 ; Luc. 6, 22 (ἀφορίζειν, séparer), etc. Elle existe encore chez les Juifs, et l'on voit souvent les Rabbins en user à la manière des Pharisiens, comme d'un moyen d'intimidation.


Jean 9.23 C'est pourquoi ses parents dirent : "Il est assez grand, interrogez-le." - Le narrateur reproduit, en l'abrégeant, la pensée du v. 22, afin de mieux attirer l'attention du lecteur sur les odieuses machinations des ennemis de N.-S. Jésus‑Christ.


Jean 9.24 Les Pharisiens firent venir une seconde fois l'homme qui avait été aveugle et lui dirent : "Rends gloire à Dieu. Nous savons que cet homme est un pécheur." - Les Pharisiens firent venir... C'est la troisième phase de l'enquête (vv. 24-34). L'aveugle guéri, qui n'avait pas assisté à l'interrogatoire de ses parents, est de nouveau appelé et entendu. Les deux tentatives précédentes ont échoué, mais les ennemis de Jésus voudraient à tout prix réussir. Quelle scène. Les juges jouent le rôle le plus pitoyable, ils veulent contraindre l'aveugle à mentir à sa conscience. A toutes leurs sollicitations, le pauvre homme répond avec fermeté qu'il sait bien une chose, c'est qu'il était aveugle et que maintenant il voit. On dire ce qu'on voudra, on ne fera pas que ce qui est ne soit pas. Les juifs, battus, humiliés, couvriront leur défaite par un acte d'injustice et de violence. - Rends gloire à Dieu. Feignant d'avoir découvert dans leur entrevue avec les parents de quoi confondre Jésus et ses adeptes, les juges adjurent solennellement l'aveugle, par cette formule majestueuse, de dire enfin la vérité, toute la vérité. Souviens‑toi que Dieu te contemple, et honore‑le en étant sincère. Être sincère, c'était, à leur point de vue, accuser Jésus d'imposture. Ils abusent ainsi de ce qu'il y avait de plus sacré pour effrayer le mendiant. Conduite habile, introduction spécieuse mais indigne. Quelques exégètes traduisent : C'est à Dieu, pas à Jésus, que tu dois rapporter la gloire de ta guérison. Toutefois, le passage Josué 7, 19 (« Mon fils, glorifie le Seigneur, Dieu d’Israël, et rends‑lui grâce ; révèle‑moi ce que tu as fait, ne me cache rien ») leur donne tort en déterminant la vraie signification de la formule. - Nous savons. Nous, docteurs attitrés de la religion juive ; nous, dont l'autorité ne saurait être mise en question. Ils parlent comme s'ils possédaient la science absolue. - Cet homme (avec dédain) est un pécheur. Et un grand pécheur, puisqu'il ose enfreindre le sabbat (v.16) ; non pas un prophète, ainsi que tu le prétends sottement.


Jean 9.25 Celui-ci répondit : "S'il est un pécheur, je l'ignore, je sais seulement que j'étais aveugle et qu'à présent je vois." - Répartie vraiment inimitable, tant elle a de finesse et de spontanéité. - S’il est un pécheur, je l’ignore. Certes, le mendiant est loin de concéder que Jésus soit un pécheur (cf. vv. 30-33) ; mais il prononce ces premiers mots à la façon d'un « soit, passons », parce qu'il ne voulait pas entrer avec ses juges dans une discussion théologique où ils auraient pu l'embarrasser. Cela n'est pas de ma compétence, semble‑t‑il dire. Pour le moment, il s'en tient donc au fait personnel, extérieur, manifeste, de sa guérison ; plus tard il argumentera sur ce fait. - Je sais seulement. Il oppose sa science à la leur («nous savons»). Elle ne porte que sur un point, mais ce point est indiscutable : j’étais aveugle (le participe ὤν du texte grec peut se traduire ou par le présent : étant aveugle de naissance, ou par le passé : ayant été aveugle, et qu'à présent je vois. Cette logique était irrésistible, et aucune témoignage ne valait celui‑là. Remarquez le beau contraste que le mendiant établit entre les douloureuses ténèbres de ses années passées et la joyeuse lumière de sa vie actuelle. On sent en outre, à travers ses paroles, quelque chose de la vigueur avec laquelle il dut les prononcer. Voyez, Marc. 10, 20 et Luc. 10, 42, un usage analogue de « une chose », pour dénoter une chose importante qui exclut toutes les autres.


Jean 9.26 Ils lui dirent : "Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Comment t'a-t-il ouvert les yeux ?" - Embarrassés par la riposte inattendue de l'aveugle, les juges, soit pour gagner du temps et ne sachant plus que dire, soit parce qu'ils espéraient découvrir quelques contradictions dans un nouveau récit, reviennent encore sur les modalités du miracle (cf. v.15)


Jean 9.27 Il leur répondit : "Je vous l'ai déjà dit et vous ne l'avez pas écouté : pourquoi voulez-vous l'entendre encore ? Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses disciples ?" - Je vous l’ai déjà dit... La patience échappe visiblement au mendiant. Non seulement il est fatigué de toutes ces questions et contre‑questions, mais il en comprend la portée, et sa nature droite, loyale, s'indigne du jeu misérable des Pharisiens ; aussi refuse‑t‑il avec vivacité de leur servir d'instrument. - vous ne l'avez pas écouté. Dans le grec, au contraire, ϰαὶ οὐϰ ἡϰούσατε, « et vous n’avez pas entendu » (la négation est certainement authentique). Ils avaient entendu, mais leurs préjugés les faisaient agir comme si le sujet était pour eux tout à fait neuf. Il n'est pas nécessaire de donner, avec divers commentateurs, un tour interrogatif à la pensée (N'avez-vous donc pas entendu ?) ; il serait plus imparfait encore de prendre le verbe dans le sens de faire attention, car alors il aurait coup sur coup deux significations différentes. (Vous n'avez pas été attentifs ; pourquoi donc voulez-vous entendre de nouveau mon récit ?). - Est‑ce que... (μὴ ϰαί, cf. 4, 29 ; 7, 67 ; 6, 35, 52, etc. Sans doute vous ne songez pas...!) vous aussi... : même vous. comme tant d'autres l'ont déjà fait. L'aveugle avait appris par la voix publique que des disciples assez nombreux s'étaient attachés à son bienfaiteur ; mais il comprenait fort bien, par ce qui venait de se passer dans son double interrogatoire, que le Pharisiens détestaient Notre‑Seigneur : aussi une telle supposition revêt‑elle sur ses lèvres le caractère de la plus mordante ironie.


Jean 9.28 Ils le chargèrent alors d'injures et dirent : "C'est toi qui es son disciple, pour nous, nous sommes les disciples de Moïse. - Les Juifs sont blessés au vif. A bout d'arguments ils ont recours à l'injure. L'expression grecque correspondante n'apparaît qu'ici dans les évangiles, et seulement en trois autres passages du Nouveau Testament (Actes 23, 4 ; 1 Corinthiens 4, 12 ; 1 Pierre 2, 23) ; elle a une grande énergie. - Les pronoms toi, nous, accentuent la pensée, d'abord d'une manière méprisante, puis sur un ton superbe (de même « nous » et « celui‑ci » au v. 29). - C'est toi qui es son disciple, lequel fait, suivant eux, impliquait la plus noire des apostasies, l'abandon de Moïse lui‑même.


Jean 9.29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, nous ne savons d'où il est." - Ils développent et motivent ici leur assertion récente, en appuyant de nouveau dans les termes les plus orgueilleux (nous savons, nous ne savons pas) sur leur science soi‑disant infaillible. - Dieu a parlé à Moïse : λελάληϰεν au parfait, pour exprimer que les révélations faites par le Seigneur à Moïse étaient et demeuraient complètes. - Mais celui‑ci... d’où il est. Nous ignorons, en conséquence, s'il a des pouvoirs particuliers, et de qui il les tient. C'était une façon négative de dire que Jésus n'était certainement pas l'envoyé de Dieu. Voyez, 7, 27, une déclaration toute contraire, mais faite à un autre point de vue. Déjà, dans la synagogue de Capharnaüm, 6, 31 et 32, les Juifs avaient établi un rapprochement entre Notre‑Seigneur et Moïse, de manière à relever celui‑ci aux dépens de Jésus. Ils ont toujours été, du reste, si fiers de leur grand législateur.


Jean 9.30 Cet homme leur répondit : "Il est étonnant que vous ne sachiez pas d'où il est et cependant il m'a ouvert les yeux. - Cet homme (ὁ ἄνθρωπος, avec l'article seulement) leur répondit. Cette fois c'est par tout un petit discours que le mendiant réplique (vv. 30-33). Leur passion si évidente transforme son courage en hardiesse. Comme sa dialectique écrasera la leur. - Il est étonnant : c'est précisément en cela que consiste LA merveille. - A son tour le mendiant oppose deux choses l'une à l'autre ; l'assertion par laquelle ses juges prétendent ignorer la source des pouvoirs de Jésus (vous ne sachiez pas...), et sa propre guérison (il m’a ouvert...). Elles lui paraissent à bon droit inconciliables.



Jean 9.31 Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, c'est celui-là qu'il exauce. - Nous savons. Ceci encore déborde d'ironie. Nous autres, gens du peuple, tout illettrés que nous sommes, nous avons pourtant notre petite science. (allusion piquante au « nous savons » des vv. 24 et 29). Elle nous dit que Dieu n’exauce pas les pécheurs ; par contre, que si quelqu’un l’honore (θεοσεδής, ici seulement dans le N.T.)..., c’est celui‑là qu’il exauce. Vérité générale, incontestable, mentionnée à plusieurs reprises par les auteurs inspirés, cf. Job. 27, 8 et 9 ; Ps. 65, 18, 19 ; Proverbes 15. 29 ; Isaïe 1, 1-15, etc. L'aveugle‑né envisage ici le miracle comme une réponse faite par Dieu à une prière spéciale du thaumaturge, et il affirme que d'ordinaire le Seigneur n'adresse cette réponse qu'à ses amis.









Jean 9.32 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. - La démonstration du mendiant guéri forme un parfait syllogisme. Nous avons eu la majeure au v. 31 : Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais seulement ceux qui l'honorent et accomplissent sa volonté. Voici maintenant la mineure : or il a exaucé Jésus, comme le prouve le miracle inouï qui vient d'être accompli en moi. La conclusion est au v. 33 : Donc Jésus est l'ami de Dieu et nullement un pécheur. - Jamais. La locution ἐϰ τοῦ αἰῶνος n'apparaît qu'en cet endroit des livres sacrés ; mais nous trouvons ailleurs ἀπʹαἰῶνος (Luc. 1. 70 ; Actes 3, 21 et 15, 18) et ἀπὸ τῶν αἰώνων (Colossiens 1, 26). - On n’a entendu dire... Nulle part l'Ancien Testament ne signale de guérison d'aveugles, à plus forte raison d'aveugles de naissance. Le mendiant fait ressortir par ce détail la grandeur du miracle dont il avait lui‑même été l'objet.


Jean 9.33 Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire." - Si cet homme n'était pas de Dieu (παρὰ θεοῦ, cf. 1, 6)... Les Pharisiens étaient tombés dans deux erreurs grossières relativement à N.-S. Jésus‑Christ. Ils avaient prétendu, v.16, qu'il ne tenait de Dieu aucun pouvoir ; bien plus, v. 24, qu'il était ouvertement un pécheur. Cette dernière calomnie a été réfutée au v. 31 ; la première l'est ici même. - Il ne pourrait rien faire : ou du moins, d'après le contexte, un pareil miracle. Jamais l'argument tiré des miracles pour démontrer la mission divine et l'autorité de Jésus n'a été présenté avec plus de logique et de force. cf. 3, 2, la déduction de Nicodème analogue à celle du mendiant.


Jean 9.34 Ils lui répondirent : "Tu es né tout entier dans le péché et tu nous fais la leçon ?" Et ils le chassèrent. - L'enquête se termine par un coup de violence sous lequel se dissimule l'impuissance des juges. Mais que pouvaient‑ils bien répondre à une argumentation si serrée ? - Né tout entier dans le péché (notez ce pluriel, mis en avant de la phrase) (ὅλος, d'après tout ton être).., cf. v. 2 et le commentaire. De plus en plus aveuglés par la colère, ils lui jettent à la face son ancien malheur comme une marque évidente de crimes nombreux et signalés. - Et tu nous fais la leçon : toi, réprouvé, maudit, tu oses nous faire la leçon, à nous les docteurs de la nation. Les orgueilleux Pharisiens ne toléraient pas la moindre contradiction, ils méprisaient tous ceux qui n'étaient pas de leur parti (cf. 7, 49), et voici qu'un tel homme se permettait de les instruire. - Ils le le chassèrent (ἐξέδαλον αὐτὸν ἔξω). Incapables de le réfuter, non seulement ils l'insultent mais ils le frappent de leurs foudres. Il est probable en effet que ces dernières paroles du récit désignent l'excommunication proprement dite, cf. 3 Jean 10, où le verbe εϰβαλλεῖν est précisément usité dans ce sens ; les classiques l'emploient de même pour signifier l'exil. Toutefois, des commentateurs assez nombreux allèguent que l'aveugle n'était pas directement tombé sous la menace des Juifs (v. 22), puisqu'il n'avait pas confessé le caractère messianique de Jésus ; en outre, que la locution diffère notablement de celle du v. 22 (« chassé de la synagogue ») : d'où ils concluent qu'il s'agit d'une simple, quoique brutale expulsion « du lieu où ils se trouvaient » (Maldonat, cf. S. Jean Chrysostome, in h.l., etc.). Si l'on ne peut trancher d'une manière absolue cette petite question, qui a divisé les exégètes, on peut du moins affirmer avec M. Schegg qu'en toute hypothèse c'était bien une sorte d'excommunication « de fait ».


Jean 9.35 Jésus apprit qu'ils l'avaient ainsi chassé et l'ayant rencontré, il lui dit : - Jésus apprit... « L’évangéliste parle du Christ comme s’il n’était qu’un homme, dit très à propos Maldonat, parce que dans cette action il s’est comporté comme un homme, comme nous l’observons en plusieurs endroits ». Le récit ne détermine pas le temps ; mais il est vraisemblable que cette nouvelle scène ne fut pas séparée des précédentes par un bien long intervalle. - Et l’ayant rencontré. L'expression suppose des recherches préalables, tout aimables de la part du divin Maître, mais il voulait récompenser son confesseur courageux, et, par un bienfait autrement grand que celui de la vue, le dédommager des outrages dont on l'avait accablé.


Jean 9.36 "Crois-tu au Fils de l'homme ?" Il répondit : "Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ?" - Crois‑tu… ? Toi, du moins, quoique tant d'autres demeurent incrédules. - Au Fils de l'homme. Chrysostome (hom. 59 sur S. Jean.) « Dieu se plaît à honorer surtout ceux qui sont couverts d'outrages pour avoir rendu témoignage à la vérité et confessé Jésus-Christ. C'est ce qui se vérifie dans cet aveugle. Les Juifs le chassent du temple, et le Maître du temple le rencontre, et l'accueille avec bonté, comme le président des combats accueille celui qui a courageusement combattu et mérité la couronne. « Jésus apprit qu'ils l'avaient ainsi chassé ; et, l'ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous au Fils de Dieu ? » [la Vulgate énonce : « Fils de Dieu »] Le récit de l’évangéliste nous fait voir que Jésus était venu exprès pour lui parler. Or, il l'interroge, non pour apprendre ce qu'il ignorait, mais pour se faire connaître à lui, et lui montrer la grande estime qu'il fait de sa foi ; et il semble lui dire : Ce peuple m'a outragé, mais peu m'importe ; je n'ai à cœur qu'une seule chose, c'est de vous inspirer la foi : mieux vaut un homme faisant la volonté de Dieu, que dix mille impies. » - Qui est‑il, Seigneur ? L'aveugle guéri contemplait alors Jésus pour la première fois : il le reconnut à sa voix. - Afin que je croie en lui. Sa bonne volonté est parfaite et admirable. Il suppose que son bienfaiteur est étroitement uni à Dieu en tant que thaumaturge, connaît le Messie alors attendu de tout le monde, et va le lui manifester ; mais il ne songe pas que Jésus est en personne ce Messie.


Jean 9.37 Jésus lui dit : "Tu l'as vu et celui qui te parle, c'est lui-même." - Le bon berger daigne se révéler complètement à cette chère brebis : Tu l’as vu... Il y a dans ces mots une allusion évidente et affectueuse au miracle des vv. 6 et 7. C'est grâce à lui que tu peux jouir de sa vue. - Celui qui te parle, c’est lui-même. Déjà, 4, 26, Jésus avait employé cette formule pour se manifester à la Samaritaine.



Jean 9.38 "Je crois, Seigneur" dit-il et il se prosterna devant lui. - Acte de foi non moins beau que simple et concis. Puis, l’adoration suit spontanément la connaissance ; en effet, ajoutant aussitôt le geste à la parole, il se prosterna. L'expression grecque (προσεϰύνησεν) n'apparaît qu'en trois passages du quatrième évangile (cf. 4, 20-24 ; 12, 20), et toujours c'est pour marquer un culte rendu à Dieu. Cependant, par elle‑même, elle ne désigne pas l'adoration dans le sens strict, mais un baiser envoyé avec la main en signe d'hommage ; puis, par extension de l'idée, la prosternation selon la mode orientale. Cas de prosternation signifiant une adoration au sens absolu : Exode 34,8 ; Josué 23, 7). Pour les détails iconographiques qui concernent la guérison de l'aveugle‑né, voyez Rohault de Fleury, l’Évangile, t. 2, p.44 et ss. On cite aussi un beau tableau de Lesueur. D'après une antique tradition, S. Sidoine, successeur de S. Maximin sur le siège épiscopal d'Aix, et venu de Palestine en Provence avec S. Lazare, ses sœurs et ses nombreux compagnons, ne serait autre que l'aveugle guéri à Siloé, cf. Cornélius a Lap., h. l., et Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de Ste Marie‑Madeleine en Provence, t. 1, p.761 et ss.







Jean 9.39 Alors Jésus dit : "Je suis venu dans ce monde pour un jugement, afin que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles." - Parole tout à la fois consolante et terrible, par laquelle N.-S. Jésus‑Christ rattache son rôle entier de Messie au miracle récemment accompli. Il expose la signification mystique de la guérison : il y a d'autres yeux qu'il est venu guérir ; hélas ! il en est aussi pour lesquels le résultat de son Incarnation sera la plus plus affreuse cécité. C'est bien à tort qu'on a parfois séparé cet épisode (vv. 39-41) de la scène qui précède, car il lui est intimement lié de toutes façons. Jésus ne s'adresse plus à l'aveugle prosterné à ses pieds, mais à toute l'assistance. - Pour un jugement. Dans le grec, εἰς ϰρίμα : expression que S. Jean emploie seulement en cet endroit. C'est encore une nuance de ϰρίσις (V, 22, 24, 27, 30, etc.). Par ce dernier terme, il faut entendre l'acte même de juger ; le ϰρίμα est le résultat final de la ϰρίσις, la décision, le jugement (bon ou mauvais, favorable ou défavorable) qui est la conséquence de cet acte, cf. Matth. 7, 2 ; Marc. 12, 40 ; Romains 2, 2, 3, etc. Quoique Jésus ne soit pas directement venu pour juger les hommes, mais tout au contraire pour les sauver, 3, 17 ; 8, 15, son séjour parmi eux opérait néanmoins un jugement inévitable. Les méchants se séparaient des justes, la foi et l'incrédulité étaient manifestées, cf. 3, 19 ; Luc. 2, 34 ; mais en réalité chacun était jugé par sa propre conduite envers N.-S. Jésus‑Christ. - Je (pronom très accentué) suis venu dans ce monde. Locution animée de S. Jean, cf. 8, 23 ; 11, 9 ; 12, 25, 31 ; 13, 1 ; 16, 11 ; 18, 36 ; 1 Jean 4, 17. Ce monde, tel que nous le voyons encore, avec son étonnant mélange de bien et de mal. - Afin que ceux qui ne voient pas... Langage métaphorique qui est très clair d'après le contexte. Jésus explique dans quel but (ἵνα) il s'est incarné. La terre était remplie d'aveugles beaucoup plus à plaindre que celui qui avait recouvré naguère la vue auprès de la piscine de Siloé : à ceux‑là également il apportait le bienfait de la pleine lumière (voient), βλέπωσιν). C'était la masse ignorante, la foule des petits et des humbles qui n'avaient qu'une connaissance imparfaite de Dieu et de ses volontés, cf. 7, 49 ; Luc. 10, 21 ; Matth. 11, 25 ; 12, 31-32. - Et que ceux qui voient... Il y a un changement significatif dans l'expression. Jésus ne dit pas « ne voient pas » mais « deviennent aveugles » ; ce qui est beaucoup plus énergique, car cela marque la privation des organes mêmes. Ces croyants rendus aveugles, ce sont évidemment, d'après l'ensemble de l'évangile, les Pharisiens et les docteurs orgueilleux.


Jean 9.40 Quelques Pharisiens qui étaient avec lui, lui dirent : "Sommes-nous, nous aussi des aveugles ?" - Quelques pharisiens (le grec ajoute ταῦτα, « ces ») qui étaient avec lui. Ils étaient avec lui, non en qualité de disciples, comme on l'a quelque fois affirmé, mais parce qu'ils s'étaient mêlés à la foule pour épier sa conduite et ses paroles, cf. 7, 32 et le commentaire. - Lui dirent. Ils soupçonnaient, et à bon droit, que Jésus avait voulu parler d'eux, quoiqu'il ne les eût pas désignés directement. - Sommes-nous...aveugles... ? Le pronom est très emphatique. Nous, les plus éclairés et les plus saints de la nation. Aussi emploient‑ils la formule qui suppose une réponse négative : μὴ ϰαὶ ἡμείς... Tu ne voudrais certainement pas dire que nous aussi nous sommes aveugles ? cf. v. 27 ; 6, 68, etc. Tes paroles ne s'adressent qu'au peuple.


Jean 9.41 Jésus leur répondit : "Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché, mais maintenant vous dites : Nous voyons, votre péché demeure." - Jésus leur répondit. Cette fois, c'est pour eux spécialement qu'il va parler, et non pour l'assistance en général, comme au v. 39. - Si vous étiez des aveugles. La cécité est un mal affreux, et pourtant, plût à Dieu qu'ils fussent vraiment aveugles relativement à Jésus, à son origine, à son rôle. Alors, en effet, ils seraient excusables de ne pas voir : vous n’auriez pas de péché, cf. 15, 22. - Mais maintenant introduit une antithèse frappante. - Vous dites. C'est le mot important de la phrase. Vous affirmez vous‑mêmes que vous jouissez pleinement de la vue. Ils sont ainsi leurs propres juges. - Nous voyons. Cette citation de leur langage sous la forme directe est vivante et pittoresque. Votre péché demeure. Mot terrible, répété emphatiquement à la fin de la phrase. Leur péché demeure, et demeurera toujours, car ils ne se convertiront pas. Le cas de ces aveugles était donc désespéré.



CHAPITRE 10



Jean 10.1 "En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par ailleurs, est un voleur et un brigand. - Allégorie, et non parabole, ainsi qu'on le dit trop souvent d'une manière inexacte. La parabole suppose une narration fictive ; dans l'allégorie la figure est plus simplement et plus directement exposée, et l'application se fait aussitôt comme d'elle‑même. Le quatrième évangile ne contient pas une seule parabole proprement dite ; bien plus, S. Jean n'emploie jamais le mot παραδολή. Voyez la note sous Matth. début du chap. 13. En revanche, seul il expose tout au long deux allégories de N.-S. Jésus‑Christ ; ici celle du bon berger, plus loin (chap. 15) celle de la vigne. Toutefois, cette image du berger nous a déjà été plusieurs fois présentée dans les autres évangiles pour décrire la conduite de N.-S. Jésus‑Christ envers les âmes, cf. Matth. 9, 36 ; 15, 24 ; 18, 12-13 ; Luc. 15, 4-7. Elle n'est pas moins familière aux écrits de l'Ancien Testament, où Dieu est souvent mentionné comme le berger dévoué d'Israël. Voyez surtout Ps. 22, Ézéchiel 34, Zacharie 11, etc. - Le vrai début de ce nouveau chapitre serait à 9, 39, selon la juste réflexion de Maldonat ; mais on a voulu, par la division actuelle, attirer davantage l'attention sur l'allégorie du Bon berger. - En vérité, en vérité. Cette double affirmation, propre au style de S. Jean, introduit comme toujours une idée importante. Jamais on ne la trouve au commencement d'un discours ; aussi n'avons‑nous ici, comme il vient d'être dit, que la continuation de 9, 39-41, cf. 10, 21, où les auditeurs établissent eux‑mêmes l'enchaînement. - Je vous le dis. Jésus s'adresse aux Pharisiens, cf. 9, 40-41. A ces « guides aveugles » (Matth. 23, 16), qui égaraient le troupeau de Dieu, Notre‑Seigneur oppose le portrait du vrai berger. - Celui qui n’entre pas par la porte... Nous aurons bientôt l'explication authentique de ce premier trait de l'allégorie (vv. 7 et 9). - Dans la bergerie, εἰς τὴν αὐλὴν τῶν προβάτων (avec deux articles qui supposent un bercail et un troupeau bien connus). Le mot grec αὐλὴν désigne une de ces bergeries en plein air si fréquentes en Orient. C'est un espace plus ou moins considérable, qu'entoure un mur en pierres ou une palissade ; au fond de la cour se trouve habituellement une petite étable basse, fermée d'un seul côté, sous laquelle les brebis peuvent s'abriter un peu, cf. Nombres 31, 16 ; 1 Samuel, 24, 4 ; Luc. 2, 8. Les troupeaux y sont renfermés durant la nuit. - Mais qui y monte par ailleurs (ἀλλαχόθεν, ici seulement dans le Nouveau Testament). Ailleurs que par la véritable entrée, c'est-à-dire en escaladant les murs, à la manière des voleurs, qui évitent d'ordinaire la porte avec un grand soin, craignant d'être surpris par le gardien (v. 31). Ainsi faisaient les Pharisiens. - Celui, ἐκεῖνος, reprend le sujet avec emphase, selon le genre de notre évangéliste, cf. 1, 18, 33 ; 5, 11, 39 ; 6, 57, etc. - Est un voleur et un brigand, κλέπτης ἐστὶν καὶ λῃστής. Les deux expressions sont associées pour renforcer l'idée ; de plus, elles sont mises en gradation ascendante. Le κλέπτης n'est qu'un vulgaire voleur, dont l'art consiste surtout à employer la ruse (12, 6 ; 1 Thessaloniciens 5, 2 et ss.) ; le λῃστής est un brigand qui aime la violence brutale (18, 40 ; Matth. 26, 55).



Jean 10.2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. - Beau contraste. Le bon berger entre par la porte, lui seul est autorisé à entrer, cf. v. 9. - Le berger des brebis. Dans le grec, il n'y a pas d'article devant ποιμήν. La pensée est générale : un berger de brebis. Voilà donc le signe distinctif du vrai berger : il entre par la porte dans la bergerie. Mais comme Jésus lui‑même est cette porte (vv. 7 et 9), au moral cela signifiera la nécessité d'une vocation vraiment divine pour devenir berger des âmes. Entrer dans le sacerdoce sans vocation, c'est escalader par un autre endroit, à la façon du voleur et du bandit.



Jean 10.3 C'est à lui que le portier ouvre et les brebis entendent sa voix, il appelle par leur nom ses brebis et il les mène aux pâturages. - Ce verset et le suivant décrivent la conduite du bon berger. - Celui‑ci (Τούτῳ) est fortement accentué. - Le portier ouvre. Ce portier est le gardien laissé la nuit auprès des brebis pour les défendre. Naturellement, il n’ouvre la porte qu'à bon escient. Qui représente‑il dans l'application de l'allégorie ? C'est le seul point sur lequel les exégètes ne soient pas d'accord. Dieu, selon les uns ; mais ce serait peu naturel et peu digne : Dieu est le propriétaire du bercail, et non un humble θυρωρὸς. Selon d'autres, Moïse ou Jean‑Baptiste : le premier parce qu'il donna la Loi, laquelle conduit au Christ (Galates 3, 24) ; le second en sa qualité de Précurseur. Peut-être est‑il mieux de négliger ce détail, comme accessoire et simple ornement : nous préférons ce sentiment de divers commentateurs. - Description de ce qui se passe entre les brebis et le berger : elles le reconnaissent à l'instant, il les appelle lui‑même, et les conduit à de bons pâturages. Les brebis entendent sa voix : l’entendant tous les jours, elles savent le distinguer entre cent autres, au seul son de sa voix. - 2° Ses brebis (B, D, L ajoutent παντα, « toutes »)... D'ordinaire, en Orient, plusieurs troupeaux, appartenant à divers propriétaires et confiés à plusieurs bergers, sont réunis le soir dans une même bergerie ; le matin chaque berger vient prendre ses brebis spéciales : de là ιδια mis en avant. - Il appelle… ( φωνει : d'après א, A, B, D, L ; καλεῖ dans la Recepta) par leur nom (κατ’ ὄνομα, « chacune par son nom » ). Trait délicat, car il marque ici la connaissance intime et une vraie affection, cf. Exode 33, 12, 17 ; Isaïe 43, 6 ; 45, 3 ; 49, 9 ; Apocalypse 3, 5. En outre, fait historique, attesté tout ensemble par la Bible et par les classiques. Corrippus : « Il rassemble ses agneaux en un seul troupeau, en les appelant par leur nom ». Longus, 4 : τους αιγασ προσειπε και τους τραγους εκαλεσεν ονομαστι, cf. Théocrite, v. 102. - Et il les mène aux pâturages (εξαγει). Il les fait sortir du bercail, pour les mener au pâturage.



Jean 10.4 Quand il a fait sortir toutes ses brebis, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix. - Tableau plein de charmes et pittoresque, encore plus beau quand il se réalise au moral. - Il a fait sortir toutes ses brebis, ἐκβάλῃ : expression étonnante au premier regard, car elle dépeignait plus haut (9, 34, 35) la violence des Pharisiens envers l'aveugle guéri par Jésus : elle est exacte, pourtant, puisqu'il faut toujours presser un troupeau de brebis pour le faire sortir du bercail et le conduire ; ici, d'ailleurs, elle ne suppose rien de brutal. - Il marche devant elles. Détail graphique. C'est le genre oriental ; les bergers précèdent leur troupeau plutôt qu'ils ne le suivent. Le berger spirituel doit de même précéder ses ouailles par les exemples parfaits qu'il leur donne. - Les brebis le suivent : avec une grande docilité. Cela, du reste, leur est facile, parce qu’elles connaissent sa voix (οἴδασιν au pluriel, quoique ἀκούει au v. 3 et ἀκολουθεῖ fussent au singulier). « Connaître » dit plus que « entendre » du v. 3. « Tandis que nous prenions notre repas, raconte un voyageur du XIXème siècle en Palestine, les silencieuses collines qui nous entouraient se remplirent tout à coup de bruit et de mouvement. Les bergers faisaient sortir leurs troupeaux des portes de la cité. La scène était parfaitement visible, et nous regardions et nous écoutions avec un vif intérêt. Des milliers de brebis et de chèvres étaient là, groupées en masses denses et confuses. Les bergers se tinrent groupés ensemble jusqu'à ce qu'elles fussent toutes sorties. Alors ils se séparèrent, prenant chacun un sentier différent, et poussant, tout en continuant d'avancer, un cri aigu d'un genre particulier. Les brebis les entendirent. D'abord les masses s'agitèrent comme si quelque émotion les guidait ; puis des pointes se formèrent dans les directions prises par les bergers ; ces pointes devinrent de plus en plus allongées, jusqu'à ce que les masses confuses eussent été séparées en des flots vivants, qui coulaient à la suite de leurs guides. Ce spectacle n'était pas nouveau pour moi, mais il n'avait rien perdu de son premier intérêt. C'était peut-être l'une des illustrations les plus nettes que des yeux humains pussent contempler de ce magnifique discours du Sauveur rapporté par S. Jean ».



Jean 10. 5 Elles ne suivront pas un étranger, mais elles le fuiront, parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers." - Elles ne suivront pas un étranger (même opposition qu'au v. 2). La négation est très forte dans le texte grec, ou l'on remarque aussi l'emploi du futur : οὐ μὴ ἀκολουθήσωσιν, jamais elles ne le suivront, cf. 4, 14, 48 ; 6, 35, 37 ; 8, 12, 51, 52, etc. Et pourtant cet étranger n'est pas ici nécessairement un voleur ; mais il n'est pas le berger, et les brebis sont inquiètes, et elles le fuiront (encore le futur dans le grec, και φεύξονται). - Car elles ne connaissent pas la voix des étrangers, cf. v. 4. En Orient, le berger rappelle de temps en temps aux brebis sa présence en poussant un cri aigu. Elles connaissent sa voix et le suivent ; mais si un étranger pousse ce même cri, elles s'arrêtent net et lèvent la tête avec alarme : si ce cri est répété, elles se retournent et prennent la fuite, car elles ne connaissent pas la voix d'un étranger. Cela n'est pas un ornement d'imagination dans l'allégorie ; c'est un simple fait. On raconte, qu’au XIXème siècle, un Écossais qui visitait la Palestine changea d'habits avec un berger de Jérusalem, et essaya d'entraîner les brebis à sa suite. Mais le troupeau se mit à suivre la voix du vrai berger, non ses habits.



Jean 10.6 Jésus leur dit cette allégorie, mais ils ne comprirent pas de quoi il leur parlait. - Note explicative de l'évangéliste. Elle ménage une transition de la figure à la réalité. - Cette allégorie, Ταύτην τὴν παροιμίαν. Le mot παροιμίαν, employé quatre fois seulement dans le Nouveau Testament (ici ; 16, 25, 29 et 2 Pierre 2, 22), désigne d'après l'étymologie une chose qui se trouve « à côté du chemin » (παρα et οιμος), par conséquent un langage figuré, symbolique. Il équivaut à l'hébreu לשמ (maschal). - Jésus leur dit : aux Pharisiens mentionnés plus haut, 9, 40-41. - Mais ils (avec insistance sur le pronom) ne comprirent pas... Dans le grec : τίνα ἦν ἃ ἐλάλει αὐτοῖς, « ce que c’était qu’il leur disait ». Ils ne comprirent donc pas le sens de l'allégorie. Comment ces hommes orgueilleux auraient‑ils reconnu leur portrait dans la conduite des voleurs qui ravagent le bercail ?





Jean 10.7 Jésus donc leur dit encore : "En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. - Puisqu'ils n'ont pas compris, Jésus va développer et expliquer sa. pensée par une application directe, du moins en ce qui le concerne personnellement ; car il évitera de nouveau toute allusion explicite à leur propre conduite. Cette application porte sur deux points principaux : vv. 7-10, la porte de la bergerie ; vv. 11-16, le bon berger. - 1° La porte de la bergerie. Ce passage correspond aux versets 1-3. L'assertion majestueuse En vérité, en vérité je vous le dis annonce comme de coutume un progrès dans la marche des pensées. - Je suis. Le pronom est très accentué. C'est moi qui suis... - La porte des brebis, ἡ θύρα τῶν προβάτων. Deux interprétations sont possibles et ont de tout temps partagé les exégètes : la porte par laquelle passent les brebis ; ou, la porte par laquelle on arrive auprès d'elles. Le contexte nous paraît favoriser davantage ce second sens, cf. vv. 1, 2, 3, 8.



Jean 10.8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés. - Tous ceux qui sont venus (Πάντες ὅσοι) : tous, sans aucune exception. C'est en outre une expression pittoresque, qui nous montre les faux bergers arrivant l'un après l'autre à la bergerie pour la dévaster, cf. 1, 12 et le commentaire. Les plus anciens manuscrits grecs ajoutent προ εμου, avant moi. - Ce passage n'est pas sans quelque difficulté ; car, à première vue et si on le prenait absolument à la lettre, il semblerait condamner tous les anciens envoyés de Dieu sous l'Ancien Testament : patriarches, prophètes, Jean‑Baptiste lui‑même. Aussi les gnostiques en abusaient‑ils à leur façon ordinaire, prétendant qu'il était « antinomique », directement opposé à la théocratie. De là la suppression du mot « tous » par quelques copistes qu'avait embarrassés cette objection. Mais il est bien évident qu'il faut restreindre le fait en question à l'époque même de N.-S. Jésus‑Christ : Πάντες ne désigne donc que les Pharisiens et leurs semblables. - Sont des voleurs et des brigands (même expression qu'au v. 1). L'emploi du temps présent confirme ce que nous venons de dire. Du reste, au v. 16, le troupeau figure également la génération actuelle, et rien ne nous invite à remonter en arrière dans le cours de l'histoire juive. - Et les brebis ne les ont pas écoutés. Ils étaient pour elles des étrangers qu'elles redoutaient, cf. v. 5.



Jean 10.9 Je suis la porte : si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il entrera et il sortira et il trouvera des pâturages. - Je suis la porte. Répétition emphatique (cf. v. 7), avec un commentaire cette fois. La suppression des mots « des brebis » ouvre en même temps de plus larges horizons. - On trouve, dans les écrivains les plus anciens de l'ère chrétienne, des allusions intéressantes à ce passage. Saint Ignace, Ep. ad Philad. 9 : αυτος ων θυρα του Πατρος (cf. Apocalypse 3, 8) ; Hégésippe, ap. Euseb. Histoire Ecclésiastique 2, 23, 8 : τις η θυρα του ’Ιησου ; Hermas, Le Pasteur, Similitude 9, 12 : η πυλη ο υιος του Θεου εστι. - Par moi est en avant, comme portant l'idée principale. - Si quelqu’un entre. « Si quelqu'un», qui que ce soit, pourvu qu'il remplisse la condition voulue ; aucune limite n'est tracée, cf. 6, 51 ; 8, 51, etc. Mais les commentateurs sont encore partagés pour savoir s'il s'agit des bergers ou des brebis. S. Augustin applique la parole de Jésus tout à la fois à celles‑ci et à ceux‑là. L'analogie des versets 1, 2 et 8 est plus favorable aux bergers ; mais la fin du v. 9 convient davantage aux brebis, qui nous paraissent avoir occupé la place principale dans la pensée de Jésus. - Il sera sauvé : elles échapperont aux dangers extérieurs qui menacent un troupeau, v. 9. Mais il est bien évident qu'il est surtout question du salut dans le sens technique, c'est-à-dire du salut éternel. - Il entrera, et il sortira. Détails pittoresques. C'est du reste un hébraïsme fréquent dans les saints Livres, pour exprimer une parfaite liberté d'action et une grande sécurité dans les démarches, cf. Nombres 27, 17 ; Deutéronome 28, 6, 19 ; 31, 2 ; 1 Samuel, 18, 16 ; 29, 6 ; Ps. 120, 8 ; Actes 1, 21, etc. - Et il trouvera des pâturages... Ainsi donc, la sécurité, la liberté, la subsistance : tout ce qu'il faut pour être heureux.



Jean 10.10 Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire, moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie et qu'elles soient dans l'abondance. - Le voleur ne vient (au présent, ερχεται). Le v. 9 expliquait le v. 2 ; celui‑ci nous ramène au v. 1. - Que pour dérober, égorger et détruire. Terrible gradation : le vol, l'immolation, la destruction totale du troupeau. - Mais aussi, admirable antithèse : Moi (accentué) je suis venu pour que les brebis aient la vie. La conduite des mauvais bergers a pour mobile l'égoïsme le plus brutal, et elle ne sait produire que la ruine ; la conduite du bon berger est basée sur le plus généreux dévouement : le résultat, c'est la vie ; le bonheur. - Les mots et qu’elles soient dans l’abondance sont souvent rattachés à la proposition qui précède (« pour qu’elles aient la vie ») comme un qualificatif : Je suis venu pour qu'elles aient la vie, et qu'elles l'aient plus abondamment. Mais, à la suite de S. Cyrille et de nombreux exégètes, nous croyons qu'il est mieux de les interpréter à part ; car, d'après le texte grec, ils sont complets en eux‑mêmes et expriment une idée nouvelle, indépendante. La locution περισσὸν ἔχωσιν (au positif, et non pas au comparatif signifie « avoir du superflu », cf. 2 Corinthiens 9, 1. Jésus affirme donc ici qu'il donne à ses brebis et la vie, et l'abondance de tous les biens en général.



Jean 10.11 Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. - 2° Le bon berger, vv. 11-18. Deux qualités spéciales du berger sont d'abord relevées : son admirable esprit de sacrifice, vv. 10-13 ; la parfaite connaissance qu'il a de ses brebis, vv. 14-16. Les versets 17 et 18 montrent l'union intime qui existe entre le bon berger et son Père céleste. - Je suis (même emphase que précédemment) le bon berger : ὁ ποιμὴν ὁ καλὸς, avec deux articles, « C’est comme s’il disait : il est l’unique, le promis, le seul vrai berger », Maldonat, cf. v. 8. La formule suppose en effet l'existence d'autres bergers, qui ne peuvent remplir qu'imparfaitement l’œuvre accomplie par Jésus d'une manière si adéquate. Remarquez le choix de l'épithète καλὸς, que nous ne saurions traduire en un seul mot, car elle réunit les concepts de beauté, de bonté, de noblesse. Elle dit beaucoup plus que αγαθος. Donc N.-S. Jésus‑Christ est un berger parfait : et nous allons voir en quoi consiste son admirable perfection. - Le bon berger (de nouveau ὁ ποιμὴν ὁ καλὸς) donne sa vie... La leçon grecque la mieux autorisée est τίθησιν, « dépose », comme aux vv. 15, 17 et 18, cf. aussi 13, 37, 38 ; 15, 13 ; 1 Jean 3, 16. « Déposer sa vie » marque mieux l'aspect libre et volontaire du sacrifice. Ce sacrifice, le plus généreux qui se puisse accomplir, caractérise si bien le bon berger, qu'on le signale coup sur coup jusqu'à cinq fois dans les vv. 11-18. - Pour (ὑπὲρ, pour l'avantage de) ses brebis. Dans nos pays, il est plus rare que les brebis occasionnent à leurs bergers de sérieux dangers ; en Orient il n'en était pas de même, car il faut souvent les défendre contre les agressions redoutables des bêtes fauves et des voleurs, cf. Genèse 13, 5 ; 14, 12 ; 31, 39 et s. ; Job. 1,17 ; 1 Samuel, 34, 35 ; Amos 3, 12, etc.



Jean 10.12 Mais le mercenaire, qui n'est pas le berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le loup, abandonne les brebis et prend la fuite et le loup les ravit et les disperse. - Nouvelle antithèse. Le nom grec μισθωτὸς (mercenaire) n'est employé qu'ici et Marc. 1, 2, dans le Nouveau Testament ; il est tristement significatif dans l'allégorie du bon berger, comme le prouvent les détails suivants. - Qui n’est pas berger (καὶ οὐκ ὢν ποιμήν, sans article). Le mercenaire est ainsi caractérisé négativement. S'il était berger, sa conduite ne serait pas seulement inexplicable, mais impossible. - À qui (en avant avec l'accent) les brebis n’appartiennent pas, cf. v. 3. Troisième répétition emphatique de la même pensée. Il ne prend aucun intérêt personnel aux brebis confiées à sa garde. - Voit (θεωρεῖ, verbe expressif) venir le loup : τὸν λύκον avec l'article. Le loup, cet ennemi perpétuel et universel des brebis sans défense. Au moral, quiconque est ennemi de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ et des âmes rachetées par lui : démons, faux prophètes, hérétiques, corrupteurs de tout genre, cf. v. 28 ; Matth. 7, 15 ; Actes 20, 29. - Et abandonne les brebis ; ἀφίησιν, il les laisse‑là, sans défense. La description est rapide et tout à fait vivante ; cinq verbes au présent, simplement unis par la conjonction καὶ: θεωρεῖ…, καὶ ἀφίησιν.., καὶ φεύγει: καὶ ὁ λύκος ἁρπάζει αὐτά, καὶ σκορπίζει. - Et s’enfuit. Il pense tout d'abord à son propre salut, sans s'inquiéter de ce qui arrivera aussitôt après son lâche départ. - Et le loup s’en empare et disperse... Autre tableau dramatique, qui nous rend témoins des ravages opérés dans le troupeau. Un double malheur atteint les brebis : quelques‑unes sont saisies individuellement et deviennent la proie du loup, les autres se dispersent dans leur effroi.



Jean 10.13 Le mercenaire s'enfuit, parce qu'il est mercenaire et qu'il n'a nul souci des brebis. - Jésus insiste encore sur le motif d'une manière de faire si indigne : parce qu’il est mercenaire ; son seul nom dit tout, il ne pense qu'à son salaire et il est sans cœur pour les brebis ; il n’a nul souci (οὐ μέλει αὐτῷ ; il ne se soucie pas) des brebis. L'application se fait d'elle‑même, et le nom de mercenaire a passé dans le langage chrétien pour stigmatiser ces prêtres, rares aujourd'hui, grâce à Dieu, qui négligent le soin sacré des âmes pour s'occuper avant tout de leurs intérêts privés. Comparez au contraire 1 Pierre 5, 7.



Jean 10. 14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, - Je suis le bon berger. On dirait que Jésus veut faire oublier ce sombre et sinistre portrait du berger mercenaire, en réitérant sa douce assertion du v. 11. - Et je connais mes brebis (τὰ ἐμά). Il parle d'abord de la connaissance intime qu'il a de son troupeau ; en effet, il connaît ses brebis avant que celles‑ci ne le connaissent elles‑mêmes. Mais cette harmonieuse réciprocité ne tarde pas à s'établir : et mes brebis me connaissent . Je connais les miennes, et les miennes me connaissent, de même que mon père me connaît et que je connais mon Père. II y a une grande emphase sur ce verbe quatre fois répété.





Jean 10.15 Comme mon Père me connaît et que je connais mon Père et je donne ma vie pour mes brebis. - Comme (Καθὼς dit beaucoup plus que ωσπερ) le Père me connaît... Les relations de N.-S. Jésus‑Christ avec les siens sont tellement intimes, qu'il peut les comparer à celles qui l'unissent à son Père céleste, cf. 14, 20 ; 15, 10 ; 17, 8 ; 10, 18, 21. Rapprochement sublime, qui nous confère un si grand honneur. - Et je donne ma vie... Ce beau verset avait sa place toute marquée après une pareille assertion. Voyez la note du v. 11.



Jean 10.16 J'ai encore d'autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie, il faut aussi que je les amène et elles entendront ma voix et il y aura une seule bergerie, un seul berger. - La vue anticipée de la mort qu'il subira si généreusement pour le bien de ses brebis ouvre tout à coup au berger suprême des horizons plus étendus : J’ai encore d’autres brebis. Elles sont à lui, il les possède (ἔχω) ces « autres brebis », ainsi nommées pour les distinguer de celles que contient le bercail juif (de cette bergerie, ἐκ τῆς αὐλῆς ταύτης) ; mais elles sont disséminées, égarées à travers le monde païen, et il faudra un travail spécial pour les grouper autour du bon berger. Notez qu'ici comme partout ailleurs, les Juifs conservent leurs droits de priorité pour l'appel à la foi et au salut par le Messie mais ils ne sont pas les seuls appelés, cf. Matth. 10, 5, 6. - il faut aussi que je les amène, car c'était réellement un devoir du Christ d'après le plan divin ; ἀγαγεῖν, les amener à la bergerie. - Et elles entendront ma voix. Premier résultat des démarches du bon berger : ces brebis, qui lui appartiennent quoiqu'elles soient momentanément égarées, reconnaîtront sa voix comme les autres, vv. 3 et 4, et elles le suivront avec docilité. - Et il y aura... Second résultat, principal, définitif. Il est exprimé en termes simples et majestueux tout ensemble. Le grec emploie le pluriel, καὶ γενήσεται (« et fient »), ce qui montre mieux la manière dont les brebis éparses se réuniront pour former une seule bergerie sous un un seul berger ; il y a ici une expression toute nouvelle, ποίμνη, qui désigne non plus le bercail, mais le troupeau. - Magnifique prophétie de l'unité de l’Église du Christ. Le mur de séparation qui séparait les Juifs et les païens sera renversé ; toutes les nations pourront se réunir en une seule sous la douce houlette du bon berger.



Jean 10.17 C'est pour cela que mon Père m'aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre. - Dans ce verset et le suivant toute figure disparaît ; mais ils appartiennent néanmoins à l'allégorie, dont ils réitèrent l'idée principale et à laquelle ils servent de conclusion. Plus haut, v. 15, Jésus décrivait les relations pour ainsi dire intellectuelles qui l'unissent à son Père : ils ont l'un de l'autre une complète connaissance. Il passe maintenant à des rapports beaucoup plus intimes : il est aimé du Père, et il nous dira pour quel motif. - C’est pour cela... Διὰ τοῦτο, avec emphase (cf. 5, 16 ; 7, 21, etc.) : à cause de son généreux dévouement, déjà mentionné plusieurs fois et sur lequel il va insister encore. - ...Que le Père m’aime (pronom très accentué). La première Personne de la sainte Trinité aime nécessairement le Fils ; mais il s'agit en cet endroit d'une affection spéciale, de celle que Dieu porte au Verbe fait chair, et il la lui porte pour la raison suivante : parce que je donne ma vie. « Cela est dit avec force et autorité », Maldonat. Ce pronom avait été omis au v. 15 ; mais le Sauveur veut marquer davantage la spontanéité, le mérite de son sacrifice. Voyez Éphésiens 5, 2, où la mort volontaire de N.-S. Jésus‑Christ est représentée comme étant à Dieu « un parfum d’agréable odeur », cf. Philippiens 2, 8-9. Il n'est pas étonnant, après cela, que Dieu ait pour Jésus une affection si tendre. - Pour la reprendre. Notez toute la force de la particule ἵνα, « pour que ». Assurément Jésus est mort en premier lieu pour nous sauver et pour restituer à Dieu la gloire que nos péchés lui avaient enlevée ; mais il est mort aussi pour ressusciter : le but final de sa mort était sa glorification éternelle.



Jean 10.18 Personne ne me la ravit, mais je la donne de moi-même, j'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre : tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père." - Personne ne me la prend (αἴρει au présent). Quelle est la puissance humaine qui eût été capable de faire mourir le Verbe incarné, sans son acquiescement plein et entier ? S'il perd la vie, ce n'est pas par impuissance de se défendre. - Mais je la donne de moi‑même. (nouvelle emphase sur les deux pronoms). Même idée, reproduite sous une forme positive. Voyez le beau commentaire contenu dans l'histoire même de la mort de N.-S. Jésus‑Christ. Luc. 23, 46 : « Père, entre tes mains je remets mon esprit », cf. Matth. 27, 50 ; Jean 19, 30 et parall. Aucun des quatre narrateurs ne dit que Jésus « mourut » ; tous ils évitent cette expression qui eût été inexacte relativement à lui. - J’ai le pouvoir de la donner... Autre point sur lequel le divin Maître veut nous éclairer : sa mort et sa résurrection auront lieu en vertu d'un mandat spécial de son Père. Sur le nom grec Ἐξουσίαν, voyez 1, 12, et le commentaire. - Et j’ai le pouvoir de la reprendre. La formule ἐξουσίαν ἔχω est répétée d'une manière solennelle. Reprendre sa vie ; c'est ressusciter après la mort : preuve d'une puissance divine. - Tel est le commandement, Ταύτην τὴν ἐντολὴν (avec l'accent sur le pronom) : le double mandat de sacrifier sa vie et de la reprendre ensuite. - Que j’ai reçu de mon Père. La volonté de Dieu, le plan providentiel, tel est, enfin de compte, le motif pour lequel le bon berger se sacrifie pour ses brebis ; mais entre cette volonté du Père et la sienne il existe la plus parfaite harmonie. Beau trait pour terminer ce passage admirable. - Sur les représentations artistiques du Bon berger dans l'antiquité, Voyez la note sous Luc, 15, 5.



Jean 10.19 Il s'éleva de nouveau une division parmi les Juifs à l'occasion de ce discours. Il y eut encore une division parmi les Juifs, à cause de ces paroles. - Une division. « de nouveau » nous renvoie au passage 7, 43, où nous avions une formule à peu près identique. Voyez encore, 9, 16, la petite discussion occasionnée dans le cercle pharisaïque lui‑même par la guérison de l'aveugle‑né. - à l'occasion de ce discours est une bonne traduction de διὰ τοὺς λόγους τούτους. Plus bas, v. 21, il sera simplement question de paroles isolées, ῥήματα ; ici c'est l'ensemble des discours que l'on envisage. Discours si frappants, qui avaient produit un légitime émoi dans toute l'assistance.



Jean 10.20 Plusieurs d'entre eux disaient : "Il est possédé d'un démon, il délire : Pourquoi l'écoutez-vous ?" - Plusieurs d’entre eux disaient... On signale d'abord les réflexions du plus grand nombre, πολλοὶ ἐξ αὐτῶν. La masse persiste dans son hostilité, et tâche, par une remarque injurieuse, de jeter du discrédit sur la personne et sur l'enseignement de N.-S. Jésus‑Christ. - Il est possédé d’un démon. Sur ce grossier outrage, voyez 7, 20 ; 8, 48, et les commentaires. Cette fois, les Juifs ajoutent avec non moins de grossièreté : et il délire (μαίνεται) ; son langage est celui d'un homme qui a perdu la raison. - Pourquoi l’écoutez-vous ? Par cette dernière parole ils trahissent pourtant leur inquiétude ; car ils avaient dû remarquer bien souvent les prodigieux effets des discours de Jésus : aussi voudraient‑ils éloigner tous ses auditeurs.



Jean 10.21 D'autres disaient : "Ce ne sont pas là les paroles d'un possédé, est-ce qu'un démon peut ouvrir les yeux des aveugles ?" - D’autres disaient. Ceux‑ci sont beaucoup mieux disposés. Leur réflexion est pleine de bon sens ; elle porte tour à tour sur la prédication de Notre‑Seigneur et sur son récent miracle. - 1° Sa prédication : les paroles, de telles paroles. Les accusations que nous venons d'entendre tombaient d'elles‑mêmes, si on les mettait en regard de l'enseignement de Jésus. - D’un possédé (δαιμονιζομένου en un seul mot). Au contraire, c'étaient les « paroles de Dieu », 3, 34. - 2° Son récent miracle : est-ce qu'un démon... ; dans le grec μὴ… δύναται… ; formule que nous rencontrons si souvent dans les écrits de S. Jean pour marquer une forte impossibilité. « Sûrement, un démon ne peut pas…. » - Ouvrir les yeux des aveugles. Notez le choix judicieux de toutes les expressions. Ils ne refusent pas au démon d'une façon absolue le pouvoir de faire des miracles, car ce serait une fausseté théologique réfutée par la Bible elle‑même, cf. Exode 6, 11, 22, etc. Ce qu'ils nient à bon droit, c'est que le démon puisse accomplir tels et tels miracles extraordinaires qui attestent visiblement l'intervention divine : or, de ce genre était la guérison de l'aveugle, cf. 9, 16. - Pourquoi s'arrêtent‑ils dans ce raisonnement si juste, et s'en tiennent‑ils au côté négatif de la question ? Ne leur était‑il pas aisé de conclure aussi que l'auteur d'un si éclatant miracle était certainement le Messie ? Il est vraisemblable qu'ils n'en eurent pas le courage.





Jean 10.22 On célébrait à Jérusalem la fête de la Dédicace, c'était l'hiver, - N. S. Jésus‑Christ à Jérusalem à l'occasion de la Dédicace. 10, 22-42. Après un intervalle d'environ deux mois (voyez la note du v. 22). nous retrouvons le Sauveur à Jérusalem, et nous entendons le dernier témoignage public qu'il se rendit personnellement avant sa Passion. - La Dédicace, ou Encénies : mot latin calqué sur le grec τὰ Ἐγκαίνια, qui signifie « renouvellement », et, dans le langage sacré, « dédicace », cf. 1 Rois 8, 63 ; 2 Chroniques 7, 5 ; Esdras 6, 16, dans la traduction des Septante. On appelait ainsi une fête relativement moderne, instituée l'an 164 avant J.-C. par Judas Maccabée, pour célébrer le souvenir de la purification solennelle du Temple, après la profanation sacrilège d'Antiochus Épiphane cf. 1 Maccabées 1, 20-60 ; 4, 36-59 ; 2 Maccabées 10, 1-8 ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 12 7,7. On la nommait aussi la fête des Lumières, ou simplement les Lumières, τα φωτα, à cause des illuminations joyeuses qui l'accompagnaient partout. Son nom hébreu était et est encore Chanoukah (הכנח , de ךנח , consacrer), car les Israélites n'ont pas cessé de la solenniser joyeusement chaque année. - A Jérusalem. La Dédicace pouvait se célébrer en tous lieux et n'exigeait pas, comme la Pâque, la Pentecôte et la fête des Tabernacles, un pèlerinage spécial au centre du culte juif. Cette mention de la Ville sainte suppose que Jésus avait dû quitter Jérusalem après la dernière solennité, et qu'il y était ensuite revenu. La haine maintenant si vive de ses adversaires ne lui permettait pas d'y résider longuement, sans courir des dangers qui auraient avancé l'heure voulue par son Père, cf. 7, 33, 44 ; 8, 59. - C’était l’hiver. On était en effet en plein hiver, car la Dédicace commençait le 25 cislev, c'est-à-dire dans la seconde moitié de décembre. Comme la fête des Tabernacles avait lieu en octobre (voyez 7, 2 et le commentaire), il existe entre les versets 21 et 22 du chap. 10 une lacune d'environ deux mois. La note c’était l’hiver est, d'après l'hypothèse la plus naturelle, un détail écrit pour les lecteurs non initiés aux coutumes du judaïsme. D'après S. Cyrille et d'autres exégètes, elle aurait pour but d'expliquer pourquoi Jésus se tenait à l'abri sous les portiques du temple, ainsi qu'il est dit au verset suivant.



Jean 10.23 et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon. - Et Jésus se promenait. Trait graphique, avec l'imparfait de la durée. - Dans le temple, ἐν τῷ ἱερῷ ; c'est-à-dire dans l'ensemble des constructions qui composaient le temple. Sur la différence du ιερον et du ναός, voyez le commentaire de 2, 14 et 19. - Sous le portique de Salomon. Ces mots déterminent l'endroit précis du ιερον où se promenait alors Notre‑Seigneur. On appelait στοᾷ του Σολομῶνος une galerie couverte située à l'orient, et qui, d'après la tradition juive, aurait été un reste du temple construit par Salomon, cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 20, 8, 6 ; Actes 3, 11 ; 5, 12. Au sud, se trouvait la triple colonnade d'Hérode le Grand.



Jean 10.24 Les Juifs l'entourèrent donc et lui dirent : "Jusqu’à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ dites-le-nous franchement." - 3° L'occasion immédiate du discours est racontée d'une manière dramatique, qui dénote le témoin oculaire. - Les Juifs l’entourèrent donc (οὖν, profitant de la circonstance). Notez l'emploi de l'aoriste après un imparfait : περιεπάτει, il se promenait (v. 23) ; tout à coup, Ἐκύκλωσαν αὐτὸν, littéralement, « ils firent cercle autour de lui » (cf. Actes 14, 20), lui barrant ainsi le passage, pour le mieux forcer de répondre. - Les Juifs désigne naturellement le parti hostile, les hiérarques. - Et lui dirent (autre imparfait significatif) : Jusqu’à quand, Ἕως πότε... Locution qui exprime une extrême impatience. N'est‑il pas temps de te déclarer enfin ? Inutile d'ajouter que cette impatience ne provenait nullement d'une sainte curiosité; elle avait au contraire pour mobile la haine, le désir de compromettre et d'accuser Jésus. - Tiendrez-vous notre esprit. Même expression métaphorique dans le texte grec : τὴν ψυχὴν ἡμῶν αἴρεις. C'est, au propre, tenir suspendu en l'air, dans une situation pénible ; au figuré, laisser dans l'incertitude, agiter entre la crainte et l'espérance, par conséquent surexciter péniblement. - Ils vont préciser davantage leur question : Si vous (pronom accentué) êtes le Christ (ὁ χριστός, avec l'article), dites‑le nous clairement (παρρησίᾳ, cf. 7, 13). Plus tard le Sanhédrin adressera la même demande au Sauveur (Luc. 22, 67), pour en tirer également parti contre lui.



Jean 10.25 Jésus leur répondit : "Je vous l'ai dit et vous ne me croyez pas : les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage, - Jésus leur répondit. Sa réponse n'est pas directe. Il se contente d'abord de renvoyer ces hypocrites et ces incrédules à ses anciennes déclarations et au témoignage de ses œuvres ; mais n'était‑ce pas un langage aussi clair que possible ? - Je vous l'ai dit (Εἶπον, à l'aoriste). Il ne le leur avait pas dit directement comme à la Samaritaine, 4, 26 ; mais d'une manière cependant assez nette pour les éclairer sur sa nature et sur sa mission, cf. 8, 12, 18, 24, etc. Malgré cela, ajoute‑t‑il tristement, vous ne me croyez pas : juste et douloureux reproche. - Les œuvres que je fais (τὰ ἔργα), cf. 5, 20, 36. Ses miracles surtout, mais également l'ensemble de ses autres œuvres messianiques. « Je » est très solennel, et opposé à leur « vous » dédaigneux (v. 24). - Fais au nom de mon Père. En rapprochant de ses actes le nom béni de son Père, il les authentifie pour ainsi dire, les ramène à leur source toute divine. - Elles‑mêmes... Répétition emphatique du sujet. Cette construction est familière à S. Jean, cf. 6, 46 ; 7, 18 ; 15, 5, etc. - Me rendent témoignage. Voyez 5, 19, 20, 36, et le commentaire.



Jean 10.26 Mais vous ne me croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis. - Mais vous (encore avec l'accent) ne me croyez pas. De nouveau Jésus leur reproche leur incrédulité, si coupable après tant de preuves. Il la rapporte ensuite à son véritable motif : parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Quoique plusieurs semaines se fussent écoulées depuis son dernier discours, il pouvait leur rappeler l'allégorie du bon berger, qui avait fait sur eux une vive impression, cf. 5. 19. Or il y avait dit que ses brebis le connaissaient et le suivaient, vv. 4, 14 ; mais ces Juifs ennemis ne faisaient pas partie de son troupeau.



Jean 10.27 Mes brebis entendent ma voix. Je les connais et elles me suivent. 28 Et je leur donne la vie éternelle et elles ne périront jamais et nul ne les ravira de ma main. - Contraste saisissant. Ces deux versets sont étroitement unis. Ils contiennent six propositions accouplées deux à deux, de manière à former trois petits groupes, avec une belle symétrie et gradation dans les pensées. Quelle simplicité de style (notez les cinq καὶ forment tout l'enchaînement), et pourtant quelle force étonnante. - Mes brebis entendent ma voix... Jésus répète ici les principaux détails de son allégorie, modifiant à peine quelques expressions, cf. les vv. 3 (les brebis entendent sa voix), 4 (les brebis le suivent), 14 (je connais mes brebis). - Je leur donne la vie éternelle : δίδωμι au présent, comme aux passages analogues, 3, 15 ; 5, 34, etc. Ce n'est pas une promesse, dont l'accomplissement dépend de la conduite d'un autre ; c'est un vrai cadeau, dont la conservation dépend de nous. - Elles ne périront jamais. Dans le grec, la négation est encore plus énergique : οὐ μὴ ἀπόλωνται εἰς τὸν αἰῶνα, cf. 8, 51. Il est impossible qu'elles périssent jamais. - Nul ne les ravira, ἁρπάσει : même expression qu'au v. 12, où elle servait à dépeindre la violence brutale des loups. - De ma main. Cette main, si douce pour conduire les brebis, pour les caresser et les porter ; si forte pour les défendre contre les ennemis. Ainsi donc, jamais le bon berger n'abandonnera son troupeau.



Jean 10.29 Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous et nul ne peut les ravir de la main de mon Père. - Mais pourquoi les brebis de Jésus peuvent‑elles vivre dans une telle sécurité ? C'est parce qu'il est « un » lui‑même avec Dieu (vv. 29-30). - Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous...Le don est constitué des brebis confiées par Dieu à N.-S. Jésus‑Christ. - Et nul ne peut les ravir.... C'est, avec une légère modification, le second hémistiche du v. 28. Au lieu du futur « nul ne les ravira », nous lisons le présent, et Jésus insiste davantage sur l'impuissance des ennemis de son troupeau. - De la main de mon Père équivaut à « de ma main ». Qui donc pourrait ravir par force un objet que Dieu tient dans sa main ? Cf. Sagesse 3, 1.











Jean 10.30 Mon père et moi nous sommes un." - Quelle parole. Si brève et si majestueuse. Les Juifs ont demandé à Jésus de leur révéler clairement et sans ambages sa nature et son rôle : seront‑ils satisfaits maintenant ? - Mon père et moi. Moi et Dieu, comme toutes les fois que Notre‑Seigneur emploie ainsi le mot Père. - Nous sommes un (ἕν ἐσμεν). Il ne dit pas εις, « un », ce qui signifierait qu'il forme avec Dieu une seule et même personne ; mais ἕν au neutre, une seule chose, une substance identique, un Dieu unique. Que pourrions‑nous ajouter de plus ? Voilà le dogme fondamental du christianisme énoncé avec la plus grande netteté et la plus grande énergie. C'est le point culminant de la prédication de N.-S. Jésus‑Christ. Le Sauveur va bientôt quitter la terre ; mais auparavant, il aura déclaré sa divinité en termes aussi lumineux que le jour. Sur ce beau texte, rendu plus célèbre encore par les controverses qu'il suscita dans l'antiquité, voyez Tertullien, Adv. Prax., 22 ; Hippol. c. Noct. 7 ; S. Ambroise, De Spiritu sancto, 1, 111, 116 ; S. Augustin d'Hippone Coll. c. Max. 14, etc. Les Ariens osèrent prétendre qu'il désignait seulement une union morale ; mais il fut aisé de mettre en relief l'absurdité d'une pareille interprétation.



Jean 10.31 Les Juifs ramassèrent de nouveau des pierres pour le lapider. - Les Juifs, eux, comprirent toute la portée de cette assertion, comme le prouva leur conduite immédiate. - Les Juifs ramassèrent... à cause de (οὖν) sa parole, qui était à leurs yeux un affreux blasphème, cf. v. 33. Le grec ajoute πάλιν, « de nouveau », par allusion à une démonstration semblable, qui avait eu lieu pendant la fête des Tabernacles, 8, 59. Au lieu de « soulever » (ηραν), nous lisons dans le texte grec Ἐβάστασαν, « prirent sur le dos », expression qui suppose plus d'efforts (cf. Galates 6, 2, 5), sans exiger pourtant, comme le disent quelques exégètes, que les pierres aient été apportées de loin. - Des pierres pour le lapider (λιθάσωσιν). Voyez le commentaire de 8, 59.



Jean 10.32 Jésus leur dit : "J'ai fait devant vous beaucoup d'œuvres bonnes qui venaient de mon Père : pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ?" - Ici commence la seconde partie de l'allocution, vv. 32-39, dans laquelle Notre‑Seigneur fera directement l'apologie de sa conduite. Comme la première, elle se terminera par une rapide conclusion historique, v. 39 (comparez le v. 31). - Jésus leur dit. Jésus répond à leurs procédés iniques, cf. 2, 18, etc. Avec quel calme tout divin il tient tête à l'orage. - J'ai fait devant vous, ἔδειξα ὑμῖν: en effet, il leur avait en quelque sorte mis ses miracles sous les yeux. - Beaucoup d'œuvres bonnes. C'est une de ces formules dont S. Jean se sert pour suppléer aux omissions volontaires qu'il fait de la plupart des miracles du Sauveur, cf. 2, 23 ; 4, 45 ; 20, 30, etc. Le grec a ἔργα καλὰ, littéral : « de belles œuvres », cf. v. 11 et le commentaire, et Marc. 7, 37, dans le texte grec. - qui venaient de mon Père. Réflexion importante : Jésus opérait directement et manifestait ces « belles » œuvres qui témoignaient en sa faveur ; toutefois, elles procédaient de Dieu comme de leur source : Jésus les accomplissait dans la vertu du Père, avec lequel, d'ailleurs, il n'était qu'une seule et même divinité. - Pour laquelle... Le grec ποῖον serait mieux traduit par « de quelle nature », car il marque la qualité, l'espèce. - Me lapidez-vous ? Le temps présent est pittoresque ; les Juifs étaient en face de Jésus, prêts à l'écraser sous les pierres qu'ils tenaient à la main. Il y a une fine ironie dans les paroles du Sauveur : « Des mots d’une grande finesse », dit Maldonat. Ces œuvres admirables, qui auraient dû attirer tout le monde à lui, et qui servaient au contraire à susciter la haine de ses adversaires.



Jean 10.33 Les Juifs lui répondirent : "Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous vous lapidons, mais pour un blasphème et parce que, étant homme, vous vous faites Dieu, - Les Juifs lui répondirent. Les Juifs refusent dédaigneusement de reconnaître qu'ils se sont mis dans leur tort en attaquant Jésus. - Pour une bonne œuvre (Περὶ καλοῦ ἔργου). Ils reprennent son expression, qu'ils placent à leur tour en avant de la phrase d'une manière emphatique. - Mais pour un blasphème : pour une chose qui est tout à fait l'opposé d'un καλοῦ ἔργου. - La conjonction et n'introduit pas un nouveau grief ; elle est simplement explicative. Les Juifs vont dire en quoi consiste le blasphème qu'ils reprochent à Notre‑Seigneur. - Étant homme : tous les mots sont fortement accentués. N'étant qu'un homme ordinaire, vous vous faites Dieu, cf. 5, 18 ; 8, 53.



Jean 10.34 Jésus leur répondit : "N'est-il pas écrit dans votre Loi : J'ai dit : vous êtes des dieux ? - Sans rien retirer de sa déclaration précédente, mais en la développant au contraire avec vigueur, Jésus va se disculper formellement. Il démontrera d'abord, vv. 34-36, par un argument basé sur la sainte Écriture, qu'il a tout à fait le droit de se dire Fils de Dieu. - N’est‑il pas écrit (ἔστιν γεγραμμένον. Voyez 2, 17 et le commentaire). La forme interrogative donne plus de vie et de force à la pensée. - Dans votre loi. Le pronom a ici le même sens qu'au passage 8, 17 : cette loi pour laquelle vous professez un si grand respect. L'argument confondra donc ses adversaires en leur opposant leurs propres paroles. Quant au mot « Loi », il est employé par abréviation, pour représenter tous les écrits de l'Ancien Testament, dont la Torah était en effet la première partie, cf. 12, 34 ; 15, 25, etc. Le Talmud use très souvent de cette formule d'une façon identique. - J’ai dit. C'est Dieu lui‑même qui a la parole dans ce texte emprunté au psaume 81, 6. S'adressant à des juges d'Israël, iniques mais légitimement institués, il leur donne ce titre solennel : Vous êtes des Dieux (avec plus d'énergie encore dans le texte hébreu אתם אלהים). En tant qu'ils participent à l'autorité du Seigneur, en tant qu'ils sont ses mandataires, ne sont‑ils pas réellement parmi les autres hommes comme Dieu lui‑même ? - Voilà donc un fait indiscutable dans la Bible même, Dieu donne à des juges, criminels pourtant, le nom de dieux. C'est la majeure du raisonnement. [Psaume hébreu N°82 (N°81 dans la Vulgate) : 1 Cantique d'Asaph. Dieu se tient dans l'assemblée du Tout-Puissant, au milieu des dieux il rend son arrêt : 2 "Jusqu’à quand jugerez-vous injustement et prendrez-vous parti pour les méchants ? Séla. 3 "Rendez justice au faible et à l'orphelin, faites droit au malheureux et au pauvre, 4 sauvez le misérable et l'indigent, délivrez-les de la main des méchants. 5 "Ils n'ont ni savoir ni intelligence, ils marchent dans les ténèbres, tous les fondements de la terre sont ébranlés. 6 "J'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut. 7 Cependant, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme le premier venu des princes." 8 Lève-toi, ô Dieu, juge la terre, car toutes les nations t'appartiennent.][Jésus savait qu’ils étaient psychologiquement incapables de professer sa double nature divine et humaine à ce moment là, il ne l’enseignera à ses apôtres qu’après la résurrection car c’est un mystère trop élevé pour que l’homme admette que Dieu s’unisse une âme et un corps d’homme et subisse les atrocités de la Passion. Pour etre sauvés, Dieu ne leur demandaient alors que de croire qu’il est le Messie, le Christ cf. Jean 8,24 si vous ne croyez pas que je suis le Messie, vous mourrez dans vos péchés ; ainsi Jésus va mettre en avant son humanité et leur démontrer que ses paroles d’union entre Dieu et lui ne justifient pas l’accusation de blasphème puisque l’Ecriture dit que les juges humains d’Israel sont des dieux, un juif qui se déclare « Fils de Dieu » et « Un avec le Père » ne remplit pas la condition de blasphème contre Dieu pour pouvoir être lapidé. Jésus ne dit pas qu’il n’est pas Dieu, il ne dit pas qu’il ne serait « qu’un envoyé de Dieu », il essaie seulement de leur éviter un crime injustifié même aux yeux de la loi juive. Il essaie de les sauver en les aidant à comprendre que ses miracles prouvent qu’il est le Messie prophétisé par la Bible juive.]



Jean 10.35 Si la Loi appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée et si l'Écriture ne peut être anéantie, - Dans ce verset et au 36e, Jésus argumente sur le texte qu'il a cité. - Si elle appelle dieux... Le sujet de appelle est sous‑entendu : la Loi, l’Écriture. « Ceux » est fortement accentué. Les mots suivants, à qui (πρὸς οὓς) la parole de Dieu a été adressée, retombent sur ce pronom et le déterminent : les fonctionnaires théocratiques auxquels, dans le psaume, s'adressait le divin langage. - Et si l’Écriture ne peut être anéantie. Proposition très importante, car c'est d'elle surtout que dépend la valeur du raisonnement. Elle est également dominée par la particule « si ». « anéantie », λυθῆναι (une des expressions favorites de S. Jean, cf. 1, 27 ; 2, 19 ; 5, 18 ; 7, 23 ; 11, 44, etc.), fait image comme au passage analogue Matth. 5, 19. L’Écriture ne peut être déliée, c'est-à-dire qu'elle ne peut rien perdre de sa divine autorité : preuve irréfragable en faveur de son inspiration. - Voilà un second fait également certain : la Bible étant un livre infaillible, c'est à bon droit que les juges d'Israël avaient reçu le nom glorieux de « dieux ». Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’Evangile selon saint Jean : « il les a appelés dieux en tant qu’ils participent quelque chose de la divinité selon la participation à la parole de Dieu qui leur a été annoncée. Car par la parole de Dieu, l’homme obtient une participation de la puissance et de la pureté divines » (…) « une réalité n’en devient une autre d’une manière participée que par participation de ce qui est tel par son essence. Par exemple, elle ne devient feu d’une manière participée que par participation du feu par essence. Donc, quelque chose ne devient Dieu d’une manière participée que par participation de celui qui est Dieu par essence : donc le Verbe de Dieu, c’est-à-dire le Fils lui-même, par participation de qui quelqu’un est fait Dieu, est Dieu par essence. »



Jean 10.36 comment dites-vous à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde : Vous blasphémez, parce que j'ai dit : Je suis le Fils de Dieu ? - Conclusion des prémisses qui précèdent, vv. 34-35. - celui que le Père... Jésus choisit à dessein le mot Père (au lieu de « Dieu »), car il se propose de démontrer ses rapports de filiation avec Dieu. Remarquez la place emphatique donnée à « celui ». Ce pronom est ensuite majestueusement expliqué par les verbes sanctifié et envoyé, dont le premier (ἡγίασεν), qui équivaut à l'hébreu כדש, désigne la consécration messianique de N.-S. Jésus‑Christ tandis que le second, fréquemment usité de la même manière dans notre évangile, nous montre Jésus comme l'ambassadeur et le représentant de Dieu son Père. Qu'étaient à côté de lui les juges israélites ? Et le nom de « Dieu » ne lui convenait‑il pas mille fois davantage ? - Dites‑vous. Vous, par opposition à la Sainte Écriture. - Vous blasphémez... Leur parole est citée sous la forme directe, à la manière habituelle des Hébreux. Elle est ainsi plus expressive. - Parce que j’ai dit.... Plus haut, v. 30, le mot incriminé était : « Moi et le Père nous ne sommes un ». Jésus le traduit absolument comme avaient fait les Juifs, v. 33, en l'interprétant de sa nature divine.



Jean 10.37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. - Après cette admirable démonstration exégétique, vv. 34-36, Jésus en donne une autre encore, d'un genre pratique, vv. 37-38. « Il confirme par l’expérience ce qu’il avait d’abord démontré par le témoignage de l’Écriture, qu’il forme avec le Père un seul et même être ». Maldonat, h. l. Il revient à la preuve de ses œuvres que nous avons déjà entendue plusieurs fois, cf. 5, 19 et ss., 36 ; 8, 38, etc. Il le présente actuellement sous la forme d'une dilemme irréfutable. - Si je ne fais pas les œuvres de mon Père... Première supposition : Ou bien je n'opère pas les œuvres de Dieu. Concession si pleine d'humilité. - Dans ce cas, ne me croyez pas (μὴ πιστεύετέ μοι). Non‑seulement il le leur permet, mais il le leur ordonne explicitement. Jésus, en effet, ne demandait pas une croyance aveugle et apportait ses preuves, et quelles preuves.



Jean 10.38 Mais si je les fais, quand bien même vous ne voudriez pas me croire, croyez à mes œuvres : afin que vous sachiez et reconnaissiez que le Père est en moi et que je suis dans le Père." - Mais si je les fais (δὲ, contraste). Deuxième supposition : Ou bien je les accomplis ; et cela était évident pour quiconque ne fermait pas les yeux. - quand bien même vous ne voudriez pas me croire : et dans cet autre cas, si vous refusez de me croire sur parole, si vous vous défiez de ma personne, de ma véracité, du moins croyez à mes œuvres. Quelle force, et quelle humilité encore, et quel calme admirable dans ce langage. - Afin que vous sachiez et reconnaissiez... S'ils tirent des œuvres de Jésus la conclusion manifeste qui s'en échappe, alors ils arriveront à ce résultat : ils reconnaîtront son unité parfaite avec Dieu. - Que le Père est en moi et que je suis dans le Père. C'est-à-dire : que nous n'avons, mon Père et moi, qu'une seule et même nature. Ces deux propositions expriment ce que les théologiens ont nommé la « circuminsessio » (existence des personnes de la sainte Trinité les unes dans les autres ; συμπεριχωρησις des Grecs), cf. S. Thom. Aquin, Somme Théologique, pars 1, q. 2, art. 5. S. Cyrille en donne ce beau commentaire : « Comme le soleil est dans le rayon qui émane de lui, et le rayon dans le soleil dont il s'échappe, de même le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils, car ils coexistent l'un dans l'autre, et l'un pour l'autre, en tant que deux personnes divines, dans l'identité et l'unité de nature. » [Les paroles de Jésus reviennent à dire : « Je prouve que Dieu est suffisamment avec moi par les miracles de vie que je fais et qu’aucun homme n’a jamais fait. Cela justifie que je me dise Fils de Dieu. Vous reconnaissez que ceux à qui Dieu a donné pouvoir de vie et de mort sur vous en les instituant vos juges, peuvent être appelés des dieux par Dieu lui-même (dans le Psaume 82) parce que Dieu les a rendu participant de son propre pouvoir de vie et de mort. Quant à moi, Jésus, votre Messie, j’exerce un pouvoir de vie en guérissant miraculeusement d’un mot, d’un simple acte de volonté, les aveugles de naissances, les paralytiques, les estropiés, des lépreux, des sourds, des muets, des possédés, et en ressuscitant les morts. Cette avalanche de miracles extraordinaires que j’opère sous vos yeux depuis 3 ans, prouvent que Dieu est avec moi, qu’il me fait participer, aucun autre homme, à son pouvoir de vie, à son pouvoir de guérison miraculeux à son pouvoir de résurrection. Ces miracles prouvent que je peux me dire « Fils de Dieu » sans blasphémer puisque de simples juges humains sont déclarés « dieux » par la Sainte Bible. Je ne vous demande pas de me croire « Dieu fait homme », je vous demande de me croire « Christ d’Israël » et donc « Messie d’Israël ». Je prouve que je profère aucun blasphème contre Dieu quand je me déclare Fils de Dieu au sens de participant au pouvoir miraculeux de Dieu. Ma très grande Union avec Dieu est prouvée par les milliers de miracles que je fais depuis 3 ans. »]



Jean 10.39 Là-dessus, ils cherchèrent de nouveau à se saisir de lui, mais il s'échappa de leurs mains. - Ils cherchèrent de nouveau, allusion à 7, 30, 32, 44. Les Juifs n'osent plus lapider Jésus sur place, car sa brûlante argumentation avait fait tomber leur accusation de blasphème. Toutefois, si les pierres qu'ils tenaient toutes prêtes (cf. v. 31) tombèrent forcément de leurs mains, leurs sentiments de haine n'en devinrent que plus farouches ; aussi cherchaient‑ils (l'imparfait est à noter) à s'emparer de lui, pour se venger ensuite avec quelque apparence de justice. - Il s’échappa de leurs mains. Rien n'indique que Notre‑Seigneur ait fait appel pour cela à sa puissance de thaumaturge, cf. 8, 59 et le commentaire. Sa majesté, la crainte de ses partisans nombreux, purent suffire pour le protéger, et il se perdit lui‑même dans la foule.



Jean 10.40 Il s'en retourna au-delà du Jourdain, dans le lieu où Jean avait commencé à baptiser et il y demeura. - Il s'en retourna de nouveau : le premier séjour de Jésus en Pérée remontait à son baptême, cf. 1, 28 et ss. - Au‑delà du Jourdain (πέραν, d'où le nom de Pérée). L'hostilité des juifs, qui était maintenant à son comble, ne permettait plus à N.-S. Jésus‑Christ de rester à Jérusalem ; il va donc chercher un refuge pour les dernières semaines de sa vie dans la région tranquille située à l'est du Jourdain. - Les mots qui suivent précisent l'endroit spécial où il s'établit : Dans le lieu (le grec a simplement : εἰς τὸν τόπον ) où Jean.... La tournure avait baptisé (avait été baptisant), ἦν βαπτίζων, est très expressive, et marque une habitude prolongée. - commencé à est à noter ; car il a été dit que le Précurseur avait ensuite administré le baptême à Ennon, près de Salim, cf. 3, 23 et le commentaire. - Et il y demeura. Le grec a l'imparfait, ἔμεινεν. Le séjour du Sauveur en Pérée dura environ trois mois, de la Dédicace à la Pâque, c'est à dire de la fin de décembre au commencement d'avril. Il faut pourtant déduire de là quelques jours pour le voyage de Béthanie, 11, 1 et ss ., et pour un autre voyage à Éphrem, 11, 54. Jésus achève ainsi sa vie publique aux lieux mêmes où il l'avait inaugurée par son baptême et par le choix de ses premiers disciples.



Jean 10.41 Et beaucoup venaient à lui, disant : "Jean n'a fait aucun miracle, mais tout ce qu'il a dit de celui-ci était vrai." - Le souvenir de Jean‑Baptiste et du témoignage si formel qu'il avait rendu à N.-S. Jésus‑Christ était encore très vivant dans cette région, où, du reste, les Pharisiens et les hiérarques n'exerçaient pas la même influence qu'en Judée. - disant Jean n’a fait... (par contraste avec Jésus). Cette multitude amie alléguait ainsi le double motif qui l'avait amenée à croire en Jésus comme au Messie promis. Premier motif : S. Jean, quoique si puissant et si visiblement envoyé de Dieu, n’a fait aucun miracle. Note importante pour la vie du Précurseur. Il y a ici un sous‑entendu manifeste : Jésus, au contraire, a opéré de nombreux miracles. - Deuxième motif : Tout ce qu’il (πάντα δὲ ὅσα, expression énergique : tout en général, et chaque chose en particulier) a dit de celui-ci était vrai (ἀληθῆ). Les faits avaient pleinement confirmé les témoignages de Jean‑Baptiste.

Jean 10.42 Et il y en eut là beaucoup qui crurent en lui. - beaucoup...crurent. Belle conclusion pratique du raisonnement. Beaucoup étaient accourus auprès de Jésus (v. 41), beaucoup crurent en lui (en lui, et pas seulement « le crurent », cf. 1, 12 et le commentaire). - Le grec ajoute ἐκεῖ, «  », opposant ainsi la foi des humbles habitants de la Pérée à l'incrédulité fanatique des « Juifs » de Jérusalem.



CHAPITRE 11



Jean 11.1 Il y avait un malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa sœur. - La résurrection de Lazare. (11, 1-56) : si le changement de l’eau en vin aux noces de Cana mérita le nom de « miracle de la piété filiale », celui‑ci a été appelé le « miracle de l’amitié », cf. versets 3, 5, 36. La résurrection de Lazare est, tout le monde en convient, le plus éclatant des miracles de Jésus rapportés dans les saints évangiles. Un mort de quatre jours est rendu à la vie par une simple parole. Le fait se passe aux portes de Jérusalem et est constaté par de nombreux témoins, hostiles pour la plupart au thaumaturge ; il a aussitôt de graves conséquences : d’une part la « gloire » de Jésus est manifestée et des Juifs nombreux croient en lui (cf. 11, 46-53 ; 12, 10, 11). Aucun autre miracle, pas même celui du chap. 9, n’a été raconté d’une manière si complète, avec tous ses détails principaux et accessoires. Des écrivains, parmi les plus rationalistes en furent eux‑mêmes frappés. Ce qui ne fut pas le cas de Keim : « Histoire artificielle, marchant sur des échasses, et christologie ampoulée qui confond Dieu et l’homme » (Gesch. Jesu von Nazara, t. 3, p. 71). Vingt détails minutieux démontrent que le narrateur est un témoin oculaire, digne de foi, qui raconte ce qu’il a vu de ses yeux, entendu de ses oreilles, et pas autre chose. Des années nombreuses s’étaient pourtant écoulées depuis ; mais S. Jean avait la mémoire du cœur, qui n’oublie rien. « Chaque démarche et chaque mouvement du Fils de Dieu, sa parole, son frissonnement, son émotion, ses larmes, tout ce qu’il a de plus intime…, est demeuré ineffaçable dans S. Jean. Spinoza ne s’était pas dissimulé l’importance exceptionnelle de ce miracle, et il avouait, au dire de Bayle (Dictionn. Encycl. édit. de 1740, t. 4, p. 964, note), « que s’il eût pu se persuader la résurrection de Lazare, il aurait brisé en pièces tout son système et aurait embrassé sans répugnance la foi ordinaire des chrétiens ». C’est précisément à cause de son importance que le miracle de Béthanie a été, fin XIXème siècle plus que jamais, en butte à des attaques très vives de la part de tous les incrédules. Mais, dit M. Reuss, qui est lui‑même si fortement rationaliste, « il faut reconnaître que tous les essais d’écarter le miracle sont arbitraires… Aucune explication, de toutes celles qu’on a proposées, ne porte en elle‑même un caractère de vraisemblance et de simplicité tel, qu’on serait tenté de la substituer sans plus ni moins à la forme traditionnelle du récit » (La théologie johannique, p. 251). Et l’on comprend que Reuss jette ainsi ses amis par dessus bord, quand on étudie les étonnants systèmes grâce auxquels ils espèrent déchirer cette page toute divine du quatrième évangile. Simple léthargie de Lazare (Paulus, von Ammon, Schweizer, etc.), « pieuse fraude » du frère et des deux sœurs afin de fermer la bouche à ceux qui niaient outrageusement la mission divine de leur ami (Renan), imposture de Jésus lui‑même, mythe complet (Strauss), transformation légendaire d’une conversation que Notre‑Seigneur aurait eue avec Marthe et Marie sur la résurrection générale, quelque temps après la mort de leur frère (Weisse), transformation analogue de la parabole du pauvre Lazare (Schenkel) : voilà quelques échantillons des faiblesses, des invraisemblances, des contradictions, disons le mot à la suite de Keil, des « monstruosités », que l’on ose opposer, en invoquant le nom de la critique, au lumineux récit de S. Jean. Le Dr Keil ajoute à bon droit que de pareils systèmes n’ont pas besoin d’être réfutés, attendu qu’il suffit de les mentionner pour les juger (Commentar über das Evang. des Johannes, p. 356 et s. Voyez aussi Corluy, Commentarius in Evangel. S. Joannis, 2è éd., p. 290 et s. ; Meyer, Evang. des Johannes, 6è éd., p. 452 et ss. ; Godet, Comment. sur l’Evang. de S. Jean, 2è éd., p. 238 et ss., et une page éloquente de Mgr Guiol, Démonstration philosophique de la divinité de Jésus‑Christ, Paris 1856, p. 244-245). En réalité, un seul argument a quelque semblance de valeur, et ce n’est qu’un argument négatif, tiré du silence des trois premiers évangiles. Encore peut‑il être facilement « neutralisé » par la considération des nombreuses lacunes que présentent les récits des synoptiques » (Reuss, l. c.). S. Matthieu, S. Marc et S. Luc omettent à peu près complètement les faits de la biographie du Sauveur qui n’ont pas de relation avec son ministère galiléen ; ils ne nous montrent Jésus à Jérusalem que dans la dernière semaine de sa vie : Saint Jean, au contraire, décrit le ministère de Notre Seigneur à Jérusalem et en Judée ; il néglige en grande partie les autres événements. Des deux côtés c’est le plan des évangélistes qui a déterminé le choix des narrations ; le silence des synoptiques par rapport à la résurrection de Lazare ne prouve donc pas plus contre la véracité du quatrième évangile, que le silence de S. Jean ne prouve contre la véracité des résurrections racontées par les synoptiques et omises par lui. Nous préférons cette réponse à celle que l’on a fréquemment proposée, d’après Grotius : S. Matthieu, S. Marc et S. Luc auraient évité à dessein la mention du grand miracle de Béthanie, de crainte d’attirer sur Lazare et ses sœurs les persécutions des Juifs. Mais le miracle ne fut‑il donc pas immédiatement connu à Jérusalem ? et qu’avait‑on à redouter vingt, trente ou quarante ans plus tard ? En rapprochant 10, 22 de 11, 55, on voit que la résurrection de Lazare eut lieu entre la fête des Tabernacles et la fête de Pâques de la dernière année de Jésus. - Il y avait... Cette particule sert de transition au nouvel épisode. On va introduire tout d’abord le héros du miracle. - Un malade. Ce trait est mis en avant, comme ayant une grande importance pour la suite du récit. On ne dit rien du genre particulier de la maladie ; il est évident qu’elle était grave, d’après le contexte, cf. aussi Actes 9, 37 ; Philippiens 2, 26, 27. La touchante simplicité de ce début est à noter. - Lazare. C’est tout à fait le même nom que celui du pauvre rendu célèbre par une des plus belles paraboles de Jésus ; voyez Luc. 16, 20 et le commentaire. Il est encore assez souvent porté par les Juifs (mot hébreu, Lazar, abréviation de אלעזר Elazar, ou Eléazar, « Dieu secourt »). Sur l’identification invraisemblable de Lazare avec le jeune homme revêtu du « sindôn », voyez notre explication de l’Evang. selon S. Marc, 14, 51-52. - De Béthanie, ἀπὸ Βηθανίας. Béthanie, ou, comme on l’appelle en arabe, El‑Azariyeh (le pays de Lazare), est situé sur le versant oriental du mont des Oliviers, à 5 km de Jérusalem. - Village de Marie et de Marthe sa sœur. Marie est nommée la première, comme étant la plus connue par suite de sa célèbre onction, cf. verset 2 et 12, 3. Marthe était probablement l’aînée des deux sœurs ; on le suppose d’ordinaire d’après les versets 5, 19, et d’après Luc. 10, 38 et ss. Il résulte de plusieurs détails de ce récit (verset 38, le tombeau taillé dans le roc ; versets 31 et 45, les visiteurs de haute condition sociale qui viennent consoler Marthe et Marie ; comparez 12, 2 et 3, l’onction) que la famille était riche et considérée.



Jean 11.2 Marie est celle qui oignit de parfum le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux et c'était son frère Lazare qui était malade. - Marie était Renseignement anticipé pour mieux montrer encore de quelle Marie il s’agissait, puisque les évangiles mentionnent plusieurs saintes femmes de ce nom. L’histoire même de l’onction ne viendra qu’un peu plus bas (12, 1-8). Ici, comme en beaucoup d’autres passages, il est visible que S. Jean présuppose dans ses lecteurs la connaissance préalable (grâce à la catéchèse et aux narrations synoptiques) d’un grand nombre de faits appartenant à la biographie de Jésus. - Qui oignit de parfum. Nous venons de parler d’anticipation, suivant en cela l’opinion commune et plus probable ; mais divers commentateurs de renom (Maldonat, Corluy, Hengstenberg, etc.) pensent que ces deux aoristes en grec font plutôt allusion à un épisode antérieur, l’onction de la pécheresse rapportée par S. Luc, 7, 37 : d’où ils infèrent que S. Jean nous fournit ici un argument très fort pour l’identification de cette pécheresse et de Marie, sœur de Lazare. Quoique partisan de l’identité (cf. commentaire S. Luc 7, 37 et s.), nous aurions de la peine à admettre l’allusion et, par suite, le raisonnement. - Son frère… Après avoir rattaché Lazare à Marthe et surtout à Marie, le narrateur revient à la circonstance principale : qui était malade.



Jean 11.3 Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : "Seigneur, celui que vous aimez est malade." - Ses sœurs envoyèrent... En ce moment d’angoisses terribles, sur le point de perdre leur frère unique, Marthe et Marie pensent naturellement à Jésus. Elles connaissaient le lieu de sa retraite au‑delà du Jourdain. - dire est un hébraïsme (לאםר) ; le message est d’ailleurs rapporté littéralement, tel que les deux sœurs le formulèrent à leur envoyé. - celui que vous aimez est malade. Cette simple phrase est d’une exquise délicatesse à tous les points de vue. En premier lieu, les suppliantes se contentent de transmettre à Jésus la douloureuse nouvelle. « Elles n’osèrent pas lui dire : Venez et guérissez-le ; elles n’osèrent pas lui dire : Commandez du lieu où vous êtes, et il sera fait ici comme vous l’ordonnerez... Elles ne lui dirent rien de pareil, mais seulement ceci : Seigneur, celui que vous aimez est malade. Il suffit que vous le sachiez, car ceux que vous aimez vous ne les abandonnez pas ». S. August., Traité sur S. Jean, 49. Et pourtant, quel appel énergique ne faisaient‑elles pas tacitement à la bonté toute puissante de leur divin ami. Comparez, 2, 3, la conduite analogue de la Sainte Vierge. En outre, les mots « celui que vous aimez » contenaient un pressant motif : que ne ferait‑on pas, surtout de quoi n’était point capable Jésus, pour un ami très cher ?



Jean 11.4 Ce qu'ayant entendu, Jésus dit : "Cette maladie ne conduit pas à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle." - La réponse de Jésus, adressée au messager en présence des disciples, était destinée à encourager Marthe et Marie, à maintenir leur foi, même quand tout espoir humain aurait disparu pour elles, cf. verset 40, où Notre‑Seigneur rappellera doucement à Marthe sa prédiction. C’est pourtant une parole équivoque, qui dut occasionner aux deux sœurs une rude épreuve à la mort de leur frère. - Cette maladie ne conduit pas à la mort, cela ne semblait‑il pas signifier dans la circonstance présente : Il n’en mourra pas ? Mais Jésus, comme il va le dire, voyait au‑delà de cette mort passagère, qui ne fut en vérité pour Lazare qu’une sorte de sommeil (cf. verset 11) ; il parlait du résultat définitif, lequel dépassa étonnamment une guérison ordinaire. - La particule adversative mais introduit le but véritable et final de la maladie de Lazare. Ce but se dédouble aussitôt : il consiste d’abord d’une manière générale dans la gloire de Dieu (cf. 9, 3) ; puis, plus spécialement, dans celle de Jésus lui‑même en sa qualité de thaumaturge (afin que le Fils de Dieu soit glorifié). Nous verrons bientôt se réaliser cette noble prophétie (cf. verset 45 ; 12, 9-11). Le titre de Fils de Dieu tire en cet endroit une force particulière du nom de Dieu, mentionné dans la ligne précédente ; il désigne certainement plus que le Messie.

Jean 11.5 Or, Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie et Lazare. - Or, Jésus aimait…Réflexion de l’évangéliste, destinée à préparer le détail du verset 6. Mais il est remarquable que l’expression employée pour désigner l’affection de Jésus n’est pas le même qu’au verset 3. Là nous lisions φιλεῖς ; ici nous avons Ἠγάπα. Le premier marque davantage l’inclination naturelle, un attachement plus instinctif, une relation qui appartient souvent au sentiment ; le second dénote une amitié où la raison a présidé au choix. Le premier de ces deux termes est donc plus tendre, le second est plus calme et a ordinairement quelque chose de plus noble, cf. 21, 15, 17 et le commentaire. On a expliqué de deux manières ce changement subit de locutions : 1° par la différence des personnes qui parlent. Au verset 3 ce sont les sœurs de Lazare (cf. verset 36, où les Juifs se servent aussi du verbe φιλεω, et il est naturel qu’elles emploient l’expression qui fait mieux ressortir la tendresse de Jésus pour leur frère ; au verset 5 c’est l’écrivain sacré, et il se sert très naturellement aussi du terme le plus relevé, le plus digne de son Maître. 2° Par la différence des personnes dont il est parlé. Là (verset 3) il n’est question que de Lazare ; ici (verset 5) Marthe et Marie sont nommées avec lui, et il était plus convenable de désigner dans ce second cas l’amitié de Jésus par ἀναπάω : nuance délicate, que les Anglais peuvent exprimer par les verbes « to love » et « to like ». - Marthe, et Marie sa sœur… Cette fois Ste Marthe est mentionnée au premier rang (cf. verset 19), selon son droit d’aînesse très vraisemblable.



Jean 11.6 Ayant donc appris qu'il était malade, il resta deux jours encore au lieu où il était. - Ayant donc appris… Le narrateur reprend son « entendant » du verset 4, pour ajouter un autre effet de la nouvelle (la conduite de Jésus après sa parole). - Il resta… Jésus aimait Lazare, et pourtant il ne s’empresse pas d’aller à Béthanie. Mais il se proposait, en retardant ainsi son départ, de manifester plus vivement son amitié. Du reste, c’était sa coutume d’attendre toujours le moment précis que lui indiquait la volonté de son Père céleste. Telle est la meilleure explication de ce délai, qui paraît de prime abord étrange si l’on se place à un point de vue purement humain. - Deux jours. Un bonne journée de marche avait été nécessaire à l’envoyé pour rejoindre Notre‑Seigneur ; Jésus attend lui‑même deux jours avant de partir, puis il voyage une journée entière et arrive sur le soir du quatrième jour à Béthanie. En combinant ces détails avec les versets 17 et 39, on voit que le messager dut trouver Lazare mort quand il vint rendre compte de sa mission.



Jean 11.7 Il dit ensuite à ses disciples : "Retournons en Judée." - Retournons en Judée. Béthanie était au cœur même de cette province. Ce n’est pas sans raison, l’objection des apôtres le prouve (verset 8), que Jésus nomme la Judée au lieu de Béthanie : il opposait à la tranquille Pérée (cf. 10, 40) la contrée hostile dont il avait fui naguère les dangers.



Jean 11.8 Les disciples lui dirent : "Maître, tout à l'heure les Juifs voulaient vous lapider et vous retournez là ?" - Les disciples lui dirent. Ils sont naturellement épouvantés à ce seul nom de la Judée, et ils font à leur Maître de respectueuses remontrances. - tout à l'heure les Juifs voulaient vous lapider, cf. 8, 59, et surtout 10, 31. Les disciples n’avaient pas oublié ces scènes terribles. Il est touchant de les voir manifester tant d’intérêt pour Jésus. - Et vous retournez là ? La phrase est pleine d’énergie. Mais n’est‑ce pas vous exposer à une mort certaine ?



Jean 11.9 Jésus répondit : "N'y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne se heurte pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde. 10 Mais s'il marche pendant la nuit, il se heurte parce qu'il manque de lumière." - Le Sauveur essaie, par quelques paroles figurées qui ont une grande analogie avec 9, 4 (voyez le commentaire), de calmer les esprits troublés de ses amis. Vos craintes sont exagérées, leur répond‑il au moyen de cette petite parabole, car, actuellement, je ne cours aucun péril. - Le jour n’a‑t‑il pas douze heures ? Il part du fait tout évident de la division du jour en douze heures, puis il suppose le cas d’un voyageur qui marche pour arriver à son but. Tant que dure le jour, continue‑t‑il (Si quelqu’un marche pendant le jour), cet homme surmonte aisément les obstacles du chemin ; et Dieu sait ce qu’ont toujours été les chemins de l’Orient. - Il ne heurte pas (προσκόπτει, verbe pittoresque, « il ne frappe pas contre », l’équivalent du mot hébreu בשל) : il ne va pas se heurter péniblement à chaque pas, car il est bel et bien éclairé par le soleil parce qu’il voit la lumière de ce monde ; expression relevée pour désigner l’astre du jour). La nuit, il en est autrement (Mais s’il, antithèse), pour le motif contraire : il manque de lumière ; le voyageur est plongé dans les ténèbres, et tout devient pour lui une difficulté, un embarras pénible. - L’application à Jésus se fait maintenant d’elle‑même. Les douze heures représentent l’ensemble de sa vie, plus particulièrement la durée de son ministère public. Actuellement, quoique pour lui le jour approche de sa fin, il marche encore en pleine lumière ; il n’a donc pas à redouter les embûches de ses ennemis, car Dieu est avec lui et le protège.





Jean 11.11 Il parla ainsi et ajouta : "Notre ami Lazare dort, mais je me mets en route pour le réveiller." - Il parla ainsi et ajouta, cf. verset 7. Cette tournure indique une pause légère ; notez la manière dont les plus menus détails sont signalés dans cette narration extrêmement circonstanciée. Jésus fait connaître aux disciples le motif de son retour en Judée. Sa science divine apparaît merveilleusement dans toute cette première partie du récit : il sait que la maladie n’est arrivée que pour la gloire de Dieu et la sienne propre, qu’il ne court personnellement aucun danger actuel, que Lazare est déjà mort. C’est d’une façon toute gratuite et bien inutile que divers auteurs lui font recevoir en ce moment un second message de Béthanie. - Notre ami Lazare. Ce « notre » est très touchant. Les amis de Jésus sont les amis de ses apôtres, tant ces derniers lui sont étroitement associés ; et par là même, réciproquement, ses disciples ne peuvent pas ne pas être affectionnés à ceux qu’il aime. - Dort  (dans le grec, au parfait : il s’est endormi) ; mais je me mets en route pour le réveiller. Qui mieux que Jésus pouvait employer cette métaphore ? « Mais le Seigneur le fit sortir du tombeau plus facilement que tu ne fais sortir de son lit un homme endormi. C’est donc eu égard à sa puissance qu’il a dit que Lazare dormait », S. Augustin, Traité sur S. Jean, 49, 9. Voyez la note du verset 13.



Jean 11.12 Ses disciples lui dirent : "S'il dort, il guérira." - Les apôtres avaient pris le verset 4 à la lettre ; ils interprètent littéralement aussi la dernière parole de Jésus, et concluent qu’une heureuse crise, pronostic d’un prompt rétablissement, s’est produite dans l’état de Lazare. Ils pensaient que le retour du sommeil était un excellent présage de guérison. Les vieux rabbins, qui s’occupaient parfois de médecine, mentionnaient le sommeil comme l’un des dix symptômes favorables. Il est fort possible que les disciples auront relevé aussitôt cette circonstance, pour empêcher le départ du Sauveur. Maître, à quoi bon exposer votre vie, maintenant que la sienne est en sûreté ?



Jean 11.13 Mais Jésus avait parlé de sa mort et ils pensaient que c'était du repos du sommeil. - S. Jean explique la méprise à laquelle il avait lui‑même participé. - de sa mort et ils pensaient que Non que l’image fût obscure en elle‑même, car elle apparaît déjà dans l’Ancien Testament (cf. Ecclésiastique 43, 23) ; bien plus, Jésus l’avait employée dans une circonstance analogue, Matth. 9, 24, et elle était alors d’un fréquent usage, comme on le voit par les littératures rabbinique et chrétienne (cf. encore Matth. 27, 52 ; Actes 7, 60 ; 13, 36 ; 1 Thessaloniciens 4, 13 et ss. ) : mais l’esprit des apôtres en ce moment était dirigé d’un autre côté. L’évangéliste raconte cela avec une admirable candeur. Voyez, 4, 33 ; 14, 5, 8, 22, et Matth. 16, 7, d’autres épisodes analogues.



Jean 11.14 Alors Jésus leur dit clairement : "Lazare est mort 15 et je me réjouis à cause de vous de n'avoir pas été là, afin que vous croyiez, mais allons vers lui." - Jésus leur dit clairement. Donc, parce qu’ils avaient mal interprété sa parole ; παρρησίᾳ, dit le grec (cf. 7, 13 ; 10, 24 ; 16, 25, 29), ouvertement, sans métaphore ni ambiguïté. - Je me réjouis à cause de vous. Jésus contemple avec joie une heureuse conséquence pour ses disciples : afin que vous croyiez (ἵνα πιστεύσητε, ce mot ἵνα -afin que- si fréquent dans le quatrième évangile ; voyez l’Introduction, § 6, 2). Ils croyaient déjà, mais « leur foi avait besoin de se fortifier encore, et l’accroissement qu’elle va recevoir auprès de la tombe de Lazare leur sera, dans peu, bien nécessaire, quand ils se trouveront en face de celle de leur Maître » (Godet, h. l. ). - De n'avoir pas été là. Comme si la mort eût été impossible en présence du Christ. - Mais (néanmoins ; brusque transition) allons (ἄγωμεν comme au verset 7 ; de même au verset 16)… Cela encore est une expression extraordinaire, et sans doute intentionnelle de la part de Notre‑Seigneur : il parle du mort comme d’une personne vivante (vers lui).



Jean 11.16 Et Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : "Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui." - Thomas...dit (voyant Jésus décidé à partir, et répondant en quelque sorte à son invitation). Non seulement personne ne fait plus d’objection au départ immédiat (cf. verset 8), mais l’un des disciples prend la parole pour encourager les autres (aux autres disciples, τοῖς συμμαθηταῖς, expression qu’on ne trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament). - Thomas, appelé Didyme. Le premier de ces noms vient de תומא (Thôma), forme araméenne dérivée de l’hébreu תאס (Theôm) ; le second n’est que la traduction grecque du premier. Le premier mot hébreu, comme Δίδυμος dont les Latins ont fait « Didymus », signifie donc « jumeau » (cf. le texte hébreu de Genèse 25, 24), et ce nom contenait sans doute une allusion à la naissance de S. Thomas (« qui était né simultanément avec son autre frère, comme dit Euthymius », Maldonat). Il est vraisemblable que l’appellation grecque était devenue d’un usage plus fréquent à l’époque où écrivait S. Jean : c’est pour cela qu’elle est ajoutée soit ici, soit plus bas, 20, 24 ; 21, 2, au nom hébreu, qui est seul mentionné dans les listes des apôtres d’après les synoptiques et d’après les Actes. Voyez la note sous Matthieu, 10, 2-4 . - Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui. Non pas avec Lazare, selon l’interprétation étrange de quelques auteurs, mais avec Jésus, cf. verset 8. Les disciples savaient fort bien que la haine des Juifs pour leur Maître rejaillirait sur eux, et qu’on ne les épargnerait guère si l’on attentait à sa vie. Cette parole de S. Thomas est donc marquée au sceau d’un vrai courage et d’un amour généreux. Toutefois, l’apôtre nous apparaît dès maintenant avec son tempérament sombre, qui voit les choses en noir et qui hésite avant de croire. L’assertion si nette de Jésus, versets 9 et 10, ne l’a pas rassuré ; il doute, et se voit infailliblement voué à un prochain martyre.



Jean 11.17 Jésus vint donc et trouva Lazare depuis quatre jours dans le tombeau. - Jésus vint donc… D’après le verset 30, il s’arrêta vers l’entrée de la bourgade. - La locution il trouva met bien en évidence le but de son voyage : Lazare. - Depuis quatre jours. Voyez la note du verset 6. L’indication de cette circonstance a évidemment pour but de relever l’éclat du miracle. - Dans le tombeau, cf. 5, 5. Conformément aux coutumes orientales, Lazare avait été déposé dans le tombeau rapidement après sa mort. Voyez Actes 5, 6-10.



Jean 11.18 Or Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ. - Détail topographique pour expliquer aux lecteurs non‑juifs le fait raconté plus bas, verset 19 : la proximité de Jérusalem amena des visiteurs nombreux à Marthe et à Marie. - L’imparfait était ne prouve pas nécessairement, comme on l’a cru parfois, que Béthanie avait cessé d’exister (par suite de la guerre des Romains), quand S. Jean écrivait son récit ; l’emploi de ce temps est très usité pour désigner une chose qui dure encore, mais que le narrateur associe à l’histoire d’un fait complètement passé, cf. 18, 1 ; 19, 41 ; Act 17, 21, etc. - À environ quinze stades. Le stade, σταδίων, était une mesure de longueur qui comprenait 185 mètres. Telle est bien la distance qui sépare aujourd’hui Béthanie de Jérusalem (un peu moins de trois kilomètres) ; on la franchit en 35 minutes.



Jean 11.19 Beaucoup de Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler au sujet de leur frère. - Beaucoup de Juifs. Avant l’arrivée du vrai Consolateur, d’autres consolateurs, parents et amis de la famille, sont venus de Jérusalem à Béthanie. Le mot « Juifs » représente ici le parti de l’opposition contre Jésus, cf. verset 37 et 1, 19, etc. - Près de Marthe et de Marie. La locution grecque est à remarquer, littéralement : vers celles qui entouraient Marthe et Marie. Ce n’est pas une tournure oiseuse. On ne rencontre pas souvent cette expression, sauf dans le cas de personnages illustres ou de ceux qui faisaient partie du cercle de leurs amis ou de leurs ministres. On peut donc en déduire que Marthe et Marie étaient membres de la haute société juive. Conclusion d’autant plus légitime, que, nous l’avons vu, d’autres considérations la favorisent aussi. - Pour les consoler. De tout temps les Juifs, formalistes comme souvent les Orientaux, ont eu leur étiquette de deuil, rigoureusement suivie, cf. Genèse 50, 11 ; 1 Samuel, 31, 13 ; Judith, 16, 14 ; Ecclésiastique 22, 10 ; Josèphe, Antiq. 17, 8, 4. Au retour de la procession funéraire, Marthe et Marie, rentrées chez elles, s’assirent à terre, les pieds nus, la tête voilée, et les visites de condoléance commencèrent. Leurs amis, assis auprès d’elles, manifestaient leur sympathie par de profonds soupirs, mais sans rien dire, à moins qu’elles ne proférassent elles‑mêmes les premières paroles ; ainsi le veut l’usage. Les sept premiers jours surtout étaient consacrés aux visites, et considérés comme le temps d’un deuil plus solennel. Du reste, certains de ces rites subsistent dans le judaïsme moderne. Évidemment, dans la circonstance présente, c’est la Providence qui avait conduit tous ces Juifs à Béthanie pour les rendre témoins, et témoins hostiles, témoins forcés, du miracle de Jésus.



Jean 11.20 Dès que Marthe eut appris que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison. - Dès que Marthe eut appris que Jésus arrivait, elle alla au‑devant. C’est bien Marthe, telle que S. Luc nous l’a dépeinte, 10, 40-42 (voyez la note sous Luc 10, 38.) avec son activité fiévreuse, sa nature plus extérieure. A peine a‑t‑elle appris, et elle dut l’apprendre la première en sa qualité de maîtresse de maison, cette heureuse nouvelle, Jésus venait, qu’elle se précipite à sa rencontre et le rejoint à l’endroit où il s’était arrêté, cf. verset 30. - Tandis que Marie se tenait assise à la maison. Marie aussi est bien la même que dans S. Luc, 10, 38, avec son caractère calme, intérieur, contemplatif. La coïncidence est vraiment frappante, et l’on voit bien que chaque évangéliste a décrit des personnages historiques, réels. Toutefois, si la plus jeune sœur ne va pas immédiatement au devant du Sauveur, « ce n’est pas, dit très bien S. Jean Chrysostome, Homil. in h. l., que Marthe fût en ce moment plus zélée, mais Marie n’avait pas entendu ». Marthe, sous le coup d’une vive émotion, avait oublié de l’avertir que le Maître était là. Nous avons dit plus haut que les personnes en deuil recevaient assises les visites de leurs amis ; c’est ce qu’exprime d’une manière pittoresque l’imparfait « était assise » (Erasme, « restait assise »), qui dénote une posture habituelle, cf. Job. 2, 8, 13 ; Ézéchiel 8, 14 ; Néhémie 1, 4.



Jean 11.21 Marthe dit donc à Jésus : "Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. - Marthe prononce la première parole, trait si naturel dans une pareille rencontre, et parfaitement conforme au caractère de Marthe. - Seigneur, si vous aviez été ici. Ce n’est pas une plainte, c’est la simple constatation d’un fait, un retour douloureux sans doute, mais plein de délicatesse, sur ce qui certainement n’aurait pu avoir lieu en présence de Jésus. Voyez au verset 15 une supposition semblable de Notre‑Seigneur. De plus, Marthe ne dit pas : Si vous étiez venu plus tôt, ce qui eût ressemblé à un reproche, mais : Si vous aviez été ici. Le P. Patrizi, expliquant cette parole, dit excellemment : « Elle se comportait comme une personne modeste, simple, spontanée, capable d’exprimer le sentiment qu’elle éprouvait à ce moment‑là, et en y mettant toute son âme ». - Mon frère ne serait pas mort.



Jean 11.22 Mais maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous l'accordera." - Marthe développe et rend encore plus complet l’acte de foi qu’elle a si bien commencé. - Mais maintenant encore, je sais que (même maintenant que mon frère est mort). Je sais et je crois. Ce qu’elle sait, elle l’accentue énergiquement dans la suite de la phrase : tout ce que vous demanderez à Dieu… Toutes choses sans exception ; par conséquent, ainsi que cela est insinué avec une nouvelle délicatesse sous cette formule générale, même la résurrection de Lazare. - Dieu vous l’accordera. La répétition du nom de Dieu est remarquable, et montre que Marthe supposait Jésus uni au Seigneur par des liens tout à fait intimes. Et néanmoins, ne dirait‑on pas en même temps, comme l’ont pensé des exégètes anciens et modernes, que l’idée qu’elle se fait de N.-S. Jésus‑Christ n’est pas exempte d’imperfections ? Elle paraît supposer qu’il a un besoin absolu de demander à Dieu la puissance miraculeuse, qu’il n’a de force que par intercession, et, pour désigner la prière à laquelle il devrait recourir dans ce cas, elle emploie une expression d’un ordre inférieur, αἰτήσῃ, qui ne sert nulle part ailleurs dans l’évangile à représenter les supplications de l’Homme‑Dieu. En effet, les écrivains sacrés, et le Sauveur lui‑même, ont alors recours à des termes plus nobles, qui marquent mieux la demande du Fils à son divin père : ἐρωτᾶν (14, 16 ; 16, 26 ; 17, 9, 15, 20), δεῖσθαι (Luc, 22, 32), θέλω (Jean 17, 24), προσεύχεσθαι (Matth. 26, 36, 39, 42, 44 ; Marc. 32, 35, 39 ; Luc, 3, 21 ; 5, 16 ; 6, 12 ; 9, 18, 28, 29 ; 11, 1 ; 22, 41, 44).



Jean 11.23 Jésus lui dit : "Votre frère ressuscitera." - Ce qui suit (versets 23-27) est d’une finesse exquise, qu’on sent beaucoup mieux qu’on ne peut s’exprimer. Les deux interlocuteurs luttent en quelque sorte, si l’on nous permet cette parole humaine relativement à Jésus, d’habileté pour fuir la pensée l’un de l’autre, et pour s’amener réciproquement à la fin qu’ils poursuivent. Marthe voudrait, mais sans le dire en termes ouverts, faire entendre au Sauveur qu’il pourrait bien ressusciter son frère ; Jésus semble ne pas comprendre ce point de vue spécial, car il veut, selon sa coutume, préparer le miracle en accroissant la foi. Ils se disent donc des choses générales, que Marthe, malgré toute sa délicatesse féminine, ne réussit pas à rendre particulières. Voyez Maldonat, Comment. in Jean 11, 24. - Votre frère ressuscitera. Parole d’espérance assurément, mais très ambiguë dans la circonstance ; car Ἀναστήσεται peut désigner aussi bien la résurrection générale à la fin des temps, qu’une résurrection miraculeuse et prochaine.



Jean 11.24 "Je sais, lui répondit Marthe, qu'il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour." - Marthe, dans sa réponse, adopte le premier des deux sens ; elle espérait sans doute que Jésus serait ainsi forcé de préciser davantage sa pensée, et passerait de lui‑même à la seconde interprétation. - Lors de la résurrection, au dernier jour. Toute équivoque disparaît devant ce petit commentaire du verbe il ressuscitera. Il ressuscitera ; oui, je le sais, mais comme tous les autres hommes, et si tardivement. L’expression ἐν τῇ ἐσχάτῃ ἡμέρᾳ est propre à S. Jean dans l’évangile, et il l’emploie toujours pour désigner la résurrection finale et le jugement dernier. Elle représente très nettement l’heure où le temps cessera, pour faire place à l’éternité. Sur la croyance en la résurrection générale à cette époque, voyez Daniel 12, 2 ; 2 Maccabées 6, 9, 14.



Jean 11.25 Jésus lui dit : "Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, - Le Sauveur réplique cette fois par une révélation toute divine, qui forme vraiment le point central du récit. C’est un grand et solennel témoignage qu’il se rend à lui‑même, et dont il attestera la vérité par son prochain miracle. - Je suis la résurrection et la vie… Moi, moi personnellement. Jésus attire ainsi l’attention de Marthe sur lui‑même, sur sa nature, sur ses propres pouvoirs. Non, il ne s’agit pas seulement d’une espérance lointaine ; non, la résurrection n’est pas une faveur pour laquelle je dépendrais d’un autre : en effet, je ne suis pas seulement capable de l’opérer, de la donner aux morts, ainsi je suis vraiment la résurrection personnifiée (ἡ ἀνάστασις) et la vie (καὶ ἡ ζωή, la vie par excellence). Ceci dit plus encore ; car la résurrection ou vie restituée suppose une mort transitoire, tandis que la vie simple, absolue ne connaît pas de défaillance, et triomphe constamment de la mort et du tombeau. Jésus se manifeste très nettement ici comme le Dieu vivant, cf. 1, 4. Comparez aussi les titres analogues qu’il reçoit et d’autres passages du Nouveau Testament : Romains 4, 17, Colossiens 3, 4, 1 Timothée 6, 16, Apocalypse 1, 8), etc. - Les deux mots qui précèdent étaient comme un thème magnifique ; Jésus va maintenant les développer tout à tour, en faire l’application de la manière la plus consolante. Deux hypothèses pouvaient en effet se présenter : parmi ceux qui avaient le bonheur de croire en N.-S. Jésus‑Christ, les uns étaient morts comme Lazare, les autres étaient encore vivants. Le Sauveur examine, relativement à sa personne sacrée, le cas des unes et des autres : pour les premiers il est la résurrection, pour les seconds il est la vie. En résumé, telle sera sa pensée : la mort n’a pas de véritable empire sur ceux qui croient en moi ; quiconque a perdu la vie la retrouvera grâce à moi, quiconque la possède ne la perdra jamais. - Première hypothèse : celui qui croit en moi… La foi au Christ est évidemment la condition sans laquelle on ne saurait avoir part aux précieux avantages signalés ensuite. - quand même il serait mort (physiquement, d’une mort extérieure), vivra (spirituellement et à tout jamais). La mort ne disparaît donc pas d’une manière absolue ; mais, là même où elle se manifeste, elle n’est que relative, grâce au Messie. Les blessures faites par elle sont aussitôt réparées ; la vie des fidèles, qui semblait interrompue, brisée, refleurit soudain dans un monde meilleur, et elle est plus vie que jamais : « la vie est changée, mais pas enlevée », cf. Isaïe 25, 8 ; 26, 19.



Jean 11.26 Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas pour toujours. Le croyez-vous ?" - Deuxième hypothèse : Et quiconque vit (physiquement) et croit… « Quiconque » manquait dans la phrase précédente, quoiqu’il fût bien dans la pensée ; il ajoute ici « de l’ampleur à la promesse », Westcott. - Ne mourra pas pour toujours. Grande énergie d’assertion. Le redoublement de la particule négative l’accroît encore dans le texte grec. C’est ainsi que la foi devient l’élément d’une vie perpétuelle, laquelle ne saurait être lésée par la mort même. On voit de quelle manière forte et délicate Jésus élève jusqu’aux régions supérieures de la vie l’esprit et le cœur de Marthe, qui retombaient trop vers la terre. - Le croyez-vous ? Par cette interpellation soudaine, il la provoque à faire un aveu de foi explicite sur l’imposante vérité qu’il vient de lui révéler.



Jean 11.27 "Oui, Seigneur" lui dit-elle, "je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir en ce monde." - Oui, Seigneur. Elle répond fermement, sans hésiter, par une noble confession analogue à celle de S. Pierre, Matth. 16, 16. - Je (moi à qui vous adressez cette question) crois. Elle exprime une conviction parfaitement établie, et qui existait déjà depuis un certain temps. - Vous êtes le Christ, Marthe reconnaît en Jésus le Messie promis à son peuple. Le Fils du Dieu vivant. L’épithète vivant, si expressive parce qu’elle contient une frappante allusion aux paroles de Jésus : « Je suis la résurrection et la vie ». Quelle idée théologique Marthe associait‑elle au titre de Fils de Dieu ? Sa réponse ne suffit pas pour le déterminer (avec certitude)… Ce titre exprimait du moins la persuasion que Jésus possédait un être surhumain. C’est toujours en des occasions solennelles, et lorsqu’ils voulaient marquer leurs plus hautes conceptions relativement à leur Maître, que les disciples l’appelaient Fils de Dieu, cf. 1, 49 ; Matth. 14, 33 ; 26, 54, etc. Néanmoins, ils ne prenaient pas toujours ces mots dans le sens métaphysique qu’on leur réserve aujourd’hui, cf. Tolet, h. l. - Qui devait venir en ce monde. Sur cette qualification juive du Messie, voyez Matth. 11, 3 ; Luc. 7, 19, 20, et les commentaires. L’expression « venir dans le monde » est fréquente dans les écrits de S. Jean (1, 9 ; 3, 19 ; 6, 14 ; 9, 39 ; 12, 46 ; 16, 28 ; 18, 37). Appliquée au Christ, elle désigne sa mission céleste, et représente le monde comme le théâtre de son ministère. - Euthymius accuse injustement Ste Marthe de n’être pas bien entrée dans la pensée du Sauveur, et de répondre à une chose par une autre. En vérité, l’incohérence n’existe qu’à la surface. Marthe « croit que Jésus est la résurrection et la vie, puisqu’elle croit qu’il est le Christ », Luthardt. Ces deux dogmes étaient du reste très étroitement unis dans la théologie des anciens Juifs. « Le Messie ressuscitera ceux qui dorment dans la poussière », lisons‑nous au Midrasch Tillin, f. 42, 1, et, aujourd’hui encore, l’article du symbole israélite qui affirme la résurrection des morts suit immédiatement celui où il est question de la venue du Messie.



Jean 11.28 Lorsqu'elle eut ainsi parlé, elle s'en alla et appela en secret Marie, sa sœur, disant : "Le Maître est là et il t'appelle." - Jésus et Marie, versets 28-32. - Lorsqu’elle eut ainsi parlé, elle s’en alla. Après cette belle confession, Marthe n’avait plus rien à ajouter ; laissant donc un instant Jésus, elle s’en retourne à la maison pour avertir sa sœur. - Et appela en secret Marie, parlant à voix basse et à l’oreille. Ce mot n’est employé qu’en trois autres endroits du N. T. (Matth. 1, 19 ; 2, 7 ; Actes 16, 37), et il est toujours associé au verbe appeler. Marthe savait que, parmi les visiteurs venus de Jérusalem, plusieurs nourrissaient des sentiments hostiles à l’égard de Jésus ; elle ne voulut donc pas leur faire connaître sa présence. Ou bien, plus simplement, elle désirait que sa sœur et elle fussent seules avec lui. - Le Maître. Le Maître bien connu. C’était l’appellation familière usitée dans la famille. - Il t’appelle. Jésus avait donc manifesté directement le désir de voir Marie, bien que l’évangéliste, dans son intention d’abréger, n’en eût encore rien dit.





Jean 11.29 Dès que celle-ci l'eut entendu, elle se leva promptement et alla vers lui. - La description est tout à fait graphique. Combien Jésus était vénéré dans cette maison de Béthanie. Cf. 4, 30 et le commentaire. Marthe revint auprès de Jésus avec sa sœur, cf. verset 39.



Jean 11.30 Car Jésus n'était pas encore entré dans le village, il n'avait pas quitté le lieu où Marthe l'avait rencontré. - Note rétrospective, qui a pour but de préparer le détail suivant, verset 31. Jésus désirait probablement que les premiers moments de son entrevue avec Marthe et Marie fussent sans témoins désagréable ; c’est pourquoi il n’alla pas les trouver directement chez elles.



Jean 11.31 Les Juifs qui étaient avec Marie et la consolaient, l'ayant vue se lever en hâte et sortir, la suivirent en pensant : "Elle va au tombeau pour y pleurer." - Les Juifs… cf. verset 19. - L’ayant vue se lever en hâte et sortir. L’évangéliste répète ce trait, pour mieux montrer combien les visiteurs furent frappés de l’émotion subite de Marie et de son départ précipité. - La suivirent, en pensant... Croyant que, saisie par un paroxysme de douleur, elle allait pleurer auprès du tombeau de son frère, ils la suivirent pour lui adresser là quelques paroles de sympathie. - Elle va au tombeau… La visite des tombeaux, surtout aux premiers jours de deuil, n’était pas moins dans les mœurs des anciens Juifs que dans les nôtres. Ce sont plus ordinairement les femmes qui la pratiquent en Orient. Elles passent parfois de longues heures au cimetière, et s’abandonnent sur la tombe de leurs proches à toutes les manifestations qu’inspire une violente douleur. - Pour y pleurer : expression qui désigne des pleurs à haute voix, des sanglots, cf. 16, 20 ; 20, 11 et ss ; Matth. 2, 18 ; Marc. 5, 38 ; Luc. 7, 13 ; Actes 9, 39, etc. Nous aurons un autre verbe au verset 35. - Les Juifs n’avaient pas songé à faire la même supposition quand Marthe les avait quittés ; elle leur vient immédiatement à l’esprit pour Marie : cela encore est caractéristique.



Jean 11.32 Lorsque Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant, elle tomba à ses pieds et lui dit : "Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort." - Arrivée auprès de Jésus, Marie se laisse tomber à ses pieds : Marthe était restée debout ; mais sa sœur est plus passionnée, plus ardente, nous en avons encore une preuve dans ce geste pittoresque. - Seigneur, si vous aviez été ici… Marthe avait déjà fait à Jésus la même réflexion, verset 1. On conçoit que les deux sœurs l’eussent maintes fois échangée entre elles pendant la maladie de Lazare. Nous avons pourtant à signaler ici une inversion significative : le pronom mis en avant accentue davantage la perte personnelle que Marie avait faite, et, par suite, la douleur très vive qu’elle ressentait. « C’est comme une partie d’elle‑même » (Godet) qui avait disparu. - Marie ne dit pas autre chose à Jésus ; sa sœur, moins impressionnable, avait pu converser avec le Maître : pour elle, elle éclate tout à coup en sanglots (cf. verset 33). Ce fut du reste une puissante prière. « Ce qu’elle n’a pas pu demander avec des paroles, elle l’a demandé avec des larmes », Maldonat. Comparez ce passage célèbre du prince des orateurs romains, qui décrit la douleur d’une pauvre mère dont un cruel fonctionnaire avait fait périr le fils : « Elle est venue vers moi, et, m’appelant son salut et implorant le nom de son fils, elle s’est jetée à mes pieds, la malheureuse, comme si je pouvais rappeler son fils des enfers » (In Verr. 5, 39). Mais Marie n’aura pas gémi en pure perte aux pieds du Sauveur.



Jean 11.33 Jésus la voyant pleurer, elle et les Juifs qui l'accompagnaient, frémit en son esprit et se laissa aller à son émotion. - Jésus la voyant pleurer, comme au verset 31. - Et les Juifs qui l'accompagnaient. Encore la même expression. Les Juifs aussi pleurent à haute voix, gagnés par la contagion des larmes. Tableau bien simple, mais infiniment touchant. - A cette vue, Jésus lui‑même est saisi par une émotion violente, que l’évangéliste a essayé de retracer par la locution ἐνεβριμήσατο τῷ πνεύματι, frémit en son esprit. Le verbe ἐνεβριμᾶσθαι (racine : bourdonner, ronfler, avec harmonie imitative), n’est employé que cinq fois dans le Nouveau Testament : Jean 11, 33, 38 ; Matth. 9, 30 ; Marc. 1, 43 ; 14, 5 (voyez nos commentaires de ces trois derniers passages), et toujours il exprime, comme dans les classiques et dans la traduction des Septante, le mécontentement, et même la colère, l’indignation. Frémir, éprouver une violente colère, et s’indigner. Grotius, Lücke, Tholuck, Ewald en affaiblissent la signification d’une manière notable, quand ils ne lui font exprimer ici qu’une explosion de vive sympathie et de chagrin. - en son esprit localise pour ainsi dire, et restreint à l’âme de N.-S. Jésus‑Christ le mouvement de la passion, cf. verset 38. - Et se laissa aller à son émotion n’est pas une simple périphrase pour « fut troublé », 13, 21 : c’est une expression d’une parfaite exactitude théologique, choisie à dessein par le narrateur, dans le but de montrer qu’il n’y avait rien de purement passif dans la sainte âme du Sauveur, mais que toutes ses émotions demeuraient constamment sous son contrôle, cf. S. Thomas d’Aquin, Somme Théologique partie 3, q. 18, a. 6. D’après quelques exégètes, ce trouble volontaire ne devrait pas être confondu avec le sentiment d’indignation mentionné plus haut ; c’eût été un ébranlement physique, un frisson passager, cf. Euthymius, Meyer, etc., h. 1. - Mais pour quel motif spécial Jésus s’indigne‑t‑il ? Les opinions sont diverses. Notre‑Seigneur s’irriterait, a‑t‑on dit, à l’occasion des larmes de Marie, dans lesquelles il voyait un signe d’incrédulité (Lampe, etc.) ; ou bien, à cause de la douleur affectée et hypocrite des Juifs (Meyer, Watkins, Plummer, etc.) ; ou parce qu’il se voyait un objet de haine pour un grand nombre, et que ses meilleurs amis ne le comprenaient pas assez (Brückner) ; plus spécialement, en prévision du redoublement de rage que la résurrection de Lazare, le plus glorieux de ses miracles, allait susciter dans les cœurs de ses ennemis (Godet, Abbott, etc.), ou encore, à cause de sa propre émotion humaine que sa divinité, elle, ne pouvait éprouver (Origène et d’autres auteurs anciens ou modernes). Nous préférons dire avec S. Augustin, Nicolas de Lyre, Cornelius a Lap., Tolet, Luc de Bruges, et un grand nombre de commentateurs, que Jésus, ému par la douleur qui éclatait autour de lui, s’indigne en ce moment contre les puissances soit infernales, soit naturelles (le démon, le péché, le mort), qui apportent sur la terre tant de maux et tant de tristesses, dont les pires sont les damnations. S. Augustin : « Dans la voix de celui qui frémit apparaît l’espoir de celui qui reprend vie ». Pour consoler Marthe, il avait eu recours à la parole ; il consolera Marie par l’action.



Jean 11.34 Et il dit : "Où l'avez-vous mis ? Seigneur, lui répondirent-ils, venez et voyez." - Où l’avez-vous mis ? S’adressant aux deux sœurs, il demande à être conduit auprès du tombeau. Si nous ne nous trompons pas, cette question est la seule que les évangélistes attribuent à N.-S. Jésus‑Christ. - Venez et voyez. La réponse, comme la demande, est énoncée avec le moins de mots possibles. C’est ainsi qu’on parle dans la douleur.





Jean 11.35 Et Jésus pleura. - Ligne toute divine, qu’on a bien de la peine à lire sans verser soi‑même quelques larmes. Elle méritait d’être mise à part dans un verset qui est à la fois l’un des plus courts et peut-être le plus touchant des Saints Livres. La brièveté dramatique et solennelle du style la relève admirablement. Le verbe grec marque des pleurs muets et silencieux, par opposition aux sanglots de Marie et des Juifs (versets 31 et 33). Pourtant Jésus pleura lui‑même un jour à haute voix, à l’occasion de la mort morale, de la ruine prochaine de sa patrie, cf. Luc. 19, 41 et le commentaire. Quelques rationalistes se scandalisent des larmes de Jésus (Baur, Strauss, Keim) : ils préféreraient sans doute un Fils de l’homme apathique et froid comme les dieux du paganisme, qui ne savaient pas pleurer. Dans l’Hippolyte d’Euripide, le héros dit tristement à Artémise : « Vois‑tu, ma souveraine, l'état déplorable où je suis ? » … Et Diane répond : « Je le vois, mais il n'est pas permis à mes yeux de verser des larmes » (Hippolyte, v. 1395). Mais le Verbe fait chair n’était pas au‑dessus des larmes, qui manifestent, après tout, un des plus nobles côtés de la nature humaine. « En donnant des larmes, la nature affirme qu’elle a donné au genre humain des cœurs très tendres. C’est la meilleure partie de nos sentiments ». Juvénal, Sat. 15, 131 et ss.



Jean 11.36 Les Juifs dirent : "Voyez comme il l'aimait." - L’assistance porte, elle aussi, deux jugements bien dissemblables sur cette conduite de Jésus. Partout, du reste, depuis la naissance de Notre‑Seigneur, nous avons remarqué dans les évangiles un double courant de l’opinion à son sujet. Voyez la note sous Luc, 2, 34-35. - Voyez comme il l’aimait… Dans le grec, nous avons pareillement l’expression de tendresse employée par les sœurs de Lazare, verset 3, cf. verset 5 et le commentaire.

Jean 11.37 Mais quelques-uns d'entre eux dirent : "Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d'un aveugle-né, faire aussi que cet homme ne mourût pas ?" - Mais quelques‑uns… Ceux‑ci font une suggestion dure et odieuse : Il pleure, soit. Mais à quoi bon quelques larmes stériles ? n’eût‑il pas mieux fait de guérir à temps son ami ? Nous retrouverons ces hommes sans cœur au verset 46, comme les dénonciateurs de Jésus auprès du parti pharisaïque. - Ils font du moins un aveu important (Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle‑né), car ils supposent la parfaite réalité de la guérison de l’aveugle‑né, miracle qui avait été d’ailleurs pleinement et officiellement constaté à Jérusalem, et qui occupait encore l’opinion publique, tant son éclat avait été grand. Voyez le chap. 9. De prime abord, il semblerait plus naturel que ces critiques fissent mention des autres résurrections opérées par Jésus ; mais elles remontaient à une époque antérieure, et avaient eu la Galilée pour théâtre ; pour ce double motif elles présentaient moins d’intérêt à des habitants de la capitale, qui pouvaient en outre fort bien les ignorer. Ce trait a donc été justement regardé comme un garant de la véracité du narrateur. - C’est bien en vain que plusieurs exégètes récents (Lücke, Tholuck, de Wette, A. Maier, Brückner, Ewald, etc.) ont voulu contester le caractère malin et sarcastique de la réflexion contenue dans ce verset.



Jean 11.38 Jésus donc, frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au tombeau : c'était un caveau et une pierre était posée dessus. - Jésus, frémissant de nouveau : même expression qu’au verset 33, avec la petite variante en lui‑même au lieu de en son esprit. Cette fois, au motif indiqué plus haut pour le frémissement d’indignation, vinrent s’ajouter les murmures des Juifs (donc), qui dénotaient une haine implacable, interprétant à faux les sentiments les plus délicats. Dans ce chapitre, où la divinité de N.-S. Jésus‑Christ est manifesté avec tant d’éclat, les sentiments humains du Sauveur ne sont pas moins clairement marqués : l’amitié, verset 5, la sympathie et les larmes, verset 35, la colère, versets 33 et 38. Comparez les passages suivants du quatrième évangile, où nous rencontrons la description de sentiments analogues : 4, 6 (la fatigue) ; 4, 7 ; 19, 28 (la soif) ; 13, 2, 23 ; 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7, 20 (l’affection). - Au tombeau (en grec, littéralement : un souvenir, un mémorial, cf. verset 31). Ce monument funèbre qui, d’après l’ensemble du récit, était une propriété de famille, est ensuite rapidement décrit, pour que le lecteur puisse bien suivre toute la scène du miracle. - C’était un caveau. Le mot grec σπήλαιον désigne expressément un caveau creusé par la main des hommes. Ces grottes artificielles, servant de tombeaux aux riches, abondaient aux environs de Jérusalem. On y pénétrait de plain pied, par un ouverture horizontale, tantôt par un escalier aménagé verticalement. - Et une pierre était posée dessus : ce qui pouvait avoir lieu de deux manières, selon que l’entrée du tombeau était placée en haut ou de côté ; l’expression ne détermine rien là-dessus. La pierre était d’ordinaire très grosse (cf. Marc. 16, 4), et elle avait pour but d’empêcher les voleurs nocturnes de dépouiller les cadavres, et les animaux sauvages de les dévorer. Derrière elle, on trouvait le plus souvent une grande salle, dont les parois étaient munies de cavités-couchettes latérales pour recevoir les corps. Quand la famille était nombreuse, il y avait parfois plusieurs salles consécutives, qui communiquaient entre elles par des corridors souterrains. - On vénère aujourd’hui encore à Béthanie le tombeau de S. Lazare, de même qu’on l’a vénéré à travers tous les siècles du Christianisme. Le pèlerin de Bordeaux le mentionne en 333, S. Jérôme au siècle suivant (cf. Onomasticon, au mot Bethania).

Jean 11.39 "Otez la pierre", dit Jésus. Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : "Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu'il est là." - Ôtez la pierre. Commandement énergique dans sa brièveté : déjà l’on entend le maître de la vie. Les esprits et les yeux de toutes l’assistance étaient suspendus. - Marthe, la sœur de celui qui était mort... Les mots ajoutés au nom de Marthe ne sont pas ici une vaine formule : c’est plutôt un trait d’une grande délicatesse, destiné à préparer et à expliquer l’opposition momentanée que fit «  la sœur du mort » à l’enlèvement de la pierre. Une sœur devait éprouver un sentiment particulier de répugnance et de peine à voir elle‑même, et à laisser contempler par de nombreux témoins, le sceau hideux de la mort imprimé sur la face de son frère. Elle prévoit même plus que cela, comme elle l’exprime. Mais il est encore bien caractéristique que cette réflexion vienne tout d’abord à la pensée de Marthe et non à celle de Marie. - Seigneur : terme de respect, pour demander en quelque sorte la permission de s’opposer à l’ordre de Jésus. - Il sent déjà. Marthe expose dans toute son horreur ce qui lui paraît être, vu la circonstance, un fait trop réel ; car, ajoute‑t‑elle, car il y a quatre jours... Il n’est pas sans intérêt de noter ici une étrange tradition juive : « C’est surtout le troisième jour que le deuil atteint son maximum. En effet, durant trois jours l’esprit (du mort) erre autour du tombeau, attendant pour voir s’il pourra se réunir au corps. Mais quand il s’aperçoit que l’aspect du visage est changé, il s’éloigne et abandonne le cadavre à son sort. Or après trois jours, l’aspect du visage est changé. » D’après quelques anciens auteurs, par les mots Il sent déjà, Marthe n’aurait pas seulement énoncé une présomption, du reste bien légitime, mais le résultat d’une expérience que chacun pouvait faire. (« Ils sentaient l’infection », dit S. Ambroise, De Fide resurrect., 2, 80. « Une maladie infectieuse exhalait une odeur putride », Sedulius… cf. Prudentius, Apotheosis, 759-766 ; S. Augustin, Traité 49 sur S. Jean, etc. La lettre apocryphe de Pilate à l’empereur Tibère (ap. Thilo, Codex apocryph. N. T. p. 807) relève aussi cette circonstance, avec des développements dont la crudité en montre le caractère légendaire. Le corps avait été sans doute embaumé selon la coutume, mais d’après la méthode juive, qui consistait simplement à parfumer le mort avec une huile précieuse et à l’entourer d’aromates, ce qui ne retardait la corruption que pour un temps.



Jean 11.40 Jésus lui dit : "Ne vous ai-je pas dit que si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu ?" - Marthe, on l’a compris, ne soupçonnait pas l’intention de Jésus ; elle pensait qu’il voulait seulement jeter un dernier regard sur son ami : c’est pourquoi elle avait essayé de l’en détourner. Le Sauveur ranime par une grande parole cette fois chancelante : Ne vous ai‑je pas dit … ? Il le lui avait dit, sinon en propres termes, du moins équivalemment, soit par l’entremise du messager, verset 4, soit par lui‑même quelques instants auparavant, versets 23-26 - Vous verrez la gloire de Dieu : la gloire de Dieu manifestée par la résurrection de ton frère. Spectacle magnifique que Jésus promet à Marthe, et qu’il oppose aux impressions pénibles qu’elle redoute pour les assistants et pour elle‑même une fois que la pierre aura été enlevée. Vous verrez est en corrélation avec si vous croyez. D’ordinaire, l’homme aime à contempler les choses avant de croire : c’est le contraire que demande Jésus.











Jean 11.41 Ils ôtèrent donc la pierre et Jésus leva les yeux en haut et dit : "Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. - Ils ôtèrent donc la pierre sans attendre un nouvel ordre. Le Sauveur, quand il le voulait, exerçait par sa seule majesté une puissance irrésistible. - Jésus, leva les yeux en haut... Le thaumaturge se met en communication intime avec son père, et il prie. - Et dit : à haute voix, de manière à être parfaitement entendu. Quelle émotion devait régner autour de lui. - Père... Il débute par ce solennel et tendre appel vers Dieu le Père, qu’il prend à témoin de sa mission et de sa filiation. - Je vous rends grâces... C’est bien une prière qu’il adresse à son Père céleste, mais une prière de remerciements, non de demande. Il n’est pas comme Élisée, qui ne saura rendre la vie qu’à force de supplications prolongées (2 Rois 4, 33 et ss, cf. Actes 9, 40). Pour lui, il y a longtemps qu’il a été exaucé (vous m’avez exaucé), et c’est le motif de son action de grâces. Comme il est sûr de ses pouvoirs il les affirme publiquement, sans craindre d’être démenti par les faits.



Jean 11.42 Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours, mais j'ai dit cela à cause de la foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé." - Pour moi, je savais… L’imparfait, temps de la durée : J’ai toujours su. Le pronom est emphatique. Moi qui connais nos relations réciproques. Jésus s’explique davantage : il ne veut pas qu’il puisse entrer un seul instant dans l’esprit de personne que ses précédentes prières n’auraient pas été toujours bien reçues de Dieu. - Vous m'exaucez toujours. C’est un fait ordinaire et commun (l’adverbe mis en avant fortifie l’idée). Jésus « n’est pas un thaumaturge d’occasion, mais le dépositaire des forces divines d’une manière permanente » (Reuss). - Mais j'ai dit cela à cause de la foule qui m'entoure (il a dit : « je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé »), afin qu’ils croient… Voilà le but du miracle très clairement accentué. Après cela, « si Lazare reste dans la tombe, que Jésus soit reconnu comme un imposteur, et que tous ses autres miracles soient attribués à Béelzébul. Si Dieu, solennellement invoqué, déploie son bras, que Jésus soit reconnu son envoyé « son propre Fils). C’est ainsi que cette action de grâces anticipée, en face de ce tombeau encore habité, fait de ce moment celui d’une épreuve décisive, … et donne à ce miracle, dans l’ensemble de la vie de Jésus, un caractère unique et suprême… Jésus met positivement Dieu à partie dans l’œuvre qui va se faire ; cette œuvre devient par là celle de Dieu même. Dieu, le Dieu d’Israël, sera désormais le garant de sa mission, ou le complice de son imposture ». Godet, Comment. sur l’Evang. de S. Jean, 2è édit., t. 2, p. 225. - Quand, malgré la beauté de cette invocation de Jésus, les rationalistes (décidés à blâmer malgré tout les plus magnifiques passages de cette scène) la traitent de « pièce d’apparat » (Baur, Strauss, etc.), il suffit, pour les réfuter, de leur riposter avec le Dr Stier : « Vous êtes des juges incompétents lorsqu’il s’agit de la prière ». Reden des Herrn Jesu, h. l.



Jean 11.43 Ayant parlé ainsi, il cria d'une voix forte : - Il cria : expression énergique, qui est encore renforcée par les mots d’une voix forte, cf. 12, 13 ; 18, 6, 15 ; v. 28.



Jean 11.44 "Lazare, sors." Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes et le visage enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : "Déliez-le et laissez-le aller." - Lazare… Notre‑Seigneur adresse personnellement au mort cette parole d’autorité, ainsi qu’il avait fait déjà dans les résurrections précédentes (Marc. 5, 41 ; Luc. 7, 14 ; 8, 54) - Sors, hors du tombeau. La phrase est autrement vigoureuse dans le grec grâce à un ellipse du verbe : « ici dehors ! ». Nous lisions plus haut, 5, 25 « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront. » Cette prophétie de Jésus est maintenant réalisée. - Et le mort sortit, immédiatement : trait pittoresque. « Sans intervalle entre la voix et la vie » (S. Hilaire, de Trinit. 6, § 43). - Le mort : contraste frappant avec la vie dont Lazare est tout à coup rempli. - Les pieds et les mains liés de bandelettes (ici seulement dans le N. T.). Ces bandelettes étaient d’ordinaire en toile de lin. Il est possible qu’elles aient enveloppé à part chaque membre, selon la coutume égyptienne, ou bien, elles n’auront été enroulées autour du corps : dans l’une et l’autre hypothèse, on comprend que Lazare ait pu faire plus ou moins péniblement les quelques pas nécessaires pour sortir du tombeau (il sortit). Du reste, Jésus va venir encore à son aide : Déliez-le. Il n’est donc pas nécessaire d’admettre ici un nouveau miracle, « merveille dans la merveille », comme dit S. Basile, cf. S. Augustin, Deuxième discours sur le Ps. 101, 3 : « il ne sortit donc pas par la force de ses pieds, mais par la force de celui qui le ressuscitait ». - Et le visage (ὄψις, ici seulement et Apocalypse 1, 16) enveloppé d’un suaire. Autre détail graphique qui marque le témoin oculaire. Personne, dans l’assistance, ne dut oublier l’apparence extérieure de Lazare sortant du tombeau. Le « sudarium » (mot dont nous avons fait « suaire ») servait, dans son emploi comme linge funèbre, à voiler le visage des morts ; peut-être aussi le passait‑on sous leur menton, pour empêcher la mâchoire inférieure de tomber (cf. 20, 7 ; Luc. 19, 20 ; Actes 19, 12. - Déliez-le et laissez-le aller… Trait délicat de la part du thaumaturge. Il avait tenu une conduite semblable envers la fille de Jaïre, Marc. 5, 43. On conçoit que les assistants, effrayés et émerveillés, n’aient pas songé d’eux‑mêmes à rendre ce service à Lazare. Admirons la réserve du narrateur : il se tait sur la joie de Marthe et de Marie, sur l’ovation qui fut faite à Jésus, sur Lazare lui‑même et sur sa vie subséquente. C’est bien là encore une marque d’authenticité, de véracité. Une légende et un mythe n’eussent pas été aussi sobres. Comparez les récits apocryphes. On trouve pourtant, dans ces pages où l’exagération abonde, quelques détails dignes d’être mentionnés. Par exemple, d’après la Lettre de Ponce‑Pilate (voyez la note du verset 30), Lazare sortit du tombeau. Suivant une légende, Lazare à peine ressuscité aurait demandé à Jésus s’il devrait mourir une seconde fois ; ayant reçu une réponse affirmative, il en fut tellement frappé qu’on ne le vit plus jamais sourire. - Une tradition autrement digne de foi nous apprend que plus tard les Juifs, pleins de haine contre le saint ami de Jésus, le placèrent avec ses sœurs et d’autres disciples sur un vieux bateau dépourvu d’agrès, qu’ils lancèrent dans la Méditerranée. « Mais le navire, sous la gouverne de Dieu, est arrivé à bon port après avoir préservé la vie de tous ses passagers. C’est là que Lazare a été sacré évêque des Marseillais, et qu’il en a converti un grand nombre par la prédication de la parole et par les exemples célestes de sa vie. Il vécut ainsi environ trente années après sa résurrection (cf. S. Épiphane, Haeres, 56, 34), et eut la gloire de subir le martyre à Marseille, âgé de soixante ans. « Son corps sacré, enseveli à Marseille avec les honneurs qui convenaient à un si grand homme, y demeura jusqu’au dixième siècle. Alors, par crainte des invasions musulmanes, il fut transporté à Autun. C’est là encore qu’il est conservé dans la cathédrale… et qu’on fait mémoire de lui dans un culte des plus solennels. L’art chrétien ne pouvait manquer de traduire à sa manière et d’orner noblement ce grand miracle. Pour les représentations antiques, voyez Rohault de Fleury, L’ Évangile, études iconographiques, t. 2, p. 112 et ss. ; Grimouard de S. Laurent, Guide de l’Art chrétien, t. 4, p. 230 et ss. Les plus célèbres des tableaux moins anciens sont ceux de Giotto, de Pordenone, de Fra Angelico, de Michel‑Ange et de Sébastien del Piombo (associés pour la même peinture), de Girofalo, de Bonifazzio, de Barbieri, de Jouvenet, d’Overbeck. On signale aussi une sculpture saisissante de Ghiberti et une eau‑forte vraiment admirable de Rembrandt. Au point de vue musical, nous ne connaissons que le drame lyrique de Rolle, représenté à Leipzig en 1777. Pour la poésie, voyez M. de Laprade, Poèmes évangéliques, p. 169 et ss., et la pièce de Victor Hugo intitulée : Première rencontre du Christ avec le tombeau. Enfin Massillon a un beau sermon, dans son Carême, sur la résurrection de Lazare.



Jean 11.45 Beaucoup d'entre les Juifs qui étaient venus près de Marie et de Marthe et qui avaient vu ce qu'avait fait Jésus, crurent en lui. - Dans ce verset et le suivant, nous voyons le double résultat se manifester chez les témoins oculaires du miracle. - Les mots beaucoup donc d’entre les Juifs… nous ramènent aux versets 19 et 31. - Qui avaient vu ce qu’… Trait noté à dessein. Les hommes en question n’étaient pas les premiers venus : ils avaient vu de leurs yeux le miracle. - Crurent en lui. Le doute était‑il possible désormais ? cf. versets 41-42. Le but de la résurrection de Lazare (versets 4 et 42) fut donc en partie réalisé, puisqu’il y eut aussitôt de nombreux croyants.



Jean 11.46 Mais quelques-uns d'entre eux allèrent trouver les Pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait fait. - Mais quelques‑uns d’entre eux (c'est-à-dire, des témoins du miracle). Le contraste est aussi frappant que douloureux ; aussi ne comprend‑on pas comment divers exégètes ont pu supposer que les témoins ainsi désignés seraient allés sans la moindre malice trouver les pharisiens, uniquement pour leur narrer le cas, et se faire donner par eux, en tant que docteurs de la loi, une solution sur le caractère et le rôle de Jésus. Non, leur démarche est visiblement hostile ; c’est une odieuse dénonciation : mais de nouveau l’évangéliste expose les choses avec réserve. Au passage 9, 13, la situation n’était pas la même.



Jean 11.47 Les Pontifes et les Pharisiens assemblèrent donc le Sanhédrin et dirent : "Que ferons-nous ? Car cet homme opère beaucoup de miracles. - En conséquence de cette nouvelle, Les Pontifes… assemblèrent donc… La sensation produite sur les hiérarques et sur les Pharisiens, c'est-à-dire sur les deux classes dirigeantes du Judaïsme d’alors, fut immense. A la hâte on rassemble le Sanhédrin ou grand conseil (ici seulement dans le quatrième évangile, et sans article), afin d’aviser à ce que l’on pourra faire. Sur la composition de cette assemblée, Voyez la note sous Matthieu, 2, 4. L’association des princes des prêtres et des pharisiens est étrange au premier regard (cf. 7, 45) ; c’étaient en effet deux partis rivaux, toujours en guerre l’un contre l’autre, et cherchant à se soustraire mutuellement l’autorité, la direction politique et religieuse du pays. Mais le désir de renverser un ennemi commun a souvent produit les alliances les plus disparates : voilà ce qui unit pontifes et Pharisiens contre Jésus. - Et dirent (l’imparfait de la continuité) : Que ferons‑nous, les Sanhédristes supposent qu’ils doivent agir promptement et énergiquement. - Car annonce le motif qui leur inspire ce changement de conduite : cet homme (dédaigneux, cf. 9, 16, 24, etc.) opère beaucoup de miracles ? Voilà tout le crime qu’ils reprochent à Jésus : ses miracles, qui se dressent comme une multitude innombrable devant leurs souvenirs, à l’occasion du dernier qu’il a opéré. Fait bien frappant : malgré l’intensité de leur haine, ils ne songent pas à nier la réalité des miracles du Sauveur, et c’est là un témoignage extrêmement fort ; mais ils ne songent pas davantage, tant ils sont aveugles, à en rechercher la signification. Aussi leur langage est‑il une contradiction singulière. Que ferons‑nous ? Mais, si vous admettez ses miracles, vous n’avez qu’une chose à faire, croire en lui. Remarquez l’antithèse : Lui, il fait des miracles sans nombre, et nous demeurons inactifs.



Jean 11.48 Si nous le laissons faire, tous croiront en lui et les Romains viendront détruire notre ville et notre nation." - S’alarmant et s’échauffant de plus en plus, ainsi qu’il arrive aisément dans les assemblées délibérantes, ils développent les dangers de leur inaction, et signalent les résultats terribles qui ne manqueront pas de se produire s’ils ne trouvent un prompt remède à la situation. - Si nous le laissons faire, tous croiront en lui. Ils disaient juste. Oui, sans eux, la nation en masse se serait convertie à Jésus, toute l’histoire évangélique en fait foi. - Et les Romains viendront… A leur point de vue, il faut le reconnaître, cette crainte n’était nullement chimérique. Ce n’est donc pas, comme on l’a dit quelquefois, un cri d’alarme hypocrite qu’ils poussent ici pour légitimer ensuite leur cruauté à l’égard de Jésus ; ils pensaient bien exprimer une inquiétude sérieuse et réelle. Ils connaissaient Rome, et ils connaissaient leur peuple. Rome était tout à fait jalouse de ses droits sur les provinces qu’elle avait conquises, et des séditions antérieures, écrasées sans pitié, lui inspiraient des sentiments de grande méfiance envers les Juifs, cf. 18, 33 ; Actes 16, 21 ; 17, 7, 8, etc. A la moindre occasion sa colère éclaterait, violente, irrésistible. D’un autre côté, la masse du peuple juif, remplie de préjugés, concevait le Messie comme un puissant libérateur, qui secouerait tout d’abord le joug de Rome, et dominerait en roi sur le monde ; on n’attendait que son apparition pour accourir sous ses étendards, et marcher avec lui à la victoire, à la vengeance. Les hiérarques savaient cela, et l’avenir justifia parfaitement leurs sinistres prévisions. Ce fut la rébellion des Juifs qui amena la ruine de leur État et de leur capitale. Toutefois ils connaissaient bien mal Jésus, le vrai Messie, dont le royaume était tout céleste, et qui voulait seulement la conquête des âmes. Sous son empire pacifique, si les Juifs l’eussent proclamé, les conséquences désastreuses redoutées par les pharisiens n’auraient pas eu la moindre raison d’être. « Ils craignaient de perdre les biens temporels, et ils ne se soucièrent pas de la vie éternelle. C’est ainsi qu’ils perdirent les deux », S. Augustin. - Les Romains viendront. Ils étaient déjà en Judée, comme conquérants ; mais ils avaient laissé aux Juifs certaines libertés, grâce auxquelles ceux‑ci pouvaient supposer, l’amour‑propre patriotique aidant, que Rome n’avait pas encore pris pied à Jérusalem. - Détruire notre ville et notre nation. Remarquez ce notre mis en avant de la façon la plus superbe, comme si les choses nommées ensuite étaient le bien propre des Sanhédristes. « τόπον » peut désigner la ville de Jérusalem, ou le temple (cf. 2 Maccabées 5, 19), ou la Palestine entière.



Jean 11.49 L'un d'eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : - L’un d’eux : par conséquent, membre, comme eux, du grand Conseil. - Caïphe (Καϊάφας). Sur ce nom, ou plutôt sur ce surnom, car le vrai nom de Caïphe était Joseph, voyez Matth. 26, 3 et nos commentaires. - Qui était grand prêtre cette année-là Cette tournure est à noter : déjà l’évangéliste montre que Caïphe va parler en tant que Pontife suprême du Judaïsme, cf. verset 51. Les mots cette année‑là répétés de la même manière au verset 51 et 18, 13, ont souvent embarrassé les exégètes et réjoui au contraire les rationalistes. Il est notoire en effet, d’une part, que le souverain pontificat était à vie chez les Juifs, et nullement annuel ; d’autre part, que Caïphe en exerça les fonctions pendant onze années consécutives (25-36 ap. J.-C.) : le narrateur serait ainsi coupable de deux grosses inexactitudes ; donc ce n’est pas un Juif, ce n’est pas S. Jean, qui a composé notre évangile (Strauss, etc.). On a donné trois solutions principales de cette difficulté. Nous avons cité et rejeté ailleurs (voir notes sous Luc, 3, 1-2) la première, d’après laquelle Caïphe et Anne son beau‑père auraient été pontifes à tour de rôle, chacun une année. D’après la seconde, la locution grand prêtre de cette année ne doit pas être prise à la lettre et en toute rigueur : elle se justifie par la succession fréquente des grands‑prêtres depuis la conquête de la Judée par les Romains (S. Jean en connut de 20 à 30). La troisième solution, qui nous paraît être la meilleure et qui est assez communément reçue, consiste à appuyer sur le pronom cette : « cette année célèbre », l’année si remarquable de la mort du Christ. On conçoit maintenant que l’évangéliste ait relevé cette grave circonstance. Caïphe était pontife, non pas en telle ou telle année, ce qui importait peu, mais dans celle où mourut Jésus.



Jean 11.50 "Vous n'y entendez rien, vous ne réfléchissez pas qu'il est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que toute la nation ne périsse pas." - Vous n'y entendez rien. C’est le langage de l’orgueilleux dédain. Caïphe, du reste, savait qu’il n’avait pas besoin de plaire à son auditoire actuel pour l’amener à ses fins : il ne prend donc pas la peine d’abaisser sa fierté sadducéenne. « Les manières des Sadducéens sont très rudes, lisons‑nous dans l’historien Josèphe, Guerre des Juifs 2, 8, 14, soit entre eux, soit envers les autres hommes, qu’ils traitent à la façon d’étrangers. » - Et vous ne réfléchissez pas. Poursuivant la phrase commencée, il leur suggère avec la même désinvolture un moyen sommaire et expéditif, mais brutal, qui conjurera tout péril. - Qu’il est de votre intérêt qu'un seul homme L’assemblée comprit à demi‑mot quel était cet homme qui, d’après la motion de Caïphe, devait servir de bouc émissaire. - Meure pour le peuple : c’est dans la Bible une dénomination spécifique des Juifs, en tant qu’ils formaient la nation théocratique ; le peuple par excellence. - toute la nation. « toute » par opposition à « un seul » (ces deux expressions sont emphatiques). Le mot « gens » (nation) correspond à ἔθνος, qui représente simplement les Juifs comme un des peuples du monde. - Périsse : à la manière et pour le motif précédemment développé, verset 48. La mort d’un seul au lieu de la ruine universelle. N’était‑ce pas un expédient admirable ? C’était, indépendamment de la nature divine de Jésus, un abominable sophisme, pour légitimer un crime. Comme si la raison d’État pouvait tout justifier, tout permettre. Mais Caïphe, avant et après tant d’autres, était un politique que ne gênait aucun scrupule.



Jean 11.51 Il ne dit pas cela de lui-même, mais étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation 52 et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui sont dispersés. - Cette affreuse parole de Caïphe, S. Jean « la voit tout éclairée d’un rayon prophétique », Bougaud, Jésus‑Christ, 3e édit., p. 485. Proférée par le grand‑prêtre, elle lui semble être « un de ces prophéties involontaires que l’Esprit Saint a arrachées plus d’une fois aux méchants ». - Il ne dit pas cela de lui‑même : c'est-à-dire en tant qu’homme ordinaire. Ce n’étaient pas les paroles de Caïphe, c’étaient les paroles du Pontife suprême, du représentant officiel, quoique indigne, de Dieu sur la terre. - Étant grand prêtre… ; l’idée principale est dans cette réflexion de l’écrivain sacré. - Il prophétisa : doit se prendre dans la signification la plus stricte  : Caïphe parla, quoique sans en avoir conscience, en vertu d’une véritable inspiration divine. Anciennement, les grands prêtres juifs avaient le privilège de rendre des prophéties en consultant Dieu par l’Urim et le Thummim (cf. Exode 28, 30 ; Nombres 28, 19 ; 1 Samuel, 28, 6. Le Seigneur fit revivre en quelque sorte pour Caïphe ce merveilleux pouvoir. Comparez Philon, De Creat. princ., 8, 11, où il est dit que tout vrai prêtre est un prophète. - Jésus devait mourir pour la nation  (ἔθνος, expression générale, mais désignant le peuple juif). Tel avait été, au fond, le sens du discours de Caïphe : seulement, le grand‑prêtre était demeuré à la surface de l’idée ; l’Esprit prophétique avait vu bien au‑delà, et S. Jean exprime en son nom la signification complète. - Et non‑seulement pour la nation (encore ἔθνος). Le mot λαος cesse d’être employé, les Juifs, ne méritant pas d’être la nation choisie, ou toute faveur de ce genre devant désormais disparaître. Le narrateur se reprend et se corrige pour ainsi dire : ce n’est pas seulement Israël qui bénéficiera de la mort de Jésus, mais le monde tout entier. - afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui. Beau nom donné aux païens par anticipation. Ils sont les fils de Dieu en puissance, jusqu’à ce qu’ils le deviennent en réalité. - Qui sont dispersés est un trait pittoresque. Les païens étaient en effet disséminés à travers toute la surface du globe. Toutefois, le bon berger saura bien les ramener à un seul et même bercail : afin de réunir en un seul corps (10, 16, cf. 17, 21). Voyez plus bas, 18, 51, une allusion à cette importante parole de Caïphe.





Jean 11.53 Depuis ce jour, ils délibérèrent sur les moyens de le faire mourir. - A partir de ce jour donc… La proposition du grand‑prêtre fut immédiatement adoptée, et, dès cet instant, ce fut pour les membres du Sanhédrin une chose décidée, un plan arrêté, pour le faire mourir. Dans le texte grec, le verbe n’indique pas une sentence formelle, officielle, mais du moins un projet complètement adopté, sur lequel il n’y a plus à revenir. Ainsi donc, selon la remarque de Corneille de la Pierre, « La vie de Lazare est la mort du Christ ». Voyez, 5, 16 et ss. ; 7, 32, 45 et ss. ; 8, 59 ; 9, 22 ; 10, 39, les phases diverses et toujours croissantes de l’hostilité des Juifs contre N.-S. Jésus‑Christ.



Jean 11.54 C'est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs, mais il se retira dans la contrée voisine du désert, dans une ville nommée Éphrem et il y séjourna avec ses disciples. - Après la conduite des témoins immédiats du miracle et celle des autorités juives, nous voyons celle de Jésus, versets 54-56. - C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public.., cf. 7, 1, 10, 13, sur ces expressions pittoresque. Le divin Maître se retire de devant ses ennemis, suivant son habitude en pareil cas ; jamais il ne s’est exposé au danger sans nécessité, ni avant le temps marqué par Dieu. - Dans la contrée voisine du désert. Pour déterminer cette contrée et ce désert, il faudrait connaître la ville nommée Éphrem ; or, il règne beaucoup d’incertitude à son sujet. Eusèbe et S. Jérôme, dans leur Onomasticon, l’identifient à Ephron (cf. 2 Chroniques 13, 19 ; 1 Maccabées 5, 46 ; 2 Maccabées 12, 27, sans s’accorder néanmoins sur l’emplacement de cette localité, qu’ils placent l’un à 5 km, l’autre à 12,5 km au N. de Jérusalem. Suivant l’opinion la plus probable, elle ne différerait pas d’Ophrah, dont il est question Josué 18, 23 ; Juges 6, 15 ; 1 Samuel, 16, 13-18, non plus que d’Ephron (Ephraïn dans l’hébreu des Chroniques), ni enfin de l’Éphrem mentionnée par Josèphe, Guerre des Juifs 4, 9, 9, à l’occasion de la guerre romaine, et située, dit‑il, dans les montagnes de la Judée, du côté de Béthel, au lieu nommé aujourd’hui Thayibeh. « Le désert » par antonomase des environs de Jérusalem étant le désert de Judée, ces différentes notions s’harmoniseraient assez bien. - Il y séjourna avec ses disciples. Dans cette petite cité paisible et retirée, parfaitement appropriée à son dessein de retraite, Jésus « demeurait » ; il y resta donc un certain temps, non pas seul toutefois, mais avec ses disciples.



Jean 11.55 Cependant la Pâque des Juifs était proche et beaucoup montèrent de cette contrée à Jérusalem, avant la Pâque, pour se purifier. - La Pâque des Juifs était proche. La dernière Pâque de la vie du Sauveur. C’est sans doute par opposition avec la Pâque chrétienne que S. Jean l’appelle Pâque des Juifs. - Et beaucoup montèrent (l’expression technique pour désigner les voyages à la capitale juive) de cette région à Jérusalem : de la campagne située aux environs de Jérusalem. - Pour se purifier. Ceux d’entre les Juifs qui avaient contracté quelque impureté légale ne pouvaient participer au grand sacrifice pascal, cf. 18, 28 et le commentaire. Ils allaient donc à Jérusalem avant la fête avant la Pâque afin de se faire purifier par les prêtres. Quelques‑unes de ces souillures légales imposaient des expiations particulières, qui ne pouvaient avoir lieu que dans le temple et qui devaient durer plusieurs jours, cf. Nombres 6, 1-21 ; 2 Chroniques 30, 16-20 ; Actes 21, 24. Ainsi qu’on l’a justement observé, seul un Juif pouvait signaler un pareil détail.





Jean 11.56 Ils cherchaient Jésus et ils se disaient les uns aux autres, se tenant dans le temple : "qu’en pensez-vous ? Pensez-vous qu'il ne viendra pas à la fête ?" Or, les Pontifes et les Pharisiens avaient donné l'ordre que, si quelqu'un savait où il était, il le déclarât, afin qu'ils le fissent prendre. - Ils cherchaient Jésus. Tous les pèlerins arrivés d’avance à Jérusalem cherchaient Jésus, qui depuis longtemps déjà, était devenu l’objet de l’intérêt universel. On l’avait souvent rencontré et entendu dans les parvis du temple, cf. 10, 12 et ss., etc. - Et ils se disaient... Deux imparfaits, qui marquent, selon la coutume, la continuité, la répétition des actes. - se tenant dans le temple est une peinture sur le vif. - Qu’en pensez-vous ? On admet généralement qu’il y a deux questions distinctes : Que pensez-vous ? Qu’il ne viendra pas à la fête ? - Ils avaient donné l’ordre… Détails rétrospectifs pour expliquer ces colloques et ces doutes des pèlerins : tout le monde savait qu’il y avait un mandat d’arrêt de la part du Sanhédrin contre Jésus. - Les Pontifes et les pharisiens... Même association qu’au v. 47, cf. Matth. 27, 62. Mais, dorénavant, ce sont les prêtres qui vont prendre la direction du mouvement hostile à Notre‑Seigneur, cf. 12, 10 ; 18, 3, 35 ; 19, 6, 15, 21 ; Matth. 26, 3, 14, etc. ; Actes 4, 1 ; 5, 17 ; 22, 30 ; 23, 14, etc. - Avaient donné l’ordre... Ce qui implique des instructions spéciales bien précises, données par l’autorité à ses agents. Une crise est désormais imminente, et les sanhédristes seront bientôt au comble de leurs vœux.



CHAPITRE 12





Jean 12.1 Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, le mort qu'il avait ressuscité. - Jean 12, 1-11. = Matth. 26, 6-13 ; Marc. 14, 3-9. Il est hors de doute que la présente narration de S. Jean concerne absolument le même fait que les passages de S. Matthieu et de S. Marc marqués ci‑dessus, cf. S. Augustin d'Hippone De consensu Evangel, 2, 89. - Ce verset et le suivant contiennent les préliminaires de l'onction : ils nous font connaître les circonstances de temps de lieu, de personnes, avec l'occasion générale. La particule ουν rattache cet événement à 11, 54 « il s'en alla dans une région voisine du désert, dans une ville nommée Éphrem » puis, la Pâque approchant, Jésus se mit en route pour Jérusalem. - Six jours avant la Pâque (προ εξ ημερων του πασχα, au lieu de εξ ημερων προ του πασχα. Cette date est propre à S. Jean. Elle est très diversement interprétée ; car, malgré sa clarté apparente, elle présente une difficulté réelle. « On ne sait pas si le premier jour de la fête et le jour de l'arrivée à Béthanie doivent entrer en ligne de compte ou non, et si l'auteur compte des jours ordinaires, ou s'il a égard à l'usage de les commencer avec le coucher du soleil » (Reuss). Voici la combinaison qui nous paraît le mieux concilier les autres données de S. Jean et des synoptiques. Plus bas, v. 12, nous lirons que Jésus fit son entrée triomphale à Jérusalem le lendemain de l'onction ; d'autre part, nous avons conclu des trois premiers récits évangéliques que ce triomphe eut lieu un dimanche (voyez Evang. S. Matthieu) : cela fixe au samedi le repas et l'onction de Béthanie. Toutefois, les voyages étant interdits le jour du sabbat, nous obtenons ainsi le vendredi soir pour la date cherchée. En supputant six jours à partir du samedi, nous arrivons au jeudi 14 nisan, début de la Pâque juive. - Jésus vint à Béthanie. Partant du désert d'Éphrem (cf. 11, 54), Jésus s'était rendu d'abord à Jéricho, et de là au bourg de Béthanie, comme l'exposent les synoptiques. S. Jean omet tous les incidents de la route. - Où était Lazare, cf. 11,1 et ss. Après ce grand miracle, qui avait encore resserré les liens d'amitié qui unissaient Notre‑Seigneur à Lazare, à Marthe et à Marie, rien de plus naturel que de lui voir choisir Béthanie pour son dernier séjour : ce sera chaque soir le lieu de sa retraite jusqu'au jeudi saint. - Le mort qu'il avait ressuscité est solennel, surtout avec la répétition emphatique du nom sacré de Jésus. Il est fait quatre fois mention du ressuscité de Béthanie dans ce court récit (vv. 1, 2, 9, 10), et toujours avec des circonstances qui forment une gradation ascendante.



Jean 12.2 Là, on lui fit un dîner et Marthe servait. Or, Lazare était de ceux qui se trouvaient à table avec lui. - On lui fit (ουν dans le texte grec : à cause du miracle qui vient d'être mentionné). Le sujet de « fit » demeure indéterminé ; nous savons par les récits antérieurs que le repas fut donné dans la maison de Simon le lépreux. - Dîner, δεῖπνον, désigne le repas du soir, qui était déjà le principal et le plus solennel. - Marthe servait. Trait propre à S. Jean. L'imparfait, à la suite du prétérit, marque la continuité de l'acte. Ste Marthe joue ici tout à fait le même rôle que dans l'épisode célèbre, Luc. 10, 38-42, son tempérament la portait à l'action. On s'est parfois étonné de voir qu'elle fait la maîtresse de maison chez autrui ; mais Simon était évidemment un ami de la famille, et elle pouvait prendre chez lui cette liberté. - Or Lazare était... Autre détail nouveau ; il confirme la narration des synoptiques, car il prouve que le festin n'avait pas lieu chez Lazare, celui‑ci étant lui‑même un invité. - De ceux qui se trouvaient à table. La portée de cette note est facile à saisir. Elle a pour but d'attester la réalité de la résurrection de S. Lazare, cf. Luc. 24, 43, où l'on nous montre Jésus convainquant ses disciples de sa propre résurrection en prenant sous leurs yeux de la nourriture. Entre Lazare ressuscité et Simon le lépreux guéri, Notre‑Seigneur est assis comme entre deux trophées de sa gloire.



Jean 12.3 Marie, ayant pris une livre d'un parfum de nard pur, très précieux, en oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux et la maison fut remplie de l'odeur du parfum. - Marie. « une femme », disent vaguement les autres narrateurs ; S. Jean mentionne seul le nom de Marie : au reste, il venait de nommer les deux autres membres de la famille tant aimée de Jésus ; pouvait‑il ne pas désigner nommément aussi Marie, qui allait assumer le plus beau rôle dans ce festin ? La seconde sœur du ressuscité veut, comme la première, témoigner son affectueuse reconnaissance au thaumaturge, mais d'une autre façon, plus conforme à son caractère, cf. Luc. 10, 39, 42, et les commentaires. - Prit une livre : ce détail encore appartient en propre à notre évangéliste ; les autres n'indiquent pas la quantité du parfum. Cette quantité était relativement considérable, car le poids que les Romains appelaient « livre » (λίτραν dans le texte grec ; le Talmud emploie ce même nom, sous la forme ארטיל, équivalait à douze onces, c'est-à-dire à 326 grammes. Voyez Vigouroux, Manuel biblique, t. 1, p. 242 de la 4e édit. Mais l'affection ne calcule pas, elle est au contraire volontiers généreuse et prodigue. - Parfum de nard pur. μυρου est un terme générique pour parfum, essence ; les mots suivants précisent l'espèce de parfum. S. Marc dit aussi, 14 3, que ce fut le nard, cet « ingrédient principal des parfums », comme l'appelle Pline (Hist. nat., 12, 26), qui servit à l'onction de Marie. Voyez l'Évang. selon S. Marc. Nous avons également expliqué à propos du même passage de S. Marc l'épithète « pistici », calquée sur le grec πιστικῆς (mot rare) et probablement synonyme de pur, « non modifié » (« nard pur », Tibulle. Eschyle parle de nard αδολος, Agam. 95 ; Pline de nard « sincère »). Ce parfum précieux (nous aurons bientôt un commentaire pittoresque de l'adjectif précieux), réduit à l'état liquide, avait été mis dans un vase d'albâtre hermétiquement fermé, cf. Matth. 26, 7 et parall. - En oignit les pieds de Jésus. « Ayant cassé le vase d’albâtre », dit S. Marc. Jésus étant couché sur un divan à la manière orientale, les pieds en dehors, il fut aisé à Marie de pratiquer son onction sainte. Voyez l'Évangile selon S. Luc. D'après les synoptiques, ce fut la tête du divin Maître qui fut parfumée ; S. Jean se borne à signaler la circonstance la plus extraordinaire, l'onction des pieds. Il n'y a pas le moins du monde contradiction, mais les narrateurs se complètent, et, en faisant la synthèse, on a le fait dans son intégrité. - Et les essuya avec ses cheveux (ce mot est répété emphatiquement) : comme l'avait fait autrefois la « pécheresse » (Luc. 7, 36- 50), qui très probablement ne différait pas de Marie, sœur de Lazare. Voyez la note sous Luc, 7, 38-50. On comprend mieux, dans cette hypothèse, ce qu'il y a de surprenant dans ces démonstrations, dans la dernière surtout, puisqu'elles proviendraient d'une seule et même personne. - Et la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Détail extrêmement pittoresque, propre à S. Jean et révélant le témoin oculaire, car de pareils détails ne s'inventent pas.





Jean 12.4 Alors un de ses disciples, Judas Iscariote, celui qui allait le trahir, dit : - Cette odeur exquise déplut à quelques‑uns des convives. Et pourtant, comment était‑il possible qu'un tel respect et une telle charité, exprimés d'une manière si touchante, fussent mal interprétés ? Mais tout s'explique aussitôt, quand on sait que c'est Judas, le futur traître, qui murmura le premier contre cette belle action. - Un de ses disciples, Judas. - S. Marc emploie le vague « quelques uns » ; S. Matthieu parle en général des disciples ; S. Jean est le plus précis de tous. Nous retrouvons entre lui et les synoptiques « la même relation que dans d'autres récits. Chez les seconds, les contours sont effacés ; le premier reproduit les détails individuels et caractéristiques » (Godet). Au nom de Judas, quelques manuscrits ajoutera la glose apocryphe « fils de Simon », cf. 6, 72. - Qui allait le trahir. Voyez encore, sur cette expression, 6, 72 et le commentaire. Il est probable qu'à cette heure même, après le reproche que lui adressa son Maître, Judas, indécis jusqu'alors, arrêta définitivement son plan de trahison.



Jean 12.5 "Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ?" - Pourquoi n’a‑t‑on pas vendu...? Il avait d'abord dit, suivant S. Matthieu et S. Marc « A quoi bon cette perte ? » - Trois cents deniers. L'évaluation est identiquement la même dans le récit de S. Marc (voyez notre commentaire). C'était alors une somme considérable, qui équivalait presque au salaire d'un ouvrier pendant toute une année (à un denier par jour). Nous avons vu précédemment qu'avec un peu plus de 200 deniers on aurait pu procurer un modeste repas à 5000 hommes, cf. 6, 7 et le commentaire. - Qu’on aurait donnés aux pauvres : πτωχοῖς sans article, « à des indigents ». S. Matthieu et S. Marc ont τοις πτωχοῖς.

Jean 12.6 Il dit cela, non qu'il se souciât des pauvres, mais parce qu'il était voleur et qu'ayant la bourse, il dérobait ce qu'on y mettait. - Il dit cela... Réflexion entièrement propre à S. Jean ; c'est un de ces détails psychologiques d'une grande profondeur qu'on rencontre assez fréquemment dans sa narration. - Non parce qu’il se souciât des pauvres. Non qu'il s'intéressât aux pauvres, qu'il eût à cœur de les soulager. - Mais parce qu’il était voleur. Tel était le vrai mot de la situation, et S. Jean n'hésite pas à le prononcer. Or, comment un voleur à l'esprit bas et sordide aurait‑il pu comprendre les générosités de l'amour ? Mais il y a encore plus que cela, ainsi que le contexte va nous l'apprendre. Judas aurait souhaité les 300 deniers dans la bourse commune, afin de s'en emparer. - Et ayant la bourse... Détail pour indiquer la manière dont Judas pratiquait ses vols sacrilèges ; il était le trésorier et l'économe du groupe des douze apôtres (cf. 13, 29), ce qui lui permettait de mettre la main sur une partie des biens communs. L'expression grecque traduite par « bourse », γλωσσόκομον n'apparaît que deux fois dans le Nouveau Testament, ici et 13, 29 ; sa forme plus classique était γλωσσόκομειον (comme beaucoup d'autres, elle avait pénétré dans le langage talmudique : אמםסולנ, disaient les Rabbins. D'après l'étymologie (γλωσση, lingua, lingula, et κομεω, servo), elle servait à désigner un casier où l'on mettait des becs de flûte et autres embouchures d'instruments de musique (Hesychius : γλωττοκομον εν ω οι αυλεται απετιθεσαν τας γλωσσιδας ) ; par dérivation, elle devint le nom de toutes les cassettes portatives, et surtout de celles où l'on plaçait son argent, cf. 2 Chroniques 28, 8, 10, 11 dans les Septante. - La bourse de Judas, le vase d’albâtre de Marie ; les 300 deniers que valait le parfum, les trente deniers pour lesquels Judas vendit son Maître : quelles antithèses. - Ce qu’on y mettait : ce qui était jeté, dans la bourse, résultant le plus souvent de pieuses aumônes. - Il dérobait. S. Augustin ne manque pas de faire ici un jeu de mots spirituel : « Il transportait ou il exportait ? Il transportait par le ministère, il exportait en cachette ». - M. Reuss, La théologie johannique, p. 255, fait à propos de cette note de S. Jean une observation assez judicieuse : « En ce qui concerne les larcins de Judas, nous supposons que l'accusation formelle ici contre ce disciple n'a été portée, que plus tard. Nous ne comprendrions pas que ses collègues lui eussent laissé la gestion de leur caisse commune, si des soupçons de ce genre avaient pu prévaloir avant cette époque. La trahison et ses motifs ont pu dessiller les yeux aux intéressés, et expliquer des faits antérieurs dont on ne s'était pas d'abord rendu compte ». Il est possible, cependant, que S. Jean ait nourri longtemps d'avance quelques soupçons et dévisagé en partie le traître ; car l'on voit si bien et l'on devine tant de choses quand on aime.



Jean 12.7 Jésus lui dit donc : "Laisse-la, elle a gardé ce parfum pour le jour de ma mise au tombeau. - Jésus lui dit donc... Jésus va consoler la pieuse Marie, dont la délicatesse avait été vivement mise à l'épreuve par la grossière réflexion du traître, cf. Matth. 26, 10. - Laissz-la. Jésus s'adresse directement à Judas (S. Marc a le pluriel) ; « La bonté du Sauveur, remarque S. Augustin, ne s'irrite pas contre Judas, loue Marie, et montre qu'elle a fait une acte très pratique ». - Pour le jour… Le meilleur commentaire consiste en effet à rapprocher S. Jean de S. Marc, 14, 8 : Marie, sans le savoir, avait prophétisé la mort prochaine et la sépulture de Jésus ; son acte était une anticipation providentielle. Le substantif ἐνταφιασμοῦ qu'on ne trouve qu'ici et au passage parallèle de S. Marc, désigne l'embaumement, les onctions, les autres préparatifs de la sépulture chez les Juifs, cf. 19, 40. Il est bien mesquin de dire avec quelques exégètes, que Marie n'avait pas versé tout le nard de son vase, et qu'elle devait conserver le reste pour embaumer bientôt Jésus.



Jean 12.8 Car vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours." - Vous aurez toujours... Cette parole est presque identiquement la même dans les trois narrations. S. Jean la reproduit avec une légère inversion au début, et elle est un peu plus complète dans S. Marc. Notons le pluriel aurez après l'emploi du singulier ; le Sauveur s'adresse maintenant à toute l'assistance. - Mais moi... Le pronom est en tête de la phrase, parce qu'il porte l'idée principale. Les pauvres ont donc leurs droits (cf. Deutéronome 15,11), que Jésus a toujours fidèlement reconnus ; mais ses droits à lui ne sont pas moins urgents dans les circonstances où il se trouve actuellement. Ses amis auront le temps de faire du bien aux pauvres ; il ne leur en reste que fort peu pour l'honorer et lui témoigner leur affection. C'est ainsi que, dans notre vie morale, « il y a un temps pour chaque chose » (Ecclésiaste 3, 1) : à nous de saisir avec intelligence toute occasion de pratiquer pour le mieux notre devoir. - S. Jean omet la glorieuse prophétie de Notre‑Seigneur au sujet de Marie, Matth. 26, 13, et Marc. 14, 9 ; mais en citant le nom de la femme si zélée qui avait répandu le parfum, il aida la prophétie à se réaliser.



Jean 12.9 Un grand nombre de Juifs surent que Jésus était à Béthanie et ils vinrent, non seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir Lazare qu'il avait ressuscité des morts. - Ce verset et les deux suivants, qui contiennent des détails complètement neufs et propres au quatrième évangile, sont rattachés quelquefois au triomphe du Sauveur (vv.12 et ss.) ; nous préférons les regarder comme l'épilogue de l'onction de Béthanie. Il s'agit encore des impressions soit de la foule, soit des hiérarques envers Jésus, si souvent mentionnées par S. Jean dans le cours de son récit. - Une grand nombre..., cf. 11, 56, où il est dit que cette foule cherchait partout Notre‑Seigneur. Il ne fut pas difficile de connaître sa résidence, car son voyage de Jéricho à Béthanie s'était accompli au milieu d'un nombreux concours, cf. Matth. 20, 29 ; Marc. 10, 46. L'expression « le lendemain » du v. 12 montre que le détail signalé se rapporte au jour même de l'onction. - De Juifs. Les « Juifs» dans le sens national de l'expression, et probablement sans l'idée d'hostilité. Voyez le contraste du v. 10. - Que Jésus était à Béthanie et ils vinrent. De Jérusalem à Béthanie, la distance est facile à franchir. - Non seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir Lazare. Jésus d'abord, mais Lazare aussi, le ressuscité déjà si célèbre. Rien de plus naturel que cette curiosité ; qui n'aime à contempler de ses propres yeux une personne qui a été l'objet d'un grand miracle ? Et Lazare était un mort de quatre jours rendu à la vie.



Jean 12.10 Mais les Princes des prêtres délibérèrent de faire mourir aussi Lazare, 11 parce que beaucoup de Juifs se retiraient à cause de lui et croyaient en Jésus. - Frappant et odieux contraste avec l'enthousiasme du peuple. Ce qui suscite l'admiration des uns ne produit dans les autres (ceux‑ci étaient les chefs sacrés d'Israël) que la jalousie, la haine et le désir d'une criminelle vengeance. - Les Princes des prêtres. Voyez la note sous passage parallèle de S. Matthieu ; Lémann, Valeur de l'Assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus‑Christ. C'étaient les chefs du parti hiérarchique, et quoique Sadducéens en grande partie (cf. Actes 5, 17) et habituellement opposés aux Pharisiens, ils partageaient la haine de ces derniers à l'égard de Jésus, cf. 2, 18 et le commentaire ; 11, 47, etc. - délibérèrent : mais sans réunion officielle du Sanhédrin, et par conséquent sans décret proprement dit, cf. Actes 5, 33 ; 15, 37. - de faire mourir aussi Lazare. Lazare aussi car il y a longtemps déjà qu'ils avaient pensé à se débarrasser de Notre‑Seigneur, cf. 5, 16, 18 ; 7, 32 et ss. Voilà qu'au bout de peu de jours il ne suffit plus d'une seule mort pour les sauver (voyez 11, 50) : qu'importe ? les pontifes subalternes ont le même esprit que Caïphe, le pontife suprême, et le sang versé ne les effraie nullement. Ils espéraient, par le meurtre de Lazare, étouffer le bruit que sa résurrection suscitait à Jérusalem, et diminuer ainsi le prestige de Jésus ; l'histoire nous apprend qu'ils exécutèrent plus tard leur inique dessein. Voyez la note de 11, 44. - Parce que beaucoup... Motif du projet sanguinaire des hiérarques. - Se retiraient à cause de lui. Cet imparfait et le suivant marquent des actes qui se renouvelaient sans cesse. Le premier acte était négatif ; il consistait en une sécession, en un abandon des hiérarques par la foule (car il nous semble meilleur de prendre se retirer au figuré, quoique d'autres le traduisent par « monter » de Jérusalem à Béthanie) ; le second acte était une foi positive : ils croyaient au caractère messianique de Jésus. Et les prêtres, pourquoi ne croyaient‑ils pas eux‑mêmes, puisqu'ils n'essaient pas de contester la réalité de la résurrection ? Voyez la réponse dans S. Luc, 16, 31.











Jean 12.12 Le lendemain, une multitude de gens qui étaient venus pour la fête, ayant appris que Jésus se rendait à Jérusalem, prirent des rameaux de palmiers et allèrent au-devant de lui, en criant : 13 "Hosanna. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le Roi d'Israël." - Jean 12, 12-19. = Matth. 21, 1-11 ; Marc. 11, 1-11 ; Luc. 19, 29-44. - Le lendemain est un trait spécial. Nous avons dit plus haut (commentaire du v. 1) que ce jour était un dimanche. - Une multitude de gens : ο οχλος πολυς, avec l'article, d'après la leçon la plus autorisée ; ce qui dénote une foule plus considérable. D'ailleurs, d'après le contexte (qui était venue pour la fête), il n'est pas seulement question des habitants de Jérusalem, mais des pèlerins accourus de toutes les provinces palestiniennes pour la Pâque. - Ayant appris (au pluriel, parce que le sujet est collectif) que Jésus se rendait à Jérusalem... Ceux qui étaient allés la veille à Béthanie (v. 9) annoncèrent cette nouvelle, qui se propagea rapidement parmi une multitude si désireuse de voir Jésus (11, 57). - Prit des rameaux de palmiers : Détail propre à. S. Jean ; les synoptiques ne spécifient pas la nature des arbres. Le double article, des - de, montre qu'il y avait alors entre Jérusalem et Béthanie de nombreuses plantations de palmiers. C'est ainsi que, chez les Grecs et les Romains, on allait au devant des rois vainqueurs (cf. Tite‑Live, 10, 47) ; c'est ainsi que, chez les Juifs eux mêmes, les palmes portées et agitées joyeusement avaient orné des triomphes religieux (cf. 1 Maccabées 13, 51 ; 2 Maccabées 10, 7). Les Israélites modernes continuent de porter à la fête des Tabernacles des palmes de dattier (loulav). C'est des palmes mentionnées par S. Jean qu'est venu le nom liturgique de « Dimanche des rameaux ». - Et allèrent au‑devant de lui : de sorte qu'il se forma une double procession, l'une venant de Jérusalem et allant au devant du Messie, l'autre partie de Béthanie et faisant escorte à N.-S. Jésus‑Christ. - En criant. L'imparfait après deux prétérits : les acclamations enthousiastes se prolongèrent tout le long de la route. - Hosanna. En hébreu : אנ עישוה (hoschiah nâ), sauve donc ! Voyez la note sous Matth., 19, 9. - Béni... La foule signale d'abord, dans ce vivat, la mission divine du Christ (il vient au nom du Seigneur : c'est Dieu lui‑même qui l'envoie) ; puis elle exprime l'œuvre nationale qu'il devait accomplir (Roi d’Israël : il était le fils et successeur de David). Comparez. le Ps. 117 (v. 26), auquel ces paroles sont partiellement empruntées. - Il est intéressant de rapprocher les uns des autres, pour noter leurs ressemblances et leurs divergences, les récits des quatre évangélistes à propos des cris de triomphe poussés par la foule. Chaque narrateur a ses particularités. Il y a un grand cachet de véracité dans ces variantes, car, dans une aussi nombreuse multitude, il est évident que les acclamations étaient diverses et mélangées, quoiqu'elles fussent identiques sur le fond.



Jean 12.14 Jésus, ayant trouvé un ânon, monta dessus, selon ce qui est écrit : 15 "Ne crains pas, fille de Sion, voici ton Roi qui vient, assis sur le petit d'une ânesse." - Jésus ayant trouvé. On nous présente enfin le divin triomphateur lui‑même. S. Jean abrège et condense étonnamment. Voyez les détails dans les synoptiques. - Un ânon : ce diminutif est propre à S. Jean. - Monta dessus. S. Luc a tout à fait la même phrase ; S. Marc s'en rapproche ; S. Matthieu insiste sur l'action des apôtres, de là une expression toute différente. - Selon ce qui est écrit. Le premier et le quatrième évangélistes sont les seuls à faire l'application de ce texte au triomphe de Jésus, cf. Matth. 21, 4-5, et le commentaire. Du reste, les Rabbins le disent unanimement écrit à propos du Messie. - Ne crains pas. La citation est faite librement. « Réjouis‑toi beaucoup », lisons‑nous dans le texte hébreu de Zacharie, 9, 9. - Fille de Sion : Jérusalem et ses habitants. - Voici attire l'attention sur la prophétie. - Ton roi, qui vient (au présent). Le roi de Jérusalem par excellence, le Messie. - Assis sur le petit d’une ânesse : montrant ainsi qu'il est un « roi de la paix », et pas un violent conquérant. Ces derniers mots de la prophétie renferment l'idée principale.



Jean 12.16 Ses disciples ne comprirent pas d'abord ces choses, mais lorsque Jésus fut glorifié, ils se souvinrent qu'elles avaient été écrites de lui et qu'il les avait accomplies en ce qui le regarde. - Tout ce verset est propre à S. Jean, et bien conforme à sa manière, qui est à la fois profonde et candide. Voyez des détails analogues, 2, 22 ; 11, 12 ; 20, 9. - Les disciples ne comprirent pas d'abord ces choses. Les disciples connaissaient depuis longtemps « ces choses », c'est-à-dire les détails mentionnés dans la prophétie de Zacharie ; mais ils ignoraient alors (au moment de leur réalisation actuelle) qu'elles eussent été écrites au sujet du Messie leur Maître : l'Esprit Saint le leur révéla plus tard. - Mais lorsque Jésus fut glorifié... N.-S. Jésus‑Christ fut glorifié par sa résurrection et par son ascension. - Ils se souvinrent, cf. Luc. 24, 45. Ils purent, illuminés d'en haut, jeter un coup d'œil rétrospectif sur la vie de Jésus avec des données complètement nouvelles, et la saisir dans ses admirables relations avec les prophéties de l'Ancien Testament. - Que ces choses avaient été écrites de lui... Les trois « cela, ces, ce » consécutifs de ce verset produisent un grand effet. Le verbe « ce qu’ils avaient fait » représente les hommages que les Douze avaient offerts à Notre‑Seigneur de concert avec la foule, et spécialement la circonstance de l'ânon, car « Ils ne lui firent que ce qui avait été écrit de lui », S. Augustin.





Jean 12.17 La foule donc qui était avec lui lorsqu'il appela Lazare du tombeau et le ressuscita des morts lui rendait témoignage, - Pour les derniers détails du triomphe, voyez les synoptiques. S. Jean s'arrête ici, non toutefois sans ajouter deux réflexions générales (vv. 17-19), qui soulignent les rapports de ce glorieux épisode, d'une part avec la résurrection de Lazare (vv. 17-18), de l'autre avec la mort prochaine de Jésus (v. 19). - La foule qui était avec lui quand.., cf. 11,19, 31, 36, 45. Ces témoins oculaires avaient naturellement fait preuve d'un zèle considérable au moment de l'entrée triomphale. - Il appela Lazare du tombeau : allusion dramatique au grand cri par lequel Jésus avait rappelé Lazare à la vie, 11, 43. - Et le ressuscita... C'est pour la troisième fois que nous retrouvons cette formule solennelle depuis le début du chapitre, cf. vv. 1 et 7. - Lui rendait témoignage... Depuis longtemps le peuple s'était attaché à N.-S. Jésus- Christ ; mais le « miracle de l'amitié », éclatant parmi tous les autres, avait occasionné en grande partie l'ovation si spontanée qui vient d’être racontée.



Jean 12.18 et c'est aussi parce qu'elle avait appris qu'il avait fait ce miracle, que la multitude s'était portée à sa rencontre. - Il s'agit d'une autre foule qu'au v. 17. Là, c'étaient les témoins du miracle rendant témoignage au thaumaturge ; ici, nous voyons l'heureux résultat de leur témoignage : parce qu’ils avaient appris... Les deux foules formaient ainsi un double chœur, se répondant alternativement. - Ce miracle : ce grand miracle en particulier.







Jean 12.19 Les Pharisiens se dirent donc entre eux : "Vous voyez bien que vous ne gagnez rien : voilà que tout le monde court après lui." - Les pharisiens se dirent donc. Un autre « donc », bien différent de celui que nous lisions au v. 17 ; car le contraste est le même qu'un peu plus haut (vv. 9-11). - Dirent donc entre eux : προς εαυτους, dans le sens de « se dirent l’un à l’autre ». Les plus violents excitaient les faibles, les indécis, afin d'arriver à une résolution nette et prompte. - Vous voyez que vous ne gagnez rien. (Θεωρεῖτε, la contemplation de l'expérience). Les meneurs se séparent ainsi de leurs collègues. Si vous nous aviez écoutés, tout serait terminé depuis longtemps ; mais vos atermoiements et vos demi‑mesures n'aboutissent qu'à rendre la multitude plus favorable à ce Jésus. - Voilà que tout le monde... Hyperbole dans laquelle éclate toute leur jalousie. Le monde entier, réduit à sa stricte expression, c'était une portion considérable des Juifs alors réunis à Jérusalem. « Ils prophétisaient sans savoir », dit fort bien Lampe, car leur parole est devenue littéralement vraie. - Court après de lui (derrière lui comme à la suite d'un chef) (la locution est toute hébraïque, וירחאךלה). Quoique des faits analogues se fussent produits à Jérusalem (cf. 7, 11 et ss. ; 8, 30 ; 10, 23 et ss. ), jamais encore l'influence du Sauveur n'avait paru aussi entraînante ; les Pharisiens, au contraire, sentaient la leur s'affaiblir de plus en plus.



Jean 12.20 Or, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés pour adorer, lors de la fête. - Hommage unique en son genre provenant des paiëns et raconté seulement par l'évangéliste bien‑aimé. Il appartenait à S. Jean d'ouvrir ce vaste horizon sur la propagation de l'évangile dans le monde païen, commencée même avant la mort de N.-S. Jésus‑Christ. Car ces hommes de l'Occident (ils étaient Grecs d'origine ; voir plus bas) proclament, à la fin de la vie du Christ, une vérité identique à celle que les hommes venus de l'Orient avaient annoncée au début de la même vie : à savoir, que les païens entreront dans le céleste bercail. Les Mages vinrent au berceau de Jésus, ces Grecs viennent auprès de sa croix, que leur arrivée lui rappelle aussitôt : n'était‑ce pas, en effet, uniquement par sa mort que les nations devaient être sauvées ?. L'évangile passant ainsi, des Juifs qui sont devenus incrédules et déicides, aux païens transformés en adorateurs fidèles, c'est encore un admirable triomphe, un digne couronnement de la vie publique du Sauveur. Ou plutôt, d'après S. Augustin (Traité sur S. Jean 51, 8), voilà bien l’Église catholique, formée tout ensemble des convertis du judaïsme et de ceux issus du paganisme. « Voilà que les Juifs veulent le tuer, les païens veulent le voir ; mais ceux qui criaient : « Béni soit le roi d’Israël qui vient au nom du Seigneur », étaient aussi du nombre des Juifs. Les uns viennent de la circoncision, les autres issus du paganisme, comme deux murs qui s’avancent de différents côtés et se réunissent en un baiser de paix et dans le sentiment de la même foi en Jésus‑Christ. Une rencontre semblable avait eu lieu à la crèche de Bethléem. - Or, il y avait quelques Grecs... (or, la particule des vagues transitions)... A quelle date précise ? On ne le saurait dire avec certitude ; mais nous croyons pouvoir conclure de l'enchaînement général du récit que l'incident se passa immédiatement après l'entrée triomphale. Il aurait eu lieu par conséquent sous les parvis du temple, dans la cour dite des païens ; non pas hors de la ville, comme RosenmülIer le prétend sans raison. - Quelques Grecs. II y a dans le grec Ἕλληνες (ici seulement et 7, 35, dans les évangiles ; mais souvent dans les lettres de S. Paul), expression qui désigne des « Grecs » de naissance, tantôt complètement païens (par ex. 7, 35, où la Vulgate traduit par « gentes »), tantôt affiliés au judaïsme en tant que prosélytes (Voyez la note sous Matth., 23, 15.). Ils étaient venus à Jérusalem pour y célébrer la Pâque, cf. Actes 14, 1 ; 17, 4 ; 18, 4, etc. Quant à faire d'eux, à la suite d'Ewald, des Juifs proprement dits, mais dispersés à travers les nations païennes, nous ne le croyons pas possible ; car alors ils seraient appelés Έλληνιστα, cf. Actes 6, 1 ; 9, 29. - Pour adorer, lors de la fête (ἐν τῇ ἑορτῇ désigne la fête entière avec son octave). Sous le terme d'adorer, on comprend tous les actes publics de religion. On signale, Actes 8, 27 et 13, 43, d'autres « prosélytes de la porte », ainsi qu'on les nommait (conformément à Exode 20, 10) quand ils ne se faisaient pas circoncire. - Dans ces Hellènes désireux de présenter leurs hommages à N.-S. Jésus Christ, on a souvent prétendu voir les envoyés d'Abgar, roi d'Edesse. Moïse de Khorène formulait déjà cette conjecture, que d'autres écrivains arméniens ont adoptée à sa suite, et qui a été renouvelée fin XIXème siècle par plusieurs commentateurs. Voyez Vaillant de Florival, Moïse de Khorène, Venise 1841, t. 1, p. 219 ; Dehaut, L’Évangile expliqué, défendu, médité, t. 4, p. 95 et ss. de la 4e édition. Mais l'histoire des relations d'Abgar avec Jésus n'a rien à faire ici, attendu que, d'après la note formelle du narrateur, les Hellènes en question étaient venus en Judée à l'occasion de la Pâque, et non directement pour voir Notre‑Seigneur. Comparez Eusèbe, Hist. Eccles. 1, 33.



Jean 12.21 Ils s'approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée et lui firent cette demande : "Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus." - Dans le récit, qui est si pittoresque, si vivant, M. Renan lui‑même trouve « un cachet historique indubitable ». - Ils s’approchèrent de Philippe. Par délicatesse, ces hommes ne veulent pas se présenter directement à Jésus ; ils prient l’un des apôtres de leur servir d'introducteur. Pourquoi s'adressent‑ils de préférence à S. Philippe ? Par pur hasard, peut-être ; ou bien, selon d'autres, parce qu'ils le connaissaient déjà. - Sur les mots Bethsaïde en Galilée, voyez 1, 45 et le commentaire. - lui firent cette demande : l'imparfait témoigne de l'insistance qu'ils mirent dans leur requête. - Seigneur, κυριε. Titre de respect, qui semble avoir été l'appellation de politesse alors en usage dans les pays de langue grecque. - Nous voudrions bien voir Jésus. C'est une entrevue personnelle qu'ils demandent ; s'ils avaient seulement désiré jeter un regard matériel sur Jésus, comme Zachée peu de temps auparavant, ils n'auraient pas eu besoin de la médiation d'un apôtre. Rien de plus touchant que leur souhait, présenté tout ensemble avec tant de simplicité, d'humilité, d'énergie (θλω exprime en effet une volonté bien arrêtée, qui tend à l'action.



Jean 12.22 Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe allèrent le dire à Jésus. - Philippe alla... Ceci encore est graphique, bien décrit. Le verbe est au présent dans le texte grec. - le dire à André. André, autre apôtre à nom grec, ce qui ne manque pas d'attirer l'attention dans une telle circonstance, était l'ami intime de Philippe (cf. 1, 44 ; 6, 7-8), qu'il avait lui‑même autrefois conduit au Sauveur. Il semblerait que S. Philippe n'osa pas prendre sur lui seul la responsabilité de présenter des païens à Jésus ; mais les deux amis ne craignirent pas d'avertir leur Maître de concert, après une consultation rapide.



Jean 12.23 Jésus leur répondit : "L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. - Jesus leur répondit, réponse adressée aux apôtres introducteurs (leur), et non aux pieux Hellènes. Bien plus, le récit sacré nous laisse même dans l'incertitude sur le fait de leur présentation. Suivirent‑ils Jésus un peu plus tard et eurent‑ils le bonheur de l'entretenir en particulier ? C'est possible, quoique l'hypothèse contraire paraisse plus probable. Du moins, ils entendirent ses paroles, par lesquelles, leur répondant au moins d'une manière indirecte, il leur indiqua les conditions à remplir pour devenir de vrais et solides disciples. S. Jean n'en dit pas davantage, car ce n'est pas l'extérieur qui lui importe dans l'histoire, mais la substance morale des faits. - L’heure est venue. « L'heure est venue », car il y a le parfait dans le texte grec (Ἐλήλυθεν), cf. 4, 21, 23. Le verbe est mis en avant de la phrase pour accentuer la pensée. - Glorifié (δοξασθῇ, cf. 7, 39). C'est par ses souffrances et par sa mort que le Fils de l'homme allait être bientôt glorifié, puisqu'elles devaient amener son triomphe éternel, en commençant par cette terre où les païens devaient partout l'adorer « par la croix vers la lumière », cf. le v. 32. Grande prophétie, réitérée au moment où elle était sur le point de s'accomplir. La conjonction ινα (afin que) marque, comme en d'autres endroits, un décret providentiel, cf. 13, 1 ; 16, 2, 32, etc.



Jean 12.24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, - Le paradoxe apparent de la glorification du Fils de l'homme par une mort ignominieuse est démontré successivement de trois manières (vv. 24-26). En premier lieu, au verset 24, par un exemple saisissant, emprunté au domaine naturel. - En vérité... est l'exorde solennel par lequel Jésus attire l'attention sur l'explication qu'il va donner de ce fait surprenant, la passion du Messie. - Si le grain de blé. Petite chose pour en prouver une grande. Nous avons ici une sorte de parabole abrégée. - tombée en terre, par l'ensemencement (πεσων, littéral. « après être tombé »). - Ne meurt pas. Qui n'a observé ce phénomène de la mort produisant la vie ? Le grain de blé mis en terre ne tarde pas à périr en tant que grain de blé : il demeure seul ; isolement qui, pour une graine si précieuse, équivaut à une triste mort.



Jean 12.25 mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. - Mais s’il meurt. Voici l'hypothèse contraire. La mort même et la dissolution apparente développent dans ce grain les germes vitaux qui s'y trouvaient à l'état latent, et le plus heureux résultat est produit : il porte beaucoup de fruit, jusqu'à cent pour un, cf. Matth. 13, 3-9, et parall. Ainsi donc, l'on n'atteint une forme supérieure d'existence qu'à la condition de perdre, au besoin par l'humiliation et la souffrance, la forme inférieure dans laquelle on avait vécu jusqu'alors. Voyez une pensée analogue dans Romains 4, 23 et ss. ; Galates 3, 13 et ss. ; Éphésiens 2, 14 et s. - Celui qui aime... S. Augustin marque très bien la transition : « C’est de lui‑même qu’il parlait. Il était le grain qui devait périr pour se multiplier ensuite ; il devait périr victime de l’infidélité des Juifs et se multiplier par la foi des peuples. Puis il nous exhorte à suivre les traces de sa passion : « Celui », dit‑il, « qui aime a son âme la perdra ». Traité sur S. Jean, 51, 8-9. Le divin Maître signale donc une autre loi du monde moral et spirituel, semblable à la précédente, et prouvant aussi que la mort est la condition essentielle d'une vie nouvelle, transfigurée. Déjà nous avons rencontré à cinq reprises dans les évangiles synoptiques ce frappant paradoxe, cf. Matth. 10, 39 ; 16, 25 ; Marc. 8, 35 ; Luc. 9, 24 ; 17, 33. Jésus y eut recours en des occasions diverses, et avec une grande variété d'applications. « Aime » (φιλῶν) désigne évidemment ici un amour démesuré, qui fait qu'on traite sa vie individuelle comme le souverain bien. - La perdra. Cette affection égoïste produira un effet tout contraire à celui que l'on recherche, la ruine au lieu de la préservation si ardemment souhaitée. - Et celui qui hait... Non pas d'une haine absolue, mais par comparaison avec les biens supérieurs. Les participes présents φιλῶν, μισῶν, marquent une coutume, un amour et une haine habituels. - En ce monde et pour la vie éternelle appuient sur l'idée, et en précisent le véritable sens.



Jean 12.26 Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. - C'est encore au fond la même condition nécessaire, mais autrement exprimée. Pas de vie sans la mort ; il faut que les disciples poursuivent l'œuvre de leur Maître de la façon dont il l'a commencée, par les tribulations, les humiliations et le sacrifice : ils ne sauraient conquérir la gloire éternelle par d'autres moyens. - Qu’il me suive. L'image est empruntée aux usages de l'Orient : les disciples d'alors ne se contentaient pas d'assister aux cours du Rabbin leur professeur mais ils vivaient ordinairement auprès de lui pour mieux étudier sa vie, ils l'accompagnaient partout dans ses voyages afin d'apprendre à conformer en tous points leur conduite à la sienne. - La phrase là où je suis, qui est propre à S. Jean, se retrouve en deux autres passages : 14, 3 et 8, 24. Elle indique le ciel, où Jésus se voit déjà par anticipation. - là aussi sera mon serviteur... Après avoir été à la peine avec Jésus sur cette terre, ses disciples fidèles seront à la gloire avec lui dans la bienheureuse éternité. Le Père céleste du Christ les récompensera généreusement (mon Père l’honorera) de leurs services assidus et courageux (si quelqu’un me sert).



Jean 12.27 Maintenant mon âme est troublée et que dirai-je ? Père, délivrez-moi de cette heure. Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure. - De ces glorieuses perspectives d'avenir, nous passons tout à coup à la description d'un combat violent et douloureux, qui eut pour théâtre la sainte âme de Jésus. Le ton devient tout à fait tragique. Voyez, Luc. 19, 41, et Jean 13, 31, des mouvements de passion aussi rapides dans le cœur de l'Homme‑Dieu. Le discours du Sauveur se transforme en une sorte de monologue, qui est entrecoupé à deux reprises par une courte prière à son Père céleste. Le style traduit ici admirablement les émotions de N.-S. Jésus‑Christ. - Mon âme... C'est de la ψυχή qu'il est question, non du πνευμα (cf. 11, 33) ; elle représente le siège de la sensibilité, des affections naturelles, cf. Matth. 26, 36. Jésus va nous faire lire jusqu'au plus profond de son âme humaine. - Est troublée. Un trouble qui provenait de la claire vue de sa passion et de sa mort prochaine avait envahi subitement Notre‑Seigneur, car la générosité de son sacrifice ne l'empêchait pas d'en sentir la peine et les humiliations. Les paroles dont se sert Jésus pour exprimer son ébranlement intérieur sont comme un écho du Psaume 6, vv. 4 et 5 (d'après la traduction des Septante) : de toute mon âme, je tremble. Et toi, Seigneur, que fais‑tu ? Reviens, Seigneur, délivre‑moi, sauve‑moi en raison de ton amour. cf. Psaume 51, 6-7. « O Jésus, mon âme est troublée de votre trouble. O mon Sauveur, par le trouble de votre sainte âme, guérissez le trouble de la mienne ». Bossuet, Médit. sur l'Evang. Dern. Semaine, 12ème jour. - Et que dirai‑je ? « C’est la voix d’un homme que le trouble de ses pensées rend impuissant » (Maldonat, h. l.). Dans sa terrible angoisse, le Sauveur semble avoir éprouvé une sorte d'embarras pour s'exprimer : il est en effet de vives douleurs qui paralysent momentanément l'âme humaine ; de plus, c'étaient deux sentiments opposés qui luttaient dans le Cœur sacré de Jésus : Allaient de pair l’horreur de la mort et l’ardeur de l’obédience, et il n'était pas possible de trouver des termes capables de les traduire en même temps : de là une douleur si intense. - Néanmoins, ces deux sentiments ne tardent pas à se dégager tour à tour ; et en premier lieu celui de la crainte, énoncé sous la forme d'une pressante prière : Père (cri filial et confiant) délivrez-moi de cette heure. « Cette heure », c'est, comme en maint autre endroit de l'évangile, la Passion désormais prochaine du Messie, cf. 13, 1 ; 17, 1. Où est, demanderons‑nous, le Christ impassible et toujours serein que les rationalistes prétendent voir dans la narration de S. Jean, pour l'opposer au « Christ souffrant » des synoptiques ? S. Jean omet l'agonie de Gethsémani ; mais n'en raconte‑t‑il pas ici le prélude, l'avant‑goût amer, où nous voyons les choses se passer absolument de la même manière et dans le même ordre que dans la douloureuse scène du jardin : la plainte, la prière, l'acte de résignation ? L'accord est au contraire parfait entre les divers récits, qui se complètent mutuellement, puisque S. Jean nous montre que l'agonie de Jésus ne se borna pas à Gethsémani. - Plusieurs exégètes anciens et modernes, entre autres S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Grotius, Jansénius, Tholuck, A. Maier, etc.. adoptent une ponctuation différente de celle de la plupart des éditions grecques ; ils traduisent : « Comment dirais‑je : Mon Père, sauvez-moi de cette heure ? ». Cette interprétation est peu vraisemblable, et elle semble heurter les lois psychologiques ; sans compter qu'elle rend la pensée bien terne. On ne comprend guère que N.-S. Jésus‑Christ se soit adressé une question pareille à celle‑ci : Dois‑je prier ? - Mais... C'est le second sentiment qui va se faire jour. Jésus a déjà maîtrisé sa frayeur passagère ; il se reprend donc, afin d'exprimer sa parfaite résignation aux volontés divines. Non, je ne puis prier ainsi, attendu que c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. « Pour cela » se rapporte aux lignes qui précèdent : pour soutenir ce combat de la passion, quelque rude qu'il soit, Jésus pourrait‑il renier maintenant toute sa vie, dont le Calvaire avait été le perpétuel objectif ?



Jean 12.28 Père, glorifiez votre nom. "Et une voix vint du ciel : "Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore." - Le calme est désormais rétabli dans l'âme de N,-S. Jésus‑Christ, et il réunit en un seul et même acte de généreux sacrifice, sa prière et sa délibération antérieures. - Père. Pour la seconde fois Jésus prononce avec émotion et confiance cette appellation de tendresse ; mais ce n'est plus ici un appel à la pitié du Père tout‑puissant, c'est un acquiescement à toutes ses volontés. - Glorifiez. Glorifiez-le quel qu’en soit le prix, par ma passion, par ma mort et par toutes leurs heureuses conséquences. - Votre nom, Jésus oppose la gloire de son Père à sa propre volonté humaine. « Nom » représente l'être divin tout entier, cf. Matth. 6, 9 ; Luc. 1, 49 ; 11, 2 ; Romains 15, 9, etc. - Et une voix vint... : en réponse à la prière de N.-S. Jésus‑Christ, et comme pour mettre le sceau de l'approbation divine sur tout son ministère. - Le mot voix désigne, soit d'après le contexte, soit d'après l'interprétation de tous les auteurs anciens et de la plupart des modernes, une voix réelle et proprement dite, analogue à celles qui avaient déjà rendu témoignage à N.-S. Jésus‑Christ en deux circonstances antérieures de sa vie publique : c'est-à-dire à son baptême, Marc. 1, 11 et parall., et à sa transfiguration, Marc. 9, 7 et parall. Plusieurs autres passages de la Bible racontent des phénomènes miraculeux du même genre, cf. 1 Rois 19, 12 et 13 ; Daniel 4, 31, etc. - Du ciel. Dieu le Père accréditait ainsi une dernière fois publiquement son Fils. - Je l’ai glorifié. Là voix céleste emploie l'expression même dont Jésus s'était servi dans sa prière. Aucune limite n'est établie pour le passé, aucune pour l'avenir car depuis qu'il a commencé à se révéler aux hommes, Dieu a constamment glorifié son nom, et il continuera de le glorifier à tout jamais. Toutefois, il est évident que Jésus est désigné en cet endroit comme le centre et comme l'objet principal de la glorification divine : par la vie antérieure du Christ, et dans le futur plus particulièrement par les mystères de sa mort, de sa résurrection, de son ascension, avec leurs glorieux résultats. La répétition de la conjonction et ajoute beaucoup de force à la pensée : Ce que j'ai fait, je le ferai certainement encore.



Jean 12.29 La foule qui était là et qui avait entendu, disait : "C'est le tonnerre", d'autres disaient : "Un ange lui a parlé." - La foule... Note historique intercalée par l'évangéliste ; tout y atteste le témoin oculaire. - Qui était est pittoresque. - Et qui avait entendu : ce verbe, comme le précédent, s'applique à la foule entière. Tous les assistants avaient donc entendu un bruit venu du ciel, quoique il y eut parmi eux différentes opinions pour le caractériser. Les uns, en effet, disaient : c’est le tonnerre. D'autres, qui avaient entendu plus ou moins distinctement des sons articulés, disaient : un ange lui a parlé. Ce second sentiment était en pleine conformité avec les idées juives d'alors, d'après lesquelles on voyait un peu partout les anges comme servant d'intermédiaires entre Dieu et les hommes. Voyez aussi Isaïe 6, 4 ; Zacharie 10, 6, etc. - D'où provenait cette étonnante variété d'interprétations ? Peut être, comme on l'a dit souvent à la suite de S. Jean Chrysostome, des dispositions subjectives de chacun des assistants. En tant qu'elle était une révélation du monde spirituel, la voix céleste ne pouvait être reconnue selon sa vraie nature que par l'oreille de l'esprit. Là où il existait une insensibilité totale pour les choses spirituelles, l'impression d'un bruit sourd produit à l'extérieur put bien frapper les assistants, mais ils n'en comprirent pas le sens ; voilà pourquoi ils le comparèrent seulement au tonnerre, à cause de l'analogie qu'ils y avaient trouvée. Les âmes plus sensibles... comprirent que quelqu'un parlait à Jésus, et ils attribuèrent à un ange la voix qu'ils entendaient. Seuls, les témoins vraiment illuminés d'en haut, les apôtres, entendirent distinctement les paroles. On peut alléguer à l'appui de ce sentiment les passages Actes 9, 4, 7 ; 22, 9, où S. Paul est seul à comprendre les paroles que lui adressait Jésus, tandis que ses compagnons ne percevaient que des sons confus. Voyez aussi Apocalypse 4, 5 ; 8, 5 ; 16, 18, où des voix et des roulements de tonnerre retentissent ensemble. Quant « à faire du tonnerre la réalité et transformer la voix et les paroles en pure imagination, c'est substituer une explication arbitraire au sens très limpide du récit évangélique. Et pourtant les rationalistes se sont empressés de faire cette transformation afin d'éliminer le miracle, et plus d'un commentateur croyant a eu la faiblesse de les suivre par un esprit de concession non moins dangereux qu'inutile. Sur la fameuse théorie juive de la Bath‑Qôl ( לום־תב ), c'est-à-dire du tonnerre jouant le rôle de la voix de Dieu, ; elle n'a du reste rien à faire pour l'explication de ce passage.



Jean 12.30 Jésus dit : "Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, mais pour vous. - Jésus ne répond pas à une question directe, mais, en général, à la discussion qui s'était engagée autour de lui à propos de la voix céleste. II explique en quelques mots le but divin de ce miracle (notez que son langage confirme entièrement le caractère miraculeux du phénomène). - Ce n’est pas pour moi est mis en avant pour appuyer sur cette première pensée. N.-S. Jésus‑Christ connaissait ses relations intimes avec le Père puisqu’ils sont un seul Dieu. On trouve dans les documents officiels de l’Église ces précisions : le Fils est toujours dans le Père et le Père est toujours dans le Fils. Le Verbe est nécessairement uni à Dieu ; le Saint Esprit demeure et habite en Dieu ; le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint Esprit. La vie la plus intime du Dieu est échange d’amour entre les trois Personnes divines. Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont égaux en divinité. Personnellement, Jésus n'avait donc pas besoin d'un si éclatant témoignage. - Mais pour vous : pour eux comme un avertissement suprême, comme une confirmation admirable de la mission céleste de Jésus, comme un nouvel attrait pour les amener à croire en lui, cf. 11, 42.



Jean 12.31 C'est maintenant le jugement de ce monde, c'est maintenant que le Prince de ce monde va être jeté dehors. - S'élevant tout à coup à des sphères supérieures, et contemplant, à la lumière du témoignage que lui rendait son Père, l'avenir entier de son Église, le Sauveur chante un hymne de triomphe, vv. 31-32. Le style est solennel, majestueux et rythmé, surtout au v. 31. - C’est maintenant. Avec la claire vue que produisait sa science divine, Jésus‑Christ contemple sa future victoire sur ses ennemis, comme si elle appartenait déjà au domaine du passé. Comparez le « là où je suis » du v. 26. - Le jugement de ce monde. Le contexte s'oppose à ce qu'on prenne en bonne part le jugement dont parle ici Notre‑Seigneur (S. Augustin, S. Cyrille, Maldonat, Tolet) ; il ne s'agit rien moins que d'une délivrance, mais tout au contraire d'une condamnation, cf. 3, 17 ; 5, 29. Le monde, si coupable envers Jésus, sera donc jugé et condamné. - Maintenant est une répétition qui met en relief ce que l'heure présente avait d'important et de grave, soit pour le genre humain, soit pour son ancien dominateur, le démon. Car c'est bien le démon qui est désigné par l'expression le prince de ce monde. S. Jean est seul à l'employer dans le Nouveau Testament (cf. 14, 30. et 16, 11) ; mais elle apparaît fréquemment dans les écrits rabbiniques ( םלועה רש ). Les Juifs qui se savaient régis par Dieu, aimaient à dire que les nations païennes avaient Satan pour prince et pour monarque ; le fait, d'ailleurs, n'était malheureusement que trop réel. - Va être jeté dehors. Expression énergique. Cf, 6, 37, 9, 34, 35, où le verbe εκβάλλω désigne une sorte d'excommunication. Dehors, c'est-à-dire, hors du monde, qui avait été jusque là son domaine. Cette expulsion de Satan devait avoir lieu par la conversion du monde païen. Non que sa puissance infernale ne puisse s'exercer encore d'une façon multiple ; mais il est vaincu d'avance pour l'ensemble des résultats : s'il y a quelques succès, ils seront particuliers, isolés, et n'atteindront jamais la divine institution de Jésus, l’Église.



Jean 12.32 Et moi, quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi." - Et moi au contraire, par opposition au « prince de ce monde ». Tandis que le démon sera vaincu, N.-S. Jésus Christ marchera de triomphe en triomphe, cf. Apocalypse 19, 11-20, 10. C’est le côté positif de la rédemption qui est maintenant exposé ; le v. 31 en indiquait les effets négatifs. - Quand j’aurai été élevé de terre. Jésus désignait ainsi sa mort sur la croix. Voyez le v. 33 et les commentaires de 3, 14, et de 8, 28. Ce qui dominait dans la pensée du Sauveur, c'étaient les résultats de sa passion, et non l'époque à laquelle elle devait avoir lieu ; de là cette tournure hypothétique de la phrase, cf. 14, 3 : « lorsque je m’en serai allé ». - J’attirerai tous les hommes... Tous les hommes, sans distinction d’origine ; c'est la catholicité de l’Église du Christ. J’attirerai, mais sans violence : par une simple pression morale qui ne gênera en rien la liberté. - À moi est expressif, et nous montre d'une manière vivante Jésus‑Christ devenu le centre de toute l'humanité, de l'univers entier. Du reste, sa position sur la croix, les bras étendus, devait symboliser parfaitement l'accueil aimable qu'il ferait à tous les hommes. Ainsi donc, l'arbre de malédiction et de mort planté en terre ne demeurera pas stérile et desséché, mais il prendra sa naissance du côté du ciel, comme l'arbre de vie et de bénédiction. - Dans les versets 31 et 32, on a vu très justement un résumé complet de toute l'histoire de L’Église ou du royaume des cieux, avec le mélange de bien et de mal qui s'y manifeste toujours, avec Jésus luttant contre le démon, avec le triomphe final du Christ sur l'Antéchrist. Voyez la note sous Matthieu, 3, 2.



Jean 12.33 Ce qu'il disait, pour marquer de quelle mort il devait mourir. - A cette belle parole de N.-S. Jésus‑Christ, l'évangéliste ajoute une courte réflexion pour la commenter, car elle aurait pu sembler obscure à plusieurs. - En tenant ce langage mystique et réaliste tout ensemble, Jésus donnait clairement à entendre quels devaient être la nature, le genre de sa mort, cf. 3, 14 ; 8, 28. - Sur la locution il devait mourir, voyez 6, 72 et le commentaire.



Jean 12.34 La foule lui répondit : "Nous avons appris par la Loi que le Christ demeure éternellement : comment donc dites-vous : il faut que le Fils de l'homme soit élevé ? Qui est ce Fils de l'homme ?" - La foule lui répondit. Réponse rien moins qu'aimable, comme le faisait observer S. Jean Chrysostome. La foule va engager une petite discussion avec N.-S. Jésus Christ à propos de l'immortalité du Messie, vv. 34-36. - Nous (pronom emphatique) avons appris... Allusion à la méthode que les Rabbins et les docteurs juifs suivaient habituellement pour transmettre la doctrine religieuse : ils prêchaient dans les synagogues et ils enseignaient dans les écoles, cf. Matth. 5. 21, etc. - par la loi est une expression générale pour désigner toute la sainte Écriture, cf. 10, 34 ; 15, 25. Les interlocuteurs de Jésus avaient alors spécialement à la pensée les textes suivants ou d'autres semblables : Psaume 88, 29, 36, 37 ; 109, 4 ; Isaïe 9, 7 ; Ézéchiel 37, 25 ; Daniel 7, 14, etc. On appliquait alors ces passages au règne temporel du Christ, que l'on supposait devoir durer dans les siècles des siècles, parce qu'on ne savait pas distinguer entre son premier et son second avènement. Jésus, qui se présentait comme le Messie, venait d'insinuer qu'il ne tarderait pas de disparaître d'une manière ou d'une autre, v. 32. - Comment donc dites‑vous : pronom aussi emphatique que « nous » un peu plus haut. - Il faut (cf. 3, 14 et le commentaire) que le Fils de l’homme... Jésus n'avait pas prononcé exactement la phrase que lui prêtent ici les Juifs ; mais le nom de Fils de l'Homme était venu sur ses lèvres peu d'instants auparavant, v. 23 : c'est donc bien sa pensée qui est exprimée. - Qui est ce Fils de l’homme ? Question souverainement dédaigneuse dans la circonstance. Voilà un étrange Messie. Nous ne le connaissons pas. Toutes leurs folles espérances messianiques se trouvaient en effet contredites par le vrai Christ. Pauvre peuple, que l'on avait imbu de tant de préjugés sur le plus beau et le plus consolant de tous ses dogmes.



Jean 12.35 Jésus leur dit : "La lumière n'est plus que pour un temps au milieu de vous. Marchez, pendant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent : celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va. - Jésus ne répond pas directement à cette interrogation hautaine, il pensait leur être plus utile en leur donnant une leçon importante : Profitez du peu de temps que vous avez encore pour arriver au salut par la foi. - La lumière n’est plus que pour un temps : représente figurément N.-S. Jésus‑Christ lui‑même, comme au chap. 1, vv. 5, 8, 9, etc. - Au milieu de vous. - Après avoir signalé ce fait important : Je ne suis parmi vous que pour peu de jours, Jésus en tire aussitôt les conséquences : Marchez pendant que vous avez la lumière ; expression pittoresque, qui sera expliquée au verset 36 par la phrase : Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière. Divers exégètes traduisent la conjonction pendant que par « selon que » : Vivez d'une manière conforme à la lumière qui vous éclaire, comme des hommes qui ont conscience qu'ils possèdent la vérité au milieu d'eux. Mais ce sens semble un peu forcé, et il vaut mieux prendre le sens de « tandis que ». - De peur que les ténèbres.., cf. 1, 5. Ce passage rappelle très vivement le prologue de S. Jean. Le verbe surprennent est très énergique. D'après quelques documents anciens, il est employé déjà au chap. 6, v. 17, pour marquer les ténèbres qui fondirent tout à coup sur les apôtres alors qu'ils étaient, sans leur Maître, au milieu du lac de Tibériade. 1 Thessaloniciens 5, 4, il exprime l'arrivée soudaine du jugement dernier, cf. Nombres 32, 23, traduction des Septante, où il décrit la manière dont le pécheur est saisi par le crime. D'ordinaire les classiques le prennent en mauvaise part, pour désigner quelque terrible surprise, un malheur qui vient à l'improviste. - Celui qui marche... Le Sauveur développe sa pensée, en indiquant, par un fait d'expérience quotidienne, combien il est funeste de marcher dans les ténèbres, cf. 8, 12 ; 9, 4 ; 11, 9 ; 1 Jean 2, 11. - Ne sait où il va, verbe qui revient souvent dans le quatrième évangile. « Étrange état. On va, car il faut aller... On va donc, et on ne sait où l'on va : on croit aller à la gloire, aux plaisirs, à la vie, au bonheur ; on va à la perdition et à la mort. On ne sait où l'on va, ni jusqu'à quel point on s'égare. On s'éloigne jusqu'à l'infini de la droite voie, et on ne voit plus la moindre trace ni la moindre route par où l'on puisse y être ramené ». Bossuet, Médit. sur l'évangile, dernière semaine, 17ème jour.



Jean 12.36 Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez des enfants de lumière." Jésus dit ces choses, puis s'en allant il se déroba à leurs yeux. - Des enfants de lumière : Telle sera la glorieuse transformation opérée en ceux qui adhéreront à la lumière par foi, ils seront eux‑mêmes étonnamment illuminés. Sur cette locution hébraïque, qui exprime toujours une intime union, voyez 17, 12 ; Luc. 10, 6 ; 16, 8, et surtout Matth. 5, 9 ; 8, 12 ; 9, 15 ; 13, 38 ; 23, 15, etc. - Jésus dit ces choses... Formule imposante en cet endroit, car elle désigne la dernière exhortation adressée publiquement au peuple par N.-S. Jésus‑Christ. « C'est ici la scène finale, la clôture solennelle de la première partie du drame évangélique, de celle qui nous représente Jésus dans ses rapports avec le monde, cherchant, et généralement en vain, à attirer à lui ceux qui étaient à sa portée... Désormais Jésus se dérobe aux Juifs pour se renfermer dans le cercle étroit de ses disciples ». Reuss, La théologie johannique, p. 262 et s. - puis s'en allant : définitivement, car il venait de faire ses adieux. S. Jean ne dit pas en quel lieu le divin Maître se retira ; ce fut à Béthanie, d'après les synoptiques, cf. Matth. 21, 17 et parall. - il se déroba à leurs yeux : la lumière s'éclipse maintenant pour ces yeux indignes, qui s'étaient volontairement fermés devant elle. Comparez 8, 57, où Jésus n'avait disparu que pour un temps, afin d'échapper à un péril momentané.



Jean 12.37 Quoiqu'il eût fait tant de miracles en leur présence, ils ne croyaient pas en lui : - Dans la lettre aux Romains, 9-11, S. Paul étudie ce mystérieux problème de l’endurcissement des élites Juives et de ses causes. - C’est un regard général que S. Jean jette ici sur tous les miracles accomplis par Notre‑Seigneur. - Tant de miracles. L'adjectif grec Τοσαῦτα, dans le quatrième évangile, est toujours relatif à la quantité, cf. 6, 9 ; 14, 9 ; 21, 11. - Notre évangéliste n'a pourtant raconté jusqu'ici que six miracles de Jésus, et il se contentera d'en ajouter un septième au chapitre 21 ; mais l'ensemble de sa narration en suppose un nombre considérable, cf. 7, 31 ; 11, 47 ; 20, 30, etc. Sur le mot « miracle » (σημεῖα), qui caractérise si bien le but des miracles opérés par N.-S Jésus‑Christ, voyez la note de 2, 11. - en leur présence : sous leurs yeux. Circonstance qui rendait l'incrédulité tout à fait inexcusable, cf. Actes 26, 26. Les miracles de Jésus avaient eu en effet une publicité étonnante. - Ils ne croyaient pas... Cette conclusion de la phrase est empreinte d'une poignante tristesse. Remarquez l'imparfait de la durée, qui dénote une terrible opiniâtreté dans le refus de la foi, cf. 1 10, 11.

Jean 12.38 Afin que fût accompli la parole du prophète Isaïe, disant : "Seigneur, qui a cru à notre parole ? Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ?" - Afin que s’accomplît... C'est pour la première fois que nous trouvons dans le récit de S. Jean cette formule si fréquemment employée par S. Matthieu (voyez note Matth. 1, 22) ; elle reviendra plus loin à différentes reprises : 13, 18 ; 15, 25 ; 17, 12 ; 18, 9, 32 ; 19, 24, 26. Elle caractérise les deux évangiles qui se rapprochent le plus du genre hébreu dans leur mode de composition, et qui rattachent plus souvent que les autres l'Ancien Testament au Nouveau. - Afin que a parfois très fâcheusement, par suite d’un faux scrupule, été traduit comme s'il équivalait à « de sorte que ». Non, l'évangéliste se représentait en réalité l'endurcissement de ses compatriotes comme une chose nécessaire. Dieu l'avait prévu, l'ayant prévu il l'avait annoncé par ses prophètes, et ce que Dieu prédit arrive infailliblement, quoique la liberté des agents secondaires ne soit en rien lésée. « Comme toi, avec ta mémoire, tu ne rends pas obligatoire l’existence des choses passées, ainsi Dieu, par sa pré-science, ne contraint pas à exister les choses qui seront dans le futur. » S. Augustin d'Hippone Du libre arbitre lib. 3, c. 4. - La parole du prophète Isaïe. Il s'agit du célèbre passage 53, 1, que les Juifs ont toujours appliqué au Messie, et dont S. Paul, Romains 10, 16, fait un emploi identique à celui de S. Jean. Il est assez exactement cité d'après la traduction des Septante. Suivant l'interprétation qui a nos préférences, le prophète, au nom des Israélites de l'avenir convertis à la vraie foi, confesse humblement l'incrédulité des contemporains du « Serviteur de Dieu », ou du Messie. Selon d'autres, c'est Isaïe lui‑même qui se plaindrait à Dieu de l'insuccès de son ministère prophétique. Au fond, du reste, peu importe pour le sens et l'application de la prophétie. - Seigneur est omis soit dans le texte hébreu, soit dans les Septante. - Qui a cru… ? Avec la signification de « personne n'a cru », tant le nombre des croyants devait être restreint, absolument et relativement. - à notre parole ? : à ce que nous avons entendu, à la bonne nouvelle que nous avons reçue du Christ ; ou bien, si l'on aime mieux adopter la seconde interprétation donnée ci‑dessus : à l’annonce que j'ai apportée, moi prophète. - Et à qui le bras du Seigneur... Même pensée, d'après le parallélisme hébraïque, mais avec une forte image pour mieux déterminer la culpabilité des incrédules. On avait tant de raisons pour croire. Les œuvres merveilleuses produites par le bras divin avaient été si nombreuses et ces œuvres étaient précisément les miracles si nombreux (cf. v. 37) de N.-S. Jésus‑Christ. Sur l'expression « le bras du Seigneur », voyez encore, dans l'Ancien Testament, Sagesse 5, 16 ; 11, 21 ; Isaïe 51, 5 ; 52, 10 ; Baruch 2, 11 ; dans le Nouveau Testament, Luc. 1, 51 ; Actes 13, 17. - A qui...a‑t‑il été révélé ? L'interrogation a le même sens que pour « qui a cru ». II s'était magnifiquement révélé, ce bras tout‑puissant ; mais les Juifs avaient fermé les yeux pour ne pas le voir.



Jean 12.39 Ils ne pouvaient donc croire, parce qu'Isaïe a dit encore : - Il y a une gradation visible dans la pensée. Un scrupule a poussé des commentateurs de renom (S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, etc.) à traduire par « ne voulaient » ; ils craignaient de paraître rejeter sur Dieu la faute d'Israël. Mais il n'y a rien à changer au texte sacré, il suffit de l'expliquer : or, dans les conditions où les Juifs s'étaient mis par leur abus des grâces divines, ils étaient réellement dans l'impossibilité de croire ; impossibilité dont ils étaient seuls responsables. - parce que (de nouveau, encore) Isaïe a dit.., cf. 6, 9-10. Cet autre passage ne prédit pas seulement l'endurcissement d'Israël, mais il en exprime la nécessité dans le sens qui vient d'être indiqué. S. Jean le cite d'une manière indépendante soit de l'hébreu, soit de la Septante. Déjà N.-S. Jésus‑Christ lui‑même se l'était appliqué, Matth. 13, 14-15 et parall. ; S. Paul aussi le lui appliquera en parlant de lui aux Juifs de Rome, Actes 28, 26. Après s'être réalisée une première fois au temps d'Isaïe, cette parole terrible devait s'accomplir de nouveau, et plus complètement, pour les contemporains de Jésus.



Jean 12.40 "Il a aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur, de peur qu'ils ne voient des yeux, qu'ils ne comprennent du cœur, qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse." - Il a aveuglé (au parfait)... Dans l'hébreu : « aveugle, endurcis », à l'impératif ; ce sont des ordres donnés par Dieu à son prophète. Ici le Seigneur est censé avoir agi personnellement, directement, ce qui ajoute beaucoup de vigueur à la pensée. Ces impératifs sont devenus des passés historiques. - Il a...endurci... Ce verbe se dit le plus souvent des yeux aveuglés ; mais ici il est pris au figuré, pour représenter la l’engourdissement de l’esprit, qui empêche de voir la vérité, cf. Marc. 6, 52 ; 8, 17 ; Romains 11, 7 ; 2 Corinthiens 3, 14. - des yeux… du cœur. L'œil et le cœur, deux organes qui jouent un rôle si important dans la vie physique, mais plus essentiels encore pour la perfection de la vie morale. - De peur qu’ils ne voient. Dans le même sens qu'antérieurement (v. 38) : « afin que » - Et qu’ils ne se convertissent. « Se retourner » devint de très bonne heure dans le langage des saints Livres l'emblème de la « conversion » intérieure. - Et que je ne les guérisse. Autre belle image : la corruption de l'âme est comparée à une maladie qui réclame les soins empressés du médecin. Ici, le remède serait la foi en Jésus, mais les Juifs le refusent opiniâtrement, cf. Matth. 9, 12 ; 1 Pierre 2, 24. C'est à Dieu, et non au Christ, que se rapporte le verbe « guérisse ».



Jean 12.41 Isaïe dit ces choses, lorsqu'il vit la gloire du Seigneur et qu'il parla de lui. - L'une de ces notes rétrospectives, dont S. Jean aime à parsemer sa narration. - Ces choses : les paroles d'Isaïe citées au v. 40. - Lorsqu’il vit sa gloire... Le narrateur indiquait ainsi le motif qui poussa le prophète à raconter sa vision célèbre. - La gloire. Ce pronom, comme le suivant, désigne évidemment le Messie, N.-S. Jésus‑Christ, et non Dieu le Père, comme l'affirment quelques exégètes. Voyez dans le texte même d'Isaïe, 6, 1 et ss., la description admirable de cette gloire. - Et qu’il a parlé de lui, du divin Logos. Rien de plus clair que ce passage pour démontrer la divinité de Jésus. En effet, c'est Dieu dans la Trinité de ses personnes que le prophète avait eu le bonheur de contempler ; or, S. Jean nous certifie que Jésus‑Christ lui‑même avait été l'objet direct de la vision d'Isaïe, cf. 1 Cor, 10, 4, où S. Paul envisage le Christ comme le Dieu qui se révèle dans l'Ancien Testament.



Jean 12.42 Beaucoup, toutefois, même parmi les membres du Sanhédrin, crurent en lui, mais, à cause des Pharisiens, ils ne le reconnaissaient pas publiquement, de peur d'être chassés de la synagogue. - Toutefois. La formule très classique Ὅμως μέντοι introduit une sorte de rectification aux lignes qui précèdent. Dans le judaïsme, Jésus avait trouvé un certain nombre d'adhérents parmi les classes dirigeantes. Il est vrai qu'aussitôt après avoir rappelé ce fait, S. Jean sera tristement obligé de se reprendre encore, pour dire combien avait été faibles des croyances qui avaient rougi de se manifester au dehors. - Même les membres du Sanhédrin. La conjonction est emphatique. Ce sont, en effet, les Sanhédristes qui sont désignés par l'expression ἀρχόντω, cf. 3, 1 ; 7, 48, etc. - Beaucoup...crurent... Pas seulement Nicodème et Joseph d'Arimathie, mais un grand nombre. Voyez le commentaire de 3, 1. - Mais à cause des pharisiens. Les pharisiens formaient, dans le Sanhédrin et en dehors de cette assemblée, un parti puissant qui fut, dès le début, comme le montrent si bien les divers récits évangéliques, acharné contre N.-S. Jésus‑Christ. - ils ne le reconnaissaient pas publiquement. De nouveau l'imparfait de la durée, pour marquer une habitude. - De peur d’être chassés de la synagogue. Motif pour lequel ces membres du grand Conseil, gardaient leur foi secrète ; ils redoutaient l'excommunication. L'expression pittoresque ἀποσυνάγωγοι n'est employée que par S. Jean dans le Nouveau Testament (ici, 9, 12 et 16, 12). - La réflexion de l'évangéliste soulève un coin du voile qui recouvrait le judaïsme d'alors et nous révèle une plaie des plus profondes. Les âmes étaient courbées sous le joug pharisaïque, qui produisait partout la lâcheté, l'hypocrisie.

Jean 12.43 Car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. - Car ils aimèrent... Comme son nom l'indique, le respect humain provient d'un désir exagéré de plaire aux hommes et de la crainte de ne pas obtenir leurs suffrages : tel était le cas dans la circonstance présente. Ceux dont parle S. Jean cachaient leurs sentiments réels envers Jésus parce qu'ils préféraient la gloire des hommes (cf. v. 44) à la gloire supérieure qu'une conduite franche et courageuse leur aurait procurée auprès de Dieu.



Jean 12.44 Or, Jésus éleva la voix et dit : "Celui qui croit en moi, croit, non pas en moi, mais en celui qui m'a envoyé, - Or Jésus éleva la voix et dit. Les exégètes ont discuté touchant l'époque de ce discours du Sauveur. Plus haut, v. 36, l'évangéliste a dit en termes très nets que Jésus avait mis fin à son enseignement public ; il n'est donc pas possible que ce soit un nouveau discours, prononcé plus tard, ainsi que l'ont pensé plusieurs commentateurs. Le verbe si expressif éleva la voix (cf. 7, 28 ; 37) contredit de son côté l'opinion d'après laquelle Notre‑Seigneur n'aurait prononcé les paroles qui suivent que devant le cercle étroit de ses disciples. Sous prétexte qu'on ne rencontrerait ici que des réminiscences empruntées à des discours plus anciens, un assez grand nombre d'exégètes ont supposé que S. Jean donnerait en ce lieu comme une récapitulation de l'enseignement qu'il avait lui‑même si souvent entendu. Il nous répugne d'accepter ces sortes d'arrangements factices, et cette liberté qu'auraient prise les écrivains sacrés à l'égard de la prédication de leur Maître. Nous dirons donc, ou bien que les vv. 44-50 remontent à une circonstance antérieure, ou qu'ils sont vraiment à leur place historique, Jésus les ayant prononcés immédiatement après la séparation (Lampe, Bengel), ce qui pourrait s'accorder avec le v. 36 interprété d'une manière moins stricte. - Celui qui croit en moi.., cf. 10, 38 ; 13, 20. N.-S. Jésus‑Christ fait ressortir la haute importance de la foi. Croire en lui, c'est croire directement en Dieu. - Ne croit pas en moi, mais... C'est-à-dire : pas uniquement en moi comme si j'étais seul et séparé de Dieu, mais en Dieu et en moi par un acte unique. De Jésus, la foi remonte aussitôt à celui qui l'a divinement accrédité, cf. 5, 24 ; 7, 16 ; 8, 47, Marc. 9, 37.



Jean 12.45 et celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. - Autre conséquence non moins évidente, et non moins douce pour les âmes croyantes : voir Jésus, c'est aussi voir le Seigneur lui‑même, cf. 14, 19-20. - Celui qui me voit. Dans le grec, ὁ θεωρῶν, ce verbe aimé de S. Jean. Contemplation interne, assurément, qui a lieu par les yeux de la foi. - Voit celui qui m’a envoyé… : la foi enlevant le voile qui cache Dieu ; d'ailleurs N.-S. Jésus‑Christ n'est‑il pas l’image de la substance du Père éternel, qui non‑seulement le représente, mais encore en exprime toute l’essence ? cf. 8, 19 ; 10, 30, 38.



Jean 12.46 Je suis venu dans le monde comme une lumière, afin que celui qui croit en moi, ne demeure pas dans les ténèbres. - comme une lumière.., cf. vv. 35, 36 ; 1, 5, 9 ; 8, 12 ; 12, 35 et 36. - Je suis venu dans le monde : ἐλήλυθα au parfait, parce que Jésus envisage un fait passé et qui demeure ; au v. 47, nous trouverons l'aoriste, ἦλθον, parce qu'il mentionnera un but spécial. Rôle admirable du Christ : illuminer le monde plongé dans les ténèbres. - afin que celui qui croit en moi... Tous sans distinction, dès là que la condition sera posée, la foi, cf. 1, 7 ; 3, 15 ; 11, 26. - Ne demeure pas dans les ténèbres : les ténèbres morales qui, sans N.-S. Jésus‑Christ, seraient l'état normal de la pauvre humanité ; les ténèbres dans lesquelles sont misérablement plongés tous ceux qui ne croient pas en lui, cf. vv. 35-36.

Jean 12.47 Si quelqu'un entend ma parole et ne la garde pas, moi, je ne le juge pas, car je suis venu, non pour juger le monde, mais pour sauver le monde. - De sa personne, le Sauveur passe maintenant à sa doctrine. Il fait d'abord deux suppositions : les uns écouteront son enseignement, mais ne s'y conformeront pas dans la pratique ; v. 47 ; d'autres iront jusqu'à refuser de l'entendre, ils le mépriseront, v. 48. Quel sera le sort des uns et des autres ? - Si quelqu’un entend ma parole. - Et ne les garde pas. Entendre la divine parole serait loin de suffire (cf. Matth. 13, 18 et ss.) : il faut de plus la conserver au fond de son cœur, pour qu'elle devienne le mobile perpétuel d'une sainte vie. - moi, je ne le juge pas. De nouveau Jésus appuie sur moi (cf. v. 46). Ce n'est pas moi qui le juge. Et il ajoute aussitôt la cause de cette abstention : je suis venu, non pour juger..., mais...Voyez 3, 17 ; 5, 25-27 ; 8, 15, et les commentaires.



Jean 12.48 Celui qui me méprise et ne reçoit pas ma parole, il a son juge : c'est la parole même que j'ai annoncée. Elle le jugera au dernier jour. - Celui qui me méprise. S. Jean n'emploie pas ailleurs cette expression, cf. Luc. 10, 16. - Les mots et ne reçoit pas ma parole déterminent la nature spéciale du mépris auquel Jésus avait fait allusion. - A son juge. Les deux verbes sont au présent : Déjà il a son juge. cf. 3, 18 : 5, 45. On peut bien refuser de prêter l'oreille à la prédication divine, mais on ne saurait échapper à la responsabilité d'avoir pu l'entendre. - La parole (ὁ λόγος)... Les paroles isolées sont groupées ici dans le message universel qu'avait apporté le Christ. Notez le majestueux pléonasme que j’ai annoncée, et aussi le pronom le, si pittoresque et si terrible tout ensemble sur les lèvres de Notre‑Seigneur. On croirait voir sa parole méprisée, qui se tient comme un juge inexorable en face des coupables. - Au dernier jour, cf. 6, 39, etc. Locution propre au quatrième évangile.



Jean 12.49 Car je n'ai pas parlé de moi-même, mais le Père, qui m'a envoyé, m'a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce que je dois enseigner. - Jésus fait un dernier appel à la mission et à l'autorité dont Dieu lui‑même l'a revêtu. - Car... Pourquoi donc l'enseignement du Messie jouira‑t‑il d'une telle puissance ? Parce qu'il ne provient pas d'un homme, mais de Dieu. - Je n’ai pas parlé de moi-même. Expression analogue (cf. 5, 30 ; 7, 17, 28 ; 8, 28, 42 ; 14, 10, etc.), mais d'une plus grande force, cf. 7, 16 et 17. - Mais le Père qui m’a envoyé... m’a prescrit... N.-S. Jésus‑Christ n'a donc pas tiré de son propre fond la doctrine qu'il prêchait ; il a docilement enseigné ce que Dieu lui dictait. Or tout était très précis dans les communications de son Père céleste : Ce que je dois dire, c'est-à-dire, la prédication d'après la variété de ses manifestations extérieures par le langage humain. Nuance délicate, qui marque jusqu'où allait l'obéissance de Jésus.



Jean 12.50 Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Les choses donc que je dis, je les dis comme mon Père me les a enseignées." - Et je sais : je sais avec la plus parfaite certitude. - Son commandement... : le précepte ci‑dessus mentionné, qui réglait soit le fond, soit la forme de l'enseignement du Christ. - Est la vie éternelle, cf. 6, 63. Non seulement le moyen d'arriver à la vie éternelle, mais cette vie même, prise en soi. Remarquez la force du présent. - Les choses donc que je dis... Le divin Maître conclut en répétant que sa parole est en conformité parfaite avec les ordres de son Père. L’ adverbe comme porte l'idée principale. Le temps présent je les dis dénote l'habitude.



CHAPITRE 13



Jean 13.1 Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin. - Le lavement des pieds. 13, 1-20. Notre évangéliste est seul à raconter ce fait. - Avant la fête... La phrase entière du texte original, longue, solennelle, chargée de particules qui décrivent des circonstances extérieures ou des sentiments intimes de Jésus, a été manipulée de différentes manières par les exégètes. Ce verset 1 est complet en soi, et sert de préambule à toute la section (chap. 13-17) ; les deux suivants (2-3) introduisent le récit spécial du lavement des pieds (vv. 4-20). Sur la discussion qui se rattache à cette date, voyez la note sous Matthieu, 26, 17, et Marc, 14, 12. Des études nouvelles et plus approfondies rendent aussi sûre que possible à nos yeux l'opinion autrefois adoptée. - Sachant. « Parce qu'il savait » : la connaissance toute divine et surnaturelle que Jésus avait de sa fin prochaine fut pour lui un motif de manifester plus intimement, plus tendrement son amour à ses apôtres. On redouble d'affection envers ses amis, quand on prévoit qu'on sera bientôt séparé d'eux. - Son heure était venue. Voyez 12, 23. Son heure, il l'a toujours eue sous les yeux comme une chose parfaitement connue. Autrefois, il avait prédit qu'elle n'était pas encore venue ; il annonce maintenant qu'elle est imminente. - Les mots de passer de ce monde au Père précisent la signification de « son heure ». Dans le texte grec, le verbe exprime la translation d'une sphère à une autre ; translation qui, pour N.-S. Jésus‑Christ, devait avoir lieu par le triple mystère de sa mort, de sa résurrection et de son ascension. « S'en aller de ce monde » était une locution juive assez fréquemment usitée dans le sens de mourir. S. Augustin relève la paronomase qui semble exister entre «Pâque» (passage) et « passer ». - Α ce moment suprême, les pensées de Jésus sont pour les siens, non pour lui‑même : après avoir aimé les siens... Le texte grec est encore plus expressif ; c'est l'équivalent de « lui appartenant » : ses disciples, en effet, lui appartenaient en propre, Dieu les lui ayant donnés et lui‑même les ayant choisis, cf. 1, 11, 12 ; 17, 11 ; Actes 4, 23, etc. Comme il les avait toujours chéris. Mais, ces privilégiés de son cœur, il allait les laisser dans le monde, dans ce monde méchant et pervers qu'il se disposait à quitter, et où ils rencontreraient toutes sortes de difficultés, de périls. - Les aima jusqu’à la fin, cf. le v. 34 et 1 Jean 4, 10, 19. Eux, et nous aussi. Comme plus haut, « aima » exprime le sentiment et sa manifestation, laquelle ne comprendra pas seulement le lavement des pieds, mais la série entière des actes racontés jusqu'à la fin du chap. 17. « A la fin », c'est-à-dire, d'après les uns (Tolet, Corneille de Lapierre, Luc de Bruges, etc.), jusqu'à la fin de sa vie ; d'après les autres (Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Beelen, Patrizi ; etc.), jusqu'à la perfection, d’un amour parfait. Nous préférons cette seconde interprétation, qu'ont patronnée dès l'antiquité S. Jean Chrysostome et S. Cyrille. Elle est d'ailleurs plus conforme soit à l'usage classique de la locution grecque, soit au contexte, qui paraît se rapporter beaucoup plus à l'intensité de l'affection de Notre‑Seigneur qu'à sa simple durée. Nous allons donc assister, d'après cela, au témoignage le plus vif, le plus intense, et comme au couronnement de l'amour de Jésus pour les siens.







Jean 13.2 Pendant le dîner, lorsque déjà le diable avait mis dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, le dessein de le livrer, - L'évangéliste fait ressortir davantage encore, par une saisissante et douloureuse antithèse, la vivacité des sentiments du Sauveur. Il met en opposition Jésus et le démon, Judas et les disciples de Notre‑Seigneur, la haine la plus monstrueuse et le plus généreux amour. - Pendant le dîner, est une nouvelle note chronologique, plus précise que « avant la fête de la Pâque » du verset 1. D'après le sentiment que nous avons adopté, il s'agit de la cène légale, du festin officiel et sacré que l'on célébrait la veille de la Pâque, au soir du 14 nisan. S. Augustin, « Nous ne devons pas entendre l’expression à la fin du repas, comme si le repas était déjà terminé et qu’on était déjà passé à autre chose. Car on mangeait encore quand le Seigneur se leva de table ». Comp. le v. 26 et la note qui lui correspond : voyez les notes sous Matth., 26, 21 et 26. La dernière cène était donc commencée, mais pas encore achevée. MM. Beelen et Patrizi pensent à tort que le lavement des pieds n'eut lieu qu'après l'institution de la sainte Eucharistie ; au contraire, d'après l'opinion commune qui s'appuie à bon droit sur les paroles mêmes, de N.-S. Jésus‑Christ (voyez la suite du récit et des notes), cette cérémonie devait servir de préparatif à la communion des apôtres. Quant à l'omission de cette institution divine dans le quatrième évangile, omission assurément bien extraordinaire au premier regard, voyez la Préface, § 3. Il n'y a là en réalité rien qui ne soit très conforme au dessein de S. Jean. Son plan général était de compléter les récits antérieurs, et, par contre, de laisser ordinairement dans l'ombre les faits suffisamment racontés par les synoptiques. D'après Strauss, l'auteur de l'évangile dit de S. Jean n'aurait pas connu l'Eucharistie. Assertion qui touche à l'absurde, puisque : N°1 S. Paul, dans une lettre universellement reconnue comme authentique (1 Corinthiens 11) narre lui‑même, tout au long, la cène eucharistique. N°2 les Actes des apôtres, également antérieurs au quatrième évangile, donnent la célébration de l'Eucharistie comme une pratique universelle de l’Église. - Le diable. S. Jean commence par désigner l'instigateur premier et principal du déicide : un crime si horrible ne pouvait provenir que de Satan. Voyez le verset 27 et comp. Luc. 22, 3. - Ayant déjà mis (plus énergiquement encore dans le grec, ayant jeté, lancé) dans le cœur. Α coup sûr il ne s'agit pas du cœur du démon, comme le veulent plusieurs exégètes, mais du cœur de Judas. La locution « mettre dans le cœur » semble dire un peu plus que « mettre dans l'esprit » ; elle indiquerait l'acquiescement libre du traître à la suggestion de Satan (Olshausen). Voyez, 6, 65, la première indication de la trahison de Judas (déjà). - Judas Iscariote, fils de Simon. L'apôtre infidèle est distingué de S. Jude par son nom patronymique et par l'indication de son pays d'origine (Iscariote). Voyez, sur ce dernier point la note sous Matthieu, 10, 4.



Jean 13.3 Jésus, qui savait que son Père avait remis toutes choses entre ses mains et qu'il était sorti de Dieu et s'en allait à Dieu, - Une autre science de Jésus, supérieure encore à celle du v. 1, est ici décrite par l'écrivain sacré. Nous voyons par là que le Sauveur agissait dans la pleine et entière connaissance de sa dignité infinie. « Ayant l’intention de parler de la si grande humilité du Seigneur, il a voulu d’abord attirer l’attention sur sa majesté seigneuriale ». S. Augustin, h. l. - Trois détails de cette science sont relevés tour à tour. 1° Jésus connaît la communication ineffable que son divin Père lui a faite de sa toute‑puissance : son Père avait remis toutes choses (tout sans exception) entre ses mains. C'est une autorité souveraine, un pouvoir absolu qu'il a dès à présent « dans ses mains ». Remarquez cette locution pittoresque, déjà employée précédemment, 3, 35. Comp. Aussi 17, 2 ; Matth. 11, 27 ; Éphésiens 1, 22 ; Philippiens 2, 9-11. L'emploi du temps passé, « avait remis », est pareillement à noter, surtout à ce moment où Jésus va paraître si faible et comme abandonné par son Père. Il n'est pas question d'une future transmission de pouvoirs, mais d'une puissance déjà et irrévocablement concédée. - 2° Jésus connaît son origine et sa mission, l'une et l'autre divines : qu’il était sorti de Dieu, cf. 3, 31, et surtout 8, 42. - 3° Jésus connaît sa prochaine glorification dans le ciel : et s'en allait à Dieu. Son œuvre de rédemption accomplie, il ira bientôt se rasseoir à la droite de Dieu le Père, pour y jouir d'une splendeur et d'un bonheur éternels.



Jean 13.4 se leva de table, dépose son vêtement et, ayant pris un linge, il le mit autour de sa taille. - « Cet exemple du Christ, unique en son genre, l’évangéliste le décrit avec un soin tout particulier », dit excellemment Maldonat. Phrases courtes correspondant à chaque acte, particularités détaillées et dramatiques qui peignent les diverses phases de la scène de manière à la faire revivre pour le lecteur, emploi fréquent et pittoresque du temps présent : toutes ces choses rendent le récit extrêmement intéressant, sans parler de l'intérêt autrement grand encore de l'action du Sauveur. « Se leva » : Jésus était à demi couché sur un triclinium (une sorte de banquette-lit utilisée pour les repas, voyez la note du v. 23) ; il se lève pour procéder au lavement des pieds. - dépose son vêtement : c'est-à-dire l'ample pièce d'étoffe qu'il portait par‑dessus sa tunique d'après la mode de l'Orient. Voyez la note sous Luc, 8, 2-3. Ce vêtement l'eût gêné dans l'acte qu'il se proposait d'accomplir ; on l'enlevait d'ordinaire avant de se mettre au travail. Le pluriel est employé pour le singulier, ainsi qu'il arrive quelquefois en hébreu pour le mot équivalent, הלמש (Ruth, 3, 3 ; Ps. 22, 19). - Ayant pris un linge : une serviette de « lin », pour essuyer les pieds des Douze après les avoir lavés. - Il le mit autour de sa taille. Dans sa condescendance ineffable, Jésus n'omet rien de ce qui caractérise la servitude, cf. Luc. 17, 8. C'est ainsi que Suétone (Calig. c. 26) et d'autres classiques nous montrent les serviteurs de leur temps, sur le point de faire un travail, se ceignant d'un linge autour des reins. Relisez maintenant le verset qui précède, et comparez Ρhilippiens 2, 6-7: « 6 bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu, 7 mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ».



Jean 13.5 Puis il versa de l'eau dans le bassin et se mit à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. - Puis il versa de l’eau dans le bassin. Le bassin de cuivre a toujours fait partie du mobilier des maisons orientales, pour ce même usage, cf. 2 Rois 3, 11. - Il se mit à laver les pieds... D'ordinaire, les serviteurs rendaient cet office à leur maître avant le repas ou en d'autres circonstances, ainsi que le disent les Rabbins : « Parmi les hommes, c'est le rôle de l'esclave de laver son seigneur ; mais il n'en est pas ainsi pour Dieu », ajoutent‑ils comme s'ils avaient eu à la pensée cette action de Jésus. Voyez, à propos de cette coutume, Genèse 18, 4 ; 19, 2 ; Juges 19, 21 ; Luc. 7, 44, etc. On ne rencontre qu'en cet unique passage de S. Jean le verbe pittoresque « il commença, il se mit à  », employé si fréquemment par les trois premiers évangélistes. Les convives avaient les pieds nus selon l'usage, et appuyés sur la partie extérieure du divan-lit. Voyez l'explication du v. 23 et notre commentaire de Luc. 7, 36. - Qui n'a vu, dans l'original ou d'après des reproductions, quelques‑uns des chefs‑d'œuvre inspirés à nos peintres et sculpteurs chrétiens par cet émouvant épisode ? Voyez Grimouard de S. Laurent, Guide de l'art chrétien, t. 4, p. 275 et suiv. Giotto, fra Angelico, Valentin, Nicolas Poussin ont des tableaux et des fresques particulièrement remarquables. Il faut noter aussi, dans l'admirable liturgie du jeudi saint, la reproduction annuelle et vivante du lavement des pieds par le prêtre.



Jean 13.6 Il vint donc à Simon-Pierre et Pierre lui dit : "Quoi, vous Seigneur, vous me lavez les pieds." - Il vint donc à Simon‑Pierre. Ici, les exégètes ouvrent une discussion, pour déterminer l'apôtre auquel Jésus aura lavé tout d'abord les pieds. Α prendre à la lettre les paroles du verset 5, Notre‑Seigneur avait opéré cette humble cérémonie sur plusieurs disciples avant d'arriver à S. Pierre. S. Jean Chrysostome, Euthymius, Messmer, Α. Maier, etc., se décident en faveur de cette opinion, qui semble en outre confirmée par les mots « il vint donc ». Ce fut ensuite le tour de Simon : telle serait la signification naturelle et obvie. S. Augustin, et après lui un très grand nombre de commentateurs (Cornelius a Lapide, Maldonat , Calmet, Jansenius, Rosenmüller, Βisping, etc.), préfèrent donner à la phrase « Il commença à laver les pieds de ses disciples » (v. 5) le sens général de « Il se procure ce qu’il faut pour laver et essuyer ». (Jansenius) ; ce qui leur permet de supposer ensuite que Jésus se serait approché en premier lieu de S. Pierre pour lui laver les pieds, la narration détaillée ne commençant, disent‑ils, qu'avec le v.6. Ils ajoutent que, de la sorte, on explique mieux la résistance et les protestations du prince des apôtres, aucun exemple antérieur n'ayant existé pour l'encourager et le calmer. Ajoutons que Simon‑Pierre occupant la seconde place sur le divan de son Maître (vv. 23 et 24), il était dans l'ordre que celui‑ci commençât par lui. Du reste, la primauté de S. Pierre est tout à fait indépendante de ce détail. - Pierre lui dit. Un beau dialogue s'engage (vv. 6-10), dans lequel nous retrouvons la foi vive, la profonde humilité, et en même temps l'entrain et l'ardeur qui caractérisent S. Pierre. - Vous, Seigneur, vous... Les deux pronoms sont mis en avant, et opposés l'un à l'autre, cf. Matth. 3, 14. Vous, mon Seigneur et Maître ; moi, pécheur et votre pauvre serviteur. - …me lavez les pieds. Dans le sens de : Voudriez-vous donc, de vos mains bénies, me laver les pieds, me rendre le plus humble des services ? Mais un tel acte serait inconvenant de votre part. Par conséquent, éloignez-vous de moi, bien plus encore qu'après la première pêche miraculeuse, Luc. ν, 8.



Jean 13.7 Jésus lui répondit : "Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu le comprendras bientôt." - Le Sauveur rassure doucement son apôtre en l'instruisant. - Ce que je fais, tu ne le sais pas. Jésus aussi établit une opposition emphatique entre les deux pronoms. Tu ignores pour le moment, lui dit‑il, la portée et la signification morale de mon acte, et c'est pour cela que tu veux l'empêcher, mais bientôt, quand je t'aurai fourni les éclaircissements nécessaires, tu comprendras ; en attendant, obéis‑moi. - Tu le comprendras bientôt paraît faire allusion aux vv. 13 et ss., et désigner par conséquent un très prochain avenir. Dans le texte grec, à l'idée exprimée tour à tour par « ne sais pas » et « sais » correspondent deux verbes différents. Le dernier marque une science empirique, acquise peu à peu (voyez le v. 14), tandis que le premier s'emploie d’une connaissance qui est complète immédiatement.





Jean 13.8 Pierre lui dit : "Non, jamais vous ne me laverez les pieds." Jésus lui répondit : "Si je ne te lave, tu n'auras pas de part avec moi." - L'apôtre s'opiniâtre dans la résistance, sans tenir compte de la leçon du Maître. - non, jamais, nous ne me laverez les pieds. Quelle énergie de négation. Jamais, non, jamais, je ne souffrirai que vous me laviez les pieds. - Jésus lui répondit... Cette fois, Jésus prend un ton sévère et menaçant : Si tu continues de t'opposer à ma démarche tu n’auras pas de part avec moi. La locution « avoir part avec » est assez fréquente dans l'Ancien Testament (cf. Josué 22, 24-25 ; 2 Rois 20, 1, etc.) ; le Nouveau ne l'emploie que deux fois, ici et Apocalypse 20, 6. Elle signifie : être en communion avec quelqu'un. Jésus annonce donc catégoriquement à Pierre qu'il sera exclu de sa communion, de son amitié, s'il continue de se montrer rebelle. Quels rapports d'intimité pourraient exister entre un disciple et son maître, les volontés de celui‑ci n'étant pas rigoureusement accomplies par celui‑là ?



Jean 13.9 Simon-Pierre lui dit : "Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête." - L'ardent apôtre (S. Jean Chrysostome) est bien obligé de céder, car à aucun prix il ne consentirait à vivre séparé de Jésus ; tout, plutôt qu'une si cruelle rupture cf. 6, 69. Mais, comme le dit S. Cyrille, Pierre cède à sa façon habituelle, en passant d'un extrême à l'autre. Excusons‑le pourtant, car ce double excès provenait de la force de son amour. C'est bien ici, le Pierre qui s'élance sur les eaux, et qui crie l'instant d'après : Je péris ; qui frappe de l'épée, et qui prend la fuite ; qui pénètre chez le grand‑prêtre (Caïphe), et qui renie. La concordance parfaite de ces détails disséminés et l'image pleine de vie qui en résulte prouvent admirablement, dans ce cas comme dans tous les autres, la pleine réalité de l'histoire évangélique. - Non seulement les pieds. Non‑seulement il accepte maintenant avec enthousiasme la condition imposée, mais il offre encore à Jésus les mains et la tête ; comme si un nouveau degré d'union avec son Maître devait résulter de chaque partie de son corps qu'il laisserait laver par surérogation. L'intention généreuse ne raisonne pas.



Jean 13.10 Jésus lui dit : "Celui qui a pris un bain n'a besoin que de laver ses pieds, il est pur tout entier. Et vous aussi, vous êtes purs, mais non pas tous." - Α son tour, Jésus refuse d'accepter. Α quoi bon, dit‑il, une ablution si complète, lorsqu'on en a fait de toutes récentes ? Dans ce cas, il suffit de se laver les pieds. Pour bien comprendre la pensée du Sauveur, il faut se rappeler que les anciens, et les Juifs surtout, prenaient des bains fréquents et qu'ils se lavaient les mains plus fréquemment encore, tandis qu'ils marchaient chaussés de simples sandales, lesquelles ne garantissaient qu'imparfaitement les pieds de la boue et de la poussière du chemin. Or l'expression celui qui a pris un bain désigne un lavage de tout le corps, tandis que le verbe employé ensuite se laver les pieds indique seulement un nettoyage partiel, un bain de pieds. - il est pur tout entier : à part les pieds, toutefois, comme il vient d'être dit ; et c'est précisément pour cela que Jésus désirait les laver. Α coup sûr, le divin Maître tenait ici un langage symbolique ; toute la scène, du reste, ainsi que le contexte et la tradition nous l'enseignent, était une figure dans la pensée de N.-S. Jésus‑Christ. Il voulait marquer d'une manière expressive, spécialement en vue de la sainte Eucharistie, qu'il allait instituer et distribuer aux siens, la nécessité d'une constante purification morale, destinée à laver les fautes légères, alors même qu'on a le bonheur d'être en état de grâce. S. Augustin fait une belle application de ce passage à tous les chrétiens (Traité 56 sur S. Jean, 4) : « Bien que l’homme soit lavé tout entier dans le baptême... quand ensuite il vit au milieu des affaires humaines, il est obligé de marcher sur la terre. Alors les affections terrestres sans lesquelles il est impossible de vivre en cette vie mortelle sont comme les pieds par lesquels les choses humaines entrent en contact avec nous, et elles nous touchent... Chaque jour celui qui intercède pour nous nous lave les pieds ; et chaque jour nous avouons que nous avons besoin de nous laver les pieds, c’est-à-dire de redresser même nos démarches spirituelles, puisque dans l’oraison dominicale nous disons : Pardonnez-nous nos offenses ». - Et vous aussi, vous êtes purs. Jésus applique aux apôtres sa locution proverbiale. Vous êtes, vous, sans grave souillure ; il suffit de laver vos pieds, c'est-à-dire de vous purifier de transgressions légères. - Mais non pas tous. Restriction douloureuse, que l'évangéliste lui‑même commentera au verset suivant. C'était un avertissement donné par Jésus au traître à mots couverts, cf. 6, 71. Les onze apôtres demeurés fidèles durent à peine y faire attention sur l’heure ; mais ils en furent frappés après l'accomplissement.



Jean 13.11 Car il savait quel était celui qui allait le livrer, c'est pourquoi il dit : "Vous n'êtes pas tous purs." - Il savait : d'une science surnaturelle, ainsi qu'aux vv. 1 et 3. Le regard divin de Jésus scrutait jusqu'au plus profond du cœur de Judas. - Celui qui allait le livrer. Dans le texte grec, au présent : celui qui, en cet instant même, était tout occupé de son noir projet de trahison. - C’est pourquoi il dit... Il y a une emphase dans cette formule, et dans la répétition de la prophétie : vous n’êtes pas tous purs.



Jean 13.12 Après qu'il leur eut lavé les pieds et repris son vêtement, il se remit à table et leur dit : "Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? - Nous abordons la deuxième partie du récit (vv. 12-20), qui contient l'explication authentique du motif que le Sauveur s'était proposé en lavant les pieds de ses apôtres. Il leur laissait, dit‑il, un grand exemple à imiter. - Après qu’il leur eut lavé les pieds. C'est encore, dans le grec, le verbe νίπτειν (laver), lequel est employé huit fois entre les versets 5 et 14. Interrompu par l'incident qu'avait occasionné la protestation de S. Pierre, Jésus reprit et acheva son humble et touchant ministère. - Il reprit son vêtement : c'est-à-dire son vêtement de dessus, conformément à la note du v. 4. De nouveau le récit devient vivant et pittoresque. - il se remis à table (ανέπεσεν, le mot si souvent usité dans les évangiles pour désigner l'attitude que les anciens prenaient à table).., et leur dit. Tous les disciples se taisent, absorbés qu'ils sont par l'étonnement où les avait plongés l'action de leur Maître : celui‑ci reprend la parole pour leur donner le renseignement annoncé plus haut (v. 7). - Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Phrase générale d'introduction, avec un tour interrogatif destiné à provoquer davantage l'attention de l'auditoire. Jésus insistera sur la profonde humilité de son acte, afin de mieux porter ses apôtres à l'imiter, car ce n'est pas sans peine que l'on consent à s'abaisser.



Jean 13.13 Vous m'appelez le Maître et le Seigneur et vous dites bien, car je le suis. - Vous m’appelez... Le Sauveur va rappeler aux apôtres un menu détail de leur vie quotidienne. Α chaque instant, en lui adressant la parole, ils lui donnaient ces deux titres qui marquaient leurs relations réciproques : Maître, Seigneur (dans le texte grec : ό διδασκαλος, ό κύριος, avec l'article, pour signifier le Maître et le Seigneur par antonomase). Comp. Matth. 23, 8. Deux noms, du reste, que les docteurs juifs recevaient ordinairement à cette époque de la part de leurs disciples. Le premier équivaut en hébreu à יבר (Rabbi) ; le second à רמ (Mar) ou à ארומ (Μοré) ; celui‑ci représente la science et la sagesse ; celui‑là la puissance et l'autorité : disciples et serviteurs sont les deux expressions corrélatives. - Et vous dites bien, car je le suis. Votre conduite correspond à la parfaite réalité. Avec quelle pleine et admirable conscience de son haut rôle N.-S. Jésus‑Christ s'exprime toujours dans l'évangile, et tout spécialement ici. Il s'est humilié profondément, mais sans oublier sa nature supérieure.



Jean 13.14 Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. - Si donc... Jésus tire la conclusion de son raisonnement. - Je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître... Tout rehausse encore et accentue la pensée : le pronom mis en avant, la répétition des titres, leur renvoi à la fin de la phrase, « Seigneur » placé le premier cette fois comme le plus important des deux. Détails minutieux, si l'on veut, mais desquels se dégage la vivacité du style évangélique. - Vous. Même emphase que dans « moi » : vous à plus forte raison, puisque vous êtes égaux entre vous. - Devez aussi... Le verbe grec, όφείλετε, exprime une dette proprement dite. Mais évidemment Notre‑Seigneur, ici comme en beaucoup d'autres endroits, ne voulait pas parler d'une obligation absolue au point de vue restreint d'un simple lavement des pieds. - Vous laver les pieds..., indépendamment de l'interprétation littérale qui n'a pas été négligée par l’Église (cf. 2 Τim. 5, 10 ; S. Ambr. De Mysteriis, c. 6), est surtout un symbole de la charité fraternelle, de la parfaite condescendance que les disciples de Jésus sont tenus de pratiquer les uns à l'égard des autres. Une coutume très usitée de l'Orient devient ainsi un emblème pour les chrétiens du monde entier.



Jean 13.15 Car je vous ai donné l'exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi vous-mêmes. - La particule « car » relève, comme le « donc » qui précède (v. 14), la conséquence de l'acte du Sauveur. L’exemple : ce qu'on met sous les yeux, un modèle. Quel archétype sublime et tout divin nous avons en Jésus. - Afin que, comme je vous ai fait. Dans le texte grec, καθὼς : « comme, à la manière de ». Notre‑Seigneur veut qu'on prenne l'esprit et non la lettre stricte de sa recommandation. Il faut imiter son exemple. - Vous fassiez aussi. Il y a de nouveau une antithèse emphatique entre « je » et « vous », entre « de même que » et « ainsi ».



Jean 13.16 En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. - Jésus insiste encore sur la leçon qui ressort de son exemple ; de plus en plus il inculque la nécessité, entre chrétiens, d'un amour qui s'humilie pour se mieux manifester. - Le serviteur n’est pas... S. Matthieu, 10, 24, et S. Luc, 6, 40, avaient déjà cité cet axiome ; Jésus le réitérera une quatrième fois un peu plus bas, 15, 20. Il l'accommode chaque fois à de nouvelles conclusions. - Ni l’envoyé... Il y a une sorte de jeu de mots entre ce substantif et le verbe a envoyé, puisque apôtre signifie envoyé.



Jean 13.17 Si vous savez ces choses vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez. - Ces choses, c'est-à-dire, ce que Jésus a exposé dans les versets 13-16. Il semble parler en termes hypothétiques, comme on le fait souvent dans le langage ordinaire pour donner plus de force à la pensée. - Vous êtes heureux... Il ne suffit pas de connaître : avant tout il faut agir, accomplir ; mais c'est déjà un immense avantage de savoir, car la science provoque l'action. Nouvelle et précieuse béatitude ajoutée à celles qui avaient ouvert le discours sur la montagne ; par là-même, fécond encouragement que Jésus donne à ses disciples. Évidemment, « heureux » ne porte pas sur le simple accomplissement de la bonne œuvre prescrite, mais sur la récompense qui lui sera réservée par Dieu. Les Rabbins disent aussi : « Ce n'est pas la science qui importe, mais l'action ».



Jean 13.18 Je ne dis pas cela de vous tous, je connais ceux que j'ai élus, mais il faut que l'Écriture s'accomplisse : Celui qui mange le pain avec moi, a levé le talon contre moi. - Les phrases deviennent plus courtes dans ce verset, comme si elles étaient entrecoupées par suite d'une vive émotion. C'est que Jésus se rappelle de nouveau (comp. le v. 10) et va mentionner plus au long l'odieuse présence du traître parmi les Douze. - Je ne parle pas de vous tous : ces mots se rattachent à la promesse du v. 17 : « Vous serez heureux ». Ce n'est pas à vous tous que s'applique ma Béatitude. - Je connais ceux que j’ai choisis. En grec, Οἶδ : je les connais à fond, cf. vv. 1 et 3. Ceux que j'ai choisis entre tous. Voyez 6, 70, et 15, 16. Le choix de Jésus n'a donc pas été inconscient, mais extrêmement lucide ; dès le début il connaissait Judas : les événements ne l'ont ni trompé ni surpris. Augustin : « Judas a été choisi, certes, pour accomplir une œuvre nécessaire, mais non pour parvenir à la béatitude, comme les onze autres disciples », voir la doctrine catholique sur la prédestination dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, consultable gratuitement sur Internet. - Mais il faut que l’écriture s’accomplisse... Ellipse comme plus bas, 15, 25 ; comp. Marc. 14, 49, etc. Rangé au nombre des apôtres, Judas restait entièrement libre, et les avertissements affectueux ne lui manquèrent pas. Néanmoins, par sa trahison il devait réaliser les plans divins, signalés tout au long dans l’Écriture. - Celui qui mange le pain... Ce passage est emprunté au Ρs. 40. (Hébreux 41), 10 ; Jésus en fait une citation libre, qui diffère toutefois de l'hébreu et des Septante. L'expression « manger du pain avec quelqu’un » est tout orientale et biblique, pour désigner un ami très intime. Elle exprime un fait réel dans le cas présent, puisque Judas était assis à la table de Jésus et mangeait avec lui. La locution la levé le talon contre moi (littéralement, d'après l'hébreu : Il a élevé bien haut son talon contre moi), exprime un violent coup de pied, ou la ruade d'un cheval. Le contraste entre les deux circonstances mentionnées ne saurait être plus frappant : l'amour généreux et la haine brutale. Ainsi qu’on l'apprend dans les bons commentaires du Psautier, ce douloureux passage n'est messianique que d'une manière indirecte et typique. C'est-à-dire qu'avant de se réaliser finalement et intégralement dans l'infâme conduite de Judas envers N.-S Jésus‑Christ, il avait eu un premier accomplissement historique, quoique d'une façon transitoire et incomplète. David faisait surtout allusion au lâche et cruel abandon où le laissa son ami intime Achitophel, lorsque éclata la révolte d'Absalom (cf. 2 Samuel 15, 31- 17, 23), mais, dans la pensée de l’Esprit saint, sa description lugubre allait bien au‑delà des temps actuels, et concernait la passion du Messie. Notez que la désignation du traître est voilée comme précédemment (v. 10) ; mais elle ne tardera pas à devenir plus claire pour quelques‑uns des apôtres (vv. 23-27).



Jean 13.19 Je vous le dis dès maintenant, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle sera arrivée, vous reconnaissiez qui je suis. - Dès maintenant... Dès cet instant, avant la réalisation. Et dans quel but fait‑il une déclaration si triste ? Pour susciter leur foi en sa mission : afin que... vous croyiez. Quelques heures plus tard, lorsque cette prophétie aura été accomplie à la lettre, jusque dans une ignominieuse identité de mort pour les deux traîtres (Judas se pendit comme Achitophel), les apôtres ne devront pas se laisser décourager par la fin douloureuse de leur Maître, mais au contraire redoubler de confiance en lui. C'est ainsi qu'il les prépare à sa Passion prochaine. - Ce que je suis, c’est-à dire le Christ et Dieu fait homme, cf. 4, 26 ; 8, 24, 28. Prédire ce qui doit arriver (« Annoncez-nous ce qui arrivera, et nous saurons que vous êtes des dieux » Isaïe 41, 23) et manifester les secrets des cœurs (« Moi, le Seigneur, je scrute le cœur et je sonde les reins » Jérémie 17, 9), est le propre de Dieu.



Jean 13.20 En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé." - Jésus emploie encore sa formule solennelle, en vérité, en vérité, je vous le dis, pour introduire une autre pensée, que nous avons également rencontrée dans les évangiles synoptiques (cf. Matth. 10, 40 ; Luc. 9, 48), mais d'après un enchaînement tout divin : Quiconque reçoit... Recevoir un apôtre du Messie, c'est recevoir le Messie lui‑même ; et recevoir le Messie, c'est recevoir Dieu, duquel il tient sa mission. Cette parole est très claire en elle‑même, l'ambassadeur formant une seule et même personne morale avec celui qui l'envoie ; toutefois, la liaison avec le contexte est vraiment difficile à établir : si difficile, qu'on l'a parfois niée purement et simplement, soit que l'évangéliste, a‑t‑on dit, ait omis les idées qui marquaient la transition (Corluy), soit que ce verset ne contienne qu'une glose insérée à tort dans le texte (opinion contredite par la présence du v. 20 dans tous les anciens documents). D'après Μ. Godet, N.-S. Jésus‑Christ compléterait ici l'adage du v. 16. Le disciple n'est pas plus grand que son maître, était‑il dit là-haut ; et maintenant : Le disciple, d'autre part, n'est pas inférieur à son maître. Suivant le Dr J.-P. Lange, Jésus oppose à la destinée misérable de Judas la gloire et le bonheur des apôtres fidèles. Un autre commentateur allemand, H. A. W. Meyer, établit la connexion suivante : L'humilité que le Sauveur exige de ses disciples n'empêchera pas ceux‑ci d'être partout noblement reçus, attendu qu'ils seront à bon droit regardés comme d'autres lui‑même. Selon le Dr Keil, il serait question, non pas de la manière dont les apôtres seront traités, mais de la réception qu'ils devront accorder eux‑mêmes aux simples fidèles. Ces petits aussi vous sont envoyés par moi, telle serait la pensée de Jésus ; honorez-les donc, me considérant en leur personne par les yeux de la foi. Etc., etc. Le sentiment le plus commun envisage cette parole du divin Maître comme une consolation qu'il donnerait à ses onze vrais apôtres, après leur avoir annoncé la triste défection de Judas : le crime du traître n'enlèvera au reste du corps apostolique rien de sa dignité ; l'infamie d'un seul ne fera pas disparaître le privilège de tous les autres ; qu'ils travaillent donc avec zèle. Cette liaison nous semble être la meilleure, car elle tient compte pour le mieux des versets 18, 19 et 21, qui parlent tous successivement soit de Judas, soit des onze autres disciples. Au besoin, du reste, on pourrait attribuer à l'émotion du Sauveur ce qu'il y a d'abrupt extérieurement dans le va‑et‑vient des idées.



Jean 13.21 Ayant ainsi parlé, Jésus fut troublé en son esprit et il affirma expressément : "En vérité, en vérité, je vous le dis, un de vous me livrera." - Jean 13, 21-30 = Matth. 26, 21-25 ; Marc. 14, 18-21 ; Luc. 22, 21-23. - La formule de transition lorsqu’il eut dit marque vraisemblablement une pause rapide. - Jésus fut troublé. Trait spécial. Jésus se trouble en face de Judas et de la monstrueuse ingratitude de cet homme qu'il avait tant aimé. Cette émotion, qui le gagnait visiblement depuis quelques instants (voyez l'explication du v. 18), est rattachée, comme dans une circonstance non moins touchante (11 39), non pas à sa sensibilité, mais à la partie la plus relevée de son être humain, le πνεύμα (esprit). Qu'il est beau encore de le voir semblable à l'un de nous. mais quel calme et quelle dignité divine dans ses actes, malgré la vivacité des impressions qui l'agitaient. - Et il affirma expressément. Mot tout à fait solennel : il attesta, il déclara ouvertement, cf. 4, 44. - C'est avec une pleine et entière connaissance de cause que Jésus prédit la trahison de Judas (en vérité... pour la troisième fois), et il le fait, dans le quatrième évangile, en termes identiques à ceux qui nous ont été conservés par S. Matthieu et par S. Marc. S. Marc ajoute : « qui mange avec moi ». Comp. la narration de S. Luc.



Jean 13.22 Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant pas de qui il parlait. - Magnifique tableau, propre à S. Jean. Il décrit l'effet produit sur les Douze par cette parole qui, sans désigner directement la personne du traître, était d'une précision beaucoup plus nette que les allusions des versets 10 et 18. - Se regardaient. Notez l'imparfait : ils regardaient et regardaient encore en conséquence de cette lugubre nouvelle jetée parmi eux. - Les uns les autres : comme pour s'interroger mutuellement du regard. Rien de plus vrai sous le rapport psychologique. Les apôtres, plongés dans une morne stupéfaction, manquent d'abord de paroles pour exprimer leurs sentiments. Ce n'est qu'un peu plus tard qu'ils durent poser à Jésus la question réitérée dont parlent les synoptiques : Est‑ce moi, Seigneur ? La « cène » de Léonard de Vinci rend à merveille ce muet et douloureux étonnement des disciples. Ils sont là, se regardant mutuellement, marquant par des poses aussi belles que variées leur inquiétude, leur tristesse, leur indicible ébranlement moral : ne sachant de qui il parlait. Dans le texte grec, le verbe exprime moins l'hésitation et le doute que l’étonnement. On trouve ce même verbe Luc. 24, 4 ; Actes 25, 20 ; 2 Corinthiens 4, 5 ; Galates 4, 20.



Jean 13.23 Or, l'un d'eux était couché sur la poitrine de Jésus, c'était celui que Jésus aimait. - Ici se place dans notre évangile un épisode dramatique, auquel rien ne correspond chez les synoptiques. Pour le rendre parfaitement intelligible, et lui rendre ce que nos coutumes occidentales lui ont fait perdre de sa vie, il sera bon de réunir en cet endroit, en les complétant sur quelques points, les notes que nous avons répandues çà et là touchant l'attitude et le placement des convives à table au temps de N.-S. Jésus‑Christ. Les convives étaient à demi‑couchés, d'ordinaire au nombre de trois, sur des divans qui recevaient, ensuite de cette circonstance, le nom de lits de salle à manger ; mais, au besoin, un lit pouvait contenir quatre et même cinq personnes. Ces divans étaient assez bas, et munis de coussins sur lesquels on appuyait le coude gauche, qui supportait la tête. On les disposait à peu près en fer à cheval, de manière à former les trois côtés d'un carré, le quatrième restant libre pour le service. Chaque lit avait sa dénomination : « summus » (le plus élevé) à droite, « medius » (médian) au centre, « imus » (le plus bas) à gauche. Des épithètes identiques caractérisaient les convives couchés sur un même divan. Ces noms provenaient du degré d'honneur attaché soit aux lits, soit aux places. Au milieu du fer à cheval était la table, petite et peu élevée. D'après la coutume juive (voyez le traité talmudique Beracoth, fol. 46, 2, l'hôte se tenait « medius in summo ». Derrière lui, ou au‑dessus de lui, comme on disait, était la place d'honneur, « summus in summo » ; devant lui, ou au‑dessous de lui, se trouvait la troisième place, « imus in summo ». D'après l'attitude reçue, tout convive placé à un rang inférieur sur un divan pouvait aisément appuyer sa tête contre la poitrine de celui qui le précédait immédiatement. Aussi, pour ce motif, la troisième place était‑elle réservée habituellement à un ami intime. - Telle était précisément, dans le cas actuel, la position du disciple privilégié du Sauveur : il était couché sur la poitrine de Jésus (l'imparfait de la durée), sur cette expression, comp. 1, 18 ; Luc. 16, 22. - Celui que Jésus aimait. Notez ici, comme en d'autres passages analogues, la douce et aimable répétition de ce nom sacré. Quant à cet heureux apôtre que Jésus chérissait entre tous, indépendamment de la tradition, qui est unanime pour le désigner, la façon délicate dont il est parlé de lui indiquerait, à elle seule, qu'il n'est autre que l'évangéliste lui‑même. Voyez la Préface, § 1. Même à l'âge avancé où il composa son récit, ce souvenir de la familiarité de son bon Maître était si vivant à son cœur et lui présentait tant de charmes, que trois fois encore il y fera clairement allusion. 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7, 20.



Jean 13.24 Simon-Pierre lui fit donc signe pour lui dire : "Qui est celui dont il parle ?"- Il est fort possible que S. Pierre ait occupé la place d'honneur (« summus in summo »), ainsi qu'on l'a souvent conjecturé. Alors, se redressant à demi derrière Jésus sur le divan, il aura fait un geste et prononcé à voix basse un mot rapide, en un moment où l'apôtre bien‑aimé se trouvait tourné de son côté. Du reste, quelque rang qu'il occupât la narration nous montre qu'il n'était pas très éloigné de S. Jean. Que c'est bien lui, tel que nous le connaissons déjà par les pages antérieures de toute l'histoire évangélique. Ardent, inquiet, aimant passionnément son Maître, et ne pouvant supporter plus longtemps la cruelle incertitude suscitée par l'annonce de la trahison de l'un d'entre eux. Peut-être encore espérait‑il sauver Jésus, ce qui lui deviendrait plus facile s'il connaissait l'apôtre infidèle. - Qui est celui dont il parle ?



Jean 13.25 Le disciple, s'étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit : "Seigneur, qui est-ce ?" - Ce disciple, s’étant alors penchéDétail admirable, à coup sûr l'un des plus beaux de l'évangile. Strauss, Keim et consorts n'y trouvent qu'une misérable intrigue du narrateur, lequel chercherait à faire valoir Jean aux dépens de Pierre ; mais détournons‑nous de cette mesquine et révoltante explication, pour goûter le véritable sens. Le texte grec surtout est dramatique, il emploie le verbe επιπεσών, littéralement : s'étant jeté sur..., qui exprime un mouvement subit de l'apôtre bien‑aimé, un brusque changement d'attitude après le signal de S. Pierre, afin d'adresser aussitôt la parole à Jésus. Beau contraste avec sa pose précédemment décrite (v. 23). - Sur la poitrine. Les mots ἐπὶ τὸ στῆθος ont fait donner à S. Jean dès la plus haute antiquité le beau nom de ἐπιστήθιος, « celui qui se tient sur la poitrine ». Voyez Eusèbe, H. E., 5, 8, 24.



Jean 13.26 Jésus répondit : "C'est celui à qui je présenterai le morceau trempé." Et ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon. - Jésus répondit. Le Sauveur n'a pas de secrets pour son apôtre favori. Évidemment, d'après le contexte (v. 28), c'est à voix basse qu'il lui fit sa réponse, puisque le reste du groupe des douze apôtres ne connaissait rien encore au moment où Judas quitta la salle. - C'est celui à qui je présenterai le morceau trempé. Le substantif ψωμίον désigne un « morceau » en général (le Nouveau Testament ne l'emploie qu'ici et aux vv. 27 et 30). C'est grandement à tort qu'on a vu dans le ψωμίον une petite tranche de l'agneau pascal, ou même la sainte Eucharistie (S. Cyrille d'Alex., Tholuck). Jésus, ayant donc rompu un morceau de pain azyme, dont la forme mince et malléable se prêtait fort bien à cette opération, le trempa, non dans du vin, comme dit Nonnus, mais dans le charocelle, cette sauce complexe que nous avons décrite ailleurs (voir la note sous Matth., 26, 21.). L'acte de Jésus était en soi une marque d'honneur et d'amitié : les habitants de l'Orient biblique, quand ils voulaient donner à l'un de leurs convives un témoignage particulier de respect ou d'affection, recueillaient sur un morceau de pain trempé dans un des plats et le lui présentaient directement. Le Talmud dit aussi que le père de famille agissait de la même manière vers la fin du repas de la Pâque. - Ayant trempé du pain. Le grec a de nouveau ψωμιον. Il emploie le temps présent au lieu du preterit ; de plus, quelques manuscrits ajoutent λαμβανει avant ce verbe : Ayant donc trempé le pain, il le prend et le donne à Judas. De ces détails graphiques il ressort que Judas n'était pas très éloigné de son Maître ; peut-être était‑il sur le lit voisin.



Jean 13.27 Aussitôt que Judas l'eut pris, Satan entra en lui et Jésus lui dit : "Ce que tu fais, fais-le vite." - Effet sinistre produit par un acte bien simple. Aussitôt après avoir accepté le morceau de pain que lui tendait Jésus, Judas, qui s'était totalement endurci dans le mal, tomba dans la possession pleine et entière de Satan : Satan entra en lui cf. Matth. 12, 45 ; Marc. 5, 12 ; Luc. 8, 30, etc., pour désigner des faits analogues. Notez le ἐκεῖνον du grec (en lui, en celui‑ci), employé en mauvaise part (de même au v. 30) : désormais Judas ne fait plus partie du collège des Douze, il est un suppôt du démon. Voyez au v. 2 et Luc. 22, 3, le début de cette horrible prise de possession. Le démon entra dans Judas, dit S. Augustin, « pour prendre entièrement possession de celui qui s’était livré à lui » (Traité 62 sur S. Jean, 2). Évidemment l'évangéliste n'avait pu savoir ce trait que par une inspiration spéciale. S. Thomas d’aquin n’interprète pas dans le sens d’une possession démoniaque en bonne et due forme. Une première entrée de Satan fut quand Judas consentit à la tentation de livrer Jésus (13,2), et ici cela signifie la décision ferme de se livrer entièrement au mal sachant que c’était le mal, la malice de Judas devient parfaite, avant la bouchée et après la bouchée. Selon Luc, Satan entra en Judas pour susciter la trahison, et selon Jean, Satan entra en Judas pour la parachever, la rendre parfaite en son genre. - Et Jésus lui dit. Dans le grec, « lui dit donc »...: par suite de la connaissance que Jésus avait de l'endurcissement total de Judas. - Ce que tu fais (au présent, car l'œuvre néfaste de trahison était déjà commencée, cf. Matth. 26, 14 et ss.), fais‑le vite. Par cette parole, prononcée à haute voix d'après le verset suivant, Jésus offrait tout ensemble au traître une dernière grâce, et une facile occasion de se retirer s'il persistait dans sa perfidie. Je connais tes plans criminels, auras‑tu le courage de les exécuter ? Si tu veux me livrer à mes ennemis, c'est le moment : hâte‑toi de le faire. Comme le dit fort bien S. Léon, « Ce n’est pas la parole de quelqu’un qui commande, mais qui permet ; pas de quelqu’un qui est pressé, mais qui est prêt. » (Sermon 7 sur la Passion). En outre, Jésus désirait être désormais seul avec les apôtres fidèles, pour se livrer aux plus intimes épanchements.



Jean 13.28 Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela. - Aucun…ne comprit. Pas même S. Jean. La phrase de Jésus était trop générale pour qu'on en pût percer la douloureuse profondeur. Pourquoi, en vue de quelle affaire précise.

Jean 13.29 Quelques-uns pensaient que, Judas ayant la bourse, Jésus voulait lui dire : "Achète ce qu'il faut pour la fête" ou "Donne quelque chose aux pauvres." - Petit commentaire intéressant du v. 28. Loin de soupçonner la réalité, les onze autres apôtres tirent deux hypothèses qui en étaient éloignées de cent lieues : 1° Judas étant l'économe du groupe (il avait la bourse cf. 12, 6), ils supposèrent que leur Maître avait voulu lui dire : Achète ce qui nous est nécessaire... Le lendemain, 15 nisan, étant le grand jour de la fête pascale, plus d'une emplette était nécessaire pour la célébrer dignement. Explication toute naturelle ; et pourtant, ainsi que nous l'avons dit ailleurs (voir la note sous Matth., 26, 17.), on a trouvé, dans cette supposition faite par les disciples, l'une des plus fortes objections contre l'identité de la cène du quatrième évangile avec celle que racontent les synoptiques. Nous renvoyons à notre commentaire antérieure, ainsi qu'à Exode 12, 16, et à Luc. 23, 56, deux passages qui montrent que certains achats et certaines occupations étaient compatibles avec le repos de la Pâque. - Ou Donne quelque chose aux pauvres... Le langage devient tout à coup indirect, comme en d'autres circonstances nombreuses. L'aumône à laquelle pensaient en ce moment les apôtres n'aurait pas eu le caractère général de celle qui a été mentionnée plus haut, 12, 5 et ss ; son but eut été très particulier et propre à la Pâque, conformément aux prescriptions mosaïques qui recommandent fortement de ne pas oublier les pauvres en cette fête, cf. Deutéronome 16, 10-12. A l'occasion de la Pâque, les plus démunis des israélites reçoivent de leurs coreligionnaires des invitations, ou des dons généreux qui les aident à fêter ce grand jour. On agissait d'ailleurs ainsi pour toutes les solennités principales, cf. Néhémie 8, 10, 12.



Jean 13.30 Judas ayant pris le morceau de pain, se hâta de sortir. Il faisait nuit. - Ayant pris le morceau de pain. Répétition emphatique ; comparez les versets 26 et 27. - se hâta de sortir. Il y a quatre actes rapides dans ce drame poignant : Judas reçoit la bouchée, Satan achève de s'emparer du traître, Jésus congédie le malheureux apôtre, Judas sort aussitôt. - Et il faisait nuit. Cette phrase est vraiment, ainsi qu'on l'a dit, d'une tragique brièveté : elle produit en un pareil endroit un effet saisissant et lugubre. S. Augustin (in h. l.) la commente à merveille par cette simple note : « Celui qui sortit était lui‑même la nuit ». Le festin pascal ne pouvait commencer qu'après le coucher du soleil ; voici que Jésus et les siens l'achevaient, et c'était maintenant la nuit noire, mais surtout une nuit morale définitive pour le traître. Voyez, 1, 40 : 6, 59 ; 8, 20 ; 10, 23 ; 11, 35, etc., d'autres détails également dramatiques du quatrième évangile. - Ici se place, d'après l'opinion que nous avons toujours regardée comme la plus probable, l'institution de la sainte Eucharistie. Voyez la note sous Luc, 22, 23. De nombreux exégètes excluent Judas de la cène eucharistique. Les partisans du sentiment contraire insèrent ordinairement la Pâque chrétienne à la suite du v. 20.



















Jean 13.31 Lorsque Judas fut sorti, Jésus dit : "Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. - Les discours d'après la cène de Jean 13, 31 à 16, 33 sont un « Incomparable entretien, qui est bien ce que la terre a jamais entendu de plus sublime, de plus bienfaisant et de plus tendre. Nous y voyons éclater, comme elle ne l'avait pas encore fait, l'adorable beauté du Fils de l'homme ». Bougaud, Jésus‑Christ, 4e édit., p. 502 et 514. C'est vraiment ici le cœur de l'évangile, le cœur de toute la Bible ; c'est aussi un sanctuaire où l'on s'agenouille pour adorer et pour aimer. - Il règne dans ces pages un étonnant mélange de douce simplicité, d'élévation toute divine. Même dans le quatrième évangile, où l'on découvre tant de sublimités, nulle part, si ce n'est au prologue (1, 1-18), on ne trouve des passages qu'on puisse comparer à ce discours d'adieu et à la prière qui le suit (chap. 17). Les richesses théologiques abondent, et surtout les preuves de la divinité de N.-S. Jésus‑Christ. - Discours d'adieu ou Testament de Jésus : ces noms expriment assez bien l'idée dominante autour de laquelle se groupent d'elles‑mêmes toutes les autres pensées. Dans quelques heures le divin Maître va mourir ; avant de se séparer de ses apôtres il leur adresse ses dernières paroles, sous forme de consolations, d'avertissements, de recommandations. Jésus parle cinq fois du Paraclet : 14, 16-17 ; 25-26 ; 15, 26 ; 16, 8-15 ; 23-25 ; trois fois des relations de l’Église avec le monde : 14, 22-24 ; 15,18-25 ; 16, 1-3. Il en est de même de son propre départ et de son retour qu'il mentionne d'abord simplement, pour y revenir encore un peu plus loin, et d'autres fois encore). - Lorsque Judas fut sorti, Jésus dit. Jusqu'alors la présence du traître avait oppressé, gêné pour ainsi dire le cœur sacré du Sauveur ; il retrouve tout à coup sa liberté et il éclate en un transport sublime. « C’est comme si, une fois la digue rompue, des torrents de grâce s’écoulaient des lèvres de Jésus », dit un ancien commentateur (Lampe). - Maintenant ouvre l'entretien d'une manière significative et vraiment sublime. Maintenant, en cet instant même. Moment que Jésus avait attendu avec tant d'impatience : « J’ai à être baptisé d’un baptême, et comme je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse. », Luc. 12, 50. - Judas exécutait son horrible démarche, qui allait livrer le Sauveur à la mort ; mais la passion, déjà virtuellement achevée, devait produire un triomphe infaillible, que Jésus mentionne comme un résultat également atteint : le Fils de l’homme a été glorifié. C'était un fait accompli dans le domaine logique, cf. 12, 28, 32. - Fils de l’homme. Voyez la note de 1, 52. Nom d'humilité associé à une ineffable glorification. Nom important, du reste, pour l'interprétation de ces pages, où il est aussi souvent question des rapports du « Fils de l'homme » avec Dieu que du Fils avec le Père. - Et Dieu a été glorifié en lui. C'est un résultat parallèle au premier. Si un simple disciple est capable de glorifier le Seigneur en donnant sa vie pour lui (21, 19), combien plus le Verbe incarné. cf. 17, 1.



Jean 13.32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même et il le glorifiera bientôt. - Jésus insiste, mais dans l'ordre inverse, sur cette double gloire qui sera le fruit de ses souffrances et de sa mort. - Si Dieu... La conjonction « si » exprime une relation de causalité, elle équivaut à « parce que » (« Cette façon de s’exprimer ne réfère pas à une condition, mais à une cause », Maldonat). - Dieu aussi le glorifiera. Dieu aussi, Dieu à son tour. Admirable échange d'honneurs et de glorification. En Lui‑même correspond à « en lui » : le Fils de l'homme sera glorifié en Dieu, de même que Dieu aura été glorifié dans le Fils de l'homme. Mais, pour Dieu, « Le glorifier aussi en Lui‑même » ce sera s'associer N.-S. Jésus‑Christ de la façon la plus intime, faire asseoir à sa droite le Fils de l'homme pour régner et gouverner avec lui à tout jamais. Belle observation d'Origène : le Père donne plus au Fils de l'homme qu'il n'en a reçu. - il le glorifiera bientôt...: sans aucun retard. En effet, l'heure du triomphe de Jésus était proche. - Remarquez ces nuances délicates : au verset 31, le Sauveur envisageait son triomphe comme accompli déjà ; il le place maintenant dans un très prochain avenir ; plus loin, 17, 1, il en demandera la réalisation. Au fond cela revient au même.



Jean 13.33 Mes petits-enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps. Vous me chercherez et comme j'ai dit aux Juifs qu'ils ne pouvaient venir où je vais, je vous le dis aussi maintenant. - Jésus descend tout à coup de ces hauteurs sublimes auxquelles il s'était élevé par anticipation. Pour aller jouir là-haut d'une si noble gloire, il lui faudra quitter ses bien‑aimés disciples, et il les prépare à cette séparation. - Mes petits enfants : suave appellation de sollicitude et de tendresse, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans l'évangile ; mais S. Jean l'emploie lui‑même plusieurs fois dans ses lettres, cf. 1 Jean 2, 1, 12, 28 ; 3, 7, 18 ; 4, 4 ; 5, 21. Ici elle s'échappe spontanément du cœur de N.S. Jésus‑Christ, au souvenir de ceux qu'il va bientôt laisser orphelins. - Je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps. Jésus n'avait guère qu'une heure ou deux à passer dans la compagnie du groupe des douze apôtres avant l'agonie de Gethsémani. - Vous me chercherez. Ils le cherchèrent en effet d'une manière anxieuse, non seulement après sa Passion, et sa Résurrection, mais même après avoir été témoins de son Ascension, cf. Actes 1, 10, 11. - Et comme j'ai dit aux Juifs. Ce nom de « Juifs » est assez rare sur les lèvres de Notre‑Seigneur, cf. 4, 22 ; 18, 20, 36. La parole qu'il rappelle en ce moment remontait à la fête des Tabernacles. Voyez 7, 34, et l'explication (cf. 8, 21, 24). Il la cite dans les mêmes termes, mais en lui donnant une autre signification. Là, il s'agissait d'une séparation définitive et absolue ; ici les mots là où je vais... n'expriment qu'un éloignement temporaire et relatif. Là, Jésus disait aux Juifs : Vous ne pouvez venir, sous forme de terrible menace ; ici, c'est un délicat euphémisme pour préparer ses disciples à sa mort. Aussi n'ajoute‑t‑il pas, comme il l'avait fait précédemment : « et vous ne me trouverez pas ». - Et je vous le dis aussi maintenant. Le pronom est accentué, et aussi le mot maintenant : en cet instant même, car il est temps que vous soyez avertis.



Jean 13.34 Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, que comme je vous ai aimés, vous vous aimiez aussi les uns les autres. - Je vous donne un commandement nouveau. Ainsi séparés de leur Maître, les disciples devront se soutenir mutuellement, en redoublant d'amour les uns pour les autres. Jésus leur laisse donc ce magnifique précepte de la charité fraternelle comme une sorte de compensation (vv. 34 et 35). Il insiste d'une manière étonnante, commençant par intimer l'ordre (v. 34a), puis le répétant pour en préciser le mode (v. 34b), et le réitérant encore pour en faire remarquer l'extrême importance (v. 35). - Que vous vous aimiez les uns les autres. Voilà le commandement nouveau. Non qu'il fût absolument neuf en lui‑même ; car il faisait partie intégrante de la loi mosaïque, et on le trouve en toutes lettres au Lévitique, 19, 18 (cf. Matth. 22, 37 et ss.). Mais, dans la pratique et la réalité de la vie juive, il ne dépassa guère les limites d'une bienveillance restreinte, tandis qu'il est ici élargi, complété, par conséquent tout à fait renouvelé. Voyez le beau commentaire de Jésus lui‑même dans la parabole du bon Samaritain, Luc. 10, 30 et ss. Surtout, et c'est en cela véritablement que consiste la nouveauté mise en relief par le législateur de la Nouvelle Alliance, Notre‑Seigneur y ajoute un motif et un mode d'accomplissement inconnus jusqu'alors, lorsqu'il dit : comme je vous ai aimés. Nous entr'aimer parce qu'il nous a aimés, et comme il nous a aimés : sublime idéal de la charité fraternelle. « Puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres », 1 Jean 4, 11. « Non pas de la manière dont s’aiment ceux qui se corrompent, non pas de la manière dont s’aiment les hommes, parce qu’ils sont hommes ; mais de cet amour qu’ils doivent avoir parce qu’ils sont tous des dieux et les fils du Très‑Haut, et qu’ils veulent être les frères de son Fils unique ». S. Augustin d'Hippone, Traité sur S. Jean, 65, 1. Voyez d'autres explications du mot nouveau dans Maldonat, Tolet, Meyer, etc. Elles sont recherchées pour la plupart. Remarquez l'emploi du passé : je vous ai aimés. Jésus, comme en d'autres nombreux passages de ce discours, parle au point de vue de sa mission terrestre, qu'il regardait comme terminée.



Jean 13.35 C'est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres." - C'est à cela. Ce pronom est fortement accentué. L'affection si profonde et si parfaite que Jésus impose à ses disciples les uns envers les autres sera le signe caractéristique de son église. - Tous connaîtront (dans le texte grec : parviendront à reconnaître) : tous, quels qu'ils soient, Juifs et païens : le monde entier, malgré son hostilité, sera forcé d'admirer. - Si vous avez de l’amour. En somme, les chrétiens ont fidèlement accompli ce noble précepte, cf. Actes 3, 44 et ss. ; 4, 32 et ss. Tertullien, Apol. 39, cite ce témoignage des païens : « Vois, disent‑ils, comme ils s’aiment les uns les autres… et comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres… Car eux (les païens), se haïssaient entre eux… et ils étaient plus que prêts à se tuer les uns les autres ». La parole de Minutius Félix est également bien connue : « Les chrétiens s'aiment même avant de se connaître ». Par contre, S. Jean Chrysost., Com. in Jean 71, se plaint des divisions entre chrétiens, dont le résultat, dit‑il, est d'empêcher les païens de se convertir. Voyez dans la Préface, § 1, l'anecdote touchante qui montre combien S. Jean avait pris à cœur ce commandement du Maître.



Jean 13.36 Simon-Pierre lui dit : "Seigneur, où allez-vous ?" Jésus répondit : "Où je vais, tu ne peux me suivre à présent, mais tu me suivras plus tard. - S. Pierre, si ardent et si aimant, est demeuré tout absorbé par les douloureuses paroles du v. 33, qui annonçaient le prochain départ de Jésus. Il oublie le reste, et se permet d'interrompre pour obtenir un éclaircissement : Seigneur, où allez-vous ? Un autre « Seigneur, où allez-vous ? » de S. Pierre revient à la pensée quand on lit ce passage. Sur cet incident si délicat, qui se serait passé à Rome quelques heures avant la mort de S. Pierre, quand il essayait d'échapper au supplice par la fuite, voyez Tillemont, Mémoires, t. 1, p. 187 et 555. Jésus répondit. Quoique la question eût été inspirée par un généreux amour, Jésus refuse d'y répondre directement ; il renvoie S. Pierre à l'avenir, par lequel il ne tardera pas d'être instruit. - Où je vais, tu ne peux me suivre à présent. Au v. 33, c'était la même pensée et presque les mêmes termes, appliqués à tous les apôtres. - mais tu me suivras plus tard. « Plus tard » est opposé à « maintenant » : quand S. Pierre aura rempli sa mission ici‑bas. Jésus fait sans doute allusion dès cet endroit au crucifiement du prince des apôtres. Voyez 21, 18, 19 et le commentaire.



Jean 13.37 Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je vous suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour vous." - Simon-Pierre lui dit. Il insiste, trouvant l'explication trop vague. Le Seigneur permettait aux siens une grande familiarité. - Pourquoi ne pourrais‑je pas… maintenant ? (dans le texte grec : sur l'heure, cf. 2, 10). Il appuie à son tour sur « maintenant ». Puis il ajoute avec l'énergie qui le caractérise, comprenant que le départ de Jésus n'est autre que la mort : Je donnerai ma vie pour vous. Il se déclare prêt à mourir avec son Maître. Admirable générosité, mais trop d'empressement, dit S. Augustin, Traité sur S. Jean 66, 1 : « Pierre, pourquoi te hâtes‑tu ? La Pierre ne t’a pas encore affermi en te communiquant son esprit ; ne te laisse pas entraîner par la présomption. Tu ne peux venir maintenant ; mais ne te laisse pas abattre par le désespoir, tu me suivras un jour ». Sur l'expression « donner sa vie » voyez 10, 11 et la note.



Jean 13.38 Jésus lui répondit : "Tu donneras ta vie pour moi. En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas, avant que tu ne m'aies renié trois fois." - Jésus lui répondit. « Il était malade, et il vantait sa bonne volonté ; mais le médecin voyait sa faiblesse », dit encore S. Augustin, Traité sur S. Jean 66, 1, et c'est une chose bien triste que Jésus va prédire. - Tu donneras ta vie pour moi... ? Il reprend les paroles de l'apôtre ; puis, en termes solennels et en attestant la divine vérité (en vérité...), il annonce qu'avant peu S. Pierre l'aura lâchement renié jusqu'à trois fois. - Le coq ne chantera pas... C'est-à-dire : avant la prochaine aurore, dans cette nuit même. voyez la note sous Matth., 26, 34. S. Luc, 22, 34, suppose également que cette prophétie fut proférée au cénacle ; S. Matthieu, 26, 30-35, et S. Marc, 14, 26-30, la placent sur le chemin de Gethsémani. Il est possible qu'elle ait été réitérée deux fois (Voyez la note sous Luc, 22, 34). - S. Pierre ne prendra plus la parole durant la suite de l'entretien. On conçoit sans peine que la tristesse et l'effroi se soient emparés de son âme, et l'aient rendu muet.



CHAPITRE 14



Jean 14.1 "Que votre cœur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. - « Lisez le chapitre 14, a dit Bossuet, et vous y trouverez des profondeurs à faire trembler ». Méditations sur l’Évangile, 77e jour. Profondeurs étonnantes, en effet, sur l'éternité bienheureuse, sur l'auguste Trinité, sur la nature divine de Jésus‑Christ. Pour rassurer et consoler les apôtres, que l'annonce de la séparation a vivement émus, Jésus va susciter de toutes manières leur espérance. Il le fait « avec un accent de tendresse non moins saisissant que l'élévation de la pensée... Le développement est d'une incomparable beauté ». Le Camus, La vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 2, p. 244. Il leur donne d'abord, dans ce paragraphe, la certitude d'une réunion future. C’est au ciel, auprès de son Père, qu'il retourne, et il préparera là-haut une place à ses disciples : d'ailleurs, il viendra lui‑même un jour les chercher individuellement pour les introduire à cette place d'honneur. - Que votre cœur ne se trouble pas : expression très énergique. Plusieurs incidents étaient venus coup sur coup alarmer, bouleverser les disciples depuis quelques instants : la dénonciation du traître, la nouvelle du départ de leur Maître, la prédiction du reniement de S. Pierre. Ils pressentaient enfin que des événements tragiques étaient imminents. Le cœur, ce siège perpétuel des angoisses et des troubles. - Vous croyez en Dieu. Premier motif de calme : une parfaite confiance, soit en Dieu, soit en lui‑même. Beaucoup d'anciens exégètes grecs (notamment S. Cyrille, Nonnus, Théophylacte, Euthymius), et des commentateurs modernes, traduisent deux fois de suite le verbe à l'impératif : croyez en Dieu et croyez en moi. Et rien de plus légitime au point de vue du contexte et de la grammaire. Jésus établit d'abord un fait : Vous croyez en Dieu ; puis il en tire cette juste conséquence : croyez aussi en moi. Comme s'il disait : Mon Père et moi nous sommes solidaires l'un de l'autre, à cause de notre parfaite unité. Si vous avez confiance en lui, vous pouvez pareillement vous fier à moi, car notre puissance est la même. S. Cyrille : « vous croyez en Dieu, c’est à dire, vous avez appris de la Loi et des Docteurs qui vous ont instruits, à croire au Dieu d’Israël, comme au souverain protecteur du peuple qu’il a choisi. Croyez donc de même en moi, comme en celui qu’il a envoyé pour votre salut, qui est tout-puissant pour vous soutenir au milieu de grands périls, dont vous êtes menacés, et qui vous aime comme ses disciples qu’il a pris sous sa divine protection. Soyez très persuadés que tous ces maux passeront, que la foi que vous avez et en moi et en Dieu mon Père, vous rendra plus forts que tous vos persécuteurs et invincibles à tout ce que les hommes vous feront souffrir ».



Jean 14.2 Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père, s'il en était autrement, je vous l'aurais dit, car je vais vous y préparer une place. - Pour faire pénétrer cette confiance plus avant dans leurs cœurs troublés, il leur rappelle la vraie signification de sa mort : pour lui, mourir c'est aller prendre possession du ciel. - Dans la maison de mon Père. Plus haut, 2, 16, Jésus employait la même locution pour désigner le temple de Jérusalem, qui était en réalité le palais de Dieu sur la terre ; ici, c'est évidemment le ciel qu'il désigne, le lieu du divin séjour, cf. Psaume 2, 4, 32, 13, 14, Isaïe 68, 15 ; Matth. 5, 34 ; 6, 9. - De nombreuses demeures. Détail pittoresque. Quelle simplicité de langage pour exprimer les idées les plus hautes. La résidence du Seigneur ressemble à ces résidences princières où il y a beaucoup d'appartements, où l'on est sûr, par conséquent, de trouver de la place pour tous. Que les apôtres demeurent donc dans la paix. Déjà Tertullien ajoutait cette autre déduction « Comment y a‑t‑il plusieurs demeures auprès du Père, si ce n’est à cause de la diversité des mérites ? Comment, dans la gloire, une étoile sera‑t‑elle plus brillante qu’une autre, si ce n’est à cause de la diversité de leurs rayons ? ». L'idée est belle et exacte, et les anciens écrivains ecclésiastiques l'ont souvent répétée à propos de ce passage mais elle n'y est pas directement contenue. La pensée principale est bien marquée par le substantif demeure, de demeurer (d'où nous avons fait « maison ») : il s'agit avant tout d'une demeure permanente. Demeure n'apparaît qu'ici et au v. 23 dans le Nouveau Testament. - s'il en était autrement... Cette ligne est un peu obscure, et elle a reçu un assez grand nombre d'explications diverses. 1° C'est de la particule ὅτι, (que, parce que) que vient principalement la difficulté, et tel est le motif préalable de sa disparition dans quelques manuscrits grecs (N, Γ, Δ, Λ, etc., et la Recepta) : on l'aura supprimée pour alléger la phrase ; mais elle est aussi bien garantie que possible, car on la trouve dans les meilleurs documents (א, A, B, C, D, K, L, X, Π, les versions, etc.). 2° Quelques commentateurs donnent un tour interrogatif : S'il n'en était pas ainsi, vous aurais‑je dit que je vais vous préparer une place ? Dans ce cas, Jésus ferait allusion à une parole qu'il avait antérieurement prononcée. Mais où est cette parole ? On ne la trouve ni dans S. Jean ni dans les synoptiques. 3° Selon d'autres, le ὅτι est récitatif, à la façon hébraïque, ainsi qu'il arrive si souvent dans le quatrième évangile. « S’il n’y avait pas plusieurs demeures dans la maison de mon Père, je vous l’aurais dit. Il faut que je m’en aille pour vous préparer une place, de peur qu’elle soit occupée ». C'est le sentiment de S. Augustin, de Bède le Vénérable, etc. Toutefois, Maldonat a raison de dire que, d'après cette opinion, « C’était un lieu difficilement praticable ». 4° Nous préférons donc, avec Bossuet, Patrizi, Schanz, et presque tous les modernes, laisser à ὅτι sa signification plus habituelle de « parce que ». Jésus veut démontrer qu'il y a au ciel suffisamment de place pour tous ses amis. « S'il en était autrement, je vous l'aurais dit, afin de vous éviter une désillusion cruelle ; mais il en est réellement ainsi, et la preuve, c'est que je vais vous préparer une place ». - Vous y préparer une place. Promesse bien douce. cf. Hébreux 4, 14 et 6, 30, où il est dit que Jésus est monté au ciel comme notre précurseur. Auparavant le séjour bienheureux nous était entièrement fermé. « Le ciel était inaccessible aux hommes, et jamais une chair n’avait auparavant foulé le lieu pur et très saint des anges. Mais le Christ fut le premier à nous donner accès à ce lieu, et il livra à la chair le secret d’y monter en s’offrant à Dieu Père comme prémisses de ceux qui sont morts et qui gisent dans la terre. Et il fut le premier homme à se montrer à ceux qui sont au ciel ». S. Cyrille d'Alexandrie, h. l.



Jean 14.3 Et lorsque je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. - Je vous aurai préparé une place. Jésus réitère cette pensée consolante, pour y rattacher une autre perspective d'avenir plus consolante encore. - Et je vous prendrai. « Remarquez le changement de temps. Les mots avec moi marquent une union à la personne même de Jésus, idée que contenait déjà le verbe je prendrai. Après une courte séparation, les apôtres devaient donc retrouver, et d'une façon beaucoup plus intime, cette présence bien aimée dont ils avaient goûté les charmes durant trois ans. On voit par là que la promesse « Je reviendrai » ne doit pas s'entendre de la fin des temps, mais d'un avenir rapproché : à la mort de chacun des disciples (voyez une bien belle réalisation pour S. Étienne, Actes 7, 55). Et cela est précisément indiqué par le futur : Jésus vient sans cesse et il est perpétuellement présent à son Église ; mais il introduit ses amis au ciel l'un après l'autre, au temps voulu par la Providence. - Afin que... Motif pour lequel il viendra chercher ses disciples, et résultat final obtenu pour eux. - Là où je suis : au ciel, dans la maison de son Père (v. 2). - Vous y soyez aussi. II ne veut pas jouir sans eux de sa gloire et de son bonheur. Actuellement il ne saurait les conduire au ciel avec lui, mais alors il se les réunira pour toujours.



Jean 14.4 Et là où je vais, vous en savez le chemin." - Jésus insiste sur cette idée souverainement consolante du ciel, où il va et où les apôtres le rejoindront plus tard ; mais il ajoute ici un détail important, relatif au chemin qui y conduit. - Vous en savez... En effet, « Les disciples savaient, mais ils ne savaient pas qu’ils savaient » (S. Augustin, h. l.), par suite de leur embarras et de leur trouble, cf. v. 5.



Jean 14.5 Thomas lui dit : "Seigneur, nous ne savons où vous allez, comment donc en saurions-nous le chemin ?" - Thomas lui dit. Le narrateur omet cette fois l'épithète habituelle de Didyme, cf. 11, 16 ; 20, 24 ; 21, 2. Quelle étonnante simplicité dans la question de S. Thomas. Jusqu'à la fin les apôtres demeurent imbus de leurs préjugés messianiques ; ils ont la plus grande peine à croire que leur Maître va mourir. - Sous le couvert du titre habituel, Domine (cf. 13, 36 ; 14, 8, 22), c'est un démenti formel qu'il donne à Notre Seigneur : nous ne savons pas où vous allez. Parlant au nom de tous, il affirme qu'ils ignorent le terme de ce mystérieux voyage sur lequel Jésus était revenu déjà plusieurs fois : comment donc connaîtraient‑ils la route ? C'est une pure impossibilité : comment pourrions‑nous savoir le chemin ? - Quelques auteurs ont vu, non sans quelque raison, dans l'interrogation de S. Thomas, un reflet de sa nature sceptique.



Jean 14.6 Jésus lui dit : "Je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au Père que par moi. - Jésus lui dit. Réponse si profonde et si belle, où le Seigneur, par quelques mots seulement, mais avec tant de netteté, désigne à la fois et la route (Je suis la voie…) et le terme (au Père). Mais il le fait d'après sa méthode habituelle, négligeant le côté purement théorique, pour appuyer sur le côté pratique qui est le plus important pour nous, cf. vv. 23-24 ; 3, 4-6 ; 4, 19-24, etc. « Les apôtres désiraient connaître le chemin que Jésus allait suivre, et le lieu où il voulait se rendre ; sa réponse indique la voie par laquelle le disciple peut suivre son Maître et le rejoindre là où il va ». - Je suis la voie. Le Sauveur renverse l'ordre suivi par S. Thomas dans sa demande implicite, v. 5, et il montre en premier lieu la route, en second lieu le but du mystérieux voyage. Le pronom je est très emphatique, cf. 6, 35. Dans le texte grec le mot chemin, est précédé de l'article, et de même les deux substantifs qui suivent, ce qui les accentue pareillement. Jésus en personne est donc une voie royale et sûre, qui conduit d'une manière infaillible à la maison de son Père et aux nombreuses demeures qu'elle contient (v. 2). C'est là une admirable allégorie, analogue à celles du bon berger (10, 1-16) et de la vigne (15, 1-10), mais beaucoup plus concise puisqu'elle est renfermée dans un seul verset. L'idée exprimée est d'une importance vitale pour la vie chrétienne, et des rationalistes en ont très bien exposé le sens. M. Reuss, par exemple, La Théologie johannique, p. 281 « Jésus est le chemin… ; il ne guide pas seulement les siens, comme pourrait le faire un voyageur plus expérimenté que d'autres ; il les porte en même temps ; sans lui, le pèlerin cherchant le ciel ne trouverait pas où poser son pied, le sol même lui manquerait ». - Deux autres expressions, la vérité, et la vie, commentent la première au propre et sans figure. Jésus est la voie, parce qu'il est, d'une part, le parfait révélateur de Dieu et des choses divines (1, 14, 18), bien plus, la vérité incarnée et manifestée aux hommes ; d'autre part, la vie substantielle et parfaite, cf. 1, 4 et l'explication ; 6, 50-51 ; 11, 25. Les trois idées se tiennent ; celle que Jésus voulait mettre davantage en relief dans ce passage est placée en avant, puis développée encore dans la seconde moitié du verset. Quoique exacte au fond, l'interprétation de S. Augustin, « la voie véritable qui conduit à la vie », enlève de sa vigueur à la pensée. Chacun connaît le beau commentaire du livre : l'Imitation de Jésus-Christ, Livre 3, chap. 56, 1 : « Suivez-moi : je suis la voie, la vérité et la vie. Sans la voie on n'avance pas ; sans la vérité on ne connaît pas ; on ne vit pas sans la vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vérité que vous devez croire, la vie que vous devez espérer. Je suis la voie qui n'égare pas, la vérité qui ne trompe pas, la vie qui ne finira jamais. Je suis la voie droite, la vérité souveraine, la véritable vie, la vie bienheureuse, la vie incréée. Si vous demeurez dans ma voie, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera, et vous obtiendrez la vie éternelle ». - Nul (sans exception) ne vient au Père : voilà maintenant l'auguste terme auquel conduira cette voie. Et on ne saurait l'atteindre en suivant un autre chemin : que par moi. Notez la force des négations, cf. Éphésiens 2, 18 : « Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père ».









Jean 14.7 Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. Dès à présent, vous le connaissez et vous l'avez vu." - La pensée, comme le langage, continue de s'élever de sphère en sphère. Le Sauveur vient de mentionner son Père céleste, auquel seul il peut conduire : il explique ici pourquoi il n'y a pas d'autre chemin que lui pour aller à Dieu. « En réalité, il n'est que l'extension du Père, dès lors la voie sainte qui mène à lui. Si voir Jésus c'est voir le rayonnement du Père, s'attacher à lui c'est atteindre et posséder le Père lui‑même. Donc, il est non seulement le chemin qui mène au Père, mais le sanctuaire, le miroir, l'image manifeste du Père ». Le Camus, Vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 2, p. 446 (dans ce bel ouvrage, M. Le Camus a particulièrement bien traité le discours d'adieu). - Si vous m’aviez connu. Si vous étiez arrivés à me connaître, grâce à tant de révélations successives que je vous ai faites de ma personne. - Vous auriez connu aussi mon Père... : par là-même vous connaîtriez mon Père. - Dès à présent, vous le connaissez. Précieuse assurance que Jésus donne à ses disciples. Non seulement ils « auraient pu » connaître Dieu le Père ; en vérité, déjà ils le connaissent (notez le temps présent), car, en cet instant même, Jésus le leur révèle avec la plus grande clarté. - Et vous l’avez vu : c'est une chose accomplie. N'ont‑ils pas vu le Père dans le Fils, qui est un avec lui ?



Jean 14.8 Philippe lui dit : "Seigneur, montrez-nous le Père et cela nous suffit." - S. Philippe interrompt à son tour et de la même façon naïve que S. Thomas, v. 5. C'est la quatrième fois qu'il apparaît dans l'évangile selon S. Jean, cf. 1, 44-49 ; 6, 5-7 ; 12, 22. Homme pratique, 6, 5 et ss., qui aimait à se rendre compte des choses par ses propres yeux, 1, 45. - Montrez-nous le Père. Les dernières paroles de son Maître l'ont frappé (« et vous l’avez déjà vu »). Mais il leur a donné une interprétation sensible et bornée, au lieu du sens idéal et supérieur qu'elles présentaient. Or, il ne se souvient nullement d'avoir vu le Père. Si Jésus daignait le leur montrer. Il avait sans doute à l'esprit, en proférant cette audacieuse requête, les théophanies de l'Ancien Testament (Exemple : Exode 13,21 « Le Seigneur allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée, pour les guider dans leur chemin et la nuit dans une colonne de feu, pour les éclairer, afin qu'ils pussent marcher le jour et la nuit. 22 La colonne de nuée ne se retira pas de devant le peuple pendant le jour, ni la colonne de feu pendant la nuit » ; Exode 19, « 18 La montagne de Sinaï était toute fumante, parce que le Seigneur y était descendu au milieu du feu et la fumée s'élevait comme la fumée d'une fournaise et toute la montagne tremblait fortement. 19 Le son de la trompe devenait de plus en plus fort. Moïse parla et Dieu lui répondit par une voix. 20 Le Seigneur descendit sur la montagne de Sinaï, sur le sommet de la montagne et le Seigneur appela Moïse sur le sommet de la montagne et Moïse monta. » et il aurait souhaité, pour lui et les autres apôtres, quelque manifestation semblable. - Et cela nous suffit. Ils se tiendront alors pour satisfaits, et ils croiront pleinement à tout. Ce trait final n'est pas ce qu'il y a de moins étrange dans la demande.



Jean 14.9 Jésus lui répondit : "Il y a longtemps que je suis avec vous et tu ne m'as pas connu ? Philippe, celui qui m'a vu, a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : Montrez-nous le Père. - Non. « ce n'est pas a côté de Jésus qu'il faut désirer voir le Père, mais en Jésus ». Le Camus, l. c., p. 447. - La réponse du Sauveur commence par un reproche bien légitime, affectueusement exprimé : Il y a longtemps...! plus de trois années d'après la chronologie qui semble la meilleure. Et, en outre, dans des relations si intimes. La réflexion portait d'autant plus juste, que S. Philippe avait été l'un des premiers attachés à la personne de N.-S. Jésus‑Christ, cf. 1, 44. - Et tu ne m’a pas connu ? - Philippe. Il y a tout ensemble de la solennité et beaucoup de bonté dans cette appellation. La preuve que Jésus n'était pas vraiment connu de ses plus intimes disciples, c'est que ceux‑ci lui demandaient de voir son Père, comme si son Père et lui n'étaient pas, un seul et même Dieu. - celui qui m'a vu, a vu aussi le Père, cf. 12, 45, où Notre‑Seigneur avait déjà fait cette majestueuse déclaration, proclamant son unité d'essence avec Dieu dans les termes les plus catégoriques. - Comment peux-tu dire...? Jésus est comme douloureusement étonné qu'on puisse lui adresser une telle prière : n'est‑elle pas incompréhensible après tout ce qu'il a déjà montré de lui‑même, de son Père ? Voyez de beaux développements dans Bossuet, Méditat. sur l’Évangile, 84ème jour.



Jean 14.10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : le Père qui demeure en moi fait lui-même ces œuvres. - Que je suis dans le Père et que le Père est en moi, cf. 10, 38 et le commentaire. Ce que Jésus revendique de nouveau par ce langage saisissant, c'est la complète communauté d'essence avec Dieu. - Un raisonnement concis, mais décisif, rappelle à Philippe et aux autres apôtres une double démonstration, qu'ils semblaient oublier dans la circonstance présente. L'enseignement et les œuvres de leur Maître ne sont‑ils pas une preuve irrécusable de sa divinité ? cf. 5, 19, 30 ; 8, 26, 29 ; 12, 44. - 1° La preuve tirée de l'enseignement : Les paroles ... je ne les dis pas de moi‑même. Jésus ne fait donc que prêter ses lèvres à son Père ; il est l'organe de Dieu quand il parle, car il ne diffère pas de Dieu. - 2° La preuve tirée des œuvres : Le Père… fait lui‑même mes œuvres. Le Père agit par le bras de Jésus, car la puissance de l'un est la puissance de l'autre.



Jean 14.11 Croyez sur ma parole que je suis dans le Père et que le Père est en moi. - S'adressant à tous les membres du groupe des douze apôtres, Jésus demande qu'ils le croient sur parole quand il leur dit : Je suis dans le Père et le Père est en moi. Cette répétition des mêmes paroles est significative.



Jean 14.12 Croyez-le du moins à cause de ces œuvres. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais et il en fera de plus grandes, - Croyez-le du moins... L'assertion de Jésus n'avait pas besoin de garantie. Pourtant, à ceux qui en désiraient une, il offre celle de ses œuvres, cf. 10, 37, 38 ; 15, 22, 24. - Première consolation : les prières des amis intimes de Jésus recevront au ciel l'accueil le plus favorable, car la gloire du Père y est intéressée, vv. 12b-14. Cette magnifique promesse est introduite par le serment habituel du Sauveur, en vérité, en vérité, je vous le dis. - Celui qui croit en moi. Une foi stable et perpétuelle est exigée par Jésus pour l'accomplissement de sa promesse. - Les œuvres que je fais. Ces œuvres, naguère mentionnées comme une des preuves les plus convaincantes de la divinité du Christ, étaient assurément, l'évangile entier en est témoin, supérieures à tout ce qui avait paru auparavant sur la terre. Et pourtant, Jésus daignera les continuer, les renouveler dans la personne de ses disciples. - Le Sauveur daigne ajouter : et il en fera de plus grandes : ce qu'on a parfois appliqué à divers miracles de S. Pierre, de S. Paul, ou des autres apôtres, que Jésus n'avait pas accomplis personnellement, cf. Marc. 16, 15 ; Actes 5, 15 ; 13, 8 ; 19, 12 etc. Mais la prédiction porte plus haut et plus loin que cela. Notre‑Seigneur parle d'œuvres en général, et pas seulement de miracles matériels ; et il est probable qu'il faisait allusion, d'une part à sa prédication et à son ministère, lesquels avaient été très restreints sous le rapport de l'espace et de la durée ; de l'autre au ministère et à la prédication des apôtres, qui devaient avoir l'univers entier pour théâtre. « Quand les disciples évangélisèrent… les païens crurent aussi. C’est, sans aucun doute, une grande chose », S. Augustin, h. l. - Parce que je m’en vais au Père. Ces mots ont pour but de motiver la déclaration qui précède ; mais quel est au juste le motif ? Deux opinions se sont formées sur ce point. D'après les uns, Jésus voudrait indiquer que son prochain départ devant nécessairement mettre fin à son activité personnelle, il achèverait par ses disciples ce qu'il ne pourrait continuer par lui‑même. Selon les autres, les apôtres seraient précisément rendus capables de si grandes choses par le retour de Jésus au ciel ; car alors, du sein de sa gloire, leur Maître leur prêterait son tout‑puissant concours. Nous préférons ce second sentiment, qui nous paraît exigé par le contexte, vv. 13-14.



Jean 14.13 parce que je m'en vais au Père et que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. - En effet, pour jouir de cette puissance à laquelle rien ne saurait résister, les apôtres devront l'obtenir de Dieu par de ferventes prières, que Jésus se charge de faire exaucer. - Tout ce que vous demanderez au Père. Il n'y a pas d'exception : tout ce qui peut être convenablement demandé au nom de N.-S. Jésus‑Christ sera accordé. - En mon nom. Nous rencontrons ici pour la première fois cette expression, « demander au nom de Jésus », qui reviendra à plusieurs reprises dans les pages suivantes (15, 16 ; 16, 23, 24, 26). Évidemment, elle désigne plus qu'une simple formule matérielle, quoique l'antique coutume de terminer les prières par les mots « Par le même notre Seigneur Jésus Christ » soit si juste, si touchante et toute basée sur ce passage. Prier au nom de Jésus : 1° c'est prier à sa place et de sa part, comme ses représentants ; 2° c'est par conséquent demander ce qu'il demanderait lui‑même à son Père ; 3° c'est faire valoir ses mérites infinis. - Je le ferai. On priera son Père, et c'est lui‑même qui exaucera la supplication. Encore une preuve frappante de sa divinité. - Afin que... : il va dire pourquoi les requêtes de ce genre seront toujours couronnées de succès. - … le Père soit glorifié dans le Fils. Toujours la gloire de son Père ! cf. 11, 4 ; 13, 31, etc. Les mots « dans le Fils » portent l'idée principale. C'est-à-dire, d'après le contexte, « dans le Fils qui fera » : l’accomplissement certain de toute prière faite au nom du Fils, et grâce à son intercession, aura lieu pour la plus grande gloire du Père.



Jean 14.14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. - Jésus va répéter sa promesse, pour la mieux graver au cœur des apôtres, et pour montrer combien elle est solide. Il le fait néanmoins avec de légères nuances de langage qui fortifient la pensée. - Si vous me demandez quelque chose. C'est ici la principale différence : « me » au lieu de « au Père ». Mais, après ce qu'il a dit antérieurement de sa parfaite unité avec son Père, le prier lui‑même, ou prier le Père, n'est‑ce pas une seule et même chose ? - Je le ferai.



Jean 14.15 Si vous m'aimez, gardez mes commandements. - Si vous m’aimez. La consolation précédente, vv. 12b-14, devait être accordée aux disciples en récompense de leur foi (v .12, « celui qui croit en moi ») ; celle‑ci suppose un plus grand mérite de leur part, un amour sincère et généreux. - Gardez… : L'obéissance, et non de fades sentiments, voilà en effet la vraie pierre de touche de l'affection. - Mes commandements, littéralement : « les commandements qui sont miens » : Il appelait de ce nom les préceptes qu'il leur avait personnellement imposés. Jésus ne mentionne ainsi ses propres commandements que dans ce discours d'adieu, cf. v. 21 ; 15, 10, 12, etc.



Jean 14.16 Et moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu'il demeure toujours avec vous. - Et moi... Moi de mon côté. Acquittez-vous de vos fonctions ici‑bas, et moi je remplirai mon rôle dans le ciel. - Je prierai le Père. Jésus n'emploie plus le verbe αιτειν, « demander », maintenant qu'il est question de sa propre prière (voyez les versets 13 et 14) ; il se sert de l'expression plus relevée ερωταν, qui ne marque pas autant la supplication, cf. 11, 9,2 et le commentaire ; 16, 26 ; 17, 9, 15, 20. - La conjonction et introduit le résultat de cette puissante intercession. - Il vous donnera un autre Consolateur. - Seconde promesse, vv. 15-17 : Jésus enverra aux apôtres son divin Esprit, qui demeurera perpétuellement avec eux. Dans un instant (v. 17) le Sauveur nous dira lui‑même quel est cet « autre Paraclet » ; nous n'avons donc qu'à expliquer ce nom, calqué sur le grec παρακλητος. S. Jean est le seul écrivain du Nouveau Testament qui en fasse usage : quatre fois dans son évangile (ici, au v. 26, 15, 26 et 16, 7, et c'est toujours Jésus qui le prononce), une fois dans sa première lettre, 2, 1. La racine consiste dans les deux mots παρα, καλεω, j'appelle auprès ; la signification littérale et classique est donc avocat, l’avocat, un homme qui est appelé auprès d'un autre pour lui venir en aide, principalement devant une cour de justice. Et tel est le sens que lui donnent non seulement un certain nombre de Pères, entre autres Tertullien, S. Augustin, S. Hilaire, etc., mais aussi les Rabbins, car ils l'emploient assez fréquemment dans leurs écrits sous la forme à peine modifiée de מילכרפ (Paraklît). Et cette acception cadre pour le mieux avec les cinq passages bibliques cités plus haut. Il est vrai qu'un certain nombre d'auteurs anciens (en particulier les Pères grecs) traduisent παρακλητος par Consolateur ; mais c'est là restreindre un peu trop la pensée, car la consolation n'est qu'un des rôles multiples de l'avocat. Du reste, il faudrait la forme active παρακλητωρ pour que cette interprétation fût exacte. - Jésus dit « un autre Consolateur », un second Paraclet ; il avait été en effet lui‑même le premier. Philon donne également au λογοσ le titre de παρακλητος. - Il vous donnera est une locution beaucoup plus expressive que « il vous enverra ». Je vous donnerai en propre ce divin avocat. - Pour qu’il demeure toujours avec vous : à tout jamais, car on a besoin d'avoir toujours son avocat auprès de soi. Jésus était obligé de quitter ses apôtres ; l'Esprit saint demeurera à côté d'eux et de leurs successeurs pour les assister. Voyez plus bas, 16, 8-11, des détails plus complets sur son divin concours.



Jean 14.17 C'est l'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas, mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure au milieu de vous et il sera en vous. - Jésus va indiquer en termes plus précis quel est ce Paraclet, et à qui il le destine. - 1° C'est l'Esprit saint en personne qu'il appelle ici l’Esprit de vérité, soit à cause des vérités qu'il viendra manifester (cf. 15, 16 ; 16, 13), soit par opposition au démon, l'« esprit d'erreur » (1 Jean 4, 6). Ce passage (vv. 16 et 17) est justement classique dans le traité de la Sainte Trinité : il nous présente clairement le Père qui donne, le Fils qui demande, l'Esprit saint qui est donné. - 2° Ceux auxquels est destiné ce céleste don sont mentionnés d'abord négativement, puis en termes positifs. Négativement: le monde ne peut le recevoir. Le monde (cf. 1, 10 et la note) ne saurait recevoir l'Esprit saint (dans le texte grec, λαβεῖν, prendre, saisir : expression qui suppose une certaine activité). Et Jésus en explique aussitôt la cause (parce que...) : c'est qu'il n'y pas d'affinité entre le Paraclet et ce monde incrédule. - Il ne le voit pas. Les hommes pervertis n'ont pas d'yeux spirituels pour contempler le Saint‑Esprit. - Par conséquent, et ne Le connaît pas. Ce n'est pourtant, pas l'intelligence, ni l'amour de la science qui manque au monde : chaque siècle ajoute au nombre de ses connaissances, dont il est justement fier ; mais jamais il n'a su et n'a voulu percevoir le divin. - Au contraire, c'est pour les disciples et les croyants que viendra le Paraclet : Vous le connaissez. Assurément que d'une manière imparfaite, mais ses révélations devaient bientôt compléter leur science. - De nouveau, la particule parce que introduit un motif. - Il demeure au milieu de vous. Il y a un renversement remarquable de la pensée. Au premier hémistiche, le Saint‑Esprit n'était pas donné au monde, parce que celui‑ci refusait de le reconnaître ; les disciples le connaissent parce qu'ils le possèdent. Autres nuances délicates : les locutions « avec vous », « en vous », marquent les différents modes dont le Paraclet assistera les apôtres. Il sera leur compagnon fidèle, leur vaillant défenseur, une force irrésistible pour chacun d'eux pris individuellement.



Jean 14.18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. - Troisième promesse, vv. 18-24. Non content de leur procurer son Esprit, Jésus viendra lui‑même mystiquement demeurer avec ses disciples. - Je ne vous laissera pas orphelins. Mot calqué sur le grec ορφανος, qu'on trouve seulement deux fois dans le Nouveau Testament, cf. Jacques 1, 27. Jésus venait d'appeler les apôtres ses « petits enfants » ( cf. 13 34) : « il continue à parler en père », Bossuet. - Je viendrai à vous. Preuve qu'il ne s'agit pas de la fin des temps (S. Augustin, Bède le Vénérable, Maldonat, etc.), époque trop lointaine et tardive pour réaliser une promesse dans le temps présent. Il n'est pas probable non plus que le Sauveur fasse allusion par cette parole à sa résurrection et aux entrevues si rares qu'il eut avec ses amis avant l'Ascension (S. Jean Chrysost., Théophylacte, etc.) : c'est trop restreindre la consolation promise. Le mieux est donc de donner à ces mots l'interprétation mystique qui est indiquée par le contexte : cet avènement de Jésus aura lieu en même temps que celui du divin Paraclet (S. Cyrille, Rupert de Deutz, etc.).



Jean 14.19 Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez, parce que je vis et que vous vivrez. - Plus qu'un peu de temps. cf. 13, 33 ; 16, 16. - Le monde ne me verra plus. C'est le présent de la réalisation anticipée. Dans quelques heures, Jésus aura disparu d'au milieu du monde ; les hommes ordinaires cesseront donc de le voir corporellement. Quant à ses disciples (« mais vous, vous... », forte antithèse comme au v. 18), étant doués d'un regard spirituel et mystique, ils continueront de le contempler auprès d'eux, même après sa mort et son ascension. Le même verbe « voir » doit donc s'entendre tour à tour de la vision physique et de la vision spirituelle. - Parce que... Jésus veut expliquer pourquoi ses amis ne cesseront pas de le voir, même après qu'il leur aura retiré sa présence extérieure. Il vivra toujours, et eux aussi ils vivront d'une vie supérieure. - Je vis. Lui qui devait mourir le lendemain. Allusion solennelle à sa vie ressuscitée. - Et que vous vivrez. Cette fois Jésus parle au futur, car la nouvelle et complète existence des apôtres ne devait commencer qu'après la Pentecôte. Si le Maître et les disciples vivent toujours, et d'une manière transfigurée, rien ne les empêchera de demeurer présents les uns aux autres, et de se contempler mutuellement.



Jean 14.20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous. - En ce jour‑là, cf. 16, 23, 26. Au jour ou ils recevront l'Esprit saint, qui leur communiquera cette plénitude de vie ; et constamment ensuite, à partir de ce grand jour. - Vous connaîtrez. Le pronom est accentué (cf. v. 17). Dans le texte grec, le verbe γνώσεσθε marque, selon l'ordinaire, une connaissance qui provient d'une expérience personnelle. - Que je suis en mon Père. Voyez les versets 10 et 11. - Et vous en moi, et moi en vous. Douce et glorieuse union ; sorte d’existence commune et réciproque analogue à celle des personnes divines. Jésus et ses disciples ne forment qu'un organisme unique ; il est la tête, ils sont les membres, cf. 15, 4, 5 ; 17, 21, 23 ; 1 Jean 3, 24 ; 4, 13, 15, 16.



Jean 14.21 Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime et celui qui m'aime sera aimé de mon Père et moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui." - Un amour efficace et généreux est de nouveau demandé aux apôtres comme condition de cette union parfaite, cf. v. 15. - Celui qui a mes commandements et qui les garde. Remarquez l'emploi du temps présent, qui a dans le texte grec une énergie particulière. S. Augustin exprime très bien les nuances des verbes « avoir » et « garder », Traité 75 sur S. Jean, 5 : « Celui qui les a dans la mémoire et qui les garde dans sa manière de vivre, qui les a dans ses discours, et qui les garde en ses mœurs ; qui les a en les écoutant et qui les garde en les pratiquant, ou qui les a en les pratiquant, et qui les garde en y persévérant ». Le premier désigne une possession plus passive, le second une obéissance active. - C’est celui‑là... Celui‑là, et pas un autre. - Qui m’aime. Voilà mon véritable ami. Au v. 15, l'obéissance était présentée comme une conséquence de l'amour ; ici, elle en est donnée comme la démonstration. - Celui qui m’aime... « Si tu veux être aimé, aime », dit le proverbe. Le saint amour des disciples obtiendra infailliblement ce résultat : ils trouveront en Dieu une admirable correspondance à leur affection. - Sera aimé de mon Père : le Père, en effet, regardera comme accompli pour lui‑même tout ce qu'on aura fait envers son Fils. Il daignera donc aimer divinement les amis de Jésus. - Et moi je l’aimerai. Jésus lui‑même, de son côté, ne saurait rester en retard. Quel suave échange d'affection. Mais l'on recevra bien plus que l'on aura donné. - Et je me manifesterai à lui. Dans le texte grec, le verbe ἐμφανίσω ne se rencontre qu'en ce passage du quatrième évangile (ici et au v. 22) ; il désigne une manifestation très noble, très intime, bien que cette manifestation ne soit pas toujours extérieure, comme c'est ici le cas. D'après la traduction des Septante, Moïse demande à Dieu, Exode 33, 13 « fais‑moi connaître ton chemin, et je te connaîtrai, je saurai que j’ai trouvé grâce à tes yeux ». Ce souhait sera bien autrement réalisé pour les apôtres que pour le législateur juif.



Jean 14.22 Judas, non pas l'Iscariote, lui dit : "Seigneur, comment se fait-il que vous vouliez vous manifester à nous et non au monde ?" - Le Sauveur est interrompu pour la quatrième fois, cf. 13, 36 ; 14, 5, 8. S. Jude, ou Lebbée, ou Thaddée, «l'apôtre aux trois noms» (cf. commentaire Matthieu, 10, 3), n'est mentionné qu'en cet endroit par S. Jean. - Les mots significatifs non pas l’Iscariote semblaient inutiles après la note 13, 30, qui avait annoncé le départ du traître : c'est comme un cri de légitime horreur échappé au cœur du disciple bien‑aimé. - Comment se fait-il que... Que s'est‑il donc passé pour que ...? Quel événement vous a porté à modifier le plan messianique ? - Vous vouliez vous manifester à nous. Jude se sert de la même expression que son Maître, ἐμφανιζειν. La promesse « je me manifesterai à lui » l'a vivement frappé ; mais il a compris que Jésus parlait d'une manifestation restreinte, qu'il réservait à ses seuls disciples, par opposition au monde ; or, rempli comme les autres de nombreux préjugés relativement au Messie, il croyait que Notre‑Seigneur devait se révéler au monde entier et de la manière la plus éclatante. Pourquoi donc tout à coup des limites si étroites ? - A nous : à nous seuls, et non pas au monde. Voyez les vv. 17 et 19, où Jésus avait lui‑même établi cette antithèse. - Cette interruption aura ses avantages aussi bien que les précédentes ; car elle nous obtiendra du Sauveur de précieux développements sur la nature toute spirituelle de la manifestation promise.



Jean 14.23 Jésus lui répondit : "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. - Jésus lui répondit... Au premier regard, il nous paraîtrait que Jésus ne tient aucun compte de la question de S. Jude ; car il se contente, en effet, de réitérer, avec quelques développements, la déclaration qui l'avait occasionnée (v. 21). Néanmoins il répond d'une manière indirecte. En indiquant avec beaucoup de clarté les conditions expressément requises pour qu'il puisse se révéler et se manifester, c'est-à-dire l'amour et l'obéissance, il montre par là-même pourquoi ses amis seuls jouiront du privilège de ses manifestations, et pourquoi le monde sera privé de ce bonheur. - Si quelqu’un m’aime. La charité, l’amour envers Dieu, voilà ce qui établira la différence essentielle entre le monde et les disciples. - Il gardera ma parole, cf. vv. 15 et 21. Ici, au lieu de l'expression « commandements » du v. 21, Jésus emploie un mot plus général, τὸν λόγον μου, qui désigne le message évangélique dans son unité totale. - Et (à cette condition) mon Père l’aimera. Cette fois, c'est la forme active (v. 21 : « aimé de mon Père »), qui fait mieux ressortir l'aimable condescendance de Dieu. - Et nous viendrons à lui. La locution est tout à fait remarquable. « Nous viendrons ». Quel autre qu'un Dieu peut parler ainsi ? Un simple homme, une simple créature, quelque parfaite qu'on la fasse, oserait‑elle dire : Nous viendrons, et s'associer avec le Père éternel, pour demeurer dans le fond des âmes, comme dans son sanctuaire ? » Bossuet, Médit. sur l'Evang. 93ème jour. C'est donc là une autre preuve évidente que Jésus revendiquait intégralement la divinité. - Nous ferons chez lui notre demeure (voyez le v. 2 et la note)... Le ciel ne se contentera pas de descendre sur la terre ; Dieu fixera son séjour dans les âmes comme dans un temple (cf. 1 Corinthiens 3, 16 ; Apocalypse 3, 20). Lui qui, plus haut (vv. 2-3), nous promettait une habitation auprès de lui, voici qu'il condescend à se faire notre hôte. « Qui nous dira quelle est cette secrète partie de notre âme, dont le Père et le Fils font leur temple et leur sanctuaire ? Qui nous dira combien intimement ils y habitent ; comme ils la dilatent comme pour s'y promener, et de ce fond intime de l'âme, se répandre partout, occuper toutes les puissances, animer toutes les actions ? Qui nous apprendra ce secret, pour nous y retirer sans cesse, et y trouver le Père et le Fils ? ». Bossuet, l. c. L'Ancien Testament mentionne souvent la présence de Dieu au milieu de son peuple, cf. Exode 25, 8 ; 29, 45 ; Ézéchiel 37 27 ; Zacharie 2, 10, etc. Mais nulle part le Seigneur n'y promet de résider ainsi dans le cœur de chaque fidèle. - Nous ferons. La vraie leçon du grec est « nous nous ferons » : ce qui met bien mieux en relief la part active que Dieu prend à se préparer une habitation en nous.



Jean 14.24 Celui qui ne m'aime pas, ne gardera pas mes paroles. Et la parole que vous entendez n'est pas de moi, mais du Père qui m'a envoyé. - Même pensée, négativement exprimée : quels sont ceux auxquels Jésus ne se manifestera pas. - Celui qui ne m’aime pas. Le monde sceptique, et opposé à N.-S. Jésus‑Christ. - Ne gardera pas mes paroles. Grand crime (cf. 7, 16 ; 8, 28 ; 12, 49), dont la conséquence implicite sera : « et mon Père ne l’aimera pas », etc. Comment se manifester à des hommes indifférents ou même hostiles ? Remarquez le pluriel « mes paroles » ; nous lisions « ma parole » au singulier dans le précédent verset. L'unique message est ainsi décomposé en ses diverses parties. - Et la parole (de nouveau le singulier, qui englobe tous les discours de Jésus) que vous entendez... Notre‑Seigneur ajoute cette idée pour mieux démontrer la culpabilité du monde. - N’est pas de moi... En ne recevant pas sa prédication, c'est la parole même de Dieu que les incrédules ont rejetée.



Jean 14.25 Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous. - Il appuie sur « ces choses », qui désigne tout ce que nous venons de lire du discours d'adieu (13, 31-14, 24). - Pendant que je demeure avec vous. Ces mots font allusion à la séparation prochaine. Toutes ces choses, j'ai pu vous les dire pendant que je demeure avec vous ici‑bas.





Jean 14.26 Mais le Consolateur, l'Esprit-Saint, que mon Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. - Mais le Consolateur... L'antithèse est visible. A son action nécessairement limitée, Jésus va opposer celle de l'Esprit Saint. Il n'a pu, lui, donner aux apôtres qu'une instruction imparfaite, à cause des circonstances où ils se trouvaient : cette instruction, le Paraclet viendra la compléter. - Esprit‑Saint sert d'apposition à Consolateur. L'épithète Saint est jointe quatre fois au substantif Esprit dans l'évangile selon S. Jean (1, 33 ; 7, 39 ; ici, et 20, 22), cinq fois dans S. Matthieu, quatre dans S. Marc, douze dans S. Luc, environ quarante fois au livre des Actes. - Que mon Père enverra en mon nom : c'est-à-dire, comme mon représentant et le continuateur de mon œuvre, cf. v. 13, et 16, 13, 14. - Dans le texte grec, le pronom « celui‑là » (εκεινος) reprend le sujet, à la façon ordinaire à S. Jean, pour appuyer sur le développement de la pensée. Comme au v. 16, les trois personnes de la sainte Trinité sont mentionnées séparément et explicitement. - Vous enseignera toutes choses. L'Esprit révélateur instruira les apôtres de deux manières. 1° N.-S. Jésus‑Christ, durant sa vie publique, avait posé dans leurs intelligences la base de toutes les vérités chrétiennes : le saint Esprit élargira cette base ; sous son action fécondante, les germes arriveront à maturité, cf. 16, 13. Les mots « enseignera toutes choses » ne désignent donc pas l'enseignement de choses absolument nouvelles. - 2° Et vous rappellera tout... Dans le grec : « il s’en souviendra, il le commémorera » (S. Augustin). Le Paraclet rappellera aux disciples, selon les occasions, tels ou tels préceptes, telles ou telles paroles de leur Maître qu'ils n'avaient pas bien compris tout d'abord. Voyez 2, 22 ; 12, 16 ; Luc. 9, 45 ; 18, 34 ; 24, 8. - La conclusion du verset, tout ce que je vous ai dit, retombe, suivant l'opinion la plus probable et la plus commune, sur les deux « tout » qui précèdent.



Jean 14.27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, je ne la donne pas comme la donne le monde. Que votre cœur ne se trouble pas et ne s'effraie pas. - Je vous laisse la paix. Il y a dans cette formule plus qu'un adieu à la manière orientale, cf. 1 Samuel, 1, 17 ; 20, 42 ; Marc. 5, 34, etc. C'est un précieux héritage que Jésus laisse à ses enfants avant de les quitter, la paix dans l'Esprit Saint. - Je vous donne ma paix. Cette seconde proposition fortifie la pensée en la réitérant. Donne est plus expressif que laisse. Et remarquez la solennité du pronom, surtout dans le texte grec. La paix qui est propre à Jésus, celle dont il est l'origine et la cause, le fruit de sa rédemption, cf. Isaïe 9, 6 ; Colossiens 1, 20 et ss. - je ne la donne pas comme la donne le monde... Il insiste encore sur la nature de cette paix. Les hommes se la souhaitent entre eux, mais sans pouvoir la communiquer : comment le monde donnerait‑il ce qu'il n'a pas lui‑même ? - Que votre cœur ne se trouble pas. Le résultat de la paix profonde et véritable que procure Jésus sera un calme parfait au milieu même de l'adversité et des dangers, cf. v. 1, où nous avons déjà entendu cette parole encourageante. - Et ne s’effraie pas. Ce second verbe n'apparaît pas ailleurs dans le Nouveau Testament. Il marque la crainte inspirée par les dangers extérieurs ; trouble se rapporte à la tristesse que les apôtres avaient en pensant au prochain départ de leur Maître.



Jean 14.28 Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m'en vais et je reviens à vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, car mon Père est plus grand que moi. - A sa paternelle exhortation Jésus ajoute un puissant motif de calme et de confiance. - Vous avez entendu... Il fait allusion aux paroles des vv. 2-4, qu'il répète sous une forme abrégée : Je m’en vais, et je reviens à vous. - Si vous m’aimiez. Si vous m'aimiez vraiment pour moi‑même, sans songer à votre intérêt personnel, mais seulement au mien. - Vous vous réjouiriez : Vous vous seriez réjoui à cette nouvelle, bien loin de vous laisser attrister et troubler. - De ce que (raison pour laquelle ils auraient dû se réjouir) je vais vers au Père. En réalité, tel est le véritable aspect sous lequel il faut envisager son départ : c'est un retour vers son Père. Or, continue‑t‑il, son Père étant si grand, remonter vers lui est une gloire indicible et un bonheur parfait. Que ses disciples se le disent, et ils s'en réjouiront pour leur Maître. - Parce que mon Père est plus grand que moi. Texte cher aux Ariens, et plus tard aux Sociniens, qui en déduisaient l'évidente infériorité du Fils. Les Pères l'ont fréquemment et magnifiquement commenté pour réfuter l'hérésie d'Arius. Il leur a été aisé de prouver qu'il ne s'agit que d'une infériorité improprement dite. Toutefois, ils ne présentent pas leur démonstration de la même manière, et un double courant d'opinion s'est formé parmi eux sur ce point. 1° D'après les uns, Jésus parle ici en tant que Fils de l'homme et Verbe fait chair ; rien d'étonnant à ce qu'il proclame son Père bien plus grand que lui. « Ils sont un en ce sens que le « Verbe est Dieu » ; le Père est plus grand en ce sens que « le Verbe s'est « fait chair »... Infidèle, ingrat, oses‑tu bien diminuer celui qui t'a créé, parce qu'il te fait connaître ce qu'il est devenu à cause de toi ? En effet, le Fils de Dieu, par qui l'homme a été fait, était l'égal du Père, et néanmoins il s'est fait homme pour devenir plus petit que le Père ; sans cela que serait l'homme ? » S. Augustin, Traité 78 sur s. Jean, 2. Cette interprétation est celle qui paraît la plus évidente et la plus simple. 2° La seconde est peut-être plus profonde, et elle a eu aussi de très illustres patrons dans l'antiquité (S. Athanase, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, S. Épiphane, etc., chez les Grecs ; Tertullien et S. Hilaire chez les Latins), quoiqu'elle soit à peu près abandonnée de nos jours. Elle fait consister la supériorité relative du Père dans son attribut de « non engendré ». Ainsi que l'explique le Concile de Sardique, « le Père est plus grand que le Fils,... parce que le nom même de Père est plus grand que celui de Fils ». Voyez les commentaires de Tolet, de Maldonat et de Westcott (ce dernier cite de nombreux passages des SS. Pères sur la question) ; Mgr Ginoulhiac, Histoire du dogme catholiq., t. 1, p. 467 et ss., et les grands théologiens au traité de la Trinité.



Jean 14.29 Et maintenant, je vous ai dit ces choses avant qu'elles n'arrivent, afin que, quand elles seront arrivées, vous croyiez. - Et maintenant. En ce moment de crise, où la foi des disciples allait être soumise à une rude épreuve, cf. 12, 31. - Je vous ai dit ces choses.. avant qu’elles n’arrivent. Jésus leur a parlé de son départ avant qu'il eût lieu (v. 28), en vue d'obtenir, par cette prédiction, le contraire du résultat fâcheux qui les menaçait : vous croyiez. En effet, ainsi avertis d'avance, bien loin de se scandaliser des humiliations et de la mort de leur Maître, ils trouveront dans ces événements un nouveau motif de confiance en lui, quand ils verront ses prophéties réalisées à la lettre (quand elles seront arrivées). Voyez, 13, 19 et 16, 4, des paroles semblables.















Jean 14.30 Je ne m'entretiendrai plus guère avec vous, car le Prince de ce monde vient et il n'a rien en moi. - Je ne m'entretiendrai plus guère avec vous... Le temps va manquer à Jésus pour ces douces conversations avec les apôtres. Ils n'auront plus ensemble que de rares entretiens après la résurrection. - Le prince de ce monde. Sur ce nom de Satan, voyez 12, 31 et le commentaire. Il était l'agent principal dans la passion de Jésus ; c'est pour cela qu'il est mentionné au lieu des instruments secondaires. - Vient… Le Sauveur indique sous une forme relevée ce qui mettra une si prompte fin à leurs relations mutuelles. Le verbe est au présent. En cet instant même on tramait activement la ruine de N.-S. Jésus‑Christ. - et il n'a rien en moi. Nouvelle et vigoureuse protestation d'une parfaite innocence, cf. 8, 29, 46. Quoique Satan exerce pour un temps une certaine puissance contre N.-S. Jésus‑Christ, son action est purement extérieure et superficielle : au fond, il n'y a rien, absolument rien dans le Sauveur (négation si forte), que le démon puisse revendiquer comme sien.



Jean 14.31 Mais afin que le monde sache que j'aime mon Père et que j'agis selon le commandement que mon Père m'a donné, levez-vous, partons d'ici." - Mais afin que le monde sache que j'aime mon Père. Jésus déclare ici pourquoi il consent à se laisser vaincre en apparence et momentanément par le prince des ténèbres : sa parfaite obéissance prouvera combien il aime son Père. - et que j'agis selon le commandement que mon Père m'a donné. Plus le précepte était pénible à accomplir, plus l'amour se montrait généreux, cf. vv. 15, 21, 23. - Levez-vous, partons d’ici. Ces mots furent prononcés après une courte pause, et le Sauveur se leva sans doute le premier en les prononçant. Jusque là, le divin orateur et ses apôtres étaient demeurés sur leurs divans (voyez 13, 23 et l'explication) : Jésus rompt un instant l'entretien, pour dire aux disciples qu'il est temps de quitter le Cénacle. D'après l'hypothèse la plus vraisemblable, ils sortirent tous en effet à cet instant même, et ils se dirigèrent lentement vers Gethsémani : la suite de l'entretien (15 à 16) et la prière qui le termine (17) furent donc prononcés le long du chemin (Ammonius, S. Augustin, S. Hilaire, Rupert de Deutz, Théophylacte, Tolet, etc.). Comparez 18, 1 et le commentaire. D'autres exégètes, il est vrai (Maldonat, Jansénius, Cornelius a Lapide, Bisping, Pœlzl, etc.), supposent que la sainte Assemblée se leva simplement de table, et demeura dans le Cénacle jusqu'à la fin du chap. 17 ; mais cette explication nous semble beaucoup moins naturelle. A quoi bon la parole « allons », si elle ne devait pas être aussitôt réalisée ?



CHAPITRE 15



Jean 15.1 "Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. - Allégorie de la vigne. 15, 1-11. « Allégorie », et non parabole, ainsi qu’il a été expliqué plus haut (voyez note sur 10, 1). Fut‑elle suggérée à Jésus par quelque circonstance extérieure ? Beaucoup d’exégètes l’ont pensé, et ils ont fait à ce sujet toute sorte d’hypothèses. L’aspect des vignobles de Sion et de la vallée du Cédron, la célèbre vigne d’or du temple, la coupe qui venait de circuler, ou d’autres occasions analogues, ont été tour à tour allégués. Mais ce sont des frais inutiles d’imagination. Jésus ne venait‑il pas de mentionner la vigne ? cf. Matth. 26, 25. Elle sert du reste dans tout d’Ancien Testament à représenter des idées symboliques (cf. Ps. 79 79, 8-19 ; Isaïe 5, 1-7 ; Jérémie 2, 21 ; Ézéchiel 15, 2, 6, etc.), et elle convenait si naturellement pour marquer cette nécessité d’une union intime et permanente avec lui, que Notre Seigneur voulait inculquer aux siens. - Ce passage est tout à la fois très simple et d’une exquise beauté. On y a observé, du reste comme dans la plus grande partie du discours d’adieu, une absence extraordinaire de particules pour relier entre elles les différentes propositions : c’est là un signe d’émotion très profonde. - Je suis... Comme lorsque Jésus disait : « Je suis le pain vivant ; Je suis la porte ; Je suis le bon berger ». - La vraie vigne : en grec, avec deux articles qui appuient la pensée. L’adjectif ἀληθινή (véritable, véridique) dénote quelque chose d’idéal et de parfait, cf. 1, 9 ; 6, 39, etc. Isaïe, nous venons le dire, avait aussi parlé d’une vigne mystique ; mais cette vigne avait promptement dégénéré : Jésus est la vigne par excellence, qui réalise tout ce que promet ce nom. - Et mon Père est le vigneron : celui qui travaille la vigne, cf. Matth. 21, 23 ; Luc. 13, 7.

Jean 15.2 Tout sarment qui en moi ne porte pas de fruit, il le retranche et tout sarment qui porte du fruit, il le nettoie en le taillant, afin qu'il en porte davantage. - Notre‑Seigneur commence par décrire la conduite du vigneron à l’égard de la vigne. - Tout sarment. κλῆμα est le nom spécifique pour désigner les branches de la vigne, les sarments : en dehors de ce passage (versets 2-6) on ne le trouve pas dans les écrits du Nouveau Testament. - Qui en moi ne porte pas de fruit : sur Moi, la vigne mystique (v. 1). Sur cette vigne symbolique comme sur les ceps matériels, il y a des sarments, des branches, de deux sortes, qui sont soumis à des traitements très divers. En premier lieu, le sarment qui ne porte pas de fruit. C’est un fait qui paraît impossible à première vue : un rameau attaché à N. S. Jésus‑Christ peut‑il donc demeurer stérile ? Oui, car il s’agit dendépendance. - Il le retranche. S. Paul emploie ce même verbe pour désigner une excommunication, 1 Corinthiens 5, 2. « Et il le coupe en entier jusqu’à la racine » (Maldonat), sans la moindre pitié. - Et tout sarment qui porte du fruit : des fruits de sainteté, les sarments doués de liberté, de raison, et jouissant d’une certaine ivertus, les bonnes œuvres, etc. C’est la seconde espèce de sarments. - Il le nettoie en le taillant. Comme nous le disons en français avec une métaphore identique, le vigneron « émonde » les branches à fruit, par un élagage qui opère la concentration de la sève et l’empêche de se dépenser inutilement. Il est remarquable que l’on taille très court pour les vignes de choix. - Afin qu’il en porte davantage. C’est une taille toute salutaire dans son but. Comparez les lignes suivantes, empruntées aux auteurs classiques : « La vigne… L’art agricole impose sa loi à la vigne, en l’amputant par le fer, quand elle foisonne de façon erratique, pour que les sarments ne soient pas étouffés, et que les branchages d’un pied de vigne n’aient pas trop de troncs », Cicéron, Cont. Maj. 15. « Amputant avec la faux les branchages inutiles, il en greffe de meilleurs », Horace, Epod. 2, 9. « Les sarments larges, vieux, mal nés, tordus, qui regardent vers le bas défaites‑vous en. Les nouveaux, les droits, qui donnent des fruits faites‑leur place. Conservez les branches tendres et vertes ; coupez avec la faux celles qui sont sèches et vieilles », Columelle, 4, 24.



Jean 15.3 Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée. - Jésus dit aimablement aux apôtres que cette utile opération de l’émondage a déjà été pratiquée sur eux. - déjà vous êtes purs, à cause la parole que je vous ai annoncée. Comme plus haut, 14, 23, la parole représente dans leur ensemble toutes les instructions données par N. S. Jésus‑Christ à ses disciples, et non tel ou tel enseignement de détail. Cette prédication a purifié, sanctifié les apôtres, de manière à leur faire produire des fruits multiples. Dans le texte grec, la préposition διὰ peut signifier ici : « au moyen de » ( la cause instrumentale) ; ou bien : en raison de, à cause de. Ce sont de simples nuances.



Jean 15.4 Demeurez en moi et moi en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure uni à la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi. - Après la conduite du vigneron (versets 2-3) Notre Seigneur décrit celle des sarments (versets 4-7), qui se résume dans l’union la plus intime et la plus constante avec la vigne. - Demeurez en moi : c’est la leçon principale de toute l’allégorie ; aussi Jésus va‑t‑il la répéter sous toutes les formes, cf. versets 5, 6, 7, 10. De même que les sarments mystiques peuvent demeurer stériles (verset 2), ils ont la triste propriété de se séparer eux‑mêmes du cep. - Et moi en vous. Selon quelques commentateurs, ces mots marqueraient le résultat produit par l’accomplissement fidèle du « Demeurez en moi ». Demeurez en moi et alors je demeurerai en vous. Il vaut mieux les regarder comme une continuation de l’ordre intimé : Demeurez en moi, et faites que moi aussi je demeure en vous. - Comme le sarment…Dans la ligne qui précède, Jésus avait parlé au propre et sans figure : il revient au langage figuré pour développer sa pensée. - Ne peut de lui‑même porter du fruit : En tirant de lui‑même sa fécondité, « par une force propre quelconque qu’elle aurait en dehors de la vigne. » - S’il ne demeure uni à la vigne. Une condition indispensable pour la vie et la fertilité des sarments, c’est donc qu’ils soient comme identifiés au cep sur lequel ils sont nés, qu’ils confondent leur nature avec la sienne, qu’ils soient abreuvés de sa sève. - De même dans la vie supérieure des âmes : ainsi vous ne le pouvez pas non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Belle réflexion de S. Augustin, Traité sur S. Jean 81, 1 : « Ils ne sont pas en lui de la même manière qu'il est lui‑même en eux. Mais ces deux sortes de demeure sont utiles, non pas à lui, mais à eux. Les branches, en effet, sont dans la vigne de telle manière qu'elles ne lui donnent pas, mais qu'elles en reçoivent la sève qui les fait vivre ; et la vigne est dans les branches, de telle sorte qu'elle leur fournit l'aliment dont elles vivent, sans le recevoir d'elles. »



Jean 15.5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits : car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire. - Le Sauveur reprend l’allégorie à son début (verset 1) pour en faire plus longuement l’application. Il insiste sur les conséquences salutaires ou terribles soit de l’union avec lui, soit de la séparation. - Je suis la vigne. Tel est son rôle, à lui, dans l’agriculture spirituelle. Les fresques des catacombes représentent parfois cette vigne précieuse. - Vous êtes les sarments.  Le rôle des disciples, qui n’avait été mentionné jusque là que d’une manière indirecte. - Celui qui demeure en moi : comme un sarment qui vit attaché au cep. Le verset 4 avait exprimé la même en termes négatifs. - Et en qui je demeure. Condition non moins essentielle. En effet, il ne suffit pas que le rameau tienne extérieurement au cep ; il faut de plus que le suc soit transmis de la vigne au sarment. L’union doit être tout ensemble extérieure et intérieure. Mais Jésus nous sera certainement uni toutes les fois que nous lui demeurerons nous‑mêmes attachés. - Porte beaucoup de fruit : épithète qui ajoute à l’idée antérieurement exprimée (verset 4). - Car séparés de moi (motif, et autre idée nouvelle) vous ne pouvez rien faire. Absolument rien, pas plus que la branche retranchée de la vigne ; car N.-S. Jésus‑Christ étant pour nous toutes choses, en dehors de lui nous sommes incapables de produire quoi que ce soit de bon. Voilà pour le sarment fertile.



Jean 15.6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment et il sèche, puis on ramasse ces sarments, on les jette au feu et ils brûlent. - Malheur au sarment stérile, dont la destinée est décrite si tragiquement, quoique si simplement. - Si quelqu’un ne demeure pas en moi. Triste hypothèse, dont Jésus voudrait prévenir la réalisation par cet avis charitable. - Il est jeté dehors. C'est-à-dire, hors du vignoble. Dans le texte grec, le verbe à l’aoriste indique qu’il s’agit d’une conséquence inévitable : la chose est déjà faite. - Comme le sarment. Qui n’a vu au printemps, sur les chemins qui avoisinent les vignes, des monceaux de sarments semblables à ceux dont l’histoire est ici racontée ? - Et il sèche. Autre aoriste dans le texte grec. - Puis on ramasse ces sarments. Le sujet « on » est indéterminé : les vignerons ou leurs serviteurs. Dans le grec l’emploi du temps présent fait image. - Et on les jette au feu. Comme le dit S.Augustin (Traité 81 sur S. Jean, 3) : « Les branches de la vigne..., lorsqu'elles sont coupées, elles ne sont d'aucune utilité pour l'usage du vigneron ; elles ne peuvent être employées par le charpentier (cf. Ézéchiel 15, 5). Il n'y a que deux choses qui conviennent à ces branches : ou la vigne ou le feu ». - Et ils brûlent. Un mot simple présenté avec une grande force et avec une majesté sublime. L’application morale est terrible.



Jean 15.7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez et cela vous sera accordé. - Doux contraste, par le tableau des bénédictions que peut procurer aux disciples l’union avec Jésus, versets 7-11. Le langage figuré disparaît peu à peu dans ces derniers versets de l’allégorie. - Si vous demeurez en moi. La condition absolument indispensable est constamment réitérée. Au lieu des mots « et moi en vous » (verset 4, cf. verset 5), nous trouvons cette fois la variante « et que mes paroles demeurent en vous ». Le pluriel mes paroles alterne, comme en d’autres endroits, avec la parole (verset 3) au singulier. - Autre variante dans l’expression, pour dire que les apôtres, unis à leur divin Maître, produiront les plus excellents fruits : Vous demanderez ce que vous voudrez… Voyez 14, 13 et 14, avec le commentaire. C’était une promesse identique. Jésus appuie sur ces mots, ainsi qu’on le voit par la place qu’il leur donne dans la phrase. - Et cela vous sera accordé. Cela vous arrivera. Locution très énergique. Plus haut, 14, 13 et 14, Jésus avait dit : « Je le ferai ».





Jean 15.8 C'est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruits et que vous soyez mes disciples. - Jésus, s’élevant à des sphères supérieures, signale un autre heureux résultat de l’union des disciples avec lui. En produisant des fruits nombreux par suite de cette union, ils l’aideront à glorifier son Père. - C'est la gloire de mon Père : l’effet est en quelque sorte acquis d’avance. - Que vous... Notez la particule ἵνα (afin que) qui exprime une véritable intention de la part de Dieu. - Vous portiez beaucoup de fruit, et que vous soyez... Étonnante parole. Même les apôtres, en s’unissant de plus en plus à N.-S. Jésus‑Christ, peuvent devenir davantage ses disciples : c’est une qualité qui a des degrés de divers genres, et dans laquelle, par conséquent, on peut progresser tous les jours. - Mes disciples. Dans le grec : « des disciples à moi », expression très forte ; des disciples qui m’appartiennent en propre.



Jean 15.9 Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés, demeurez dans mon amour. - Mais quel est le vrai lien qui nous unit complètement à Jésus ? La charité, l’amour ; charité analogue à la sienne pour nous, à celle de son Père pour lui. - Comme le Père m’a aimé : d’un amour éternel et parfait, qui est le type des vraies affections. - moi aussi je vous ai aimés. Le verbe est au passé, au lieu du présent, pour mettre mieux en relief toutes les marques d’amour que le Sauveur avait données à ses apôtres depuis trois ans et plus. L’idée sur laquelle Jésus veut avant tout appuyer, c’est la ressemblance qui existe entre sa propre affection pour les apôtres et l’amour que son Père avait pour lui. - Demeurez (pour la huitième fois depuis le verset 4) dans mon amour. Belle variante de l’expression « demeurez en moi ». Le grec peut se traduire de deux manières : Demeurez dans votre amour pour moi, continuez de me chérir ; ou bien : Demeurez dans l’amour que je vous porte, soyez-en constamment dignes. Ce second sens est le meilleur.



Jean 15.10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi-même j'ai gardé les commandements de mon Père et comme je demeure dans son amour. - Mais comment demeurer dans son amour ? Par la pratique courageuse de ses commandements. - Si vous gardez mes commandements. Sur cette pensée, voyez 14, 15, 21, 23 et les commentaires. - Vous demeurerez dans mon amour, comme j’ai moi‑même gardé … En fait d’obéissance, Jésus est bien en droit de se proposer comme un modèle exquis. Jetant un regard en arrière sur sa vie mortelle de trente‑trois ans, il voit qu’elle se résume dans les mots : j’ai gardé les commandements de mon Père. Commandements si sévères pourtant ; mais le Fils de l’homme s’est soumis à tout. Le verbe au passé montre que l’obéissance de Jésus touche à sa fin : dans quelques heures il aura couronné entièrement son rôle à ce point de vue.



Jean 15.11 Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.- Conclusion de l’allégorie de la vigne. - Je vous ai dit ces choses, cf. 14, 25 ; 33. « Ces choses » retombe sur les versets 1-10. - Afin que ma joie soit en vous. C’est la première fois que Jésus parle de sa joie, et, pour la mentionner, il choisit l’heure où ses souffrances les plus intenses vont commencer. - Et que votre joie soit parfaite : c'est-à-dire, arrive à son comble, cf. 3, 29 et le commentaire. Évidemment le bonheur des apôtres sera complet, quand la « propre joie » de leur Maître aura passé au fond de leurs cœurs.



Jean 15.12 Ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. - Ceci est mon commandement : le commandement qui est mien. C’est, ainsi que Jésus l’a déjà dit un peu plus haut, 13, 34, son précepte spécial, essentiel, distinctif ; celui qui comprend tous les autres, à l’exécution desquels il tenait tant, cf. verset 10. - Que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Voyez le verset 9. Dans un instant le Sauveur va commenter ce « comme je vous ai aimés » (versets 13-15).



Jean 15.13 Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. - Il n'y a pas de plus grand amour… Quelle est, parmi les hommes, la preuve la plus parfaite de la charité fraternelle, et celle qui réalise le suprême idéal, de sorte que « personne » ne puisse aller au‑delà ? - Que de donner sa vie pour ses amis. En effet, nous n’avons rien de plus précieux que notre vie, et nous ne pouvons pas faire de plus grand sacrifice que de la donner pour ses amis, cf. Romains 5, 6-8. Ce sacrifice, N.-S. Jésus‑Christ allait l’accomplir le lendemain.



Jean 15.14 Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. - Vous (pronom très accentué) êtes mes amis. Jésus applique d’une manière particulière aux apôtres le principe général énoncé au verset 13 ; comme s’il disait : Quand je parle d’amis, c’est vous surtout que j’ai directement en vue. - Si vous faites ce que je vous commande. Mais il signale de nouveau la condition absolument indispensable, l’obéissance courageuse à tous ses ordres.





Jean 15.15 Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître. - Le divin Maître insiste sur ce nom d’amis, dont il relève la dignité, la beauté. D’une part, il montrera ainsi combien ses disciples lui sont redevables, à lui qui les a choisis par pure bonté ; d’autre part, ce sera un argument très fort pour sa thèse (verset 12) : ceux qu’il a tant aimés, confondus dans une même affection, ne devront‑ils pas s’entr’aimer mutuellement à leur tour ? Ce qu’il a fait pour eux, il faut qu’ils le reproduisent les uns pour les autres. - Je ne vous (vous, mes disciples de prédilection) appelle plus serviteurs. A différentes reprises, Jésus avait donné aux apôtres ce nom (cf. 12, 26 ; 13, 13), qui exprimait fort bien la nature de leurs relations à son égard, et qu’ils continuèrent longtemps de prendre eux‑mêmes comme un titre de gloire (cf. Romains 1, 10 ; 2 Pierre 1, 1 ; Apocalypse 1, 1, etc.) : mais il daigne affirmer qu’il ne leur convient plus aussi bien désormais. - Et il s’explique : Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître (inversion grecque, « son maître », le maître dont il dépend). En effet, un serviteur n’est pas admis à l’intimité. Il ne voit que l’extérieur de la conduite de son maître ; mais il en ignore les motifs secrets, les desseins. Il est lui‑même un simple instrument, que l’on paie et dont on use pour son argent. - Mais je vous ai appelés... Antithèse très forte : il n’en est pas ainsi de vous, qui êtes admis aux secrets les plus intimes de votre maître. - Amis. Remarquez le parfait : le titre d’amis est à tout jamais confirmé aux disciples. Jésus le leur avait adressé déjà avant cette circonstance (cf. Luc. 12, 4), mais pas avec la solennité et la vigueur du moment actuel. - Parce que introduit de nouveau le motif. - Tout ce que... Le serviteur ne sait pas ce « tout » sans exception, car l’on dit tout à un ami intime. Sans doute, un peu plus loin (16, 12), Notre‑Seigneur dira qu’il aurait encore beaucoup à ajouter pour que l’instruction des apôtres fût parfaite ; mais sa réflexion portera sur le développement de ses révélations antérieures, et non sur des révélations nouvelles. Voyez 14, 26 et le commentaire. Ils connaissent l’essentiel, tout ce qu’ils étaient alors en état de porter. - … J’ai entendu de mon Père, cf. 6, 26, 28 et l’explication. - Je vous l’ai fait connaître. En un mot, Jésus a témoigné à ses disciples la plus entière confiance ; il les a réellement traités en amis. - Notez le rythme solennel qui règne dans ce verset : le parallélisme est aussi parfait que possible.



Jean 15.16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, que votre fruit demeure et que le Père vous accorde ce que vous lui demanderez en mon nom. - Dans cette noble et sainte amitié, Jésus a naturellement eu le plus beau rôle : c’est de lui qu’est venue l’initiative. - Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. Le premier pronom est très accentué. D’ordinaire, les disciples font choix par eux‑mêmes du maître dont ils désirent suivre les leçons, et tel était le cas relativement aux Rabbins juifs. - Mais c’est moi qui vous ai choisis, Comp. 7, 71 ; 13, 18 ; Luc. 6, 13, et surtout Marc. 3, 13 : « il appela ceux qu’il voulait ». Grâce ineffable, s’écrie S. Augustin. Cette vocation à l’apostolat avait eu lieu par pure bonté, sans mérite antérieur de la part des élus : circonstance qui rehausse la divine amitié du sauveur. Et dans quelle intention Jésus les a‑t‑il choisis entre mille ? Il le leur dit pour leur bien et pour le nôtre. C’est, en effet, le but du sacerdoce qui est ici marquée. - Et qui vous ai établis (répétition emphatique du pronom). Le verbe grec est très expressif : Je vous ai institués, cf. 2 Timothée 1, 11, et Hébreux 1, 2, où il est employé dans le même sens. Il n’a pas ici la signification de « planter », que lui donnent à tort quelques exégètes. - pour que vous alliez, littéralement : pour qu’ils s’en aillent au loin sur le théâtre de leur apostolat. - Et que vous portiez du fruit … Ces mots nous ramènent à l’allégorie de la vigne. Ils se rapportent aux conversions nombreuses que les disciples devaient opérer bientôt dans le monde entier. Les âmes gagnées au verbe, voilà par excellence le fruit que Dieu demande à ses apôtres ; mais cela demande évidemment des fruits personnels de vertu et de perfection. - Et que votre fruit demeure. Les fruits de la terre ne durent qu’une courte saison ; l’Église fondée, le salut éternel procuré par la prédication apostolique, ce sont des fruits qui ne sauraient périr. - et que le Père vous accorde ce que vous lui demanderez... Jésus a donc institué ses apôtres en vue d’une double fin : pour qu’ils portent des fruits durables et pour qu’ils jouissent de « la toute‑puissance suppliante ». Ces deux choses vont ensemble : de quoi seraient capables les ministres de l’Évangile sans les grâces de Dieu, grâces qu’ils obtiennent par leurs ferventes prières ? D’où il suit que sans une intercession constante, le zèle le plus actif ne saurait être béni. Sur cette promesse, qui revient à plusieurs reprises dans le discours d’adieu, voyez 14, 13, 14 et l’explication.



Jean 15.17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres. - Après les beaux développements (versets 13-16) donnés au précepte de l’amour fraternel (verset 12), Jésus réitère avec vigueur ce précepte : Ce que je vous commande... Dans les dix‑sept premiers versets de ce chapitre, il ne se rencontre pas une seule particule de liaison, ce qui confère au texte une solennité particulière. C’est ici la dernière volonté de Jésus parlant aux siens… Un tel style ne saurait appartenir à un auteur grec ; cette parole est sortie d’une pensée hébraïque. C’est donc là une de ces preuves intrinsèques d’authenticité qui sont répandues à travers toute la narration de S. Jean.



Jean 15.18 Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier. - Si le monde vous hait. Hypothèse qui ne devait que trop se réaliser ; ou plutôt, ainsi qu’en d’autres endroits, « si » suppose un événement des plus certains, cf. 7, 14, etc. Le temps présent exprime un fait constamment actuel et renouvelé. Par « monde » il faut entendre, selon ce qui a lieu le plus souvent dans le quatrième évangile, les hommes pécheurs et incrédules, soit juifs, soit païens, par opposition aux amis du Sauveur. - Sachez... Les disciples ne devront pas alors s’étonner, se décourager ; qu’ils se souviennent, qu’ils sachent bien. - Il m’a haï : au parfait, exprime une chose accomplie. - Le premier. Tous ces mots sont encore accentués. Non seulement avant eux (comme dit le grec), mais beaucoup plus qu’eux. Sur la pensée, voyez 1 Tite 4, 12 et s.



Jean 15.19 Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait en propre. Mais parce que vous n'êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. - Raison pour laquelle les apôtres doivent s’attendre, aux aussi, à être l’objet de la haine du monde, cf. 1 Jean 3, 13 ; 4, 5. - Si vous étiez du monde : sortis de lui, ayant par conséquent son esprit et ses tendances. - Le monde aimerait ce qui serait à lui  cf. 7, 7. En vous, le monde se retrouverait et s’aimerait, car tout est égoïsme dans ses affections. Remarquez ici l’emploi du verbe grec ἐφίλει : nous n’avons plus le noble et relevé ἀγάπᾶν des versets 12-17. - Mais parce que vous n’êtes pas du monde : Jésus adressait un grand éloge à ses apôtres quand il leur tenait ce langage. - Et que je vous ai choisis du milieu du monde. Autrefois pourtant, ils avaient aussi fait partie du monde ; mais le divin Maître les en avait visiblement arrachés en les appelant à lui, cf. verset 16. - À cause de cela (pour ce motif spécial) le monde vous hait. La quintuple répétition du mot « monde » est d’un grand effet dans ce verset ; elle met très bien en saillie l’antagonisme du monde et de l’Église de Jésus, cf. 3, 17, 31 ; 12, 36 ; 17, 14.



Jean 15.20 Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, Le serviteur n'est pas plus grand que le maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront, vous aussi, s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. - Il est nécessaire que les disciples s’attendent à la persécution afin de la pouvoir mieux supporter : c’est pourquoi Notre‑Seigneur leur présente sous toutes ses faces ce sombre avenir. - Souvenez-vous (verbe accentué comme au verset 18 « sachez ») de la parole que je …La parole en question avait été tout récemment prononcée, 13, 16 ; mais elle remontait aussi à une date antérieure, car nous l’avons déjà trouvée dans S. Matthieu, 10, 24. - Le serviteur n’est pas plus grand que le maître. Partant de ce principe incontestable, présenté même sous la forme d’une litote, Jésus fait deux applications, l’une menaçante, l’autre rassurante pour le groupe des douze apôtres. La forme hypothétique ajoute à la force des prédictions. Première application : S’ils m’ont persécuté... (moi, le Maître). Et les disciples savaient par expérience si leur Maître avait été persécuté par le monde. Ils devaient le savoir mieux encore le lendemain. - Ils vous persécuteront.  Vous aussi, les serviteurs. « Tu refuses de faire partie du corps, si tu ne veux pas t'exposer, comme ton modèle, à la haine du monde »  S. Augustin. - Deuxième application : S’ils ont gardé ma parole... Cette ligne n’a pas le sens ironique que divers exégètes lui ont attribuée à la suite de Grotius (d’après eux, le verbe signifierait « épier avec malignité »). En réalité, beaucoup d’âmes croyantes avaient accepté l’enseignement de Jésus et s’y étaient conformées : c’était là un heureux indice pour les apôtres appelés à continuer la même prédication : Ils garderont aussi la vôtre. « Leur » parole est distinguée ici de celle de Notre‑Seigneur, « qui serait transmis par divers ministres », Maldonat. En résumé, les disciples partageront le sort de leur Maître en bien et en mal ; ils auront des succès et des échecs analogues aux siens.



Jean 15.21 Mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé. - Mais... Cette particule introduit une grande consolation : non seulement les apôtres auront à souffrir comme Jésus, mais c’est pour lui qu’ils souffriront. - Ils vous : toutes les persécutions qui les attendent. Voyez-en le détail un peu plus bas (16, 2) et surtout dans S. Matthieu, 10, 16 et ss. - Vous feront. Le langage a cessé d’être conjectural : ce sont des choses certaines que Jésus prophétise à ses amis. - À cause de mon nom. Son nom représente ici sa personne même ; au reste, le monde les a toujours eux l’un et l’autre en horreur, cf. Actes 4, 17-18 ; 9, 5, etc. L’histoire du premier siècle montre que les apôtres se souvinrent de cette précieuse leçon ; partout, nous les voyons souffrir avec joie pour le nom sacré de leur Maître, cf. Actes 5, 41 ; 21, 13 ; 2 Corinthiens 12, 19 ; Galates 6, 17 ; 1 Pierre 4, 12 et ss. - Parce qu’ils… Le Sauveur signale un des motifs spéciaux de la haine que lui porte le monde : c’est une grande ignorance de Dieu et des choses de Dieu : ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé. Voyez 7, 28, où Jésus adressait directement aux Juifs ce même reproche. Si le monde avait eu de Dieu une connaissance pratique, s’il l’avait aimé, servi, il aurait facilement reconnu, servi, aimé N.-S. Jésus‑Christ, qui donnait des preuves si manifestes de sa mission céleste. Rempli d’idées fausses sur Dieu, le monde avait été aveugle relativement au vrai rôle de Jésus.



Jean 15.22 Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils seraient sans péché, mais maintenant leur péché est sans excuse. - Cette ignorance du monde ne saurait l’excuser, car elle est volontaire et grandement coupable. Dans ces versets (versets 22-25) qui contiennent quelques‑unes des plus terribles paroles qu’il ait prononcées, le Sauveur met en relief toute l’étendue du crime des mondains incrédules : ils sont demeurés insensibles à ses divins enseignements, détestant son père aussi bien que lui (versets 22-23) ; ils n’ont pas même accepté la démonstration, plus saisissante pour des âmes grossières, de ses œuvres incomparables (verset 24) ; en eux, du reste, s’accomplit une terrible prophétie des saints Livres (verset 25). - 1° Insensibilité du monde à la prédication de Jésus‑Christ. - Si je n’étais pas venu : sur la terre, au milieu des hommes, par l’Incarnation. - Et que je ne leur eusse pas parlé : ces mots sont également dominés par la négation « non ». Nous savons tout ce que le simple verbe grec traduit ici par parlé exprime de beautés et de perfections, cf. 7, 16. Comment le monde n’avait‑il pas compris ? - Ils seraient sans péché. C’est évident ; car si cette double hypothèse se fût réalisée, l’ignorance aurait été involontaire. La locution pas de péché est propre à S. Jean, cf. verset 24 ; 9, 41 ; 19, 11 ; 1 Jean 1, 8. - Mais maintenant, cette formule introduit une antithèse frappante. De même au verset 24. Maintenant que ma parole leur a si clairement manifesté ce que je suis. - leur péché est sans excuse. Leur péché est un péché contre l’Esprit saint, qui ne saurait mériter de pardon. Le substantif grec πρόφασιν (excuse, prétexte) n’est employé qu’en cet endroit du Nouveau Testament.



Jean 15.23 Celui qui me hait, hait aussi mon Père. - Ce verset est étroitement lié au précédent. Traiter Jésus‑Christ d’une manière si indigne que le monde l’a fait (Celui qui me hait) ; cela résulte, d’une part, de la filiation divine de Jésus ; de l’autre, de son caractère d’ambassadeur céleste, cf. 5, 23 ; 13, 20 ; Matth. 10, 40.



Jean 15.24 Si je n'avais pas fait au milieu d'eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils seraient sans péché, mais maintenant ils ont vu et ils me haïssent, moi et mon Père. - 2° Les œuvres merveilleuses accomplies par Notre‑Seigneur ne condamnent pas moins l’incrédulité du monde. - Si je n’avait pas fait au milieu d’eux des œuvres : parmi eux, sous leurs propres yeux. Comme en d’autres endroits (cf. 5, 20, 36 ; 10, 25 ; etc. ), œuvres représente tout ensemble les miracles et la conduite générale de Jésus, quoique surtout les miracles. - Que nul autre n’a faites. Cette incidente est pleine de majesté : Jésus insiste sur la grandeur unique de ses œuvres, qui formaient le plus éclatant, le plus divin des témoignages. Et, en réalité, quel prophète avait jamais agi comme Notre‑Seigneur ? cf. 5, 36 ; 9, 3-4 ; 10, 37 ; Matth. 9, 8 ; Marc. 2, 12 ; Luc. 4, 36 ; 5, 26 ; 7, 16, etc. ; et surtout Matth. 9, 33, où nous lisons ce témoignage du peuple juif : « Jamais rien de pareil ne s’est vu en Israël  ». - Mais maintenant ils ont vu, et ils me haïssent... La position de ces deux verbes rehausse l’énergie de la pensée. Voir tant d’œuvres divines devait conduire infailliblement, ce semble, à la foi, à l’amour : mais non. « Et ils ont vu et ils me haïssent » - Et moi et mon Père : tel est, comme plus haut, le double objet de cette haine impardonnable, cf. 6, 36 ; 14, 10. Remarquez le parallélisme qui règne entre ce verset et les deux qui précèdent.



Jean 15.25 Mais cela est arrivé afin que s'accomplît la parole qui est écrite dans leur Loi : ils m'ont haï sans raison. - Afin que la parole... Suppléez : « Tout ceci est arrivé », comme eût dit S. Matthieu. Ou bien : « Ils me haïssent… ». - La parole qui est écrite dans leur loi. Sur ce pronom leur, voyez 5, 45 ; 8, 17 ; 10, 34, et les commentaires. La loi dont ils se glorifiaient, mais qui aurait dû mieux les instruire. Le passage cité est tiré du psautier, Ps. 34, 19 et 68, 5 ; Jésus emploie donc le mot « loi » dans un sens large, comme en d’autres passages analogues, pour représenter toute la Bible juive dont la Torah formait le début, cf. 10, 34 ; 12, 34 ; Romains 3, 19. - Ils m’ont haï sans raison. David disait tout d’abord cela de lui‑même. Toutefois, d’après les intentions de l’Esprit saint, il parlait en même temps comme figure du Messie. « Sans raison » est le mot principal de la citation. Qu’avait donc fait N.-S. Jésus‑Christ pour que le monde le traitât de la sorte ? Donc, de nouveau, la conduite du monde est complètement inexcusable.



Jean 15.26 Lorsque le Consolateur que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi. - Consolation pour les amis du Sauveur : l’œuvre du Maître ne sera pas anéantie par ses adversaires. En effet, pour se défendre, Jésus aura ici‑bas deux sortes de témoins, dont la voix ne saurait rester muette : un témoin tout divin, le Saint Esprit lui‑même (verset 26), des témoins humains, mais dévoués, les apôtres (verset 27). - Lorsque (contraste avec ce qui a été dit de la haine du monde) le Consolateur... sera venu. Antérieurement, 14, 16-17 et 26, Jésus n’avait guère fait que mentionner en gros l’œuvre de ce Paraclet qu’il promettait à son Église : voici qu’il commence à en décrire plus au long l’œuvre, la nature, la mission, les rapports avec les deux autres personnes de la Sainte Trinité. - Que je ( pronom accentué) vous enverrai d’auprès du Père. Dans les passages que nous venons de citer, 14, 16 et 26, c’est le Père lui‑même qui envoyait le Paraclet, cf. Matth. 10, 20 ; Romains 8, 11. Ici, cette mission divine a Jésus‑Christ pour auteur : de là le nom d’Esprit du Fils, que S. Paul donne à l’Esprit Saint, Galates 4, 6. D’où il suit que le Paraclet est envoyé tout ensemble par le Père et par le Fils. - L’Esprit de vérité. (voyez encore 14, 16, 26 et les commentaires, cf. 16, 23) Cette apposition relève la force du témoignage du Saint Esprit : ses attestations seront infaillibles ; qualité si importante, mais si rare. - Qui procède du Père. Notez le présent de perpétuité, qui contraste avec le futur « je vous enverrai ». Le verbe grec ἐκπορεύεται (« vient, procède ») n’apparaît que deux fois (ici et 5, 25) dans l’évangile selon S. Jean : il a donné naissance à l’épithète ἐκπορεύτον (« celui qui procède ») de quelques Pères grecs, pour désigner la troisième des personnes divines, de même que du latin « procedit » est venu le terme théologique « procession ». Il ne nous appartient pas d’entrer à fond dans le détail de la discussion, tristement célèbre, qui a pris son origine dans ces quelques mots de Notre‑Seigneur. C’est encore sur eux que s’appuient les nos bien-aimés frères Orthodoxes pour affirmer que le Saint Esprit procède seulement du Père. Erreur que réfutent de la façon la plus nette les paroles mêmes de Jésus dans son discours d’adieu. En effet, comme nous venons de le voir, le Paraclet reçoit sa mission simultanément du Père et du Fils ; quand le Père l’envoie, c’est au nom du Fils non moins qu’en son nom personnel, cf. 14, 26. Plus loin, 16, 14 et 15. Il sera dit que l’Esprit Saint puisera dans le trésor commun du Père et du Fils les vérités qu’il doit apporter aux hommes. Ces deux raisons suffisent pour démontrer que la troisième personne procède des deux autres, et pas du Père seul. Si Notre‑Seigneur mentionne seulement le Père dans ce passage, c’est, dit fort bien Maldonat, pour une raison tout extérieure et provenant du contexte : « il se rendrait témoignage à lui‑même s’il disait que l’Esprit procède de lui, et son témoignage paraîtrait suspect. ». Le Paraclet eût semblé être juge dans sa propre cause. Voyez les commentaires de Tolet, de Cornelius a Lapide ; Mgr. Ginoulhiac, Histoire du dogme catholique, t. 2, livre 11, chap. 16 ; Franzelin, Tractatus de Deo trino, p. 460 et ss. - Il : le sujet est répété avec emphase, à la manière du quatrième évangile, cf. 1, 18 et la note. Cet Esprit divin, qui réunit toutes les qualités requises pour son rôle de témoin. - Rendra témoignage de moi. Un témoignage complet et parfait, de manière à faire connaître et aimer Jésus‑Christ malgré la haine du monde.



Jean 15.27 Et vous aussi, vous me rendrez témoignage parce que vous êtes avec moi dès le commencement." - Et vous... Vous aussi, vous de votre côté, vous serez mes témoins courageux et fidèles. Au témoignage intime du Paraclet s’unit le témoignage extérieur des apôtres, cf. Actes 5, 32. Les disciples avaient témoigné en faveur de leur Maître, durant leurs prédications préliminaires et d’essai, cf. Matth. 10, 5 et ss. - Parce que (motif pour lequel ils étaient, eux aussi, d’excellents témoins) vous êtes avec moi dès le commencement. Expression importante : depuis le début du ministère public de N.-S. Jésus‑Christ (cf. Marc. 1, 1) ; ce qui leur avait permis de le mieux connaître que personne autre. Voyez, Actes 1, 8, 21 et s., combien les apôtres eux‑mêmes jugeaient cette condition essentielle.




CHAPITRE 16



Jean 16.1 Je vous ai dit ces choses, afin que vous ne soyez pas scandalisés. - Je vous ai dit ces choses. Formule fréquente dans ce discours, cf. vv. 4, 6, 33 ; 14, 25 ; 15, 11. Elle désigne ici la troisième partie du chapitre 15 (vv. 18-27), relative aux persécutions qui attendaient les disciples dans un monde incrédule et méchant. - Afin que vous ne soyez pas scandalisés. Le Sauveur veut mieux avertir encore ses amis, et les préparer plus complètement à la souffrance. Des persécutions imprévues présentent d’ordinaire de graves dangers ; car elles ressemblent à ces pierres contre lesquelles on vient tout à coup se heurter, et qui nous renversent si aisément. Au contraire, « Les épreuves ont coutume de cogner moins fort quand elles sont prévues » (S. Grégoire‑le‑Grand), cf. Matth. 13, 21, etc. S. Jean n’emploie qu’à deux reprises (ici et 6, 62) l’expression métaphorique scandalisés.



Jean 16.2 Ils vous chasseront des synagogues et même l'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira faire à Dieu un sacrifice agréable. - Description de quelques‑unes des souffrances spéciales que le monde devait faire endurer aux premiers prédicateurs de l'évangile. Le Sauveur cite nommément, par manière d'exemple, l'excommunication et la mort, c'est-à-dire la persécution religieuse et la persécution civile car ces choses‑là, non plus, ne seront pas légères. - 1° Ils vous chasseront des synagogues. Comme les mots mêmes l'indiquent, c'est de la part des Juifs que viendra cette première sorte d'injure. Il s'agit du םרח (chérem), ou grande excommunication avec anathème, cf. la note de 9, 22. Les apôtres ressentirent très vivement cet outrage, car ils n'étaient pas encore totalement séparés du judaïsme, auquel d'anciennes habitudes les retinrent assez longtemps unis ; en outre, l'excommunication comprenait une rupture de liens sociaux qui ne pouvait être que très cruelle. - 2° Et même... cf. 2 Corinthiens 7. C'est une ellipse très forte : non‑seulement vous souffrirez cela, attendez-vous à davantage encore. - L’heure vient, au présent. Elle sera là bientôt, cette heure terrible. - Quiconque vous fera mourir. Littéral. : Quiconque vous ayant tué. Le meurtre est censé accompli. « Quiconque » est universel, et désigne les païens aussi bien que les Juifs. - Croira : l'aveuglement que produit la haine causera cette étrange et horrible illusion. - faire à Dieu un sacrifice agréable. L’expression grecque est tout à fait solennelle. Elle signifie à proprement parler : offrir un culte sacré, immoler un sacrifice, cf. Matth. 5, 23 ; Actes 7, 32 ; Hébreux 5, 1 ; 8, 3 ; 9, 7, etc. Les persécuteurs, animés par leur rage fanatique, croiront donc, en massacrant les apôtres, offrir à Dieu une hostie d'agréable odeur. Ce détail suppose une violence aussi vive que cruelle. Comparez aussi, pour la réalisation, Actes 26, 9 ; Galates 1, 13, et ss., et ce passage du Talmud : « Celui qui répand le sang d’un impie fait comme s’il offrait du sang », Bamidbar Rabba [Midrash sur le livre des Nombres], f. 329, 1.



Jean 16.3 Et ils agiront ainsi, parce qu'ils n'ont connu ni mon Père, ni moi. - Jésus revient encore (cf. 15, 21, 23) sur la cause négative de ces persécutions. - Parce qu’ils n’ont connu : ils ne sont pas arrivés à connaître, alors qu'ils l'auraient pu si aisément. Plus haut, 15, 21, Jésus avait dit « parce qu’ils ne connaissent pas », se bornant à signaler le fait de l'ignorance. - Ni mon Père ni moi. Autre petite variante, 15, 21, « ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé ». On sent, à travers ces mots, la profonde tristesse avec laquelle Notre‑Seigneur dut les prononcer.



Jean 16.4 Mais je vous l'ai dit afin que, lorsque l'heure sera venue, vous vous souveniez que je vous l'ai annoncé. Je ne vous en ai pas parlé dès le commencement, parce que j'étais avec vous. - Jésus revient à ce qu’il disait (v.1). - Je vous ai dit ces choses...l’heure en sera venue. Le substantif heure, par lequel Jésus avait plusieurs fois désigné sa propre passion, marque maintenant celle des apôtres (cf. v. 2). - Vous vous souveniez que je (très accentué) vous l’ai annoncé. Voyez, 13, 19, une pensée semblable. Dans le souvenir de la prédiction si claire de leur Maître, les apôtres, au temps de leurs souffrances, devaient puiser courage et confiance. Il l'avait prévu, il l'avait dit. - Dès le commencement : aussitôt après leur vocation à l'apostolat (15, 25). D'assez bonne heure, cependant, et à différentes reprises N.-S. Jésus‑Christ avait annoncé aux disciples les souffrances qu'ils auraient à endurer pour lui, cf. Matth. 5, 10, et ss. ; 10,16, et ss. ; Luc. 6, 22-23, etc. Mais alors il parlait seulement de l'avenir en général, et les apôtres avaient à peine remarqué ces prédictions douloureuses, tant leurs espérances messianiques étaient brillantes soit pour leur Maître, soit pour eux‑mêmes : en ce moment la prophétie est nette, catégorique ; il n'y a pas d'erreur possible. De plus, au côté triste se joint ici la consolante promesse du Paraclet. Le Seigneur exprime donc vraiment des choses neuves sous divers aspects, et c'est à tort que les rationalistes ont essayé de mettre ce passage en contradiction avec ceux des synoptiques que nous venons de citer. - Parce que j’étais avec vous. Détail touchant. Aussi longtemps que Jésus était avec ses disciples, ceux‑ci n'avaient rien à craindre, car sa douce et divine présence suffisait pour les réconforter : il n'était donc pas nécessaire qu'il insistât d'avance sur les persécutions de l'avenir.



Jean 16.5 Et maintenant que je m'en vais à celui qui m'a envoyé, aucun de vous ne me demande : "Où allez-vous ?" - Ce verset inaugure une nouvelle série de pensées, que S. Thomas appelle « les raisons qui consolaient de l’éloignement du Seigneur », et que nous avons intitulée plus haut : La venue et l’œuvre de l'Esprit saint (vv. 5-15). - Et maintenant. Expression solennelle. La particule établit une forte antithèse entre le prochain départ de Notre‑Seigneur (« je m’en vais») et les années qu'il avait passées auprès de ses apôtres (« j’étais avec vous »). - A celui qui m’a envoyé. il s'en retourne au ciel, sa mission d'ambassadeur étant achevée sur la terre. - Aucun de vous ne me demande : Où allez-vous ? C'est la question si naturelle des enfants, des amis, au père ou à l'ami qui leur fait part d'un projet de voyage. Sans doute, au début du discours, deux apôtres l’avaient coup sur coup posée à Jésus dans le cénacle (S. Pierre, 13, 36, et S. Thomas, 14, 5), mais d'une manière tout extérieure et superficielle, car ils n'avaient désiré connaître que le terme de son voyage mystérieux. Or, le Sauveur aurait voulu qu'ils la réitérassent maintenant (notez l'emploi du présent, « demande ») avec des vues plus hautes, et d'après le sens plus profond qu'ils pouvaient entrevoir à la suite de ses explications. « Comme s'il disait : Vous ne songez pas où je vais ; en quel lieu, à quelle gloire, à quelle félicité ; mais sans songer où je vais et ce que je vais y faire, vous vous affligez. En quoi il les reprend secrètement du peu d'attention qu'ils ont à ce qu'il fait, et du peu d'amour qu'ils ont pour lui, puisqu'ils ne songent qu'à eux‑mêmes, et ne s'occupent que de leur tristesse ». Bossuet, Médit. sur l’Évangile, 2e partie, 18e jour. Jésus aurait aimé trouver en ce moment chez eux le joyeux élan de cœurs qui s'ouvrent aux perspectives d'une époque nouvelle, et qui ne tarissent pas en confiantes questions sur ce qu'il leur promet.



Jean 16.6 Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur.- Ces choses : les désolantes paroles des versets 1-5, relatives soit aux persécutions dont les disciples étaient menacés, soit au propre départ du Maître. - La tristesse a rempli votre cœur. Le langage est très énergique, comme l'était d'ailleurs la réalité.



Jean 16.7 Cependant je vous dis la vérité : il vous est bon que je m'en aille, car, si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous, mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. - De nouveau Notre‑Seigneur va les consoler en leur promettant le divin Paraclet, cf. 14, 16, 26 ; 15, 26. - Cependant, je vous dis la vérité. Le pronom est accentué : Moi qui connais toutes choses, moi qui ne vous ai jamais trompés. Jésus appuie également sur l'expression la vérité. Le trouble dans lequel étaient tombés les apôtres était pour eux une source d'erreur ; leur Maître infaillible allait leur proposer la vérité toute simple. - Il est bon que je m’en aille. Plus haut, 14, 28, Jésus avait parlé des avantages que lui procurerait à lui‑même son retour auprès de son Père ; il signale ici celui qu'en retireront à leur tour les disciples. - Si je ne m’en vais pas. Le départ du Sauveur est, d'après le plan divin, une condition indispensable de l'envoi du Paraclet. Voyez 7, 39 ; 14, 16. - Après avoir exprimé cette condition en termes négatifs (le Défenseur ne viendra pas), Jésus la répète sous une forme positive (si... je vous l’enverrai).



Jean 16.8 Et quand il sera venu, il convaincra le monde au sujet du péché, de la justice et du jugement : - A partir de cet endroit, nous apprenons quel sera le rôle de l'Esprit saint, soit par rapport au monde si coupable, soit par rapport aux apôtres et à leurs successeurs. - 1° Le monde et le Paraclet, vv. 8-11. Beau et profond passage, quoiqu'il paraisse de prime abord un peu énigmatique. Il résume admirablement, dans le mot Victoire, l'action de l'Esprit saint au milieu du monde incrédule. - Et quand il sera venu, il convaincra... Expression très significative. On la traduit ordinairement par « rendre manifeste quelque chose à quelqu’un par des raisons : convaincre » ; mais il faut en outre le prendre en mauvaise part, car il s'y ajoute une idée de blâme : convaincre quelqu'un de ses torts, lui donner sur tel ou tel point une démonstration si forte de la vérité, qu'il soit obligé de reconnaître qu'il est dans l'erreur. Ce rôle convient à merveille au Paraclet, à l'avocat céleste (voyez la note de 14, 16). Comparez aussi 1 Timothée 5, 20 ; 2 Timothée 4, 2 ; Tite 1, 9, 13 ; 11, 15, où le verbe « convaincre » sert à décrire le rôle des évêques à l'égard des fidèles imparfaits et des ennemis déclarés de l’Église. - La réfutation du Saint‑Esprit aura un triple objet : le péché, la justice et le jugement. Trois choses si graves, dont le monde corrompu refusait d'admettre l'existence, du moins dans sa conduite pratique. Il convaincra le monde au sujet du péché, de la justice et du jugement - Dans les trois versets suivants (9-11) Jésus reprend solennellement chacune de ces expressions, pour la commenter lui‑même. On a dit à juste titre que le quatrième évangile, agissant à la façon du S. Esprit, convainc alternativement le monde de péché (3, 19-21 ; 5, 28-29, 38-47 ; 8, 21 et ss., 34-47 ; 9, 41 ; 14, 27 ; 15, 18-24), de justice (5, 30 ; 7, 18, 24 ; 8, 28, 46, 50, 54 ; 12, 32 ; 14, 31 ; 18, 37), de jugement (12, 31 ; 14, 30 ; 17, 15). La lecture de ces divers passages serait une excellente explication des vv. 9-11.

Jean 16.9 au sujet du péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi, ; - Ce sera la première conviction produite par le Paraclet : S. Thomas : « L'Esprit Saint convainc seulement du péché d'incroyance, car par la foi tous les autres péchés sont remis ». Il démontrera au monde que « le monde entier est au pouvoir du Mauvais » (1 Jean 5, 19), plongé constamment dans toutes sortes de péchés. - Parce qu’ils... Ces trois « parce que » sont remarquables. Ils introduisent trois faits distincts, qui correspondent au caractère spirituel du monde (v. 9), du Christ (v. 10), du démon (v. 11), et qui forment tour à tour la base de l'action du Saint Esprit. - Or la base des péchés multiples du monde, c'est son incrédulité si complète et si inexcusable : ils n’ont pas cru en moi, « avec une foi formée par l'espérance et l'amour » cf. 15, 22, 24. Le Paraclet le prouvera.



Jean 16.10 au sujet de la justice, parce que je vais au Père et que vous ne me verrez plus, - La justice. S. Jean n'emploie ce substantif qu'ici et au v. 8. D'après l'interprétation la plus vraisemblable, admise par la plupart des Pères grecs et des exégètes, la justice en question n'est autre que celle de N.-S. Jésus‑Christ lui‑même. Les hommes de ce monde avaient refusé de la reconnaître, maltraitant le juste par excellence (Actes 3, 14), comme s'il eût été le dernier des scélérats ; mais le Paraclet leur en fournira une preuve incontestable. - Parce que je vais au Père. Ce fait parlera de lui‑même, publiquement et suffisamment. L'entrée triomphale de N. S. Jésus‑Christ dans le ciel comme Fils de Dieu démontrera sans réplique qu'il est la parfaite innocence. Les Juifs n'avaient pas voulu reconnaître que le Christ est juste, son Ascension prouvera leur péché et la parfaite justice de Jésus. - Et que vous ne me verrez plus. Jésus n'oublie pas la tristesse que la séparation devait causer à ses meilleurs amis. Toutefois, il y a plus que cela ; car, avant tout, ce détail est un développement des mots Je m’en vais au Père. En conséquence de son départ et de la nouvelle forme d'existence qu'il aura prochainement, Jésus cessera d'être visible aux regards matériels et physiques des apôtres, cf. 14, 19 et le commentaire. - S. Augustin et un certain nombre d’exégètes qui l'ont suivi entendent ici par justice non pas l'innocence du Sauveur lui‑même, mais celle des vrais croyants. « De quelle façon le monde sera‑t‑il donc convaincu touchant la justice ? Il le sera touchant la justice de ceux qui croient ; il est convaincu touchant le péché, parce qu'il ne croit pas en Jésus‑Christ ; et il est convaincu touchant la justice de ceux qui croient. Car, pour être condamnés, il suffira aux infidèles d'être comparés aux fidèles », S. Augustin d'Hippone Traité 95 sur S. Jean, 2. Mais ce sens est moins net et ne cadre pas bien avec le contexte. Nous jugeons identiquement l'opinion d'après laquelle il s'agirait de la nature de la vraie justice en général.



Jean 16.11 au sujet du jugement, parce que le Prince de ce monde est [déjà] jugé. - au sujet du jugement : désigne ici un jugement de condamnation, porté par l'Esprit Saint contre le monde, cf. 3, 18. - Parce que introduit pour la troisième fois le motif. Et ce motif est tout à fait péremptoire : le prince de ce monde (c'est-à-dire, Satan, cf. 12, 31 ; 14, 30) est déjà jugé. Notez l'emploi du parfait. Déjà la chose est accomplie pour ainsi dire, tant elle est certaine à l'avance. En Satan s'était concentré l'esprit du monde ; or Satan verra son règne renversé par la prédication de l’Évangile : son jugement et sa condamnation sont le gage d'un jugement analogue pour les mondains, ses sujets. Que le monde ne se croie donc pas victorieux parce que Jésus va mourir sur la croix. - Faisons encore une rapide synthèse (voyez la note du v. 8). Au verset 9, il a été question de l'homme en général ou du monde ; les versets 10 et 11 nous ont ensuite présenté les deux princes spirituels qui ont influencé les hommes de manières si différentes : N.-S. Jésus‑Christ et le chef des démons. L'homme est mis en corrélation avec le péché, Jésus‑Christ avec la justice, Satan avec la damnation.



Jean 16.12 J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent. - Nous passons à un autre aspect de l’œuvre du Paraclet : Jésus nous le montre agissant aussi au sein du groupe des douze apôtres ; non plus, cependant, d'une façon toute terrible, mais avec une grande suavité. Le Saint‑Esprit instruira les disciples : tel est le résumé de ce passage (vv. 12-15). - J'ai encore beaucoup de choses à vous dire. Sur cette formule, comparez 8, 6 ; 2 Jean 12 ; 3 Jean 13 ; Actes 23, 17, 19 ; 28, 19. Quant au sens, voyez l'explication de 14, 26 et de 15, 15. Il est peu probable que par « beaucoup de choses » Notre‑Seigneur ait voulu désigner des révélations entièrement nouvelles : il pensait d'abord à un développement plus complet, à une sorte d’explication, de développement et clarification des vérités communiquées par lui à ses apôtres. - Mais introduit une restriction. Quoique Jésus ait donné aux disciples toute sa confiance (cf. 15, 14-15), il est des choses qu'il ne peut leur dire encore, à cause de leur état moral. - Vous ne pouvez les porter à présent. Le verbe porter est pittoresque dans ce passage. Les vérités extérieures prises dans leur ensemble sont envisagées comme un lourd fardeau, que tout le monde ne saurait soulever et porter, pas même les apôtres au moment présent de leur croissance spirituelle, cf. 2, 21-22 ; 12, 16, etc. La scène actuelle le prouvait surabondamment.





Jean 16.13 Quand le Consolateur, l'Esprit de vérité, sera venu, il vous guidera dans la vérité toute entière. Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura entendu et il vous annoncera les choses à venir. - Quand cet Esprit de vérité sera venu.., cf. v. 8. Plus tard, après la Pentecôte, quand le Paraclet les aura munis de grâces et de lumières spéciales, ils pourront tout porter sans peine. - L’Esprit de vérité, cf. 14, 17 et l'explication. - Il vous guidera. Il vous enseignera exprime la pensée, mais non l'image et la force du verbe primitif qui signifie littéralement : Il sera votre guide sur la voie. Le Paraclet se fera donc personnellement l'introducteur des disciples dans la riche contrée des vérités chrétiennes. Philon, De vita Mos. 3, 36, a un passage analogue : « L'intelligence de Moïse ne serait pas allée si droit au but, s'il n'avait pas eu l'Esprit divin pour la guider vers la vérité ». - dans la vérité toute entière. La vérité pleine et entière, la vérité dans toute son étendue, dans toutes ses profondeurs ; mais, naturellement, avec la restriction exigée par l’ « état de pèlerinage », car il restera une grande place pour les révélations du ciel. En manifestant ainsi la vérité, l’Esprit de vérité sera parfaitement dans son rôle ; connaissant tout d'une manière infaillible, il communiquera, sans danger d'erreur, la science à son plus haut degré. Il y a, dans cette demi‑ligne, l'abrégé des admirables développements du dogme catholique : ces paroles s’adressent directement aux apôtres ; indirectement à toute l’Église enseignante, que les apôtres représentent là. - Il ne parlera pas de lui‑même. (cf. 5, 19 ; 14, 4) ; de son propre fond, comme si ses paroles étaient distinctes de celles du Père et du Fils, et formaient une nouvelle source de vérité. Le démon parle de lui‑même, et il est par cela même un menteur, 8, 4. - L'Esprit de vérité parle au contraire à la façon d'un ambassadeur, qui ne va pas au delà de ce que son mandataire lui a mis sur les lèvres : Mais il dira tout ce qu’il aura entendu. Jésus avait tenu une conduite identique, n'enseignant que ce qu'il avait entendu et reçu du Père, cf. 8, 26, 40 ; 15, 15. A son tour il inspirera le Paraclet, v. 14. - Et il vous annoncera les choses à venir. Promesse importante, qui annonce que le don de prophétie se perpétuera au sein de l’Église. Sur cette révélation des secrets de l'avenir faite aux apôtres par le S. Esprit, comparez les célèbres passages : Romains 11, 25-32 ; 1 Corinthiens 15, 50-53 ; 1 Thessaloniciens 4, 13-18 ; 2 Thessaloniciens 2, 1-10 ; Tite 2, 11-14 ; 2 Pierre 2, 1 ; Jude 17-18, et la plus grande partie de l'Apocalypse. - Les mots Il vous annoncera sont répétés trois fois de suite à la fin de ce verset et des deux suivants, comme un majestueux refrain.



Jean 16.14 Celui-ci me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui est à moi et il vous l'annoncera. - Il me glorifiera. Tel sera, en fin de compte, le résultat principal de l'œuvre du Paraclet. De même que le Fils avait glorifié le Père en le manifestant (cf. 1, 18 ; 17, 4), il sera, lui aussi, glorifié par les révélations de l'Esprit saint. C'est la magnifique disposition providentielle des trois témoins célestes. - Ce qui est à moi : pour désigner les trésors indicibles du Fils, et surtout, dans ce passage, la plénitude de sa science, cf. Colossiens, 2, 2-3 : « Ce mystère, c’est le Christ… en qui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance ». - Et vous l’annoncera, cf. v. 13 ; 14, 26 et la note.



Jean 16.15 Tout ce que le Père a est à moi. C'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra ce qui est à moi et qu'il vous l'annoncera. - Ainsi que l'indique le second hémistiche de ce verset, Jésus se propose de commenter ici l'assertion « il recevra de ce qui est à moi et vous l’annoncera ». Son divin commentaire consiste en une vérité générale et dans l'application de cette vérité au cas présent - 1° La vérité générale. Tout ce qu’a le Père... Tout sans exception, même l'essence divine ; mais plus particulièrement, d'après le contexte, les trésors de science qui leur appartiennent en commun. Le Père est en effet la source première de tous biens, à laquelle viennent puiser les deux autres personnes divines. [Symboles et Définitions de la Foi Catholique, 1996, Paris, éditions de Cerf, extraits de documents officiels du Magistère de l’Église Catholique sur la Sainte Trinité : « Bien que Dieu soit un seul (…) il n'est pas seul en lui-même » « on ne doit pas transposer à l'essence divine ce qui est propre aux Personnes (…) c’est pourquoi ce n'est pas la substance divine qui engendre, est engendrée et procède, mais le Père engendre, le Fils est engendré ». « Père, Fils et Saint Esprit sont d’une seule et même nature (…) c’est pourquoi ils sont consubstantiels (…) coégaux (…) il n'y a donc rien dans la Trinité qui soit moindre, plus élevé, plus grand ou plus petit (…) En particulier le Père, le Fils et le Saint Esprit sont égaux : - en divinité (ils sont Dieu parfait) (…) - en gloire et en majesté (…) - en éternité (dans la Trinité rien n'est plus tôt ou plus tard) (…) ils sont également éternels, aucun n'est avant ou après l'autre, ou sans l'autre (…) - en immensité (ils sont partout et contiennent tout) (…) - en puissance (…) ; il n'y a pas de degrés de la puissance dans la Trinité (…) Dieu "est" dans sa vie la plus intime "amour" essentiel qui est commun aux trois Personnes divines. »] - Est à moi. Plus haut (v. 14), ce qui est à moi au singulier, parce que les biens du Fils étaient envisagés dans leur sublime unité ; ici le pluriel, parce qu'on a surtout en vue leurs détails infinis. - 2° L'application. C’est pourquoi j’ai dit : il recevra... Comme le Sauveur rattache tout à sa personne. Même quand ses disciples ne le verront plus, il sera le centre de l’Église. Et aussi, comme l'on voit bien, dans ces trois versets (13-15), la parfaite identité d'essence du Père, du Fils et du Saint Esprit.



Jean 16.16 Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus et encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais à mon Père." - Encore un peu de temps. Voyez 13, 23 et 14, 19. Dans quelques heures, quand la mort l'aura ravi aux regards des siens ; ou, d'après une autre opinion, tout au plus dans quelques jours, lorsqu'il sera remonté au ciel. - Et vous ne me verrez plus. Au lieu du futur, lisez le présent de l'anticipation, comme aux versets 10 et 17. - Et encore un peu de temps. Jésus affecte un langage mystérieux, paradoxal en apparence. Trois opinions se sont formées au sujet de ce second « un peu de temps ». Suivant les Pères grecs, il désignerait le temps qui s'écoula entre la Passion et la Résurrection, et, par suite, les quelques apparitions dont Notre‑Seigneur favorisa ses apôtres durant cet intervalle ; mais c'est trop peu dire, évidemment, S. Augustin, Bède le Vénérable, Maldonat, etc., passent à un autre extrême, car ils appliquent « un peu de temps » aux longs siècles qui devaient séparer l'Ascension de la fin du monde. Plus communément, et à meilleur titre, on croit que Jésus avait en vue, selon l'interprétation adoptée pour le premier « un peu de temps », le temps de la Résurrection à la Pentecôte, ou même seulement les dix jours de l'Ascension à la Pentecôte. De part et d'autre, cela ne fait qu'un assez court intervalle, qui correspond fort bien aux deux expressions. - Et vous me verrez. Cette fois, le texte grec emploie aussi le futur, mais il change l'expression d'une manière significative : au lieu du verbe qui exprime un regard attentif et pénétrant, celui qui marque de la façon la plus générale le phénomène de la vision. Preuve que Jésus ne parlait plus de sa présence physique et matérielle ; c'est sous une forme indirecte et spirituelle, dans son Paraclet, que les apôtres le verront désormais, cf. 14, 19 et le commentaire (là, cependant, le même verbe voir était répété, deux fois). Voyez aussi 12, 45, où il est dit que les disciples contempleront le Père en Jésus ; ils contempleront pareillement leur Maître dans l'Esprit qu'il leur enverra. - Parce que je vais à mon Père. Jésus s'en va ; c'est le motif pour lequel, d'une part, les Onze cesseront bientôt de voir Notre‑Seigneur ; pour lequel, d'autre part, ils recommenceront bientôt aussi à le contempler sous une forme nouvelle.



Jean 16.17 Sur quoi, quelques-uns de ses disciples se dirent entre eux : "Que signifie ce qu'il nous dit : Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus et encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais à mon Père ?" - Petite scène très vivante. Sur quoi, en conséquence de la dernière parole de Jésus. - Que signifie ce qu’il nous dit... Quelle peut bien être la signification de ce mystérieux langage ? - Voilà donc les apôtres bien perplexes. Tout à coup ils cesseront de voir leur Maître, et tout à coup ils le reverront ; ils ne le verront plus parce qu'il s'en retourne vers son Père, et ils le reverront parce qu'il retourne vers son Père : ces choses leur paraissaient bien incompréhensibles. Et on le croit sans peine, si on se met à leur place.



Jean 16.18 Ils disaient donc : "Que signifie cet "encore un peu de temps" ? Nous ne savons ce qu'il veut dire." - Cette fois, le narrateur emploie l'imparfait si pittoresque de la durée, de la répétition. - Que signifie… un peu de temps ? C'est le mot qui les troublait et les déconcertait le plus ; et nous avons vu que les exégètes n'ont pu tomber d'accord à son sujet. - Nous ne savons pas ce qu'il veut dire. Après quelques efforts pour comprendre, ils s'avouent réciproquement leur ignorance.



Jean 16.19 Jésus connut qu'ils voulaient l'interroger et leur dit : "Vous vous questionnez entre vous sur ce que j'ai dit : Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus et encore un peu de temps et vous me verrez. - Jésus connut... L'emploi du verbe connaître semblerait indiquer une connaissance naturelle, cf. 5, 6 ; 6, 15, etc. La science surnaturelle de N.-S. Jésus‑Christ est d'ordinaire exprimée par le verbe « savoir », cf. 2, 24 ; 6, 6 ; 13, 1, 3 ; 18, 4, etc. Au reste, il avait pu entendre et remarquer. Plus bas, néanmoins (v. 30), les apôtres paraissent supposer pour ce cas même une science miraculeuse. - Qu’ils voulaient l’interroger. Mais ils n'osaient réaliser leur désir ; Jésus les prévient tout aimablement. - Vous vous questionnez entre vous... Au verset 17 : se dirent entre eux, avec une légère nuance, cf. 4, 33. - Pourquoi j’ai dit : Encore un peu de temps... A son tour, Jésus reprend la formule énigmatique, dont il va donner l'interprétation.



Jean 16.20 En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, tandis que le monde se réjouira, vous serez affligés, mais votre affliction se changera en joie. - Du moins, une interprétation partielle, qui, sans préciser la durée historique des deux « un peu de temps », caractérisera assez nettement, en ce qui concerne les apôtres, chacune des périodes ainsi désignées. C'est une double prophétie, annonçant de profondes tristesses pour le moment présent, des joies très vives pour l'avenir. - En vérité, en vérité... que les disciples tiennent pour tout à fait certains les événements que le divin Maître va leur annoncer sous le sceau du serment. - Vous pleurerez et vous vous lamenterez. Ce pronom, rejeté à fin de la proposition, a une grande énergie. Le premier verbe est l'expression la plus générale pour désigner le deuil extérieur, cf. 11, 33 ; 20, 11. Le second marque des lamentations bruyantes, cf. Marc. 5, 38 ; Luc. 7, 32. Quand ils sont réunis, comme dans ce passage, c'est pour dénoter le comble de la désolation, cf. Matth. 2, 18 ; Luc. 23, 27 et suiv. - Le monde se réjouira. (frappant contraste). Tandis que les amis du Sauveur seront plongés dans la douleur, le monde se félicitera et se réjouira d'être délivré de son ennemi mortel. - Vous serez affligés..: nouvelle antithèse, mais pour prédire aux apôtres la fin de leurs ennuis. Les verbes pleurer et se lamenter avaient exposé le côté extérieur de la tristesse ; maintenant, c'est le sentiment intérieur qui est noté. - Mais votre tristesse sera changée en joie. La locution grecque a beaucoup plus de force : « deviendra joie ».



Jean 16.21 La femme, lorsqu'elle enfante, est dans la souffrance parce que son heure est venue. Mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu'elle a de ce qu'un homme est né dans le monde. - Ce verset et le suivant contiennent une vivante comparaison empruntée à la vie de famille, qui décrit à merveille la rapide transformation de la tristesse des apôtres en une joie très vive. D'abord le type, v. 21, puis l’antitype, v. 22. - La femme : la femme en général ; car Jésus va signaler une loi commune et universelle. - lorsqu'elle enfante, est dans la souffrance. Les douleurs de l'enfantement, fruit direct du péché originel (Genèse 3, 16), sont souvent mentionnées dans la Bible d'une manière proverbiale, cf. Isaïe 13, 8 ; 21, 3 ; Jérémie 4, 31 ; 6, 24 ; Osée 13, 13 ; Michée 4, 9, etc. - Lorsqu’elle a donné le jour à l'enfant. Dans le texte grec, le verbe correspondant à enfanter n’est pas le même qu’auparavant ; Fils avec l'article, le petit enfant, impatiemment attendu. - Elle ne se souvient plus de ses douleurs. Encore l'article : les angoisses si violentes. - Dans la joie. Avec l'article pour la quatrième fois : La joie indicible qu'éprouvent les mères. - Et la cause de cette joie, c'est de ce qu'un homme est né dans le monde. Un homme (ici il n'y a pas d'article) ; pas seulement un enfant, un fils. En pensant qu'elle a donné le jour, la mère se sent heureuse et fière, et elle ne songe plus à ce que son bonheur lui a coûté de souffrances.



Jean 16.22 Vous donc aussi, vous êtes maintenant dans l'affliction, mais je vous reverrai et votre cœur se réjouira et nul ne vous ravira votre joie. - Jésus applique aux apôtres cette belle comparaison. - Vous donc aussi. Vous aussi, comme la femme qui enfante. La particule donc relie ce verset au 20e. - Vous êtes maintenant dans l'affliction. C'est une nécessité, mais ce sera rapide ; et la peine même est une condition des joies qu'apportera sûrement l'avenir. - En effet, continue le Sauveur, je vous reverrai (Voyez la note du v.16 ). Nuance pleine d'intérêt. Plus haut, vv. 16 et 17, Jésus avait dit : « Vous me verrez » ; il présente maintenant un autre heureux aspect de la situation ; lui aussi il aura le bonheur de voir ses chers amis, cf. 14, 18. - Et votre cœur se réjouira. Quelles délices, en effet, pour les apôtres à revoir N.-S. Jésus‑Christ après une séparation si cruelle. - Mais ce qui y mettra le comble, c'est que, ne dépendant pas de la présence extérieure, elles seront permanentes, sans fin : et nul ne vous ravira votre joie. Une mère a souvent le chagrin de perdre ses enfants ; nous pouvons ne perdre jamais Jésus.



Jean 16.23 En ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur rien. En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez à mon Père, il vous le donnera en mon nom. - Deux autres avantages infiniment précieux, que procurera aux disciples cette bienheureuse période inaugurée par le second « un peu de temps », c'est-à-dire par la Pentecôte : une connaissance parfaite de la vérité et la toute‑puissance d'intercession. - En ce jour‑là, cf. v. 26, et 14, 20 (avec la note). Au jour où Jésus sera de nouveau présent aux siens, quoique d'une autre manière. - Vous ne m’interrogerez plus sur rien. Il y a quelques instants à peine, v. 5, Notre‑Seigneur se plaignait de ce qu'aucun de ses apôtres ne songeât à l'interrompre ; maintenant il affirme tout au contraire qu'il sera inutile de lui poser des questions, car ils verront alors toutes choses, grâce aux révélations du Paraclet, cf. v. 13. La meilleure traduction du verbe grec ερωτησετε est « interrogerez », cf. vv. 5 et 19. Le sens de « prier, adresser des requêtes », est possible en cet endroit ; mais il est moins en harmonie avec le contexte. - En vérité, en vérité... Encore le sceau du serment sur une solennelle promesse, cf. v. 20. - tout ce que vous demanderez à mon Père..., cf. 14, 13 ; 15, 16. Dans le texte grec, le verbe ne peut désigner que la prière. - Il vous le donnera en mon nom. S. Thomas : le Seigneur donne sept conditions d'une bonne prière. N°1 demander des biens spirituels. N°2 avec persévérance. N°3 que la prière soit faite dans la concorde, « Si deux d'entre vous se mettent d'accord sur la terre pour demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Père qui est dans les cieux ». N°4 que la prière provienne d'un amour filial cf. Au Père car celui qui demande par crainte, ce n'est pas au père qu'il demande, mais au maître de maison ou à l'ennemi. N°5 que la prière soit faite avec piété, c'est-à-dire avec humilité. N°6 que la prière soit faite en temps opportun ; si on ne reçoit pas, il ne faut pas se décourager aussitôt. N°7 qu'on demande pour soi.







Jean 16.24 Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom : demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite. - Jusqu'à présent (jusqu'au moment présent) vous n'avez rien demandé en mon nom. Ils ne le pouvaient pas dans le sens strict ; car, pour prier au nom de N.-S. Jésus‑Christ, il fallait que le Sauveur fût assis triomphant à la droite de son Père, après avoir mérité par ses souffrances et par sa mort le titre de médiateur parfait. Ces paroles ne contiennent donc aucun reproche ; elles constatent simplement un fait. - Demandez, et vous recevrez (voyez la note du v. 14). Comparez une promesse identique dans les évangiles synoptiques, Matth. 7, 8 ; Marc. 11, 24 ; Luc. 11, 9. - Afin que votre joie soit parfaite : « afin que » marque le résultat à atteindre ; et ce résultat est exprimé très énergiquement dans le grec. C'est une joie à laquelle rien ne manque et qui demeure à jamais, cf. 3, 29 ; 15, 11 ; 17, 13.



Jean 16.25 Je vous ai dit ces choses en paraboles. L'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais je vous parlerai ouvertement du Père. - Je vous ai dit ces choses. A quoi se rapporte « ces choses » ? Seulement aux versets 19-24, d'après un certain nombre d'exégètes. A toute la prédication de N.-S. Jésus‑Christ, suivant une autre opinion qui est évidemment exagérée. Aux paroles précédentes du discours d'adieu, selon le sentiment qui a nos préférences. - En paraboles. Sous une forme voilée, par conséquent obscure. Voyez la note de 10, 6. Jésus s'était servi d'un assez grand nombre d'expressions figurées durant tout ce discours : son départ, son retour, l'allégorie de la vigne, la femme qui enfante, le « un peu de temps », etc. ; et ces images l'avaient « couvert d'ombre », dit S. Jean Chrysostome. - L'heure vient (au présent). Elle approche, l'heure où je ne vous parlerai plus en paraboles. Jusqu'alors les apôtres n'avaient pas été assez mûrs pour entendre la vérité sous sa forme simple et directe : la descente de l'Esprit Saint au jour prochain de la Pentecôte les rendra capables de la recevoir ouvertement, c'est-à-dire sans aucun voile, cf. 7, 13 et le commentaire. - Je vous parlerai ouvertement du Père. Ces célestes communications, Jésus les fera surtout par son Paraclet ; mais aussi par lui‑même entre sa résurrection et son ascension, cf. Luc. 24, 25-27, 45, etc.



Jean 16.26 En ce jour-là, vous demanderez en mon nom et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous. - En ce jour‑là (cf. v. 23 et l'explication) vous demanderez en mon nom. « En ce jour là » par opposition à « jusqu’à présent » du v. 24. Jésus venait de constater que jusqu'alors les apôtres n'avaient pas prié en son nom. - Et je ne vous dis pas que... D'après quelques exégètes, la pensée du Sauveur serait : Je n'ai pas besoin de vous dire que je prierai pour vous, car il est évident que je le ferai. Mais tel n'est pas le véritable sens, lequel est nettement déterminé par le v. 27. Mon Père vous aime, et il vous accordera de lui‑même toutes les grâces dont vous aurez besoin ; il n'est donc pas nécessaire que je vous promette mon intercession. Toutefois, dit fort bien Tolet, h. l., « Remarque que Jésus n’a pas nié qu’il demanderait. Car il n’a pas dit : je ne demanderai pas, mais je ne dis pas que je demanderai, afin d’exclure la nécessité de son intervention », cf. Maldonat. C'est la figure de rhétorique appelée prétérition. Sur la médiation et les prières de N.-S. Jésus‑Christ dans le ciel, comparez les passages 14, 16 ; Romains 8, 34 ; Hébreux 7, 25 ; 9, 24 ; 1 Jean 2, 1 et s., etc. - Je prierai. Le pronom est très accentué. Sur l’emploi du verbe grec correspondant à prier, voyez 14, 16 et la note : c'est ordinairement la demande d'un égal à un égal. - Pour vous : à votre sujet ; nuance délicate qui s'accorde fort bien avec le contexte.



Jean 16.27 Car le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti du Père. - Car le Père (« car » annonce un développement explicatif) vous aime. Lui‑même : de lui‑même, spontanément, il vous aime. Et remarquez que Jésus emploie, pour exprimer ce sentiment du Père envers les apôtres, non le verbe le plus relevé αγαπα mais φιλει, qui marque mieux une affection tendre et paternelle, cf. 11, 5 et le commentaire. - Parce que vous : vous, par opposition au monde indifférent et même hostile) m’avez aimé. Le parfait exprime très bien la durée et la fidélité de l'amour des disciples pour leur Maître. Et c'est précisément cet amour généreux et fidèle qui leur avait gagné la haute amitié du Père. - Et que vous avez cru (de nouveau le parfait). Autre motif pour lequel le Père les chérissait : ils avaient cru fermement à la mission et à la divinité de son Fils. L'amour et la foi, voilà bien les deux qualités essentielles d'un excellent disciple. La foi n'est mentionnée qu'en second lieu, parce qu'elle fut moindre d'abord que l'affection ; mais elle alla peu à peu grandissant avec l'amour. - Que je suis sorti du Père.



Jean 16.28 Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde, maintenant je quitte le monde et je vais au Père." - Comme on l'a dit, il y a tout un symbole chrétien dans ce verset : l'éternelle génération du Verbe, l'Incarnation, la Rédemption, le triomphe éternel de N.-S. Jésus‑Christ, y sont clairement exprimés. - Je suis sorti du Père. Le point de départ ainsi indiqué n'est pas seulement la présence du Père, mais sa substance même. - Et je suis venu dans le monde : comme Messie‑Dieu, par l'Incarnation. Le parfait désigne une œuvre entièrement accomplie. - maintenant... Le premier hémistiche pouvait s'intituler : Du ciel en terre ; celui‑ci pourrait se résumer dans les mots : De la terre au ciel. - Je quitte le monde : maintenant que l’œuvre de la Rédemption est achevée. - Et je vais au Père, pour régner éternellement à ses côtés.



Jean 16.29 Ses disciples lui dirent, "Voilà que vous parlez ouvertement et sans vous servir d'aucune image. - Ses disciples lui dirent, - « Voi que ». Cette particule, aimée de S. Jean, et plus fréquemment employée dans son évangile que dans tous les autres écrits du Nouveau Testament mis ensemble, dénote ici une joyeuse surprise. Jésus venait d'annoncer aux Onze (v. 25) que bientôt il leur parlerait clairement et sans figures ; et ils supposent que ce moment est déjà venu. Aussi, reprenant ses propres paroles, ils mettent les deux verbes au temps présent, vous parlez ouvertement, et sans vous servir d'aucune image, tandis qu'il s'était servi du futur, et ils ajoutent un maintenant significatif. Leur réflexion est naïve comme celles que font souvent les enfants : déjà ils croient avoir tout compris. « ils les comprenaient si peu qu'ils ne voyaient pas même qu'ils ne les comprenaient pas. Ils étaient encore de petits enfants », dit spirituellement S. Augustin, h. l.



Jean 16.30 Maintenant nous voyons que vous savez toutes choses et que vous n'avez pas besoin que personne vous interroge, c'est pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu." - Maintenant nous voyons que vous savez toutes choses. Absolument toutes choses ; même ce qui se passe au fond des cœurs. Les mots suivants, et que vous n'avez pas besoin que personne vous interroge, ne font que développer cette pensée, en l'appuyant sur un incident récent, cf. v. 19. - C’est pourquoi. A cause de cela précisément, parce qu'il connaissait toutes choses. - Nous croyons. Jésus avait parlé de leur foi au temps parfait (v. 27) ; eux, ils la mentionnent comme une chose constamment présente et vraie. - Que vous êtes sorti de Dieu. Non que cette croyance fût pour eux nouvelle et récente (cf. Matth. 16, 16) ; mais les dernières paroles de leur Maître avaient encore contribué à l'affermir. Le changement des prépositions dans le texte grec est encore à noter : απο (venant de) succédant à παρα (d’auprès de, v. 27) et à εκ (sorti de, v. 28). Celle qu'emploient les apôtres est la moins expressive des trois.



Jean 16.31 Jésus leur répondit : "Vous croyez à présent." - A présent marque le moment actuel. Il y a peu de temps, v. 27, Jésus louait la foi de ses apôtres, afin de les remercier et de les encourager ; et voici que tout à coup, quand ils la mentionnent à leur tour, il leur montre combien elle est encore vacillante. C'est qu'il veut, en face des terribles événements qui approchent, leur montrer combien il faut qu'ils sachent se défier de leur faiblesse. Certaines traductions terminent la phrase par un point d’interrogation. Maldonat et d'autres commentateurs suppriment le point d'interrogation (Vous croyez, il est vrai ; toutefois…) ; la plupart des exégètes le conservent à meilleur titre (Est‑il si sûr que vous croyiez actuellement ?).



Jean 16.32 Voici que l'heure vient et déjà elle est venue, où vous serez dispersés, chacun de son côté et vous me laisserez seul, pourtant je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi. - Voici que, cette fois, est douloureusement solennel (voir la note du v. 29) et introduit une triste prophétie. - L’heure vient, au présent, comme au v. 25, mais pour désigner une heure plus prochaine encore, qui a pour ainsi dire déjà sonné : et elle est déjà venue, au parfait. - Où vous serez dispersés. Expression très pittoresque, qui nous met sous les yeux un troupeau de brebis errant à l'aventure après avoir été complètement dispersé, cf. Matth. 26, 31. - Chacun de son côté. Sur cette locution, voyez 1, 11 ; 13, 27. Chacun chez soi ; ou, chacun à ses occupations. Leur société va être brisée pour un temps. - Et vous me laisserez seul : ils abandonneront lâchement Jésus entre les mains de ses ennemis. - Pourtant je ne suis pas seul. Notre‑Seigneur précise aussitôt. Lui, il ne sera jamais seul, quand même le faisceau d'unité se rompra autour de lui) ; car il a conscience à tout instant de la sainte et douce présence de son Père : Le Père est avec moi. Quelle divine majesté dans cette parole. N.-S. Jésus‑Christ n'a besoin de personne ; la société du Père lui suffit. Et pourtant il nous aime, et il veut que nous l'aimions aussi. Insondable mystère.



Jean 16.33 Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Vous avez des épreuves dans le monde, mais courage ! J'ai vaincu le monde. - Je vous ai dit ces choses. Cette formule, si fréquente dans le discours d'adieu, le désigne ici tout entier (13, 31 -16, 32) ; et c'est une erreur de ne la faire retomber que sur le v. 32 (Schegg, etc.). - Afin que vous ayez la paix en moi. En lui, c'est à dire, en demeurant étroitement unis à sa personne sacrée. La paix, malgré les tribulations extérieures ; la vraie paix qu'il a laissée à ses amis (14, 27) comme un précieux héritage. Sa vie s'achève, ainsi qu'elle a commencé (Luc. 2, 14), par un message de paix. - Dans le monde. Par antithèse avec « en moi ». En lui, ils auront la paix et la joie ; dans le monde, la guerre et la souffrance. - Vous avez des épreuves. Vigoureuse expression, cf. v. 22). Le verbe grec est au présent : déjà l'angoisse avait commencé pour les disciples ; elle devait croître après le départ du Sauveur. - Mais (particule adversative : néanmoins, malgré cela) courage ! Qu'ils demeurent absolument inébranlables dans la confiance, la fermeté et la force. - J’ai (tout à fait majestueux) vaincu le monde. Le parfait de la réalisation complète : déjà le monde est là, gisant aux pieds de Jésus, à la façon d'un ennemi entièrement vaincu. Il y a une énergie incomparable dans ce cri de triomphe. Pourtant, quoi de plus étrange en apparence qu'une telle assertion, au moment où va s'ouvrir la série des humiliations et des défaites extérieures de N. S. Jésus‑Christ ? Mais il est absolument sûr de la victoire finale, et ses apôtres, son Église, doivent se rassurer, même au milieu des plus redoutables dangers, en pensant qu'il les protège. C'est une digne et sublime conclusion de ce sublime discours.


CHAPITRE 17



Jean 17.1 Ayant ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie, - La prière sacerdotale de Jésus. 17, 1-26. Voici du plus sublime encore. « Combien doit‑on imposer silence à tout le créé, pour entendre au fond de son cœur les paroles que Jésus‑Christ adresse à son Père dans cette intime et parfaite communication. », Bossuet, Méditat. Sur l’Evang., 2è partie, 34è jour. Ce nom de Prière sacerdotale est devenu pour ainsi dire classique depuis la fin du 16ème siècle, le protestant Chytraeus l’ayant alors mis en honneur (« La prière d’intercession du prêtre suprême »). Mais, longtemps auparavant, le saint abbé Rupert de Deutz l’avait suggéré dans son commentaire : « Pourquoi dit‑il et demande‑t‑il ces choses celui qui est le pontife et l’hostie du salut (in v. 13) ? Ce pontife suprême est le propitiateur des propitiateurs, le prêtre et le sacrifice. C’est pour nous qu’il prie (in v. 26). ». Titre aussi exact qu’il est beau : c’est vraiment notre grand‑prêtre qui intercède pour nous, avant d’offrir son sacrifice sanglant. Si les chapitres 14-16 forment le sanctuaire, le 17ème est le Saint des Saints de l’Évangile. L’interprète hésite à y toucher ; il préférerait s’enfermer dans le silence dont parle Bossuet : pour se rassurer, il a besoin de se souvenir que cette prière n’a été conservée que pour servir à tout jamais de glorieux thème aux études et aux réflexions respectueuses des prêtres et des fidèles. - Les synoptiques, tout spécialement S. Luc (voyez la préface de notre commentaire) mentionnent de temps à autre les prières de Jésus ; mais, deux fois seulement (Matth. 11, 25-26, et à la scène Gethsémani, cf. Matth. 26, 39 et ss., avec les passages parallèles), et d’une manière très brève, ils en citent les termes exacts. Ici, au contraire, comme un phénomène unique dans la narration évangélique, nous avons le texte authentique et complet d’une longue prière. Passant de ses disciples (16, 33) à son Père céleste, Notre‑Seigneur épanche suavement son âme devant lui. Il résulte des versets 1 et 13 que cette prière fut proférée à haute voix ; évidemment en langue araméenne ou syro‑chaldaïque, l’hébreu de ce temps‑là. Rupert en place le théâtre au jardin de Gethsémani, mais sans raison suffisante. Selon d’autres, ainsi qu’il résulte de notre explication de 14, 31, c’est au cénacle qu’elle aurait été prononcée. M. Westcott se déclare pour la cour du temple, dont l’accès, selon une note de Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 18, 2, 2, était libre à partir de minuit durant les solennités pascales. Sans pouvoir fixer une localité précise, elle fut prononcée en plein air, avant que Jésus et les siens eussent franchi les murs de la ville, cf. 18, 1. L’intensité des sentiments suppose un arrêt momentané de la marche. La formule du v. 1 montre qu’il n’y eut pas d’intervalle entre la fin du discours d’adieu et le début de la prière. En même temps que cette page nous fournit le modèle des saints épanchements du cœur de Jésus dans celui de son Père, elle contient, sous une forme indirecte, une vive et profonde instruction pour les disciples et pour toute l’Église. C’est ce que relève excellemment S. Augustin dans son Traité sur S. Jean. 104, 2 : « Notre‑Seigneur, Fils unique du Père et coéternel à lui, pouvait, dans sa forme d'esclave et par elle, prier en silence, s'il l'avait jugé nécessaire ; mais il a voulu être auprès de son Père notre intercesseur, de manière toutefois à ne pas oublier qu'il était aussi notre maître. Par conséquent, la prière qu'il a faite pour nous, il l'a faite pour nous instruire ». - Ses richesses sont incomparables, malgré son étonnante simplicité qui fait que l’on comprend tout à une première lecture. « Dans toute l’Écriture, ce chapitre est le plus facile à comprendre littéralement, mais le plus profond par le sens », Bengel, Gnomon, h. l. Sans prendre nulle part le ton dogmatique, elle touche à divers points très importants pour la théologie. C’est aussi une magnifique prophétie de l’avenir de l’Église, soit dans le temps, soit dans l’éternité, tout ce que Jésus‑Christ demande dans sa prière devant infailliblement se réaliser. Que penser du rationaliste Bretschneider, qui, dans un mouvement de haine, a osé la qualifier de prière froide et dogmatique » ? Il suffit de répondre par la parole exquise de Cornelius a Lapide [Corneille de la Pierre] : « Ce sont ses dernières paroles, et comme son chant du cygne. Voilà pourquoi elles sont pleines de douceur, d’amour et de ferveur ».N’oublions pas d’y remarquer l’accent triomphal qui s’y fait constamment sentir. C’est la continuation de la fière parole « Courage ! J’ai vaincu le monde » (16, 33). Pas le moindre sentiment de crainte et d’angoisse. - Ayant ainsi parlé la première moitié de ce verset forme une petite introduction historique. Il y ajoute cette note simple : Jésus leva les yeux au ciel. Ce geste convenait merveilleusement à la circonstance, car il marquait une confiance filiale, la certitude d’être exaucé, cf. 6, 5 ; 11, 41. Quel contraste avec l’attitude de Jésus à Gethsémani dans quelques instants : cf. Matth. 26, 39. - Et dit : au milieu du silence ému des onze apôtres. - Père (Marc. 14, 36 ; Romains 8, 15 ; Galates 4, 6), tel fut le premier mot de la prière du Sauveur, laquelle est en réalité constamment la prière d’un fils à son père. Nous le retrouverons cinq autres fois : vv. 5, 11, 21, 24, 25 (deux fois avec une épithète, vv. 11 et 25). C’est aussi le premier mot de la formule d’intercession que le Seigneur nous a laissée, Matth. 6, 9. - L’heure est venue. La voilà, cette heure depuis si longtemps annoncée (cf. 2, 4), et préparée par les crises multiples que le disciple bien‑aimé a exposées avec la plus admirable fidélité. - Glorifiez votre fils. Le v. 5 dira de quelle manière Jésus souhaite d’être glorifié. Votre fils, dont la gloire doit vous être si chère. Il eût été beaucoup moins expressif de dire : Glorifiez-moi. - Afin que votre Fils vous glorifie. Voyez, sur cette réciprocité de glorification, 13, 31, 32 et le commentaire.



Jean 17.2 Puisque vous lui avez donné autorité sur toute chair, afin qu'à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle. - Ce verset est étroitement uni au précédent : il explique en quoi et de quelle manière le Père sera glorifié par le Fils. - Puisque vous lui avez donné autorité sur toute chair. Jésus tire une déduction du rôle qui lui a été confié relativement aux hommes. - vous lui avez donné : le temps passé marque un don qui a été accordé à tout jamais, cf. 3, 35. - Sur toute chair. La construction est extraordinaire, cf. Matth. 10, 1 ; Marc, 6, 7. Sur l’hébraïsme toute chair, pour désigner le genre humain tout entier envisagé au point de vue de ses infirmités et de son caractère périssable, comparez les passages Genèse 6, 12, 19 ; Ps. 64, 3 ; 164, 21 ; Isaïe 40, 5 ; 49, 26 ; 66, 16, 23 ; Jérémie 12, 12 ; 32, 25 ; 45, 5 ; Ézéchiel 20, 48 ; 21, 5 ; Joël, 2, 28, etc. Elle n’apparaît qu’en ce passage du quatrième évangile, où elle rappelle la catholicité du royaume de N.-S. Jésus‑Christ. - Afin qu’à : but pour lequel Dieu a donné au Verbe incarné un pouvoir si universel. - Tous ceux que vous lui avez donnés. Dans le texte grec, tous ceux est du genre neutre, ce qui appuie encore sur la totalité des pouvoirs de Jésus : les hommes, ses sujets, sont considérés comme formant une masse idéale. - Il donne. Notre‑Seigneur a reçu les hommes comme un tout ; il leur donne individuellement le salut, cf. 3, 6 ; 6, 37. Autre nuance : la puissance de Jésus‑Christ s’étendra sur toute chair, c’est une souveraineté aussi étendue que possible ; et pourtant, il ne communique la vie éternelle qu’avec une certaine réserve, seulement à ceux que le père lui a donnés. C’est qu’il y a des hommes qui, par leur faute, ne participeront pas au salut. - La vie éternelle : S. Jean mentionne bien souvent cette vie, cf. 3, 16 ; 5, 24, 47, 54 ; 13, 5, 12, etc.



Jean 17.3 Or, la vie éternelle, c'est qu'ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. -Or (en avant d’une manière très solennelle) la vie éternelle : « Voici en quoi consiste » cette vie. Jésus indique ce qu’il entend par là, afin de montrer par là-même quels rapports il existe entre elle et la glorification du Père et du Fils. - C’est qu’ils vous connaissent : La tendance, le but à réaliser. Il n’est pas question en cet endroit de la vision béatifique ; mais le verbe marque, comme nous l’avons si souvent répété, une science que l’on acquiert peu à peu, grâce à des efforts permanents ; et ici, d’une façon plus spéciale, une science basée sur la foi. - Vous le seul vrai Dieu : L’objet de cette connaissance est double : d’abord Dieu le Père, « l’unique vrai Dieu », le seul en qui se vérifie l’idéal contenu dans le mot, par opposition aux faux dieux du paganisme. - Et celui que vous avez envoyé : En second lieu, N.-S. Jésus‑Christ lui‑même… La vraie connaissance de Dieu est désormais chrétienne, et indissolublement unie à la connaissance de Jésus‑Christ. Les Ariens n’ont pas manqué de dire qu’en se distinguant ainsi de « l’unique vrai Dieu », Jésus renonçait par là même à revendiquer la nature divine. Pour les mieux réfuter, S. Augustin, S. Ambroise, S. Hilaire, S. Thomas, etc., ont eu recours à une inversion des mots : « L'ordre des paroles est celui‑ci : « Que vous et celui que vous avez envoyé, Jésus‑Christ, ils vous connaissent pour le seul vrai Dieu » (S. Augustin, Traité sur S. Jean, 105, 3). Mais il n’est pas nécessaire d’avoir recours à ce moyen, car la seule manière dont le Sauveur s’associe à Dieu dans tout ce passage démontre qu’il est Dieu lui‑même, cf. 1 Corinthiens 8, 6. - Jésus‑Christ : C’est le seul endroit où Notre‑Seigneur se désigne ainsi lui‑même par ce double nom (le nom de la personne et celui de l’emploi ; voyez notes sous Mth, 1, 16 et 21), qui devait être bientôt universellement adopté. - Sublime définition de la vie chrétienne : connaître Dieu et Jésus‑Christ, et aussi les goûter par l’amour en même temps que les connaître par la foi, car il ne s’agit pas seulement d’une science théorique et froide. S. Irénée, Contre les Hérésies 4, 20.



Jean 17.4 Je vous ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'œuvre que vous m'avez donnée à faire. - Jésus revient à la pensée par laquelle débutait sa prière (v. 1), et il montre, d’une part, (v. 4), comment il a glorifié son père, de l’autre (v. 5), comment son Père le glorifiera lui‑même. Toutefois, il se place à un autre point de vue, puisque en ce moment il envisage sa propre glorification comme le résultat du courageux accomplissement de sa tâche, tandis qu’aux vv. 1 et 2 elle lui apparaissait comme la préparation d’une mission à remplir. - Je vous ai glorifié. Plus haut (vv. 1 et 2) Jésus parlait de lui‑même d’une manière indirecte (« ton Fils ») ; maintenant il parle à la première personne (« moi »). - Sur la terre : par une vie de sacrifice et d’amour. Il est touchant de voir Notre‑Seigneur faisant ainsi valoir ses droits au triomphe de ciel. « Il demande à son Père sa glorification comme une récompense qui lui est due. Mais il l’avait déjà méritée en glorifiant son Père, et en accomplissant l’œuvre qu’il lui avait prescrite de faire. Il avait déjà fait ce qui dépendait de lui. Que le Père fasse donc qui dépend de lui, qu’il le glorifie. », Maldonat. - J’ai achevé l’œuvre. Tout le plan divin relatif à N.-S. Jésus‑Christ, à sa vie et à sa mort, cf. 4, 34. Ce plan est ici contemplé dans son unité admirable ; comparez 5, 36, où l’emploi du pluriel en exprimait les détails multiples. Le Rédempteur voit son œuvre, et aussi le but de cette œuvre, comme des choses actuellement achevées. - L’œuvre que vous m’avez donnée à faire, cf. 5, 36 et le commentaire. Jésus, en tant qu’homme, n’avait pas choisi, il avait simplement obéi à sa divinité.



Jean 17.5 Et maintenant à vous, Père, glorifiez-moi auprès de vous, de la gloire que j'avais auprès de vous, avant que le monde fût. - Et maintenant (solennel) : maintenant que mon rôle terrestre a pris fin, rôle de souffrance et d’humiliation. - Glorifiez-moi, auprès de vous. Les pronoms sont encore emphatiquement rapprochés, mais le second est le plus accentué : « A ton tour, en échange. » Et la douce appellation Père, vient insister avec vigueur. - Les mots auprès de vous‑même sont opposés à « sur la terre » du v. 4 : ils rappellent le majestueux prologue, 1, 1 - De la gloire que j’avais, ce qui marque la continuité perpétuelle de cette glorieuse possession. - Avant que le monde fût. C’est-à-dire, de toute éternité ; voyez la note de 1, 1. - Auprès de vous : au sein du père, avant l’Incarnation. Deux opinions se sont formées parmi les exégètes catholiques touchant cette requête de N.-S Jésus‑Christ. D’après les uns, c’est sa gloire même, de laquelle il avait été séparé par l’Incarnation (Philippiens 2, 6), que le Sauveur redemanderait ici. Suivant les autres, le privilège réclamé par Jésus ne concernait que sa nature humaine. « Illustre, exalte, glorifie cette mienne humanité de la gloire qui est digne du Fils de Dieu que je suis. Et fais en sorte que cette gloire que, en tant que Dieu, j’ai avec toi de toute éternité, se communique et s’étende à ma chair », Tolet, cf. S. Jean Chrysost. Nous préférons ce second sentiment. Ce ne sont toutefois que des nuances. Pour la réalisation de cette prière de l’Homme‑Dieu, comparez Philippiens 2, 9 ; 1 Timothée 3, 16 ; Hébreux 1, 8 et 13 ; 1 Pierre 2, 22.



Jean 17.6 J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du milieu du monde. Ils étaient à vous et vous me les avez donnés et ils ont gardé votre parole. - J’ai manifesté : j’ai rendu visible, cf. 1, 31 ; 2, 11 ; 7, 4 ; 21, 1. Ce verbe correspond à « je vous ai glorifié, j’ai accompli l’œuvre... » des versets précédents. - Votre nom aux hommes que vous m’avez donnés. Jésus n’a pas communiqué ses révélations célestes aux premiers venus d’entre les hommes, mais à ceux que son Père lui avait spécialement choisis, cf. vv. 9, 11, 22, 24. - Du milieu du monde, cf. 15, 16 et l’explication. Les apôtres aussi avaient appartenu au monde coupable. - Ils étaient à vous. Pas seulement d’une manière générale, comme tous les hommes, mais d’une façon très spéciale, à cause du choix dont ils avaient été l’objet. Jésus reviendra dans un instant (v. 9) sur ce trait, pour en faire un pressant motif de sa prière. - Et vous me les avez donnés : c’est au moment de cette donation que le Sauveur lui‑même avait élu les Douze pour ses apôtres, cf. 6, 70 ; 15, 16. Voyez aussi les passages 6, 37, 44, 66 ; 10, 29 ; 18, 9, qui nous montrent également le Père conduisant les hommes à son Christ, ou les lui donnant. - Et ils ont gardé votre parole. Cette parole ne diffère pas de celle du Fils, et est transmise par lui. « ils ont gardé », pour décrire une vigilante attention et un fidèle accomplissement dans le passé. Obéissance très méritoire, parce qu’elle était tout à fait libre, cf. 1, 11, 12 ; 3, 18, 19 ; 12, 47, 48, etc.



Jean 17.7 Ils savent à présent que tout ce que vous m'avez donné vient de vous, - Heureux effets produits chez les apôtres par l’acceptation obéissante de la parole de Dieu, vv. 7-8 - à présent : les choses étant ainsi. - Ils savent, littéralement : ils sont arrivés à connaître ; par conséquent, ils savent, cf. 5. 3 ; 5, 42 ; 6, 70 ; 8, 52, 55 ; 14, 9, etc. - Que tout (mot accentué) ce que vous m’avez donné… L’œuvre entière de la rédemption, considérée dans ses nombreux détails ; tout le ministère messianique du Seigneur Jésus. - Vient de vous. Notez l’emploi du présent : ces choses sont et demeurent divines.



Jean 17.8 car les paroles que vous m'avez données, je les leur ai données. Et ils les ont reçues et ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de vous et ils ont cru que c'est vous qui m'avez envoyé. - Car… De quelle manière les disciples sont parvenus à reconnaître que tout était divin dans leur Maître - Les paroles que vous m’avez données : au pluriel, alternant avec le singulier la parole comme en plusieurs autres endroits, cf. v. 6 ; v, 38, 47, etc. Ce sont ici les révélations en tant qu’elles tombaient une à une des lèvres du Sauveur. - Je les leur ai données, le père ne les lui avait données que pour qu’il les transmette aux hommes, et ils ont connu véritablement. - Ils ont vraiment reconnu. Adverbe emphatique : la foi des apôtres fut vive et solide, pas seulement à la surface. - Que je suis sorti de vous. Ces mots désignent l’origine divine de Jésus, cf. 16, 28. Les suivants, que c'est vous qui m'avez envoyé, se rapportent à son rôle de Messie. - Le changement des verbes ont connu d’abord, puis ont cru est à remarquer. Ayant reconnu, les apôtres crurent ; la science les conduisit à la loi. Nous avons trouvé l’ordre inverse au chap. 6, v. 70.









Jean 17.9 C'est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que vous m'avez donnés, parce qu'ils sont à vous. - Jésus passe à l’intercession proprement dite, vv. 9-19. Il expose en termes tout à la fois délicats et vigoureux le grand besoin qu’ils ont des secours divins. - Je : Ce majestueux pronom revient fréquemment dans les chapitres 14-17. - Prie pour eux. « eux » est aussi accentué. « C’est comme s’il disait : je prie pour ceux qui sont semblables à ceux que je viens de décrire », Maldonat. - Ce n’est pas pour le monde que je prie. Pour eux, et non pour le monde incrédule. Évidemment, on ne saurait entendre ces paroles d’un refus absolu de prier pour le monde, et leur sens a été souvent exagéré dans les applications mystiques qu’on en a faites. N.-S. Jésus‑Christ n’exclut pas le monde de ses supplications, pas plus qu’il ne l’exclut des mérites de sa mort. Il nous a recommandé de prier pour nos ennemis, Matth, 5, 44-45, et il n’a pas manqué de joindre l’exemple au précepte, Luc. 23, 34. Et même, dans un instant, il priera directement pour le monde (v. 23). Il emploie donc cette forme de langage afin de mieux caractériser, de mieux mettre sous les regards et sous l’affection du Père, ses disciples qui étaient l’objet spécial, exclusif, de sa supplication au moment actuel. Mon Père, regardez-les ; c’est uniquement sur eux que j’attire votre attention à l’heure présente. - Mais pour ceux que vous m’avez donnés. Ces mots encore sont fortement accentués. - Parce qu’ils sont à vous, cf. v. 6 et le commentaire. Quoique donnés à Jésus‑Christ, ils demeurent la propriété du Père, qui ne pourra moins faire que de bénir et protéger les siens.









Jean 17.10 Car tout ce qui est à moi est à vous et tout ce qui est à vous est à moi et que je suis glorifié en eux. - Tout ce qui est à moi est à vous. Quoique exprimée sous une forme générale, et par un neutre très significatif, cette pensée se rattache étroitement à la précédente, « ils sont à vous », v. 9. Jésus met en relief le premier motif pour lequel Dieu doit exaucer sa prière et secourir les apôtres : ceux‑ci n’appartiennent pas moins au Père qu’au Fils, tout étant commun entre les personnes divines. - Et tout ce qui est à vous est à moi, (simplement) : par réciprocité. L’énergie du langage est étonnante. - Et que je suis glorifié en eux. Autre motif d’une bienveillante écoute de la part du père : Jésus a été glorifié en eux. Comme ailleurs, le verbe au parfait dépeint la chose dans le domaine du passé, tant elle sera sûrement accomplie. Le Sauveur avait confiance en ses disciples, malgré la défaillance qu’il venait de prédire (16, 32). En réalité, ils l’ont glorifié de leur mieux, et ils demeurent des monuments à jamais vivants en son honneur.



Jean 17.11 Je ne suis plus dans le monde. Pour eux, ils sont dans le monde et moi, je vais à vous. Père saint, gardez dans votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils ne fassent qu'un, comme nous. - La prière du Sauveur devient de plus en plus touchante. Ses courtes phrases, qu’entrecoupe l’émotion, sont simples et grandioses. Après avoir dit à son Père que ses disciples méritaient sa divine protection, Jésus signale maintenant les circonstances qui la rendaient nécessaire. Voici qu’il va les quitter, les laissant seuls au milieu de nombreux dangers. - Je ne suis plus dans le monde. Il a eu si peu de temps à vivre, qu’il peut regarder son séjour sur la terre comme ayant déjà pris fin. - Pour eux, ils sont dans le monde. Eux, au contraire, ils demeurent dans ce monde hostile et corrompu ; car le moment n’est pas venu pour eux d’accompagner leur Maître, cf. 13, 33, 36-37, etc. - Et moi, je viens à vous. Sans doute, c’est bonheur et gloire pour Jésus de remonter au ciel ; mais son mode d’action sur ses apôtres sera nécessairement changé par la séparation. Remarquez les « et » et le « mais », qui juxtaposent et coordonnent simplement les propositions, à la manière hébraïque. - Père saint. Il y a dans cette appellation un argument très fort, quoique tacite, pour obtenir au groupe des douze apôtres une grâce spéciale de sanctification, cf. vv. 17 et 19. - Gardez. C’est la substance même de la prière qui apparaît enfin. Que Dieu, d’abord, préserve les apôtres de la contagion du monde ; que son regard paternel veille constamment sur eux. Eux‑mêmes n’ont‑ils pas « gardé » la parole du Père (v. 6) ? - Dans votre nom. Ce nom béni, par lequel Notre‑Seigneur avait protégé jusqu’alors ses disciples (v. 12), est envisagé ici comme un domaine sûr et sacré, dans lequel on vit à l’abri des pièges du monde. - Ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils ne fassent qu’un. (neutre énergétique, cf. 12, 30 et la note). Tel est le but en vue duquel le Sauveur demande spécialement la protection du Père sur les apôtres : qu’il y ait toujours entre les brebis du troupeau mystique, même après la disparition du berger, une sainte et parfaite harmonie, analogue à celle qui unit les personnes divines : comme nous. Jésus ne pouvait citer un plus admirable modèle d’unité, cf. v. 23. Le pronom « nous » ainsi employé est une revendication aussi forte que possible de l’identité de nature avec Dieu.



Jean 17.12 Lorsque j'étais avec eux, je les conservais dans votre nom. J'ai gardé ceux que vous m'avez donnés et aucun d'eux ne s'est perdu, hormis le fils de perdition, afin que l'Écriture fût accomplie. - Lorsque j’étais avec eux : Jésus continue de parler comme s’il avait déjà réellement quitté les siens : sa prière n’en est que plus pressante. - Je les conservais dans votre nom. L’imparfait marque une vigilance de tous les instants. - ceux que vous m'avez donnés, je les ai gardés : le verbe garder indique ici la protection qui résulte d’une garde vigilante. - Et aucun d’eux ne s’est perdu. C’est la conséquence heureuse de la garde, Jésus ayant une force divine pour défendre ce précieux dépôt. - hormis le fils de perdition. Triste exception pourtant, que le Sauveur mentionne avec une parfaite délicatesse, car il tait le nom du coupable. L’expression grecque n’est usitée que deux fois dans le Nouveau Testament : ici pour désigner Judas, et 2 Thessaloniciens 2, 3, pour désigner l’Antéchrist. C’est un hébraïsme, qui correspond à « celui qui s’est perdu ». - Afin que l’Écriture fût accomplie : Notre‑Seigneur fait allusion au Ps. 108, 8 « Qu’un autre prenne sa charge » (cf. Actes 1, 20) ; ou mieux encore, au Ps. 11, 10 : « Même l'ami, qui avait ma confiance et partageait mon pain, m'a frappé du talon ». Cette parole, prononcée tout d’abord par David au sujet de la trahison d’Achitophel, devait se réaliser surtout, d’après un sens supérieur et voulu par Dieu, dans la trahison de Judas. La ruine du traître est sa propre faute mais elle rentrait dans le plan divin.



Jean 17.13 Maintenant je vais à vous et je fais cette prière, pendant que je suis dans le monde, afin qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie. - Maintenant je vais à vous : le temps présent, à cause de la proximité de l’accomplissement. Jésus est en route pour le ciel. - Et je fais cette prière, pendant que je suis dans le monde. C'est-à-dire, la prière du v. 11, avant de quitter le monde. - Et le Sauveur formule sa demande ouvertement, en présence de ceux qu’elle concernait, dans une intention toute spéciale : dans la connaissance de son intercession toute‑puissante ils pourront puiser une consolation perpétuelle et parfaite. - Comme plus haut, 15, 11, les mots la plénitude de ma joie représentent la joie de N. -S Jésus‑Christ lui‑même. Le bon Maître souhaite donc que ses disciples jouissent, d’une manière complète, de son propre bonheur. La locution qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie est extrêmement énergique.



Jean 17.14 Je leur ai donné votre parole et le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. - Nouveaux motifs de la prière de Jésus en faveur du groupe des douze apôtres : il les accumule avec une force et une délicatesse inimitables. Il vient de dire à son Père (vv. 11-13) : Je vais quitter le monde ; protégez mes disciples qui y restent. Il continue (vv. 14-15). Ce monde impie et méchant les menace ; protégez-les. - Je leur ai donné votre parole, (au parfait), et ils ont accepté avec foi cette divine parole, cf. vv. 6 et 8. - Et le monde (antithèse avec « je ») les a haïs : Aussitôt le monde les a couverts de haine, parce qu’ils avaient adhéré à l’enseignement divin de Jésus. - Parce qu’ils ne sont pas du monde, cf. 15, 18-19. Le monde les a envisagés comme des apostats. - Comme moi-même, je ne suis pas du monde. Rapprochement bien louangeur, mais aussi tout à fait instructif pour les disciples : leur éloignement du monde devrait, s’il est possible, égaler celui de Jésus‑Christ.













Jean 17.15 Je ne vous demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du mal. - Après avoir fait valoir les principales raisons de sa demande « gardez-les » (v. 11), le Sauveur la réitère en la développant. - Je ne vous demande pas (cf. v. 9) de les enlever du monde. Une prompte mort, qui conduirait directement les apôtres au ciel, serait le plus simple et le plus sûr moyen de les préserver ; mais ce serait l’anéantissement du plan divin. Leur rôle consiste au contraire à demeurer dans le monde pour en être le sel et la lumière, pour le sauver. - Mais de les garder du mal, cf. 2 Thessaloniciens 3, 3 : « Le Seigneur, lui, est fidèle : il vous affermira et vous protégera du Mal ». Ici, ce qui est plus fort : que les apôtres soient préservés non seulement des attaques du monde, mais qu’ils ne mettent pas même le pied dans son domaine. « Mal » est‑il au neutre ou au masculin dans le texte grec ? Question difficile à résoudre et qui partage les commentateurs. Au neutre, il désignera l’empire du mal, le péché. Au masculin, il représentera le démon : interprétation plus conforme à l’usage que S. Jean fait de cette expression, cf. 1 Jean 2, 13 et ss. ; 3, 12 ; 5, 18, 19, etc.



Jean 17.16 Ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. - Répétition de la première moitié du v. 14, afin d’introduire une demande positive, « sanctifiez-les » (vv. 17-19), après la prière négative « les préserver » (vv. 14-15).



Jean 17.17 Sanctifiez-les dans la vérité : votre parole est la vérité. - Sanctifiez-les. Expression si belle. Néanmoins, les exégètes ne sont pas d’accord sur la signification précise qu’il faut lui donner en cet endroit. Les uns, à la suite de S. Augustin, de S. Cyrille, de S. Thomas, lui laissent le sens le plus ordinaire et le plus large : doter de la perfection morale. Mais ce qui convient très bien pour les disciples ne saurait s’appliquer à Jésus‑Christ lui‑même : plus bas (v. 19), quand le Sauveur dira qu’il se sanctifie pour les siens, une telle interprétation cesserait évidemment d’être exacte. Les autres (d’après S. Jean Chrysostome, Tolet, Maldonat, Luc de Bruges, etc.) prennent le mot « sanctifier » dans l’acception qu’il a en divers passages de l’Ancien Testament : mettre à part pour un ministère sacré, cf. Jérémie 1, 5 ; Ecclésiastique 49, 7 ; 2 Maccabées 1, 25. C’est le vrai sens, croyons‑nous ; il est confirmé par le passage Jean 10, 36 (voyez le commentaire), et il englobe évidemment la première interprétation lorsqu’il s’agit des disciples. « Sanctifiez-les » peut donc se paraphraser ainsi : Séparez-les en vue de leur rôle tout céleste, et munissez-les des grâces et des vertus nécessaires à son accomplissement. - Dans la vérité. Non pas « par la vérité », car la proposition grecque n’a pas ici le sens instrumental ; elle désigne l’élément dans lequel il faut que les apôtres soient placés pour que leur sanctification soit produite, et l’atmosphère de toute leur vie. - Votre parole (la parole qui est tienne) est la vérité… Jésus ajoute ces mots afin d’expliquer ce qu’il entendait par la vérité sanctificatrice : c’était l’ensemble de la révélation qu’il avait prêchée lui‑même, et que les disciples avaient reçue d’une manière si croyante, cf. vv. 6 et 8.



Jean 17.18 Comme vous m'avez envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde. - La mission confiée aux apôtres réclame absolument cette consécration divine. - Comme vous m’avez envoyé dans le monde : dans le dessein de sauver le monde. - je les ai aussi envoyés dans le monde. Quoique l’apostolat, dans le sens strict, n’ait commencé qu’après la résurrection, cf. 20, 21 ; Matth. 28, 19. Destinés eux aussi à convertir le monde, il est nécessaire qu’ils soient sanctifiés.

Jean 17.19 Et je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés en vérité. - La sanctification personnelle de Jésus‑Christ, autre motif qui exige celle des disciples. C’est une révélation toute sublime que nous trouvons dans ce verset, cf. 10, 6. - Et je me sanctifie moi‑même pour eux. Dans le texte grec, les pronoms « Je » et « moi‑même » relèvent l’activité, la spontanéité de la consécration de l’Homme‑Dieu ; il s’est séparé de tout pour se dévouer entièrement à son œuvre de rédemption. Bien plus, il s’est offert à son Père comme une victime d’agréable odeur, ce qui est la sanctification par excellence, cf. Hébreux 9, 14, S. Jean Chrysost., S. Cyrille, etc. Le verbe hébreu, employé si souvent dans l’Ancien Testament pour désigner les sacrifices, exprime très bien cette idée. - Afin qu'eux aussi soient sanctifiés en vérité ... Nous avons ici un commentaire des mots « pour eux » : Jésus montre qu’en réalité c’est pour les apôtres qu’il s’est sanctifié. Par sa généreuse oblation il voulait obtenir qu’ils fussent eux‑mêmes sanctifiés dans la vérité. Cette fois dans le texte grec « vérité » n’est pas précédé d’un article ; d’où beaucoup d’exégètes ont conclu que le sens n’est pas tout à fait le même qu’au v. 17. Ils traduisent : vraiment, véritablement ; par opposition à une sanctification apparente, extérieure. Mais c’est peut-être faire ici trop de cas de l’omission de l’article.



Jean 17.20 Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, par leur prédication, croiront en moi. - Je ne prie pas pour eux seulement. Les apôtres rappellent au Sauveur l’univers entier qu’il veut sauver par leur intermédiaire ; il étend donc naturellement ses mains sacerdotales sur toute l’Église pour la bénir. - Mais aussi pour ceux qui, par leur prédication, croiront en moi. Jésus a déjà sous les yeux, par anticipation, la multitude innombrable des chrétiens de l’avenir. - Par leur prédication : croyants, car ayant entendu, cf. Romains 10, 14 et s. La parole des apôtres ne devait pas différer de celle de Jésus, laquelle reproduisait celle de Dieu même, cf. v. 8. - En moi est très solennel à la fin de la phrase.



Jean 17.21 Pour que tous ils soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous, pour que, eux aussi, ils soient [un] en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé. - Notre‑Seigneur passe au premier objet spécial de sa prière pour l’Église ; il demande qu’elle soit fondée et qu’elle se maintienne dans une parfaite unité, vv. 21-23. - Pour que tous ils soient un ; L’adjectif grec est accentué : Tous, sans distinction de temps et de lieux. - Comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous. De nouveau (cf. v. 11), mais avec plus d’insistance, Notre‑Seigneur propose son Père et lui comme des modèles de l’union qui doit régner entre les disciples. Sur cette circuminsession divine, voyez 10, 38 et le commentaire. La Circumincession est un terme théologique, qui désigne l’existence des Personnes de la Sainte Trinité les unes dans les autres. Leur compénétration mutuelle est fondée sur l’unité d’essence. En Dieu, il y a trois Personnes mais Dieu est Un, Unique. Il n’y a pas trois dieux mais Un seul Dieu.] - pour que, eux aussi, ils soient [un] en nous ; « en nous » est le trait important. L’unité entre chrétiens, pour être durable, doit être appuyée sur Dieu et cimentée par lui. - afin que le monde croie que vous m'avez envoyé. Le monde est profondément désuni, car l’égoïsme, qui est à la base de toutes ses démarches, ne peut produire que la division et le schisme. L’admirable unité de l’Église sera pour lui un phénomène saisissant, dont il devra, malgré son incrédulité, faire remonter la cause jusqu’au divin fondateur du Christianisme. Voyez, dès les premiers jours de l’histoire ecclésiastique, la réalisation de cette parole : Actes 2, 46-47 ; 4, 32 ; 5, 11 et ss. ; 21, 20. Comparez aussi 1 Jean 1, 3. A côté de l’Église romaine toujours une, les fausses églises se divisent et s’émiettent chaque jour davantage.



Jean 17.22 Et je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient un, comme nous sommes un, moi en eux et vous en moi. - Et je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée. Le mot grec δόξαν (gloire) a reçu des interprétations très diverses : 1° D’après S. Jean Chrysostome, Euthymius, etc., il représenterait surtout le don de faire des miracles ; mais quel rapport y a‑t‑il entre un tel don et la demande afin qu’ils soient un ? 2° S. Cyrille, S. Hilaire, Luc de Bruges, Beelen, le P. Corluy l’appliquent à la sainte Eucharistie, envisagée comme centre d’unité, cf. 6, 57 ; 1 Corinthiens 16, 17. Sentiment qui plaît à première vue ; mais qui n’a aucun pas d’appui dans le contexte, bien plus, qui est réfuté par le contexte (« que vous m’avez donnée », et v. 24) 3° Pour S. Augustin et S. Thomas, cette gloire est celle que posséderont un jour nos corps ressuscités. On ne voit pas non plus quelle relation cela peut avoir avec l’unité dans le temps présent. 4° S. Ambroise, Jansénius de Gand, Tolet, Noël Alexandre, etc., croient que Jésus avait à la pensée la gloire de la filiation divine, qui a été communiquée aux chrétiens par adoption. Cela est préférable ; toutefois il nous paraît meilleur encore de dire : 5° qu’il s’agit de la gloire dont jouit le Christ lui‑même dans le ciel depuis son Ascension. Le v. 24 exige cette interprétation. Cette gloire, Jésus la possédait alors d’une manière anticipée (« que vous m’avez donnée »), et il annonce que déjà il l’a donnée à tous les vrais croyants : ceux‑ci, en effet, la possèdent en germe, dans l’espérance, en tant que corps du Christ, cohéritiers avec le Christ, cf. Romains 8, 17. - pour que, eux aussi, ils soient [un] en nous. Voilà bien ce qui créera l’unité complète entre les fidèles ; car ils ne forment ainsi qu’un seul corps, dont Jésus‑Christ ressuscité est le chef.



Jean 17.23 Afin qu'ils soient parfaitement un et que le monde connaisse que vous m'avez envoyé et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé. - Après avoir motivé sa demande d’union dans l’Église militante par la glorieuse perspective de l’unité parfaite qui régnera entre tous les membres de l’Église triomphante (v 22.), Jésus revient à la synthèse si noble du v. 21, qu’il réitère avec plus de vigueur. - Moi en eux, et vous en moi. La base de la sainte unité des croyants, c’est, d’une part, leur adhésion étroite à N.-S. Jésus‑Christ, en qui ils se retrouvent tous mêlés et confondus ; d’autre part, l’adhésion autrement étroite de Jésus‑Christ à Dieu. Jésus nous tient tous unis dans son cœur, et il nous porte tous au cœur de son Père. Il n’y a pas de plus complet idéal d’unité ; aussi le Sauveur ajoute‑t‑il : afin qu'ils soient parfaitement un. Le verbe grec est d’une rare énergie, presque intraduisible en français (au parfait : « qu’ils soient ayant été consommés, rendus parfaits ») ; avec mouvement : « vers une chose unique »), cf. 11, 52 ; 1 Jean 2, 5 ; 4, 12. - Le but final sera, comme au v. 21, et que le monde connaisse …Il y a pourtant ici une petite nuance dans l’expression : « connaisse » au lieu de « croie ». A côté de la foi, Notre‑Seigneur mentionne l’expérience personnelle du monde, une science sérieuse et solide formée peu à peu sur les points en question. - Car cette connaissance aura un double objet. 1° que vous m’avez envoyé (deux pronoms accentués) 2° et que vous les avez aimés. Il fallait en effet que Dieu aimât beaucoup le monde, pour lui envoyer, pour lui donner son Fils unique, cf. 1 Jean 3, 16. Mais les mots comme vous m’avez aimé mettent le comble à la charité de Dieu pour le monde, en le rapprochant de son amour pour Jésus‑Christ.



Jean 17.24 Père, ceux que vous m'avez donnés, je veux que là où je suis, ils y soient avec moi, afin qu'ils voient la gloire que vous m'avez donnée, parce que vous m'avez aimé avant la création du monde. -- Père. Encore l’appellation filiale, pour mieux toucher le cœur du Père. - Ceux que vous m’avez donnés. C’est un motif tacite que le Fils présente au Père. Jésus envisageait ici tous les fidèles présents et à venir comme une catégorie, avant de les considérer ensuite individuellement (« ils soient avec moi »). - Je veux. Un ordre, énergique au milieu d’une prière. parce que c’est la prière du Fils de Dieu. Jésus confie donc à son père sa volonté divine. Sur sa volonté humaine dans l’agonie du jardin, voyez Matth. 26, 39 et ss. - Que là où je suis (majestueux)… Telle est la clause finale de son testament : il lègue à tous les membres fidèles de son Église le ciel où il réside de toute l’éternité, le ciel où il se transporte par anticipation comme Fils de l’homme, car il y montera bientôt. - Ils y soient avec moi. (pronom également emphatique : Moi le chef, eux les membres). Voilà notre bienheureux terme, car N.-S. Jésus‑Christ ne veut pas se séparer de nous ; de même qu’entre amis dévoués on souhaite une union sans fin. - Afin qu’ils voient (au sens de contempler) ma gloire (« la gloire, la mienne », la gloire qui m’est propre). Jésus décrit ainsi en une ligne l’occupation et le bonheur des élus dans le ciel : contempler et contempler toujours sa gloire d’Homme‑Dieu (cf. v. 5, 22), et en jouir eux‑mêmes éternellement. Que vous m’avez donnée est encore une formule d’anticipation. - Parce que vous m’avez aimé … Pourquoi le Père a‑t‑il réservé une si grande gloire au Fils de l’homme ? A cause de l’amour éternel qu’il lui a porté. L’expression avant la création du monde revient à trois reprises sur les lèvres de Notre‑Seigneur dans les récits évangéliques : ici, Matth. 25, 34, et Luc. 11, 50. S. Pierre et S. Jean l’emploient de leur côté : 1 Pierre 1, 20 ; Apocalypse 13, 8 ; 17, 8. Comparez aussi Éphésiens 1, 4 ; Hébreux 4, 3 ; 9, 26 ; 11, 11. Deuxième demande du Sauveur pour son Église : la bienheureuse éternité. « Ce sera le dernier mot de l’Incarnation : l’Église attachée à Jésus‑Christ comme les soldats à leur chef, Jésus‑Christ uni à Dieu comme le Fils au père, enfin la création heureusement ramenée au créateur comme à son point de départ… C’est l’admirable réalisation du programme ainsi résumé par saint Paul : Ramener toutes choses à leur principe dans le Christ ; « nous sommes au Christ, et le Christ est à Dieu (Éphésiens 1. 10 ; 1 Corinthiens 3, 23). » Le Camus, La vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 3, p. 487.



Jean 17.25 Père juste, le monde ne vous a pas connu, mais moi, je vous ai connu et ceux-ci ont connu que c'est vous qui m'avez envoyé. - Ce verset et le suivant forment une admirable conclusion de toute la prière sacerdotale. Les idées dominantes sont répétées et groupées : l’incrédulité du monde, la foi d’un grand nombre, le rôle de Jésus‑Christ dans le passé et dans l’avenir, par‑dessus tout l’amour de Dieu et pour Dieu. - Père juste. Jésus a fait appel à la sainteté de son Père (v. 11) ; il invoque maintenant la divine justice. Que le Père soit juge entre son Christ et le monde, entre le monde et les disciples fidèles. - Le monde ne vous a pas connu. Ignorance si coupable. cf. 1, 18 ; 15, 21 et le commentaire. - Mais moi je vous ai connu. Jésus, au contraire, a connu le père adéquatement et de toute éternité. - Et ceux‑ci ont connu. Il en est d’autres aussi qui ont connu, quoique d’une manière moins parfaite : ce sont tous les vrais disciples de tous les temps. Notre‑Seigneur résume leur foi, comme en tant d’autres circonstances, dans le point essentiel qui comprend tous les autres : que c'est vous qui m'avez envoyé.



Jean 17.26 Et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître, afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux et que je sois moi aussi en eux." - Je leur ai fait connaître votre nom. C’est-à-dire, la nature, les attributs, les volontés de Dieu. Le Sauveur est heureux de redire, en terminant sa prière, tout ce qu’il a fait et veut faire encore pour la gloire de son père. - Et je le leur ferai connaître. Non par lui‑même, puisqu’il va quitter la terre, mais par l’intermédiaire du Saint Esprit, cf. 14, 20 et ss. ; Romains 5, 5, etc. Magnifique engagement que prend ici Jésus, comme pour toucher le cœur de Dieu par ce trait final et mériter plus sûrement les faveurs demandées. - Afin que l’amour dont vous m’avez aimé. Jésus ne se lasse pas de dire combien son père l’a aimé. Mais il ne se lasse pas non plus de souhaiter que Dieu daigne étendre son amour à tous les chrétiens. Il signale ici l’amour comme un résultat naturel de la connaissance. Connaître Dieu, c’est l’aimer et être aimé de lui ; mais « celui‑là n’aime pas qui ne connaît pas », 1 Jean 4, 8. - Soit en eux : demeure à tout jamais - Et que je sois moi aussi en eux. Jésus en nous, toujours en nous, de sorte que ce soit son image que le Père contemple dans chaque chrétien. Quelle suave conclusion de cette prière. Ah ! Si nous demeurions aussi toujours en lui!



CHAPITRE 18





Jean 18.1 Après avoir ainsi parlé, Jésus se rendit, accompagné de ses disciples, au-delà du torrent du Cédron, où il y avait un jardin, dans lequel il entra lui et ses disciples. - Ici commence, le récit de la Passion selon S. Jean. Pour le fond comme pour la forme, il ne présente aucune des contradictions que la critique rationaliste prétend y découvrir ; seulement, l’apôtre bien‑aimé choisit ici comme ailleurs, parmi les détails biographiques, ceux qui cadrent le mieux avec son plan, il glisse sur les autres ou les omet entièrement. Il insiste, selon la coutume, sur les idées qui jaillissent des faits, sur les détails psychologiques, sur les aspects spirituels. Il aime à représenter la Passion comme une glorification réelle de Jésus, comme un acte tout à fait volontaire de sa part, comme l’accomplissement d’un dessein providentiel concerté d’avance. - Jean 18, 1-11 = Matth. 26, 36-56 ; Marc 14, 32-52 ; Luc 22, 39-53 - Après avoir ainsi parlé. Aussitôt après avoir achevé sa divine prière, 17, 1-26. - Jésus se rendit. Il sortit du cénacle, selon les uns ; plus probablement de la ville, d’après l’interprétation que nous avons admise (voyez 24, 31 et l’explication), et qui a le contexte en sa faveur. La nuit devait être assez avancée ; mais tout porte à croire qu’il n’était pas encore minuit, d’après les règles qui prescrivent de ne pas prolonger le festin pascal jusqu’à cette heure. - Accompagné de ses disciples. Moins le traître, qui était alors à ses occupations sinistres, cf. 13, 27-30. - Au‑delà du torrent du Cédron. Cette note topographique est propre à S. Jean ; elle fixe très nettement la situation de Gethsémani. Du reste, le Cédron n’est mentionné en aucun autre endroit du Nouveau Testament. C’est à bon droit que le texte grec le caractérise par l’épithète « torrent d’hiver » ; car, s’il roule des eaux assez abondantes à la saison des pluies, son lit est à peu près entièrement à sec durant le reste de l’année. Josèphe aussi emploie cette expression, Ant. 8 1, 5, et de même les Septante dans leur traduction de 2 Samuel 15, 23 ; 2 Rois 23, 6 ; 1 Maccabées 12, 37, etc. Son nom Kidrôn dérive de la racine kadar, être noir, et équivaut par conséquent à « Niger » des Latins ; il provient sans doute des eaux troubles et bourbeuses charriées pendant l’hiver (cf. Job 6, 16). La vallée du Cédron prend son origine à quelques pas au‑dessous du tombeau des Juges, à une demi‑heure environ de la porte de Damas. D’abord large et peu profonde, et dirigée vers l’Est, elle incline brusquement au Sud pour longer à droite le mur oriental de Jérusalem, et à gauche le pied du mont des Oliviers. Peu à peu son talus devient très escarpé du côté de la ville ; elle s’enfonce et se rétrécit graduellement, présentant ça et là un aspect très pittoresque, et garnie de tombeaux sur les deux rives. Deux ponts la traversent : le premier auprès de la porte de S. Étienne et de Gethsémani, le second en face du tombeau d’Absalom. Rejointe au S.-E. de Jérusalem par une autre vallée célèbre, celle d’Hinnom, elle continue de descendre jusqu’au puits de Rogel. De là elle se dirige vers la mer Morte à travers un dédale inextricable de rochers. - Où il y avait un jardin. Le domaine de Gethsémani des synoptiques. De nombreux jardins et vergers ornaient autrefois la déclivité occidentale de la montagne des Oliviers. Les pères aiment à voir dans ce jardin la contrepartie du jardin d’Eden (Genèse 2, 8) qui avait été témoin de la chute des premiers hommes. « Il était juste que le sang du médecin soit répandu (allusion à Luc. 22, 44), à l’endroit même où avait débuté la maladie du malade », S. Augustin. - Dans lequel il entra… Sur l’agonie et ses détails, que S. Jean passe totalement sous silence, voyez les autres narrations. D’après Strauss et Keim, notre évangéliste aurait laissé à bon escient ce mystère dans l’ombre, parce qu’il le croyait incompatible avec la grandeur et l’impassibilité avec la grandeur et l’impassibilité qu’il attribue à son héros. Comme si le Christ du quatrième évangile différait de celui dont les trois premiers retracent le portrait.



Jean 18.2 Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y était souvent allé avec ses disciples. - Note rétrospective, destinée à servir de transition. Elle explique au lecteur pourquoi Judas, bien qu’alors absent, vint directement et sûrement chercher Jésus à Gethsémani. - Ces deux tournures marquent fort bien le caractère actuel de l’action. - Qui le trahissait. Nouvelle omission du narrateur, qui ne dit rien du marché honteux de Judas. - Connaissait aussi ce lieu. Non seulement le traître connaissait ce lieu, pour le motif qui va être indiqué ; il savait, en outre, qu’il conviendrait à merveille à l’exécution de son infâme projet. - Parce que Jésus y était souvent allé. S. Luc lui‑même nous fournit le commentaire : 21, 37 : « Or, pendant le jour, il enseignait dans le temple, et la nuit il sortait, et demeurait sur la montagne appelée des Oliviers ». - Avec ses disciples. Judas aussi était souvent entré dans le clos de Gethsémani.



Jean 18.3 Ayant donc pris la cohorte et des gardes fournis par les Pontifes et les Pharisiens, Judas y vint avec des lanternes, des torches et des armes. - Ayant donc : précisément parce qu’il connaissait la retraite habituelle de Jésus. Après des préliminaires généraux, nous avons le fait même de la trahison et de l’arrestation, exposé avec une assez longue série de détails nouveaux. - la cohorte. Ce mot technique est déjà une particularité de S. Jean ; les autres parlent seulement d’une multitude. Il désigne la cohorte que le procurateur romain conduisait toujours à Jérusalem pour la Pâque, afin de maintenir l’ordre. Elle était casernée dans la citadelle Antonia, qui occupait l’angle N.O. de l’esplanade du temple. Une cohorte, dans le sens strict, formait la dixième partie d’une légion et comprenait environ 600 hommes ; mais il ne saurait être question en cet endroit que d’un détachement plus ou moins considérable, à la tête duquel s’était d’ailleurs placé en personne le chef de la cohorte. C’étaient assurément les princes des prêtres eux‑mêmes qui avaient prié Pilate de leur prêter ainsi main forte. Il suffisait, pour le succès d’une semblable requête, de représenter Jésus comme un homme dangereux ; les Romains, en effet, vivaient au temps des fêtes dans une anxiété perpétuelle, à cause des émeutes renouvelées sans cesse, et ils ne demandaient pas mieux que d’en faire disparaître les auteurs possibles. Nous verrons plus loin que Pilate avait déjà reçu des informations au sujet de Jésus quand il le fit comparaître à sa barre. Voilà, dès cet instant, les païens associés aux Juifs comme instruments dans la passion de N.-S. Jésus‑Christ. - et des gardes fournis par les Pontifes et les Pharisiens : les gardes du Sanhédrin ou des hommes pris dans la police du temple n’étaient pas munis d’armes proprement dites, ni exercés militairement ; les Romains ne l’eussent pas permis. - Judas… y vint. Il est le chef sinistre de l’expédition. Il a directement les gardes sous ses ordres pour arrêter Jésus ; quant à la cohorte, elle n’est là que pour les assister en cas de besoin. - Avec des lanternes et des torches. Les lanternes étaient bien connues des anciens, et ressemblaient à peu près aux nôtres sous leurs différentes formes. Les torches étaient des torches ordinaires. Malgré la pleine lune de Pâque, ces luminaires étaient indispensables pour fouiller l’oliveraie et y découvrir Jésus ; ils faisaient au reste parti de l’équipement des soldats romains pendant la nuit. - Et des armes. Ces armes consistaient, d’après les synoptiques, en glaives (pour les Romains) et en bâtons (pour les valets du Sanhédrin). Quel étonnant déploiement de forces contre Jésus. Mais les ennemis de Notre‑Seigneur s’attendaient à une vive résistance de la part de ses disciples, alors si nombreux à Jérusalem : ils prennent tous les moyens capables de s’assurer le succès.



Jean 18.4 Alors Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s'avança et leur dit : "Qui cherchez-vous ?" - Scène dramatique (vv. 4-8) et complètement propre au quatrième évangile. - Alors Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver. Jésus connaissait, par sa science naturelle et divine, tous les détails de sa passion, cf. Matth. 26, 46 et parall. Jésus sait donc d’avance tout ce qui l’attend, et il accepte tout avec générosité, malgré les horribles souffrances qu’il prévoit. - s'avança. Il « sortit » soit du jardin même, soit de l’endroit retiré où il se trouvait alors, soit du cercle de ses disciples. - Et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ces détails font admirablement ressortir la noble majesté de Jésus, son courage invincible, la liberté avec laquelle il se livra de lui‑même entre les mains de ses ennemis. Il n’est pas arrêté par eux, c’est lui qui se constitue leur prisonnier. S’il a fui la royauté (6, 15), il ne fuira pas la mort. Origène mentionne, pour la combattre, l’odieuse et mensongère insinuation des Juifs, d’après laquelle le Sauveur aurait alors manqué de courage. - C’est ici la place du baiser de Judas ; ceux qui le renvoient à la fin du v. 8 n’ont pas remarqué qu’il perd alors toute sa signification, Jésus s’étend déjà fait connaître spontanément.



Jean 18.5 Ils lui répondirent : "Jésus de Nazareth.  Il leur dit : "Jésus de Nazareth, c'est moi." Or, Judas, qui le trahissait, était là avec eux. - Les gardes ne s’adressent pas directement à Notre‑Seigneur (C’est vous que nous cherchons), quoique plusieurs d’entre eux le connussent probablement de vue ; son apparition subite les avait vivement surpris. - Jésus de Nazareth. Ils emploient le nom populaire du Sauveur, cf. 1, 45. Quelques exégètes croient découvrir, dans la forme usitée ici‑même, une certaine teinte de mépris. - C’est moi, répond Jésus avec son noble calme et sa divine majesté. - Judas… était là. Par un de ces contraste saisissants dans lesquels il excelle, S. Jean nous montre (détail tragique qu’il n’avait pu oublier.) à côté de la figure majestueuse du Sauveur le masque satanique de Judas. - Avec eux. Deux troupes étaient donc en face l’une de l’autre à l’entrée du jardin ; le groupe des douze apôtres avec Jésus en tête, la bande commandée par Judas. Le traître, après son infâme baiser, s’était retiré vers les siens.



Jean 18.6 Lors donc que Jésus leur eut dit : "C'est moi," ils reculèrent et tombèrent par terre. - La scène qui suit eut lieu aussitôt après la réponse de N.-S. Jésus‑Christ, et en fut le résultat direct. - Ils reculèrent. Ce fut leur premier mouvement : ils reculèrent épouvantés. - Et tombèrent par terre. Second mouvement. Comme le dit si bien S. Léon le Grand, Sermons sur la Passion, 1, « Cette troupe formée des hommes les plus féroces, il l’a étendue sur le sol comme si elle avait été frappée par la foudre. Ils s’écroulèrent ces brigands menaçants et terribles ». Divers exégètes modernes, protestants ou rationalistes, traitent cet incident comme s’il était du domaine purement naturel, et ils se complaisent à rapprocher la terreur des agents de Judas des marques d’effroi manifestées subitement aussi par les assassins de Marius, d’Antoine, par les Gaulois en face des sénateurs romains, etc. C’est une erreur, car nous sommes visiblement en face d’un grand miracle ; miracle que le Sauveur était en quelque sorte tenu d’accomplir, pour manifester sa puissance en même temps qu’il allait accepter l’humiliation. S’il n’y avait eu qu’un saisissement momentané de la peur, il n’est pas croyable qu’il eût atteint toute la bande, même les prétoriens romains pour lesquels Jésus était un inconnu. Les anciens commentateurs n’ont jamais hésité à reconnaître le miracle, et de nombreux auteurs hétérodoxes ne peuvent s’empêcher de l’admettre à leur tour, même Strauss et M. Reuss, tant il ressort visiblement du texte. Nous avons rencontré déjà, 2, 15-16 ; 7, 46, et surtout Luc 4, 30, des effets analogues, quoique moins étonnants, produits par la majesté et la puissance surhumaine de N.-S. Jésus‑Christ.



Jean 18.7 Il leur demanda encore une fois : "Qui cherchez-vous ?" Et ils dirent : "Jésus de Nazareth." - Lion et agneau tout ensemble, Jésus réitère doucement sa question. Les sbires répondent eux‑mêmes dans les mêmes termes, mais évidemment avec moins d’arrogance que la première fois, car ils étaient à peine remis de leur frayeur.



Jean 18.8 Jésus répondit : "Je vous l'ai dit, c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci." - De nouveau le divin Maître se dénonce lui‑même et se livre librement entre les mains de ses ennemis. - Mais il ajoute aussitôt, dans sa tendre sollicitude pour ses amis « si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux‑ci ». Le pronom fut accompagné d’un geste qui désignait le groupe des douze apôtres rangé autour de Jésus. Voilà bien le bon berger, qui jusqu’à la fin, pense au salut de son troupeau.



Jean 18.9 Il dit cela, afin que fût accomplie la parole qu'il avait dite : "Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés." - S. Jean, comme S. Matthieu, se complaît à faire la philosophie de l’histoire du Sauveur. - La parole qu’il avait dite. Voyez 17, 12 ; c’était la seconde partie de la prière sacerdotale. - Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés. Plus haut, Notre‑Seigneur avait dit : « aucun d'eux ne s'est perdu » ; la citation n’est donc pas tout à fait littérale. En outre, il s’agissait alors avant tout d’une ruine spirituelle et morale, tandis que S. Jean parle directement ici d’une préservation matérielle et physique. Mais ceci était compris dans cela ; car les apôtres auraient été incapables actuellement de supporter la persécution et le danger, sans courir un grand risque de perdre la foi.



Jean 18.10 Alors Simon-Pierre, qui avait une épée, la tira et frappant le serviteur du grand prêtre, il lui coupa l'oreille droite : ce serviteur s'appelait Malchus. - Ce verset et le suivant racontent la courageuse mais intempestive intervention de S. Pierre, épisode commun aux quatre évangélistes. - Alors Simon‑Pierre. S. Jean a seul nommé le héros de l’incident ; on pense que les synoptiques s’étaient tenus sur la réserve pour ne pas compromettre S. Pierre, qui vivait encore au temps où ils écrivaient. - Qui avait une épée. Probablement l’un des deux glaives mentionnés par S. Luc, 23, 38. - Le serviteur du grand prêtre. Désigne peut être le serviteur particulier de Caïphe. Il est vraisemblable que cet homme se montrait plus ardent contre Jésus que les autres valets. - il lui coupa l’oreille droite : S. Luc aussi mentionne l’oreille droite. - Ce serviteur s’appelait Malchus. D’après M. Schegg, ce nom hébreu (mélach) signifie « sel » ; l’étymologie véritable est plutôt mélech, roi, comme le disait S. Jérôme : « Malchus, qui signifie, pour nous, en latin roi ». Ce nom était très fréquent alors, cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 1, 15, 1 ; 14, 5, 2 ; Guerre des Juifs 1, 8, 3, etc. On le prononçait Malchâ.



Jean 18.11 Mais Jésus dit à Pierre : "Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m'a donné ?" - Le Sauveur ne veut pas permettre que sa cause soit défendue par la violence, cf. Matth. 26, 52 et ss. - Ne boirai‑je pas le calice… S. Jean seul a conservé cette admirable parole, qui est un écho de l’agonie du jardin, cf. Marc 14, 36 et parall. Mais alors Jésus éprouvait une vive répugnance à boire la coupe d’amertume ; en ce moment il est prêt à la vider. - Que mon Père m’a donné : Le calice de la passion était déjà entre les mains de Jésus. La volonté du Christ doit être en parfaite conformité avec celle du Père, cf. 4, 34.



Jean 18.12 Alors la cohorte, le tribun et les gardes des Juifs se saisirent de Jésus et le lièrent. - cf. l’explication du v. 3. Cette énumération est imposante : Les différentes parties de la troupe qui accompagnait Judas se réunissent pour opérer l’arrestation. On comprend, après ce qui venait d’arriver, qu’ils aient cru devoir associer toutes leurs forces. - Jésus fut lié comme Isaac, disent les anciens écrivains ecclésiastiques, cf. Genèse 22, 9, et S. Méliton. S. Jean est seul à mentionner ici ce détail ; les synoptiques ne parlent qu’un peu plus loin des liens de N.-S. Jésus‑Christ, cf. Matth. 27, 2 et parall.



Jean 18.13 Ils l'emmenèrent d'abord chez Anne parce qu'il était beau-père de Caïphe, lequel était grand-prêtre cette année-là. - Ils l’emmenèrent d’abord chez Anne. Trait spécial, d’une grande importance pour l’histoire de la Passion. Au dire des rationalistes, ce serait une contradiction ; comme si S. Jean n’allait pas raconter, lui aussi, que Jésus eut à comparaître devant Caïphe. « D’abord » : par conséquent, au sortir de Gethsémani. Sur Anne, voyez commentaire de S. Luc 1. v.3. Peut-être, comme on l’a souvent conjecturé, habitait‑il le même palais que son gendre Caïphe, vers le sommet du mont Sion. - Car il était... S. Jean expose le motif pour lequel Jésus ne fut pas conduit immédiatement à Caïphe, le grand‑prêtre alors régnant, mais à l’ancien pontife. - Le beau‑père de Caïphe. Encore un trait propre au quatrième évangile. Caïphe avait d’excellentes raisons pour soumettre à son beau‑père l’affaire si grave qu’il voulait mener à bonne fin. Anne, qui avait lui‑même exercé de longues années le souverain pontificat, jouissait toujours d’une influence énorme sur toutes les classes de la nation ; c’était en outre un vieillard astucieux, intriguant, qui pouvait donner d’excellentes inspirations. - Sur l’expression qui était pontife cette année‑là, voyez 11, 49 et le commentaire.



Jean 18.14 Or, Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : "Il est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple." - Caïphe était celui… Note rétrospective qui nous ramène à 11, 50. - Qui avait donné ce conseil... Conseil tout ensemble cynique et prophétique, qui allait recevoir bientôt sa réalisation : voilà pourquoi S. Jean le mentionne de nouveau en cet endroit. Le narrateur se proposait peut-être, en même temps, d’insinuer la façon inique dont allait être dirigée une cause judiciaire qui avait un tel président. - Il est avantageux qu’un seul homme meure… Pendant l’audience préliminaire et simplement officieuse qui avait lieu chez Anne, le Sanhédrin, averti en toute hâte, se rassemblait chez Caïphe pour procéder officiellement. Mais jusqu’où s’étend, dans ce chapitre, le récit de l’audience préliminaire, et où commence l’interrogatoire de Jésus devant le Sanhédrin ? C’est là une de ces questions qu’il n’est pas possible de trancher avec certitude d’une manière plutôt que de l’autre. Au premier regard, et si nous n’avions pas les narrations parallèles des synoptiques, il ne semblerait pas douteux que S. Jean raconte, jusqu’à la fin du v. 23, la comparution de Notre‑Seigneur devant Anne, puisqu’il ajoute au v. 24 : « Anne l’envoya lié à Caïphe, le grand prêtre ». Et beaucoup de commentateurs anciens et modernes adoptent en effet ce sentiment. Toutefois, en étudiant plus attentivement le texte, et en le rapprochant des trois récits antérieurs, d’autres exégètes non moins nombreux et non moins savants (tels que S. Cyrille, Maldonat, Tolet, Jansénius, Noël Alexandre, Grotius, Lücke, de Wette, Tholuck, A. Maier, Langen, Bäumlein, Edersheim, Geikie, etc.) n’ont pas cru pouvoir prolonger l’audience chez Anne au‑delà du verset 14 : elle serait, suivant eux, simplement indiquée (v.13) et motivée (v.14), mais sans aucun détail. Leurs principaux arguments, qui nous ont toujours paru concluants, se ramènent à ces trois points : 1° Si les versets 15-23 se rapportent à Anne comme les deux précédents, il faudra dire que S. Jean est demeuré tout à fait muet sur la séance principale et officielle du procès religieux de Notre‑Seigneur ; or cela nous parait inadmissible. 2° Le titre de grand‑prêtre, qui désigne Caïphe au v.13, ne peut de même désigner que lui seul dans ce passage entier (vv. 13-23) ; par conséquent, c’est de Caïphe qu’il est question aux versets 15-19, et c’est Caïphe qui dirige l’interrogatoire des vv. 19-23. Toute autre conclusion ferait violence au texte. 3° La triple scène du reniement de S. Pierre se passa en entier chez Caïphe d’après les synoptiques ; la façon dont S. Jean raconte de son côté l’infidélité du prince des apôtres montre que les deux premières négations (vv. 15-18) eurent lieu dans un même local que la troisième (vv. 25-27), et il place formellement cette dernière dans la cour du palais de Caïphe : c’est donc pareillement chez Caïphe qu’il place l’interrogatoire des vv. 19-23. Assurément, le verset 24 nous est objecté par les partisans de l’opinion contraire ; on tâche de résoudre la difficulté réelle qu’il renferme, en admettant un oubli momentané du narrateur. Celui‑ci, arrivé à la fin de son récit, se souvenant qu’il n’avait pas mentionné le changement de lieux, l’aurait noté après coup, mais malheureusement de manière à créer une certaine obscurité sur la marche réelle des faits. Ainsi donc, nous croyons que notre évangéliste s’est borné à noter, sans aucun détail, la comparution de Jésus devant Anne, parce qu’elle fut entièrement privée, rapide, sans aucun caractère officiel, et qu’elle n’amena rien de décisif.



Jean 18.15 Cependant Simon-Pierre suivait Jésus, avec un autre disciple. Ce disciple, étant connu du grand-prêtre, entra avec Jésus dans la cour du grand-prêtre, - Jean 18, 15-18 = Matth. 26, 69-70 ; Marc 14, 66-68 ; Luc 22, 55-57. - Simon‑Pierre suivait Jésus. « à distance », ajoutent les synoptiques. - Avec un autre disciple. Quel était ce disciple dont nul apôtre évangéliste ne fait ici mention ? D’après l’opinion traditionnelle, qui est la plus communément admise, S. Jean se désigne lui‑même par cette locution modeste, cf. S. Jean Chrysost. Hom. 83, 2 sur Jean. Nous ne croyons pas le doute possible, car telle est bien la réserve habituelle de S. Jean quand il parle de sa propre personne, cf. 1, 40 ; 13, 23-25 ; 19, 26 ; 20, 2-8 ; 21, 20-24. Nous le trouvons d’ailleurs assez fréquemment associé à S. Pierre, cf. Luc 22, 8 ; Actes 3, 1 ; 4, 13 ; 8, 14. De plus, il est seul à mentionner le nom de Malchus, ce qui est en parfaite harmonie avec les lignes qui vont suivre. Aussi bien, est‑ce un singulier caprice que de vouloir substituer ici à Jean un autre disciple, par exemple son frère Jacques. Les onze apôtres avaient pris simultanément la fuite quand ils virent leur Maître arrêté ; S. Pierre et S. Jean, plus courageux et plus aimants, revinrent bientôt sur leurs pas, et suivirent le cortège jusqu’à la maison du grand‑prêtre. - Ce disciple étant connu… Tous ces détails encore et ceux du v. 16 sont propres au quatrième évangile. - Du grand prêtre. On ne saurait baser sur cette parenté prétendue de S. Jean et S. Jacques avec la famille pontificale, la coutume qu’ils auraient eue, au dire de plusieurs anciens auteurs de porter la plaque attachée à la mitre des grands prêtres juifs, cf. Polycr. ap. Euseb. Hist eccl.  5, 24 ; S. Epiph., Haer. 78, 14. Quand à la nature exacte des relations de S. Jean avec Caïphe, il est actuellement impossible de la déterminer. Du reste, chez les Juifs ancien, les différentes classes de la nation ne vivaient pas aussi à l’écart les unes des autres qu’elles le font dans notre société moderne. Notons aussi que, d’après 19, 27, S. Jean possédait peut-être une maison à Jérusalem. - Il entra avec Jésus. Connu du pontife, il l’était évidemment de ses serviteurs, qui le laissèrent entrer sans difficulté. - Dans la cour. Ces cours intérieures manquaient rarement dans les riches maisons ; voyez S. Matthieu, commentaire de 26, 3.



Jean 18.16 Mais Pierre était resté près de la porte, en dehors. L'autre disciple, qui était connu du grand-prêtre sortit donc, parla à la portière et fit entrer Pierre. - L’imparfait de la durée par opposition au prétérit de l’action (fit entrer Pierre). - Dehors, près de la porte. S. Pierre, qui ne connaissait aucun employé du palais, n’osa pas y pénétrer, ou fut arrêté par la portière. - Sortit donc. Encore un tableau bien vivant. Jean s’aperçoit que son ami n’est pas entré ; il en comprend aussitôt la cause, et il revient de la cour dans la rue pour lui prêter secours. - La portière, la femme qui gardait la porte. En Judée, comme ailleurs, la fonction de concierge était souvent confiée à des femmes, cf. 2 Samuel 4, 6, d’après les Septante ; Actes 12, 13 ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 7, 2, 1. - Elle permit alors à S. Pierre d’entrer dans la cour.



Jean 18.17 Cette servante, qui gardait la porte, dit à Pierre : "N'es-tu pas, toi aussi, des disciples de cet homme ?" Il dit : "Je n'en suis pas." - Ce fut, hélas. pour son malheur que S. Pierre obtint ce privilège. L’attention de la gardienne de la porte ayant été attirée sur lui par la médiation de S. Jean, elle lui demanda aussitôt avec hardiesse : N’es‑tu pas toi aussi... « Toi aussi », par allusion à l’autre disciple, dont les relations avec Jésus étaient connues. - Des disciples de cet homme est dédaigneux, cf. 9, 16, 24 ; 11, 47, etc. - Je n’en suis pas. Si brave il n’y a qu’un instant, Pierre a perdu toute sa fermeté, et cela sur la simple question d’une humble femme. « Cette colonne qui se croyait si ferme, la voilà ébranlée jusque dans ses fondements par le moindre souffle du vent », S. Augustin, Traité sur S. Jean, 113, 2. L’arrestation de son Maître l’avait profondément attristé, découragé. - Tandis qu’avait lieu ce court entretien, désastreux pour la fidélité de S. Pierre, S. Jean s’était probablement avancé dans l’appartement qui servait alors de salle d’audience, afin d’assister à l’interrogatoire de Jésus.





Jean 18.18 Les serviteurs et les gardes étaient rangés autour d'un brasier, parce qu'il faisait froid et ils se chauffaient. Pierre se tenait aussi avec eux et se chauffait. - Autre trait graphique. Les gens du pontife et du Sanhédrin se tenaient assis, d’après les narrations synoptiques ; c’est que, d’un moment à l’autre, ils avaient changé de position. Ces différences « sont d’une importance si minime, qu’il ne vaut pas la peine de les relever », dit fort bien M. Reuss. Il est vrai que tous les rationalistes ne sont pas aussi conciliants. - Les serviteurs et les gardes… La première de ces expressions désigne les serviteurs personnels de Caïphe ; la seconde, la police du Sanhédrin, cf. v. 3. Il n’est plus question des soldats romains que le tribun avait ramenés à la caserne après l’arrestation. Leur concours était actuellement inutile. - étaient rangés autour d'un brasier, un feu de charbons de bois, que les Orientaux allument dans un brasero pour se chauffer. Ce genre de feu produit peu de flammes, mais il donne une lueur rouge, éclatante, qui dessine nettement les traits de ceux qui se tiennent auprès. - Parce qu’il faisait froid. Il arrive assez fréquemment que les nuits d’avril sont froides en Palestine, et surtout à Jérusalem, dont l’altitude est élevée. - Pierre se tenait aussi avec eux. Lui aussi, il est tantôt assis, tantôt debout, comme l’entourage, cf. Matth. 26, 69.



Jean 18.19 Le grand-prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine. - Jean 18, 19-24 = Matth. 26, 57-66 ; Marc. 14, 53-54 ; Luc 22, 54. - Le récit nous ramène à N.-S. Jésus‑Christ, après l’interruption des vv. 15-18. Nous avons dit plus haut que le grand prêtre enquêteur est maintenant Caïphe, qu’entourait tout le grand Conseil rassemblé en toute hâte. - La première question du pontife portait sur deux points : ses disciples (leur nombre, leur condition, leur résidence, etc.) et sa doctrine (la substance générale de l’enseignement de Jésus). Elle était habilement posée et Caïphe était en droit d’espérer qu’il trouverait dans les réponses de Jésus de quoi formuler aussitôt contre lui une accusation officielle ; elle montre en outre que le grand prêtre connaissait dans le détail la vie et les habitudes du divin prévenu, sa manière de faire en tant que docteur.



Jean 18.20 Jésus lui répondit : "J'ai parlé ouvertement au monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent et je n'ai rien dit en secret. - Noble et ferme réponse du Christ (vv. 20-21) qui va se montrer si supérieur à son juge. Le Sauveur néglige à dessein la partie de l’interrogatoire relative aux disciples, et il ne s’occupe que de sa propre prédication. - Jésus relève le caractère complètement public de sa doctrine : il n’a pas instruit seulement quelques disciples en particulier, à la façon de presque tous les docteurs de ces temps, mais quiconque voulait l’entendre, sans exception. Voyez dans l’Évangile selon S. Matth. ce que nous avons écrit sur l’universalité de l’enseignement de N.-S. Jésus‑Christ. - J’ai toujours enseigné… Le Sauveur réitère la même pensée, en y ajoutant un nouveau détail. Sa prédication n’était pas moins publique et universelle sous le rapport des lieux où il se faisait entendre, que sous celui des auditeurs auxquels il s’adressait. - Dans la synagogue et dans le temple… Il n’y avait qu’un seul temple, celui de Jérusalem. Voyez la confirmation historique de cette assertion aux passages suivants : 5, 14 et ss. ; 6, 60 ; 7, 14 et ss. ; 8, 20 et ss. ; 10, 23 et ss. ; Luc 4, 16, etc. Quand Jésus avait prêché ailleurs que dans les synagogues ou sous les galeries du temple, il l’avait toujours fait au grand jour et ouvertement. - Où tous les Juifs s’assemblent. Les synagogues étaient alors en effet les locaux les plus publics de toute la Palestine. - Je n’ai rien dit en secret. C’est encore la même pensée, exprimée en termes négatifs : ce qui lui confère une plus grande force, en supprimant toute exception possible. Pourquoi Jésus eût‑il tenu sa doctrine cachée ? « La vérité ne rougit de rien sauf de la dissimulation », Tertullien. « Même ce qui semblait dit secrètement, d'une certaine façon n'était pas dit en secret ; car Jésus le disait, non pas afin que ceux à qui il parlait gardassent le silence, mais au contraire pour qu'ils le répandissent partout », S. Augustin d'Hippone Traité sur S. Jean 113, 3. Il n’était pas un conspirateur occulte, ni le chef d’une société secrète. N’avait‑il pas prescrit à ses disciples de crier sur tous les toits ce qu’ils entendaient dans le secret de l’oreille ? cf. Matth. 10, 27. Jésus était le premier Docteur qui recherchait ainsi la publicité, au lieu de la fuir soigneusement comme tant d’autres.



Jean 18.21 Pourquoi m'interroges-tu ? Demande à ceux qui m'ont entendu, ce que je leur ai dit, eux, ils savent ce que j'ai enseigné." - Jésus tire la conclusion du fait qu’il vient de signaler. - Demande à ceux qui m’ont entendu… L’argument est extrêmement fort. En pareil cas, les auditeurs ont beaucoup plus d’autorité et méritent plus de créance que l’orateur lui‑même, étant d’ordinaire moins intéressés que lui à ne pas dire la complète vérité. Sans compter qu’un grand nombre de ceux qui avaient entendu la parole du Sauveur étaient ses ennemis déclarés. - Ils savent ce que j’ai enseigné.







Jean 18.22 A ces mots, un des gardes qui se trouvait là, donna une gifle à Jésus, en disant : "Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ?" - Caïphe demeure muet, et qu’aurait‑il pu répondre ? Un des valets du Sanhédrin vint à son aide. - Donna une gifle. Le substantif grec désigna d’abord un coup frappé au moyen d’un bâton, puis, d’après l’usage classique, une gifle appliquée avec la main. On ne le trouve que trois fois dans l’évangile : ici, 19, 3 et Marc 14, 65. Cette cruelle insulte ne doit pas être confondue avec les outrages plus graves encore que Jésus eut à subir à la suite de la séance, cf. Matth. 26, 67-68 et parall. - Est‑ce ainsi que tu réponds… Le misérable prétend justifier son acte de violence. Selon lui, le Sauveur avait manqué de respect au grand prêtre et méritait un châtiment immédiat. Les Actes des apôtres, 23, 2, racontent une scène analogue, où l’on voit également peint sur le vif le servilisme et la brutalité de l’Orient. Toute la honte retombe sur les pontifes qui tolèrent, sans protester, de telles indignités.



Jean 18.23 Jésus lui répondit : "Si j'ai mal parlé, fais voir ce que j'ai dit de mal, mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?" - « Quoi de plus vrai, de plus doux et de plus juste que cette réponse ? », demande à bon droit S. Augustin, Traité sur S. Jean, 113, 4. C’est, sous la forme d’un dilemme irréfutable, une majestueuse et calme protestation de Notre‑Seigneur. - Si j’ai mal parlé. Il est probable que ces mots font plutôt allusion à la prédication entière de Jésus‑Christ, à sa « doctrine » (v.19), qu’à la réponse qu’il venait d’adresser à Caïphe. - Montre ce que j’ai dit de mal. Fournis à qui de droit les preuves réclamées par la loi ; en aucune hypothèse tu ne peux ainsi me frapper de ta propre autorité.

Jean 18.24 Anne avait envoyé Jésus lié à Caïphe, le grand-prêtre. - Voir plus haut (note du v.14) l’explication de ce passage. D’après notre opinion, la vraie place de ce verset serait après le 14ème. - Anne l’envoya lié… Jésus avait été garrotté au moment même de son arrestation, v.12. Peut-être lui avait‑on enlevé ses liens durant l’interrogatoire qu’Anne lui fit subir ; dans ce cas, on les lui remit pour le conduire au tribunal de Caïphe.



Jean 18.25 Or, Simon-Pierre était là, se chauffant. Ils lui dirent : "N'es-tu pas, toi aussi, de ses disciples ?" Il le nia et dit : "Je n'en suis pas." - Jean 18, 25-27 = Matth. 26, 71-75 ; Marc. 14, 69-72 ; Luc, 22, 58-62.- Nous revenons, par cette simple transition, au récit de la triste chute de S. Pierre, cf. vv. 15-18. - L’évangéliste nous le montre dans la même situation qu’alors, debout, et se chauffant. Frappant contraste entre le Maître et le disciple : celui‑là debout et enchaîné, celui‑ci se chauffant auprès d’un bon feu. - Ils lui dirent… La question est, à part une petite abréviation, identiquement la même qu’au v.17. La réponse est la même aussi.



Jean 18.26 Un des serviteurs du grand-prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l'oreille, lui dit : "Ne t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin ?" - Ce serviteur de Caïphe qui occasionna la troisième négation de S. Pierre est caractérisé par une circonstance spéciale : il était parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille. En raison même de sa parenté, il avait été plus attentif que les autres à l’incident dont Simon‑Pierre s’était fait le héros. (v.10) ; aussi son affirmation est‑elle plus précise et plus énergique. - Ne t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin… Il croit s’en souvenir ; c’est naguère, dans le jardin de Gethsémani, qu’il a vu son interlocuteur auprès de Jésus.



Jean 18.27 Pierre nia de nouveau et aussitôt le coq chanta. - C’est le troisième acte de ce drame. - Les quatre narrations insistent sur ce détail : le troisième reniement de S. Pierre fut immédiatement suivi du chant du coq. - En expliquant le passage parallèle de S. Matthieu, nous avons déjà indiqué le principe de solution au moyen duquel il est aisé de concilier les divergences que présentent les évangiles à propos de cet épisode. Le triple reniement de S. Pierre consiste non pas dans trois actes isolés, mais dans trois circonstances distinctes où l’apôtre renia plusieurs fois son Maître. Chacun des biographes du Sauveur a rapporté quelques unes des négations particulières : tout ce qu’ils disent est vrai ; il n’y a qu’à réunir les faits isolés qu’ils racontent, et l’on obtient un exposé complet, exact, mouvementé, photographie vivante de tout ce qui se passa. - Voici une ébauche de ce groupement. La première négation a lieu, ainsi que les suivantes, dans la cour (tous les récits), peu d’instant après que S. Pierre y avait pénétré (Jean, 18, 15). Le prince des apôtres est assis (Matth. 26, 69 ; Luc 22, 55) ou debout (Jean, 18, 18) auprès d’un feu de braise (S. Marc, S. Luc et S. Jean), qu’entourent les gens de Caïphe et du Sanhédrin (tous les récits), assis eux‑mêmes (S. Luc), ou debout (S. Jean). Une servante du grand prêtre (S. Matth., S. Marc et S. Luc), la portière même qui venait de lui ouvrir (S. Jean), demande à Pierre s’il n’est pas un disciple de Jésus, et il renie une première fois son Maître. Deuxième négation. Peu de temps après (S. Luc), l’apôtre infidèle, encore debout auprès du brasier (S. Jean), subit une interrogation analogue de la part de quelques‑uns des assistants, et il succombe avec la même faiblesse (S. Jean) : il fait alors un mouvement pour sortir ; auprès de la porte (S. Matth. et S. Marc) la même servante (S. Marc), auquel s’en adjoignit bientôt une autre (S. Matth.), certifie que Pierre est un partisan intime de Jésus. Il le nie. Un des serviteurs réitère la même assertion (S. Luc) ; Pierre nie encore. - Troisième négation. Une heure environ s’est écoulée depuis le second reniement (S. Luc) ; plusieurs serviteurs à la fois (S. Matth. et S. Marc), interpellant de nouveau le malheureux apôtre, assurent que sa prononciation le trahit malgré lui (S. Matth. et S. Marc). Un autre des assistants (S. Luc) répète que certainement Pierre est Galiléen et par conséquent disciple de Jésus (S. Luc). Enfin, le parent de Malchus se ressouvient de l’avoir vu dans le jardin (S. Jean) quand on arrêtait son Maître. A ces trois affirmations ; Simon‑Pierre répond par des reniements multipliés. - Tels sont les faits, groupés sans aucun artifices. Où est la contradiction ? L’harmonie ne se produit‑elle pas au contraire d’elle‑même, par une simple juxtaposition des textes ?



Jean 18.28 Ils conduisirent Jésus de chez Caïphe au prétoire : c'était le matin. Mais ils n'entrèrent pas eux-mêmes dans le prétoire, pour ne pas se souiller et afin de pouvoir manger la Pâque. - Jean 18, 28-32 = Matth. 27, 2 ; Marc 15, 1 ; Luc 23, 1-2b. - Ces mots se rattachent aux vv. 20 et ss. S. Jean condense les faits, sachant bien que ses lecteurs en connaissaient le détail par les évangiles antérieurs. - De chez Caïphe au prétoire. Du palais de Caïphe, situé sur la déclivité du mont Sion, à la citadelle Antonia où la tradition place la résidence temporaire de Pilate et de ses troupes, il n’y avait qu’une assez courte distance. Les Romains donnaient toujours le nom de prétoire au local occupé par un procurateur ou par un autre officier supérieur. S. Jean est seul à l’employer ici. - C’était le matin. Tout à fait à la première heure du jour, cf. Marc 15, 1 et Matth. 14, 25. A Rome et dans les provinces de l’empire, les affaires judiciaires se traitaient en effet « dès l’aurore » comme le dit Sénèque, De ira, 2, 7. - Ils n’entrèrent pas eux‑mêmes. Détail propre à S. Jean, comme tous les suivants jusqu’à la fin du v. 32. Le narrateur appuie sur le pronom « eux‑mêmes », opposant ainsi la victime à ses bourreaux juifs. Jésus, ayant été remis aux soldats romains, fut immédiatement conduit par eux dans l’intérieur du prétoire ; les Sanhédristes et la foule juive demeurèrent à la porte, dans la rue. - pour ne pas se souiller. Ils craignaient de contracter une souillure légale, en pénétrant dans une maison païenne qui contenait du pain fermenté et d’autres abominations, cf. Deutéronome 16, 4 ; Actes 10, 28 ; 11, 2, 3. Le cas est formellement prévu dans le Talmud, Obol. 18, 7 : « Les habitations des païens sont impures ». Ces consciences délicates ne craindront pourtant pas de se souiller en faisant condamner l’innocence même. « O aveuglement impie ! ils seraient souillés par la demeure d'un étranger, et ils ne le seraient pas par leur propre crime ! », S. Augustin Traité 114 sur S. Jean. - afin de pouvoir manger la Pâque. Ces mots fournissent l’une de leurs principales objections aux critiques ou commentateurs d’après lesquels N.-S. Jésus‑Christ aurait été crucifié le 14 nisan, veille de la Pâque, et non le 15, comme beaucoup d’autres exégètes l’affirment. D’après eux, en effet, « Pascha » serait synonyme d’agneau pascal, et c’est le soir du 14 que l’agneau était immolé et mangé. Mais leur supposition est erronée, car « Pascha » désigne ici les victimes que l’on sacrifiait et que l’on consommait dans la matinée du 15 nisan. Cela ressort nettement des passages Deutéronome 16, 2-3, 2 Chroniques 35, 7-9, et de divers textes rabbiniques qui les commentent. Dans ces passages, il est prescrit d’immoler sous le nom de « Pâque » du gros et du menu bétail ; or, comme le font remarquer les exégètes juifs, le gros bétail, c’est-à-dire les bœufs, les génisses, les veaux, étaient « in sacrificium Chaghigae ». Jamais un gros bétail n’aurait pu être employé comme agneau pascal. De plus, les victimes dites Chaghigae étant mangées vers midi, un impureté contractée le matin du même jour ne pouvait être lavée à temps pour participer à ce repas ; au contraire, s’il s’agissait de l’agneau pascal il n’y avait pas à s’inquiéter, vu que l’on avait jusqu’au soir pour se purifier. Le Talmud est formel là-dessus. « Une personne en deuil se lave et mange sa Pâque (l’agneau pascal, d’après le contexte) le soir », Pesach, c. 8. « Il y avait, à Jérusalem, des soldats qui ont pris un bain de purification et ont mangé leur Pâque le soir », Hieros. Pes. f. 36, 2.



Jean 18.29 Pilate sortit donc vers eux et dit : "Quelle accusation portez-vous contre cet homme ?" - Pilate sortit donc vers eux. Les Juifs refusant d’entrer dans le prétoire, Pilate fait cette concession à leurs scrupules religieux, et il vient lui‑même au devant d’eux. Voyez dans Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 16, 2, 3, et Guerre des Juifs 6, 6, 2, d’autres accommodations analogues des Romains aux usages des pays conquis. S. Jean introduit brusquement Pilate sur la scène, ainsi qu’il avait agi pour Marthe et Marie (11, 1), sans le caractériser en aucune façon : il le suppose connu de ses lecteurs. Voyez la note sous Matth. 27, 2. Le nom complet du procurateur était Pontius Pilatus. Pilate appartenait à l’ « ordo equester » ; c’est à l’influence de Séjan qu’il devait l’honneur de gouverner alors la Judée. Tacite rattache à son nom (Ann. 15, 44) l’acte lâche et criminel dont nous étudions en ce moment le détail : « Jésus, par le procurateur Ponce Pilate, avait été condamné à un supplice ». - Il sortit sur le perron extérieur du prétoire. - Quelle accusation portez-vous… Cette question préalable était parfaitement conforme au Droit romain, qui requérait une accusation positive et formelle. « Que personne ne soit condamné sans qu’on en ait indiqué la cause » ; ou encore : « S’il n’a pas été accusé un coupable ne peut pas être condamné ». Rome s’est toujours vantée de professer un grand respect pour la loi, et ses fonctionnaires, fussent‑ils sceptiques, arbitraires et cruels comme Pilate, partageaient d’ordinaire ce sentiment, cf. Actes 17, 6 ; 18, 12 ; 25, 6 ; Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 2, 9, 3 et 14, 8. - Pilate, depuis la veille au soir, avait pu prendre des informations au sujet de Jésus, et il ne lui avait pas été difficile de connaître que ce prétendu révolutionnaire était victime de la jalousie des hiérarques. Il procède donc froidement, comme un juge officiel auquel la cause était dévolue en dernier ressort. La conversation qu’il tint, soit avec les sanhédristes et la foule, soit avec le divin accusé, dut avoir lieu en grec, langue assez généralement connue en Palestine.



Jean 18.30 Ils lui répondirent : "Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré." - Les juifs sont pris au dépourvu par cette simple question. Ils espéraient emporter, sans la moindre difficulté, la confirmation de leur propre sentence ; ils redoutent maintenant une instruction qui pourrait bien se terminer par la libération de leur ennemi. Leur première réponse est évasive, embarrassée. - Si ce n’était pas un malfaiteur. C’est un gros mot qu’ils emploient là contre Jésus ; mais ce mot est si vague qu’il ne signifie rien dans la circonstance. La justice demande des délits bien déterminés. - Nous ne te l’aurions pas livré. Voyez le v. suivant et l’explication. Comme ils affectent de paraître fiers et froissés. Comme ils se réfugient derrière leur conscience et leur honneur. C’était une nécessité pour eux : « Au manque de preuves, ils ont voulu suppléer de leur propre autorité », Grotius ; car, s’ils le peuvent, ils feront de Pilate un simple instrument, « l’exécuteur d’une sentence, non l’arbitre d’une cause », dit S. Léon le Grand, Sermons sur la Passion, 2.



Jean 18.31 Pilate leur dit : "Prenez-le vous-mêmes et jugez-le selon votre loi. "Les Juifs lui répondirent : "Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort." : - Voyant leur embarras, et piqué à son tour qu’ils le prennent de si haut avec lui, le procurateur ne tombera pas dans ce piège grossier. Voyant qu’ils ne veulent formuler aucune accusation précise, il réplique : Prenez-le vous‑mêmes, et jugez-le selon votre loi. L’ironie de ces paroles saute aux yeux. Juger N.-S. Jésus‑Christ d’après la loi juive. mais ils venaient justement de le faire, et ils n’étaient alors au prétoire que pour obtenir la confirmation de leur sentence. C’était leur dire : Votre résistance est vaine, car il vous faut ma sanction pour agir, et je ne l’accorderai qu’à bon escient. Et pourtant les gouverneurs romains, Pilate surtout, n’étaient rien moins que scrupuleux en pareille matière, malgré le respect extérieur pour la loi qui a été signalée plus haut ; mais il est visible que Jésus avait déjà produit, par son seul aspect, une profonde impression sur le  procurateur, lequel mettra tout en œuvre, à partir de cet instant, ou pour apitoyer les Juifs sur leur victime, ou pour rejeter sur d’autres (Hérode, le Sanhédrin) la responsabilité et l’odieux de la condamnation à mort. Trois fois de suite, dans la narration de S. Jean, il insiste dans les termes les plus catégoriques sur l’innocence de Jésus : 18, 39 ; 19, 4 et 6. - Les Juifs lui répondirent… Confession bien humiliante pour ces Juifs orgueilleux. Ils avaient en effet perdu le « droit du glaive » depuis quelques années, le jour où Archélaüs avait été déposé et la Judée transformée en province romaine. On ne leur avait laissé que le droit illusoire de juger les causes qui touchaient à leur religion, d’excommunier et de fouetter les coupables. S’ils décrétaient la peine de mort, et ils avouent ici d’une manière indirecte que tel était le cas pour Jésus, la sentence ne devenait valable qu’après la ratification du gouverneur, et elle était mise à exécution par les soldats romains. Tout cela est historiquement certain, indépendamment même de ce passage ; aussi est‑ce à tort qu’on a voulu restreindre le sens du verbe mettre à mort, et l’entendre soit du crucifiement, soit de la peine capitale exécutée le jour de Pâque. Voyez les traités talmudiques Bab. Sanhedr. f. 24, 2 ; Bab Aboda sara, f. 8, 2 ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 20, 9, 1. La lapidation de S. Étienne (Actes 6, 9 - 7, 59) et la conjuration qui avait pour but la mort de S. Paul (Actes 23, 12 et ss.) ne prouvent rien contre cette thèse, car ce furent en réalité des assassinats accomplis sans aucune sentence préalable.



Jean 18.32 Afin que s'accomplît la parole que Jésus avait dite, lorsqu'il avait indiqué de quelle mort il devait mourir. - Jésus avait souvent prophétisé non‑seulement sa mort prochaine, mais même son genre de mort. S. Jean relève ici l’accomplissement de ces prédictions claires et multiples, cf. 3, 14 ; 8, 5 ; 10, 32 ; 12, 33 ; 21, 19 ; Matth. 21, 23 ; 22, 36 ; Luc 6, 32 ; 24, 19 etc. La redondance que Jésus avait dite appuie sur l’idée de la réalisation intégrale. - Lorsqu’il avait indiqué de quelle mort il devait mourir… c’est-à-dire sur la croix, ainsi qu’il l’avait annoncé en termes exprès. Si le Sanhédrin eût conservé tous les anciens privilèges, il aurait fait lapider N.-S Jésus‑Christ, comme un blasphémateur (cf. Lévitique 24, 14) ; mais il ne l’aurait pas crucifié, ce supplice était abhorré des Juifs. Sur l’importance du crucifiement pour le Christ, voyez Galates 3, 13 et ss. ; Éphésiens 2, 14 et s. ; Colossiens 2, 14 et s.



Jean 18.33 Pilate donc, étant rentré dans le prétoire, appela Jésus et lui dit : "Es-tu le roi des Juifs ?" - Jean 18, 33-38 = Matth. 26, 11-12 ; Marc 15, 2 ; Luc 23, 2-3. - C’est à cet endroit qu’il faut placer le trait raconté par S. Luc, 23, 2 : « Et ils commencèrent à l’accuser, en disant : Nous avons trouvé cet homme pervertissant notre nation, empêchant de payer le tribut à César, et se disant le Christ‑roi ». Persuadés maintenant que Pilate n’accédera pas sans preuves à leurs désirs sanguinaires, les hiérarques multiplient les accusations contre Jésus, en ayant soin de leur donner un air politique capable d’impressionner davantage le gouverneur. Plus tard seulement, 19, 7, ils mentionneront le grief religieux. - Pilate donc, étant rentré dans le prétoire. A cause de ce changement de tactique de la part des Juifs, Pilate va procéder à une enquête personnelle sur les faits qu’ils imputent à l’accusé ; il rentre « donc » dans l’intérieur du prétoire (quoique il y rentrât pour la première fois depuis le début de l’épisode), et il mande Jésus (cf 9, 18-24), que les soldats y avaient entraîné dès l’arrivée du sinistre cortège, v. 28.- Es‑tu le roi des Juifs ? Les quatre évangélistes signalent cette interrogation comme la première de celles que le procurateur adressa au Sauveur, cf. Matth. 27, 11 ; Marc 15, 2 ; Luc 23, 3. « Tu » marque un vif étonnement. Les apparences étaient à peu près toutes contre la royauté de Jésus : son costume était celui des artisans galiléens, il portait sur son visage les marques des récents outrages dont il avait été l’objet ; sa tenue majestueuse était pourtant celle d’un roi. L’expression « roi des Juifs » est caractéristique dans la bouche du païen Pilate ; les Mages l’avaient semblablement employée, Matth. 2, 1. Les juifs disaient : roi d’Israël, cf. 1, 50, etc.



Jean 18.34 Jésus répondit : "Dis-tu cela de toi-même, ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ?" - Jésus répondit. Formule d’introduction que nous retrouverons encore aux versets 36 et 37. Elle est très solennelle dans sa simplicité. Cette première réponse de Jésus à Pilate n’est citée que par S. Jean. Il est à remarquer qu’elle n’est ni négative, ni positive. Dire : « Non, je ne suis pas le Roi des Juifs », c’eût été mentir à la vérité ; dire : « Oui, je suis le Roi des Juif »s, c’était induire en erreur celui qui posait la question. Le Sauveur suit donc une voie intermédiaire, et il répond, comme il aimait à le faire, par une contre‑question. - Dis‑tu cela (que je suis le roi des Juifs) de toi‑même ? De ton propre mouvement, d’après tes connaissances personnelles. - Ou d’autres te l’ont‑ils dit… On le voit, Notre‑Seigneur tient à établir une importante distinction à propos de sa royauté. A quel point de vue se plaçait Pilate en lui demandant s’il était roi ? Il pouvait parler de lui‑même, et dans ce cas le mot « roi » avait sur ses lèvres païennes un sens purement politique ; il pouvait avoir été informé par « d’autres », c’est-à-dire par les Juifs, ennemis de Jésus, et alors il s’agissait d’un empire spirituel, religieux. Ce n’est qu’après la réplique du gouverneur que Jésus précisera nettement, v. 36, la vraie nature de son royaume.



Jean 18.35 Pilate répondit : "Est-ce que je suis Juif ? Ta nation et les chefs des prêtres t'ont livré à moi : qu'as-tu fait ?" - Pilate se montre blessé dans sa fierté romaine. Me prends‑tu donc pour un Juif, que tu me poses une telle question ? Que m’importent, à moi, vos affaires spécifiquement juives ? Cela revenait à dire : Évidemment, je n’ai pas parlé de mon propre chef. Mais quel dédain dans ce « Est‑ce que je suis Juif, moi ? » - Le gouverneur indique ensuite la source où il avait puisé ses renseignements : Ta nation et les chefs de ton peuple. Il ajoute : quel est ton crime, pour qu’ils t’aient ainsi livré, toi, leur compatriote, à moi, votre ennemi commun, en demandant ta mort ? Pilate se défie des accusateurs, et il en appelle au témoignage de ce majestueux accusé.



Jean 18.36 Jésus répondit : "Mon royaume n'est pas de ce monde, si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs, mais maintenant mon royaume n'est pas d'ici-bas." - Laissant de côté la première question du gouverneur (qu’as‑tu fait ?), Jésus revient sur celle qui concernait sa royauté personnelle, v. 35. Il avoue qu’il est roi, non toutefois dans le sens ordinaire et politique de ce nom (v. 36), mais au sens moral (v. 37). La réponse est concise, pleine de vigueur. - Mon royaume. Dans le texte grec : le royaume qui est mien, par opposition aux autres royautés purement terrestres. De même au verset suivant. - N’est pas de ce monde. La préposition « de » dénote l’origine, la source. Le royaume de Jésus ne tire donc pas son origine de ce monde profane, quoiqu’il ait ici‑bas son théâtre. Et le Sauveur donne de cela une preuve irréfragable, qui consiste en un fait d’expérience, rendu visible et palpable par la situation même où il se trouvait alors personnellement. - Si mon royaume était de ce monde. Dans ce cas, en effet, il aurait eu comme les autres rois ses légions, ses généraux, ses ministres fidèles, et ceux‑ci auraient certainement fait des efforts sérieux pour le délivrer, car le monde conserve ses royaumes par les luttes armées. - Mes serviteurs auraient combattu… Dans le texte grec le verbe indique, non un simple combat, mais des efforts violents et réitérés pour arriver à un but. - Pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Jésus ne prononce ce nom de Juifs que quatre fois, et toujours dans l’Évangile selon S. Jean. - Mais mon royaume n’est pas d’ici-bas. Répétition de la pensée initiale, avec la transition mais et la variante « d’ici ». Voyez un beau commentaire de ce verset dans S. Augustin, Traité 115 sur Jean, 2.



Jean 18.37 Pilate lui dit : "Tu es donc roi ?" Jésus répondit : "Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité : quiconque est de la vérité écoute ma voix." - Tu es donc roi ? Sur le ton d’une vive surprise, en appuyant sur le pronom. Toi ! roi ? De ce que tu dis, il résulte que tu es roi. Ou bien : Tu avoues donc que tu es roi. En accentuant d’une autre manière on obtiendrait cette nuance : Tu n’es certainement pas roi ? - Jésus répondit : avec une majesté de plus en plus incomparable. - Tu le dis, je suis roi. A son tour Jésus appuie sur le pronom. Oui, moi‑même tel que tu me vois, je suis roi. Il revendique clairement et virilement la dignité royale, quoique d’après une signification supérieure. La formule « tu le dis » revient souvent dans le Talmud comme une affirmation très expressive ; c’est contredire l’usage reçu et le contexte, que d’en faire ici une négation indirecte, comme si la pensée de Notre‑Seigneur eût été la suivante : C’est toi qui dis que je suis roi, pour moi je ne dis rien de semblable. - Jésus continue maintenant de caractériser la nature de sa royauté. Il est né, directement pour régner, et son règne a pour but la diffusion de la vérité. - Je suis né. Cette seconde expression est fréquente dans le quatrième évangile, cf. 1, 9 ; 9, 39 ; 11, 27 ; 16, 28. Appliquée à N.-S. Jésus‑Christ elle implique sa préexistence éternelle et sa mission divine. Je suis né se rapporte au fait de l’Incarnation, de la naissance humaine du Verbe ; et je suis venu désigne des manifestations extérieures. - Pour rendre témoignage. Tel était donc le rôle royal de Jésus : être le témoin, c’est-à-dire le « martyr » de la vérité. Il y fut constamment fidèle, et l’on a pas manqué de l’en féliciter en divers endroits du Nouveau Testament, cf. 2 Corinthiens 1, 20 ; Apocalypse 3, 14, et surtout 1 Timothée 6, 13, où S. Paul vante expressément la « bonne confession » que le Sauveur fit de la vérité au tribunal de Pilate. - A la vérité. Le Christ ne se contente pas de rendre témoignage concernant la vérité, il la maintient et la défend. Nous avons vu dans la Préface que les expressions « témoignage, vérité » sont chères à notre évangéliste. Voyez surtout les chap. 1, 3, 5, 8. - Quiconque est de la vérité. De quelle manière se recrute le royaume de Jésus ? Quels en sont les véritables sujets ? Tous les hommes, sans exception, peuvent en faire partie, car c’est un royaume universel ; à une condition toutefois, qu’ils tirent de la vérité leur vie et leur vigueur, condition qui est en harmonie intime avec le rôle de monarque lui‑même, cf. 3, 21 ; 7, 17 ; 8, 47, etc. - Nous pouvons rapprocher de ce passage une anecdote rabbinique : « Après que les membres de la grande synagogue eurent longtemps pleuré, prié, jeûné, un petit rouleau leur tomba du ciel, sur lequel on lisait : Vérité. Rabbi Chananieh dit alors : Apprenez par là que la vérité est le sceau du Seigneur ». Bab. Sanhed. f. 64, 1.



Jean 18.38 Pilate lui dit : "Qu'est-ce que la vérité ?" Ayant dit cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs et il leur dit : - Qu’est‑ce que la vérité ? Faut‑il prendre au sérieux sa question ? Non assurément ; il va montrer lui‑même, en se retirant aussitôt après l’avoir posée (v. 38b), qu’il ne ressentait pas la moindre soif de la vérité, et qu’il ne désirait aucune réponse. Était‑ce donc une pure plaisanterie, comme l’a dit Lord Bacon ? ou bien, ainsi que d’autres l’ont prétendu, soit un sarcasme, soit la réflexion d’un homme dissipé, blasé ? Nous ne le croyons pas. Il nous paraît plus exact d’y voir la saillie d’un homme d’affaires frivole, superficiel, dépourvu de convictions, qui lance au hasard, quoique avec une certaine bonhomie, une question des plus graves, et qui rompt brusquement la conversation pour passer à autre chose, n’ayant pas le temps de s’occuper de sujets si abstraits. La réponse que Pilate ne voulut pas recevoir de N.S. Jésus‑Christ, on a essayé de la donner sous différentes formes. « Qu’est‑ce que la vérité ? C’est l’homme qui est ici présent », dit l’anagramme spirituel qu’on attribue à Charles 1er d’Angleterre. Cornelius a Lapide a groupé d’assez nombreuses définitions de la vérité, empruntées aux auteurs sacrés et profanes ; nous renvoyons les lecteurs à son commentaire. - Il sortit de nouveau, cf. v. 29. C’était en effet la seconde fois que Pilate sortait du prétoire. - Pour aller vers les Juifs. Il avait évidemment le désir et l’espoir de sauver l’accusé. Une foule énorme s’était accumulée devant le portail de la citadelle ; le gouverneur essaiera de s’appuyer sur le sentiment populaire, qu’il croyait favorable à Jésus. - Et il leur dit. Petit discours des plus habiles, dans lequel, après avoir attesté l’innocence du prisonnier (v. 38b), Pilate proposera de lui appliquer l’amnistie d’usage (v. 39).



Jean 18.39 "Pour moi, je ne trouve aucun crime en lui. Mais c'est la coutume qu'à la fête de Pâque je vous délivre quelqu'un. Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ?" - Jean 18, 38-40 = Matth. 27, 15-23 ; Marc. 15, 6-14 ; Luc 23, 13-23. - Je ne trouve aucun crime en lui. L’Esprit Saint, qui avait révélé avec tant de soin le caractère virginal de la naissance du Christ, insiste fortement, comme nous l’avons déjà indiqué, sur l’innocence parfaite de Jésus. - aucun crime. Le mot grec correspondant n’est pas employé ailleurs par S. Jean. Il désigne une base légale d’accusation et de condamnation, cf. Matth. 27, 37 ; Marc 15, 26 ; Actes 13, 28 etc. - Ce que Pilate venait de dire était un acquittement réel. Si le gouverneur avait été conséquent avec lui‑même, il ne lui restait plus qu’à mettre immédiatement Jésus en liberté ; mais il n’eut pas le courage, parce que, tout en traitant les Juifs avec dédain, il craignait d’en faire des ennemis personnels trop ardents. Sa conviction de l’innocence de Jésus et ce sentiment d’effroi produisirent dans son âme un singulier mélange de force et de faiblesse, qui se traduisit en expédients multiples, mais stériles, pour sauver l’accusé. C’est la seconde de ces tentatives qui est racontée dans les vv. 39-40 ; la première avait consisté dans le renvoi de Notre‑Seigneur au tribunal du tétrarque Hérode. Luc 23, 6-12. - C’est la coutume… L’amnistie ne pouvait s’étendre qu’à un seul prisonnier, choisi par le peuple. - Qu'à la fête de Pâque je vous délivre quelqu'un . Les synoptiques ont l’expression générale « pour la fête » ; S. Jean seul mentionne le nom spécial. - Voulez-vous que… Pilate s’efforce visiblement de peser sur le choix de la foule, proposant lui‑même Jésus comme le prisonnier qui méritait le mieux de jouir du privilège en question ; car il comprenait très bien l’intrigue du Sanhédrin, cf. Matth. 27, 18. - Que je vous délivre le roi des Juifs ? Votre roi ! cf. Marc 15, 9, où le langage de Pilate est identiquement le même. Est‑ce par dérision que le procurateur appliquait un tel titre à Jésus ? Assurément ; mais il voulait se moquer du peuple, non de son prisonnier : sarcasme peu habile toutefois dans la circonstance, car, en agissant ainsi, « Dans une fournaise déjà brûlante, Pilate a comme jeté, sciemment, une goutte d’huile », Rupert de Deutz, h. l.



Jean 18.40 Alors tous crièrent de nouveau : "Non pas lui, mais Barabbas !" Or, Barabbas était un brigand. - Tous crièrent. Cri sinistre qui dut retentir de loin. Dans le texte grec, le verbe correspondant désigne des vociférations sauvages. S. Jean emploie assez souvent ce verbe (cf. 11, 43 ; 12, 13 ; 19, 6, 12, 15), qui n’apparaît qu’en deux autres passages du Nouveau Testament (Matth. 12, 19 ; Actes 22, 23). - De nouveau. Et pourtant aucun autre cri n’a été signalé dans la narration ; mais le biographe suppose de nouveau que le détail des faits est connu de ses lecteurs. Voyez S. Marc, 15, 8, et S. Luc, 22, 4-5, dont le récit est plus complet. - Non pas lui, mais Barabbas. Brièveté dramatique, qui rappelle la phrase « il faisait nuit » de 13, 30. Sur les antécédents de Barabbas, voyez les narrations de S. Marc et de S. Luc. Cet homme est appelé par S. Jean un « brigand », qui ne redoute ni la violence ni le meurtre, tandis que Judas n’était qu’un voleur vulgaire. - Barabbas fut relâché, Jésus garda ses chaînes. C’est ainsi que, par une étrange ironie du sort, les hiérarques juifs obtinrent l’élargissement d’un homme qui s’était précisément rendu coupable du crime politique dont il accusaient Jésus, la sédition… Ce que Jésus avait refusé de faire, prendre la direction d’un mouvement insurrectionnel contre Rome, Barabbas l’avait accompli.



CHAPITRE 19





Jean 19.1 Alors Pilate prit Jésus et le fit flageller. - Jean 19, 1-3 = Matth. 27, 24-30 ; Marc. 15, 15-19 ; Luc, 23, 24-25. - Alors. La transition logique habituelle. Pilate ayant échoué dans sa seconde tentative (18, 39-40) comme dans la première (Luc. 23, 6-12), il a recours cette fois à un moyen violent, dans l’espoir de susciter la pitié de la foule. - Pilate prit Jésus et le fit flageller. (par l’intermédiaire de ses soldats, comme pour « prit »). Voyez dans S. Luc, 23, 22, le singulier raisonnement que fit le gouverneur pour décréter ce supplice contre un accusé qu’il trouvait innocent. Il ressort de là et de l’ensemble du récit de S. Jean, que, dans la pensée du Pilate, la flagellation avait pour but de calmer le fanatisme des Juifs et d’arracher Jésus à la mort. Comme si l’on calmait les bêtes fauves en leur montrant du sang. Sur la cruauté de ce châtiment et sur le manière dont on l’infligeait, Voyez la note sous Matth., 27, 26.



Jean 19.2 Et les soldats ayant tressé une couronne d'épines, la mirent sur sa tête et le revêtirent d'un manteau de pourpre, - Et les soldats… Une soldatesque brutale ajoute encore à la barbarie du supplice légal, en inventant de grossières et cruelles insultes. Pilate laisse faire, toujours dans l’espoir d’assouvir ainsi la haine des Juifs et de sauver Jésus. C’était d’ailleurs une fréquente et atroce coutume de ces temps « Pour qu’à ceux qui périssent soient ajoutées des moqueries insultantes », Tacite, Ann. 15, 44. - Ayant tressé une couronne. Ils voulaient parodier les scènes d’une intronisation royale : c’est du « roi des Juifs » qu’ils pensent se moquer. - D’épines. Probablement le nabk ou nebek, aux rameaux si flexibles et aux épines si longues, si acérées. voyez la note sous Matthieu, 27, 29. - Et le revêtirent d'un manteau de pourpre. Le texte grec est encore plus pittoresque : ils jetèrent autour de lui... S. Matthieu est seul à signaler la nature exacte de ce vêtement, qui consistait en une chlamyde rouge de soldat, et non, comme les prédicateurs le répètent si souvent, en un « lambeau de pourpre ».



Jean 19.3 puis, s'approchant de lui, ils disaient : "Salut, roi des Juifs" et ils le giflaient. - Après ces préliminaires, vient la cérémonie proprement dite, non moins horrible. S. Matthieu et S. Marc la racontent d’une manière plus complète. - s'approchant de lui est néanmoins un trait propre à S. Jean, et tout à fait graphique ; on croirait voir ces mercenaires barbares s’avancer auprès de Jésus avec une gravité affectée. - Ils disaient : Salut… Ils fléchissaient en même temps le genou d’une manière ironique, Matth. 19, 3. - Et ils le giflaient. Expression propre à S. Jean, cf. 18, 22 et le commentaire. Incomparable patience de Jésus.



Jean 19.4 Pilate sortit encore une fois et dit aux Juifs : "Voici que je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime." - Pilate sortit encore une fois. Pour la troisième fois, cf. 18, 29, 38. - Voici que je vous l’amène dehors. Pilate présente ainsi lui‑même N.-S. Jésus‑Christ aux Juifs, attestant que, par cet acte de condescendance, il voulait les convaincre (afin que vous sachiez) qu’il était entièrement persuadé de l’innocence de l’accusé. Voyez plus haut, 18, 38, une phrase à peu près identique ; mais le fier Ἐγὼ (moi, je) du v. 38 est ici supprimé, et l’arrangement des mots rend la pensée un peu plus molle : on voit que le procurateur perd de son sang‑froid.



Jean 19.5 Jésus sortit donc, portant la couronne d'épines et le manteau d'écarlate et Pilate leur dit : "Voici l'homme." - Jésus sortit donc… Tout est douloureusement tragique dans ce passage, les expressions non moins que les faits. C’est une vivante peinture. - Portant la couronne d'épines et le manteau d'écarlate. La répétition de ces détails déjà connus est visiblement emphatique. Jésus couvert de blessures, de sang, de crachats (Matth. 27, 30 ; Marc. 15, 19), transformé par une troupe ignoble en caricature de roi, « non la gloire de l’empire mais le plus haut degré de l’opprobre » (S. Augustin, h. l. ). Les âmes affligées ont souvent trouvé la paix et la résignation dans ce divin tableau, les pécheurs y ont puisé le repentir, les peintres leurs inspirations les plus nobles (entre autres le Titien, le Guerchin, Mignard, Rembrandt). - Voici l’homme. Paroles de pitié, par lesquelles Pilate faisait appel aux sentiments d’humanité qui vibrent dans toute poitrine humaine. Même les plus cruels ennemis de Jésus devaient être, ce semble, pleinement satisfaits. « Si c'est au roi que vous portez envie, maintenant épargnez-le ; vous le voyez jeté à bas, il a été flagellé, couronné d'épines, revêtu d'un habit de théâtre ; il a été moqué, accablé d'outrages amers et souffleté : son ignominie est complète, que votre colère s'apaise » S. Augustin d'Hippone Traité sur S.Jean 116, 2. Dans la Jérusalem moderne, on montre aux pèlerins, tout auprès du couvent des Dames de Sion, l’arc de « l’Ecce homo », du haut duquel Pilate aurait ainsi montré N.-S. Jésus‑Christ aux Juifs. Son authenticité n’est pas certaine, bien que ce soit, sans aucun doute, un monument romain.





Jean 19.6 Lorsque les Princes des prêtres et les gardes le virent, ils s'écrièrent : "Crucifie-le ! Crucifie-le !" Pilate leur dit : "Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le, car, pour moi, je ne trouve aucun crime en lui." - Pilate se trompait étrangement. « Mais loin de s'apaiser, leur rage s'enflamme et prend de nouvelles proportions », continue S. Augustin. Ce n’est pas par de lâches concessions qu’on apaise les passions d’une foule irritée. - Les princes des prêtres et les gardes. Les hiérarques et leurs serviteurs prennent une initiative sanguinaire, pour être plus sûrs d’entraîner les masses qui les entouraient. - Ils s'écrièrent cf. 18, 40. - Crucifie-le ! Crucifie-le ! Répétition qui trahit toute l’énergie de leurs sentiments haineux. Voilà donc la réponse des Juifs aux demi‑mesures de Pilate : la vue de l’Homme de douleurs les surexcite au lieu de les adoucir. Il faut, pour les satisfaire, qu’on achève promptement l’œuvre commencée. - Pilate leur dit. Notez dans ces versets (5-7) la grande rapidité du dialogue. - Prenez-le vous‑mêmes. Paroles ironiques, que nous avons déjà vues précédemment sur les lèvres du gouverneur (18, 31). La suite contient un sarcasme encore plus amer (et crucifiez-le) ; car les Juifs avaient perdu le droit du glaive, et de plus, le crucifiement était pour eux un supplice illicite. - Car pour moi, je ne trouve aucun crime en lui... Voyez 18, 38, et 19, 4. Pilate motive ainsi le refus qu’il dissimulait malignement sous une concession apparente.

Jean 19.7 Les Juifs lui répondirent : "Nous avons une loi et, d'après notre loi, il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu." - Les Juifs lui répondirent... Ils avaient parfaitement compris que le gouverneur ne leur accordait qu’un droit illusoire, et pourtant il leur fallait sa sanction positive pour arriver à leurs fins : ils vont lancer une accusation nouvelle contre Jésus, dans l’espoir d’obtenir un décret de mort. L’hésitation de Pilate les rend eux‑mêmes plus hardis. - Nous avons une loi. « Nous » est emphatique. Les hiérarques font allusion à Lévitique 24, 16 et Deutéronome 18, 20 ; ils insinuent en même temps que Rome inspirait d’ordinaire à ses représentants dans les provinces un grand respect pour les lois des peuples conquis. - Et selon la loi il doit mourir. Derechef, quoique d’une autre manière (cf. 18, 30), ils veulent faire de Pilate le simple exécuteur de leur propre sentence. Ils déterminent par les mots suivants, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu, en quoi l’accusé a grièvement lésé la loi judaïque. Jésus s’étant proclamé Fils de Dieu, il est un blasphémateur, un sacrilège, crime puni de mort chez les Juifs. Comme ces hiérarques sont cruellement habiles, virant de bord selon les circonstances, passant d’une accusation religieuse (Matth. 26, 65 et ss.) à une accusation politique (Luc. 23, 2), pour revenir ensuite à un délit religieux (dans ce passage), et finalement à une nouvelle incrimination politique (verset 12). L’expression « il s’est fait » est très expressive. « Fils de Dieu » doit se prendre dans le sens strictement métaphysique, et pas comme synonyme de Messie ; car ils (les Juifs) avaient auparavant accusé en vain Jésus de se dire Christ roi et il est évident qu’ici ils poussent leur pointe plus avant.



Jean 19.8 Ayant entendu ces paroles, Pilate fut encore plus effrayé. - Ayant entendu ces paroles : cette nouvelle scène est en effet une conséquence de la nouvelle accusation portée contre Jésus. - Pilate fut encore plus effrayé. Affecté déjà très vivement par la céleste attitude de N.-S. Jésus‑Christ et par le songe de sa propre femme (cf. Matth. 27, 19), Pilate le fut beaucoup plus encore lorsqu’il eut entendu cette parole des Juifs, qu’il interpréta, bien entendu, d’après ses idées païennes. Si ce majestueux accusé était vraiment un être surhumain, le fils de quelque divinité, quelles terribles vengeances des dieux ne risquait‑on pas de s’attirer en prenant part à sa condamnation ? Comme le dit si bien le proverbe : Incrédule, crédule. Mais il y a loin de cette crainte superstitieuse du procurateur au sentiment que lui prête Tertullien quand il écrit : « Déjà chrétien par la connaissance intime qu’il avait de lui‑même ». Apol. 21.



Jean 19.9 Et rentrant dans le prétoire, il dit à Jésus : "D'où es-tu ?" Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. - Et rentrant dans le prétoire, cf. 18, 33. Dominé par cette impression, Pilate veut interroger de nouveau l’accusé. - D’où es‑tu ? La question est laissée à dessein dans un certain vague. Entendu à la façon ordinaire, « d’où » désignait la patrie terrestre de Jésus ; mais le gouverneur avait l’espoir de découvrir, dans les renseignements que le divin prisonnier lui donnerait sur son origine, quelques données sur sa véritable nature. - Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. A quoi bon répondre en pareil cas ? cf. Matth. 7, 6. Pilate aurait‑il donc compris ? La réponse antérieure, 18, 37, était d’ailleurs suffisante. Ce mélange admirable du silence de N.-S. Jésus‑Christ et de ses réponses marquées au coin de la sagesse céleste n’est pas un des côtés les moins beaux de sa Passion. Voyez sa conduite analogue devant le Sanhédrin, Matth. 26, 62-64, et chez Hérode, Luc. 23, 6-12. « Quand ne répondait pas, il se taisait comme une brebis (Isaïe 53, 7) ; quand il répondait, il enseignait comme un berger », S. Augustin d'Hippone, Traité sur S. Jean. 116, 5.











Jean 19.10 Pilate lui dit : "C'est à moi que tu ne parles pas ? Ignores-tu que j'ai le pouvoir de te délivrer et le pouvoir de te crucifier ?" - Pilate est froissé de ne recevoir aucune réponse. Dans cette réplique, formulée sur le ton du maître irresponsable, il fait valoir brutalement son autorité suprême pour intimider l’accusé. - C'est à moi que tu ne parles pas ? A moi, le premier personnage de la province ? - Ignores-tu que… Le gouverneur attire l’attention de Jésus sur les suites funestes d’une telle conduite. - J’ai le pouvoir, s’écrie‑t‑il fièrement à deux reprises, et il pose une double alternative, de te délivrer et le pouvoir de te crucifier ? D’une part, la liberté, de l’autre, le supplice infamant et cruel de la croix ; il finit par le châtiment pour produire plus d’effet.



Jean 19.11 Jésus répondit : "Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait pas été donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché." - Jésus répondit… C’est la dernière fois que le Sauveur adressera la parole au gouverneur. Comme il se met au‑dessus de ce juge superbe. Pilate ne parle que de son pouvoir : Jésus lui rappelle sa dépendance et sa responsabilité. Les rôles changent, et c’est le président du tribunal qui devient lui‑même l’accusé. - Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir. L’adjectif aucun contribue à renforcer l’idée. L’emploi du neutre s’il ne t'avait pas été donné produit un résultat identique. - D’en haut. C’est-à-dire : « par Dieu », cf. 3, 31. Les païens eux‑mêmes admettaient cette suprématie de Dieu dans les affaires humaines, bien qu’ils la nient si souvent dans la pratique. En réalité, le gouvernement du monde est une théocratie, car Dieu ne cessera jamais d’être le « roi des rois », la source de tout pouvoir humain, cf. 3, 27 ; Romains 13, 1-7. Les hommes ont beau faire, il n’abdiquera jamais, et même un juge despotique comme Pilate ne pouvait user de son autorité en dehors des plans providentiels. - C’est pourquoi : parce que le procurateur n’a pas une puissance absolue, indépendante, mais qu’il n’est, en cet instant même et relativement à Jésus, qu’un instrument entre les mains divines. Après avoir si publiquement affirmé, dans la première partie de sa réponse, la souveraine autorité de Dieu, Notre‑Seigneur insiste sur la responsabilité des juges de la terre. - Celui qui m’a livré à toi... Notre‑Seigneur faisait allusion à Caïphe, et non à Judas, en prononçant ces mots, car ce n’est pas Judas qui avait livré Jésus au gouverneur romain, cf. 18, 35. - a un plus grand péché. Voyez, sur le crime d’une majorité des membres du Sanhédrin, 15, 22 et 24. Après tant de miracles qui prouvaient la divinité de N.-S. Jésus‑Christ, après tant de lumières qu’ils avaient reçues de toutes manières, ne pas croire était déjà un énorme péché ; mais, en outre, ils avaient depuis longtemps tramé la mort de Jésus, et alors même ils mettaient tout en œuvre pour le faire condamner à un cruel supplice. Quant à Pilate, il était coupable aussi quoique moins grièvement : abusant de ses pouvoirs reçus d’en haut, il allait tolérer qu’on répandit le sang d’un innocent.



Jean 19.12 Dès ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. Mais les Juifs criaient disant : "Si tu le délivres, tu n'es pas ami de César, quiconque se fait roi, se déclare contre César." - Dès ce moment. D’autres donnent à ce mot la signification de « pour ce motif » (le syriaque, S. Augustin, Patrizi, Keil, Westcott, etc.), cf. 6, 66. Auparavant déjà Pilate avait fait plusieurs tentatives pour sauver Jésus, mais indirectement, mollement. On parle ici d’efforts suprêmes, plus directs, réitérés, comme l’exprime l’imparfait cherchait. La réponse du Sauveur (verset 11) l’a rendu plus anxieux que jamais, et il désirait vivement ne pas participer à sa condamnation. - Pilate cherchait à le délivrer. Que ne le faisait‑il de lui‑même, puisqu’il avait en cela de pleins pouvoirs ? - Mais les Juifs criaient... Mais (par contraste) les Juifs criaient. Eux aussi, ils redoublent d’efforts, de crainte que leur victime ne leur échappe. - Si tu le délivres… Leur haine intelligente va transformer, selon les besoins du moment, le délit religieux dont ils accusaient Notre‑Seigneur, en un crime politique. - Tu n’es pas l’ami de César. Connaissant l’ambition du procurateur, les Juifs le menacent ouvertement de la disgrâce de l’empereur, auprès duquel ils étaient tout disposés à le diffamer. Combien d’hommes plus courageux que Pilate sont tout à coup devenus lâches pour un semblable motif ? D’après Wetstein, h. l., « On disait que les légats, les procurateurs, les préfets et les conseillers étaient des amis de César » ; mais ce n’est pas à ce titre officiel que les hiérarques faisaient allusion. Relâcher le prisonnier, telle était leur pensée, serait de la part du gouverneur aller contre les intérêts de César et s’exposer à perdre prochainement les faveurs impériales, c'est-à-dire à perdre sa place. - Car quiconque… Ils vont développer leur assertion et en démontrer la vérité. - Se fait roi, comme c’était le cas pour Jésus, suivant eux. - Se déclare contre César. Se proclamer roi dans un royaume établi, organisé, c’est évidemment « contredire », et de la façon la plus grave, le souverain régnant ; c’est commettre le crime de lèse‑majesté. La « lex majestatis », ainsi qu’on la nommait à Rome, était alors maniée d’une manière extrêmement dure par Tibère, au dire de Suétone (Tiber., c. 58). « Le crime de lèse‑majesté était le complément de toutes les accusations », ajoute Tacite en parlant du même empereur (Ann. 3, 38). Aussi une simple accusation équivalait‑elle à un arrêt de mort. Les hiérarques savaient ce qu’ils disaient.



Jean 19.13 Pilate, ayant entendu ces paroles, fit conduire Jésus dehors et il s'assit sur son tribunal, au lieu appelé Lithostrotos et en hébreu Gabbatha. - Pilate, ayant entendu… Les détails deviennent de plus en plus nombreux, comme 18, 1-4 ; on sent que l’heure décisive est arrivée. Le gouverneur, intimidé par les dernières menaces des Juifs, semble avoir pris maintenant son parti. Cette fois, il ne leur adresse aucune réponse ; il se borne à quelques préparatifs solennels, avant de passer à la sentence. - Ces paroles : toutes les paroles antérieures des hiérarques avaient fortement agi sur Pilate. - fit conduire Jésus dehors. La loi romaine voulait que les arrêts de mort fussent proclamés de jour et d’un point surélevé. c. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 2, 14, 8. Le procurateur obéit à toutes ces formalités légales. - Et s’assit. Le verbe serait employé dans le sens actif d’après quelques exégètes (« il le fit asseoir »), conformément aux passages 1 Corinthiens 6, 4 ; Éphésiens 1, 20. Toutefois, contre cette interprétation nous pouvons alléguer que S. Jean prend toujours ce verbe dans le sens intransitif (cf. 8, 2 ; 12, 4 ; Apocalypse 3, 21 ; 20, 4). Voyez aussi Actes 12, 21 ; 25, 6, 17. - Sur son tribunal. Le manque d’article paraît indiquer qu’il s’agit non d’un tribunal fixe, mais d’une tribune improvisée, qui consistait en un escabeau et un fauteuil d’apparat. - Au lieu appelé Lithrostrotos. C’est le mot grec qui dérive de « lapis », « sterno », et qui signifie « mosaïques dont tous les fragments sont taillés en forme de cube ». Les mosaïques étaient alors fréquentes dans les riches maisons grecques et romaines, et Josèphe raconte, ce qui est plus intéressant pour nous, qu’à Jérusalem la colline du temple était pavée en mosaïque du côté de la citadelle Antonia, cf. Antiquités Judaïques, 5, 5, 2. - En hébreu (cf. 5, 2 ; 19, 17), Gabbatha. En lettres hébraïques, גבתא, avec la signification de « lieu élevé, estrade ». Le nom hébreu n’était donc pas l’équivalent du nom grec, mais il désignait le même local.

Jean 19.14 C'était la Préparation de la Pâque et environ la sixième heure. Pilate dit aux Juifs : "Voici votre roi." - La première moitié de ce verset contient deux indications chronologiques, destinées à conserver le souvenir d’un jour et d’une heure si importants pour le salut du monde ; mais ces indications ont donné lieu à des difficultés exégétiques. - C’était le jour de la préparation de la Pâque. Il faudrait entendre, suivant un grand nombre de commentateurs, la vigile de la Pâque, le jour où l’on faisait les derniers préparatifs en vue de célébrer la fête, par conséquent le 14 nisan. Et il suivrait de là que N.-S. Jésus‑Christ, d’après S. Jean, aurait été crucifié dans cette même journée du 14, et non le 15 comme nous l’avons admis. Mais c’est là une fausse déduction. Ainsi qu’on l’a souvent répété à la suite de Bochart, Hieroz., p. 567, « Les auteurs sacrés n’ont pas connu d’autre Parascève ou préparation que celle du sabbat ». En d’autres termes, le Nouveau Testament n’emploie ce nom de Parascève que pour désigner le vendredi, jour auquel les Juifs « préparaient » tout ce qui leur était nécessaire pour le sabbat, les aliments surtout. Cf verset 31 ; Marc. 15, 42, passage si explicite ; Luc. 23, 54. Cette dénomination n’aurait nullement convenu aux fêtes, attendu qu’elles ne rendaient pas tous les travaux illicites, et en particulier la préparation des repas. - Environ la sixième heure. S. Jean n’a pris soin de noter les heures qu’en cinq endroits de son évangile : 1, 39 ; 4, 6, 52 ; 11, 9 ; et ici même. Nous avons déjà dit que, « a priori » et selon toute vraisemblance, il a dû supputer les heures de la même manière que les autres évangélistes, entre six heures du matin et six heures du soir. Voyez la note sous Matth., 20, 3. Mais alors, « il se présente une grande difficulté », S. Augustin d'Hippone, Traité sur S. Jean, 116, 8. En effet, « à cause du témoignage de l’Évangile de Marc (15, 25) qui dit : « Il était la troisième heure et ils le crucifièrent » (ibid.). Et S. Jean ne se contredit‑il pas lui‑même ? Il nous a montré les Juifs amenant de très grand matin N.-S. Jésus‑Christ au prétoire (cf. XVIII, 25) ; or où trouver assez de faits dans sa narration pour remplir environ six heures ? Il y a plusieurs systèmes de conciliation. - 1° Le chiffre trois, dans S. Marc, serait une erreur de copiste ; Γ, le signe de 3, aurait été substitué à ς ou à F, les signes de 6. Telle était l’opinion d’Eusèbe de Césarée au 4ème siècle (cf. S. Jérôme, Brev. in Ps. 77). Rien n’est moins vraisemblable que cette opinion, qui a contre elle presque l’unanimité des manuscrits et des versions. - 2° D’après d’autres critiques (les PP. Patrizi, Corluy, etc.), c’est dans le texte de S. Jean qu’une erreur se serait glissée, sixième au lieu de troisième. Ils s’appuient sur les manuscrits D, L, X, Δ, etc., sur Nonnus et le Chronicon paschale ; mais également avec peu de probabilité, pour le motif déjà exprimé. - 3° Ainsi que s’exprime M. Godet, h. l. à cette époque, « on divisait en gros le jour, comme la nuit, en quatre portions de trois heures chacune. C’est ce qui explique pourquoi il n’est presque jamais fait mention, dans tout le Nouveau Testament, que des troisième, sixième et neuvième heure, et pourquoi aussi.. les expressions « A peu près, Environ », y sont si fréquentes (Matth. 27, 46 ; Luc, 23, 44 ; Jean 4, 6 ; 19, 14 ; Actes 10, 3, 9)… Il est certainement permis de prendre ici, soit chez S. Marc, soit chez S. Jean, des moyennes…. Comme la troisième heure de S. Marc peut s’étendre de 6 à 10 heures, la sixième de S. Jean comprend certainement de onze à midi ». Cela, et un autre développement qu’il serait trop long de citer, nous paraît plus subtil que réel. C’est prendre beaucoup trop de marge pour résoudre la difficulté. - 4° Le système le plus facile et le plus simple consiste à dire que S. Jean comptait les heures de minuit à minuit, comme nous le faisons nous‑mêmes. De la sorte, l’expression Environ la sixième heure désignerait environ 5 heures du matin. Wieseler, dans ses Beitraege, p. 252, allègue quelques faits pour démontrer qu’au temps de Strabon et de Pline ce mode de supputation s’était déjà répandu dans l’Asie‑Mineure, et son raisonnement à convaincu un certain nombre d’exégètes distingués, entre autres MM. Wosdsworth, Macclellan, Keil, Westcott, etc. Néanmoins, la démonstration nous paraît insuffisante pour ce qui concerne le quatrième évangile. Et puis, à six heures on ne faisait guère qu’introduire Jésus au prétoire, et où trouver, entre l’aube du jour et cette heure matinale, assez de temps pour placer tous les événements racontés par les évangélistes réunis. - 5° Reste donc le cinquième et dernier système, le plus difficile de tous, mais aussi le plus probable, que nous avons placé au début de cette petite dissertation. Nous pensons donc aujourd’hui, avec le plupart des commentateurs (quoique nous ayons adopté autrefois un autre sentiment ; Voyez la note sous Matthieu, 27, 45), que la numération de S. Jean est la même pour les heures du jour que celle des synoptiques, parce que nous ne voyons aucun motif suffisant de supposer le contraire. Pour établir l’harmonie avec S. Marc, nous nous réglons sur la particule environ, qui nous laisse quelque latitude ; d’ailleurs, comme on l’a remarqué, S. Marc n’étant pas toujours parfaitement exact pour les indications de temps, c’est en faveur de S. Jean qu’il faut trancher ici le différend (Schanz). - Voici votre roi, cf. verset 5. Là, Pilate était mû par un sentiment de pitié à l’égard de N.-S. Jésus‑Christ ; actuellement, il ne pense qu’à se moquer et à se venger des Juifs.



Jean 19.15 Mais ils se mirent à crier : "Qu'il meure ! Qu'il meure ! Crucifie-le !" Pilate leur dit : "Crucifierai-je votre roi ?" les Princes des prêtres répondirent : "Nous n'avons pas d’autre roi que César." - Mais (en réponse à l’ironie de Pilate) ils criaient : Qu'il meure ! Qu'il meure ! Crucifie‑le ! Cf. Luc. 23, 18. Ces cris barbares expriment leur rage haineuse, leur impatience d’en finir avec Jésus. - Pilate leur dit : Crucifierai‑je votre roi ? - Les princes des prêtres répondirent… Cet abîme de dégradation était réservé aux hiérarques. Les organes officiels de la théocratie proclament eux‑mêmes qu’ils ont déserté la foi par laquelle la nation avait vécu. Plutôt que de reconnaître le caractère messianique de Jésus, ils affirment publiquement qu’un empereur païen est leur roi. Telle est en effet la signification de leur cri : Nous n'avons pas d’autre roi que César. Ils renient tous leurs droits et privilèges théocratiques, leur Messie, leur religion, pour se déclarer de simples sujets de Tibère. « En repoussant la royauté de Jésus, ils s’asservissent à la puissance païenne. Ils rejettent le joug du Ciel, pour se charger d’un joug de chair et de sang.» (D. Mollat, s.j.). Dieu permit qu’ils subirent les conséquences de leur refus de la Vérité. Ils ont élu César pour leur roi ; c’est par César qu’ils ont été détruits, et cela pendant la fête de Pâque elle‑même.



Jean 19.16 Alors il le leur livra pour être crucifié. - Alors... A la bassesse des Juifs correspondit celle de Pilate. De part et d’autre il y eut un meurtre judiciaire. - Il le leur livra. S. Matthieu, S. Marc et S. Luc ont aussi une phrase à peu près identique. C’est aux Juifs que Pilate livra Jésus, la majorité des élites juives [et non tout le peuple juif] furent les vrais bourreaux de Notre Seigneur (« Ils extorquèrent des suffrages par la violence », dit énergiquement Tertullien, Apol. 21) : les soldats romains n’ont été que les exécuteurs matériels de la sentence. Mais Pilate aussi commit alors un suicide politique ; car il perdit plus tard sa place, à laquelle il avait sacrifié, malgré les réclamations de sa conscience, le sang d’un innocent. Voyez la note sous Matth., 27, 24.





Jean 19.17 Et ils prirent Jésus et l'emmenèrent. Jésus, portant sa croix, arriva hors de la ville au lieu nommé Calvaire, en Hébreu Golgotha, - Jean 19, 17-18 = Mth. 27, 31-35a Mc. 15, 20-24a Lc. 22, 26-34. - Et ils prirent Jésus. Cette phrase est corrélative de « il le leur livra » (verset 16a) ; le sujet du verbe est « princes des prêtres », du verset 15, quoiqu’en réalité les soldats romains soient désormais les acteurs immédiats, comme nous venons de le dire. - Et l’emmenèrent. Immédiatement, car, dans l’antiquité, l’exécution suivait de très près la sentence. - Jésus, portant sa croix. « Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice », Hébreux 12, 2. C’est un nouvel Isaac portant le bois de son sacrifice (Genèse 22, 6) ; et, coïncidence frappante, Jésus se chargea de la croix à l’endroit même où le fils unique d’Abraham déposa le bois de l’holocauste, au mont Moriah. Voyez, sur cette opinion antique, S. Méliton de Sardes. Sur la forme de la croix et la coutume barbare de faire porter au condamné l’instrument de son supplice, voyez commentaire Mth, 27, 32 et 35. - Arriva. Au verset 16, « emmenèrent » se rapportait à la sortie du prétoire ; « arriva » désigne le moment où le cortège funèbre traversa la porte de la ville, car Jésus « a souffert sa Passion à l’extérieur des portes de la ville » (Hébreux 13, 12), conformément aux coutumes juives et romaines. S. Jean omet les incidents relatifs à Simon de Cyrène et aux femmes de Jérusalem. Nous avons brièvement décrit le chemin de croix traditionnel dans la note sous Marc, 15, 21. - Au lieu nommé Calvaire (cf. Luc. 23, 33). Ce n’était alors qu’une élévation de terrain, qui devait son nom à la ressemblance générale qu’on lui avait trouvée avec le crâne humain. cf. commentaire S. Matth. 27, 33-34. - En hébreu Golgotha, cf. Matth. 27, 22 et le commentaire. Nous avons dit un mot, au même endroit, de la discussion qui s’est élevée touchant l’emplacement du Golgotha.

Jean 19.18 C'est là qu'ils le crucifièrent et deux autres avec lui, un de chaque côté et Jésus au milieu. - C'est là qu’ils le crucifièrent. Horrible et ignominieux supplice, dont nous avons exposé ailleurs les détails (Evang. selon S. Matthieu). On avait affreusement combiné toutes choses pour retarder la mort le plus possible, quoique en accumulant les souffrances. Nous ajouterons ce texte complet de Nonnus à ce que nous avons dit du nombre des clous : « Il a péri suspendu dans les airs par des clous de fer, et étendu par le quadruple lien de la mort survenue sur le bois ». - Et deux autres avec lui : deux malfaiteurs ordinaires, d’après les narrations synoptiques. « La même peine pour tous, mais pour des causes différentes », S. Augustin. - Un de chaque côté, à droite et à gauche de Jésus. L’expression grecque n’est employée qu’ici et Actes 22, 2. - Et Jésus au milieu. Contraste dramatique. La place d’honneur devenait, en semblable circonstance, une place de plus profonde humiliation. Isaïe avait prédit ce détail, 53, 12, cf. Luc. 22, 37.



Jean 19.19 Pilate fit aussi une inscription et la fit mettre au haut de la croix. Elle portait ces mots : "Jésus de Nazareth, le roi des Juifs." - Jean 19, 19-22 = Matth. 27, 37 ; Marc, 15, 26 ; Luc. 23, 38. - Pilate fit aussi une inscription. Il appartenait au gouverneur, en sa qualité de juge suprême, de composer lui‑même l’inscription qu’on attachait au sommet de la croix (cf. commentaire S. Matth. 27, 37) : Pilate profita de son droit pour se venger des hiérarques en les humiliant. Le procurateur écrivit l’inscription aussitôt après la condamnation, en même temps qu’on faisait les autres préparatifs du crucifiement. - Une inscription (sans article) : le nom technique chez les Romains. S. Jean est seul à l’employer. - et la fit mettre au haut de la croix : « au‑dessus de la tête de Jésus », Matth. 27, 37. - Elle portait ces mots : par un instinct divin singulier, il fallait que la royauté de N. S. Jésus‑Christ fût publiquement proclamée. Il meurt comme un criminel ; mais il est roi, et roi glorieux, et roi conquérant, même sur l’instrument de son supplice. - L’inscription, telle qu’elle est conservée par S. Jean, se compose de trois choses, savoir : le nom du divin supplicié, Jésus, sa patrie, de Nazareth ; le délit qui l’avait fait condamner, roi des Juifs. Voyez la note sous Luc, 23, 38, une comparaison entre les variantes de l’inscription d’après les quatre évangiles.



Jean 19.20 Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, car le lieu où Jésus avait été crucifié était près de la ville et l'inscription était en hébreu, en grec et en latin. - Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau. Ils le lurent à leur profonde confusion ; beaucoup de païens durent le lire aussi, et en profiter pour tourner en dérision les espérances des Juifs. - Était près de la ville… cf. Matth. 27, 33. Les peintres font d’ordinaire un contresens en plaçant Jérusalem dans le lointain. - l'inscription était en hébreu, en grec et en latin. La mention des trois langues est propre à S. Luc et à S. Jean. Les inscriptions en plusieurs idiomes n’étaient pas rares alors dans les provinces romaines ; elles étaient même une nécessité si l’on voulait que tout le monde puisse les lire, cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 14, 10, 2. S. Augustin écrit sur ce passage : « Ces trois langues dominaient ici toutes les autres : l’hébreu, à cause de son utilisation par les Juifs pour glorifier la loi Dieu ; le grec à cause des savants des païens ; le latin, à cause de la domination des Romains sur presque tous les peuples », Traité sur S. Jean, 117, 4, cf. Luc. 23, 38 et le commentaire.





Jean 19.21 Or, les princes des prêtres des Juifs dirent à Pilate : "Ne mets pas : Le roi des Juifs, mais que lui-même a dit : Je suis le roi des Juifs." - Les princes des prêtres des Juifs : expression remarquable, qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Les princes des prêtres ne durent pas se présenter en corps à Pilate ; ils lui envoyèrent une délégation. - Dirent à Pilate… L’imparfait dénote des réclamations énergiques et réitérées. - Ne mets pas le roi des Juifs … Humiliés de voir qu’un supplicié fût appelé, en face de tout le monde et d’une manière pour ainsi dire officielle, le roi de leur nation, ils proposent une modification dans le texte de l’inscription, mais que lui-même a dit : Je suis le roi des Juifs. Les hiérarques continuent jusqu’au bout leurs calomnies contre Jésus, essayant de le ranger parmi les faux Messies qui étaient alors si nombreux.



Jean 19.22 Pilate répondit : "Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit." - Pilate répondit. Lâche auparavant, Pilate refuse dans les termes les plus catégoriques d’obtempérer à cette demande. Il a cédé sur tout le reste, il se montre inflexible sur un petit détail, la Providence le permettant pour affirmer que Jésus « Le Seigneur a établi son règne par le bois ». Du reste, le procurateur savait qu’il n’avait en cela rien à craindre pour ses intérêts privés. - Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. Dans le grec, deux parfaits coup sur coup, le temps du fait accompli et sur lequel il n’y a plus à revenir.











Jean 19.23 Les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses vêtements et ils en firent quatre parts, une pour chacun d'eux. Ils prirent aussi sa tunique, c'était une tunique sans couture, d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas. - Jean 19, 23-24 = Matth. 27, 35-36 ; Marc. 15, 24 ; Luc. 23, 34. - Les soldats, après avoir crucifié Jésus... Après l’épisode rétrospectif des versets 19-22, l’évangéliste reprend l’histoire des derniers moments de N. S. Jésus‑Christ. Les détails qu’il a conservés sur le partage des vêtements sont neufs en grande partie, surtout ce qui concerne la sainte tunique. Les soldats désigne l’escouade de quatre soldats qui avaient rempli à l’égard de Jésus l’office de bourreaux (après avoir crucifié Jésus), cf. Actes 12, 4. - Prirent ses vêtements. En effet, « les condamnés sont crucifiés nus », disait la loi. Sur cette coutume et sur l’attribution des vêtements des crucifiés aux bourreaux, Voyez la note sous Matth., 27, 35. - Et en firent quatre parts. Vraisemblablement : le manteau, le voile qui servait à couvrir la tête, la ceinture, les sandales. La tunique sera mise à part, ainsi qu’on va le dire. - Une part pour chaque soldat. Le lot de chacun fut fixé par le sort, d’après les synoptiques. - C’était une tunique sans couture. Cette tunique sans couture, tissée d’une seule pièce comme celles des prêtres (d’après l’historien Josèphe), avec une ouverture en haut pour passer la tête, était sans doute l’œuvre de Marie, ou le présent d’une des saintes femmes qui pourvoyaient aux besoins de Jésus. On croit la conserver à Trèves. Voyez Rohault de Fleury, Les Instruments de la Passion, p. 250.











Jean 19.24 Ils se dirent donc entre eux : "Ne la déchirons pas, mais tirons au sort à qui elle sera", afin que s'accomplît cette parole de l'Écriture : "Ils se sont partagé mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort." C'est ce que firent les soldats. Ils se dirent donc entre eux ( à cause de la particularité qui vient d’être mentionnée) : Ne la déchirons pas, mais tirons au sort... La partager, c’eût été la détruire, et aucun des quatre ne voulait renoncer à ses droits sur elle. - afin que s’accomplît... Dans ce petit détail, l’évangéliste nous fait voir, selon sa coutume, l’accomplissement éclatant d’une ancienne prophétie de l’Esprit Saint. - Cette parole de l’Écriture. C’est le Psaume 21, verset 19, cité littéralement d’après la traduction des Septante. La citation se compose de deux membres de phrase, qui répètent la même idée avec une simple variante d’expressions, en vertu du parallélisme hébreu. - Premier membre de phrase : Ils se sont partagé mes vêtements. dans le texte grec, il s’agit des vêtements supérieurs, cf. verset 23. - Deuxième membre de phrase : et ils ont tiré ma tunique au sort. En hébreu, au singulier, le vêtement plus intérieur et proprement dit, la tunique. Ce second membre exprime une gradation évidente, soit dans le texte même de la prophétie, soit dans son accomplissement. - C’est ce que firent les soldats. Répétition solennelle, pour insister sur la pensée. Tandis que Jésus est suspendu à quatre blessures, comme dit Bossuet, et longtemps avant qu’il soit mort, les bourreaux s’approprient ses vêtements. - C’est à cet endroit qu’il faut placer les insultes grossières des Sanhédristes, et le touchant épisode du bon larron.









Jean 19.25 Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas et Marie-Madeleine. - Près de la croix de Jésus. D’après S. Marc, 15, 40, les saintes femmes « observaient de loin », tandis que S. Jean nous les montre debout au pied même de la croix. Est‑ce une antilogie réelle, ainsi que le prétendent les rationalistes ? Nous répondrons en citant l’adage : « Distingue les temps, et l’Écriture concordera ». Les deux narrateurs ne décrivent donc pas ce qui avait lieu en un seul et même instant : d’abord restés à quelque distance, les amis du Sauveur s’étaient rapprochés de sa croix. - Se tenaient. Grand contraste : le groupe des amis est ainsi opposé à celui des bourreaux (versets 23 et ss.). - Sa mère. Marie était là courageusement, souffrant toutes les angoisses prédites par le vieillard Siméon (Luc. 2, 35), dans l’attitude et les sentiments si admirablement exposés par l’auteur de la prière du « Stabat Mater ». - Et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas. Une discussion a été soulevée à propos de cette ligne. Faut‑il regarder Marie, femme de Cléophas, et la sœur de la Sainte Vierge comme deux personnes distinctes, ou doit‑on les identifier ? Quelques antiques versions (la Peschito, l’éthiopien, le persan) tranchent la question en insérant la conjonction « et » avant « Marie » ; mais elles sont contredites par tous les autres documents. La tradition les contredit aussi pour ce qui regarde le fait lui‑même, car elle admet très communément l’identité. Les partisans, aujourd’hui assez nombreux, de l’opinion contraire, objectent qu’alors il y aurait eu deux sœurs appelées Marie dans une même famille. On leur répond que cela s’est vu plus d’une fois, et qu’il est aisé d’établir quelque différence à l’aide d’un surnom ou d’une abréviation ; ou encore, mais avec moins de solidité, que la Sainte Vierge et Marie de Cléophas pouvaient bien n’être que de simples belles‑sœurs, ou des cousines germaines du côté paternel. La seconde Marie était la femme, et non la mère (Ewald) ou la sœur (Patrizi), ou la fille (Calmet) de Cléophas. Sur Cléophas lui‑même, ou Alphée (en hébreu Chalpaï), voyez l’explication de Matth. 10, 3. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 3, 11, fait de lui un frère de S. Joseph. La parenté de Marie de Cléophas avec la Sainte Vierge explique celle de son fils S. Jacques le Mineur avec N. S. Jésus‑Christ, cf. Galates 1, 19. - Et Marie‑Madeleine. La pieuse pénitente ne pouvait manquer à cette scène d’amour et de généreuse compassion. Les synoptiques parlent encore de Salomé, mère de S. Jacques le Majeur et de S. Jean, et de plusieurs autres saintes femmes, cf. Matth. 27, 56 ; Marc. 15, 40.



Jean 19.26 Jésus, ayant vu sa mère et auprès d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère : "Femme, voilà votre fils." - Ayant vu sa mère. Quel coup douloureux ce fut pour le cœur filial de Jésus. Mais de sa douleur même il fera naître une consolation pour sa mère. - Et auprès d’elle le disciple… Jean aussi se tenait fidèle, au poste d’honneur où l’avaient irrésistiblement conduit les saintes tendresses dont il était l’objet, et qu’il ressentait si vivement lui‑même. La formule « qu’il aimait » ne pouvait manquer ici, car elle explique, à elle seule, pourquoi Jésus confia sa mère à S. Jean de préférence à tout autre disciple, cf. 13, 22 et le commentaire. - Jésus dit à sa mère. C’est en quelque sorte son testament que N. S. Jésus‑Christ va faire. « Mais que peut‑il donner, nu, dépouillé comme il est, pauvre esclave qui n’a plus rien en son pouvoir dont il puisse disposer… ? De quelque côté qu’il tourne les yeux, Jésus ne voit plus rien qui lui appartienne. Je me trompe ; il voit Marie et S. Jean qui sont là pour lui dire : Nous sommes à vous. Voilà tout le bien qui lui reste ; il les donne l’un à l’autre. » Bossuet, Panégyrique de S. Jean, 2e partie. - Femme. Sur cette appellation, voyez 2, 4 et la note. C’est en faisant un énorme et inepte contresens que divers commentateurs incrédules ou hétérodoxes l’ont regardée comme un terme de froideur : Jésus, ajoutent‑ils, montrait ainsi à sa mère qu’il renonçait totalement à elle, pour se remettre entre les mains de son Père céleste. Mais d’autres ont su mieux comprendre, malgré leurs préjugés. « Au point de vue psychologique, écrit M. Reuss, h. l., rien n’est touchant comme ces paroles suprêmes, adressées à une mère éplorée et à un disciple chéri. ». Et J. P. Lange trouve à bon droit que le nom de « femme » convenait alors admirablement à celle qui fut la « femme idéale ». - Voilà (avec un double regard de ses yeux mourants, l’un sur Marie, l’autre sur S. Jean) votre fils. On renonce à commenter de si grandes choses. « Comme Jésus honore son disciple, en faisant de lui son propre frère. Tant il est bon de se tenir auprès de la croix, et de demeurer avec Jésus quand il souffre ». Théophylacte, h. l. Il est tout à fait évident, ainsi que des protestants même (Olshausen, Hengstenberg, etc.) le déduisent de cette scène, que Marie n’avait pas d’autres enfants ; autrement c’est à l’un d’eux que Jésus aurait confié sa mère. Mais combien de fils ne reçut‑elle pas avec S. Jean. « Dans la personne de saint Jean la Vierge Marie a reçu tous les élus, comme le testament de Jésus Christ mourant sur la croix ». Noël Alexandre, h. l. Et encore : « Il me semble qu’un grand mystère est exprimé dans cela : car il nous a tous recommandés au soin, à la protection et à l’intercession de la bienheureuse Vierge », Tolet. Nous aussi, nous sommes donc devenus au Calvaire les enfants de Marie et les frères de Jésus. L’exactitude exégétique demande néanmoins que nous ne regardions cette pensée que comme une touchante adaptation, qui n’est pas contenue dans le sens littéral et qui est relativement récente : pour autant que nous le sachions, on ne trouve chez aucun Père de l’Église avant Rupert (12ème siècle) cette proposition voulant que la Bienheureuse Vierge Marie ait alors enfanté à la vie tout le genre humain ; et que s’applique à tout disciple de Jésus ce qui a été dit à Jean. En conséquence, bien que cette proposition ne puisse provenir de l’évangile que par extension, elle est quand même digne d’un grand respect et d’une grande vénération.



Jean 19.27 Ensuite il dit au disciple : "Voilà votre mère." Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui. - Ensuite il dit au disciple : Voilà votre Mère. Parole qui correspond entièrement à la précédente, avec cette seule différence qu’il n’y a pas de titre préalable, corrélatif à « Femme ». Jésus avait donné à S. Pierre son Église, il donne sa mère à S. Jean. « Il a confié une mère vierge à un vierge », S. Jérôme, De vir. Illustr. Empruntons encore le secours de Bossuet, l. c. : « O Jean, je vous donne Marie, et je vous donne en même temps à Marie… Marie est à S. Jean, et S. Jean est à Marie… Tout ce que son amour avait de tendre et de respectueux pour sa mère vivra dans le cœur de Jean. Lui qui tourne les cœurs ainsi qu’il lui plaît, et dont la parole est toute‑puissante et opère en eux tout ce qu’il leur dit, il fait Marie mère de Jean et Jean fils de Marie. » Du reste, Marie devait déjà nourrir jusqu’à un certain point des sentiments maternels pour le disciple privilégié de son fils. Salomé, qui était, elle aussi, auprès de la croix (note du verset 24), dut éprouver de son côté une vive émotion en entendant les paroles de Jésus. - L’évangéliste ajoute un autre détail, pour montrer la réalisation du dernier désir de son Maître : Et, depuis cette heure-, le disciple la prit chez lui. Marie et Jean avaient été mis sous la protection l’un de l’autre ; mais, ainsi qu’il convenait, c’est le fils adoptif qui joue d’abord le principal rôle, en recevant la saint Vierge dans la maison qu’il occupait alors à Jérusalem. Il ne faut pas trop presser le sens des mots « à partir de cette heure », et en conclure que Marie et Jean quittèrent immédiatement la croix et le Calvaire. Il serait peu naturel qu’ils se fussent retirés avant le dernier soupir du Sauveur. - Quel doux et vivant souvenir pour l’apôtre bien‑aimé durant sa longue carrière. Sur la vie de la sainte Vierge à partir de la Passion, voyez Actes 1, 14. La tradition n’est pas unanime sur plusieurs points importants. D’après S. Épiphane, Haer 78, 11 (cf. Niceph. Histoire Ecclésiastique 2, 3), Marie aurait vécu onze années encore à Jérusalem avec S. Jean, et c’est là qu’elle se serait doucement endormie dans le Seigneur (on vénère son tombeau dans la vallée du Cédron, non loin de Gethsémani. Au contraire, la Lettre synodale du concile d’Éphèse assure qu’elle mourut, âgée de 72 ans, dans cette ville où elle aurait accompagné S. Jean (cf. Labbe, Conc. t. 3, p. 573).



Jean 19.28 Après cela, Jésus sachant que tout était maintenant accompli, afin que l'Écriture s'accomplît, dit : "J'ai soif." - Jean 19, 28-30 = Matth. 27, 45-50 ; Marc. 15, 33-37 ; Luc. 23, 44-46. - Après cela : Dans le grec, cela est au singulier ; par conséquent, aussitôt après avoir légué sa mère à S. Jean. - Jésus, sachant : par sa science divine, cf. 13, 1. - Que tout était maintenant accompli. Tout désigne toute l’œuvre messianique de Jésus. - Afin que l’Écriture s’accomplît. L’accomplissement concerne ici l’intégrale et complète réalisation des prophéties de l’Ancien Testament (l’Écriture) relatives au Messie. - Dit. C’est à ce verbe et non à « tout était accompli » que nous rattachons la phrase incidente « afin que l’Écriture s’accomplît ». En prononçant la parole J’ai soif, Jésus n’exhalait pas seulement une plainte arrachée par ses cruelles souffrances, mais il se proposait directement d’accomplir les anciennes prédictions qui spécifiaient la soif comme une partie intégrante de l’agonie du Christ, cf. Ps. 21, 16 ; 68, 22. C’est là en effet une des angoisses les plus intolérables des crucifiés : les rapports des médecins en font foi. - Tout est propre à S. Jean dans ce verset. Voir : La Passion de Jésus-Christ selon le Chirurgien, du Docteur Pierre Barbet, Paris, 2003, éditions MédiaPaul.



Jean 19.29 Il y avait là un vase plein de vinaigre, les soldats en remplirent une éponge et l'ayant fixée au bout d'une tige d'hysope, ils l'approchèrent de sa bouche. - Il y avait là un vase…Autre trait spécial. La description est pittoresque, cf. 2, 6. Le vase était là, tout près de la croix. - Plein de vinaigre. Par « vinaigre » il faut entendre la « posca », breuvage acidulé des soldats romains, cf. Luc. 23, 36. Il y en avait une provision pour les bourreaux et les sentinelles. - Les soldats en remplirent une éponge et l'ayant fixée… Notre évangéliste expose en termes graphiques, comme S. Matthieu et comme S. Marc, la manière dont on s’y prit pour humecter les lèvres brûlantes de Jésus. Il emploie le pluriel, tandis que les deux autres narrateurs attribuent plus exactement ce trait de compassion à un seul des assistants. - au bout d'une tige d'hysope. La mention de l’hysope est une particularité de S. Jean (S. Matthieu et S. Marc parlent vaguement d’un roseau). Cette plante, d’après l’opinion la plus probable, appartient à la famille des Labiées, au genre « Origanum ». La tige est à peine longue de 30 à 50 centimètres ; ce qui suffisait d’ailleurs pour le but proposé, les croix étant d’ordinaire peu élevées. - ils l’approchèrent de sa bouche. S. Matthieu et S. Marc ajoutent le trait d’ironie cruelle qui eut pour occasion la parole de Notre‑Seigneur : « Eli, Eli… ».







Jean 19.30 Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : "Tout est accompli" et baissant la tête, il rendit l'esprit. - Quand Jésus eut pris le vinaigre. Détail spécial. Jésus avait refusé le breuvage narcotique qu’on lui avait offert avant de l’attacher à la croix (cf. Matth. 28, 34 et le commentaire) ; il accepte au contraire ce dernier rafraîchissement. - Il dit : Tout est accompli, cf. Ps. 30, 6. Accompli comme plus haut. Cette parole était dans le cœur de Jésus (v. 28). Maintenant il l’exprime par la bouche. Dans sa brièveté cette formule embrasse toute l’œuvre de N.-S. Jésus‑Christ, prédite par les prophéties et les figures de l’Ancien Testament, puis réalisée si adéquatement par lui. C’est tout ensemble un cri d’obéissance et de triomphe. - Et baissant la tête. Autre particularité si dramatique. Jusque‑là Jésus avait parfois tenu la tête un peu plus élevé sur la croix. - Il rendit l’esprit. Il le livra, le remit à son père, en pleine liberté, cf. Luc. 23, 46 ; Galates 2, 10 ; Éphésiens 5, 2, 25 ; 1 Pierre 2, 23, etc. « Il a déposé son âme quand il l’a voulu lui‑même », Origène. « Qui est‑ce qui s'endort à son gré, comme Jésus est mort au moment qu'il a choisi ? Qui est‑ce qui se dépouille d'un vêtement quand il le veut, comme Jésus s'est dépouillé de son corps à l'heure voulue par lui ? Qui est‑ce qui s'en va selon son désir, comme Jésus est sorti de ce monde lorsqu'il y a consenti ? », S. Augustin, Traités sur S. Jean, 119, 6. Aussi combien est grande l’erreur des exégètes qui, s’appuyant sur les assertions de quelques médecins anglais et allemands, prétendent que N.-S. Jésus‑Christ mourut de la rupture d’un anévrisme. Malgré les raisons ingénieuses par lesquelles on a essayé de défendre ce sentiment, il ne saurait résister à un examen sérieux, sous le double rapport de la pathologie et de la théologie. Des médecins célèbres l’ont réfuté, en prouvant que l’anévrisme suppose ou un âge avancé ou un état maladif, ce qui n’était nullement le cas pour N.-S. Jésus‑Christ. Les théologiens le rejettent aussi, parce qu’il contredit ce qui est communément enseigné sur la perfection du corps sacré de l’Homme‑Dieu. De même que Jésus n’était pas rentré en ce monde à la manière des autres hommes, il en sortit aussi d’une façon différente de la leur, par conséquent, pas par la maladie.



Jean 19.31 Or, comme c'était la Préparation, de peur que les corps ne restassent sur la croix pendant le sabbat, car le jour de ce sabbat était très solennel, les Juifs demandèrent à Pilate qu'on rompît les jambes aux crucifiés et qu'on les détachât. - Or... les Juifs... La particule Or rattache un nouveau projet des Juifs à tout ce qu’ils avaient fait antérieurement contre Jésus. - Comme c’était la préparation. Il n’y a pas d’article devant le mot grec correspondant à préparation : « parce que c’était une veille de sabbat ». Voyez le verset 14 et le commentaire. Cette circonstance est très favorable à l’opinion que nous avons essayé de défendre. - De peur que les corps ne restassent sur la croix. D’après la coutume romaine, les corps des crucifiés demeuraient assez longtemps sur la croix. C’était souvent la putréfaction qui les en faisait descendre, ou les bêtes fauves et les oiseaux de proie qui les en arrachaient : très rarement on les rendait à la famille. Au contraire, la loi juive s’opposait formellement à ce que le cadavre d’un supplicié passât la nuit au gibet. C’eût été une profanation pour la Terre sainte, cf. Deutéronome 21, 12 et ss. ; Flavius Josèphe Guerre des Juifs 4, 5, 2 ; Philon, In Flacc. - Pendant le sabbat. A cette circonstance générale s’ajoutait celle du sabbat, et d’un sabbat extraordinaire, comme le dit la parenthèse : car ce jour de sabbat était solennel. C’était en effet le samedi situé dans l’octave pascale, et les dirigeants juifs tenaient particulièrement à ce qu’il ne fût pas déshonoré. Ils n’avaient pas craint de commettre les plus grands forfaits, et un détail de casuistique les épouvante. cf. 18, 28. - Les Juifs demandèrent à Pilate. C’est la seconde requête qu’ils lui adressaient depuis peu, cf. 19, 21. - Qu’on rompît les jambes aux crucifiés. Ce supplice, que les Latins nommaient « crurifragium », était quelquefois infligé à part (cf. Suétone, Aug., 67 ; Sénèque, De ira, 3, 32) ; mais on s’en servait aussi pour hâter la mort des condamnés, quand on était pressé d’en finir : on compensait alors ce qui manquait à la durée du crucifiement par un redoublement de souffrances, cf. Lactance, Institions Divines, 4, 26. C’est à coups de massue que l’on brisait les os des jambes ; le patient ne tardait pas à expirer dans une affreuse agonie. Autrement, il pouvait vivre sur la croix vingt‑quatre, trente‑six, quarante‑huit heures, et même jusqu’à trois jours et trois nuits. Cette prolongation du supplice de la croix était proverbiale. « Mourir à petit feu, faire traîner sa vie en longueur, se consumer au milieu de supplices, périr membre après membre, et perdre son âme goutte à goutte ». Sénèque, lettre 101. - Et qu’on les détachât : de leurs croix.



Jean 19.32 Les soldats vinrent donc et ils rompirent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui. - Les soldats vinrent donc... (Pilate ayant octroyé cette fois une demande qui lui semblait légitime). L’opinion la plus vraisemblable est que ces soldats formaient une nouvelle escouade, envoyée tout exprès pour le « crurifragium. » Il est dit, en effet, qu’ils « vinrent » ; de plus, le verset 33 contient une observation qui ne saurait guère convenir à ceux qui avaient opéré le crucifiement ; enfin ceux‑ci n’étaient sans doute pas munis des instruments spéciaux dont on se servait pour briser les jambes. - Et ils rompirent les jambes du premier, puis de l'autre. Il est très naturel que l’opération ait commencé par les malfaiteurs crucifiés à droite et à gauche de Jésus. Deux ou plusieurs soldats s’approchèrent des croix situées aux points extrêmes, de manière à se rejoindre ensuite vers celle du milieu, à laquelle Notre‑Seigneur était suspendu. Ces détails sont tout à fait pittoresques, et viennent directement d’un témoin oculaire.



Jean 19.33 Mais quand ils vinrent à Jésus, le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes. 34 Mais un des soldats lui transperça le côté avec sa lance et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau. - Mais quand ils vinrent à Jésus, le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes. C’eût été un acte inutile, puisque le “crurifragium” avait précisément pour but d’accélérer la mort. - Mais un des soldats. On le nomme « Longin » dans le Martyrologe romain (15 mars). Les peintres ont grand tort de le représenter à cheval ; leur erreur provient des dimensions gigantesques que l’on a attribuées sans raison à la croix de N.-S. Jésus‑Christ. Voir, dans Baronius, Annal. ad ann. 34, n. 125, les légendes nombreuses rattachées à S. Longin. D’après Bartholinus, De latere Christi, c. 6, il y aurait eu, dans une église voisine de Lyon, un tombeau qui portait cette inscription : « Ici est gisant celui qui a percé d’une lance le côté du Sauveur » - Avec sa lance. En latin, lancea ; en grec, λόγχῃ . Plusieurs critiques font remonter à ce mot grec l’origine du nom de « Longin », cf. Calmet, Comment., h. l. - Lui transperça le côté. S. Augustin a fait saisissant commentaire de l’expression de la Vulgate lui « ouvrir » le côté (Traité 120 sur S. Jean, 2). « Percer, transpercer » : verbe employé en ce seul endroit du N. T. ). D’ailleurs, nous verrons plus bas, 20, 27, que le fer de la lance produisit une large ouverture dans la poitrine sacrée de Jésus, puisque S. Thomas avait pu y introduire sa main entière. De quel côté le coup fut‑il porté ? Au premier abord, il semblerait plus naturel de supposer que ce fut du côté gauche, puisque le soldat, debout devant la croix, tenait la lance de la main droite. La traduction éthiopienne et les Évangiles apocryphes de l’Enfance de Jésus et de Nicodème affirment au contraire que c’est le côté droit qui fut percé, et cette ancienne croyance a dû s’appuyer sur une base historique. Divers auteurs ont émis les deux opinions, en disant avec Prudence (De passione Chr., hymn. 8) : Passant d’un côté à l’autre, de l’eau et du sang coulèrent. Voyez Calmet et Cornel. a Lapide, h. l. Le but que se proposait le soldat était de rendre la mort complètement certaine, comme l’on fait par ce qu’on appelle le « coup de grâce ». - Et aussitôt… A la manière dont S. Jean note le trait qui suit, on voit qu’il le trouva très extraordinaire ; rien ne prouve cependant qu’il lui imputait un caractère miraculeux (Origène, Théophylacte, Euthymius, Meyer, Alford, Keil, etc.). - Il en sortit du sang et de l’eau. Ces deux liquides, le sang et l’eau, coulèrent simultanément de la plaie béante, mais tout en demeurant distincts pour le regard des témoins. Par « eau » il faut entendre la lymphe, qui contient en effet neuf parties d’eau sur dix ; non toutefois le « serum » séparé du « cruor », car cela eût marqué un commencement de décomposition qui ne pouvait avoir lieu en aucune manière. De ce détail les médecins ont conclu que le péricarde, sac membraneux qui enveloppe le cœur, dut être touché par la lance, de quelque côté d’ailleurs que le coup eût été frappé. - Dans le sang et l’eau qui sortirent du côté de N.-S. Jésus‑Christ, les SS. Pères ont trouvé les plus touchants symboles. Ils y ont vu tantôt l’Église formée « du côté du Christ endormi », de même qu’Eve était née « du côté d’Adam » (Apollinaire de Laodicée, Tertullien, Théophylacte, S. Augustin, etc.), tantôt le double baptême « d’eau et de sang » (Tertullien, S. Cyrille de Jérusalem, S. Cyprien, S. Jérôme, etc. ), tantôt et le plus souvent les deux sacrements du Baptême et de l’Eucharisitie (S. Jean Damascène, S. Augustin, Euthymius, etc.). « Par là s'accomplit un grand et ineffable mystère : car « il en sortit du sang et de l'eau ». Ce n'est pas sans sujet ou par hasard que ces deux sources ont coulé de l'ouverture du sacré côté du Sauveur : c'est d'elles que l’Église a été formée. Ceux qui sont initiés, ceux qui ont reçu le saint baptême, entendent bien ce que je dis : eux qui ont été régénérés par l'eau, et qui sont nourris de ce sang et de cette chair. C'est de cette heureuse et féconde source que coulent nos mystères et nos sacrements, afin que, lorsque vous approcherez de notre redoutable coupe, vous y veniez de même que si vous deviez boire à ce sacré flanc », S. J. Chrysostome, Homélie sur S. Jean 85, 3. C’est en grande partie pour perpétuer le souvenir de ce mystère que l’Église ordonne à ses prêtres de verser quelques gouttes d’eau dans le vin du saint sacrifice. Dans la liturgie romano‑lyonnaise, le célébrant récite en même temps une prière dont voici le début : « Du côté de notre Seigneur Jésus Christ sortirent du sang et de l’eau pour la rédemption du monde ».



Jean 19.35 Et celui qui l'a vu en rend témoignage et son témoignage est vrai et il sait qu'il dit vrai, afin que vous aussi, vous croyiez. - Celui qui l’a vu. Après avoir signalé le fait, S. Jean insiste dans les termes les plus solennels sur sa réalité incontestable. Le narrateur, dit‑il, avait été un témoin oculaire (cf. 1 Jean 1, 1-3), et l’on ne saurait mettre en doute la vérité de son témoignage. C’est bien ainsi, d’une manière indirecte, que notre évangéliste parle de lui‑même dans son récit, cf. 1, 37-40 ; 13, 23-26 ; 21, 7, 20-24. - En rend témoignage et son témoignage est vrai. Ἀληθινή (véridique), un des mots favoris de S. Jean, ne signifie pas seulement « vrai », mais « doué de toutes les qualités requises pour être bon », cf. 1, 9 ; 8, 16. - Et il sait qu'il dit vrai. Le pronom appuie de nouveau sur l’idée. Lui, qui a vu de ses propres yeux, il sait mieux que personne quelles garanties présente son témoignage. - Afin que, vous aussi, vous croyiez. « Vous » se rapporte aux lecteurs ; S. Jean voudrait que leur foi en N. S. Jésus‑Christ fût aussi vive et forte que la sienne, et c’est précisément dans ce but, dit‑il, qu’il leur présente son attestation de témoin oculaire. Son témoignage avait en effet la plus grande valeur ; non pas tant, comme on l’a dit, pour témoigner, contre les Docètes que Jésus était muni d’un corps réel, matériel, ou pour prouver que le Christ était vraiment mort et vraiment ressuscité (cf. Ps. 15, 16), que pour insister sur l’accomplissement des prophéties messianiques relatées aux versets 36 et 37 (« car ces choses sont arrivées », verset 36). - L’évangéliste revient ailleurs, et en termes non moins solennels, sur ce précieux détail de la Passion. 1 Jean 5, 6 C'est ce même Jésus-Christ qui est venu par l'eau et par le sang, non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et avec le sang. Et c'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité. 7 Car il y en a trois qui rendent témoignage [dans le ciel : le Père, le Verbe et l'Esprit et ces trois sont un. 8 Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre] : l'Esprit, l'eau et le sang et ces trois sont d'accord.



Jean 19.36 Car ces choses sont arrivées afin que l'Écriture fût accomplie : "Aucun de ses os ne sera rompu." - Car ces choses ont été faites… : Les faits contenus dans les versets 33 et 34. S. Jean va relever une merveilleuse et providentielle coïncidence. Comme nous venons de le dire, la particule « car » retombe sur les mots « afin que vous croyiez » du verset précédent. - Afin que l’Écriture fût accomplie : le verbe πληρωθῇ (accomplie), employé au passage analogue 13, 18, et si souvent dans le premier évangile (cf. Matth. 2, 15, 17, 23 ; 4, 14 ; 13, 14), exprime la réalisation d’une prophétie isolée ; plus haut, verset 28, nous lisions τελειωθῇ (voyez la note). - Aucun de ses os ne sera rompu. Quelques exégètes croient ce texte emprunté au Ps. 33, 21 : « Il veille sur chacun de ses os (du juste) : pas un ne sera brisé ». La plupart des anciens et des modernes le retrouvent dans les deux passages Exode 12, 46, et Nombres 9, 12, relatifs à l’agneau pascal, qui était le type du Messie, cf. 1 Corinthiens 5, 7. Voyez aussi Jean 1, 29, 36, où Jésus est appelé l’agneau de Dieu. On prenait, d’après ces injonctions du Pentateuque, les plus grands soins pour ne pas briser les os de la victime pascale ; le Talmud édicte même à ce sujet des pénalités sévères, telles que la bastonnade. On était censé faire une injure à Dieu quand on mutilait ainsi une victime sacrifiée en son honneur.



Jean 19.37 Et il est encore écrit ailleurs : "Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé." - Et il est encore écrit ailleurs… Il s’agit de Zacharie, 12, 10, où il est directement question du Messie : les Rabbins eux‑mêmes en conviennent, tr. Juccoth, 52, a, cf. Apocalypse 1, 7. La citation est faite assez librement, et diffère soit de l’hébreu, soit des Septante. - Ils regarderont : regards de regrets et de désirs, signe d’une prochaine conversion. - Celui qu’ils ont transpercé. Ce dernier mot était le principal pour S. Jean. En grec, ils ont profondément percé, expression plus forte qu’au verset 34 (elle n’apparaît que deux fois dans le N. T., ici et Apocalypse 1, 7). Les traducteurs alexandrins ont beaucoup adouci la pensée (celui qu’ils ont bravé). Voyez dans Zacharie 12, 6-14, la suite si énergique de ce beau passage.









Jean 19.38 Après cela, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate d'enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Il vint donc et prit le corps de Jésus. - Jean 19, 38-42. = Matth. 27, 57-61 ; Marc. 15, 42-57 ; Luc. 23, 50-56. - Après cela sert de transition. - Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus. Dans le grec, avec deux articles, pour marquer le personnage déjà si connu par les narrations synoptiques : Joseph, un homme riche, influent, membre du Sanhédrin, cf. 12, 42, où il est positivement affirmé que plusieurs des Sanhédristes croyaient en Jésus. Sur la situation d’Arimathie, cf. commentaire S. Matth. 27, 57. - Qui était disciple de Jésus… Motif pour lequel il fit cette démarche auprès du gouverneur. Les mots mais en secret contiennent une sorte de restriction rétrospective. Jusqu’alors Joseph, plus encore que Nicodème son collègue, avait tenu cachés ses sentiments à l’égard de Jésus. Un certain respect humain l’arrêtait (par crainte des Juifs). Mais voici que la mort du divin Maître a raffermi son courage au lieu de l’ébranler : « ayant osé » dit S. Marc, il vint demander à Pilate l’autorisation de prendre le corps de Jésus pour ensevelir ensuite ce corps sacré. - Et Pilate le permit. Cicéron raconte (In Verr. 5, 45, 51) que parfois cette permission coûtait des sommes énormes, Pilate se montra généreux, « il permit à Joseph de prendre le corps », ainsi que le raconte S. Marc. 15, 45. - Il vint donc. Il se hâta d’aller au Calvaire, et soit en personne, soit en dirigeant cette délicate opération, il prit le corps de Jésus (répétition qui est d’un douloureux effet). La croix était abaissée (Act. Pilati), puis étendue à terre (Quintil. Declam. 6, 9) ; on arrachait alors commodément les clous (c. Tryph. 108 ; « déclouer des croix », Sénèque, Vit. Beata, 19 ; etc.).





Jean 19.39 Nicodème, qui était venu la première fois trouver Jésus de nuit, vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès, d'environ cent livres. - Nicodème, qui était venu la première fois. S. Jean est seul à mentionner la part que prit Nicodème à la sépulture de Notre Seigneur. Membre du Grand Conseil, lui aussi, Nicodème connaissait Joseph et ses dispositions à l’égard de Jésus : ils s’associent pour cette œuvre courageuse. - trouver Jésus de nuit. Voyez 3, 2 et le commentaire. Actuellement il ne craint pas de manifester au grand jour ses sentiments de disciple dévoué. - La première fois rappelle la première entrevue, et les révélations si intimes de Jésus. En ce moment Nicodème devait comprendre sans peine ce que signifiait l’élévation mystérieuse de Fils de l’homme à l’instar du serpent d’airain, cf. 3, 14. - Apportant… un mélange de myrrhe... Détails propres au quatrième évangile. La myrrhe, qui avait été apportée au berceau de Jésus (Matth. 2, 11), embauma également son tombeau. C’est une gomme aromatique fournie par le « Balsamodendron myrrha ». - Et d’aloès. Autre matière grasse et résineuse qui répandait une agréable odeur : on la trouve dans le bois de l’ « Aquilaria Agallochum », plante originaire des Indes. On pulvérisait ces parfums, et on en saupoudrait les linceuls et les bandelettes qui entouraient le mort, cf. verset 40. On en brûlait aussi une certaine quantité sur des réchauds ou cassolettes. - Environ cent livres. La « livre » équivalant à 453 grammes (cf. 12, 3), cela faisait une quantité énorme, vraiment princière, plus de 45 kilos (2 Chroniques 16, 14) ; mais, par cette profusion même, on se proposait de mieux honorer le corps sacré du Maître. De plus, cet embaumement n’était que provisoire à cause de la proximité du sabbat (cf. Luc. 23, 54) : on pouvait le compléter vingt‑quatre heures plus tard ; dans l’intervalle, on pensait préserver la sainte dépouille par l’accumulation des parfums.

Jean 19.40 Ils prirent donc le corps de Jésus et l'enveloppèrent dans des linges, avec les aromates, selon la manière d'ensevelir en usage chez les Juifs. - Ils prirent donc… Le verset 38 nous avait montré Joseph seul à l’œuvre ; Nicodème agit maintenant de concert avec son ami. - Et l’enveloppèrent dans des linges, cf. 11, 44 et le commentaire ; Luc. 24, 12. Les synoptiques ne parlent ici que du « sindon » ou grand linceul qui enveloppa tout le corps ; les ὀθόνιον étaient au contraire des bandelettes, dont chaque membre était entouré à part. - Avec des aromates ainsi qu’il a été expliqué au verset 39. - selon la manière d'ensevelir en usage chez les Juifs. Ce trait est ajouté pour les lecteurs non juifs. Les Israélites avaient, comme les Égyptiens et tous les peuples de l’antiquité, leurs coutumes funéraires spéciales ; les détails n’en sont pas très connus. Le verbe grec correspondant à ensevelir n’est employé qu’ici et Matth. 26, 12.



Jean 19.41 Or, au lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et dans le jardin un tombeau neuf, où personne n'avait encore été mis. - Après avoir raconté l’embaumement de Jésus, S. Jean parle du tombeau où on le déposa. - Or, au lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin. Trait spécial. Les diagrammes du Saint‑Sépulcre. La distance qui séparait le tombeau du lieu où il avait été crucifié était d’environ 30m. - Et dans le jardin un tombeau neuf. Ce tombeau neuf, taillé dans le roc (cf. Matth. 27, 69), appartenait, comme sans doute aussi le jardin, à Joseph d’Arimathie. - Où personne n’avait encore été mis, cf. Luc. 23, 53. Ces mots insistent sur l’idée importante qu’insinuait déjà l’adjectif « neuf ». La résurrection de Jésus était plus parfaitement constatée, s’il était démontré que « Dans ce monument, personne avant lui et personne après lui n’a été enseveli », S. Augustin d'Hippone, h. l.

Jean 19.42 C'est là, à cause de la Préparation des Juifs, qu'ils déposèrent Jésus, parce que le tombeau était proche. - C’est : dans ce tombeau neuf et inoccupé. - À cause de la Préparation des Juifs. C’est-à-dire, à cause de la grande hâte qu’occasionnait la prochaine arrivée du repos sabbatique. Voyez le verset 31 et la note correspondante. - Parce que le tombeau était proche. On n’avait que quelques pas à faire, et ce tombeau convenait de toutes manières. - Ils déposèrent Jésus. Les trois autres évangélistes terminent par une formule analogue leur récit de la sépulture du Christ.



CHAPITRE 20



Jean 20.1 Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine se rendit au tombeau, dès le matin, avant que les ténèbres fussent dissipées et elle vit la pierre enlevée du tombeau. - Si l'histoire de tous les hommes finit à leur tombeau, celle de Jésus revendique, sur ce point encore, le privilège d'être à nulle autre pareille. Sur l'accord de la narration de S. Jean avec celles des synoptiques, Voyez la note sous Matth., 28, 1. Les divergences de détail entre les récits des quatres Évangiles sur la résurrection de Jésus ne servent qu'à mettre dans une lumière plus vive leur unanimité quant au fond, et, comme le dit Reuss (Histoire évangélique, p. 698), qu'à prouver que la foi de l’Église sur ce point n'est pas le produit d'une combinaison arbitraire et conventionnelle ; car c'est bien dans ce cas qu'on en serait venu à une relation uniforme et stéréotypée. Comme S. Paul, 1 Corinthiens 15, les évangélistes se proposaient beaucoup moins de raconter le fait même de la résurrection, que d'en fournir des preuves sûres et palpables. De là leurs lacunes volontaires et ces différences, signalées déjà par le païen Celse, qui n'ont cependant pas ébranlé une heure durant la foi de la chrétienté. - Indépendamment de leurs objections basées sur les prétendues contradictions des récits, les rationalistes ont émis trois principaux systèmes pour attaquer le miracle de la résurrection : une fraude grossière de la part des disciples, la mort seulement apparente de Jésus, l'hypothèse dite des « visions ». Les deux premiers sont aujourd'hui tout à fait abandonnés, tant leur faiblesse a paru évidente même à nos adversaires les plus acharnés (voyez l'ironique et forte réfutation de Keim, Gesch. Jesu von Nazara, t. 3, p. 570 et ss.), et l'on peut dire avec le docteur B. Weiss, l. c , p. 597, que « ce n'est maintenant plus la peine d'attaquer encore ce tissu (d'erreurs), fruit d'une imagination dépourvue de tout sens historique », tissu que Strauss lui‑même s'est chargé de mettre en pièces. D'après la troisième hypothèse, qui est assez en vogue (c'est celle de Strauss, Réville, Renan, Holsten, et autres coryphées du rationalisme biblique) , les disciples se seraient conduits comme de véritables hallucinés, qui, persuadés à l'avance de la résurrection du Christ, auraient cru l'apercevoir et lui parler en des visions réitérées. Les détails sur lesquels on prétend appuyer la démonstration de ce système exégétique sont encore de perpétuelles conjectures, et des inconséquences sans nombre. On y a relevé des incompatibilités de tout genre. 1° Incompatibilité avec l'état d'âme des disciples, qui ne comptaient plus sur le retour de Jésus à la vie, et qu'il fut si difficile de convaincre de sa résurrection. 2° Incompatibilité avec le caractère si simple et si limpide des récits, qui distinguent eux‑mêmes entre la fantasmagorie et la réalité (cf. Luc. 24, 38-43). 3° Incompatibilité avec la nature des apparitions, dans la plupart desquelles Jésus daigna donner des marques non‑seulement visibles, mais palpables de sa résurrection. 4° Incompatibilité avec la brusque cessation de ces mêmes phénomènes. Si l'enthousiasme a pu provoquer des visions pendant quarante jours, pourquoi ont‑elles cessé tout à coup après l'Ascension ? 5° Incompatibilité avec le petit nombre des apparitions relatées dans l’Évangile. Des hallucinés n'en auraient pas eu seulement huit ou neuf en six semaines, mais cent et mille. 6° Incompatibilité avec le bon sens humain, et celui des disciples en particulier, tels que nous les connaissons par les récits sacrés. Pour que l'hypothèse des visions fût vraie, il faudrait admettre, comme on l'a si bien dit, une véritable contagion, une épidémie nerveuse, qui, partie d'un ou deux d'entre les croyants, Marie‑Madeleine et Pierre, se serait communiquée graduellement à toute la communauté, et aurait abouti finalement au plus inconcevable paroxysme, à une hallucination non‑seulement de deux ou de onze, mais de cinq cents personnes simultanément (1 Corinthiens 15, 6). Nous l'avons vu, les disciples n'étaient rien moins que crédules, cf. 6, 62, etc. 7° Incompatibilité avec la foi universelle de l’Église chrétienne. « Le recours à une illusion visionnaire est impossible en face de l'universalité et de la fermeté des convictions au sein de l’Église », dit le rationaliste Reuss, l. c., p. 701. Et que d'autres incompatibilités nous pourrions alléguer encore. Concluons donc à l'impuissance de l'école négative sur ce point comme sur tous les autres, et affirmons publiquement que le grand fait de la résurrection peut être proclamé sans la moindre hésitation comme le mieux établi qu'il y ait dans l'histoire. Jean 20, 1-2. = Matth. 28, 1 ; Marc. 16, 1-4 ; Luc, 24, 1-6. - Le premier jour de la semaine, cf. Matth. 28, 1. C'est-à-dire, le lendemain du sabbat, le dimanche. C'était le troisième jour depuis la mort de Jésus, d'après le mode de supputation usité chez les Juifs (vendredi, samedi, dimanche). - Marie Madeleine se rendit au tombeau. S. Jean ne mentionne pas les autres saintes femmes, cf. Marc. 16, 1 et parall. « Admettre en cela une contradiction avec les synoptiques, c'est méconnaître complètement la méthode de Jean comme narrateur » (Weiss). Il se borne à signaler celle qui va jouer le principal rôle dans son récit. Ou bien, les autres n'arrivèrent qu'un peu plus tard, « dès le lever du soleil », Marc. 16, 2. Du reste, le verset 2 suppose que Marie‑Madeleine n'était pas seule. - avant que les ténèbres fussent dissipées. « Sont manifestés l’assiduité et l’empressement de la femme à rendre ses devoirs », Grotius. Elle avait quitté la dernière le tombeau ; elle se retrouve la première tout auprès, dès que les circonstances le permettent. Les quatre narrations insistent, quoique avec des nuances, sur l'arrivée matinale des saintes amies de Jésus. - Et elle vit la pierre… la pierre avec l'article, quoique S. Jean n'aie pas encore parlé de cette pierre ; mais S. Marc l'avait mentionnée, 16, 4, comme « très grande », cf. Luc. 24, 2. Il est évident que notre évangéliste choisit ses détails pour compléter les récits les plus anciens. - enlevée du tombeau. Les synoptiques emploient l'expression « rouler la pierre » qui est plus pittoresque ; S. Jean a un mot spécial : ôtée, enlevée... Sur cette pierre, qui devait fermer et protéger le tombeau voyez 11, 38 et le commentaire.



Jean 20.2 Elle courut donc et vint trouver Simon-Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait et leur dit : "Ils ont enlevé du tombeau le Seigneur et nous ne savons où ils l'ont mis." - Elle courut donc : Trait spécial et pittoresque. Sans même jeter un coup d’œil à l'intérieur du tombeau (cf. v. 11), pour se rendre compte de ce qui s'y était passé, elle se hâte d'aller avertir les principaux disciples de N.-S. Jésus‑Christ. La particule donc indique la déduction rapide qui se forma dans l'esprit de Marie : de ce que le tombeau était ouvert, elle conclut aussitôt qu'on avait enlevé le corps de son Maître. Après son départ, les autres saintes femmes s'approchèrent du tombeau et s'entretinrent avec les anges, comme le racontent les synoptiques. - Et vint trouver Simon‑Pierre. Le chef du groupe des douze apôtres est tout naturellement consulté le premier ; S. Jean (l’autre disciple) immédiatement après lui. - La formule que Jésus aimait caractérise le second disciple mieux encore que son nom aurait pu le faire. Nuance à signaler : le verbe φιλεω (aimer, chérir) remplace ici αγαπάω (aimer d’affection), cf. 13, 23 ; 19, 26 ; 21, 7, 20. - Et leur dit : toute haletante après sa course rapide. - Ils ont enlevé du tombeau le Seigneur. Marie ne songe pas un instant à la possibilité d'une résurrection ; cependant, le corps inanimé de Jésus est encore pour elle le « Seigneur », cf. 19, 42. Le sujet de « enlevé » est laissé dans le vague ; mais il s'agit évidemment des Juifs, des ennemis acharnés du Sauveur. - Et nous ne savons. Donc Madeleine n'était pas seule alors. Comparez le v. 13, où, quand elle revint au tombeau sans ses compagnes, elle dit « je ne sais » au singulier. - Où ils l’ont mis. Comme elle est désolée de cet enlèvement supposé. Tous les détails du v. 2 sont propres à S. Jean.



Jean 20.3 Pierre sortit avec l'autre disciple et ils allèrent au tombeau. - Jean 20, 3-10.= Luc. 24, 12.- Pierre sortit (en conséquence du message de Marie-Madeleine). Première circonstance : le départ des deux apôtres. - Et ils allèrent... Deuxième circonstance : leur marche dans la direction du tombeau.



Jean 20.4 Ils couraient tous deux ensemble, mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. - Ils couraient. Troisième circonstance non moins dramatique. Poussés par un sentiment affectueux et inquiet, Pierre et Jean se mettent à courir. - Tous deux ensemble aussi est un vivant tableau : les deux disciples vont ensemble au début de leur course, mais ils seront bientôt séparés. - Mais l’autre disciple courut plus vite. Le vrai motif fut un effet de l'inégalité de l'âge et des forces physiques, et non, comme on l'a conjecturé parfois, l'amour plus ardent de S. Jean, ou la conscience que S. Pierre aurait eue tout à coup de sa faute. - Et arriva le premier... Selon M. Renan et d'autres rationalistes, ces choses seraient racontées pour mettre S. Pierre au‑dessous de S. Jean. Ils sont réfutés par les versets 5-8, où nous voyons Simon‑Pierre placé au contraire au premier rang.



Jean 20.5 Et, s'étant penché, il vit les linceuls posés à terre, mais il n'entra pas. - S’étant penché : arrivé tout auprès du tombeau, Jean s'arrête en avant de la chambre funéraire, et il se penche pour regarder à travers la porte peu élevée, cf. Luc. 24,12. - Il vit les linceuls posés à terre. les bandelettes mentionnées plus haut, 19, 40. - mais, il n'entra pas. Il aurait craint, suivant quelques auteurs, de contracter une souillure légale en pénétrant dans le tombeau. Cette raison tombe d'elle‑même. S. Thomas d'Aquin, Tolet, et divers théologiens attribuent à l'hésitation de S. Jean un motif en quelque sorte hiérarchique : il se serait arrêté pour céder le pas à S. Pierre, le chef du groupe des douze apôtres. Rien, cependant, dans le contexte, n’indique  un motif de cette sorte. Le mieux est de penser que le disciple bien‑aimé s'arrêta sous le coup d'une émotion très vive, qui s'explique si naturellement quand on se rappelle sa tendresse pour Jésus.



Jean 20.6 Simon-Pierre qui le suivait, arriva à son tour et entra dans le tombeau. - Simon‑Pierre, qui le suivait, arriva à son tour. Pierre n'arrive qu'en second lieu (il le suivait), ayant été retardé par la circonstance indiquée antérieurement, v. 4. - Et entra dans le tombeau. Lui, il n'hésite pas un instant, mais il entre aussitôt avec son impétuosité habituelle et en homme résolu. Voyez un fait analogue, 21, 7. Ces détails sont si naturels et si conformes à la personnalité des deux disciples, qu'ils portent en eux‑mêmes leur cachet d'authenticité ».









Jean 20.7 Il vit les linges posés à terre et le suaire qui couvrait la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé dans un autre endroit. - Il vit... Dans le grec, le verbe n'indique pas un simple et rapide coup d'œil, tel qu'avait été celui de S. Jean (v. 5), mais une inspection prolongée et minutieuse. - Les linges posés à terre et le suaire, cf. 11, 44 ; Luc. 19, 20. De l'entrée du tombeau S. Jean n'avait pas aperçu le saint suaire ; S. Pierre, qui était dans l'intérieur même du tombeau et qui examinait les choses plus à loisir, ne tarda pas à l'apercevoir. - Qui couvrait la tête de Jésus . Le narrateur, absorbé dans son sujet, n'éprouve pas le besoin de mentionner le nom. - Non pas posé avec les linges. D'où proviendraient de pareils détails, sinon d'un témoin qui avait tout contemplé de ses propres yeux ? - Mais roulé dans un autre endroit. Soigneusement roulé et mis à part dans un autre endroit, sans la moindre trace de précipitation. Ce n'étaient donc pas des voleurs ou des ennemis qui avaient violé le tombeau ; ils n'auraient pas pris tant de soins. Les anges s'étaient chargés de ces soins délicats après la résurrection de N.-S. Jésus‑Christ.



Jean 20.8 Alors l'autre disciple qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi et il vit et il crut - Alors... S. Jean pénètre à son tour dans le tombeau. - Il vit : il put constater à son tour les faits exposés dans les vv. 6 et 7. - Et il crut. Il crut que Jésus était vraiment ressuscité (S. Jean Chrysost., Euthymius, et la plupart des commentateurs), car il avait trois preuves indiscutables : la pierre descellée, le tombeau vide, les linges mortuaires soigneusement mis à part. Selon d'autres, la croyance de S. Jean aurait porté sur le caractère messianique du Sauveur (cf. 19, 35) ; ou même simplement, suivant une troisième opinion qui affaiblit singulièrement la pensée, sur la vérité de la nouvelle annoncée par Marie‑Madeleine, v. 2 (S. Augustin, Théophylacte, Érasme, Jansénius, etc). - Après de longues années le narrateur se souvenait très vivement encore de cet instant décisif. Plusieurs exégètes ont supposé que l'emploi du singulier (il crut) exclut positivement S. Pierre, car, dit l'un d'eux (Tolet, h. l.), « Si Pierre avait cru alors, Jean ne se serait certes pas rendu à lui seul le témoignage de la foi » et ils ajoutent que le contexte confirme leur hypothèse, puisque, aux vv. 9 et 10, nous retrouvons les deux apôtres associés de nouveau, après cette formule qui semblait momentanément les séparer. Mais il est mieux de dire que S. Jean, en parlant comme il l'a fait, ne songeait nullement à nier le caractère immédiat de la foi de S. Pierre ; il laisse un instant son ami à l'arrière‑plan, pour insister davantage sur ses impressions personnelles, sur son expérience intime, et pour raconter à quelle occasion sa foi en Jésus était devenue parfaite, cf. Luc. 24, 12, où l'on nous montre S. Pierre, s'en retournant du tombeau : « il s'en alla chez lui, dans l'admiration de ce qui était arrivé » ; or ses réflexions n'étaient pas des pensées de doute, c'était une méditation pleine de foi sur un phénomène surprenant et mystérieux.



Jean 20.9 car ils ne comprenaient pas encore l'Écriture, d'après laquelle il devait ressusciter d'entre les morts. - Car ils ne comprenaient pas encore. S. Jean, avec une candeur touchante, va indiquer d'un mot pourquoi la foi des disciples n'avait pas été plus prompte et plus complète. - D’après l'Écriture. En particulier les passages suivants : Ps. 15, 10 ; 109, 1-4 ; Isaïe 53, 10. L'union entre l'Ancien Testament et le Nouveau est si intime, que la vraie foi au Nouveau a pour base la connaissance de l'Ancien ; et il existe un effet rétroactif également si intime, que l'Ancien Testament ne peut être compris qu'à la lumière du Nouveau. - d'après laquelle il devait.., cf. Luc. 24, 26. C'était une nécessité d'après les divins conseils. Combien de fois le plan de Dieu relativement à son Christ a été signalé par les évangélistes, surtout vers la fin de la vie de Jésus. - ressusciter d'entre les morts. Plusieurs fois durant sa vie publique, N.-S. Jésus‑Christ avait prédit aux apôtres sa passion et sa résurrection, cf. 10, 17 ; Matth. 16, 21 ; 17, 21-22 ; 20, 18-19 ; 26, 31-32, etc. Mais beaucoup de choses ne devinrent claires pour eux qu'après qu'elles eurent été accomplies, cf. 2, 22 et le commentaire. Ils n'eurent que plus tard, après la résurrection et la Pentecôte, la science et l'intelligence complètes des saintes Écritures, cf. Luc. 24, 27, 46 et ss. ; Actes 1, 3 ; 2, 24 et ss. ; 13, 32-37. Rien de plus instructif que ces détails, car ils renversent la fameuse théorie des mythes évangéliques. Ce ne fut pas par la connaissance que le Christ devait ressusciter d'entre les morts, connaissance antérieurement puisée dans l’Écriture, que l'on en vint à attendre ce miracle ; mais l'évidence même de la résurrection amena les disciples à comprendre ce que l’Écriture enseignait à ce sujet.



Jean 20.10 Les disciples s'en retournèrent donc chez eux. - Convaincus maintenant par leur expérience personnelle de la réalité de la résurrection, et rien ne les retenant auprès du tombeau, les deux apôtres s'en retournent « chez eux », dans leur maison.


Jean 20.11 Cependant Marie se tenait près du tombeau, en dehors, versant des larmes et en pleurant elle se pencha vers le tombeau, - Jean 20, 11-18. = Marc. 16, 9-11. -Cependant Marie : petite transition qui nous remet sous les yeux l'héroïne du récit qui va suivre (v. 1-2). - Se tenait près du tombeau. On voit Marie debout à l'entrée du tombeau, clouée là, pour ainsi dire, par son affection et sa douleur ; car, même mort comme elle le croit, Jésus est tout pour elle. Son retour n'a pas été mentionné par le narrateur ; elle avait suivi les deux apôtres à quelque distance : la scène se passa aussitôt après leur départ. - versant des larmes et en pleurant : à haute voix, comme l'exprime le grec. Marie s'abandonne librement à sa douleur. Cette tournure semble marquer que la situation se prolongea quelque peu. - Elle se pencha, comme S. Jean, v. 5. - vers le tombeau, comme S. Pierre, v. 6. Elle veut se rendre un compte plus exact de ce qui s'est passé dans l'intérieur du tombeau.



Jean 20.12 et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été mis le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds. - Et elle vit : encore le verbe de la contemplation silencieuse et attentive. La description est des plus vivantes. - Deux anges. Le tombeau s'est peuplé tout à coup. Les quatre évangiles associent les anges au mystère de la résurrection. C'est le seul endroit où S. Jean nous les montre de fait, quoiqu'il les ait plusieurs fois mentionnés antérieurement, cf. 1, 52 ; 5, 4 ; 12, 29. - Vêtus de blanc : le costume des deux anges consistait en longs vêtements blancs, cf. Apocalypse 3, 4-5. - Assis désigne leur attitude générale ; à la place où avait été mis le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds, leur attitude spéciale. Ils étaient là comme les chérubins au‑dessus du propitiatoire (Ps. 25, 22 ; 1 Samuel, 4, 4), ou mieux encore, comme les gardiens du S. Sépulcre.











Jean 20.13 Et ceux-ci lui dirent : "Femme, pourquoi pleurez-vous ?" Elle leur dit : "Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais où ils l'ont mis." - Et ceux-ci lui dirent... Remarquez l'extrême simplicité du langage, qui fait si bien ressortir la solennelle majesté de la scène ; jusqu'au v. 19, nous ne trouverons aucune de ces particules aimées des Grecs pour relier les différentes propositions. - Femme, pourquoi pleurez-vous ? Expressions de sympathie et de consolation. - Elle leur dit. Marie semble ne pas prendre ses interlocuteurs pour des anges ; elle les traite comme des hommes ordinaires. Ou plutôt, elle est si profondément émue, si absorbée par la disparition du corps sacré et le désir de le retrouver, que le merveilleux même cesse de l'étonner ; elle s’inquiète à peine de ceux auxquels elle s'adresse. - Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur... C'est, à part des modifications légères, la même réponse qu'au v. 2. Jésus est « son » Seigneur à elle ; par une sainte et vive affection elle se l'est en quelque sorte approprié. - Et je ne sais pas : le singulier cette fois au lieu du pluriel, car elle est seule actuellement. Voyez le v. 2 et la note.



Jean 20.14 Ayant dit ces mots, elle se retourna et vit Jésus debout et elle ne savait pas que c'était Jésus. - Ayant dit ces mots... Ce qui suit eut lieu immédiatement après la réponse de Marie ; elle agit comme si elle ne tenait en rien à poursuivre un entretien qui paraissait ne lui être d'aucun secours dans ses recherches. « Elle ne prête pas attention à ce qui est dit dans le tombeau. C’est Jésus qu’elle cherche. - Elle se retourna. Détail très graphique. Le mouvement de Marie‑Madeleine fut‑il un simple effet du hasard ? Ou bien, se retournait‑elle instinctivement pour voir si elle découvrirait Jésus ? avait‑elle le sentiment intime de sa présence ? Quelque bruit s'était‑il fait entendre ? Toutes ces suppositions ont été faites, sans qu'il soit possible de dire laquelle est la meilleure. Au dire de S. Jean Chrysostome et de ses abréviateurs habituels, Théophylacte et Euthymius, les deux anges, au moment de la soudaine apparition de Notre‑Seigneur, auraient témoigné leur admiration par leurs gestes et leurs regards ; ce qui aurait incité Marie à se retourner. Opinion plus gracieuse que vraisemblable. - Et vit Jésus debout. Les moindres circonstances continuent d'être notées ; on devine de qui S. Jean les avait apprises. - Et elle ne savait pas que c’était Jésus. Elle était si troublée, disent les uns, et s'attendait si peu à voir N.-S. Jésus‑Christ, qu'elle ne le reconnut pas de prime‑abord. Il est préférable de supposer, avec la majorité des exégètes, que l'apparence extérieure de Jésus était transfigurée par sa glorieuse résurrection ; ou encore, qu'il ne voulait pas être reconnu au premier instant, cf. 21, 4 ; Marc, 16, 12, et surtout Luc. 24, 16 : « Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ».



Jean 20.15 Jésus lui dit : "Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ?" Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit : "Seigneur, si c'est vous qui l'avez emporté, dites-moi où vous l'avez mis et j'irai le prendre." - Femme, pourquoi pleures‑tu ? Marie n'avait pas cessé de sangloter. Après ces premières paroles, identiques à celles des anges, v.13, Jésus ajoute : Qui cherchez-vous ? Il attirait ainsi l'attention de Madeleine, en lui montrant qu'il connaissait la cause de son chagrin. - Pensant que c'était le jardinier... Non que Jésus eut pris en cette occasion l'apparence extérieure d'un jardinier, comme l'ont dit quelques exégètes et comme l'ont supposé tant de peintres ; mais Marie, voyant un personnage inconnu, dans le jardin à une heure si matinale (cf. 19, 41), supposa naturellement que c'était le jardinier de Joseph d'Arimathie. - Seigneur : terme de politesse qu'on adresse même à un inférieur, quand on veut utiliser ses services de quelque manière. « Le mot Seigneur n'avait donc pas, dans son idée, le même sens, quand elle disait : « On a enlevé mon Seigneur », que lorsqu'elle disait : « Seigneur, si tu l'as enlevé » S. Augustin, Traités sur S. Jean, 121, 2. Seigneur se prête en effet à des applications bien différentes. - Si c’est vous qui l'avez emporté. Marie‑Madeleine s'en tient toujours à sa première hypothèse : pour elle, la disparition du corps de Jésus ne peut être que le résultat d'un enlèvement. Sa manière de désigner le Sauveur est remarquable (Cf v. 7) ; elle emploie pour cela un simple pronom, supposant que celui qui remplit sa pensée occupe également celle des autres. « Elle ne le nomme pas ; parce qu'elle croit que tout le monde connaît quel est celui qui ne peut sortir un seul instant de son cœur ». S. Bernard, Cantique des cantiques, sermon 7, 8. Que ce trait est naturel et délicat. - dites-moi où vous l'avez mis... Le langage de Marie est plein de politesse et d'affabilité ; elle voudrait tant gagner sa cause. - Et j'irai le prendre . Elle ne réfléchit pas que ce serait une tâche bien au dessus de ses forces ; mais l’affection, et toute cette scène déborde d'affection, ne calcule et ne mesure pas.



Jean 20.16 Jésus lui dit : "Marie." Elle se retourna et lui dit en hébreu : "Rabbouni" c'est à dire "Maître" - Jésus lui dit : Marie (Mαριαμ ; c'est presque la forme hébraïque Miriam, םירמ ). Le terme général « femme », v. 15, n'avait rien dit au cœur de Marie ; son nom, doucement prononcé, lui va droit au cœur, et la tirera de son état abstrait. - Elle se retourna. Ne recevant d'abord pas de réponse, elle s'était retournée du côté du tombeau (cf. v. 14) ; car c'est au propre et non au figuré qu'il faut prendre cette expression (Patrizi :  «  Cela vient de la stupeur qui l’oppressait… revenant à elle‑même » ; rien ne justifie un pareil sens). - Et lui dit. On peut déduire de ce trait la preuve historique que N.-S. Jésus‑Christ et les siens parlaient entre eux habituellement l'hébreu, la langue principale et nationale du pays. - Rabbouni (dans le grec, ραββουνι) : « mon Maître ». On ne trouve qu'ici et Marc 10, 51 (voyez le commentaire), cet augmentatif de Rabbi. Marie, dans sa vive émotion, ne peut prononcer que cette parole ; mais on y lit toute son âme, avec ses sentiments de foi, d'amour, de douce joie, que la vue de Jésus‑Christ faisait déborder. Son seul nom, prononcé avec la familiarité habituelle du bon Maître, avait donc été pour elle une complète révélation. Et en effet, comme on l'a dit, la mémoire des sons est la plus tenace de toutes, et l'on reconnaît plus promptement et plus sûrement quelqu'un à sa voix, lorsqu'il lui donne une certaine expression, qu'au jeu de sa physionomie. Un nom peut devenir, et c'était bien le cas alors, « un souvenir, une histoire, une vie » (Le Camus, La vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 2, p. 603).



Jean 20.17 Jésus lui dit : "Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Mais allez à mes frères et dites-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu." - Jésus lui dit... Cette parole de Jésus a occasionné des interprétations contradictoires. - D'abord, il ressort du texte même, que Marie‑Madeleine, dès qu'elle eut reconnu Jésus, se jeta aussitôt à ses pieds et qu'elle voulait les tenir embrassés, adorant son Maître ressuscité, se livrant « à toute la joie de l'âme qui reprend possession d'un trésor perdu ». Le Camus, La Vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, t. 2, p. 603. Rien de plus naturel, au point de vue psychologique, cf. Luc. 7, 36 et ss., pour la pécheresse qui ne diffère probablement pas de Madeleine, et Matth. 28, 9, pour les autres saintes femmes. Il serait peu naturel, au contraire, de supposer que ce geste de Marie avait pour objet la solution d'un doute : avait‑elle vraiment Jésus devant elle ou un simple fantôme (Grotius, etc.) ? Le « Rabbouni » prononcé avec tant de foi et d'énergie a renversé d'avance cette supposition. - Il faut encore noter que le sens exact du verbe n'est pas seulement « toucher », mais « s’attacher à, adhérer à quelqu’un » ; ce qui suppose que Marie voulait goûter à son aise les charmes de la divine présence du Sauveur. Et voici que Jésus s'y oppose, qu'il calme d'un mot affectueux, mais énergique, ce saint enthousiasme. Pourquoi donc, puisqu'il accorda à d'autres ce privilège dans le cours de la même journée ? « nous lisons que des femmes mêmes ont touché Jésus ressuscité, même avant qu'il fût monté vers son Père ; de ce nombre était Marie‑Madeleine elle‑même ; car Matthieu nous dit que « Jésus se présenta devant elles, et leur dit : « Je vous salue ». Alors, elles s'approchèrent et embrassèrent ses pieds, et l'adorèrent (Matth. 24, 9). » S. Augustin, Traités sur S. Jean, 121 n. 3. Voyez aussi Luc. 24, 39 ; Jean 20, 27. Les rationalistes ont répondu à cette question par d'étranges conjectures, qu'il est bon de mentionner en passant, afin que personne n'ignore la faiblesse de leur système général, qu'ils ne peuvent appuyer que sur de pareilles preuves. Permettre ce contact eût été contre le décorum (Meyer) ; Jésus était devenu légalement impur par sa mort (von Ammon) ; les blessures que lui avaient faites les clous étaient encore très douloureuses (Paulus) ; il était encore tout spirituel et il ne devait reprendre un corps matériel qu'après son ascension (Weisse) ; ses membres de ressuscité étaient dans un état de transformation, et tellement délicats que tout brusque mouvement aurait pu les léser (Schleiermacher) ; Jésus devait immédiatement remonter auprès de son Père et il ne voulait pas qu'on le retardât (Baur) ; etc., etc.. Le contexte (je ne suis pas encore remonté...) nous met sur la voie de la véritable explication ; car Jésus lui‑même indique, par l’emploi de la particule car, qu'il y a une connexion intime entre le « Ne me touche pas » et les paroles suivantes : celles‑ci motivent celles‑là. Nous trouvons trois grandes interprétations basées sur ce juste principe. 1° D'après S. Jean Chrysostome, Théodoret, Théophylacte, Euthymius, Érasme, Jansénius, Tolet, etc., Notre‑Seigneur aurait interdit à Marie de le toucher, parce que sa chair, désormais glorieuse, ne comportait plus de telles marques de familiarité. « Ne me touche pas comme tu avais coutume de le faire auparavant, car je ne suis pas ressuscité pour vivre familièrement et convivialement avec vous comme autrefois. Si je me manifeste à toi présentement, ce n’est pas parce que j’ai l’intention de demeurer ici avec toi, mais c’est à cause de votre foi et pour votre consolation que le fais ». Tolet, h. l. Ce sentiment nous paraît un peu forcé. L'acte de Marie n'était‑il pas plein de respect ? 2° Suarez (In III p. D. Thom., disp. 49, lect. 3), Cornelius a Lap., Maldonat, Patrizi, Bisping, Reischl, donnent un commentaire extrêmement simple, mais qui pourrait bien être, ainsi que s'exprime Jansénius, « plus plausible que vrai », sans compter qu'il n'a aucun représentant parmi les anciens exégètes. Voici quelle serait la pensée de Jésus suivant ces auteurs : « Tu as tout le temps de me témoigner ton affection ; car je ne suis pas encore sur le point de remonter au ciel, et j'ai même plus d'un jour à passer sur la terre. Par conséquent, tu auras suffisamment de temps pour me toucher souvent avant que je remonte vers mon Père.  Ne me touche pas maintenant, ne t’accroche pas à mes pieds, mais va vite vers mes frères » (Maldonat). 3° Une troisième opinion, qu'adoptent beaucoup d'exégètes, et vers laquelle nous nous sentons porté, s'appuie sur le passage suivant de S. Augustin, Traités sur S. Jean, 26, 3 : « A ton avis, je ne suis que ce que tu me vois ; ne me touche pas… Le Christ se laisse toucher par tous ceux qui le touchent bien, sachant qu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal » ; et davantage encore sur une parole antérieure de N.-S. Jésus‑Christ, 16, 16 « Vous me verrez, parce que je m'en vais auprès du Père ». Le divin Maître supposait alors que pour opérer une union complète entre lui et ses disciples après sa mort, la résurrection ne suffirait pas, mais qu'il faudrait de plus son retour au ciel par l'ascension ; c'est une pensée analogue qu'il exprime à Marie‑Madeleine, présentant de nouveau et plus explicitement, l'ascension comme le début, comme la condition nécessaire des rapports intimes, mais d'une autre nature, qu'il aurait avec les siens. Marie « ne savait pas que l'heure du retour définitif de Jésus n'avait pas encore sonné ; qu'il lui fallait aller au Père avant de revenir, et que l'intervalle entre la Résurrection et la Pentecôte n'était qu'un état transitoire, où il devait, par ses apparitions et ses disparitions successives, fixer définitivement la foi dans le cœur de ses disciples, et les préparer à sa venue réelle par l'effusion de l'Esprit‑Saint. Ne cherche pas à me retenir, dit Jésus, l'heure n'est pas venue de me posséder définitivement ; je ne suis pas encore monté vers mon Père. Madeleine croit à tort que Jésus revient à ses amis pour toujours, et, transportée d'allégresse, elle semble dire que l'ayant retrouvé, elle ne le perdra plus. Or Jésus la tire de son illusion, en lui disant que s'il se montre, il ne reste pas encore, parce qu'il n'est pas allé au Père, d'où il doit faire descendre l'Esprit, qui le ramènera au milieu des siens, mais cette fois pour y rester jusqu'à la fin des siècles ». Le Camus, l. c., p. 603 et 604. - Je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Quarante jours encore séparaient les deux glorieux mystères de la Résurrection et de l'Ascension. - Mais allez à mes frères. Nom si doux que Jésus daigne donner à ses apôtres, même maintenant qu'il est tout céleste, et même après leur lâche abandon, cf. Romains 8, 12 et ss. - Et dites‑leur : Je monte... Le temps présent exprime la certitude et la proximité du départ : la terre n'est déjà plus la patrie du divin Ressuscité. - Vers mon Père et votre Père. L'article n'est pas répété, afin de marquer que le même Dieu est père des chrétiens et de Jésus. Cette conséquence découle d'ailleurs de l'appellation de « frères » : ceux qui se la donnent entre eux ont le même père, quoiqu'il s'agisse évidemment ici de paternités bien distinctes. « Le Sauveur ne dit pas : notre Père. Il est le mien d'une manière, il est le vôtre d'une autre, il est le mien par nature, il est le vôtre par sa grâce ». S. Augustin d'Hippone, Traités sur S. Jean, 121, 3. - Vers mon Dieu et votre Dieu. C'est seulement en tant que Verbe fait chair que Jésus‑Christ peut dire : Mon Dieu. Dans les lettres de S. Paul on trouve assez souvent associés ces deux titres : « le Dieu et Père de N.-S. Jésus‑Christ. » cf. Romains 15, 6 ; 2 Corinthiens 1, 3 ; 11, 31 ; Éphésiens 1, 3, etc.



Jean 20.18 Marie-Madeleine alla annoncer aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur et qu'il lui avait dit ces choses. - La scène est close brusquement, comme en tant d'autres circonstance. On nous montre simplement Marie qui s'acquitte à la hâte du message de Jésus : elle vint annoncer... (au présent, dans le grec ; sans doute en courant, cf. v. 2).


Jean 20.19 Le soir de ce même jour, le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étant fermées, parce qu'ils craignaient les Juifs, Jésus vint et se présentant au milieu d'eux, il leur dit : "La Paix soit avec vous." - Jean 20, 19-23. = Marc. 16, 14 ; Luc. 24, 36-43. - Le soir... Les circonstances de temps et de lieu sont notées d'une façon très précise. La nuit était sans doute assez avancée, puisque les disciples d'Emmaüs avaient eu le temps de rentrer à Jérusalem, cf. Luc. 24, 35-36 et le commentaire. - De ce même jour : en ce grand jour, qui a été justement appelé depuis « solennité des solennités ». - Le premier de la semaine. Les critiques d'après lesquels S. Jean supputerait les heures de minuit à minuit, selon le système romain, croient ce passage très favorable à leur thèse : le soleil étant couché depuis longtemps, disent‑ils, pour les Juifs c'était déjà « le deuxième jour après le sabbat », tandis que le narrateur continue d'écrire « le premier ». Mais la conclusion n'est pas rigoureuse. Le dimanche finissant à peine, même relativement à des lecteurs juifs il y aurait eu occasion prochaine d'erreur à mentionner le lundi. Les jours orientaux sont d'ailleurs beaucoup plus élastiques que les nôtres, car ils ne commencent pas à heures fixes. - les portes. Le grec aussi a le pluriel, bien qu'il soit question d'une seule porte : on retrouve cet usage chez les classiques, et il provient de ce qu'une même porte avait plusieurs battants. - Étant fermées. Ce détail est mentionné à deux reprises (cf. v. 26), pour relever le caractère surnaturel de l'apparition. De plus, il nous apprend que le corps du Christ ressuscité n'était plus soumis aux conditions ordinaires du monde matériel, cf. 1 Corinthiens 15, 42-44. - Du lieu où se trouvaient les disciples. C'était probablement au cénacle, cf. Actes 1, 13. « Disciples » désigne d'abord les apôtres, à part S. Thomas (v. 24) ; puis, d'après S. Luc, 24, 33, un certain nombre d'autres disciples. Il est naturel que les amis de Jésus se soient réunis au soir de ce grand jour, pour s'entretenir des faits extraordinaires qui s'y étaient passés, et aussi, pour discuter un plan de conduite. - parce qu'ils craignaient les Juifs. Les hiérarques, après s'être acharnés contre le Maître, n'allaient‑ils pas tomber sur les disciples afin d'étouffer promptement la religion naissante ? On pouvait d'autant plus le redouter maintenant que le bruit de la résurrection de Jésus commençait à se répandre. Voilà pourquoi les portes étaient fermées : on voulait parer à une surprise. - Jésus vint. Quelques anciens auteurs discutent bien inutilement sur la manière dont Notre‑Seigneur pénétra dans la salle. Le texte ne dit rien qui puisse faire supposer une ouverture miraculeuse des portes, « la créature qui cède au Créateur » (S. Jérôme) mention en eût été faite, si elle avait eu lieu, cf. Actes 12, 10. - Et se présentant au milieu d’eux. Circonstance dramatique. Jésus apparaît tout à coup et se tient debout au milieu de l'assemblée, aimable et majestueux tout ensemble, cf. 19, 13 ; 21, 4 : Tous purent donc constater de près la réalité du corps de Jésus, et se convaincre que l'apparition n'avait rien de fantastique. - La paix soit avec vous. C'était la salutation ordinaire chez les Juifs (שלום לכם, Schalôm lâkem). Voyez la note sous Luc, 1, 28. Mais quelle force n'avait‑elle pas sur les lèvres du Christ ressuscité, et adressée à ses plus intimes amis. Elle convenait à merveille pour calmer leurs craintes de diverse nature, qui provenaient soit des Juifs, soit de l'apparition inattendue de leur Maître (cf. Luc. 24, 38), et pour les consoler de leurs douleurs si récentes et si vives.



Jean 20.20 Ayant ainsi parlé, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. - A son doux souhait de paix, Jésus daigne associer un acte qui devait les rassurer plus complètement encore. - Il leur montra ses mains et son côté. D'après S. Luc : « ses mains et ses pieds ». S. Jean ayant parlé de l’ouverture du côté, 19, 34 et ss., signale naturellement la cicatrice restée au sacré côté. Glorieux stigmates, que le Sauveur montra d'abord aux siens comme des signes irrécusables de sa résurrection (cf. Actes 1, 3), qu'il montre constamment à son Père pour obtenir le pardon des pécheurs, et aux élus pour leur prouver son généreux amour. - Les disciples furent remplis de joie... Et de quelle joie intense, maintenant qu'ils avaient une certitude complète et personnelle. C'était la réalisation d'une promesse faite par Jésus la veille de sa mort, 16, 20 : « vous serez dans la tristesse ; mais votre tristesse sera changée en joie ». - En voyant le Seigneur : motif de leur bonheur.



Jean 20.21 Il leur dit une seconde fois : "La Paix soit avec vous. Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie." - Et il leur dit une seconde fois. À présent qu'ils sont calmés et rassurés, certains de sa résurrection, ils peuvent entendre le grand message que le Seigneur leur apporte. - La paix soit avec vous. Plus haut, v. 19, le souhait de paix concernait surtout le passé et le présent ; il regarde maintenant l'avenir des disciples. En effet, Jésus le réitère non comme un adieu aux disciples, ainsi qu'on l'a pensé quelquefois, mais comme une transition solennelle à la mission qu'il va leur donner. - Comme mon Père m'a envoyé. « Comme » attire l’attention sur la correspondance étroite qui existait entre les deux missions et les deux autorités qui les conféraient, cf. 17, 18. Les apôtres n'auront donc pas à commencer une nouvelle œuvre ; ils devaient continuer celle de Jésus. - Moi aussi : conjonction et pronom très emphatiques. Lui, muni de divins pouvoirs ; lui, l'envoyé, le chargé de mission par excellence, cf. Hébreux 3, 1. - Je vous envoie. Dans le grec, πεμπω, verbe moins relevé que « charger de mission », et marquant un simple envoi. La mission du Christ était un fait depuis longtemps accompli, de là le parfait ; celle des apôtres allait commencer, de là le temps présent. Avant tout ils seront les hérauts de la résurrection, ce miracle des miracles, dont ils venaient d'acquérir une entière certitude, cf. Actes 1, 22 ; 2, 32 ; 4, 2, 33, etc. - Remarquez, dans cette parole de Jésus, le parallélisme des mots, qui est aussi complet que celui des idées : « Le Père, moi ; a envoyé, envoie ; moi, vous. »

Jean 20.22 Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit-Saint." - Après ces paroles . Cette formule unit de la manière la plus intime l'action qui suit (« il souffla ») à la parole « Comme mon Père m'a envoyé ». Aucun incident intermédiaire ne les sépara. Après la charge, vient un don spécial qui aidera les disciples à s'en bien acquitter. - Il souffla. Ce mot n'est employé en aucun autre passage du Nouveau Testament ; mais les Septante s'en servent Genèse 2, 7, pour marquer la communication de la vie au premier homme par le Créateur, cf. Livre de la Sagesse 15, 11. Jésus transmit par le même geste une vie nouvelle à ses amis, en vue de leurs sublimes fonctions. C'est un symbole, évidemment, basé sur les relations qui existent soit entre le souffle et l'esprit (3, 8), soit entre la respiration et la vie, cf. Ézéchiel 37, 5 et ss.. - Et leur dit... Le Sauveur s'était servi du même terme en distribuant aux Douze la Sainte Eucharistie, cf. Matth. 26, 26, et parall. Donc, en ce moment, les disciples ne reçurent pas une simple promesse (S. Jean Chrysost., Grotius, etc.), mais une véritable effusion de l'Esprit‑Saint, quoique partielle (les arrhes de la Pentecôte), en attendant la communication plénière et plus solennelle de ses dons dans un prochain avenir, cf. 7, 39 ; Actes 2, 1 et ss. Ce texte est classique pour démontrer la procession de l'Esprit‑Saint « du Père et du Fils ». S. Anselme en tire encore deux conclusions pour le traité de l'Incarnation : « Le Christ était un vrai homme qui peut respirer, un vrai Dieu qui peut donner l’Esprit saint ».











Jean 20.23 "Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus." - Un pouvoir tout céleste, « le pouvoir des clés », est associé à l'effusion du Saint Esprit. - Les péchés, ils leur seront remis... Il n'y a d'exception ni pour les individus, ni pour les péchés. Le verbe est le même que dans l'Oraison dominicale, où l'on dit à Dieu, Matth. 6, 12 : « Et remettez-nous nos dettes ». Les disciples sont donc autorisés par cette parole de Jésus à faire ce que Dieu fait lui‑même à l'égard du péché. - Dans le texte grec, cette tournure aussi est très expressive, car elle indique que les péchés sont remis « ipso facto », sans le moindre intervalle entre l'absolution extérieure et le pardon intérieur. - ils leur seront retenus... Jésus fait une autre hypothèse. Il se rencontrera des cas où les pécheurs seront indignes de pardon, parce qu'ils n'auront pas une contrition sincère, un regret authentique ; alors les représentants du Christ devront « retenir » les péchés au lieu de les remettre. Nul doute qu'il ne s'agisse en cet endroit du sacrement de Pénitence et de son institution. « Si quelqu’un dit que ces paroles du Sauveur : recevez l’Esprit saint, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et retenus ceux que vous retiendrez, ne doivent pas être comprises au sens du pouvoir de remettre et de retenir les péchés dans le sacrement de pénitence ; et, contre l’institution de ce sacrement,  en déformera le sens pour leur faire signifier le pouvoir de prêcher l’évangile, qu’il soit anathème ». Concile de Trente, Session 14, can. 3, cf. Matth. 18, 18 et le commentaire ; Bellarmin, De Pœnitentia, lib 3, cap. 2. Regretter sincèrement revient à se dire que si l’on pouvait voyager dans le temps et revenir en arrière dans le passé, on ne commettrait pas ce péché. Si l’on dit que l’on regrette d’avoir péché mais que si l’on pouvait revenir dans le passé, on referait la même chose et l’on commettrait à nouveau ce péché, alors on prouve que l’on ne regrette pas de l’avoir commis. Cela revient à prouver que l’on n’a pas la contrition du péché en question.



Jean 20.24 Mais Thomas, l'un des douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. - Mais Thomas. C'est la troisième fois que l'apôtre S. Thomas (un des douze) est nommé dans notre évangile, cf. 11, 16 ; 14, 5. Il le sera bientôt une quatrième, 21, 2. Sur son surnom de Didyme, voyez 11, 16 et l'explication. - N'était pas avec eux... Cette absence n'était due qu'à un hasard providentiel ; il est possible qu'elle provînt du découragement qui aurait envahi l'âme de S. Thomas après la passion de N.-S. Jésus‑Christ. Sombre et mélancolique par nature, il aurait fui la compagnie des apôtres le jour de la résurrection, pour s'abandonner à ses idées noires dans la solitude.



Jean 20.25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur." Mais il leur dit : "Si je ne vois dans ses mains la marque des clous et si je ne mets mon doigt à la place des clous et ma main dans son côté, je ne croirai pas." - Les autres disciples lui dirent… « dirent » n'est pas une traduction exacte ; « disaient » marque mieux l'insistance que mettaient les autres disciples à témoigner devant leur frère incrédule de la résurrection du Christ. - Nous avons vu le Seigneur. Et, à ce fait général, ils ajoutaient tous les détails de l'apparition. - Mais il leur dit. Le changement de temps est remarquable. Après avoir écouté quelque peu, S. Thomas se mit à fixer une bonne fois, en termes résolus, comme un homme qui n'a pas deux manières de penser, les conditions qu'il mettait à sa foi. - Première condition : Si je ne vois... Il veut voir à son tour de ses propres yeux. Ses amis lui avaient naturellement parlé du geste aimable de Jésus, v. 20 ; il en veut tout autant pour se convaincre. - Dans ses mains la marque des clous. Dans le grec, chaque substantif est accompagné de l'article, ce qui donne une singulière énergie au langage de S. Thomas. Voyez, dans l’Évangile selon S. Matth., 27, 35, la conclusion ridicule que divers écrivains rationalistes ont tirée de ce que les blessures des pieds ne sont mentionnés ni dans ce verset ni au 20e. - Deuxième condition : Si je ne mets mon doigt à la place des clous. S. Thomas se hâte d'ajouter que voir ne lui suffira pas ; il veut une démonstration palpable, passer son doigt à la place des clous. - Troisième condition : et ma main dans son côté... Les paroles sont parfaitement appropriées aux circonstances : le doigt pour les cicatrices de la main, la main entière pour la plaie profonde qu'avait creusée le fer de la lance. - Je ne croirai pas. On devine l'énergie farouche du désespoir avec laquelle ces mots de la fin durent être prononcés. Quelle obstination rigide. « L'horrible tableau du Calvaire était resté vivant dans l'imagination du disciple, toujours aimant, quoique incrédule, et d'autant plus découragé qu'il était plus aimant », Le Camus, Vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 2, p. 726.



Jean 20.26 Huit jours après, les disciples étant encore dans le même lieu et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées et se tenant au milieu d'eux, il leur dit : "La Paix soit avec vous." - Huit jours après. En comptant les points extrêmes, selon la coutume juive ; par conséquent, le dimanche d'après. - Les disciples étant encore dans le même lieu... Cette formule n'exclut pas d'autres réunions intermédiaires ; elle indique néanmoins que Jésus ne fit dans l'intervalle aucune apparition aux disciples assemblés. Au même endroit que précédemment ; l'heure n'est pas notée cette fois. Il semble surprenant que les disciples ne se fussent pas encore mis en route pour la Galilée, selon que leur Maître le leur avait fait dire (Matth. 28, 7 ; Marc. 16, 7) ; mais rien de précis ne leur avait été prescrit à ce sujet, et ils demeuraient sans doute à Jérusalem dans l'espoir d'y jouir de quelque nouvelle apparition. - Et Thomas avec eux ; par contraste avec le v. 24. C'est pour lui surtout qu'aura lieu la nouvelle manifestation du Christ ressuscité. - Jésus vint (dans le grec, le verbe est au présent ; l'absence de toute particule a quelque chose de solennel et de rapide). Le narrateur signale trois circonstances, identiques à celles qui accompagnaient la première apparition dans le cénacle : l'entrée miraculeuse (les portes étant fermées), l'attitude de Jésus au milieu des siens (se tenant au milieu d’eux), la salutation (La paix soit avec vous).



Jean 20.27 Puis il dit à Thomas : "Mets ici ton doigt et regarde mes mains, approche aussi ta main et mets-la dans mon côté et ne sois pas incrédule, mais croyant." - Puis : Après avoir salué tous les disciples présents, N. S. Jésus‑Christ s'adresse en particulier à l'apôtre incrédule, et il lui offre spontanément de réaliser toutes les conditions qu'il avait affirmées nécessaires pour croire à la résurrection. - Mets ici ton doigt... Le Sauveur emploie presque identiquement les paroles de S. Thomas, montrant ainsi qu'il connaît, par sa science divine, tout ce qui s'est passé ; c'était le meilleur moyen de l'amener à résipiscence et de le convaincre. Tout ce passage est rythmé : deux phrases à deux membres chacune, et une autre proposition pour conclure : - Ne sois pas incrédule... Le doute de S. Thomas n'était pas allé jusqu'à une incrédulité proprement dite ; toutefois l'apôtre, s'il n'eût cédé cette fois, serait vraiment devenu infidèle. - Mais croyant. En se rendant à l'évidence des faits. S. Grégoire le Grand, Hom. in Evang. 26, a ici une touchante remarque : « L’infidélité de Thomas est plus profitable à notre foi que la fidélité des disciples croyants, parce que, comme celui‑là est ramené à la foi en palpant les plaies du Sauveur, notre esprit est solidifié dans la foi en mettant de côté tout doute ».



Jean 20.28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu." - L'apôtre est vaincu, écrasé même, non seulement par l'apparition subite de Jésus, mais surtout par ce langage qui lui rappelait si vivement sa faute. Il ne demande plus de preuves ; ce simple cri d'adoration s'échappe de son cœur : Mon Seigneur et mon Dieu. « Il a fait une profession de foi d’autant plus limpide qu’il avait été avant plus incrédule », Maldonat. Magnifique témoignage en effet, qui répare sa faiblesse antérieure.



Jean 20.29 Jésus lui dit : "Parce que tu m'as vu, [Thomas,] tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru." - Le bon Maître accepte cette noble confession ; mais, dans sa réponse, il relève la supériorité d'une foi prompte et sans réserve. - Parce que tu m'as vu, Thomas (ce nom est omis par l'Itala,. le syr. et la plupart des manuscrits grecs), tu as cru. Dans le grec, deux parfaits, qui dénotent deux actions accomplies. - Heureux... Nouvelle béatitude évangélique, ajoutée pour tous ceux qui ont eu le bonheur de croire au Verbe fait chair sans l'avoir vu de leurs propres yeux. Jésus l'oppose à la foi tardive de S. Thomas, et c'est là le seul blâme qu'il adresse à cette brebis momentanément égarée. - Ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru. Croire malgré l'absence de preuves matérielles, telle est la perfection de la foi. Pourtant il fallait bien que les disciples eussent vu et touché l'Homme‑Dieu, pour fournir des arguments à notre croyance ; mais, après l'Ascension une nouvelle ère a commencé : « Mais t'écouter seulement fonde la certitude de foi », Saint Thomas d’Aquin, Adoro te devote. Bienheureux quiconque le fait sans hésiter.

Jean 20.30 Jésus a fait encore en présence de ses disciples beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. - Beaucoup d'autres miracles... En terminant le récit des faits glorieux qui s'étaient passés dans l'octave de la Résurrection, S. Jean s'excuse en quelque sorte d'être si bref sur une vie si riche en miracles. Car les mots Jésus fit encore ne s'appliquent pas seulement aux jours récemment écoulés, mais à toute la vie publique de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. « Autres » désigne des miracles d'un autre genre, d'une autre nature que ceux qui ont été narrés par l'évangéliste. Dans cette formule il est donc successivement question de la quantité (« beaucoup ») et de la qualité. - En présence de ses disciples. Remarque importante pour l'authenticité des faits, ainsi qu'il a été dit à propos du v. 29. Nous ne croyons pas sans preuves, mais en nous appuyant sur le témoignage de témoins oculaires. - Qui ne sont pas écrits dans ce livre. Le narrateur, sur le point d'achever son œuvre, jette sur elle un dernier coup d’œil, et il y aperçoit, des lacunes, qu'il voudrait combler, s'il est possible, par cette réflexion générale. Dans ce verset, il nous fait donc part de sa méthode comme écrivain : ne pouvant tout dire, il a choisi parmi les miracles innombrables de son Maître. Comment, en face de cette déclaration, des critiques sérieux peuvent‑ils raisonner ainsi : Jean omet ; donc il nie ou ignore. Tel est pourtant le raisonnement perpétuel des rationalistes.



Jean 20.31 Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et qu'en croyant vous ayez la vie en son nom. - Ceux‑ci ont été écrits (par opposition aux miracles omis). S. Jean a donc fait un choix (v. 30) : il va nous dire quels critères l'ont guidé dans ce choix. « Beaucoup de choses en peu de mots », dit fort bien Maldonat. - Afin que vous croyiez. Le but du disciple bien‑aimé était moins d'instruire que de susciter la foi. Et l'objet de la foi qu'il aurait voulu implanter en tous lieux était double : 1° Jésus est le Messie (Jésus est le Christ) ; 2° il est le Fils de Dieu dans le sens strict et théologique du mot : Jésus est vrai Dieu et vrai Homme, il est Dieu fait homme. - Et qu’en croyant... Autre but, qui découle du premier : la foi, par l'intermédiaire des œuvres, conduit au salut les âmes croyantes. - Vous ayez la vie : la vie « éternelle », cf. 1 Jean v. 13. - En son nom : c'est-à-dire par l'influence de ce nom tout‑puissant. - Jésus, le Christ, Fils de Dieu : telle est l'idée dominante du quatrième évangile ; elle retentit au début, au milieu, à la fin, partout. Aucun écrivain n'a jamais été plus fidèle que le nôtre à son plan primitif. Voyez notre propre Préface, § 3, 3.





CHAPITRE 21

Jean 21.1 Après cela, Jésus se montra de nouveau à ses disciples sur les bords de la mer de Tibériade et il se montra ainsi : - Le quatrième évangile semblait achevé, car c'est une vraie conclusion que nous avons lue à la fin du chapitre 20 ; voici pourtant que la narration recommence et se poursuit quelque temps encore, toujours à propos du divin Ressuscité. C'est donc une sorte de « post‑scriptum » (Trench) que l'apôtre crut devoir ajouter à son manuscrit déjà terminé, un épilogue qui correspond au prologue du premier chapitre. M. Renan lui‑même admet que cette page fut rendu public en même temps que le reste du volume, et qu'elle provient de la même main. Cependant, tous les rationalistes ne sont pas de cet avis, et beaucoup d'entre eux n'ont pas manqué de soulever ici plus que jamais la question d'authenticité. Vains efforts, comme l'atteste quiconque examine les faits sérieusement, sans a priori. Les deux genres de démonstration dont on se sert pour garantir que tel écrit est bien de tel auteur, c’est-à-dire les preuves extrinsèques et les preuves intrinsèques, parlent de la manière la plus formelle en faveur de S. Jean. 1° Bien loin d'apporter la moindre évidence externe contre l'authenticité, nos adversaires ont contre leur thèse tous les manuscrits, toutes les versions, tous les écrivains anciens, qui citent unanimement ce chapitre 21. Les doutes ne remontent qu'à Grotius, qui se prit à imaginer que ce passage avait été ajouté par les notables de l’Église d’Éphèse, après la mort de S. Jean. 2° Les preuves intrinsèques alléguées par les « hypercritiques » se retournent également contre eux avec une force invincible. Ils prétendent que le style n'est plus le même : il est aisé de leur démontrer que le langage est identique à celui du chapitre précédent. On a compté jusqu'à vingt‑cinq détails distincts qui révèlent la plume de S. Jean. Bornons‑nous à mentionner : la particule ουν (donc), qui revient jusqu'à sept fois dans ces quelques lignes (vv. 5, 6, 7, 9, 15, 21, 23) ; les omissions des conjonctions qui marquent la liaison des phrases, aussi fréquents que partout ailleurs (v.3 : « Simon‑Pierre leur dit » ; v. 5 : « ils lui dirent » ; v.10 : « Jésus leur dit », etc.) ; les expressions caractéristiques, telles que le double « Amen », v. 18, le verbe πιαξειν (prendre), employé deux fois ici, vv. 3 et 10, six autres fois dans le cours du quatrième évangile, seulement trois fois en tout dans les autres livres du Nouveau Testament ; la formule « mer de Tibériade », etc. On a objecté aussi que le genre et la méthode de l'écrivain ne sont plus les mêmes : rien de plus faux, et tout, au contraire, à ce nouveau point de vue, est une garantie pour S. Jean. « Il n’y a personne qui n’admette pas que Jean en est l’auteur, qu’il a été témoin oculaire des choses qu’il raconte. Le style du récit est le même dans tout l’évangile. Il est approprié, simple, naturel, et en même temps clair et vivant » Patrizi, In Jean Comment., p. 231. En quel endroit Baümleim a‑t‑il trouvé une « moindre clarté » ? Quoique partisan d'une rédaction plus tardive, Ewald avoue qu'il faut « reconnaître ici l'esprit si caractéristique de Jean ». Oui, « partout sa main apparaît de la façon la plus évidente ; partout son esprit et son caractère se manifestent de telle sorte, qu'il faut être imbu des plus profonds préjugés pour ne pas les reconnaître » (Alford, h. l.). Tout au plus peut‑on faire une réserve pour le dernier ou pour les deux derniers versets, dont nous parlerons plus bas ; mais l'authenticité des vv. 1-23 ne saurait faire raisonnablement l'ombre d'un doute. Quant aux motifs qui ont porté S. Jean à ajouter cette page à son œuvre, on peut les ramener à trois principaux : confirmer par un nouvel épisode le grand miracle de la Résurrection, mettre fin aux bruits erronés qui avaient cours dans les chrétientés asiatiques au sujet de sa propre personne (cf. v. 23), proclamer bien haut la primauté de S. Pierre. « Pour donner à son évangile une fin qui convienne, l’évangéliste raconte ce que le Seigneur a fait pour son église et ses fidèles avant de se soustraire visiblement aux siens en montant au ciel : il a laissé sur la terre un seul vicaire qui le remplace dans l’administration et le gouvernement de l’église, succédant l’un après l’autre au premier, Pierre, qui a été choisi et institué par Lui », Tolet. - Jean 21, 1-14. Les rationalistes, toujours féconds en inventions étranges, voudraient nous arrêter derechef à propos de ce fait particulier, qu'ils prétendent ne différer que par des « embellissements poétiques » de l'incident analogue raconté par S. Luc, 5, 1-11. Il est manifeste que les deux pêches furent complètement distinctes, malgré leurs ressemblances incontestables ; la réitération du miracle pour les mêmes personnages n'en est que plus extraordinaire, car elle met davantage en évidence la leçon que Jésus voulait donner à ses « pêcheurs d'hommes ». Seulement, l'époque n'est pas la même ; Notre‑Seigneur se tient sur le rivage et non dans la barque de Pierre, le miracle a lieu à peu de distance du bord ; etc. - Après cela : formule de transition familière à S. Jean, cf. 5, 1 ; 6, 1 ; 7, 1, etc. Nous avons dit plus haut que lorsque le pronom y est mis au pluriel, elle dénote une succession moins immédiate des événements. - Jésus se montra. Autre expression aimée de S. Jean, cf. v. 14 ; 7, 4, etc. Au chap. 2, v. 11, elle indiquait la manifestation du Messie par son premier miracle ; ici, c'est le dernier miracle qui est raconté. Jésus ressuscité n'était vu que de ceux auxquels il consentait à se montrer ; sans une faveur spéciale, le regard humain eût été impuissant pour l'apercevoir : il fallait donc qu'il daignât « se manifester ». Le mot est fort bien choisi, cf. Marc. 16, 12, 14 ; Luc. 24, 34 ; Actes 13, 31 ; 1 Corinthiens 15, 5-8. - De nouveau. Allusion aux apparitions antérieures, 20, 19, 26. - À ses disciples. Cette fois, nous trouvons les disciples en Galilée, conformément à l'invitation de leur Maître (Matth. 26, 52 ; 28, 10). Ils durent quitter Jérusalem quelque temps après l'octave de la Pâque, cf. 20, 26 et ss. Il est remarquable que S. Jean n'a écrit qu'une fois, 13, 16, le mot « apôtre » ; « disciple » est son nom favori pour désigner les amis de Jésus. - sur les bords de (dans le grec, au‑dessus de ; c'est-à-dire, sur la rive qui est plus élevée que le niveau des eaux) la mer de Tibériade. Au sujet de cette dénomination propre à S. Jean, voyez 6, 1 et le commentaire. S. Matthieu expose seulement les apparitions de Jésus en Galilée après sa résurrection ; dans S. Marc et S. Luc il n'est question que des apparitions de Jérusalem ; S. Jean a des unes et des autres. - et il se montra ainsi... Répétition solennelle, qui est bien dans le genre de notre narrateur. Le « ainsi » introduit le récit d'une manière pittoresque, et rappelle le passage 4, 6.



Jean 21.2 Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanaël, qui était de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples, étaient ensemble. - De l'acteur principal, N.-S. Jésus‑Christ, nous passons aux héros secondaires, qui furent au nombre de sept, y compris Simon‑Pierre, leur chef. Si S. Jean ne donne nulle part la liste proprement dite des apôtres, il nous fournit du moins ici une nomenclature partielle. - Simon‑Pierre, cf. Matth. 10, 2 : « le premier, Simon, appelé Pierre ». - Thomas, appelé Didyme. Il est placé aussitôt après S. Pierre, parce qu'il a paru récemment sur la scène. Aucun évangéliste ne parle de lui autant que S. Jean. - Nathanaël... Voyez 1, 46 et le commentaire. S. Jean seul le signale sous ce nom. Nous avons déterminé autrefois (2, 1 et la note) la situation de Cana en Galilée. - Et les fils de Zébédée. S. Jacques le Majeur et S. Jean. Voilà bien encore la manière habituelle de notre évangéliste, de ne mentionner qu'indirectement soit son frère, soit lui même. Le nom de « fils de Zébédée » n'apparaît pas ailleurs dans son récit. - Et deux autres. Inutile de se perdre en conjectures pour retrouver ces deux disciples innommés (on a dit, par exemple, que c'étaient André et Philippe, attendu qu'ils se trouvaient avec S. Pierre, S. Jacques, S. Jean et Nathanaël au début de l'évangile, 1, 40, 43). On peut du moins affirmer avec beaucoup de vraisemblance qu'ils appartenaient comme les cinq autres au groupe des douze apôtres (« de ses disciples », dans le sens strict). S. Jean, n'ayant pas eu l'occasion de citer leurs noms dans les pages qui précèdent, à propos d'épisodes spéciaux, n'aura pas cru devoir les inscrire dans son épilogue (Luthardt). - Parmi ces sept apôtres, S. Pierre et S. Jean, S. Pierre surtout, vont jouer les rôles proéminents.



Jean 21.3 Simon-Pierre leur dit : "Je vais pêcher." Ils lui dirent : "Nous y allons nous aussi avec toi." Ils sortirent donc et montèrent dans la barque, mais ils ne prirent rien cette nuit-là. - Simon‑Pierre leur dit... Maintenant comme toujours Pierre est le moteur et pour ainsi dire le ressort du groupe des apôtres. Il propose, et les autres répondent : Nous allons avec toi. Et pourtant, il se trouve des critiques qui prétendent que le grand et unique but du quatrième évangile est de déprécier Pierre à l'avantage de Jean. - Je vais pêcher. Il résulte de ce détail que les apôtres avaient repris leurs anciennes occupations ; il le fallait bien pour vivre, maintenant qu'il n'y avait plus de bourse commune. Voyez S. Augustin, Traités sur S. Jean, 122. Parmi les sept qui nous ont été présentés, trois au moins avaient exercé le métier de pêcheurs : S. Pierre, S. Jacques et S. Jean, cf. Matth. 4, 19 et parall. - Nous y allons nous aussi... Comme tout cela est vivant et sent le témoin oculaire. La parole de Pierre contenait une invitation indirecte, que les autres comprirent et acceptèrent. - Ils sortirent donc (du lieu où ils se trouvaient) et montèrent... Deux détails graphiques. La barque appartenait aux disciples, ou du moins avait été mise d'une manière permanente à leur disposition. - Et cette nuit‑là..., comme si le fait eût été extraordinaire et nouveau. La nuit est du reste le temps le plus favorable pour la pêche, cf. Aristote, Hist. anim. 8, 9. - Ils ne prirent rien. Cette note prépare le miracle. Voyez Luc. 5, 5. S. Jean est le seul des écrivains du Nouveau Testament qui emploie ce verbe prendre : deux fois dans ce chapitre (cf. v. 10), dix autres fois depuis le début de l'évangile (7, 30, 32, 44 ; 8, 20 ; 10, 39 ; 11 57), une fois dans l'Apocalypse, 19, 20.



Jean 21.4 Le matin venu, Jésus se trouva sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était Jésus. - Le matin venu. Il s'agit du crépuscule, après une nuit de rudes et vaines fatigues pour les disciples. - Jésus se trouva. Tout à coup, ainsi que l'exprime si bien le style pittoresque de S. Jean, cf. 20, 14, 19, 26. - Sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était Jésus. Dans le texte grec la particule μέντοι relève le caractère extraordinaire du fait (on la trouve quatre autres fois dans l'évangile selon S. Jean: 4, 27 ; 7, 13 ; 12, 42 ; 20, 5 ; trois fois seulement ailleurs). Comme cela avait eu lieu pour Marie‑Madeleine, Jésus ne voulait pas être immédiatement reconnu. Et il y avait quelque distance entre lui et les disciples, et c'était encore l'aube.





Jean 21.5 Et Jésus leur dit : "Les enfants, n'avez-vous rien à manger ?" Non, répondirent-ils. - Et Jésus leur dit : pour se manifester peu à peu. - Les enfants, παιδια et non τεκνια. Le second diminutif a quelque chose de plus délicat et de plus tendre (cf. 13, 33), et c'est précisément pour cela que Jésus ne l'emploie pas ici ; les apôtres n'auraient pas eu alors la moindre hésitation sur la personne de leur interlocuteur ; παιδια, quoique familier (cf. 1 Jean 2, 1, 12, 28, etc.), est moins intime. - N’avez-vous... formule qui suppose une réponse négative ; Jésus sait que les disciples n'ont rien pris. - A manger. Le substantif προσφαγιον ne se rencontre qu'en cet endroit du Nouveau Testament ; il équivaut à « provisions », « aliments », et désigne étymologiquement « ce que l'on mange avec » le pain. Dans le cas actuel c’était évidemment du poisson. - Non, répondirent-ils. L'eau, qui transmet si facilement les sons, porta au divin Maître cette sobre réponse.



Jean 21.6 Il leur dit : "Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez." Ils le jetèrent et ils ne pouvaient plus le tirer à cause de la grande quantité de poissons. - Jetez le filet à droite (dans les parties de droite) de la barque. Quand on regarde la proue d'un bateau on a son côté droit à main droite. Les apôtres avaient probablement pêché jusqu'alors du côté gauche. - Le filet : « le terme le plus général pour toutes espèces de filets, cf. Matth. 4, 20. - Ils le jetèrent. En suivant sur‑le‑champ le conseil de leur interlocuteur inconnu, comme l'on fait souvent en pareille circonstance. D'ailleurs, l'accent de certitude avec lequel il avait dit : et vous trouverez, les avait assurément frappés et encouragés. - Ils ne pouvaient plus le tirer. L'imparfait, qui est la leçon la mieux autorisée, dépeint très bien les vigoureux efforts des pêcheurs pour soulever le filet de l'eau et le décharger dans la barque. - À cause de la grande quantité de poissons. Par sa prescience divine, Jésus savait qu'une de ces troupes passait à droite de la barque au moment même où les apôtres jetaient leurs filets.



Jean 21.7 Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : "C'est le Seigneur." Simon-Pierre, ayant entendu que c'était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu et se jeta dans la mer. - Alors... (par suite de ce grand miracle). C'est la troisième et dernière parole que le disciple bien‑aimé prononce dans son propre évangile, cf. 1, 38 ; 13, 25. Il est si juste qu'il ait été, lui entre tous les autres, le premier à reconnaître Celui auquel il rendait amour pour amour. L'affection donne aux regards tant de clarté. Il fut le plus prompt aussi à établir un rapprochement entre ce fait et celui auquel il avait pris part quand il eut le bonheur d'être définitivement attaché à la personne de Jésus, cf. Luc. 5, 1-11. - C’est le Seigneur. S. Jean ne donne ce nom que deux fois à Notre‑Seigneur avant sa résurrection (4, 1 ; 6, 2 ) ; il le lui applique assez souvent depuis (20, 18, 20, 25, 28, et dans ce chapitre). - Dès que Simon‑Pierre, ayant entendu... La description devient aussi vivante et rapide que possible ; S. Jean nous rend vraiment témoins de la scène. - mit son vêtement et sa ceinture. Le substantif grec correspondant, employé en ce seul endroit du N. Test., ne désigne pas proprement la tunique, mais, d'après l’étymologie même (cf. Genèse 5, 1), un vêtement supérieur, qui consistait, pour les pêcheurs, au dire de Nonnus et de Théophylacte, en un long tablier ou blouse de lin, qu'ils portaient par dessus la tunique intérieure. Les Rabbins usent de ce même terme sous la forme אפונדתא. - Il mit (expression propre à S. Jean, cf. 13, 4, 5). Après s'être revêtu à la hâte de la tunique, S. Pierre la retroussa dans sa ceinture, afin que la jupe flottante ne gênât pas ses mouvements. - Car il était nu. Note rétrospective, qu'il ne faut pas interpréter à la lettre d'une manière absolue ; car « nu » est loin de désigner toujours une nudité complète. Ce qualificatif n'exclut pas un vêtement léger, tel qu’une courte tunique. Pierre était donc légèrement vêtu comme les pêcheurs ; mais il aurait craint de manquer de respect à son Maître en paraissant ainsi devant lui. - Et se jeta dans la mer... Il se jette dans le lac pour arriver plus promptement auprès de Jésus en gagnant le rivage à la nage. Que c'est bien lui l'homme de l'action, de même que S. Jean est l'homme de la contemplation. « Pierre était plus bouillant, Jean avait l'esprit plus élevé : celui‑là était plus prompt, celui‑ci plus éclairé ». S. Jean Chrysost., Homélie 87, 2.



Jean 21.8 Les autres disciples vinrent avec la barque car ils n'étaient éloignés de la terre que d'environ deux cents coudées, en tirant le filet plein de poissons. - Dans le texte grec, le mot correspondant à barque est un diminutif ; quelques commentateurs méticuleux ont conclu de là, bien à tort, que les disciples étaient passés de leur grosse barque de pêche dans un petit canot. - Vinrent : en ramant à l'aide de perches, mais plus lentement que S. Pierre, à cause du bateau et du filet qu'il leur fallait conduire. - Éloignés de la terre que d’environ de deux cent coudées. « Tu vois un écrivain expert en navigation, qui a appris à mesurer avec les yeux les distances d’une rive à l’autre ». Patrizi, h. l, cf. 6, 19 ; 11, 18. La coudée équivalait à environ 0,44 mètre. La distance indiquée peut s'évaluer approximativement à 90 mètres, cf. Apocalypse XXI, 17, où S. Jean mesure aussi par coudées. - Tirant le filet. Le terme grec n'est pas le même qu'au v.6 : là c'était « tirer du fond des eaux » ; ici nous lisons « traînant le filet derrière la barque ».

Jean 21.9 Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus et du pain. - Après la pêche symbolique, vient un repas également mystique dans sa signification, vv. 9-14. - Lorsqu'ils furent... Immédiatement, sans aucun intervalle de temps. - Descendus à terre, ils virent des charbons allumés deux expressions dont la première n'est employée que par S. Jean (cf. 18, 18 et la note), tandis que la seconde, toute graphique, correspond si bien à sa manière, cf. 2, 6 ; 19, 29, etc. - du poisson mis dessus (posé sur la braise). ’Oψαριον (voyez 6, 9 et le commentaire) est sans article ; c'est l'équivalent de notre expression collective « du poisson ». - Et du pain. « Pain » n'est pas non plus muni de l'article dans le texte grec : « du pain », pour manger avec le poisson grillé. - D'où venaient ces charbons allumés, ces poissons, ce pain ? Le narrateur ne le dit pas ; mais il ressort évidemment du texte que Jésus se les était procurés par un miracle. II serait mesquin ou ridicule de supposer que Notre‑Seigneur avait acheté ailleurs ces divers objets (Lampe), ou que S. Pierre les lui avait fournis (Baümlein, Weiss).



Jean 21.10 Jésus leur dit : "Apportez de ces poissons que vous venez de prendre." - Jésus leur dit : Apportez de ces poissons. Jésus donne aux poissons un nom conforme à l'usage qu'il en voulait faire, cf. v. 5. À part une fois (v. 9), et alors il s'agissait d'une circonstance particulière, S. Jean se sert, pour les mentionner, du mot ordinaire ιχθυες (cf. vv. 6, 8, 11), comme il convient à un pêcheur. - Que vous venez de prendre. La pêche miraculeuse avait eu lieu, en effet, quelques instants auparavant. - Il est important d'observer que N. S. Jésus Christ ne demanda pas ces poissons aux disciples pour les ajouter à ceux qui cuisaient déjà sur la braise ; le verset 13 paraît au contraire démontrer que le repas consista uniquement dans le pain et l'οψαριον merveilleux du v. 9. Les poissons qu'il désire seront pour lui : ils figurent symboliquement les âmes que ses disciples iront lui gagner à travers le monde, et qu'ils lui apporteront ensuite avec joie. Quant au repas même, dont les mets furent entièrement fournis par Jésus, il exprime la nécessité du divin concours et des grâces célestes, pour remplir avec fruit le rôle de pêcheur spirituel. Sans l'assistance du Seigneur, qu'auraient pu les apôtres et que pourrions‑nous?



Jean 21.11 Simon-Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit pas. - Simon‑Pierre monta dans la barque : Toujours ardent, il est le premier à exécuter les ordres de son Maître. Il monta dans la barque qui était maintenant amarrée tout auprès du rivage, il en détacha le filet et se mit à le traîner jusqu'à terre. - Plein de cent cinquante trois grands poissons. La quantité était associée à la qualité. En tirant les poissons du filet, les apôtres les comptèrent à la manière des pêcheurs, et avec une admiration facile à comprendre, qui perce à travers le récit. Les anciens auteurs ont aimé à interpréter spirituellement ce chiffre. Ils y ont vu, par exemple, l'emblème de Dieu et de l’Église, 100 se rapportant aux païens, 50 aux Juifs, 3 à la sainte Trinité (Severus, Ammonius, Théophylacte, etc.) ; ou bien, la totalité du monde païen qui devait se convertir à Jésus‑Christ par l'intermédiaire des apôtres et de leurs successeurs. S. Jérôme, qui admet ce second symbole, l'appuie sur l'idée, reçue alors chez les naturalistes, que toutes les espèces de poissons se ramenaient à 153. « Ceux qui ont écrit sur la nature et les propriétés des animaux, tant en latin qu’en grec, desquels Oppianus Cilix est le poète le plus savant, nous parlent des sortes de poissons qui ont tous été capturés par les apôtres, sans en omettre une », S. Jérôme in Ézéchiel 47. Les modernes ont fait des applications plus arbitraires encore prétendant que le chiffre 153 correspond exactement à la valeur numérique des lettres qui formaient le nom hébreu de S. Pierre : Schimeon (=71) bar (= 22) Iona (=31) Képha ( =29). S. Jean a simplement voulu relever par ce fait la grandeur du miracle. De même par le détail suivant : « quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit pas ». C'est un pêcheur qui parle, et il certifie sous cette forme négative que le filet se serait certainement rompu sans une intervention surnaturelle. Grotius a vu dans ce détail le « Présage de l’unité admirable de ceux qui seraient rassemblés dans l’Église par le travail des apôtres » : belle interprétation morale, mais surajoutée au texte.



Jean 21.12 Jésus leur dit : "Venez et mangez." Et aucun des disciples n'osait lui demander : "Qui êtes-vous ?" parce qu'ils savaient que c'était le Seigneur.. - Venez et mangez. Une crainte respectueuse retenait peut-être les disciples à quelque distance (voyez la ligne suivante) ; Jésus, avec sa bonté habituelle, les invite à s'approcher et à prendre part au déjeuner (car tel est ici le sens du verbe « mangez », d'après le v. 4) qu'il leur avait préparé. Était‑ce une récompense de leurs peines, figure des joies du ciel qu'ils posséderaient un jour (S. Augustin d'Hippone) ? Mais le ciel est plutôt un festin du soir (Apocalypse 19, 9), et les apôtres n'étaient encore qu'au début de leurs travaux. Il nous paraît donc mieux de regarder ce frugal repas comme un emblème des forces que Jésus conférait à ses amis en vue de leurs labeurs futurs. - Et aucun des disciples n'osait lui demander... On conçoit aisément qu'en face de la majesté du Christ glorieux, et à la suite d'un si éclatant miracle, les apôtres n'aient pas osé reprendre d'abord leurs libertés familières avec Jésus. Du reste, en outre du respect qui arrêtait les questions sur leurs lèvres (Qui êtes‑vous ?), à quoi bon demander un renseignement sur un point dont ils étaient tout à fait certains (ils savaient que c'était le Seigneur) ? « L'apparition de Jésus à ses disciples était revêtue de signes de vérité si évidents, qu'aucun d'eux n'osait ni la nier, ni même la révoquer en doute » S. Augustin d'Hippone Traités sur S. Jean 123, 1.



Jean 21.13 Jésus s'approcha et prenant le pain, il leur en donna, il fit de même du poisson. - Jésus s'approcha. Le bon Maître s'approcha du feu, pour présider au repas. - Prenant le pain. De nouveau il remplit le rôle de père de famille, ainsi qu'il avait fait si longtemps durant sa vie publique. La bénédiction liturgique fut sans doute prononcée, quoique le narrateur ne la mentionne pas. - Il leur en donna, il fit de même du poisson... Tous ces détails sont pittoresques dans leur simplicité. Rien ne fait soupçonner que Jésus ait pris lui‑même sa part du pain et du poisson.



Jean 21.14 C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il était ressuscité des morts. - cf. v. 1. Évidemment, il ne s'agit ici que des apparitions qui avaient eu lieu en faveur du collège des apôtres : 20, 19-23 formait la première, et 20, 24-27, la seconde. Toutes les manifestations particulières de Jésus ressuscité sont donc exclues pour le moment.

Jean 21.15 Lorsqu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?" Il lui répondit : "Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime." Jésus lui dit : "Pais mes agneaux." - Les deux pêches miraculeuses furent accompagnées pour S. Pierre d'importantes paroles de N.-S. Jésus‑Christ, qui lui conféraient de sublimes pouvoirs, cf. Luc, 5, 10. Mais la circonstance présente est la plus solennelle des deux (« C’est un passage lourd de sens », dit Maldonat). Le bon Maître a absous Pierre de sa faute, dans l'apparition particulière dont il l'a favorisé (cf. Luc. 24, 34 ; 1 Corinthiens 15, 5) ; il va maintenant, selon la pensée de S. Cyrille, lui réintégrer publiquement, lui confirmer sa dignité de chef des apôtres. C'est l'installation complète et définitive, après le choix (1, 42) et la promesse (Matth. 16, 17). - Lorsqu'ils eurent mangé. Formule qui rattache étroitement ces nouveaux détails aux précédents. Après le repas pris en commun par les sept apôtres, voici quelque chose de personnel pour S. Pierre. - Jésus dit à Simon‑Pierre... Fait digne de remarque : le narrateur continue d'appeler S. Pierre « Simon Pierre » (cf. vv. 2, 3, 7, 11) ou « Pierre » (vv. 17, 20, 21), tandis qu'à trois reprises (vv. 15, 16, 17), Jésus l'interpellera par son simple nom de famille, « Simon, fils de Jean », comme s'il voulait lui faire reconquérir la glorieuse dénomination de Céphas, que Simon avait momentanément cessé de mériter en cédant à la chair et au sang. Ce contraste est significatif. - Simon, fils de Jean. Il y a trois variantes dans le grec : Σιμων Ίωνα (la Recepta, A, C, X, etc.), Σιμων Ίωανου (B, D, etc.), Σιμων Ίωαννου (א) ; les deux dernières sont les meilleures - M'aimes‑tu plus que ceux‑ci ? L'amour, et un amour plus généreux que celui de tous les autres apôtres (avec un geste de leur côté ), telle est la condition à laquelle Jésus accordera au fils de Jean une éminente prérogative. Pierre s'était vanté de ne jamais abandonner son Maître, quand même tous les autres l'abandonneraient (13, 37 ; Matth, 26, 33 et parall.) ; et il l'avait ensuite lâchement renié ; il est juste que le Seigneur lui demande plus de dévouement et d'attachement qu'aux autres, avant de lui conférer plus d'honneur et de puissance. Il est « trivial et indigne de Jésus » (Trench) de traduire par le neutre le pronom « ceux‑ci », qui désignerait alors la barque de Pierre, avec le filet et les poissons. - Il lui répondit. De même à plusieurs reprises dans les vv. 15-17. Voilà bien les transitions si simples de S. Jean. - Oui, Seigneur, vous savez... Pierre s'en réfère à la toute‑science infaillible de Jésus, plutôt qu'à ses propres sentiments dont il avait expérimenté la fragilité ; le Christ ne le connaissait‑il pas mieux qu'il ne se connaissait lui‑même ? - Que je vous aime. S. Pierre emploie une autre expression que Jésus. φιλω au lieu de αγαπαω, et il s'en tiendra à φιλω dans ses deux autres réponses (vv. 16 et 17). Nous avons expliqué ailleurs ( 11, 3 et 5 ) les nuances délicates de ces deux verbes. φιλω dénote une affection plus tendre et plus chaude peut-être, mais plus naturelle et plus humaine ; tandis que αγαπω s'applique à l'affection de volonté, qui est plus relevée et plus inébranlable. Et c'est précisément à cause de cette différence que « S. Pierre n'a pas affirmé qu'il possède cet amour constant, inébranlable, pratique, qu'implique le mot αγαπη (1 Corinthiens 13), amour semblable à celui de Jésus pour ses amis... Il ne garantit que les émotions actuelles de son cœur, lesquelles il sait par expérience être faibles, quoique ardentes et tendres. Tel est le motif pour lequel il répond : φιλω σε. Il craint de s'élever à une profession supérieure à celle de φιλω S. August. Serm. 147, 2, et S. Ambroise, Exposit. in Luc. 10. Quant au « plus que ceux‑ci », il n'y fait aucune allusion ; toujours dans un sentiment d'humilité, se souvenant qu'après avoir promis d'agir mieux que les autres, il a été le plus lâche de tous, cf. S. Augustin d'Hippone Serm. 147, 2. - Pais mes agneaux. La confession a été moins parfaite que ne l’aurait souhaitée Jésus ; néanmoins, comme antérieurement (Matth. 16, 15-19), le témoignage de Pierre est aussitôt récompensé par une mission honorable et de confiance. « Le Seigneur confie ceux qu'il aime à celui dont il est aimé » (Luthardt). Le diminutif agneaux est un nom de tendresse pour désigner les fidèles. Le pronom mes insinue délicatement que le troupeau ne cesse pas d'appartenir à Jésus, même quand le berger suprême a daigné le confier à des bergers secondaires. « Si tu m'aimes, ne songe pas à te nourrir toi‑même, mais pais mes brebis, et pais‑les, non pas comme les tiennes, mais comme les miennes ; travaille à les faire concourir à ma gloire, et non à la tienne ; étends sur elles mon empire, et non le tien », S. August., Traités sur S. Jean 123, 5. Voyez aussi 1 Pierre 5, 1-4, où l'on croirait entendre un écho de cette scène.



Jean 21.16 Il lui dit une seconde fois : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Pierre lui répondit : "Oui, Seigneur, vous savez bien que je vous aime." Jésus lui dit : "Pais mes agneaux." - Il lui dit une seconde fois. Dans le grec, παλιν δευτερον avec pléonasme, cf. 4, 54 ; Actes 10, 15 (παλιν εκ δευτερου) ; Galates 4, 9 (παλιν ανωθεν), - Jésus revient à sa première expression, αγαπας με, sans tenir compte de la modification apportée par l'apôtre ; toutefois, dans un esprit de condescendance, il supprime à son tour le « plus que ceux-ci ». - Oui, Seigneur, vous savez bien que je vous aime. Cette fois encore Pierre le répète φιλω σε, craignant d'employer le nom de l'affection la plus relevée. Sa seconde réponse est d'ailleurs tout à fait identique à la première. - Pais mes agneaux. Nous trouvons cette fois un double changement dans la réplique de N.-S. Jésus‑Christ : ποιμαινε au lieu de βοσκε προβατια (leçon probable, d'après A, B, C, etc.) au lieu de αρνια. Le sens primitif de βοσκω est « donner la pâture à, nourrir » (cf. Matth. 8, 30, 37 ; Marc. 5, 11, 14 ; Luc. 8, 32, 34 ; 15, 15) ; ποιμαινω dit plus, et représente tout l'ensemble de la conduite et des soins du berger envers son troupeau. Voyez les passages Matth. 2, 6 ; Luc. 17, 7 ; Actes 20, 28 ; 1Cor. 9, 7 ; 1 Pierre 5, 2 ; Apocalypse 2, 27, etc., où il est pris, soit au propre, soit au figuré. Rien de plus naturel que le second changement apporté par Jésus à sa parole. Les προβατια (diminutif plein de charme qu'on ne rencontre pas ailleurs dans le N. T.), ou troupeaux à peu près complètement grandis, ont souvent besoin d'être conduits et dirigés par le berger, tandis que, pour les agneaux qui peuvent à peine marcher, l'essentiel est la nourriture.



Jean 21.17 Il lui dit pour la troisième fois : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Pierre fut contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois : "M'aimes-tu ?" et il lui répondit : "Seigneur, vous connaissez toutes choses, vous savez bien que je vous aime." Jésus lui dit : "Pais mes brebis." - Il lui dit pour la troisième fois. S. Pierre avait renié trois fois son Maître (cf. 18, 17, 25, 27, et parall.) pour effacer complètement sa faute, Jésus exige de lui une triple et publique protestation d'amour. Rapprochement très naturel, que tous les exégètes ont fait à la suite des Pères. « A un triple reniement succède une triple confession : ainsi la langue de Pierre n'obéit pas moins à l'affection qu'à la crainte, et la vie présente du Sauveur lui fait prononcer autant de paroles, que la mort imminente de son Maître lui en avait arrachées », S Augustin, Traités sur S. Jean, 123, 5, cf. Enarr. in Ps. 33, 13 ; Serm. 285, etc. « Il a confessé trois fois ce qu’il avait renié trois fois. Donné trois fois berger du troupeau, par la vie, par la parole, par les prières » dit pareillement un ancien hymne ecclésiastique. - M’aimes‑tu (φιλεις με) ? Jésus, par un nouvel acte de condescendance, se met maintenant tout à fait à l'unisson avec les pensées et le langage de Pierre ; car à son tour il emploie le verbe φιλεω, dont s'était constamment servi l'apôtre. Simon, fils de Jean, je consens à entrer dans tes sentiments d'humilité ; m'aimes‑tu au moins de cet amour chaud et généreux, quoique inférieur, dont tu parles ? - Pierre fut contristé... Chagrin bien naturel, car cette troisième question du Sauveur semblait manifester une extrême défiance (de ce qu’il lui avait dit). Et pourtant, « Pourquoi, Pierre, t'attrister de redire jusqu'à trois fois ton amour ? As‑tu oublié la triple manifestation de ta crainte ? Laisse ton Seigneur te questionner ; c'est ton médecin, il t'interroge pour te guérir. Ne te laisse pas aller à la peine ; attends, redis assez de fois ton amour pour effacer tous tes reniements », S. August, Serm. 253, 1. - Seigneur, vous connaissez toutes choses. Pierre généralise sa formule (cf. vv. 15 et 16) pour la rendre plus expressive. Jésus connaît les sentiments de son apôtre, puisqu'il lit au fond de tous les cœurs : « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs », Actes 1, 24. - Vous savez que je vous aime... L'apôtre dut appuyer sur tous les mots. Il y a ici encore un changement remarquable dans les verbes, γινωσκεις après οιδας . Oιδας employé trois fois de suite (cf. vv. 15 et 16) marquait la science surnaturelle et divine de Jésus (vous connaissez toutes choses) : γινωσκεις fait allusion à ses connaissances naturelles et d'expérience. Voyez d'autres permutations analogues de ces deux verbes dans les passages 7, 27 ; 8 ; 55 ; 13, 7 ; 14, 7. - Je vous aime. Encore φιλω σε, mais cette φιλια sera une αγαπη plus forte que la mort. - Pais mes brebis, βοσκε τα προβατα μου. Nous trouvons de nouveau, dans le texte grec, d'admirables et délicates nuances de langage. Jésus revient au verbe βοσκω ; puis, d'après la leçon probable, il appelle ses brebis des προβατα, de manière à produire cette gradation bien exprimée par S. Ambroise (Exposit. in Luc. 10, 176) : « Le Seigneur l’interroge trois fois. Il ne lui demande pas : as‑tu pour moi de l’estime, mais m’aimes‑tu. Et ensuite, il ne lui commande pas de paître des agneaux avec du lait, comme il l’avait fait d’abord, ni les petites agnelles, comme la deuxième fois, mais les brebis, pour que, étant plus parfait, il gouverne les plus parfaits ». Toutefois, si, comme nous l'avons dit en expliquant le v. 15, ποιμαινειν a une signification plus étendue que βοσκειν, pourquoi Notre‑Seigneur dit‑il maintenant βοσκε, et conclue‑t‑il, non par l'injonction la plus forte, ainsi qu'il semblerait naturel, mais par la plus faible ? La raison en est très simple : c'est qu'en fin de compte les autres soins du berger ne serviraient de rien, si les brebis n'étaient tout d'abord nourries. Nourrir le troupeau, lui chercher une excellente pâture spirituelle proportionnée à ses besoins, est donc la dernière comme la première occupation des bergers mystiques. - Les conclusions dogmatiques de ces trois versets (15-17) ont été depuis longtemps tirées par les docteurs de l’Église : elles se ramènent à la primauté absolue de S. Pierre et de ses successeurs. « Du fait que, parmi tous les autres, Pierre est le seul à professer son amour, il est placé avant tous les autres ». S. Ambr., Expos. in Luc. 10, 175. « Il lui a d’abord confié les agneaux et ensuite les brebis, parce qu’il ne l’a pas seulement établi berger, mais berger des bergers. Pierre fait donc paître les agneaux et les brebis ; il fait paître les fils et les mères, i.e. il régit les fidèles et les prélats », S. Eucher, ou l'auteur de l'homélie De natali SS. Petri et Pauli, Biblioth. Vet. Patr., t. 6, Lugd. 1677. « Tu n’es pas seulement le berger des brebis mais de tous les bergers. Tu demandes comment je peux prouver ce que j’avance. Avec la parole du Seigneur : fais paître mes agneaux, fais paître mes brebis ». S. Bernard, De consider. 2, 8, 15, etc. Tradition admirablement résumée par Bossuet dans ces lignes non moins solides qu'éloquentes de son Discours sur l'unité de l’Église : « Jésus‑Christ poursuit son dessein ; et après avoir dit à Pierre, éternel prédicateur de la foi : Tu es Pierre..., il ajoute : Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux.. Tout est soumis à ces clefs, tout, rois et peuples, bergers et troupeaux. Nous le publions avec joie ; car nous aimons l'unité, et nous tenons à gloire notre obéissance. C'est à Pierre qu'il ordonne... de paître et de gouverner tout, et les agneaux et les brebis, et les petits et les mères, et les bergers mêmes. bergers à l'égard des peuples, et brebis à l'égard de Pierre, ils honorent en lui Jésus‑Christ. » Voyez les développements dans les traités de Théologie Dogmatique sur la sainte Église, les Traités d’Ecclésiologie. [Notamment l’excellent L’Église du Verbe Incarné du cardinal Charles Journet, en 3 tomes. Journet est un des plus grands théologiens catholiques du XXème siècle.]



Jean 21.18 "En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais, mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas." - « Après que Pierre a répondu par trois fois, comme il le devait, qu'il aimait le Seigneur, et après que Jésus lui a confié ses brebis, il lui parle des souffrances qui l'attendent », disait S. Augustin, Serm. 253, 2, pour marquer l'enchaînement du récit. S. Pierre a demandé de subir le martyre pour Jésus, 13, 37 ; sa prière sera pleinement exaucée. Aux paroles qui instituaient le fils de Jean chef suprême de l’Église, Notre‑Seigneur en associe d'autres (vv. 18 et 19) qui lui prédisent la souffrance, et une mort tragique. - En vérité, en vérité... Ici, comme partout ailleurs dans le quatrième évangile, cette formule caractéristique (voyez la note de 1, 52) sert d'introduction à une idée grave et importante. - Quand tu étais plus jeune... Jésus emprunte ce détail aux usages ordinaires de la vie, ainsi qu'il aimait à le faire (Voyez la note sous Matth. Note au début du chapitre 5). C'est ce qu'exprime fort bien Maldonat, h. l. : « Jésus fait sans aucun doute allusion à ce qui a coutume de distinguer la jeunesse de la vieillesse. Les jeunes sont normalement plus robustes et plus agiles que les vieux. Ils se suffisent donc à eux‑mêmes. Ils n’ont besoin de l’aide de personne pour satisfaire aux besoins de leur corps. Ils s’habillent eux‑mêmes, ils se dévêtent eux‑mêmes. Ils font ce qu’ils veulent sans conducteur, sans guide. Ils sont alertes et dispos. Les vieux, au contraire, à cause de l’âge, de la maladie ou de la faiblesse, ont besoin de l’aide d’autrui pour se vêtir et s’alimenter. C’est la même chose qui arrivera à Pierre, comme le veut la nature ». S. Pierre se trouvait alors entre ces deux états, d'après le langage même de Jésus : Quand tu étais plus jeune, quand tu auras vieilli... - Tu mettais toi‑même ta ceinture comme font les Orientaux pour relever leurs amples vêtements, lorsqu'ils veulent travailler, marcher, etc. - Les mots tu allais où tu voulais expriment d'une façon graphique la liberté d'allures et d'actions dont jouissent les jeunes gens. A cet âge de la vigueur physique et intellectuelle, on ne dépend à peu près de personne. - Mais quand tu seras vieux : Lorsque S. Pierre aura atteint cet âge de la dépendance universelle, dont les misères sont si spirituellement décrites au livre de l'Ecclésiaste (12, 1-8). Il suit de cette parole que Pierre était destiné à une assez longue vie, cf. 2 Pierre 1, 14 ; S. Augustin et S. Jean Chrysost., in h. l. - Tu étendras les mains, et un autre... Autre détail vivant et plastique. Les bras faibles et raidis d'un vieillard ne lui permettent que difficilement de se ceindre lui‑même ; or quand on se fait rendre ce service par un autre, il est nécessaire d'étendre les mains à quelque distance du corps, pour qu'elles ne soient pas attachées par la ceinture. Mais, les bras étendus offrent précisément l'attitude des condamnés au supplice de la croix ; aussi est‑il très probable, d'après l'interprétation commune des anciens, que Jésus faisait allusion, par les mots tu étendras tes mains, non à une mort quelconque, mais au supplice que l'apôtre S. Pierre devait endurer sur la croix. Tertullien, Scorp. 15 : « Pierre sera ceint par un autre quand il sera attaché étroitement à la croix », cf. De Præscript., 35 ; Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, II, 25. De ces textes, il est intéressant de rapprocher ceux des écrivains classiques, qui signalent « l'action d'étendre les mains » (Artimédon) comme un trait caractéristique du crucifiement. Sénèque, Consol. ad Marc. 20 : « Ils déploieront les bras sur la partie transversale de la croix ». Etc. - Et te mènera... Par opposition à tu allais où tu voulais. Du reste, l'antithèse est parfaitement suivie d'un bout à l'autre de la phrase. - Où tu ne voudras pas c'est-à-dire à une mort cruelle, qui fait frémir la nature, quelle que soit la générosité du cœur. « Car qui veut mourir ? Sûrement personne », S. Augustin d'Hippone Serm. 123, 2. La mort ne plaît jamais à la chair et ne pas vouloir mourir à la chair lui est apparenté. Cela a été vrai même pour le Christ, ajoute‑t‑il, cf. Marc. 15, 22 (et le commentaire), où l'on voit toute la force du verbe οισει (littéral. : il te portera, te traînera).



Jean 21.19 Il dit cela, indiquant par quelle mort Pierre devait glorifier Dieu. Et après avoir ainsi parlé, il ajouta : "Suis-moi." - Note exégétique du narrateur, pour expliquer le langage figuré dont avait usé Notre‑Seigneur. - indiquant : symbolisant, indiquant un signe, une image. - Par quelle mort, par quel genre de mort particulier, cf. 12, 33. - Pierre devait glorifier Dieu. Belle et noble appellation du martyre, cf. 7, 39 ; 12, 23 ; 13, 31 ; 17, 1 ; Philippiens 1, 20 ; 1 Pierre 4, 16. Sacrifier pour Dieu ce que nous avons de plus cher, notre vie, c'est en effet la meilleure manière que nous ayons de le glorifier. - Le crucifiement de S. Pierre à Rome est un fait historique rigoureusement démontré. Les témoignages remontent jusqu'à S. Clément pape, lettre 1 ad Cor. 5, 4, et à Tertullien, Scorp. 15. Sur l'humble et courageuse demande adressée par S. Pierre à ses bourreaux, pour obtenir d'être crucifié la tête en bas, voyez Eusèbe (Hist. eccles. 3, 1, 2), qui cite le témoignage d'Origène. Le prince des apôtres était déjà mort depuis d'assez nombreuses années lorsque S. Jean transcrivait la prophétie de Jésus. - Suis‑moi. Transition à une nouvelle scène et à une seconde prophétie.« Et en même temps, le Sauveur se mit à marcher et S. Pierre à le suivre. Jésus voulait marquer par cette action que Pierre le suivrait au supplice de la croix. » Calmet ; h. l, cf. S. Jean Chrysost., Tolet, Maldonat, etc. Il faut donc interpréter tout ensemble au propre et au figuré ce Suis‑moi du divin Maître : au propre comme le comprirent S. Pierre (s’étant retourné, v. 20) et S. Jean (derrière lui, ibid.) ; au figuré d'après le contexte et la tradition. C'est encore le riche symbolisme qui parcourt en entier le quatrième évangile à la façon d'un fil d'or.







Jean 21.20 Pierre, s'étant retourné, vit venir derrière lui, le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant la cène, s'était penché sur sa poitrine et lui avait dit : "Seigneur, qui est celui qui vous trahit ?" - Pierre, s'étant retourné. Trait pittoresque, qui dénote avec d'autres passages de ce chapitre un témoin oculaire des faits. - Vit le disciple (l'article est emphatique) que Jésus aimait, et qui, pendant la cène... Sur ces détails, voyez 13, 23, 25 et le commentaire. - Venir derrière lui. Quoique l'invitation de Jésus ne s'adressât directement qu'à Pierre, Jean aussi s'était mis à le suivre à quelque distance, en sa qualité de disciple privilégié.



Jean 21.21 Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus : "Seigneur et celui-ci que deviendra-t-il ?" - Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus... S. Pierre a repris toute sa familiarité habituelle avec le bon Maître, et il se permet de l'interroger. - Celui‑ci (par opposition à Pierre lui‑même), que deviendra‑t‑il ? Quel sort tenez-vous en réserve pour lui ? S. Pierre et S. Jean étaient étroitement liés, cf. 13, 6-9, 24 ; 18,15 ; 20, 1-6 ; Actes 3, 1 et ss. ; 8, 14 ; etc. Il était bien naturel que le premier s’intéressât au second, et cherchât à obtenir des renseignements sur ses futures destinées. « Ne voulant pas abandonner Jean avec lequel il avait toujours été associé », S. Jérôme, Adv. Jovin. 1, 26. Divers commentateurs protestants (Olshausen, Lücke, Meyer, etc.) osent attribuer la question de S. Pierre à un motif de jalousie.



Jean 21.22 Jésus lui dit : "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi." - Si je veux... Jésus parle en Seigneur et affirme sa divine volonté, cf. 17, 24 ; Matth. 8, 3 ; 26, 39, etc. La particule « si » laisse toutefois dans un vague mystérieux les desseins arrêtés du Maître. - Qu’il demeure, une des expressions favorites de S. Jean. Demeurer vivant sur la terre, par opposition à « suivre » au moyen d'une mort plus ou moins prochaine, cf. 12, 34 ; 1 Corinthiens 15, 6 ; Philippiens 1, 25. - Jusqu'à ce que je vienne... Locution qui désigne moins un point précis de l'avenir, qu'un fait constamment et lentement en voie de s'accomplir (Westcott). La pensée générale de Jésus est très claire : Jean devra demeurer longtemps encore sur la terre ; mais les paroles sont de plus en plus vagues, puisque le Sauveur ne voulait pas révéler son secret à S. Pierre. De là les interprétations multiples des exégètes : Jusqu'à mon second avènement, jusqu'à l'établissement solide de l’Église, jusqu'à la ruine de Jérusalem, jusqu'à ce que je l'enlève par une douce mort, etc. Il nous paraît préférable de laisser la phrase dans sa généralité : « Jusqu'à ce que je vienne », quel qu'il soit. - Que t'importe ? Jésus refuse d'en dire davantage sur ce point, qui ne concernait que lui seul. - Toi, suis‑moi. Les deux pronoms sont emphatiques, surtout le « moi » qui précède cette fois le verbe ; plus haut, v, 19, Jésus avait dit : « Suis‑moi »). Quoi qu'il en soit de ma volonté relativement à ton ami, pour toi tu n'as qu'une chose à faire : Suis‑moi. Jésus est le chef suprême ; à lui le soin de distribuer les rôles dans son Église.



Jean 21.23 Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Pourtant Jésus ne lui avait pas dit qu'il ne mourrait pas, mais : "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ?" - Le bruit courut donc : en conséquence de la parole ambiguë du Sauveur. Sur une phrase hypothétique, laissée à dessein dans le vague, on ne tarda pas à baser une conclusion positive. - Parmi les frères. C'est-à-dire parmi les chrétiens, auxquels cette dénomination pleine de douceur sera désormais habituellement donnée, cf. Actes 9, 30 ; 11, 1, 29 ; 15, 1, 3, 22, 23, etc. C'est la seule fois qu'on la rencontre dans les Évangiles. - Que ce disciple (expression si modeste.) ne mourrait pas. Aux premiers jours du christianisme, comme on le voit par divers passages des lettres de S. Paul (cf. 1 Thessaloniciens 4, 12-17 ; 2 Thessaloniciens 2, 1-11), les « frères » supposaient la fin du monde très prochaine ; ils avaient donc aisément conclu que « qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne » promettait à S. Jean une immortalité certaine : opinion qui alla toujours grandissant, favorisée qu'elle semblait être par la longévité de l'apôtre. La légende s'en mêla bientôt, ainsi que nous l'apprend S. Augustin (Tract. 124, 2), au temps duquel on prétendait encore que le disciple bien‑aimé, quoique enseveli, continuait de vivre dans son tombeau d’Éphèse. - Pourtant, Jésus n'avait pas dit. S. Jean lui‑même va corriger l'erreur, en faisant cesser l’ambiguïté. Jésus n'avait pas dit : Il ne mourra pas, ce qui eût été parfaitement clair, mais : Si je veux qu’il demeure. Cette dernière phrase répète les paroles mêmes du Sauveur, cf. v. 22. - Ces deux prédictions s'accomplirent : S. Pierre mourut sur une croix ; S. Jean s'attarda sur la terre, en attendant que Jésus vînt le prendre et le conduire au ciel : il survécut aux douze apôtres et vit la ruine de sa nation. Voyez les beaux développements de Bossuet, Sermon pour la fête de S. Jean. S. Augustin, Tract. 124, 3, résume tout dans un mot ingénieux qu'il place sur les lèvres de Notre‑Seigneur : « Suis‑moi par une vie active, (l'action qui représente l'ardeur de S. Pierre), parfaite et modelée sur l'exemple de ma passion : pour celui qui a commencé à me contempler (S. Jean), qu'il continue jusqu'à ce que je vienne, et quand je viendrai, je porterai à la perfection son habitude de me voir ».

Jean 21.24 C'est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites et nous savons que son témoignage est vrai. - En cet endroit, nous voyons surgir de nouveau la question d'auteur et d'authenticité. Qui a écrit ces deux versets qui mettent le sceau au quatrième évangile ? Non qu'il y ait contre eux quelque témoignage extrinsèque digne d'attention (seul le manuscrit א omet le v. 25) ; mais, de prime abord, on serait porté à croire que le v. 24 contient l'attestation de plusieurs personnes en faveur de S. Jean, et que le v. 25 provient encore d'une autre main à cause du changement de nombre (« je ne pense pas », après « nous savons »). Néanmoins, tout bien considéré, il est possible et même vraisemblable que ces lignes encore ont S. Jean pour auteur : lui‑même il aurait joint à son propre témoignage celui de l'église d’Éphèse (« nous savons »). En toute hypothèse, ces deux versets sont inspirés et ont Dieu pour auteur, attendu qu'ils font partie du canon des saintes Écritures. - C'est ce même disciple. Formule très emphatique. Le disciple dont il a été question aux vv. 20-23, S. Jean par conséquent. - Qui rend témoignage : une des expressions favorites de notre évangéliste. - Et qui les a écrites : le témoignage demeure comme un fait constant ; mais déjà la composition de l'évangile appartenait au domaine du passé. « Ces choses » retombe en effet sur la narration entière de S. Jean, et pas seulement sur le chapitre 21. - Et nous savons. S. Jean Chrysostome scinde à tort le verbe et traduit par « or je sais », pour enlever la difficulté signalée plus haut. - Son témoignage est vrai..., cf. 19, 35 et le commentaire.



Jean 21.25 Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses, si on les rapportait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire. - Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses. Sorte d'excuse, analogue à celle de 20, 30. L'évangéliste voudrait avoir été plus complet. - Jésus a fait : le texte grec désigne tout à la fois l'éclat et la multitude des actions de Jésus omises par l'écrivain sacré, cf. Apocalypse 1, 2. - Si on les rapportait en détail... Il suit de là que les matériaux qui présentaient des garanties absolues de vérité abondaient encore ; le quatrième évangile a donc été en entier composé d'assez bonne heure, ainsi que tant d'autres arguments nous l'ont prouvé. Voyez la Préface, § 4, 1. - Je ne pense pas que le monde entier... L'emploi du singulier est peu dans le style de S. Jean, de même l'hyperbole qui suit ; car nous avons trouvé notre narrateur toujours si simple. Néanmoins, on ne saurait démontrer d'une manière certaine qu'il n'a pas pu tenir ce langage. - Pût contenir les livres qu'il faudrait écrire. Saint Jean nous montre ici l'insuffisance de ses écrits au regard de la réalité qu'il met par écrit car cette réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile. En effet, les œuvres accomplies par le Christ nous dépassent complètement.





La Bible de Rome est placée sous copyleft Alexis Maillard, auteur-éditeur, chacun a le droit de recopier, republier, imprimer, en totalité ou par extrait La Bible de Rome. Chacun a le droit de modifier ou d’adapter cette œuvre.

https://www.amazon.fr/s?k=alexis+maillard&__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=3V52CC8TBFRV2&sprefix=alexis+maillard%2Caps%2C128&ref=nb_sb_noss_2

https://www.amazon.fr/dp/B0CN9M4JY6?binding=hardcover&ref=dbs_dp_rwt_sb_pc_thcv

Si les liens devenaient caduques, il faut aller sur amazon.fr et taper dans la barre de recherche : « Alexis Maillard » + Bible

biblederome.free.fr